LE CARDINAL DE BERNIS, DEPUIS SON MINISTÈRE — 1758-1794

 

CHAPITRE IX. — MORT DE CLÉMENT XIV (Mai-septembre 1774).

 

 

Sources : AFFAIRES ÉTRANGÈRES, Rome, passim depuis 1769, et vol. 868 ; Gazette de Leyde, et surtout Archives Bernis. Pour les imprimés, voir les notes au bat des pages.

 

Louis XV et le cardinal de Bernis. — Effet produit à Rome par la maladie et la mort du Roi. — Louis XVI et Bernis. — Service funèbre célébré à Rome. — Bernis et la nouvelle Cour. — Le Pape demande que Bernis conserve son ministère. — Bernis protecteur des églises de France. — Sa grande situation en Europe. — Les affaires ont plus que les grandes négociations établi sa réputation. — Détail des affaires de 1769 à 1774. — Les Stuarts. — La famille de Bernis. — La vie et la représentation du Cardinal. — Affluence de voyageurs. — Maladie de Clément XIV. — Origines de cette maladie. — État physique et moral du Pape. — L'agonie. — La mort. — On parle d'un empoisonnement. — Témoignages pour et contre l'empoisonnement. — Qui aurait eu intérêt à l'empoisonnement ? — La mort de Clément XIV expliquée. — Clément XIV n'a pas été empoisonné.

 

La nouvelle de la maladie de Louis XV frappa douloureusement le Cardinal. Depuis plus de vingt ans, il était attaché à la personne du Roi ; il lui devait toute sa fortune, et son âme n'était point si basse que la reconnaissance lui parût un fardeau et l'ingratitude une vertu. Royaliste par instinct, par éducation, par raisonnement, il avait la religion de la Royauté ; ayant approché le Roi, l'ayant connu, ayant tout reçu de lui, il éprouvait de plus pour Louis XV un sentiment de dévouement passionné. Servir le Roi était pour Bernis le devoir ; servir Louis XV était comme un plaisir. Toutes sortes de liens joignaient ce serviteur à son maître : les anciennes habitudes, l'âge presque pareil, les lointains souvenirs de personnes aimées et disparues, les épreuves passées, la fortune éclatante que l'un devait à l'autre et qui attache si fortement le bienfaiteur à l'obligé, les longues correspondances ', l'intimité familiale où Bernis s'était trouvé introduit. Il est des hommes qui en tout cela n'auraient vu que le moyen, le Cardinal y avait vu un but.

Les circonstances le lui avaient fait atteindre, et, à l'aurore d'un règne nouveau, il n'eut point la pensée de renier le Roi qui allait mourir. Il fit expo.ser le Saint Sacrement dans toutes les églises protégées par la France, dans toutes les églises du diocèse d'Albano. Il se fit imiter par tous les cardinaux attachés à la France ; le Pape vint lui-même à Saint-Louis des Français et resta pendant trois quarts d'heure prosterné devant l'autel. Jusqu'au jour où l'on apprit la mort du Roi, Clément XIV dit chaque matin la messe pour sa conservation. Quant la triste nouvelle fut enfin arrivée à Rome, Bernis sut mettre en relief la mort vraiment chrétienne de Sa Majesté[1]. Il fit part de ce grand malheur au Pape, qui s'était flatté jusqu'à ce moment d'une prompte guérison, et il s'acquitta ensuite de son devoir envers son nouveau maitre : mais ce ne fut point pour se jeter à sa tête, pour renier le passé, pour se poser en victime ; ce fut pour affirmer devant cette jeune Cour, où on ne le connaissait que de réputation, le dévouement absolu qui l'attachait au mort. Il parla à Louis XVI. et à Marie-Antoinette de la douleur qu'ils devaient éprouver[2].

Ce fut de leur douleur et non de leur pouvoir qu'il demanda sa part. Bernis avait à Versailles de chauds et de nombreux amis dont il eut pu se réclamer ; il ne se réclama que de Louis XV. Quels que fussent les sentiments de Louis XVI, cette façon de faire ne nuisit pas au Cardinal. Le Roi lui répondit qu'il connaissait l'estime que le feu Roi lui portait, qu'il était instruit de son dévouement et de son zèle, que son aïeul lui avait transmis ses sentiments. La Reine, assurément plus froide[3], ne mit pourtant aucun obstacle aux grâces accordées à la famille de Bernis : à la nomination de la marquise de Narbonne comme clame de compagnie de madame la comtesse d'Artois, en remplacement de la marquise du Barry, née de Fumel ; à la continuation en faveur de la marquise du Puy-Montbrun de la pension de 1.500 livres sur la cassette, la première faveur que Bernis eût reçue de Louis XV[4].

A Rome, les honneurs rendus à la mémoire du feu Roi furent plus grands certainement qu'à Versailles. Dans le consistoire du 6 juin, le Pape notifia au Sacré Collège la mort de Louis XV, prononça un discours plein de sensibilité et désigna l'abbé Lelio Falconieri pour faire l'oraison funèbre[5]. Le cardinal d'York et le prince son frère, les Palestrina, les Salviati, les Lante prirent le deuil. Toute la ville s'inscrivit au Palais de France. Le chapitre de Saint-Jean de Latran annonça un service solennel, où l'abbé Borgia fut chargé du discours. Quant à Bernis, pour donner aux obsèques qu'il voulait faire en l'église Saint-Louis toute la pompe désirable, il dut, à cause des préparatifs, retarder jusqu'au 28 juillet. La façade de l'église nationale fut ce jour-là toute tendue d'étoffe noire avec des pentes d'hermine et de velours, garnies de galons et de crépines d'or. Au-dessus du grand portail, deux figures : la Force et la Prudence, soutenaient les écus accolés de France et de Navarre ; des Renommées assises sur des trophées décoraient les portes latérales ; au milieu de la nef, s'élevait une pyramide peinte, dorée et sculptée, ornée de bas-reliefs représentant les principaux faits de la vie du Roi, entourée de quatre statues symbolisant la Religion, la Justice, la Bienfaisance et la Paix, et terminée par un globe d'or portant les armes de France et de Navarre, sommées de la couronne fleurdelysée. Sur les quatre faces de la pyramide, la même inscription était répétée :

LUDOVICO XV

REGI CHRISTIANISSIMO

PATRI PATRIE.

Au-dessus, était jeté un immense dais noir, doublé (l'hermine, garni de galons et de crépines d'or, supporté par des trophées et des génies. Une profusion de candélabres et de lustres, un immense chœur de musique, la messe célébrée par le prélat Mattei, archevêque de Rhodes, l'absoute donnée par deux archevêques et deux évêques ; pour assistance, les cardinaux, les ambassadeurs, la noblesse romaine, telle fut la grandiose façon dont la Bernis témoigna son respect et ses regrets. La mauvaise santé du Pape ne lui avait point permis de se rendre à Saint-Louis : il s'en excusa par un Bref spécial par lequel il témoignait au Cardinal son affection particulière.

Clément XIV avait en effet le plus grand désir que Bernis continuât à être chargé des affaires de France. Il craignait que le nouveau règne n'amenât un changement, et, ignorant comme il était des choses de Versailles et de certains usages diplomatiques, il crut rendre service à son ami en saisissant l'occasion d'un Bref qu'il adressait à Madame Louise[6] pour le recommander chaudement à la Cour : Plus notre liaison avec lui est agréable et douce, disait-il, plus il nous parait convenir et être utile au service du Roi dans les fonctions qu'il remplit actuellement, plus aussi nous désirons voir se prolonger son séjour à Rome et pouvoir nous flatter qu'il restera chargé du même ministère tant qu'il plaira à Dieu de nous conserver de jours. C'était là une maladresse ; l'intermédiaire était mal choisi ; et Bernis lui-même, tout flatté qu'il fût du Bref que le prélat Stay lui avait communiqué, ne manqua point de se défendre de l'avoir provoqué, tant il sentit qu'une telle démarche était déplacée, contraire aux usages, et propre à éveiller les susceptibilités de la France[7]. M. de Vergennes, qui venait d'être appelé à la place de d'Aiguillon, écrivit en effet au Cardinal que le Bref adressé à Madame Louise serait d'un si dangereux exemple qu'il avait dû en suspendre la remise[8].

