NAPOLÉON ET SA FAMILLE

VOLUME V. — 1809-1810

 

XIX. — L'ABDICATION DE LOUIS.

 

 

III. — LOUIS EN AUTRICHE.

Juillet. — Décembre 1819.

 

Le 3 juillet, l'Empereur n'a encore nulle idée que Louis puisse abdiquer, bien moins s'enfuir. Ce jour-là il ordonne au duc de Reggio de faire filer sur France, dès qu'il sera entré à Amsterdam, tous les canons qui auraient été placés dans les lignes et qui, dit-il, pourraient désormais servir contre moi. Le 4, arrive Vichery : il le voit, mais la lettre dont Vichery est porteur ne lui paraît qu'une menace comme tant d'autres, une tentative nouvelle pour l'émouvoir ou l'intimider. Le 6 seulement, la nouvelle officielle du départ lui parvient par Caraman, expédié d'Amsterdam par Sérurier, le 3 à la première heure. Encore y a-t-il un retard, car la Cour est partie pour Rambouillet ce jour-là même.

 

Le 8, l'Empereur n'a pas encore pris son parti sur ce qu'il fera de la Hollande ; il s'en occupera dans la journée. En attendant, il envoie à Oudinot l'ordre de garder exactement les côtes pour empêcher la contrebande, de mettre l'embargo sur les ports de façon qu'aucun individu ne sorte et que rien ne passe en Angleterre ; enfin, et ceci, dit-il, est le principal, d'avoir l'œil sur le prince royal, de ne le remettre à personne qui viendrait le chercher de la part du roi et de le retenir pour le remettre aux officiers que l'Empereur enverra le chercher. — Que le duc de Reggio, conclut-il, rassure le pays et parle toujours dans le sens de la réunion, en faisant comprendre que ce n'est qu'en unissant nos moyens qu'on pourra faire du mal à l'Angleterre.

Cette délibération qu'il a instituée n'est pas longue et, pour la prendre, il ne demande avis ni de dignitaires, ni de ministres. Ce même jour, il écrit à Clarke : Je réunis décidément la Hollande ; à Decrès : Je viens de signer l'acte de la réunion de la Hollande à la France ; à Lebrun : J'ai besoin de vos services en Hollande ; faites préparer vos équipages de voyage et rendez-vous le plutôt possible à Rambouillet pour y prendre vos instructions. Il est indispensable que vous partiez de Paris demain soir pour vous rendre à Amsterdam.

Le décret, en date du lendemain, 9 juillet, est précédé d'un rapport de Champagny qui reproduit, presque trait pour trait, les arguments de la note remise à Roëll le 24 janvier et préparée pour servir de base aux négociations avec l'Angleterre[1]. Toutefois Champagny doit justifier la cassation de la clause d'abdication en faveur du prince royal. Cet acte, dit-il simplement, n'aurait dû paraître qu'après avoir été concerté avec Votre Majesté. Il ne peut avoir de force sans son approbation ; et, à la fin du rapport. : Quant au jeune prince qui est si cher à Votre Majesté, il a déjà ressenti les effets de sa bienveillance particulière. Elle lui a donné le grand-duché de Berg. Il n'a donc besoin d'aucun nouvel établissement.

C'est là tout : le nom de Louis n'est pas prononcé ; aucune allusion n'est faite ni à sa personne ni à ses actes ; le décret n'a pour base que des principes de politique générale, savoir : que la réunion de la Belgique à la France a détruit l'indépendance politique de la Hollande ; que la réunion à l'Empire des provinces de Brabant et de Zélande a rendu l'existence du commerce de la Hollande très incertaine ; due la partie de la Hollande encore étrangère à l'Empire. ne peul être sauvée d'une ruine totale que par l'ouverture à son commerce de l'Empire même ; que cette partie de la Hollande est écrasée par sa dette publique, que néanmoins ses charges doivent être encore augmentées si elle prétend protéger son indépendance par une armée et une marine. Si, dans un tel état de choses, conclut Champagny, Votre Majesté maintient les dernières dispositions en donnant à la Hollande un gouvernement provisoire, elle ne fait que prolonger sa douloureuse agonie. Si le gouvernement d'un prince dans la force de l'âge a laissé ce pays dans un tel état de souffrance, que pourrait-il espérer d'une longue minorité ?

Il ne peut donc être sauvé que par un nouvel état de choses, et là reparait l'argument déjà présenté par l'Empereur et le ministre de l'Intérieur au Corps législatif : la Hollande est comme une émanation du territoire de France, elle est le complément de l'Empire ; la réunion de la Hollande est la suite nécessaire de la réunion de la Belgique. Elle complète l'empire de Votre Majesté et l'exécution de son système de guerre, de politique et de commerce. C'est un premier pas, mais un pas nécessaire vers la restauration de sa marine ; enfin c'est le coup le plus sensible que Votre Majesté puisse porter à l'Angleterre. Cela suffit ; il n'est pas besoin d'autres considérants ; par un simple décret : La Hollande est réunie à l'Empire. Quelques agréments seront accordés aux Hollandais : leur ville d'Amsterdam sera la troisième de l'Empire ; ils auront six sièges au Sénat, six au Conseil d'État, vingt-cinq au Corps législatif, deux à la Cour de Cassation ; tous les officiers et tous les fonctionnaires seront conservés dans leurs emplois ; mais la dette publique est réduite au tiers ; les denrées coloniales, qui se trouvent actuellement en Hollande, n'appartiendront à leurs détenteurs que moyennant un droit de 50 p. 100 de la valeur, après acquit duquel elles pourront circuler librement dans l'Empire. C'est toute la transition que l'Empereur ménage ; après quoi, de gré ou de force, ce qui fut la Hollande devra rentrer dans le moule uniforme des départements, subir les mômes lois fiscales, administratives, civiles, pénales, militaires et religieuses.

***

A des égards, les prévisions que Louis exposait au mouleur de son abdication se trouvent donc réalisées, mais l'Empereur, de décembre à mars, ne lui a-t-il pas assez répété que tel était son dessein et que rien ne pouvait le changer ? En Hollande même, nul n'a pensé que la transmission de la couronne uni s'opérer régulièrement ; le Conseil de régence n'a pas proclamé le nouveau roi, il n'a pris en son nom aucun acte souverain[2] ; il a envoyé le général Jansens pour recevoir les ordres de l'Empereur et il n'a gardé sur leur portée aucune illusion. Dès 1809, par l'attribution du grand-duché de Berg au jeune Napoléon-Louis, l'Empereur a enlevé aux Hollandais raisonnables tout espoir de durée ; il a suffisamment montré que, s'il consentait à laisser à son frère une royauté viagère, il réglait par avance sa succession. Nulle opposition à craindre d'Hortense ; personne n'ignore la répugnance qu'elle a toujours eue pour la Hollande, et, mètre pour être régente, elle ne sera point empressée d'y retourner. Comme Napoléon l'écrit à Joséphine, la réunion a cela d'heureux qu'elle émancipe la reine ; cette infortunée fille va venir à Paris avec son fils et cela la rendra parfaitement heureuse.

Seulement, Hortense est toujours à Plombières et il faut qu'elle fasse formellement connaitre ses intentions. Napoléon lui écrit donc et la réponse atteste une soumission telle qu'il la peut désirer et qu'il l'attendait. Elle n'a rien encore de Hollande, sauf une lettre de Mme de Bouliers annonçant le départ du roi. Au moment où elle a reçu le courrier de l'Empereur, elle allait lui envoyer cette lettre, et lui demander ce qu'il fallait qu'elle fit ; car elle ne veut jamais faire que ce qui lui plaira. M. de Marmol, son écuyer, va partir pour chercher le prince royal et l'amener à Plombières, si l'Empereur le permet. La pensée de vivre près de l'Empereur est ce qui peut la rendre la plus heureuse et elle le prie de croire que ce seront toujours les vœux de sa fille.

Dès cette lettre reçue, le 13, l'Empereur expédie à Hortense le texte des messages qu'elle devra adresser au président du Corps législatif et au président du Conseil de gouvernement. Vous ne leur donnerez dans ces lettres aucun titre, a-t-il soin de dire, et c'est une simple fin de non-recevoir qu'elle enverra. Etrangère à ces matières, dira-t-elle ; je n'ai pu qu'expédier sur-le-champ un courrier à l'Empereur, chef de la Famille impériale et spécial tuteur de mon fils comme grand-duc de Berg, pour savoir ce que mon fils et moi avons à faire.

Cela est d'ailleurs de pure forme, car, à cette date, le décret est publié et le prince royal est hors de la Hollande. Le 10 en effet,, l'Empereur qui, malgré l'occupation sans coup férir d'Amsterdam par le duc de Reggio, malgré l'arrivée de Jansens attestant la soumission du Conseil de régence, conserve toujours quelque appréhension que Louis ne cherche à enlever son fils ou qu'on ne mésuse du nom de cet enfant et qu'on le proclame roi, a désigné pour l'aller chercher son aile de camp, Lauriston. Lauriston est l'oncle du général Bruno et il est allié à Mme de Boubers, dont la fille n épousé un de ses frères ; les choses se passeront donc en famille. Lauriston part sur-le-champ, dans une bonne voiture des Ecuries, muni de mille napoléons, afin de n'avoir dans aucun cas besoin d'argent et pourvu de lettres pour le duc de Reggio et pour Mme de Boubers. Le 13, il est à Amsterdam ; le il, il repasse à Anvers, accompagnant le grand-duc de Berg avec Bruno et la gouvernante. Après un court arrêt à Laeken où l'on a pensé que la reine viendrait prendre son fils pour le nieller à l'Empereur, l'enfant se remet en route ; il arrive, le 20 à Paris et, de l'hôtel de la rue Cerutti où il retrouve son frère, il est conduit à Saint-Cloud.

L'Empereur le reçoit avec une sorte de cérémonial ; au moins saisit-il l'occasion de cette réception pour justifier sa conduite vis-à-vis de Louis. Le Moniteur insérera, le lendemain, cette note soigneusement rédigée par Méneval, revue et corrigée de la main même de Napoléon : L'Empereur l'a tenu longtemps embrassé : Venez, mon fils, lui a-t-il dit, je serai votre père, vous n'y perdrez rien. La conduite de votre père afflige mon cœur. La maladie seule peut, l'expliquer. Quand vous serez grand, vous paierez sa dette et la vôtre. N'oubliez jamais, dans quelque condition que vous placent ma politique et les besoins de mon empire, que vos premiers devoirs sont envers moi, vos seconds envers la France ; tous vos autres devoirs, même ceux envers les peuples que je pourrais vous confier, ne viennent qu'après.

Le même jour, par décision spéciale, le pavillon d'Italie (ci-devant de Breteuil) dans le parc de Saint-Cloud est affecté à l'habitation du grand-duc de Berg et du prince son frère : leur service y sera transporté de Paris et le grand maréchal pourvoira à ce qui pourra y manquer. Non content de cet établissement provisoire, l'Empereur ne tardera pas à s'occuper d'un projet d'organisation pour la maison de l'aîné de ses neveux, projet étudié de près, plusieurs fois remanié, où la dépense annuelle doit s'élever à 134.560 francs et qui ne sera ajourné que sur la demande d'Hortense.

L'Empereur pense aussi à celle-ci, car, toujours le 20 juillet, il fait prendre possession en son nom de l'hôtel de la rue Cerutti et du château de Saint-Leu. En attendant des mesures définitives, il lui assigne, à compter du mois de juillet, un million par an pour sa maison. 500.000 francs pour l'entretien du duc de Berg, 250.000 francs pour l'entretien du prince Louis, soit 1.750.000 francs par année. En même temps, par une lettre écrite sur son ordre par le grand maréchal, il autorise la séparation entre les époux et donne à la reine la garde des enfants et l'administration des biens. Aux termes du Statut de Famille du 31 mars 1806, le départ de Louis, sans ordre ni congé, donne à l'Empereur le droit de prononcer comme il fait. D'ailleurs, s'il ne l'a pas, il le prend : il dispose de l'héritage de son frère comme s'il était mort ; il s'empare aussi bien de ses fils que de ses papiers, des employés intimes de son cabinet que des animaux de sa ménagerie ; il met la main sur les chambellans et les pages, les écuyers et les préfets ; il accommode à son usage l'équipage de fauconnerie que Louis avait créé ; il veut tout, les palais de Hollande avec leurs mobiliers, les statues, les bustes, les portraits de famille, les chevaux, les voitures. Il faut une décision spéciale pour laisser à ses neveux une petite voiture à âne que leur père leur a donnée : de même fait-il les propriétés que Louis a acquises à titre privé sur sa liste civile. Il entend le réduire par la famille et il ne lui laisse rien, mais au moins interdit-il contre lui toute accusation, même toute récrimination. Champagny a préparé une circulaire aux agents sur les motifs de la réunion. L'Empereur la lui renvoie. Cette circulaire n'est pas bonne, lui écrit-il. Elle est dirigée tout entière contre le roi, au lieu qu'elle doit tendre tout entière à l'excuser ; et il pose les bases de la circulaire telle qu'il l'entend, où le ministre doit faire ressortir les difficultés produites par la réunion de la Belgique à l'Empire, celles provenant d'une dette double et de charges triples du revenu du pays, celles enfin causées par le système du blocus et les arrêts du Conseil britannique. Il ne profite même pas des traces de démarches faites en Prusse et en Russie contre lui, surprises dans les papiers de Louis : Il se contente de dire : Le roi, aigri par une maladie chronique qui, depuis quatre ans, ne lui laissait pas de repos, l'impatientait et l'irritait, n'était pas l'homme qui convenait. Il fallait, pour réussir dans des circonstances si épineuses, de la longanimité, des mœurs douces et beaucoup de dextérité. En résumé, la situation de la Hollande était épineuse ; le roi l'a aggravée ; elle avait besoin d'un chef de beaucoup d'expérience, de prudence et d'énergie : la maladie du roi l'a privée de ces avantages ; de Iii, les événements qui ont amené ce dénouement.

***

Tel est le thème qu'il donne à développer, et dont il se réserve d'atténuer les termes, d'élaguer tout ce qui serait trop personnel. Sans doute, ne se repent-il pas de l'acte politique qu'il a décidé, mais il se reproche l'acte familial qui en a été la conséquence. Il ne restituerait pas la Hollande qu'il estime nécessaire an système, mais que de choses il donnerait pour adoucir Louis, le ramener en France, lui faire reprendre sa place près du trône, pour couvrir le scandale de cette fuite, pour fournir un prétexte à peu près plausible à cette abdication et montrer qu'il n'est pas le tyran qu'on suppose.

Mais quoi ! Où est-il. Louis ? Prétend-il, comme Lucien, mendier un asile aux Etats-Unis ? Est-il passé en Angleterre ? A-t-il demandé refuge à l'empereur de Russie ou à quelque souverain allemand ? Mais quel serait assez osé pour le lui accorder sans craindre la colère du tout-puissant empereur ?

Cette disparition subite produit une sorte d'affolement. Vainement, à Amsterdam, interroge-t-on les ministres hollandais ; ils ne savent rien ou ne veulent pas parler. A la fin seulement, Hugenpoth, ex-ministre de la Police, pressé de questions par l'architrésorier et presque traité en criminel d'Etat, répond : Sa Majesté nous a seulement dit qu'elle irait à quelque bain d'Allemagne et en effet, elle s'est dirigée vers cette partie de l'Europe. J'ai envoyé quelqu'un auprès d'elle pour savoir an juste où elle irait. Cela ne suffit pas ; il faut qu'Hugenpoth dise qui est ce quelqu'un. C'est un officier hollandais qui a suivit la trace jusqu'à Osnabrück, s'informant du passage du comte de Saint-Leu et ne cachant point que c'est sous ce nom que le roi voyage.

Mais, à Osnabrück, il a perdu la piste. Louis aura-t-il marché vers le Nord, où est Hambourg, un port, des vaisseaux et l'Angleterre, ou sera-t-il descendu vers le midi ? En ce cas est-il en Westphalie ?

A Cassel, Reinhard, le ministre de France, tout de suite averti, voit là une conspiration par qui se faire valoir. Louis sans doute est d'accord avec Jérôme et avec Bourrienne. Pour qui ces appartements préparés aux bains de Neudorf par ordre de Jérôme ? ces autres appartements retenus à Aix-la-Chapelle ? Le ministre de Hollande à Cassel présume que son maitre a pu avoir l'intention de s'embarquer pour l'Amérique ; mais, alors, que penser de Jérôme qui, il y a quelques jours à peine, a dépêché M. de Boucheporn à Amsterdam ? Boucheporn revenant ne rapporte-t-il des paroles qui prouvent une entente ? Belle occasion pour un agent tel que Reinhard qui veut faire du zèle, qui, sans patrie, sans opinion, sans principes, servant avec le même zèle, hier la Convention et le Directoire, aujourd'hui Napoléon, demain Louis XXIII et Louis-Philippe, ne donne pour Lut à son activité que de flatter le maitre aux bons endroits, c'est-à-dire à ceux qui lui l'apportent, et de se tirer des postes médiocres qu'il n'a point dédaigné de solliciter après avoir été lui-même ministre des Relations extérieures.

Reinhard dénonce le grand complot, mais, par malheur, c'est l'Empereur qui a suggéré à Jérôme d'écrire à Louis pour lui remontrer les dangers d'une abdication ou d'un départ : Louis étant déjà parti lorsque Boucheporn est arrivé à Amsterdam, les détails qu'il a rapportés ne donnent donc aucune indication sur la route qu'a pu prendre le roi et c'est de lui-même que Jérôme imagine un fantastique embarquement pour Batavia.

L'Empereur, tenu au courant des moindres nouvelles, approuve tout ce qu'a fait le roi de Westphalie, mais son inquiétude et son irritation croissent en raison de son impuissance : Je ne crains qu'une chose pour le roi, écrit-il à Jérôme, c'est que cela ne le fasse passer pour fou, et il y a clans sa conduite une nuance de folie. Si vous apprenez où il s'est retiré, vous lui rendrez service de l'engager à se rendre à Paris et à se retirer à Saint-Leu, en cessant de se rendre la risée de l'Europe. Entremettez-vous pour cela. On me fait entrevoir d'Amsterdam que le roi pourrait se rendre en Amérique et qu'il s'est procuré pour cela un passeport par un officier qu'il aurait envoyé eu Amérique. S'il vous est possible de vous opposer à ce projet insensé, même par la force, faites-le.

Mais quoi ! pour s'entremettre, pour agir, soit de douceur, soit de violence, il faudrait que Jérôme sût où est Louis, et il n'en sait rien. Je vous dirai, écrit Catherine à son père, le roi de Wurtemberg, que l'Empereur est désespéré d'ignorer la retraite du roi de Hollande. Il voulait l'engager à venir habiter Saint-Leu comme un simple particulier et promettait de le traiter avec beaucoup d'affections et d'égards, mais il est trop tard et nous ignorons tous le lieu où il s'est retiré.

Napoléon en est à chercher des pistes et à user de tous les moyens pour rattraper l'évadé : avant appris par l'architrésorier que le médecin du roi, M. Latour, peut être tenté de rejoindre son maitre en quelque lieu qu'il soit, il voit le parti qu'il peut tirer de cette ouverture et ne doute pas qu'une correspondance, ne soit établie du malade au docteur : En suivant celui-ci on arrivera à celui-là ; il écrit donc que, non seulement il permet le voyage de Latour, mais qu'il le désire, que ce prince lui est toujours cher, qu'il verra avec plaisir que Latour reste auprès de lui, qu'il regardera comme personnels tous les services qu'il lui rendra. Là encore c'est un échec, et la préoccupation croit chaque jour. Elle se montre dans toutes les lettres qu'il écrit aux siens du 6 au 20 juillet, tantôt tournée en colère, tantôt en affection, tantôt en dérision. On ne conçoit rien à cette lubie, écrit-il, mais cette lubie le gène. Il se plaît à l'appeler ainsi, mais il sent l'effet de cette protestation muette, au moment même où Lucien réclame ses passeports et annonce son prochain départ. Cet événement fait le plus mauvais effet dans Paris, écrit Catherine ; on dit même le public si fort prévenu que le ministre de la Police s'est cru obligé d'en avertir l'Empereur et de l'empêcher de venir à Paris comme il en avait le projet.

 

Enfin, le 20 juillet, à la fois par une dépêche de M. de Bourgoing, ministre à Dresde, et par une lettre de Louis à Decazes, l'Empereur apprend que son frère est aux eaux de Tœplitz en Bohème. Il se !rate d'en faire part à Madame, à Jérôme et à Hortense, en ajoutant : Toute sa conduite est inexplicable et ne peut être attribuée qu'à son état de maladie. Toutefois, il est soulagé de l'inquiétude que Louis soit passé en Angleterre ou en Amérique, et, certain désormais du lieu où il peul le prendre, il ne doute pas qu'il ne parvienne à le déterminer à rentrer en France, à reprendre sa place dans la Famille et à mettre fin à un scandale dont, malgré son assurance, il ne laisse pas de voir les dangers.

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En sortant de Haarlem, dans la nuit du 2 ou 3, Louis a contourné Amsterdam, ne s'arrêtant que pour faire remettre à M. Cambier, vice-président de son conseil d'Etat, une longue lettre qu'il a préparée. C'est encore une sorte de confession et d'apologie, diffuse, pleine d'incidences, de répétitions et de déclamations, mais singulièrement instructive sur l'état de son esprit après ces deux journées d'agonie[3].

Passé Amsterdam, à Naarden, les postillons refusent de doubler la poste. Travers dispute avec eux, menace de les tuer s'ils ne marchent pas. Cela fait une querelle ; un juif s'approche pour s'enquérir, vient à la voiture et reconnaît le roi. A Delden, le pauvre Thiel, le barbet que le roi a recueilli et qu'il aime, saute par la portière au moment où les chevaux repartent et se fait écraser sous les roues. Pour Louis, c'est une nouvelle douleur qui vient s'ajouter à tant d'autres, une de ces douleurs qui prêtent à rire, dont la sottise du respect humain empêche de pleurer, et dont on se console moins que de bien d'autres, car, pour l'amitié, si peu d'hommes valent un chien. Sans doute, après, s'arrête-t-il au Loo pour faire ses derniers préparatifs et prendre quelques objets[4]. Enfin, il atteint Osnabrück : il y est rejoint par M. de Kalicheff, conseiller de la légation de Russie, que le prince Dolgorowkow envoie à Pétersbourg avec la nouvelle du départ du roi. Il en profile pour informer l'empereur Alexandre des motifs de son abdication et du lieu de sa retraite.

Quel sera-t-il et quel indique-t-il ? Il hésite encore entre les États-Unis, la Suisse et l'Autriche. D'ailleurs, il veut attendre des nouvelles de ce qui s'est passé à l'entrée des troupes et peut-être a-t-il encore des illusions sur la négociation qu'il a confiée à Walckenaër dont il n'a pas encore de dépêches. C'est là une station qu'il a indiquée sans doute à Hugenpoth, car des courriers l'y attendent ou l'y retrouvent. Par un d'eux, le 6, il écrit à Van der Heym, président du Conseil[5] : Il s'inquiète de tout ce qui a pu se passer, de l'effet qu'ont produit ses écritures ; il tient à rester en communication avec ses ministres, non plus comme étant ses agents, mais comme étant ses amis. ses associés dans le commun désastre ; ii prétend dès à présent préparer sa justification — celle-là même qu'il ne publiera que dix années plus tard — mais, malgré ses déclarations de désintéressement, dans la passion avec laquelle il s'informe de ce qui se passe à Paris, ne peut-on voir la suprême illusion que l'Empereur cédera, le rappellera en Hollande et lui rendra son trône ?

Toutefois, on ne saurait dire s'il attend les réponses de Van der Heim. À Osnabrück, on perd sa trace. Il traverse sans doute Hanovre, Brunswick, Magdebourg pour gagner Wittemberg et Dresde où on le retrouve le 9 ; le 11, il est à Tœplitz en Bohême[6]. De là, il écrit à Bourgoing, en le priant de rendre compte à l'Empereur de son arrivée et de son vif désir de rester dans les environs pour soigner tranquillement sa santé. Il a pris le nom de Saint-Leu et c'est sous ce nom seulement qu'on doit le faire connaître, et même lui parler, si on le voit. Vous me feriez beaucoup de peine, dit-il à Bourgoing, en faisant autrement. Le même jour, il écrit à l'empereur d'Autriche pour lui demander la permission de résider dans ses États et au comte Otto, ambassadeur de France à Vienne, pour lui annoncer son arrivée ; peut-être, dans cette dernière lettre, glisse-t-il une phrase qui lui permet de croire qu'il a demandé les ordres de l'Empereur sur sa future résidence, mais c'est de façon si discrète que nul n'y a pu rien entendre.

Le 16 juillet seulement, il s'avise de révéler le secret de sa retraite aux trois personnes qu'il tient, hors de la Hollande, pour les plus dévoués : sa mère, Jérôme et Decazes ; mais c'est moins par tendresse et par affection, pour les rassurer ou pour s'épancher, qu'en vue de régler son avenir et d'établir son plan de vie.

***

Seulement, ces trois lettres, datées du même jour, sont étrangement contradictoires : à Jérôme, il dit que non seulement son intention n'a pas été, en abdiquant, de se soustraire à l'autorité de l'Empereur, mais, au contraire, qu'il désire savoir si l'Empereur lui permet d'aller vivre en particulier à Saint-Leu ; à Madame, il dit : après tout ce qui s'est passé, j'ai choisi ce lieu (Tœplitz) de préférence parce que c'est plus loin. J'ai bien songé à aller vous rejoindre (à Aix-la-Chapelle), mais je vous aurais attristée et je ne puis plus supporter actuellement que la retraite la plus profonde. J'attends la réponse de l'Empereur sur l'endroit où il me permettra de rester après les eaux. Je ne sais moi-même où aller ; ce que je désirerais le plus, ce serait d'habiter avec vous, comme particulier, le midi de la France ; mais l'Empereur ne le voudra pas, et alors, j'ai demandé à rester en Allemagne ; j'attends la réponse de l'Empereur ; à Decazes, il dit : je désirerais, aussitôt que l'Empereur, mon frère, me permettra d'habiter quelque part, que vous puissiez me faire passer nies livres et me conseiller de ce que je dois faire de Saint-Leu. Pourrais-je le vendre ? A qui ? Combien ? Comment ? Voilà ce dont je vous prie de vous informer et de me faire savoir.

Ainsi, c'est tantôt Saint-Leu, tantôt le midi de la France, tantôt l'Allemagne qu'il prétend habiter, et, en même temps qu'il demande à Jérôme s'il ne peut se retirer à Saint-Leu, il charge Decazes d'y trouver un acquéreur. Sur quoi il ne varie point avec ces trois correspondants, c'est sur le nom qu'il a. pris de M. de Saint-Leu ; c'est, dit-il, le seul nom et titre que je porte, mais, douze jours après, il écrira dans la forme royale, la plus officielle, à son ancien ministre Van der Heim pour régulariser le congé de Bloys van Treslong qui l'a accompagné.

Il n'est pas au bout de ses contradictions : le 20 juillet, il écrit à Fesch : Vous êtes à présent le seul de la Famille auprès de l'Empereur. Dites-moi, je vous prie, s'il me permettra enfin de vivre tranquille et obscur ; c'est là tout mon désir. Après les malheurs que j'ai éprouvés, je ne peux plus rien être et, si l'Empereur le veut, je vous prierai de me vendre vos biens en Corse et j'irai m'y établir, mais, comme je suis résigné à tout plutôt qu'a être quelque chose après n'avoir pu rester sur la terre de Hollande, je crains qu'il n'y consente pas ; si je pouvais obtenir de m'y retirer avec le plus jeune de mes enfants, je me trouverais bien heureux parce que je serais à jamais tranquille.