Clément XIV, malgré ses bonnes intentions, aurait donc pu causer à Bernis de sérieux embarras, si le Cardinal n'avait eu à Versailles des appuis véritablement puissants : Mesdames, d'abord, qui avaient songé à lui pour le premier ministère ; puis Vergennes, qui avait été son subordonné, qui lui demandait en arrivant la communication de ses opinions, l'appui de ses lumières, même sur des objets étrangers au ministère de Rome ; toute la vieille Cour enfin, si influente encore à ce commencement de règne et dont il n'était guère de personnes en vue dont il ne fût parent ou ami. Aussi ne faut-il pas s'étonner si Bernis obtint bientôt une marque de la faveur royale : il reçut au mois d'octobre 1774 le brevet de Protecteur des Affaires de France en cour de Rome dont il n'avait jusque-là exercé les fonctions que par intérim[9].

C'était la dernière dignité qu'il pût recevoir : cardinal, évêque, ambassadeur réputé inamovible du Roi Très-Chrétien, Ministre d'État, Protecteur des églises de France, aucune des grandeurs que l'Église et l'État peuvent donner à un homme ne lui manquait. A Venise, il était, comme jadis les Rois de France, inscrit sur le livre d'or de la noblesse[10] ; à Malte, il n'avait qu'à parler pour obtenir aux siens, aux Puy-Montbrun et aux Narbonne-Pelet, la grand'croix héréditaire. Il n'était point en Italie de compagnie littéraire qui ne chercha sa protection : Académie de Rome, de Florence, de Cortone, de Bologne ; Académie des Arcades où le Cardinal portait le nom pastoral de Lerino Cefisio, où sa nièce mademoiselle de Puy-Montbrun s'appelait Temira Ajacidense. En France, même empressement : en 1770, à la mort du duc de Villars, protecteur de l'Académie de Marseille, le Cardinal le remplace. L'honneur qu'on lui fait flatte plus son amour-propre que toutes les dignités dont il est revêtu[11]. Son portrait est dans la salle des réunions, et le suisse de l'Académie est vêtu d'une livrée que Bernis a envoyée. En 1771, à la mort du président Hénault, le Cardinal est tout d'une voix associé comme honoraire à l'Académie des Inscriptions, et son éloge retentit dans les salles du Louvre chaque fois qu'il s'agit de recherches à faire à Rome et pour lesquelles on ne s'adresse jamais en vain au Ministre de France[12]. Par toute l'Europe où les voyageurs répandent son nom, il est parvenu à un point de considération inusité[13] : c'est qu'il est poli et serviable pour tous, Français et étrangers, qu'il ne néglige aucune question, qu'il est à la fois le plus magnifique des grands seigneurs, et le plus appliqué des Ministres.

 C'est que si les grandes négociations font la réputation d'un ambassadeur devant l'histoire, ce sont les petites affaires qui font sa popularité et son utilité dans le présent. Or, loin que la suppression des Jésuites ait été l'unique occupation de Bernis, depuis le moment où il a pu se décharger sur Moniño, il s'est presque uniquement consacré à des négociations moindres comme apparence, mais qui, par leur résultat, intéressent l'État et les particuliers. Qu'on essaye depuis 1769 d'en faire le compte : ce ne sont pas seulement les chapeaux de Giraud et de la Roche-Aymon, les chandeliers, les portraits, les reliques et tout le tracas de Madame Louise ; ce n'est pas seulement la bulle In Cœna Domini qu'on ne cite plus dans la bulle de Jubilé, qu'on ne lit plus solennellement le jeudi saint ; c'est l'Indult obtenu pour la Corse, ce sont des livres poursuivis[14], les dispenses sollicitées pour les mariages royaux, les places données aux protégés de la France, les nonciatures distribuées aux ennemis des Jésuites[15] ; il faut avoir satisfaction des excès commis à Marseille par les matelots et les soldats des galères du Pape ; il faut empêcher l'envoi de visiteurs pour la réforme monastique et, en même temps, faire dresser des bulles pour la réunion ou la suppression d'Ordres qui n'ont plus d'objet ou qui ne parviennent plus à se recruter : ainsi, pendant toute l'année 1771, c'est une interminable négociation pour l'union de l'Ordre Saint-Ruff à l'Ordre de Saint-Lazare[16] ; c'est une autre négociation pour la suppression de l'Ordre des Célestins ; il faut enlever 25.000 livres de rentes à l'abbaye de Saint-Germain des Prés pour en doter les Carmélites de Saint-Denis ; il s'agit des Cordeliers Conventuels, des Dominicains de l'Ordre de Grandmont[17] ; c'est avec la commission des Réguliers une correspondance infinie. Ce n'est rien encore : d'avril 1772 à la fin du règne, il n'est question que de l'Édit qui soumet les Réguliers aux Ordinaires. L'affaire d'abord a été traitée par Giraud, mais la Roche-Aymon soutient avec une telle vivacité les droits des évêques que d'Aiguillon doit intervenir et renvoyer le projet à Bernis[18].

Il y a les nominations d'évêques in partibus dans les colonies, les affaires des missionnaires en Cochinchine, en Amérique, dans le Levant surtout où les différents Ordres se disputent les dépouilles des Jésuites. Il y a des extractions de blé à demander au Pape, qui craint toujours la famine pour ses États : 20.000 rubbes en 1771 pour l'approvisionnement de Paris, 20.000 en 1772, 20.000 en 1773, et à ce sujet des correspondances immenses avec le sieur Pascaud et le sieur Guys, de la maison Guys Rémusat et compagnie de Marseille ; il y a l'affaire des Listes, des quartiers privilégiés où les ambassadeurs, les cardinaux et les princes ont seuls droit de juridiction : affaire née à Venise où le Sénat veut les supprimer, et bientôt portée à Rome où les abus sont bien plus criants. Il v a la révocation de l'Édit d'août 1683 qui interdit en Alsace les mariages entre protestants et catholiques.

Certains grands seigneurs, les Rohan par exemple, demandent des brefs d'éligibilité qui leur permettent de posséder plusieurs évêchés à la fois : il faut les soutenir. Le comte de Provence est grand maitre de l'Ordre de Saint-Lazare ; il lui faut des bulles. Sans cesse, il faut compter les chapeaux vacants, en attraper pour les Français, traverser les autres puissances qui en demandent. II faut des dispenses de mariages et des dissolutions de mariage. Il faut surtout des diminutions sur le prix des bulles de nomination aux évêchés et aux abbayes. Chaque évêque ou abbé nouveau persécute le Cardinal : celui-ci invoque l'exemple de son prédécesseur qui a obtenu une diminution ; celui-là ne veut point payer parce qu'il est parent d'un Ministre, parce qu'il a charge à la cour, parce qu'il a rendu, rend ou rendra service au Pape. Nul ne paye de bon cœur ce gros impôt qui chaque année fait sortir de France environ 600.000 livres[19]. Le Cardinal, à force d'instances, obtient une économie annuelle de près de 200.000 livres ; mais ce n'est point sans peine, car partie de cet argent va au Sacré Collège, et les cardinaux romains se révoltent contre l'étranger qui refuse ce qu'ils sont habitués à regarder comme le tribut.

Ce n'est pas tout : le Roi est curieux de remèdes ; Mesdames de France cherchent des distractions ; le Pape aime les livres, les médailles, les bons vins, les belles étoffes. Il faut ménager au Pape les livres imprimés à l'imprimerie du Louvre, la suite des médailles d'or frappées par Louis XV, du vin de Bourgogne et des soieries de Lyon ; il faut envoyer à Mesdames des jeux de Minchiate et tous les joujoux qu'on fabrique en Italie[20] ; il faut procurer au Roi la recette de l'eau vulnéraire pour arrêter les hémorragies, une recette infaillible que Clément XIV fait copier dans sa secrétairerie privée et qu'il expédie avec des brefs explicatifs. Si le Pape fait un présent au Roi, c'est affaire à Bernis que son maître ne soit point en reste : il fournit des projets, donne des idées, insiste à chaque courrier, car il ne veut point que Louis XV soit passé en magnificence par les autres souverains.