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Donc, c'est la Corse à présent, mais cette tranquillité qu'il veut y chercher, comment s'en flatte-t-il, hanté qu'il est à toute heure par le spectre de la Hollande ; nuit et jour, dit-il, je ne pense à rien d'autre, et, dans de longues lettres qu'il écrit à ses anciens ministres, il revient sur tous ses griefs, il justifie son abdication, il établit en sept paragraphes, l'acte d'accusation de son frère ; il supplie qu'on lui envoie des nouvelles, qu'on lui dise ce que le public pense de lui, et puis des plaintes sans fin : on retient ses valets de chambre, on a gardé ses effets ; on ne lui rend pas ses papiers ; tout le inonde l'abandonne ; Bloys veut le quitter et tout au plus attendra-t-il l'arrivée de Bylandt qui doit le remplacer ; mais permettra-t-on à Bylandt de venir ? Et son thème est toujours, qu'il s'adresse à Gambier ou à Van der Heim, son inébranlable fidélité à la Hollande dont il est et reste le roi. A preuve, la protestation qu'il rédige contre le décret de réunion et qu'il se réserve de déposer entre les mains de tous les souverains qui l'ont reconnu[7]. J'y suis forcé, écrit-il, pour l'intérêt de mon pays, pour ma justification et au nom du jeune roi mineur en ce moment, mais qui doit parvenir à sa majorité sans perdre les droits que Dieu et la nation lui ont donnés à la couronne. Il déclare donc, devant Dieu et les souverains indépendants auxquels il s'adresse, 1° que le traité imposé du 16 mars 1810, qui a donné l'occasion de séparer de la Hollande les provinces de Zélande et de Brabant, a été accepté par force et ratifié conditionnellement par lui à Paris où il était retenti contre son gré ; qu'en outre, il n'a jamais été ratifié par l'Empereur. En conséquence, dit-il, je déclare, en mon nom, en celui de la nation et de mon fils, le traité imposé le 16 mars 1810 par l'Empereur comme nul et non avenu.

2° Je déclare que mon abdication n'a eu lieu qu'à la dernière extrémité, forcé par l'Empereur, mon frère, à ce seul parti qui me restait de conserver les droits de la Hollande et de mes enfants et qu'elle n'a eu lieu et ne peut avoir eu lieu qu'en faveur de ceux-ci ;

3° En mon nom, au nom du roi mineur et de la nation hollandaise, je déclare la prétendue réunion de la Hollande à la France, mentionnée dans le décret de l'Empereur, mon frère, en date du 9 juillet passé, comme nulle et de nul effet, illégale, injuste, arbitraire aux yeux de Dieu et des hommes dont elle blesse tous les droits, se réservant la nation et le roi mineur de faire valoir leurs justes droits quand les circonstances leur permettront. Et il écrit, date, signe de sa propre main et scelle du sceau de l'État qu'il a emporté à Tœplitz.

La pièce reste secrète pour le moment, mais ne suffit-il pas qu'elle ait été rédigée, et en ce style de roi légitime, pour attester quelles sont les intentions et les idées de Louis alors qu'il parle de se retirer en Corse, à Saint-Leu, ou dans le midi de la France.

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Une autre préoccupation vient se greffer sur celle de sa justification : la crainte, semble-t-il, de manquer d'argent : il écrit lettres sur lettres, à l'architrésorier, à son ancien intendant général, à des banquiers d'Amsterdam, pour réunir l'argent qu'il a laissé dans ses palais, celui qu'il a confié à des banques, réclamer ses propriétés qui n'ont pas été réunies à la couronne par l'acte d'achat. Ses diamants lui ont été renvoyés : il propose à Jérôme de les lui acheter pour cinq cent mille francs. Veut-il former un établissement ou prétend-il avec tout cet argent, provoquer des séditions et soudoyer des partisans ?

En tout cas, l'Empereur, averti par Lebrun, coupe court à la correspondance. Il ne veut aucun rapport entre Louis et la Hollande : plus de lettres ; celles qu'il écrit, seront interceptées comme celles qu'on pourrait lui écrire. Nul Hollandais ne doit aller le retrouver : ordre à Bylandt de ne pas bouger de Hollande. Les papiers du roi sont à Paris comme ses secrétaires et on ne les lui rendra point. Sa garde-robe qu'il réclame va aussi être transportée à Paris : qu'il vienne l'y chercher. Si l'Empereur veut négocier avec son frère, ce ne peut être par les Hollandais, pas plus que par Bourgoing, qui a eu le grand tort de s'entremettre, de parler et d'écrire : ce n'est point ici une affaire de politique, c'est une affaire de famille, qui doit être traitée en famille, avec le moindre bruit possible et par des agents qui n'aient aucun caractère et dont les démarches ne paraissent point.

 

Madame et Pauline sont tout indiquées puisqu'elles sont les plus actives correspondantes de Louis. Louis vient d'écrire à sa mère le 7 août : J'espère que mon frère permettra que je demeure avec vous et un de mes enfants le reste de mes jours... Je vous avoue que je désire tellement la retraite et l'obscurité que j'irais volontiers en Corse, avec un de mes enfants et vous, ou bien en Provence... On peut donc compter qu'il consent à rentrer en France. A la vérité, reste à le faire venir à Paris ou autour de Paris, à quoi il se refuse, et il l'écrit à Pauline ; mais Madame ne perd pas confiance. Je vois par votre lettre, lui écrit-elle, que vous persistez à ne pas vouloir vous arrêter à Paris. Je vous répète ce que je vous ai dit dans les précédentes, que je ne vous laisserai pas seul, mais cependant il me semble qu'après avoir pris les eaux, vous devriez faire ce que je vous ai proposé, c'est-à-dire venir à Saint-Leu, soit à Pont où j'irai vous attendre et où nous pourrons arrêter ce qui convient le mieux.

Cela est bien ; mais Louis se dérobe lorsqu'il s'agit de quelque chose de précis ; les correspondances d'ailleurs sont lentes, difficiles, peu secrètes. Ne vaudrait-il pas mieux envoyer à Tœplitz quelqu'un qui eût à la fuis la confiance de Louis et celle de la famille ! Mais qui ?

On pense à Lavalette, si lié avec lui que Louis continue à le tutoyer, comme au temps où ils étaient tous deux aides de camp du général Bonaparte. Lavalette fait ses commissions à Paris ; il lui envoie son vin, ses journaux, ses livres ; il sert d'intermédiaire pour donner des nouvelles des princes et transmettre à la gouvernante les observations et les ordres du père. Mais c'est de là justement que naît une terrible querelle. Par un billet, dont Lavalette a dû exiger un reçu signé et daté, Louis a enjoint à Mme de Boubers de lui rendre compte de tout ce qui arrivera à ses fils et de n'obéir qu'à lui. Mme de Bouliers ne lui répond pas à son goût et c'est une grande colère : Monsieur de Lavalette, écrit-il, la lettre que vous m'avez adressée de Mme de Bouliers a été pour moi un coup de foudre. Je ne l'eusse jamais cru sans cela !Elle a besoin d'ordres supérieurs pour me donner des nouvelles de mes enfants ! Elle se charge de m'écrire les sottises qu'on m'adresse ! C'est trop fort !!!Je lui avais écrit une bonne réponse, mais je l'ai brûlée. Faites-moi le plaisir, puisque vous vous souvenez encore de moi, de me donner ou faire donner, de temps en temps, des nouvelles de mes enfants. J'aimerais mieux n'en jamais recevoir de ma vie si ce ne pouvait être que par le canal de cette femme ! que je croyais si bien ! en qui j'avais tant de confiance !!! Voilà Lavalette responsable de ce qu'a écrit Mme de Bouliers, du moins suspect : Lavalette voudra-t-il encore m'écrire ? Je ne serai jamais changé à son égard, mais je me suis contenu et refroidi à son égard lorsqu'il m'a dit qu'il ne pouvait pas, par politique, m'écrire ni me voir souvent. Plus de tutoiement dans le discours direct, plus aucune des formes affectueuses des lettres antérieures, mais du cérémonial et des protestations. Lavalette est bride ; il mettrait tout de suite Louis en défiance ; d'ailleurs un directeur général des postes ; si avant dans la confiance de l'Empereur, ancien ministre à Dresde, ne se déplace point sans qu'on parle. Il faut quelqu'un d'obscur, dont le voyage passe inaperçu, que Louis croie tout à lui et qu'on tienne par l'ambition et l'argent.

On a Decazes : sans doute l'Empereur se méfie de lui ; peu s'en est fallu qu'en 1809, pour ses correspondances, il ne lui fit faire connaissance avec Vincennes ; c'est un intrigant, mais qu'on contentera avec peu. Lors du dernier séjour de Louis à Paris, Decazes a naturellement été introduit chez Madame, et, Lien qu'elle se livre peu et qu'elle tienne à distance quiconque n'est pas de ses Corses, elle ne bourra résister aux savantes approches du Libournais. Decazes, ayant reçu une lettre du roi, n'a pas manqué d'en envoyer, à Aix-la-Chapelle, une copie à Madame. Madame a fait répondre dédaigneusement que, quoiqu'elle reçoive directement des nouvelles de Sa Majesté depuis quelque temps, elle n'en a pas moins été sensible à la marque d'attention ; mais ce n'en est pas moins une ouverture de correspondance et Decazes a inscrit son nom comme celui du confident de Louis. De Madame, il colporte à Fesch la lettre qu'il a reçue, et Fesch est plus abordable ; sur lui, les paroles portent mieux que les écritures sur Madame et l'on s'entend plus vite. Une lettre est combinée entre Fesch et Decazes, rédigée par l'un, corrigée par l'autre, et sans doute soumise à l'Empereur.

Quel coup de fortune de s'entremettre ainsi, de devenir d'un coup un homme utile, l'homme nécessaire le trait d'union entre l'Empereur et le roi de Hollande ! C'est le chemin du paradis, la grande route des places et des honneurs ! Aussi, avec quel soin quelle habileté, quelle ductilité, Decazes a écrit son plaidoyer : d'abord les mortelles inquiétudes sur la santé du roi, les protestations de dévouement exclusif, d'attachement passionné, de désir d'être admis à lui tenir société. Puis : Sire, trop de biens vous attachent encore à la vie pour que vous ne deviez pas la chérir... Il est tant de personnes à qui vous n'êtes pas seulement cher, mais utile, mais nécessaire. Jetez les veux autour de vous. Que Votre Majesté se dise si elle voit quelqu'un réunissant plus d'affections qu'elle. Je ne lui parlerai pas de ses amis. Cependant je dois lui dire combien elle en a de vrais et de tendres. Votre Majesté les connaît... Mais la famille de Votre Majesté ? Est-il de fils ou de frère plus tendrement chéri ? Et ce bon M. le Cardinal, Votre Majesté sait tout son amour pour elle ! Eh bien ! Elle ne se fera qu'une faible idée de la sensibilité qu'il a fait voir à son sujet. Je l'en ai vu malade et comme frappé de mort. Il ne me parlait pas des craintes que Votre Majesté inspirait sans avoir les veux remplis de larmes. Oh me disait aussi quel tendre intérêt l'Empereur lui-même avait manifesté dans ces mêmes moments. Votre Majesté serait attendrie si je lui donnais les détails qu'on m'en a faits. Le premier besoin du cœur si aimant de Votre Majesté, c'est d'être aimé. Pourquoi s'arracherait-elle elle-même au bonheur qu'elle apprécie le plus ? Votre Majesté sera chérie partout on elle habitera, mais le sera-t-elle autant qu'elle l'est en France et surtout ici où elle a fait tant de bien, à Saint-Leu où depuis six ans qu'elle y répand ses bienfaits, il n'y a plus de malheureux ? Je ne me permettrai pas de chercher à pénétrer le parti que prendra Votre Majesté, mais attaché à tout ce qui lui est cher, je verrais avec effroi qu'elle songeât à passer en Corse et l'opinion publique désapprouverait ce projet, on peut facilement le prévoir, par l'impression qu'avait causée la nouvelle répandue que Votre Majesté était passée aux États-Unis. Je sens qu'il pourrait sembler extraordinaire que Votre Majesté revint dans ce moment à Paris, son voyage à Tœplitz ne serait plus naturel, au lieu qu'il le serait beaucoup qu'ayant quitté sa couronne, Votre Majesté ait cru devoir s'éloigner pour ne pas être un obstacle à l'adhésion de ses sujets aux mesures de l'Empereur ; qu'elle ait été prendre les eaux pendant plusieurs mois ; qu'elle se rapprochât ensuite du trône ; qu'elle revint quelques instants à ses enfants et qu'elle fiit passer l'hiver dans la partie méridionale de la France qui conviendrait le mieux à sa santé. J'ose assurer Votre Majesté que ce parti est celui qui paraîtrait au public le plus simple et le plus sage. Si Votre Majesté ne revient pas en France après avoir quitté les eaux, le voyage de Tœplitz ne sera plus regardé comme un voyage des eaux, mais comme un commencement d'exil volontaire. Ce sera une sorte d'engagement que Votre Majesté aura prise envers ce même public si exigeant et si bizarre. Cependant Votre Majesté n'aura assurément pas pour cela renoncé è jamais, et à ses fils, et à sa famille, et à tous les liens à qui elle se doit. Et son retour à Paris, quand elle y reviendra plus tard, sera un objet extraordinaire qui occupera tous les esprits, comme ils étaient occupés de M. Lucien, tandis que maintenant il paraîtra une chose tellement simple que, deux ou trois fois, le bruit a couru que Votre Majesté était à Saint-Leu et, une fois entre autres, on donnait tant de détails sur deux voitures passées à Saint-Denis, sur des ordres donnés pour laisser les portes de Paris ouvertes de nuit, qu'un moment moi-même ai douté, pour ainsi dire, et que je suis passé chez M. le Cardinal pour m'en assurer. Je n'ai pu connaître quels sont les désirs de l'Empereur au sujet de Votre Majesté. On m'a même dit que S. M. I. et R. n'avait pas formellement improuvé le projet d'aller en Corse. Votre Majesté en aura sans doute reçu directement des nouvelles et je ne me permettrai pas de lui donner mes conjectures. Comme de juste à la fin, appel à l'indulgence, aux bontés pour excuser la liberté prise.

***

Louis ne reçoit pas aussi mal qu'on aurait pu croire cette longue lettre de Decazes : on n'a point pensé qu'il se rendrait au premier coup et n'est-ce pas déjà une victoire qu'il ne se mette point en garde, qu'il ne prenne point en haine le donneur d'avis et qu'il ne le tienne pas complice des persécuteurs' ? Non seulement il répond le 21 août, mais il se confie davantage et entre plus en intimité. Monsieur Decazes, écrit-il ; je vous ai écrit étant isolé et errant, c'était la plus grande marque d'estime que je pouvais vous donner puisque je vous avais moins écrit en d'autres temps. Comment pouvez-vous me parler de gloire et de bonheur ? Celui-ci ne fut jamais mon partage et d'autant moins que je rétrécissais le cercle de mes désirs et de mes vœux. L'autre consistait pour moi à soutenir la Hollande, à ne pas être l'instrument de sa ruine sous le nom de roi. Comme il n'y a plus moyen, tout est fini pour moi et c'est ma meilleure consolation dans le détériorement de ma santé ! Je n'ai pu éviter d'être le premier et l'avant-dernier roi de la Hollande. Puissé-je au moins être le seul roi, le seul de mon nom qu'on traite si mal ! Mais ne parlons plus de cela, je vous prie ; je suis Français, je suis homme et la Hollande est dans mon cœur pour toujours. Et, après des commissions diverses qui montrent l'extrême familiarité : affaires d'argent, à régler, livres à envoyer, nouvelles des enfants à demander régulièrement, il termine : Vous voyez que ma confiance et mon estime en vous ne sont pas diminuées.

 

Voilà qui est bon, et Decazes est établi sur le pied d'un confident, encore un peu et il montera au favori. Louis n'a jamais su se passer d'un ami obscur, qu'il découvre, admet à son intimité, protège, grandit, comble de grâces, jusqu'au moment où, dégoûté aussi brusquement qu'il s'est engoué, il s'en débarrasse brutalement : ainsi Mésangère, Fleury, Twent, Roëst van Alkemaade, Fornier-Montcazals, Dalichoux de Senegra, Travers, combien d'autres ! C'est fini de Boys van Treslong qui veut à toute force rentrer en Hollande ; à peu près de Travers, qui manque de lettres. La place est à prendre : il est vrai que Louis l'a destinée à Charles de Bylandt, ci-devant son aide de camp et colonel du 1er régiment de chasseurs, mais y a-t-il chance que l'Empereur lui permette de l'occuper ? Bylandt est d'une famille qui, depuis l'an XIII, a attiré la surveillance de la police parce que quelques-uns de ses membres sont pensionnés de l'Angleterre. Chaque fuis qu'un Bylandt a paru en France, les bureaux ont été en mouvement à son sujet et d'ailleurs saris parvenir à l'identifier. On demande des indications en Hollande et on ne s'y reconnaît pas davantage. Il y a cinq, six, sept, dix Bylandt, dont trois, pour le moins, ont été ou sont au service du roi d'Angleterre ou de l'électeur de Hanovre. Cela n'empêche pas Louis d'en employer plusieurs : un est président du Corps Législatif, un autre ministre à Munich, un troisième chambellan ; mais le plus favorisé a été ce Charles qui, cadet puis lieutenant de 1785 à 1795, démissionnaire ensuite, a été réintégré en 1806 comme lieutenant officier d'ordonnance, et, en moins de trois années, sans un fait de guerre, s'est trouvé colonel (25 septembre 1809) et aide de camp du Roi. Suspect déjà il le devient bien plus, lorsque, seul de toute l'armée hollandaise il fait des difficultés pour prêter serment à l'Empereur. Là-dessus, le 16 août, Napoléon a ordonné qu'on l'arrêtât et qu'on l'envoyât par la gendarmerie à Vincennes. C'est juste le moment où Bylandt demande à aller remplacer Bloys van Treslong près de S. A. I. le prince Louis (18 août). Transporté à ses frais à Vincennes, il fait présenter le 26 août par Verhuel, une nouvelle pétition tendant à obtenir la permission de se rendre auprès de son maître. Louis, de son côté attribuant l'arrestation de Bylandt, non pas à son refus de serinent, mais à l'attachement qu'il lui a montré, supplie sa mère qu'elle le fasse mettre en liberté, mais bien que Bloys doive le quitter le 30 août, il n'ose plus, en ce moment, insister pour qu'on le lui envoie[8].

Il va donc se trouver seul, car Travers, ne peut plus résister à l'existence qui lui est faite et n'a qu'un rêve, celui de rentrer en France. Louis dans l'état de soupçon où il vit, mène une perpétuelle inquisition sur ceux qui l'entourent, ouvre leurs lettres, les empêche d'écrire même pour leurs affaires particulières, leur impose une discipline fantasque et tyrannique, et, dans l'oisiveté à laquelle il les condamne, ne leur permet de parler à personne, pas mène à lui[9]. Quelqu'un de nouveau, qui aurait eu part à sa confiance, avec qui il pourrait reprendre d'anciens entretiens de littérature, qui changerait ses horizons, lui apporterait des éléments de distraction et de discussion, aurait quelque chance de réussir et de prendre une sorte d'influence. Sous prétexte de régler les affaires d'argent que complique singulièrement le décret pris par l'Empereur, le 18 août, qui supprime la liste civile de Hollande à dater du 1er octobre, dissout les maisons du roi et de la reine à dater du 1er septembre, confisque le mobilier royal, déclare palais impériaux, le palais d'Amsterdam, les châteaux du Loo et de Zœstdick, le palais d'Utrecht et le pavillon de Haarlem et met sous le séquestre les biens personnels de Louis, Decazes part pour Tœplitz à la mi-septembre. Il a l'assentiment de la t'amibe avec qui il s'est concerté, mais il n'a point de mission officielle, ce qui serait de nature à tout gâter, et il agit en son nom privé, de son initiative personnelle, comme homme d'affaires et comme ami.

 

Il arrive le 24 et la lutte est longue. Le décret sur le séquestre a exaspéré Louis, il ne veut rien entendre, même sur ses affaires ; il ne veut plus rentrer en France après la saison des eaux ; de Tœplitz, il ira s'établir à Gratz. Il faut un effort de chaque instant pour obtenir de lui, le 1er octobre, le jour même où il quitte Tœplitz, l'autorisation au conseil de ses affaires particulières, à Saint-Leu et à Paris, de continuer à diriger ce qui est relatif à ces propriétés, à mettre en ordre et à faire face aux dettes et à lui rendre compte régulièrement de l'état de ses affaires aussitôt qu'on aura levé le séquestre. Jusque là dit-il je ne veux ni ne puis entendre parler de rien.

Ce n'est pas une victoire et avec Louis, il est bien dangereux de faire, de la levée du séquestre, un pont pour la rentrée en France : il faut trouver mieux et, pour cela, ne pas le quitter d'un pas.

Le 1er octobre donc, avec Travers, décidément en quarantaine, et Decazes qui, s'il n'a pas triomphé, se maintient en une demi-faveur, Louis part pour Gratz ; mais, en route, il apprend que le prince d'Orange s'y rend et que l'empereur d'Autriche s'y trouve. Il veut éviter l'un et l'autre, s'arrête, balance entre Baden et Wiener-Neustadt, fait même retenir un logement à Baden dans la maison dite des Augustins, et à la fin, se décide pour Marbourg où il fera une cure de raisin.

 

À Marbourg, il est rejoint par le premier secrétaire de l'ambassade de France à Vienne — M. de Lablanche, un neveu de Champagny — lequel lui remet une sommation de l'ambassadeur ainsi conçue : Sire, l'Empereur m'ordonne d'écrire à Votre Majesté dans les termes suivants : le devoir de tout prince français et de tout membre de la Famille impériale est de résider en France et il ne peut s'absenter qu'avec la permission de l'Empereur. Après la réunion de la Hollande à la France, l'Empereur a toléré que le roi de Hollande résidât à Tœplitz ; sa santé lui paraissait rendre les eaux nécessaires, mais aujourd'hui, l'Empereur entend que le prince Louis, comme prince français et grand dignitaire de l'Empire, y soit rendu an plus tard le 1er décembre prochain, sous peine d'être considéré comme désobéissant aux Constitutions de l'Empire et au chef de sa famille et traité comme tel.

Louis accuse simplement réception ; c'est une blessure de plus à sa personne royale, l'affirmation de cette servitude à laquelle l'Empereur prétend le réduire. Toutefois, la sommation parait avoir produit son effet, car Decazes, lorsqu'il le quitte quelques jours plus tard, emporte l'engagement verbal et écrit qu'il rentrera, si l'Empereur consent à le laisser vivre tranquille en France ou en Italie.

 

Il est vrai que, à la même date, Louis fait offrir 25.000 ducats pour prix d'achat l'un grand bien ecclésiastique, dans le voisinage de Baden, situé dans une contrée charmante et très saine. Le 2 novembre, il vient seul — car Travers l'a quitté — s'établir, avec son médecin Latour qu'il commence à prendre en aversion, à Gratz, d'abord à l'auberge Zur Sonne, puis dans la maison du comte Jordis[10], général en retraite. À tous ceux qui l'approchent il déclare qu'il désire vivre oublié. Au gouverneur, il dit : Traitez-moi comme un de vos bourgeois, je ne suis ici que le comte de Saint-Leu ; même aux hollandais, il écrit : J'ai si besoin de m'oublier moi-même que l'isolement est la seule chose qui me convienne. Cela ne l'empêche point de faire des visites à l'archiduc Jean, frère de l'empereur, qui a sa résidence à Gratz, de fréquenter certains émigrés qui y sont fixés, entre autres le marquis d'Ecquevilly, ancien officier général de l'armée de Condé et la marquise, qui est née Durfort, et de se lier avec son hôte. Il a d'ailleurs une vie large et opulente : sil n'a point, comme le bruit en court en Angleterre, emporté de Hollande vingt millions de florins, la banque Arnstein et Eskeles, de Vienne, où il a déposé son argent et ses bijoux, lui sert une pension de 2.000 florins (autr.) par mois, et il tire encore de l'argent d'Amsterdam où l'on sait qu'il a des fonds.

Il se plaît à cette vie et semble avoir perdu tout souvenir des promesses qu'il a transmises par Decazes. A sa sœur Caroline qui, de son chef, a tenté de le convaincre de rentrer en France, il répond — J'ai écrit à quelqu'un que je croyais mon ami ; il est resté, après l'époque des événements qui me concernaient, plus de trois semaines sans me répondre et en a demandé la permission !!! Depuis, j'ai presque la certitude qu'il a envoyé les lettres confidentielles et longues que je lui avais écrites avec épanchement à Paris ; cela m'a été bien nuisible et depuis deux mois nous ne nous écrivons plus. C'est pour cette raison que je n'ai plus écrit ni à Joseph ni à ton mari. Je n'y comprend plus rien et ne sais plus où j'en suis. Dis ces choses à ton mari. Comme Caroline insiste sur ses devoirs envers l'Empereur : Je ne suis plus prince français, dit-il, depuis qu'on m'a fait roi malgré ma volonté et qu'on m'a fait monter sur un trône. J'étais très mesuré dans mes prétentions et je le suis toujours. Je ne veux et ne puis rester désormais que dans une situation privée. Il menace, si on l'ennuie, de passer en Amérique. Ses plaintes au reste sont bruyantes et violentes : son frère ne daine pas lui répondre ; son frère a séquestré tout ce qui lui appartient ; son frère tient enfermé à Vincennes le comte de Bylandt, le seul aide de camp qui ait voulu le suivre ; son frère a pris jusqu'à ses habits et ce n'est que par ruse qu'il les a recouvrés.

Tel est l'état de colère, d'indignation et d'inquiétude où il est retombé ; mais la mélancolie apporte aussi sa part de souffrances, témoin ces vers, les meilleurs qu'il ait jamais faits[11] :

Il est des peines véritables

Dont rien ne peut nous consoler

Il est des pleurs insupportables

Qui brûlent sans pouvoir couler...

Victime de ma confiance,

Sous d'injustes nœuds gémissant,

Loin des amis de mon enfance,

Je souffre et meurs à chaque instant.

Jeté sur la rive étrangère

Par un sort que je dois haïr,

Hélas ! pour comble de misère,

Je ne dois ni ne puis mourir...

Ce monde n'est qu'une tourmente

J'y vois les maux aux maux s'unir

Et d'une vitesse étonnante,

Le bien paraitre pour s'enfuir.

J'ai forcé mon cœur au silence,

Rien ne saurait le réveiller

Et desséchés par la souffrance

Mes yeux ne savent plus pleurer !

Jamais d'un triste solitaire

Nul ne partagera le sort

Et c'est dans un sein mercenaire

Qu'un jour je dois trouver la mort

Ou si quelque larme sincère

Sur mon sein tombe par hasard,

Les pleurs de ma sœur, de ma mère

N'adouciront point mon départ.

Puisse au moins mon heure dernière

M'atteindre au bord de nos marais ;

Puissé-je au bout de ma carrière

Près d'eux trouver enfin la paix :

Pour la Hollande et pour Marie,

Seront toujours mes derniers vœux,

Que mes amis, que ma patrie,

Selon mes désirs soient heureux.

Il n'a point écrit, ni publié ces vers pour les besoins de sa cause et, mieux encore que dans ses lettres, est-il permis d'y chercher l'expression sincère de sa pensée : c'est d'abord l'aversion pour sa femme, la désaffection pour la France, la tendresse pour sa mère et pour Pauline, la tristesse de la solitude, la passion pour la Hollande et pour cette hypothétique Marie, qui ne fut jamais, semble-t-il, qu'un être de raison, paré par son imagination de tous les dons, de toutes les vertus et de tous les charmes. Qui l'emportera, la famille et la tristesse, la Hollande et Marie ? Ces deux dernières sont bien fortes, surtout soutenues par l'orgueil, par l'obstination, et par le droit divin.

***

Decazes, dès son retour, a fait part à Madame des bonnes nouvelles qu'il a rapportées ; il ne faut plus qu'un effort et l'on triomphera. L'Empereur est à Fontainebleau depuis la fin de septembre. Sa mère est venue le rejoindre, et aussi Pauline. On va baptiser, avec les enfants des grands de l'Empire, le fils dernier né de Louis. N'est-ce pas l'occasion d'intercéder pour lui. Il a dit, il a écrit que, pourvu que l'Empereur le laissât vivre en particulier, il habiterait volontiers le midi de la France ou la Corse. Il l'a écrit à Madame, à Fesch, à Pauline, à Jérôme ; il l'a répété tout à l'heure à Decazes, malgré la sommation transmise par Otto.

C'est là l'espoir et l'ouverture, mais il convient de se hâter, car, à l'expiration du délai qu'il a fixé, l'Empereur, sous peine de se laisser impunément braver, devra agir de façon ou d'autre. Il faut prévenir un malheur qui serait irréparable. Le / novembre, Madame obtient que l'Empereur ordonne à Savary de lui remettre un passeport pour le roi Louis par lequel il pourra se rendre en quelque lieu qui lui conviendra du midi de la France ou de l'Italie. — L'Empereur a donné sa parole qu'il laissera le roi vivre en simple particulier, loin de toutes les fonctions publiques et dans quel pays de l'Empire qu'il voudra. Ce sont les conditions même que Louis a posées et on ne doute pas qu'il ne les accepte.