Et ce n'est point seulement de France que viennent les requêtes. Les Bourbons ont à Rome des cousins dont l'illustre destinée s'achève dans de lamentables catastrophes. Triste fin que celle des Stuarts, race condamnée et proscrite qui après avoir promené par le monde ses ardeurs de vengeance, ses projets de conquêtes, ses entreprises, tantôt victorieuses, tantôt néfastes, mais toujours surprenantes, chassée de cette France où elle croyait au moins trouver un asile, est venue chercher un refuge auprès du chef de cette religion à qui elle a tout sacrifié, et se demande parfois si ce refuge ne lui sera pas enlevé. Au début, de la part du Pape, ç'avaient été des flatteries sans nombre, des honneurs sans mesure. Les Stuarts étaient traités en Rois, en souverains légitimes de la Grande-Bretagne. Le temps avait passé, et c'était tout au plus si on les tolérait à présent, si on leur permettait chez eux ces titres que jadis on leur prodiguait dans les palais pontificaux. La France, qui croyait n'avoir plus besoin d'eux, pensait s'acquitter avec une modeste pension. Un des fils de Jacques III, pour soulager et aider les siens, avait dû s'engager dans les Ordres : il était reçu et agréé comme cardinal, non comme duc d'York, et, quand il plaisait aux fils hérétiques du Roi hérétique d'Angleterre de visiter Rome, c'était aux Stuarts que le Pape imposait l'incognito. Bernis était dans des termes de confiance et même d'intimité avec le cardinal d'York ; c'est que le cardinal d'York semblait avoir pris son parti de sa déchéance, vivait en Italien et en cardinal, s'engageait dans les factions du conclave, prenait part aux congrégations, jouait son rôle dans l'affaire des Jésuites, se laissait désigner pour les besognes désagréables, comme la visite du Collège Romain, ne paraissait plus avoir, au moins pour le moment, d'autre ambition que de vivre à Rome et de satisfaire la France.

Avec le prince Édouard, ce Prétendant dont les aventures ont jadis ému toute l'Europe et passionné toute la France, les rapports sont tout autres. C'est un vieillard à présent, le vainqueur de Preston Pans, le vaincu de Culloden. Il n'a que cinquante et un ans, mais il est courbé sous le poids de la fatalité, bien plus que sous le fardeau des années. Il vit seul, triste, oublié[21]. Quand il vient à Rome, c'est sous le nom d'un baron écossais. Il mange à la table de son frère à la dernière place[22]. Nul ne s'occupe de lui, à peine veut-on savoir qu'il existe. N'est-il pas, lui, le vivant reproche adressé aux Rois, aux Papes, qui ont abandonné la cause de la légitimité royale ? Il est plus simple de le calomnier que de le secourir, de le traiter d'ivrogne que de le recevoir en roi.

En 1771[23], brusquement, le prince Édouard, qui vit habituellement en Toscane, part de Sienne dans une mauvaise chaise de poste, accompagné d'un seul valet de chambre. Il ne dit à personne, pas même à son frère, où il va. Il va en France ; il en a fait demander permission par le duc de Fitz-James. Il arrive à Paris, descend clans un hôtel garni, et, après quelques entrevues avec M. de Fitz-James, repart pour Rome[24]. D'Aiguillon, qui pressent une reprise de la lutte avec l'Angleterre, qui s'y prépare en restaurant la marine et en relevant l'armée, a compris que ce nom de Stuart pèserait encore de quelque poids dans une guerre ; il a résolu de perpétuer cette race dont l'existence seule est pour la maison de Hanovre à la fois un péril et un remords. Il a trouvé une femme à ce vaincu. Charles Édouard à son retour à Rome fait part à Bernis de ses projets : il destine sa main à la fille d'un petit prince allemand, prince dont les États ont quatre lieues de long et trois de large, mais prince souverain au moins : ce n'est point déroger ; le fils d'une Sobieska peut épouser une Stolberg. Louise-Maximilienne-Caroline-Emmanuelle de Stolberg est chanoinesse du chapitre de Sainte-Waltrude de Mons[25] ; elle est jeune, jolie, spirituelle, intelligente ; elle est absolument pauvre. Ce n'est point la fortune ou la beauté que le Prétendant recherche, mais la continuation de son nom. Avant donc de conclure, il veut assurer un état à sa femme et aux enfants qu'il peut avoir d'elle.

Il demande au Pape, non pas de le reconnaître ouvertement pour Roi d'Angleterre et de lui faire donner de la Majesté par ses sujets, mais de le traiter en roi dans le tête-à-tête. Il demande à la France et à l'Espagne de lui assurer une pension. C'est Bernis qu'il charge d'exposer ses prétentions, mais Bernis y met peu d'entrain : combien le cardinal d'York est plus commode et plus facile à vivre ! A coup sûr, le prince Édouard est fort dévoué à la France, mais il ne sait pas se faire respecter et il se compromet[26]. A Rome, le Prétendant échoue dans ses demandes ; à Paris, il réussit un peu mieux, niais tout subside doit être secret ; rien n'est assuré. Il passe sur tout : au mois de janvier 1772, il fait prévenir Bernis de son prochain mariage ; il demande des dispenses au Pape, et Clément XIV tout entier aux flatteries qu'il prodigue au duc de Glocester qui à ce moment est à Rome, prétend que ces dispenses soient expédiées par la voie ordinaire ; il faut que d'Aiguillon rappelle la Cour de Rome aux convenances pour que le dernier des Stuarts ne soit pas, à la daterie, traité comme un bourgeois quelconque. Bernis n'en a point été choqué : il a approuvé la prudence du Pape ; comme il a mis toute sa maison aux ordres du duc de Glocester, il n'a qu'une seule idée, c'est que la princesse de Stolberg n'arrive à Rome qu'après le départ du Prince anglais ; autrement, il pourrait en résulter un conflit gênant aux réceptions du palais de France. Bernis blâme toutes les prétentions de Charles Édouard ; la Majesté Royale, dit-il, s'avilit quand elle ne peut être soutenue avec éclat. Il discute ce titre de Roi, le seul bien qui reste aux Stuarts. Le Pape, dit-il, ne peut le reconnaître ; le mariage n'apporte au Prince aucun nouveau droit ; le Prince n'a pu promettre à la princesse de Stolberg qu'on la reconnaîtra pour reine ; cela ne dépend pas de lui ; elle sera reine pour sa maison et pour la noblesse romaine, c'est bien assez. Et Bernis, sans se lasser, invoque le témoignage du cardinal d'York, qui critique et blâme toujours son frère, qui l'écrase de sa richesse, de ses pensions, de ses abbayes, de son cardinalat. Charles Édouard écrit à Louis XV pour lui faire part de son mariage[27] : point de réponse. Bien mieux, Bernis invite lord Cariste, l'homme de confiance du Prétendant, à s'abstenir de venir chez lui. Bernis est tout à Glocester qui ne manque pas une de ses assemblées, qui dîne chez lui, qui, des fenêtres du palais de France, voit les courses de chevaux barbes. Bernis trouve à redire à tout ce que fait Charles Édouard. Il revient sans cesse sur ce titre de reine demandé pour la Princesse. Il a des sourires en annonçant que le 14 avril, le Prince va au-devant de sa fiancée ; il insiste sur le mariage célébré, le vendredi saint, à Macerata, dans la chapelle domestique du cardinal Marefoschi, sur la lune de miel qu'on va passer à Albano dans une maison de campagne qui appartient au Saint-Siège. Quand le Prince revient à Rome, qu'il demande audience au Pape, Bernis admire la réponse de Ganganelli : Qu'il se réjouit de l'arrivée du baron de Rinfron et de son épouse, et qu'il les fera avertir[28]. Cela est superbe, le cardinal d'York en juge ainsi. La Princesse sera traitée de Majesté par la noblesse : Elle est fort jolie, dit Bernis, et on viendra chez elle.

Voilà tout ce qu'il y voit : le dernier représentant de cette race de Rois, à qui la religion catholique a coûté tant de sang et un trône, ne peut obtenir du chef de la religion catholique les égards qu'on prodigue au premier hérétique venu. L'Ambassadeur du Roi de France, du successeur de Louis XIV, met hors du palais de France l'envoyé, le confident, l'ami du petit-fils d'Henriette de France, et c'est pour mieux faire sa cour au duc de Glocester[29]. Le temps n'est pas loin où les Bourbons, eux aussi, erreront par le monde sans trouver une nation qui les accueille et un souverain qui les reconnaisse. Ils demanderont leur trône comme les Stuarts réclament le leur ; leurs envoyés seront chassés par les ambassadeurs officiels des Rois qui jadis les nommaient leurs frères ; ils mendieront des subsides comme en mendient les Stuarts, et la terre quelque jour semblera manquer à leur exil. Les Rois sont solidaires ; Louis XIV avait donné un grand exemple. Ses descendants sont plus coupables encore de • ne l'avoir point suivi.

Bernis n'aimait point les tristesses même grandioses : ce Roi déchu lui semblait une gêne ; cette Reine manquée lui parut un agrément : à condition qu'on n'eût point le mari, la femme était pour orner un salon. C'était là le principal. Quant à réfléchir sur cette décadence et à s'attendrir, t'eût été presque de la philosophie, et Bernis était cardinal.