Pour les lui porter, le négociateur est tout indiqué, c'est Decazes, qui a profité de chacune de ces circonstances pour s'avancer dans les bonnes grâces de Madame et de Pauline, mais, jusqu'ici, il n'en a rien tiré et l'occasion est trop bonne pour qu'il ne se pose pas en prétendant devant l'auteur de toutes les grâces. Simple juge au Tribunal de première instance de la Seine, le vingt et unième dans l'ordre du tableau, il annonce à Pauline qu'il a déjà vaguement promesse d'une place de procureur général en province, mais ne vaut-il pas mieux que cela ? Je tiendrai trop, lui écrit-il, à rester à Paris tant que le roi daignera y agréer mes faibles services pour ne pas désirer vivement n'en pas être éloigné. Une place de maître des requêtes, quoique peu lucrative, comblerait mon ambition et encore la place de procureur général près la cour de Paris, qui est la même place qu'on paraîtrait me destiner pour la province. Il faut donc que la princesse en parle avec quelque intérêt à l'archichancelier et le détermine à la démarche de faire connaître à l'Empereur qu'il ne le croit pas incapable de remplir une telle place ; il faut qu'on présente à l'Empereur cette faveur comme une chose qui serait agréable au roi qui y trouverait une preuve que l'Empereur ne dédaigne pas de récompenser le zèle et le dévouement qu'on témoigne à son frère.

Pour attendre la réponse de la princesse, Decazes qui s'est glissé à Fontainebleau, retarde son départ que Madame voulait immédiat. Quand il a obtenu au moins des promesses, il part enfin, chargé des lettres de Madame et de Pauline et d'une lettre que le prince de Neuchâtel a écrite sons l'inspiration, sinon sous la dictée de l'Empereur. Il a son avenir en portefeuille. Il prend sa route par Vienne, avec une voiture appropriée sans doute à sa fortune présente, mais fort indigne d'un tel ambassadeur, car une des roues de devant casse dès la Ferté-sous-Jouarre et la seconde près de Rastadt ; il va quand même, les roues raccommodées avec des cordes qu'il renouvelle à chaque poste ; mais, à Saint-Polten, après huit jours et huit nuits sur les chemins, la berline expire. Tant bien que mal, Decazes arrive à Vienne le 21 novembre, et, le lendemain soir, il compte être à Gratz.

 

N'ayant pas de lettre de Louis depuis qu'il l'a quitté à Marbourg, il n'est point informé de son état d'esprit. Toutefois on lui dit à Vienne que Louis est depuis un mois à Gratz vivant très isolé et se faisant soigner par un médecin très fameux dont on raconte des merveilles. Mauvais signe, car, seuls, les médecins ont eu jusqu'ici le don de fixer près d'eux son instabilité et s'il croit avoir trouvé le sorcier qui doit le guérir, rien ne le décidera à le quitter.

Dès l'arrivée, Decazes constate en effet qu'on lui a changé son homme. Aux premières conversations, Louis ne parle que de la Hollande, de son royaume, de son abdication et de ses griefs. Lorsque Decazes lui fait voir la nécessité d'obéir, il se monte, il dit qu'il se jettera à l'eau, qu'on le réduira à l'extrémité de se détruire et mille choses semblables qui terminent toute discussion. La délibération reprend dans de longues promenades et, en revenant, Louis jette sur le papier les arguments et les réponses. Ainsi dans cette première note[12].

RÉSUMÉ

Pourquoi je ne rentre pas ;

Pourquoi, surtout après l'avoir écrit ;

Il perdra ce qui lui reste et fera tort à ses enfants ;

On le chassera par force ;

L'Empereur ne peut lui répondre ;

Sans retour, il n'y a rien à espérer ;

(Sic).

Decazes, qui a mis sa fortune sur cette carte du retour, s'obstine et multiplie les objections. Louis veut qu'il les résume et il répondra sur la même feuille. Decazes écrit et Louis répond :

1° Votre bonheur. — Il est dans la retraite et l'obscurité ;

2° Vos fils. — Je ne redoute pour eux que leurs droits ;

3° Votre mère. — Elle serait plus malheureuse autrement ;

4° Votre Dynastie, l'Empereur. — Ils m'ont avili, accusé, renversé, foulé aux pieds. J'ai résisté tant que j'ai pu ;

5° La France. — J'ai fait tout ce que je devais en ne faisant pas répandre le sang de ses enfants pour ma querelle et en restant son AMI ;

6° La Hollande. — Je ne puis rien pour elle que comme Roi ;

7° Les malheurs qui en seront la suite. — Je n'ai cependant qu'un corps épuisé et flétri par le chagrin et tous les maux ;

8° L'impossibilité de rester ici et d'aller quelque part malgré l'Empereur. — Il me tuera ou me souffrira quelque part ;

9° Le jugement du public et de l'histoire. — DIEU et ma conscience sont ayant eux. Je crois en DIEU.

 

Cette discussion, par demande et réponse, semble avoir épuisé le sujet, puisque, à deux reprises, Louis a fait connaître qu'il ne se rendait pas et qu'aucun argument n'a trouvé prise sur lui. Mais, comme s'il éprouvait une sorte de plaisir à prolonger cette discussion devenue oiseuse, il exige que Decazes lui remette sous les yeux, en forme d'observations et par chapitres, les nombreuses objections qu'il a déjà eu l'occasion de lui présenter, de vive voix on par écrit, contre son projet funeste d'un éternel exil. Le roi s'est promis de répondre par des notes marginales à tout ce qui lui en paraîtra digne et de mettre ainsi Decazes à même de faire connaître que ce n'est pas légèrement et sans en avoir mûrement pesé et approfondi toutes les conséquences qu'il a pris une résolution si fatale. Et, après cet exorde, Decazes commence une série de développements of il mêle, du mieux qu'il peut, la rhétorique à la politique et au sentiment ; il se bat les flancs pour émouvoir en quelque point la vanité, l'ambition ou la tendresse de Louis, mais sa prose manque de conviction et de mordant ; il sait d'avance que c'est peine perdue et que ce n'est point par des écritures qu'il changera une résolution qu'il n'a pu ébranler par ses discours. Mois Louis est convaincu ; il se plaît à raconter ses griefs, à raffiner sur ses sentiments, à remâcher les arguments déjà cent fois réfutés, et, comme il s'est promis d'être calme et qu'il trouve l'occasion bonne pour étaler son bagage de philosophe, il s'étend d'abord en phrases molles, mélancoliques et désespérées. Ainsi, au premier développement, VOTRE BONHEUR, il répond : Après avoir perdu mon pays, rien ne peut me rendre quelque douceur dans la vie, car, de bonheur, je n'en eus jamais et d'autant moins que j'ai restreint mes désirs ; quant à mon nom, j'ai fait tout ce qu'il pouvait exiger de moi, peut-être plus, en préférant une retraite qui me laisse exposé à tous les coups de l'injustice, à une retraite entière que j'aurais pu aller chercher en Amérique, et cela par la raison que mon arrivée en Amérique aurait fait plus de tort à mon nom et à mon frère, surtout s'il m'était arrivé d'être pris, mais, cela fait, c'est à attendre en paix mon dernier jour qu'il faut songer. Pourrais-je en être détourné par le désir de faire encore quelque chose pour mon nom et pour mon frère quand j'ai été si cruellement traité ? Je serai toujours attaché à sa dynastie et à sa gloire, mais j'avoue qu'à mes yeux, elles ont beaucoup perdu.

 

Pour le deuxième développement : Vos FILS, Decazes a trouvé des arguments qui sont d'un homme d'esprit : la position des fils de Louis, a-t-il dit, a été entièrement changée par le mariage de l'Empereur et par la certitude désormais acquise qu'il aura des enfants et des héritiers. Ils sont passés au second rang ; ils ne sont plus que des neveux ; ils ne tiennent au trône impérial que par leur père ; sa fortune est la leur. De même que le trône qu'il a perdu est perdu pour eux, la dignité de prince français, s'il la perd ou l'abandonne, ils peuvent, ils doivent la perdre. Quant à leur mère, par suite du délabrement de sa santé, de la répudiation de sa mère et de la perte de tous ses titres, de la funeste désunion entre elle et le roi, de l'hostilité d'une partie de la famille, peut-elle leur être un appui ? Le roi n'est descendu du trône que pour le leur conserver. Serait-il plus pénible pour lui de leur conserver un rang et un titre que les trois quarts des rois de l'Europe préféreraient sans doute à leur trône ? Louis répond : Plaise au ciel qu'ils ne soient plus utiles à leur nom et deviennent simples particuliers. S'ils n'avaient eu leur mère, j'aurais emmené l'aîné avec moi. Le seul bonheur que j'aie à envier, c'est qu'ils me soient renvoyés et qu'ils partagent ma disgrâce et ma fortune. Leur droit d'hérédité est la menace de la plus grande catastrophe qui puisse arriver à la France et aux Bonaparte, par conséquent à moi et à mes enfants. Et cette considération est d'autant moins fondée à mes yeux que les enfants même de l'Empereur ne pourraient supporter leur héritage s'il n'est cimenté par la justice.

 

Au troisième développement, assez banal, SA MÈRE, le roi répond simplement : Je ne puis la rejoindre pour qu'elle me voie mourir ou la rendre spectatrice des plus cruels tourments. Je ne suis pas égoïste à ce point.

 

Jusque-là Louis s'est contenu : il a répondu à ces arguments qu'il enjoint à Decazes de lui présenter par des conclusions qui, parfois violentes, semblent encore réfléchies. Il n'est pas entré en discussion, il 'a parlé de haut, en roi ; mais à partir du cinquième développement ; VOTRE DYNASTIE, L'EMPEREUR, il ne laisse plus passer un paragraphe, sans l'annoter avec une colère qui bouillonne malgré ses efforts, s'échauffe à la contradiction, jusqu'à ce qu'il cesse d'être maitre de soi. Decazes dit le préjudice que porte à la dynastie le spectacle d'un roi cherchant un asile chez un prince étranger ? — C'est juste, interrompt Louis, aussi ne me suis-je porté à cette extrémité que lorsque j'ai été poussé à bout ; aussi, pour l'éviter, j'ai sacrifié mon amour-propre, ma réputation et ce que j'aimais plus que la vie, l'attachement aux Hollandais. Ce n'est pas moi qui me suis placé ainsi, c'est mon frère ; c'est lui qui est plus intéressé à tout cela que moi. Decazes parle-t-il des devoirs envers la France ? — La France ne m'a fait que du bien, répond-il ; mais mon frère m'en a renvoyé malgré moi. Il m'a méprisé assez pour se servir de moi comme d'un instrument. Il m'a voulu faire l'assassin de toute une nation, un comédien, etc... Decazes dit-il : Combien les peuples de l'Autriche ne doivent-ils pas jouir de voir un frère du vainqueur qui, il y a un an, tenait dans ses mains leurs destinées, s'estimer heureux de trouver chez eux le même asile et la même protection que ces restes d'émigrés qui ont prêché dans toute l'Europe la haine de votre nom et qui n'appellent encore votre grandeur qu'usurpation et tyrannie, de voir un roi de votre sang, redevenu comme eux simple particulier, affectant lui-même de le paraître et oubliant sans cesse son rang avec eux ? Louis riposte : J'ai fait ces raisonnements toutes les fois que j'ai reçu des coups de poignard et cela m'est arrivé très souvent, mais il n'y avait plus moyen de souffrir encore. Il fallait cela ou se jeter à l'eau. — Renoncer aussi légèrement é un rang et à des droits si grands et si précieux, dit Decazes, n'est-ce pas proclamer que vous ne les regardez pas comme étant réellement les vôtres ?L'Empire du monde, répond Louis, ne serait rien pour moi en comparaison de la Hollande. Ce pays est dans mon cœur et dans mon sang. Ce ne sont pas les baïonnettes ennemies qui m'en ont chassé, mais les ordres d'un frère. Il m'a renvoyé de France quand il ne lui convenait plus que j'y restasse, il m'a chassé du trône parce que cela lui plait et, puisque je ne veux point vendre mon pays, il ne peut plus s'attendre à trouver en moi le prince et le comédien qu'il a traité connue je l'ai été. Enfin à cette affirmation de Decazes : Quel est en France l'être pensant, quels que soient ses sentiments ou ses opinions, qui n'ait la conscience intime que le sort de la France est invariablement et étroitement lié à celui de l'Empereur ? Louis répond : Oui, mais je me regarde comme le successeur de l'Empereur ; s'il a voulu perdre ce successeur, le vouer à l'opprobre et le jeter loin de lui, IL EN EST BIEN LE MAÎTRE : blessé, convaincu de la déraison et de l'injustice de cette action, je me plains, mais je n'en peux mais.

La colère croit encore devant le développement sur LA FRANCE ; Louis écrit fiévreusement douze notes de réponse, dont il faut d'abord retenir cette déclaration : Je suis né Français, je m'en fais gloire, je n'eusse pas mieux aime que le rester toute ma vie et n'être que cela ; mais, devenu roi, je suis devenu Hollandais et jamais rien ni personne ne peut me forcer de cesser à filtre, puis celle-ci : Dieu et les peuples donnent seuls les couronnes ; la force n'en donne que l'occasion et la facilité.

Arrivé à LA HOLLANDE. Decazes dit maladroitement que le roi, par sa présence, pourrait être utile à ses anciens serviteurs, que, dans une infinité de circonstances, il pourrait éclairer l'Empereur sur les intérêts du pays. — C'est une étrange idée, répond Louis avec amertume, de me croire capable de servir mon pays et mes anciens sujets autrement qu'en roi.

Où il se fâche tout à fait, c'est lorsque Decazes, devenu singulièrement pressant dans le paragraphe intitulé : NÉCESSITÉ DE CÉDER AUX VŒUX DE L'EMPEREUR ET IMPOSSIBILITÉ DE RESTER EN AUTRICHE, expose les promesses faites par lui et ses déclarations depuis le mois de juillet : La première lettre de Votre Majesté par laquelle vous écriviez de Tœplitz que vous désiriez avoir l'agreement de l'Empereur pour résider en Provence, — La Hollande n'était pas réunie, mes fils déshérités, interrompt-il — celles à Madame et à la princesse Pauline par lesquelles vous promettiez de rentrer si on vous donnait l'assurance qu'on vous laisserait tranquille, — Ceci encore, si je pouvais revenir en France simple particulier, annote Louis, je m'y rendrais de suite à défaut de pouvoir rester en Hollande, mais cela est impossible. On ne m'a fait aucune autre proposition que d'aller en France d'où j'ai été deux fois chassé, — seront incontestablement publiées. On ne manquera pas pour prouver que vous n'avez aucun motif réel de fuir la France, de vous représenter témoignant vous-même dès les premiers instants le désir d'y rentrer ; puis, sans nouvelles raisons, refusant ensuite de le faire, y consentant encore après la note de M. Otto, l'écrivant et le faisant dire verbalement, et en dernier résultat, finissant par ne vouloir entendre à rien et préférant tous les malheurs à cela même que vous aviez tout le premier souhaité. — Personne ne sait mieux que moi, répond Louis, ce que j'ai souhaité. Je n'ignore pas ce que les faux rapports ont débité contre moi.

Votre Majesté, continue Decazes, donne une explication à la première lettre, mais elle ne sera pas là pour la faire connaitre, cette explication, et d'ailleurs il n'en est aucune à donner à la seconde. Votre Majesté croit avoir écrit qu'elle reviendrait si on voulait la reconnaitre simple particulier et le proclamer publiquement mais elle m'a dit avoir conservé copie de sa lettre à Madame la princesse PaulineJe n'ai point de copie, interrompt Louis, ma lettre seule à mon oncle était sérieusement relative à mon affaire. Qu'on m'accuse et me calomnie tant qu'on voudra, mon suffrage me reste et l'indulgence du Grand Juge qui voit et entend tout. Elle peut facilement en la consultant se convaincre de son erreur à cet égard. Je l'ai eue sous les yeux : je crois la voir encore et lire au verso du premier feuillet à un second alinéa, ces mots qui terminaient la phrase : Si l'on me promet que l'on me laissera, tranquille.

Que Votre Majesté daigne d'ailleurs se rappeler les dernières conversations qu'elle voulut bien avoir avec moi à Marbourg. Je n'aurais pas emporté tant d'espérances conservées jusqu'à mon retour ici si, en effet, Votre Majesté avait mis à son retour la condition dont elle parle... Mis au pied du mur, placé en contradiction avec ses propres écrits, Louis s'en tient à nier les paroles qui volent. Ou je ne parle pas la même langue que vous, écrit-il, ou vous m'avez étrangement mal compris. Il me semble que vous êtes parti de Marbourg avec une réponse assez positive et assez claire et j'ai bien pu m'apercevoir arec le plus cil chagrin que vos rapports n'ont pas été entièrement exacts d après tout ce qu'on m'a écrit. Je vous ai dit mille rêves et désirs contradictoires qu'il faut passer à un homme dans ma position, que je n'ai hasardés qu'en vous priant de ne considérer ces bavardages que comme des épanchements d'un homme longtemps obligé au silence et qui a en vous toute confiance.

Dès lors il perd tout sang-froid ; il barre violemment des phrases de Decazes, en jetant en marge ironie cruelle ! plus loin : Comment pouvez-vous me parler ainsi ; il fallait laisser tenir ce langage à M. de La Rochefoucauld. Je ne vous réponds que comme à quelqu'un qui s'intéresse à moi. Sans cela, je n'ai de discussion diplomatique à avoir avec personne. Chacun est maître de son corps en dernier résultat. Plus loin : J'ai été roi, je le suis encore, j'ai toujours agi comme tel ; je n'ai injurié ni offensé personne. On peut l'oublier envers moi, ce n'est pas une raison pour que je l'oublie. À la fin, exaspéré, il écrit fiévreusement cette note en réponse au développement que Decazes intitulé DU JUGEMENT DE L'HISTOIRE. Soyez vrai, voici ce qu'on dira : Il est tombé, après avoir sacrifié à qui l'a toujours maltraité COMME ROI sa vie, son honneur, tous ses instants et jusqu'à sa réputation. On l'a dépouillé de tout. On l'a traité comme un ennemi. On a cherché à l'avilir, à le déshonorer ; on l'a répudié malgré lui de la famille de son frère. On a été jusqu'à tronquer des pièces officielles. Pour cela et, comme il n'a point voulu mourir sur le théâtre de tous ses malheurs, parce qu'il n'a pas voulu satisfaire un triste amour-propre, on a empoisonné le peu de jours qui lui restent, on l'a persécuté, environné d'espions et geôliers, on l'a étouffé sous les mauvais traitements et par une longue agonie.

D'ailleurs je ne sais pas pourquoi je réponds.

Qui vous a chargé de venir me presser ainsi ?

Ma mère : Je ne veux point.

Ma sœur : Merci.

Mon père : Il est mort. Je n'ai d'autres supérieurs que bien et mon peuple et cous n'êtes point leur agent.

***

Il n'y a pas à s'y tromper : Voilà tous les caractères du délite tel que les aliénistes le définissent et le constatent[13]. C'est ici le moment où tous les voiles qui ont couvert la démence de Louis s'écartent violemment et c'est lui-même qui les déchire.

On l'a présenté jusqu'ici comme un être au cerveau sain, avant des facultés pondérées, des intentions généreuses, un caractère droit, mais faible ; on l'a montré réduit au désespoir par l'ambition de son frère et, dans la résistance qu'il lui oppose, partant d'idées précises pour aboutir à des actes formulés ; on l'a peint s'attachant en désespéré à une nationalité opprimée, luttant avec toutes les armes que lui suggérait son patriotisme contre l'insupportable tyrannie que Napoléon étendait sur l'Europe. Il a bénéficié de toute la haine qu'on suscitait contre l'Empereur, et ainsi a-t-on, par contraste, érigé à ce Bonaparte presque un renom d'indépendance.

C'est un malade, épuisé par le traitement intensif de trois maladies vénériennes, atteint d'une paralysie partielle des membres inférieurs consécutive à une affection de la moelle épinière ; c'est un monomane, qui, par un phénomène particulier, joint des parties de délire des grandeurs au délire des persécutions, et qui porte dans ses résolutions l'instabilité qu'il met dans sa vie et dans ses habitations ; c'est un être craintif, soupçonneux, jaloux, combinant une affectivité maladive et momentanée avec une continuelle défiance, se croyant franc et sincère, l'étant peut-être à part soi dans le moment où il parle ou écrit, mais plus dissimulé qu'homme au monde par l'incohérence même de ses pensées, de ses paroles et de ses actes ; c'est un maniaque, qui, lorsqu'il s'est buté à une idée, qu'elle soit de haine ou d'amour, s'en repaît, la remâche, la dissèque, — ou plutôt c'est elle, l'idée, qui le tient, le domine, l'asservit, lui suggère ses actes, lui impose, comme la plus exigeante des maîtresses, des réticences, des mensonges et des fourberies.

Est-il conscient qu'il trompe et qu'il mente ? Qui sait le moment, où chez un tel malade, s'arrête la sincérité ? Elle varie selon les heures, les minutes, au gré de la température, de l'atmosphère et du vent, sous l'action de la digestion et de la circulation. Chez Louis, les écritures n'arrêtent pas, tantôt redondantes, implorantes, suppliantes, tantôt raisonnantes, fiévreuses, encolérées, toujours délayées en phrases longues, coupées d'incidences, et où le début, contradictoire de la terminaison, montre la pensée vacillante ne pouvant se suivre jusqu'au bout. Leur place n'est pas dans les archives diplomatiques, elle est dans cette immense littérature de la folie où les exemples abondent d'un tel style. De bonne foi, il entasse les contre-vérités ; de bonne foi, sur le verso du papier où il vient d'exprimer son désespoir et d'attester par serment sa fidélité et son dévouement, il trace un ordre de résistance et d'insurrection.

Napoléon, lorsqu'il l'a sous son œil, sous la puissance magnétique de son regard, le contraint et le fait obéir — comme le médecin, comme le gardien nième fait obéir son malade. De loin, par écriture, il perd tout son pouvoir de suggestion et il ne comprend pas : Il a bien à des moments l'intuition que Louis est fou. Cet homme est fou ; cet homme est tout à fait fou, écrit-il ; mais ce mot, dans sa bouche ou sous sa plume, n'a pas une acception précise et scientifique. Napoléon ne réalise pas que Louis est un fou. Le jour d'après, il s'attache à raisonner avec lui, à discuter, à le convaincre. — Aussi bien, des gens du monde, qui est assez fort et sûr de soi pour s'abstenir de discuter avec un tel être, pour ne pas tenter de le persuader, ne pas lui répondre, laisser s'user le délire ? Qui croit à la folie tant qu'elle ne s'est pas muée en fureur, qu'elle ne s'est pas manifestée par une suite d'actes qui mettent en péril le malade lui-même et ceux qui l'entourent ?

Et la folie de Louis ne va pas jusqu'à la fureur ; elle ne va même pas jusqu'à cette incohérence des mots qui dénote, pour les profanes, l'aberration mentale : elle est la folie raisonnante, a des moments raisonnables, toujours traduite en une forme littéraire où les idées s'enchaînent et se déduisent avec une rigueur apparente : Le verbiage n'y est pas sensiblement pire que dans des productions de cerveaux réputés sains ; la prolixité en est terrible ; mais combien sont prolixes qui ne sont pas fous ?

Prise une à une et isolément, chacune de ces manifestations paraît justifiée ; certaines sont presque éloquentes, d'autres peuvent attendrir : mais, qu'on les rapproche, qu'on les compare aux actes, l'incohérence apparaît : C'est cette demi-folie qui permet au patient d'accomplir normalement la plupart des actes de sa vie ; qui, sur tout ce qui ne le concerne pas directement, le laisse fournir des avis sensés et des conseils pratiques, mais qui, sur tout ce qui tient à l'idée fixe, dévie son jugement, et qui, dans le cours de l'existence, se manifeste par une insupportable tyrannie sur tous les êtres qui l'approchent, par une duplicité involontaire, mais continuelle, par la manie du secret, la crainte, la morosité, la misanthropie, l'instabilité physique et mentale. Un rien la sépare de la folie déclarée, un rien de la conscience suffisante. C'est ce délire atténué, qui, chez un particulier, est déclaré originalité et n'a d'effet sensible que sur sa fortune et sur sa famille ; qui, chez un roi, mis en présence de difficultés de tous ordres, chargé de responsabilités s'étendant à une nation entière, obligé de prendre des résolutions d'ordre historique, étend un mystère sur toute sa conduite, parce que nul ne se rend compte qu'il est un fou et parce que l'accusation de folie parait odieuse à prononcer et difficile à soutenir. Et, alors, ce mystère permet, selon le côté dont on l'envisage, toutes les apologies, donne-aux griefs de ce roi un air de vérité, fait embrasser ses querelles et le pose en victime devant la postérité — quand il n'a été que la victime de soi-même.

 

Certes, devant l'altière volonté et l'âpre autocratisme de Napoléon, devant la rudesse de ses ordres, et les subterfuges que sa politique lui inspire pour contraindre son frère à ses fins, on est pris de pitié ; durant la première partie du séjour que Louis fait à Paris, il a le beau rôle, parce qu'il n'agit point, qu'il oppose seulement aux exigences de l'Empereur une obstination patiente, et lorsqu'ainsi il emporte la première manche, on est tenté d'applaudir ; mais, dès qu'il sort de cette passive résistance, dès qu'il passe à l'action, tout est perdu, et ses actes comme ses écrits demeureraient incompréhensibles sans cette clef que fournit la suite de sa vie morbide. A ce moment, il n'y a plus à douter ; les traits se pressent et s'accumulent ; les déclarations relatives à l'abdication, la fuite à travers l'Allemagne, les contradictions du vouloir jusqu'à trois fois dans un 'm'ne jour, la mise en suspicion et la prise en horreur des entours, c'est assez déjà : mais que, durant plusieurs jours, le cerveau ait travaillé, que l'idée fixe contredite l'ait surexcité, que l'occasion se présente ensuite d'une sorte d'examen public de la conscience mentale, voilà tous les délires internes, tous les caractères de la folie qui se développent, paraissent, sautent aux veux : délire des grandeurs, délire des persécutions, adresse de la dialectique pour échapper à la rigueur des raisonnements adverses, incohérence des idées qui ne parviennent pas à s'enchaîner, protestations d'innocence confuse, terreur des geôliers et des espions, tout y est et si, en entretenant ses illusions par le désir d'accuser et de condamner Napoléon, on a pu jusqu'ici trouver Louis raisonnable, nul homme de bonne foi, après avoir lu cet entretien avec Decazes, ne peut nier qu'il est un fou.

***

Decazes est consterné d'un tel changement de résolution qui compromet sa fortune, mais, dans l'état des connaissances sur les affections nerveuses, comment penserait-il qu'une telle variation est la suite d'un état morbide ; il déplore sa défaite, mais il renonce à poursuivre une lutte inutile et il se prépare à partir. Louis se vante d'avoir désarçonné l'envoyé de l'Empereur : il dit au directeur de la police de Gratz : A vous dire entre nous, il partira cette semaine pour Paris, d'où il est venu, de la part de mon frère, pour m'engager à rentrer dans mes (sic) Etats. Je lui fais déclarer que mon honneur ne me permet pas d'adhérer à sa demande et il n'en sera plus question. Mais il ne veut pas que Decazes, sur qui, à présent, se sont arrêtés ses soupçons, arrange à son gré les déclarations qu'il a reçues ; il ne se confie qu'à soi-même pour exprimer sa pensée, et, puisque c'est le prince de Neuchâtel qui lui a écrit au nom de la Famille, c'est au prince de Neuchâtel qu'il répond, mais de quel air doucereux d'abord, avec quelles précautions, avec quelles ruses de prisonnier qui s'évade, puis peu à peu, malgré l'effort qu'il fait sur lui-même, le ton montant jusqu'à la redoutable apologie.