Il avait d'ailleurs bien trop à faire : ne fallait-il pas qu'il poursuivît l'établissement et l'agrandissement de sa famille ? La marquise du Puy-Montbrun, sa nièce, qui fait les honneurs du Palais de France, sera grand-croix héréditaire de Malte[30]. Le chevalier de Bernis, son neveu, sera colonel dans les grenadiers de France, brigadier d'infanterie pour venir à Rome, et, au retour, commandant en Vivarais ; le vicomte de Bernis, premier page du Roi[31], aura une compagnie dans les dragons du Roi et sera gentilhomme d'honneur du comte de Provence. Le comte Jules de Narbonne, lieutenant général et Cordon rouge, commandera en Corse et recevra de Malte la croix de dévotion. Le marquis de Monteil va être Ministre à Gênes ; il n'est point un La Fare ou un Narbonne, pas un parent, pas un allié des Bernis qui ne s'adresse au Cardinal, qui ne demande par lui les grâces de la Cour et qui ne les obtienne.

Et, après les parents, les relations et les connaissances : Bernis sollicite sans cesse à Versailles ou à Rome, et presque jamais il n'échoue. Que de soins aussi, que de pas et de démarches, quand il arrache par exemple en quelques jours les bulles d'évêques in partibus pour l'abbé de la Ville[32], ces bulles qui, grâce à l'activité du Cardinal, arrivent à temps pour que le Directeur général des Affaires Étrangères puisse avant de mourir être sacré !

Enfin viennent, sans parler des devoirs du prêtre, de l'évêque, du cardinal, les obligations de cette représentation qui, à Rome, conservée par une étiquette étroite qui en règle minutieusement les détails, a comme les airs d'un culte : diners à rendre et à recevoir, fêtes d'obligation et de circonstances, cérémonies nationales où à la Saint-Louis et à la Sainte-Luce il faut héberger toute la ville ; fonctions cardinalices à Saint-Sylvestre in capite[33] ; envois de bassins de comestibles aux princes en voyage ; réceptions pour le baptême des enfants que le Roi nomme ou dont le Cardinal lui-même est parrain[34]. Pour chaque événement dans la Maison Royale — France, Espagne, Deux-Siciles, Parme, — dîners, illuminations, concerts ; à chaque promotion de cardinaux, illumination ; à chaque anniversaire du Pape, sa fête, son exaltation, la fête de Saint-Pierre, illumination simple, double ou triple, suivant l'importance du fait ; au carnaval, trois jours de réception, et, tous les soirs, tous les jours plutôt, le palais grand ouvert et l'Europe y passant : diplomates, marins, officiers, gentilshommes, gens de lettres, artistes, toutes les nations, toutes les professions, tous les partis : nul n'est un homme en ce temps-là s'il n'a fait son voyage d'Italie, s'il n'a vécu à Rome, s'il n'a fait son entrée dans les salons de Bernis. Comme si l'on eût senti que ces choses allaient disparaître, chacun s'empresse au spectacle. Rome est encore l'Urbs, la ville par excellence, la ville des pompes éclatantes, des cortèges grandioses, des entrées majestueuses, la ville où, parmi les débris de l'omnipotence antique, le Pape, souverain des âmes, promène, pour l'amusement de ses contemporains, les splendeurs du moyen âge et de la renaissance. Déjà l'édifice branle ; déjà par les crevasses toutes prêtes à s'élargir, on sent passer le vent de l'esprit moderne, mais, d'extérieur, rien encore n'est changé. Les chapelles papales se tiennent avec la même régularité et le même cérémonial ; les cavalcades des cardinaux parcourent la ville dans le même ordre ; les facciate avec leurs illuminations et leurs musiques étalent un luxe toujours croissant ; les mêmes carrosses, aux formes antiques, tout chargés de dorures, tout encombrés de laquais aux livrées voyantes, vont par les rues au pas relevé des lourds chevaux caparaçonnés d'or. On supplée par une mise en scène chaque jour mieux réglée à la pièce que personne ne parait plus écouter. La foi est partie, mais le culte est demeuré ; le fond a disparu, mais la forme subsiste, et c'est cette forme qui attire encore ceux qui déjà ne croient plus au fond. A ce carrefour de l'Europe, Bernis tient l'auberge de France, et nul ne sut la tenir comme lui, cette bonne auberge où chacun, même les Français, est assuré de trouver bon accueil et bon gîte, un sourire et un dîner[35], une protection le cas échéant, des facilités pour tout voir, un passeport pour aller partout. On y rencontre tout Rome, car si au début le Cardinal déclarait les Romains et les Romaines assez plats, assez maussades et fort mal élevés, s'il se plaignait alors de l'ignorance aussi générale que la corruption, s'il ne trouvait en ce temps-là personne qui sût aimer, il n'a point tardé à se faire des habitudes, des relations, des intimités[36] ; il a compris ce qu'il faut pour réussir à Rome ; il y a réussi et il s'y plaît.

Mais que de dîners ! Les récits qu'on en fait emplissent les Gazettes de Hollande ; les dîners du Cardinal sont une des récréations de l'Europe : veut-on une idée des convives, non des Romains, mais des étrangers de passage : voici entre mille, en 1769, le duc de Bragance, frère du Roi de Portugal, le prince Xavier de Saxe[37], frère de la Dauphine, le marquis d'Havrincourt, le baron de Puységur, MM. Clément, Clément de Fallet, conseiller au Parlement de Paris, et son frère l'abbé du Tremblay, tous deux chefs du parti janséniste en France, tous deux éconduits dès qu'ils prétendent intriguer[38] ; en 1770, c'est une foule d'Anglais, c'est Bernard del Campo, premier commis des Affaires Étrangères d'Espagne, le comte d'Osten, ancien Ministre en Danemark, M. Pattison, Général d'artillerie au service de Venise, M. Husson, intendant de la marine à Toulon, qui depuis trente ans est lié d'amitié avec le Cardinal ; c'est le comte de Kaunitz qui va et vient de Naples à Rome, le baron de Gleichen, l'ami des Choiseul[39], le comte de Bollogne, l'abbé de Flamarens, grand vicaire de Bourges, et son frère, grand vicaire de Chartres ; c'est la princesse Jablonowska qui vient se démener en faveur des Jésuites, c'est M. de Trudaine, et le chevalier de la Colinière. En 1771, le prince de Saxe-Gotha, les princes d'Holstein-Gottorp, le duc de Glocester, le marquis de Fitz-James, la famille de Durfort, le comte de Montboissier, le vicomte de Choiseul ; en 1772, l'Électrice de Saxe, qui veut marier sa fille au comte d'Artois et qui, rebutée, emporte de Rome des reliques de Ganganelli : un chapeau, une calotte et des pantoufles ; après l'Électrice, le comte Alexis Orloff, le favori de Catherine, qui, sous couleur d'archéologie, surveille d'Italie la révolte des Grecs ; puis le duc d'Arcos, le chevalier de Piolenc, le baron de Breteuil. La cour du Cardinal s'augmente cette année de l'abbé de Lattier de Bayanne, nommé auditeur de rote français en remplacement de l'abbé de Veri ; ce Bayanne est promis aux plus hautes fonctions de l'Église et de l'État[40]. En 1773, le prince Pignatelli, fils du comte de Fuentes et gendre du comte d'Egmont, le marquis de Llano et sa femme[41], le comte de Flavigny et sa famille, milord Hamilton, le futur mari de cette miss Harte qui fut l'éblouissement et le scandale du Mande ; le chevalier du Tillet, brigadier des armées du Roi ; M. de la Borde, le banquier de la Cour, l'amateur éclairé des arts, l'homme aimable entre tous ; en 1774, le duc de Cumberland avec sa famille, le duc de Luxembourg, le comte du Barry déguisé sous le nom du comte de Lisle ; que dire ? Tout un monde et tout le monde. Et nul salon à Rome pour faire concurrence à celui de Bernis : point de ces ambassadeurs grands seigneurs qui tiennent maison et dont la splendeur fait ombre. Moniño, tout comte de Florida Blanca qu'il est, est de trop petite race, trop pauvre, trop ambitieux ; il s'attache à la réalité du pouvoir, laisse à Bernis les agréments extérieurs. Rien à craindre du côté de l'Autriche : Albani, perdu de dettes, est écrasé par la déroute de ses protégés ; d'ailleurs, il est vieux et maniaque. La noblesse romaine ne donne point à dîner, et sans dîners, point de salon. Bernis est donc seul. Depuis l'abolition des Jésuites, il semble établi pour tout le pontificat de Clément XIV dans une situation prépondérante. Tant que le Pape vivra, l'autorité du Cardinal, sa domination d'apparence sera sans partage ; mais, à Rome, peut-on jamais compter sur l'avenir ? Un conclave remet tout en question, bouleverse tout, change toutes les conditions de la vie, fait naître quelque rapide fortune, comme celle d'un neveu de Pape, d'autant plus bruyante qu'elle est plus neuve. Il importe à la Maison de France que Clément XIV vive pour continuer son œuvre et maintenir l'abolition ; il importe aussi à Bernis, car de la vie du Pape peut dépendre l'ambassade, avec sa renommée sans pareille et ses splendeurs sans rivales.

Le 16 août 1774, Bernis a audience. Il trouve Clément XIV maigri et même vieilli. Le Pape pourtant assure qu'il se porte bien, mais Bernis, d'après des avis positifs, écrit à sa Cour qu'il craint que l'humeur dartreuse qui ne s'est pas manifestée au dehors n'agisse intérieurement. D'ailleurs, le Pape est moins gai et moins actif qu'à l'ordinaire[42]. Bernis le voit deux fois dans cette semaine, et le 24 août, il écrit qu'il l'a trouvé maigri et abattu de corps. L'humeur dartreuse qui le travaillait intérieurement s'est manifestée pourtant au-dessus de l'estomac, et le dévoiement qui ne l'a pas abandonné pendant les chaleurs excessives de l'été paraît s'être modéré. L'air de la campagne lui fera grand bien, et le danger paraît si éloigné que le Cardinal demande la permission de s'absenter de 'Rome pendant que le Pape sera à Castel-Gandolfo[43]. Quatre jours après, la situation a empiré, et, malgré les rapports optimistes du médecin du Pape, Bernis demande des ordres pour le cas d'un conclave. En même temps il rend compte de l'origine et des progrès de la maladie : La santé de Sa Sainteté, dit-il[44], a commencé à se déranger vers le mois de février dernier : le retardement de la restitution d'Avignon que le Saint-Père s'était trop pressé d'annoncer au public et la conduite singulière que tint en conséquence le Ministre de Naples par rapport à Bénévent, causèrent au Pape un chagrin d'autant plus dangereux pour sa santé qu'il ne voulut pas le manifester ; des prophéties fanatiques qui annoncèrent ensuite sa mort prochaine, de fréquentes menaces de fer et de poison qu'on eut l'imprudence de lui faire parvenir ajoutèrent encore aux vives impressions du chagrin qu'il avait trop renfermé en lui-même. L'affection dartreuse à laquelle il est sujet en fut aigrie et, au lieu de se porter à la peau, attaqua l'intérieur de sa bouche et les glandes de sa gorge ; son humeur devint plus sombre et plus inquiète avec ses domestiques, car elle a paru toujours la même aux Ministres étrangers, lesquels ne furent instruits que bien tard de la légère altération de la santé du Souverain Pontife ; mais tout le monde s'aperçut que Sa Sainteté qui, deux mois auparavant, marchait avec une grande légèreté, était devenue plus pesante et plus faible ; cet état, qu'on pouvait attribuer aux grandes chaleurs, n'a pas inquiété jusqu'à ce que le Pape, renfermé pour prendre les eaux, ne s'est plus manifesté ni à ses propres Ministres, ni à ceux des cours étrangères. Il s'est pourtant montré au peuple tous les jours en allant se promener ou faire ses prières dans les églises. Pendant cette solitude, un parti nombreux a affecté de répandre avec intention et avec affectation que le Pape, livré à des terreurs ridicules et superstitieuses, ne jouissait plus ni de la même santé ni de la même humeur, et que sa tête était considérablement affectée. Depuis huit jours, Sa Sainteté se communique aux Ministres étrangers : aucun d'eux n'a aperçu ce prétendu changement que ses ennemis ont supposé, mais tous ont jugé que sa santé était notablement altérée, que sa maigreur était très-grande, et que cet état devait changer en mieux en peu de temps ou se déterminer par une mort plus ou moins prochaine, mais déjà annoncée par le dépérissement. C'est le jugement que je porte moi-même de l'état présent du Pape, quoiqu'il n'ait point de fièvre et qu'il mange avec assez d'appétit.

Cette maladie n'était donc point nouvelle ; le moral du patient l'avait aggravée, mais parce que le physique avait toujours eu les mêmes dispositions. De longue date, le Pape était obligé à des saignées périodiques[45]. En juin 1771, Bernis avait signalé des vapeurs, des vents, une humeur dartreuse qui se portait à la peau, et qui menaçait l'intérieur. Les nerfs étaient délicats ; la bile s'enflammait aisément ; un violent chagrin, surtout si le Pape le concentrait, pouvait, disait Bernis, avoir sur son organisme une action fatale[46]. Pour combattre cette humeur dartreuse, chaque année, pendant un mois, Clément XIV prenait les eaux : l'aqua acetosa, eau purgative naturelle, fort en usage à Rome[47]. Quand l'humeur, à la suite de cette médication, sortait sur les bras, sur les mains, et, comme il arrivait, sur tout le corps[48], le malade était sauvé ; mais, si l'humeur ne sortait pas, quel devait en être l'effet sur un corps de près de soixante-dix ans, débile et épuisé[49] ?

La maladie, en elle-même, aurait pu être bénigne si le Pape, depuis cinq ans, n'avait pas été en proie à des terreurs perpétuelles. Depuis le moment de son exaltation, il avait peur : en vain Bernis cherchait à le rassurer ; il ne se reprenait à la confiance que pour un jour, et la rechute en était d'autant plus pénible. En septembre et octobre 1769, il s'était remis un peu avec le grand air et l'exercice du cheval[50] ; mais à peine rentré à Rome, en novembre, il disait[51] que tous ses officiers étaient vendus aux Jésuites, que les Jésuites menaçaient chaque jour sa personne du fer et du poison, annonçaient chaque jour l'époque de sa mort. Pour obtenir la suppression, il fallait que les Couronnes lui fissent plus peur que les Jésuites[52], et, entre ces deux terreurs, le malheureux vieillard, ballotté, sans parents, sans amis, sans confident, n'avait à choisir qu'entre la mort, dont il se voyait menacé par les Jésuites, et le déshonneur dont l'Espagne le menaçait. Puis des accidents lui arrivaient : le dimanche 26 novembre 1769, en allant prendre possession à Saint-Jean de Latran, il tomba de cheval sur le pavé, à la descente du Capitole : il ne se blessa point, mais une telle chute, dans ce lieu, dans ces circonstances, dut profondément l'impressionner[53]. Au mois de janvier 1770, l'attentat contre le Roi de Portugal l'épouvanta de non. eau. Les contrariétés, les douleurs lui arrivaient de tous côtés : lui qui fondait le musée Clémentin, qui aspirait à y réunir les débris artistiques de la Rome antique, il voyait en 1770 le Grand-Duc de Toscane dépouiller pour Florence le palais Médicis, et le Roi de Naples transporter dans sa capitale les trésors du palais Farnèse[54]. Ces terreurs continuelles auxquelles il était soumis l'énervaient, l'usaient, le tuaient. Il en arrivait à craindre la visite de Bernis comme celle d'un créancier implacable : il pensait par instants à abdiquer la papauté, à se retirer au château Saint-Ange[55]. Il avait peur de tout et de tout le inonde, des Russes, des Grecs, des Jésuites, de Venise, de Naples, des cardinaux, des Princes romains[56]. Plus il avait peur, plus il se renfermait, ne se laissant plus approcher que par le Père Buontempi et le Père François[57]. Son alimentation était déplorable ; sa nourriture indignement préparée par ce cuisinier de couvent[58] ; encore, l'idée du poison le poursuivait à tous ses repas. Choiseul ne voulait point admettre ses terreurs, disant qu'elles étaient jouées. Il se trompait. Le Pape, persécuté dans le sens médical du mot, voyait dans les Jésuites ses persécuteurs : il leur attribuait tout ce qui arrivait de fâcheux .dans ses États, jusqu'à la révolte des forçats à Civita-Vecchia[59]. Il n'avait de bon que le mois qu'il passait à Castel-Gandolfo. En 1770, il prolongea sa villégiature du 26 septembre aux premiers jours de novembre : là, personne, point d'audiences, point de cérémonies, des promenades à cheval, des parties de billard, une alimentation meilleure. Il revint frais, gaillard, l'esprit ouvert ; mais à peine à Rome, il se retrouve pris entre l'enclume des Jésuites et le marteau des Couronnes. Pour échapper, il rêve des voyages par l'Europe, à Madrid, à Versailles, les voyages d'un moine, non d'un Pape[60]. Partout il sent la trahison : le Préfet de l'Annone, par ses fausses mesures, amène à Rome la disette de bois, de charbon et d'huile[61]. De là, une émeute, des récriminations adressées au Pape quand il sort. Comment n'y pas voir la main des Jésuites ? Puis, c'est l'affaire du chevalier du Verney, secrétaire de la légation de Portugal ; on l'arrête, on trouve sur lui la preuve qu'il est vendu aux Jésuites[62]. Le Pape n'a-t-il donc pas raison ?