Assurez maman et ma sœur, écrit-il, que je rentrerais auprès des miens avec plaisir, comme simple particulier, si cela était possible, mais je pense, en y réfléchissant bien, comme vous et les autres, que cela m'est impossible. Vous le croyez aussi d'après ce que je m'aperçois et c'est avec raison. Je ne sais comment m'expliquer le retour et les instances de M. Decazes : ce ne peut être que par une erreur cruelle pour moi. On s'imaginera que j'ai encore, que je puis avoir des prétentions et des demandes à faire et rien n'est plus contre mon cœur et ma raison. Je désire n'être point rangé parmi les ennemis du pays dans lequel je suis né et de mon frère. Je n'ai rien négligé, je n'ai rien épargné pour cela. Je désire la retraite et l'obscurité : ces deux objets sont et seront le but de tous mes soins et de tous mes vœux.

Comment, mon Prince, en y réfléchissant, pourrais-je ne pas préférer tous les tourments et tous les maux possibles à mon retour en France ? Ecoutez-moi et jugez vous-même. Je ne dois et ne puis rentrer en France et m'y montrer qu'auprès de mon frère, avec le rang que j'ai reçu aux yeux de toute l'Europe et que je n'ai pas mérité de perdre. Cela ne pouvant être, je dois me résigner et rester dans la retraite et l'obscurité et attendre ainsi la fin de la plus bulleuse et de la plus triste existence qui fût jamais. Je regrette mon rang, je l'avoue, mais c'est le trône inséparablement lié à la Hollande et à mes enfants. Sans cela, qu'auraient de séduisant pour moi de prétendues grandeurs dont je n'ai connu que les épines' ? Puis-je me montrer auprès de mon frère après qu'on m'a ôté mon royaume comme si j'étais un traître envers mon pays, ou bien envers la France ou mon frère ? Ce serait me calomnier moi-même. Jamais je ne le ferai : tout au monde me semble préférable à cela : Quelque faible et amoureux de la vie que je sois, ce n'est pas à ce point. Je n'ai abdiqué que par force, malgré moi, à mon corps défendant. Vous savez mieux que personne combien j'ai souffert et enduré de choses pour éviter cette dure extrémité. Cela semble le point culminant dans cette longue lettre qu'il faudrait citer tout entière, dont au moins il convient de retenir la dernière phrase : Victime innocente des événements, je puis encore, sans me porter au désespoir, attendre la fin de ma vie dans la paix et la retraite, si mon frère le veut, si, comme tout le monde le croit ici, il ne prend nulle [notice] de moi ; si non, j'attendrai de nouveaux coups sans les braver, mais avec la résignation d'un honnête homme.

 

Cela est donc son dernier mot et, muni de cette lettre et d'autres pour Madame et Pauline, Decazes n'a plus qu'à quitter Gratz. Il a échoué, mais ni l'Empereur, ni la Famille ne lui en savent mauvais gré. Juge au tribunal civil depuis quatre ans, il a été, le 9 décembre, étant encore à Gratz, nommé conseiller à la Cour impériale de Paris ; presque tout de suite, membre du Conseil de la princesse Pauline, avec ce qui est le plus grand à la Cour ; un an plus tard, le 3 mars 1812, à la mort de Guieu, secrétaire des commandements de Son Altesse Impériale Madame, mère de l'Empereur. Désormais, la carrière lui est ouverte : il y marchera.

***

Louis est resté seul : il l'a voulu ainsi ; il a provoqué cet isolement, il a dit qu'il le désirait, mais, bientôt il le trouve intolérable. Il se défie de tout le monde ; il excède quiconque consent à partager son exil, il renvoie ceux qui ne s'en vont pas d'eux-mêmes, mais il ne peut supporter ne pas être entouré ; il lui faut un auditeur, un interlocuteur, ou plutôt une victime. L'apaisement que donne la solitude n'a pas eu encore le temps de se produire et l'exaltation, à défaut de paroles, se nourrit d'écritures. Les deux personnes qui étaient avec moi m'ont quitté, je suis seul, écrit-il à Van der Heim ; on ne veut permettre à aucun de vos compatriotes de rester avec moi. — On veut m'isoler. — Le vieux qui me reste[14] n'y restera pas longtemps. Serai-je abandonné de tout le monde ? Ne puis-je avoir au moins auprès de moi le voyageur qui m'avait promis de me rejoindre ? Ne puis-je avoir quelqu'un avec qui je puisse m'entretenir, moins de mes chagrins personnels que de mon pays, du peuple que je ne puis oublier et n'oublierai jamais ? Ou bien m'a-t-on si fort calomnié encore qu'on est parvenu à faire douter de mes sentiments et de ma constante foi à mon pays, quelque chose qui m'arrive ? Un mot un souvenirque j'apprenne au moins ce que l'on souffre et ce que l'on ne souffre pas ! Tout le monde est-il mort et tout le monde est-il changé sans exception ?

C'est dans une telle situation d'esprit qu'en ouvrant le Moniteur du 15 décembre, il y trouve toute une série d'actes impériaux qui concernent la Hollande et lui-même. Napoléon a pensé que le décret de réunion, rendu nécessaire par les circonstances de l'abdication n'était légalement qu'une acte préparatoire, que la réunion, selon le vœu des Constitutions, et d'après les précédents établis les 8 et 24 fructidor an X, 16 vendémiaire an XIV, 21 janvier et 24 mai 1808, et 17 février 1810, devait être prononcée par un sénatus-consulte organique, mais on peut croire qu'il a attendu pour le proposer l'échec complet des négociations engagées par Decazes.

La renonciation, l'abdication pure et simple de Louis, suivie de sa rentrée en France eût aplani les obstacles et, du même coup, on eût pu, avec son contentement, régler sa position nouvelle comme prince français. L'Empereur n'a pas été sans envisager cette éventualité et, selon sa méthode habituelle, lorsqu'il travaille une idée, il a dicté une note où il a jeté les principes, indiqué les moyens d'exécution, marqué ses doutes — qui a été une sorte de délibération qu'il a eue avec lui-même et qu'il reprendra dans des dictée, successives jusqu'à ce qu'il ait trouvé la forme définitive.

Telles sont donc ses idées[15] : En prenant le sénatus-consulte qui réunit la Hollande à la France, il est impossible de ne point penser au roi. Il faut lui l'aire un apanage comme prince français. Il doit consister château de Saint-Leu, palais du petit Luxembourg, foret de Montmorency et autres plus agréables, jusqu'à cinq cent mille livres de rentecette portion d'apanage supportée par la nation et dans cinq cent mille francs de rente pris dans le Brabant. — Cela lui fera donc un million de rente — et enfin dans un million de rente pavé au Trésor, ce qui lui ferait deux millions. Cet apanage appartient de droit à son fils et, coin ne j'ai avantagé le premier en lui donnant le grand-duché de Berg, j'appellerai à la succession de cet apanage le deuxième. Les autres auront leur rente à part.

D.[16] écrira à Daru qui verra la [                 ] et combien rend la forêt de Montmorency. Y a-t-il cinq cent mille francs de rente dans le Brabant ? Une fois l'apanage réglé par le sénatus-consulte, je pourrai régler que le roi paiera à la reine cinq cent mille francs et sa maison légale. Il n'est point possible de faire davantage. Elle n'est point fille de France et n'a de droit que par son mari.

Créer une principauté comme protectrice dotée de cinq cent mille francs de rente sur l'octroi du Rhin. Ce majorat serait pour une des filles de France la mort de la reine. Dotation comme protectrice. Voir Maret là-dessus. J'ai fait les lettres patentes.

Je lui donne 700.000 francs pour arranger ses enfants.

Comme il serait possible de former l'apanage (?) 500.000 et 500.000, le million, sur le grand-duché de Berg, 500.000, si lui et la reine à sa mort perdaient le grand-duché de Berg.

Communiquer cela au duc de Bassano pour en faire un titre du message ou du sénatus-consulte, suivant les statuts. — Voir faire comment constituer le titre de protectrice. — Sur le Grand livre ?J'ai, je crois, quatorze millions en Italie ; ou on peut le mettre sur l'octroi du Rhin où il reste 800.000 francs. Je ne sais pas ce qui me reste sur le Grand livre et le Monte Napoléon.

Ecrire à Daru combien vaut la forêt de Montmorency et, à côté, des forêts (pour) 500.000 francs et s'il y a difficulté à trouver 500.000 francs dans le Brabant.

Voir le duc de Bassano.

Ensuite, parler à l'archichancelier pour la rédaction de l'acte. Liquider les affaires. Les séparer de biens et déclarer que (elle a) la maison et 500.000 francs sur le million qui appartient au roi.

S'informer si la campagne du Plessis est bonne[17].

Ne pas parler de Saint-Leu.

 

Tel est le premier jet de ses idées dans l'hypothèse du retour de Louis : il cherche à concilier ce qu'il doit à son frère et ce qu'il doit à Hortense, à régler la séparation sans qu'elle paraisse dans le public, à assurer l'avenir des enfants et à maintenir entre les parents une sorte d'équilibre. Il ne néglige aucun détail, puisque, pour plaire à Louis, il lui laisse Saint-Leu et qu'il s'inquiète d'une campagne pour Hortense. Malgré l'échec de Decazes, il fait passer presque toutes ces idées — sauf la création toujours ajournée de la principauté de Princesse protectrice — dans le sénatus-consulte. Il y maintient à Louis le titre personnel de roi ; il lui attribue, en sa qualité de prince français, un apanage composé : 1° de 500.000 francs de revenu annuel sur la forêt de Montmorency, les bois de Chantilly, d'Ermenonville, de l'Isle-Adam, de Coye, de Pontarmé et du Lys ; 2° de 500.000 francs de revenu net annuel sur des domaines existant dans le département des Bouches-de-l'Elbe ; 3° de un million sur les fonds généraux du Trésor public, cette dernière partie de l'apanage s'éteignant avec le prince apanagiste ; les deux premières passant à son second fils et à la descendance masculine, naturelle et légitime de celui-ci jusqu'à extinction de ladite descendance, conformément à la section II du titre IV de l'Acte des Constitutions du 19 janvier 1810. Aucune disposition publique n'est prise eu faveur de la reine, n'étant pas fille de France.

***

Ce sénatus-consulte n'est proposé que comme la conséquence de celui qui a pour objet la réunion de la Hollande à l'Empire. Il y a lieu, pour celui-ci, à un exposé de motifs, mais, aussi bien dans le message de l'Empereur au Sénat que clans le rapport du ministre des Relations extérieures, les ménagements à l'égard de Louis sont poussés au point que son nom n'est pas même prononcé, qu'aucune allusion n'est faite à ses actes et que les nécessités de la politique sont seules invoquées pour justifier la réunion. Les arrêts publiés par le Conseil britannique en 1806 et 1807, dit l'Empereur, ont déchiré le droit public de l'Europe. Un nouvel état de choses régit l'Univers. De nouvelles : garanties m'étant devenues nécessaires, la réunion des embouchures de l'Escaut, de la Meuse, du Rhin, du Weser et de l'Elbe à l'Empire, l'établissement d'une navigation intérieure avec la Baltique m'ont paru être les premières et les plus importantes... Des indemnités seront données aux princes qui pourront se trouver froissés par cette grande mesure commande la nécessité et qui appuie sur la baltique la droite des frontières de mon empire. Avant de prendre ces déterminations, j'ai fait pressentir l'Angleterre. Elle a su que le seul moyen de maintenir l'indépendance de la Hollande était de rapporter ses arrêts du Conseil de 1806 et 1807 et de revenir enfin à des sentiments pacifiques, mais cette puissance a été sourde à la voix de ses intérêts comme au cri de l'Europe.

Comme pièces à l'appui, Champagny, à la suite de son rapport, donne le recueil des pièces relatives aux négociations avec l'Angleterre de 1806 à 1810, savoir : la négociation engagée en septembre 1806 avec lord Lauderdale, celle reprise d'août 1807 à janvier 1808, après Tilsit, d'octobre à décembre 1808 après Erfurt, enfin les démarches du ministère hollandais en 1810. — la partie de la négociation Labouchère, car on se tait sur l'intrigue Ouvrard.

On a eu beau ménager Louis à l'extrême dans la rédaction de ces diverses pièces, on n'a pu faire qu'elles n'affirmassent pas sa déchéance, fût-ce par prétérition : qu'elles ne prêtassent pas l'appareil d'une sorte de légalité aux actes contre lesquels il a sans cesse protesté et, dans la création de l'apanage, tout le inonde, en France comme en Hollande verra l'acceptation, par le roi lui-même, de l'annexion, son acquiescement aux mesures prises par l'Empereur, son désistement de toutes ses prétentions. Napoléon, sans contredit, connait les résolutions de son frère, mais il passe outre, et, pour l'intérêt de sa cause, il maintient, vis-à-vis de l'exilé volontaire, les dispositions avait prises en faveur du prince rentré : seuls les sénatus-consultes seront publiés, l'effet qu'il attend de celui relatif à l'apanage sera produit et Louis aura beau protester ; où trouvera-t-il dans l'Empire, même dans l'Europe, une gazette qui insère sa protestation ? Vainement criera-t-il ; il criera dans le vide et nul ne l'entendra.

 

Louis rédige en effet une protestation, et en termes si violents qu'il prétend ainsi mettre désormais un abîme entre son frère et lui. C'est au Sénat français qu'il s'adresse et il dit : Je dois au nom de l'Empereur qui est aussi le mien, à mes enfants et au peuple à qui j'appartiens depuis le 5 juin 1806, de déclarer publiquement, comme je le déclare dans ce moment, que, lié à jamais, ainsi que mes enfants, au sort de la Hollande, je refuse, pour moi comme pour eux, l'apanage dont il est fait mention dans le sénatus-consulte du 10 décembre ; j'ordonne, par le présent acte que je porte é sa connaissance, à la reine, de refuser, pour elle comme pour ses enfants, la moindre partie d'un tel don et de se contenter de ses propriétés particulières jointes aux miennes. J'ordonne, par le présent acte, au sieur Twent, intendant général de la couronne, auquel j'ai confié l'administration de ces propriétés comme chargé de mes affaires particulières, de mettre la reine en possession de tout ce qui m'appartient individuellement, consistant dans tontes les acquisitions qui, depuis le 5 juin 1806, n'ont pas été réunies au domaine de la couronne par l'acte d'achat.

Je déclare en outre que je désavoue toutes les accusations, lettres et écrits quelconques lesquels tendraient à faire croire que j'ai trahi mon peuple, mon pays, moi-même, ou manqué à ce que je devais et aimerai toujours à devoir à la France, ma première patrie, que j'ai servie depuis mon enfance de cœur et d'âme. Placé sur le trône de Hollande malgré moi, mais lié à ses destinées par mes affections, mes serments et mes devoirs les plus sacrés, je veux et ne puis vouloir que rester Hollandais toute ma vie.