En 1771, il écourta son séjour à Castel-Gandolfo[63], n'y resta que du 25 septembre au 28 octobre : la campagne ne pouvait plus guérir ces invincibles terreurs. Au retour à Rome, les acclamations du peuple ne purent le rassurer. En 1772, il eut Moniño et sa continuelle persécution[64]. Il n'y avait plus à hésiter, il fallait sauter. Son tremblement redoubla. Que fût-ce, quand, au commencement de 1773, les partisans des Jésuites se mirent à répandre les prophéties de la prétendue inspirée de Valentano, qui annonçaient sa mort prochaine[65] ?

Pourtant, quand, après le Bref publié, il se vit en bonne santé, survivant à l'époque fixée par la prétendue prophétesse, débarrassé des Jésuites, sur le point de rendre à l'Église Avignon et Bénévent, il se crut sauvé. Lorsqu'il revint de Castel-Gandolfo le 28 octobre, sa gaieté était plus marquée qu'à l'ordinaire et sa santé était parfaite[66]. Mais, des émeutes qui durèrent pendant huit jours, au commencement de l'année nouvelle, le troublèrent profondément. Cela commença la nuit de Noël. On insultait les femmes ; on attaquait les passants sans les voler, on jetait des pierres dans les carrosses[67]. C'étaient, suivant Bernis, les fanatiques qui tentaient de soulever le peuple. A plus forte raison, le Pape crut-il que c'étaient les Jésuites. On fit quelques exemples, et les désordres cessèrent, mais Clément XIV avait perdu toute confiance : il se crut dès lors formellement menacé.

Pendant la semaine sainte, il eut une fluxion à la joue : en même temps, une attaque de goutte[68]. Néanmoins, le 25 mars, il se rendit à cheval à l'église de la Minerve : une grosse pluie survint qui dispersa son cortège ; il n'en continua pas moins sa route et, sans pouvoir changer de vêtements, assista à toute la fonction. Au mois de juin, l'humeur dartreuse, au lieu de se porter à la peau, attaqua à plusieurs reprises l'intérieur de la bouche[69]. A la fin de juillet, le Pape était malade, car il ne put se rendre aux obsèques de Louis XV. A partir de ce moment jusqu'au 16 août, les Ministres étrangers ne le virent point : il prit les eaux. On a vu quelle impression ressentit le Cardinal à la reprise des audiences. Cet état de santé de Clément XIV lui parut parfaitement explicable : il en résuma les causes qu'il connaissait de longue date et qui, d'ailleurs, étaient des causes naturelles. Il ne se permit alors aucune supposition, il ne laissa échapper aucune insinuation[70].

Le Pape n'était point alité ; il sortait même : le 25 août, il vint à Saint-Louis des Français, après le Te Deum chanté en l'honneur de la fête du Roi, et fit longuement sa prière. Il n'était ni triste, ni enfermé en lui-même : il s'intéressait vivement aux présents que le Roi devait lui envoyer en échange des chandeliers et de la croix du Collège Romain. Bernis avait demandé à Versailles le portrait de Louis XVI, des tapis de la Savonnerie, un service de porcelaine de Sèvres, des livres, des estampes. Eût-il pensé à tout cela pour un moribond[71] ? Le 7 septembre, il y avait encore amélioration, bien que grande faiblesse : le Pape se proposait de partir le 12 pour Castel-Gandolfo. Jamais il n'avait eu l'esprit plus sain et la tête plus nette. Le 8, il fut extrêmement fatigué de la fonction qu'il avait remplie à Sainte-Marie du Peuple[72] ; mais il sortit encore le 9 à son ordinaire. Au retour de sa promenade, il fut surpris d'un frisson violent et d'une défaillance qui firent craindre pour sa vie. La fièvre se déclara, mais, moyennant une saignée et une sueur, on en eut raison. La fièvre tomba le dimanche soir, mais l'extrême faiblesse du patient empêcha de le transporter à la campagne. Son médecin ordinaire, qui passait pour le plus ignare de Rome[73], appela en consultation quelques-uns de ses confrères, entre autres le médecin de Bernis[74], mais, en quelques jours, la maladie fit des progrès inouïs. Le corps commença à enfler, la fièvre revint ; on dut craindre une inflammation du bas-ventre[75]. On pratiqua une saignée le 19 au soir, mais alors on eut à redouter l'hydropisie. On fit pourtant une seconde saignée le 20 au matin. Clément XIV était tout à fait abattu : il avait défendu qu'on laissât pénétrer dans sa chambre aucun cardinal, pas même le Secrétaire d'État. Pourtant, le 20, Malvezzi força l'entrée, supplia le Pape de déclarer les cardinaux réservés in petto. Clément XIV ne répondit pas. Le 21 septembre, à sept heures du soir, il reçut l'extrême-onction ; il avait toute sa connaissance, dit Bernis. On le saigna une troisième, une quatrième fois : le bas-ventre était entièrement pris. Il expira le 22 septembre, à huit heures du matin, ayant conservé, dit Bernis, sa présence d'esprit jusqu'au dernier moment. Il était âgé de soixante-neuf ans et onze mois, et avait régné cinq ans et quatre mois.

Le cadavre du Pape fut, dans la nuit du samedi au dimanche, transporté suivant l'usage à la chapelle Sixtine. Mais on ne put l'exposer à visage découvert, parce que dans un instant son corps tomba en lambeaux. Aussitôt, grand bruit : le Pape a été empoisonné. La joie des cardinaux, des nobles, de tous les partisans des Jésuites était indécente. Les satires d'une atrocité inouïe pleuvaient contre le mort. Il n'en fallait pas plus. Le genre de la maladie du Pape et surtout les circonstances de sa mort, écrit Bernis[76], font croire communément qu'elle n'a pas été naturelle... Les médecins qui ont assisté à l'ouverture du cadavre s'expriment avec prudence, et les chirurgiens avec moins de circonspection. Il vaut mieux croire à la relation des premiers que de chercher à éclaircir une vérité trop affligeante et qu'il serait peut-être fâcheux de découvrir. Bientôt cette insinuation ne suffit plus : Bernis affirme que le Pape a été empoisonné. Il le dit, il le répète, il y croit fermement, il ne cesse à aucun moment de sa longue carrière de le déclarer ; son opinion, dit-il, est partagée par tous ceux qui ont pu s'instruire des circonstances de la mort de Clément XIV, particulièrement par son successeur, mais il n'en donne aucune preuve, ou, s'il en a donné, la dépêche où il a consigné les vérités qu'il ne pouvait dissimuler au Roi a disparu de tous les dépôts où elle pouvait être conservée[77].

Il n'est point à se dissimuler que ce sentiment fut partagé par un grand nombre de contemporains. Ainsi, le 29 septembre, Moniño, quoique moins affirmatif que Bernis, écrit pourtant à Grimaldi : Je me suis procuré le rapport du médecin et des chirurgiens, lequel est si court qu'il m'a paru suspect, et quoique je me sois donné d'autres mouvements pour éclaircir l'affaire autant que je le pouvais, ils ont été jusqu'à présent sans effet. Je n'abandonnerai pas le projet de découvrir ce que je pourrai au moins pour notre repos et notre tranquillité[78]. Le chargé d'affaires de France à Naples, M. Béranger, est bien plus net. Il écrit : Le Père Parisi, Cordelier, qui a assisté le Pape dans ses derniers moments, écrit au chevalier Bottola, son ami, que le Général de l'Ordre lui a dit sous le sceau de la confession qu'il avait ordonné d'empoisonner le Pape, et par qui le poison avait été donné[79]. Cette opinion est si accréditée que la Gazette de Leyde l'enregistre et y insiste d'une façon particulière. Elle raconte même, le 22 mars 1775, que le successeur de Clément XIV a eu au sujet du prétendu empoisonnement un long entretien avec le médecin Adinolfi, un des consultants appelés dans la dernière maladie, le Frère François, cuisinier du Pape, et le Père Buontempi[80]. En vain le médecin Saliceti publie une brochure pour démontrer que la mort a été naturelle[81]. En 1775, à Paris, Caraccioli imprime avec approbation du Roi la Vie de Clément XIV, et parle ouvertement de l'empoisonnement. Il l'affirme dans les Anecdotes relatives à la famille et à la personne de Clément XIV qui se trouvent à la suite des prétendues Lettres du Pape Clément XIV imprimées aussi avec approbation et privilège du Roi[82].

Tout cela est vague comme accusation ; mais voici des gens qui précisent : l'abbé Roman, qui se trouvait en Italie à cette époque, affirme que le Pape a été empoisonné le mercredi saint, à la communion, avec de l'acquetta 4[83].

Un autre prétend que c'est bien avec de l'acquetta, mais injectée dans des figues[84]. Mais voici Gorani qui n'est point suspect et qui déclare que le Pape n'a pas été empoisonné, qu'il est mort d'une fièvre putride occasionnée par ses insomnies et l'état d'affaissement où la terreur l'avait réduit[85]. Son opinion est partagée par Roland, qui parle de plus des contrepoisons qui ont pu porter au Pape une atteinte mortelle. Or, Roland était à Rome deux ans après la mort de Clément XIV, et il paraît avoir fait une enquête sérieuse[86].

Ainsi, les témoignages se contredisent : Bernis affirme, Moniño nie[87] ; l'abbé Roman est pour l'empoisonnement, Gorani contre. A Berlin, on nie ; à Naples, on croit ; à Madrid, on doute ; à Paris, on affirme[88]. Démontrer scientifiquement l'empoisonnement est impossible[89] ; déterminer nettement le genre de maladie, d'après des documents dénués d'exactitude, et en tenant compte des modifications qu'a dû produire un traitement contraire à tous les principes médicaux, est extrêmement difficile ; mais, à défaut d'arguments scientifiques, restent les preuves morales.

Qui avait intérêt à empoisonner le Pape ? Qu'on l'eût fait disparaître aussitôt après son exaltation, au moment où les Jésuites savaient que la pression des Couronnes allait amener leur suppression, cela pourrait se comprendre ; mais, un an après la suppression, à quoi bon ? La mort du Pape ne pouvait leur servir de rien, et l'on a tort de dire qu'en le tuant ils étaient assurés de conserver leurs établissements de Silésie et de Russie. Ne savaient-ils pas, comme tout le monde, que Clément XIV était retenu dans ses démarches près de Frédéric et Catherine par la crainte de nuire aux catholiques des deux États en insistant pour l'exécution du Bref ? Les Jésuites de Silésie et de Russie étaient en révolte contre le Saint-Siège, mais le Saint-Siège n'avait aucun moyen de coercition contre un Roi hérétique et une Impératrice schismatique qu'il ne reconnaissait même pas. La preuve que le Pape n'a pas été empoisonné en 1774, c'est qu'il ne l'a été ni en 1770 ; ni en 1771, ni en 1773.

Faut-il admettre maintenant, avec les apologistes de l'Institut[90], que Clément XIV est mort fou, fou de douleur d'avoir détruit les Jésuites, fou de terreur de l'enfer ? Faut-il discuter les phénomènes de bi-ambulation que les mêmes écrivains prêtent à saint Alphonse de Liguori[91] ? Faut-il opposer les témoignages très-nets, très-positifs et très-concordants des témoins oculaires, aux assertions controuvées d'illuminés qui, peut-être, sont de bonne foi ? Non. L'histoire n sa dignité.

Clément XIV, âme faible et esprit médiocre, s'est trouvé dans une place pour laquelle il n'était point fait. L'ambition l'a entraîné à des démarches compromettantes qui ont pesé sur toute sa conduite. Les responsabilités l'ont écrasé ; les incertitudes au milieu desquelles il s'est débattu ont troublé profondément un organisme déjà épuisé par et par les obligations monastiques. Habitué à la vie du cloître, à l'existence retirée et paisible, humble et pauvre des Cordeliers, il s'est trouvé brusquement porté sur un théâtre où il a cru que ses finesses de couvent lui suffiraient pour se concilier tous les partis et s'assurer tous les suffrages. Ses petites roueries ont échoué devant les volontés inébranlables des souverains. Il a eu affaire d'abord à des diplomates consommés, qui, sans qu'il s'en aperçût, l'ont peu à peu engagé au point qu'il lui fût impossible de rompre les chaines dorées dont on l'avait chargé. Puis, quand il pensait que, avec ses promesses, il avait au moins gagné du temps, Moniño est arrivé, sec, sévère, froid, inflexible, qui a emporté de haute lutte la signature. Au moins, Ganganelli s'est flatté de rendre Avignon au Saint-Siège ; mais que de temps ne lui faut-il pas pour que la restitution s'opère ? Il sent dans tout Rome, la Rome des cardinaux et des princes, dans ce monde dont il n'est pas, où il n'est jamais entré, car il était trop bas comme moine et il est trop haut comme Pape, — une haine féroce contre lui, le fils du médecin de campagne qui opprime Rome, les vrais Romains, au profit des étrangers. Et, pour lutter contre cette universelle hostilité, cette hostilité qui se marque aux Chapelles et aux Fonctions par l'absence de la plupart des cardinaux et des prélats, il est seul, tout seul, seul avec Buontempi qui est aux gages de l'Espagne, le Frère François qui est payé par le Portugal, et Bischi qui se vend à tout le monde. Il est honnête, il est pieux, il est modeste, il est probe, il est économe : vertus de moine ; il ne sait point donner, s'entourer, se faire une cour, s'attirer des dévouements. Et c'est lui qui a touché à l'Arche sainte, à la milice fidèle, à cette Société des Jésuites, l'avant-garde de l'armée catholique : c'est lui qui l'a supprimée. Ignore-t-il donc leur pouvoir ? Ne sait-il pas leur puissance ? Comme homme, ne doit-il pas les craindre ? comme Pape, les respecter ? Les remords lui viennent, la peur le torture. Et personne pour le rassurer, personne que des hommes vendus ou les Ministres des Couronnes. Et ses ennemis, s'amusant de ses terreurs, sèment par la ville les prophéties menteuses ; et cette mort qu'il redoute est chaque jour escomptée, annoncée, promise. Le peuple qu'il aime, dont il espère être aimé, car il a fait tout pour lui et il a cru être le Pape du peuple, lui échappe comme le reste et, fanatisé ou abusé, n'a plus pour lui d'acclamations. Il cherche le poison partout et il le trouve, partout. Son tempérament est épuisé, son âme est flétrie, son corps est malade : la proie est bonne pour la mort.

Voilà pourquoi Clément XIV est mort. L'empoisonnement est une hypothèse dont l'histoire n'a pas besoin, qu'elle doit absolument et nettement rejeter. Les Jésuites et leurs partisans n'ont pas commis ce crime inutile : le jugement de Choiseul est équitable, et il convient de le répéter : La Société des Jésuites, écrivait-il le 13 août 1770, a été regardée par ses doctrines, son Institut et ses intrigues comme dangereuse dans les pays d'où elle a été expulsée, mais on ne l'a point accusée d'être composée d'empoisonneurs, et il n'y a que la basse jalousie ou la haine fanatique de quelques moines qui puisse l'en soupçonner[92].

 

 

 



[1] Ces lettres n'ont pas été toutes retrouvées, je n'en ai vu que six : quatre de 1769, une de 1771 et une de 1772, et je n'ai cité que celles qui présentaient un intérêt politique. Il faut croire pourtant qu'il en existait d'autres, car le Cardinal écrit à Louis XVI le 21 juin 1771. : Vous cherchez la vérité, Sire ; vous aimez à l'entendre. Je l'ai toujours dite au Roi votre aïeul, et je crois devoir instruire Votre Majesté qu'il m'avait ordonné depuis que je réside à nome, de lui écrire directement non-seulement sur mes intérêts personnels et sur ceux de mes parents, mais encore sur les affaires les plus délicates que me confiait le Pape, sur de certains détails qui ne peuvent que difficilement entrer dans les dépêches.

[2] Au Roi :

Rome, ce 21 mai 1774.