En conséquence, je déclare ledit apanage nul et de nul effet, pour moi comme pour mes enfants et pour leur mère, annulant d'avance tout consentement ou acceptation donnés, soit directement, soit indirectement.

En foi de quoi j'ai rédigé le présent acte, écrit et signé de ma main ; je prie le Sénat de le recevoir et de le faire agréer à l'Empereur.

 

Ce n'est rien que de rédiger la protestation il faut la faire parvenir, lui donner une sorte de publicité, la faire enregistrer au moins par le président du Sénat et par le secrétaire de l'Etat de la Famille Impériale. La poste est peu sûre et Louis s'en méfie à bon droit. Il expédie donc à Paris son valet de chambre qui, le 22 janvier 1811, remet les copies à la porte des destinataires. Regnaud de Saint-Jean d'Angély ne sachant que faire de celle qui lui est adressée, demande les ordres de l'Empereur, et c'est de n'y donner aucune autre suite. La lettre que Louis a écrite à son ancien intendant général, Twent, a le même sort : d'ailleurs, Twent est destitué et il serait Lien embarrassé de remplir les ordres de son ancien maitre, puisque l'Empereur a confisqué à son profit le pavillon de Haarlem, et les maisons, les pavillons de Sœsdyck et acquisitions faites auprès du village du Loo, les maisons d'Utrecht, etc. c'est-à-dire tout ce que Louis a commandé qu'on remit à la reine.

Quant à celle-ci, entre les volontés de l'Empereur et celles de son mari, elle n'hésite point. Louis a eu beau lui écrire : Je vous ordonne de refuser jusqu'à la moindre partie de ce don vil et douloureux ; j'annule d'avance toutes les acceptations et consentements que vous pourriez donner, soit pour vous, soit pour mes enfants ; elle se soumet de bonne grâce à prendre possession de l'hôtel de Paris et du château de Saint-Leu et à toucher, non plus la pension de 500.000 francs que l'Empereur pensait lui attribuer sur les revenus de l'apanage, mais les deux millions annuels de l'apanage lui-même.

Ainsi a-t-on pris à Louis son royaume, ses enfants, ses biens, jusqu'à son honneur. Il est fou, mais s'il ne l'eût été, n'y avait-il pas là quoi le devenir ?

 

FIN DU CINQUIÈME VOLUME

 

 

 



[1] En omettant la date de cette note, en la rapportant au mois de juillet, alors qu'elle est du mois de janvier, certains écrivains ont pu, en tirant parti de certaines phrases, affirmer que Louis avait seulement prévenu par son abdication la déchéance qu'avait prononcée l'Empereur. Le § 1er de la conclusion de cette note (rappel du prince français placé sur le trône de Hollande) leur a servi à établir que le simple rappel des dates suffit à renverser.

[2] L'acte par lequel le Conseil de régence s'est constitué en attendant l'arrivée de S. M. la reine, régente constitutionnelle du royaume et tutrice du roi mineur est pris Au nom de Sa Majesté Napoléon-Louis, par la grâce de Dieu et les Constitutions du royaume, mais cet acte unique ne saurait équivaloir à une proclamation en règle.

[3] Il est nécessaire de fournir le texte de cette longue lettre qui seule peut faire connaitre Louis :

2 juillet.

Monsieur Cambier, je mériterais mon sort si je n'étais pas extrêmement sensible à ce que je suis obligé de faire et surtout, à la séparation d'avec un peuple et des personnes telles que vous. Je vous prie de faire agréer mes sentiments aux autres ministres, Je ne sais pas positivement où il me sera permis d'aller, mais je vous ferai avoir de mes nouvelles et je vous demanderai de celles de notre pays. C'est à présent qu'il m'est doux de lui donner ce nom puisque, jusqu'ici, on pouvait m'attribuer des vues ou files intérêts particuliers. Entièrement soumis à la volonté de la Providence, qui fait et défait les rois à son gré, je n'ai qu'un regret, celui de n'avoir pu asseoir le bonheur du peuple sur des bases durables et qu'un vœu, celui du bonheur de ce bon peuple. Je suis devenu meilleur depuis que je l'ai connu et, si je l'avais connu plus lit, je l'aurais été davantage. J'avais tellement lié mon sort an sien que je n'en conçois pas mon existence dans cette séparation, d'autant plus qu'aucune consolation domestique ne me suivra. — Je me ferai des occupations et, comme j'aime le travail, je salirai interrompre mon chagrin. Ce n'est pas les grandeurs que je regrette, mais j'ai toujours détesté la vie errante et le divorce et, malheureusement, j'y serai condamné. Soyez bien persuadé, mon cher Monsieur Cambier, que je sens ma position, comme je l'ai sentie le 16 mars et si l'habitude du malheur et de la douleur a tari mes larmes, je n'en souffre pas moins, mais les regrets, les chagrins sont avec moi seul. Qu'est-ce qu'un homme ? C'est comme si j'étais mort et la Hollande ne peut manquer d'être moins souffrante que moi. — Si cela se réalise, j'aurai des consolations dont au reste j'ai l'habitude de me passer. Mais pourquoi tous ces discours ? Quand même je serais sur le trône et j'aurais été toujours heureux, pourquoi s'affliger du malheur d'un homme quand des milliers souffrent sans qu'on les plaigne ? Soyez bien convaincu que les noms hollandais que j'aimais tant à répéter, me seront toujours aussi familiers. Je suis resté sur le trône sans illusions ; j'en descendrai de même. J'ai fait des fautes puisque tout le monde doit en faire, mais je sens plus et mieux que personne que ce qui me manque le plus, c'est de ne pas connaitre assez tôt mon devoir, d'employer trop de temps à le chercher. Adieu, Monsieur Cambier, vous avez une tâche difficile, mais il faut m'obéir pour la dernière fois. — Restez à vos places, tous, et aussi attachés au devoir, au roi mineur et à la régente que vous avez été pour moi et faites en sorte que si l'on calomnie encore ma résolution, on ne pourra qu'applaudir à la réception des troupes françaises et à votre soumission. C'est la volonté de la Providence. C'est tout. — Je vous embrasse tous et je vous assure bien que, malgré ma froideur et ma vivacité, je n'oublierai jamais la Hollande et vous tous.

LOUIS-NAPOLÉON.

P.-S. — Je vous demande un grand plaisir, un dernier service, c'est de faire en sorte que j'apprenne par les journaux que tout le monde a été satisfait de la manière dont se sera passée la journée d'après-demain. Je vous fais remettre cette lettre en traversant Amsterdam pour la dernière fois. Que dira M. Roëll qui est parti ?

[4] Dans les Considérations sur la Hollande (II, 305) Louis dit qu'il est arrivé à Osnabrück le 3 ; dans sa lettre du 6 que je cite plus loin, il dit le 5 ; Siméon, ministre de la justice de Westphalie dit : dans la nuit du 5 au 6. Certains écrivains hollandais semblent parler d'un passage et peut-être d'un séjour au Loo. Je crois donc que ces deux journées on je perds Louis doivent avoir été passées au Loo.

[5] Voici cette lettre :

J'ai été bien heureux de revoir un visage hollandais Je vous envoie la lettre qu'il m'a apportée. Qu'y répondre ? Le Conseil le pourra faire mieux que moi. Je ne sais point ce qui s'est passé mercredi, si l'on a été content de la réception et, de l'autre, j'ignore ce que pense la nation de ma résolution. Il n'y avait qu'un parti meilleur que je ne pouvais pas absolument prendre.

On est très étonné ici que la proclamation soit si sèche. Je vous demande en grâce de faire connaître aux légations hollandaises à l'étranger, comme à celles qui sont à Amsterdam, mon message au Corps législatif, ma déclaration précédente au duc de Reggio, la note où l'on promet que l'on n'enverra pas de troupes à Amsterdam, la seconde qui l'a suivie de si près ou annonce la réunion de 20.000 Français à Utrecht et enfin celle où l'on insiste sur l'entrée à Amsterdam. Il est nécessaire d'y joindre un exposé qui fasse connaitre tous mes motifs irrésistibles. Que ceux qui pourraient m'accuser d'avoir perdu trop de courage, se rappellent le traité du 16 mars après lequel je n'ai pas désespéré et qu'ils aient assez de bonne foi pour avouer qu'après l'occupation d'Amsterdam, il n'est plus prévu de le faire. La proclamation aurait dû être tambourinée et le message du Corps législatif publié. Sans cela, la nation m'accusera de faiblesse, ou peut-être de lâcheté, peut-être pis encore. Je sais que je n'ai plus le droit de vous parler de tout ceci, mais comme cela se rapporte à ma dernière légitime volonté, je crois pouvoir me le permettre. Je vous recommande de ne pas laisser accabler ma mémoire par la calomnie et la méchanceté. Je ne demande que la vérité. Vous la connaissez tous. Si j'avais connu un meilleur parti, je l'aurais embrassé chaudement.

Je vois prie de charger quelqu'un de la copie de toutes les lettres que je vous ai écrites de Paris, cet hiver, afin que je puisse les avoir sûrement quand je les demanderai et m'occuper dans ma retraite de ma justification. Envoyez-moi par une légation les copies des proclamations, abdications, messages, etc., que j'ai signés avant mon départ.

Pour Dieu ! je vous prie de me tirer de la mortelle inquiétude sur ce qu'on dit à Paris de mon abdication. Dites-moi aussi la manière dont les troupes ont été reçues et comment se porte mon fils, ce pauvre enfant aura été bien étonné de ma disparition. Je m'en vais, non pas comme quelqu'un qui fait un trait, mais avec le trait dans le cœur. Il ne me quittera jamais. Quoique je ne sois plus votre roi, pourrais-je vous être étranger puisque je suis et serai toute ma vie le meilleur ami de votre pays ? J'ai versé d'une manière désespérante. Pour comble de contrariété, le seul ami qui me restait, le Thiel, est mort hier sous les roues de ma voiture à Dan (?)*. Adieu, mes amitiés et l'assurance de mon souvenir à tous ces messieurs. Surtout de vos nouvelles. Comment êtes-vous ? Donnez je vous prie de mes nouvelles à Madame de Boubers et à mon fils et faites-moi passer de ses nouvelles le plus amplement et le plus souvent possible.

* Je pense qu'il faut dire Delten ; je se trouve sur la route que cette localité dont le nom se rapproche de celui qui est figuré par Louis. Au reste cette lettre est difficile à déchiffrer.

[6] Selon les Documents historiques, il y arrive le 9 ; selon le commissaire des Bains et selon Gœthe le 11. Peut-être est-il resté deux jours dans un incognito absolu ; peut-être a-t-il voulu tromper, ici comme pour la date de son arrivée à Osnabrück, afin de dissimuler les deux jours qu'il aurait passés au Loo.

[7] Il la remet lui-même, à l'Empereur d'Autriche le 26 juillet 1811 et il la fait parvenir à l'Empereur de Russie par le colonel de Thuyl dans le courant de l'été de 1812.

[8] Le 18 septembre, sur les instances de Madame, Bylandt est mis en liberté, mais il est envoyé en surveillance à cinquante lieues de Paris. À sa demande le ministre de la Police lui assigne pour résidence Metz parce que les établissements que renferme cette ville lui offrent les moyens de perfectionner son instruction particulièrement en ce qui concerne l'arme de l'artillerie dans laquelle il servait en Hollande. Il parait d'ailleurs à Savary un jeune homme sage, studieux, très affecté d'avoir encouru la disgrâce de Sa Majesté et désirant qu'elle lui permette de se consacrer à son service. En effet, Bylandt, n'ayant pas été compris dans l'organisation nouvelle de son régiment, devenu 33e léger, réclame en avril 1811, sa confirmation dans le grade de colonel et n'ayant rencontré l'opposition ni du ministre de la Guerre, ni du ministre de la Police, il est admis, le 20 septembre, au service de France et nommé adjudant commandant. Fait prisonnier de guerre, à Hambourg, en août 1813, il demande en 1814 à rester au service de France, accompagne le roi à Gand et jouit, jusqu'en 1828, de la demi-solde de colonel d'état-major français. Tel est ce patriote hollandais.

[9] Travers prend au mois d'octobre ses dispositions, rentre en France et est réadmis au service dans le grade de général de brigade le 14 novembre. Le 24 décembre, il est pourvu du commandement du département de la Dyle ; le 10 février 1813, il est appelé au commandement de la brigade des lanciers de Berg, qui était assimilée aux régiments de cavalerie Vieille Garde. Le 5 mars il est créé baron de l'Empire au titre de Jever, fait brillamment les dernières campagnes et démissionne le 5 avril 1816, pour entrer comme général major au service du roi des Pays-Bas.

[10] En 1814, les neveux de M. de Jordis ayant été faits prisonniers, Louis s'adresse au ministre de la Guerre pour demander qu'ils soient échangés ou renvoyés sur parole.

[11] Je n'ai pu voir l'édition des Odes, Gratz, 1813. Ces vers ne sont pas dans l'Essai sur la versification, Florence, 1819, mais ils se trouvent dans l'édition des Poésies, Florence, 1827, avec la date de 1811, et dans l'édition revue et corrigée, Florence, 1828, in-12 (l'exemplaire que je possède annoté par l'auteur) avec la date de 1810. Je crois à cette date.

[12] Tout ce qui est ici imprimé en italique est de la main de Louis. De même pour les pièces qui suivront.

[13] Qu'on lise encore cette note de Louis : Tout le scandale possible est fait : celui qui peut arriver encore ne peut résulter que des persécutions qu'on me fera. Je suis roi, je suis Hollandais, je suis frère de l'Empereur. Si on ne respecte pas sous ces trois rapports mon faible reste de vie, qu'on craigne les conséquences !!! Au reste je ne suis pas aussi lâche qu'on le croit, mais je ne sais et je ne saurai jamais braver qui que ce soit.

[14] Son médecin, Latour.

[15] De ce brouillon aussi instructif sur la façon de travailler que sur le courant des idées de Napoléon, je ne supprime, pour cette raison, aucune des répétitions et je ne supplée pas aux mots sautés par le secrétaire que presse la parole de l'Empereur.

[16] Duroc.

[17] Le Plessis Chamant, l'ancienne propriété de Lucien.