Sire, la vive affliction que me cause la mort du Roi, votre auguste grand-père, me laisse à peine la force d'exprimer à Votre Majesté combien je partage la douleur dont Elle est accablée. Je dois tout aux bontés du feu Roi, et je n'ai d'autre ambition que celle de mériter par mes services, par mon zèle et par mon obéissance à vos ordres que Voire Majesté me fasse l'honneur de nie regarder comme le plus obéissant de ses sujets.

A la Reine :

Madame, la France vient de perdre un bon Roi, et Votre Majesté un père bien tendre. Qu'il soit permis à un ancien serviteur comblé de bienfaits d'offrir à Votre Majesté l'hommage de sa douleur, de son obéissance, de son admiration pour vos vertus et du profond respect avec lequel je suis, etc.

[3] Mon cousin, je suis plus touchée que je ne puis vous le dire, de l'intérêt que vous prenez aux événements qui m'arrivent ; ce sentiment de votre part m'était déjà connu, et je vous rends à cet égard toute la justice que vous méritez. Vous devez de votre côté être bien persuadé du désir que j'ai de trouver des occasions de vous convaincre de l'estime particulière que je vous conserve. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde.

Écrit à Compiègne, le 15 août 1774.

Signé : MARIE-ANTOINETTE.

(Arch. Bernis.)

[4] Voir Mémoires, t. I, p. 115. Bernis avait d'abord fait passer cette pension sur la tète de ses neveux Narbonne, tués les uns et les autres à l'ennemi ; puis il en avait obtenu la réversion sur la tète de la marquise du Puy-Montbrun.

[5] L'abbé Falconieri fut à cette occasion élevé à la dignité de prélat domestique. L'oraison funèbre de Louis XV prononcée en latin le 4 juillet eut le plus grand succès.

[6] THEINER, Epistolæ, p. 323.

[7] Bernis à Vergennes, 17 août. (AFF. ÉTR.)

[8] Vergennes à Bernis, 6 septembre. (AFF. ÉTR.)

[9] Voici le texte de ce brevet : Aujourd'hui, 3 octobre 1774, le Roi étant à Versailles, les preuves multipliées que le cardinal de Bernis a données au feu 'toi de son attachement à sa personne et pour sa couronne, les services signalés qu'il a renias dans les différents emplois qui lui ont été confiés, et le zèle, l'intelligence et la sagesse avec lesquels il remplit depuis plusieurs années les fonctions de chargé d'affaires auprès du Saint-Siège, ont déterminé Sa Majesté à lui donner une marque particulière de sa satisfaction ainsi que de son estime et de sa confiance, en lui accordant comme elle lui accorde par le présent brevet la charge de protecteur des affaires de France en cour de Boule, vacante par la mort du cardinal Sciarra Colonna, pour desservir ladite charge et en jouir à l'avenir aux mêmes honneurs, autorité, pouvoir, préséances, prééminences, droits, fruits, profits, revenus et émoluments qui y sont attachés, et tout ainsi qu'en a dû jouir le cardinal Sciarra Colonna, dernier pourvu de ladite charge, sans aucune difficulté, m'ayant Sa Majesté, pour assurance de sa volonté, commandé d'en expédier le présent brevet qu'elle a signé de sa main et fait contre-signer par moi, conseiller secrétaire d'État et des commandements et finances.

Signé : Louis.

Contre-signé : GRAVIER DE VERGENNES.

[10] Gazette de Leyde.

[11] Voir des détails vraiment intéressants à ce sujet dans l'excellent livre de M. J. B. LAUTARD (Histoire de l'Académie de Marseille, Marseille, 1826, 2 vol. in-8°). On y trouvera un grand nombre de lettres du Cardinal qui prouvent que sa protection ne fut point sans utilité pour les études historiques en Provence.

[12] Voir en particulier les rapports de La Porte du Theil sur ses missions à Rome (Mém. de l'Acad. des Inscriptions), et au BRITISH MUSEUM, vol. 22885, de curieuses lettres de Bernis à propos de fragments inédits de Tite-Live.

[13] Je voudrais, pour en donner la preuve, pouvoir citer le portrait très-curieux, mais par malheur trop long, que fait de Bernis l'auteur inconnu d'une très-rare brochure intitulée : La Cour et ses révolutions, Cologne, 1771, in-4°. Je n'en donnerai que le dernier paragraphe : Ceux qui déterminèrent sa chute ne purent point lui ôter l'estime du 'loi et l'amour des Français. C'est le seul Ministre qui, après sa disgrâce, ait rendu des services à l'État.

[14] Par exemple, le Traité de la dévotion au bon larron.

[15] En 1772, Bernis a la faiblesse de permettre l'envoi comme Nonce en Pologne du prélat Garampi, dont il avait exigé la destitution en 1769. Cette faute, grosse de conséquences, ne fut point pour peu dans la résistance des Jésuites de Pologne,

[16] L'affaire de Saint-P.uff est des plus compliquées : la Cour sollicite un Bref d'union à Saint-Lazare, mais, ce Bref une fois obtenu, l'Assemblée du clergé y fait une telle opposition qu'il faut solliciter que le Pape le rapporte et y substitue une bulle déclarant Saint-Lazare incapable de posséder des biens d'Église. Il faut en même temps que le Pape renonce à sa juridiction sur un ordre exempt tel que Saint-Ruff. La bulle, telle qu'on la demande, est enfin, grâce à Zelada, obtenue le 16 décembre.

[17] M. Louis Guibert a publié tous les documents relatifs à cette affaire dans son livre : Destruction de l'Ordre et de l'abbaye de Grandmont, Limoges, 1$77, in-8° de 1000 pages. M. Charles Gérin a publié dans la Revue des questions historiques (1875-1876) de très-savants articles sur les Bénédictins et Franciscains. Je n'insiste donc point sur ce sujet, bien que les conclusions que j'ai tirées de l'étude des documents soient diamétralement contraires à celles qu'en ont tirées ces deux écrivains.

[18] Ce projet est réfuté et annoté à Rome par Zelada, mais on répond à Paris que ce qu'on veut est un consentement tacite plus qu'une approbation formelle. On est pressé de faire enregistrer l'édit. C'est une simple consultation qu'on demande, et, sans tenir compte des observations du Pape, on se contentera de garder des ménagements dans le préambule et dans la rédaction, sans rien céder sur le fond.

[19] En 1771, 768.719 livres ; en 1772, 395.299 livres ; en 1773, 443.300 livres.

[20] Je ne parle pas de Madame Louise : il lui faut tout. L'Ambassadeur est son commissionnaire. J'ai indiqué quelques traits, mais il faudrait des volumes pour montrer l'activité dévorante de la Carmélite qui s'est attribué le département des affaires ecclésiastiques.

[21] Je ne trouve nulle part, ni dans la correspondance de Bernis, ni dans celle de Gustave III, ni dans aucun des documents français ou italiens que j'ai vus, la confirmation des calomnies lancées par les Ministres anglais contre le Prétendant. (Voir SAINT-RENÉ TAILLANDIER, La Comtesse d'Albany, p. 31 et suiv.)

[22] Bernis à Choiseul, 28 juin 1789. (AFF. ÉTR.)

[23] Bernis à d'Aiguillon, 28 amit 1771. (AFF. ÉTR.)

[24] D'Aiguillon à Bernis, 17 septembre 1771. Charles-Édouard à son passage à Gênes rencontre le duc de Glocester. Il est de retour à Rome à la mi-octobre. (Bernis à d'Aiguillon, 16 octobre.) (AFF. ÉTR.)

[25] V. sa généalogie dans : DUCAS, les Chapitres nobles de Dames, Paris, 1843, in-8°.

[26] Bernis à d'Aiguillon, 23 octobre. (AFF. ÉTR.)

[27] Monsieur mon frère et cousin, ayant pris la résolution de faire alliance avec la princesse Louise de Stolberg, mon premier soin est d'en faire part à Votre Majesté. L'amitié qui règne entre nous et le sang qui nous lie me font croire à l'intérêt qu'elle voudra bien prendre à cet événement. Votre Majesté doit sentir en même temps que la perte de mes royaumes me met hors d'état de soutenir le rang que ma naissance me donne, sans avoir des subsides capables de le maintenir. Ma reconnaissance ne peut être mise en doute, et je ne regretterai jamais que de ne pouvoir en donner des preuves aussi promptes et aussi effectives que je le voudrais.

De Votre Majesté,

Le très-affectionné frère et cousin,

Charles B.

A Rome, le 13 avril 1772.

[28] La seule faveur que le Pape accorde à la Princesse, c'est, suivant le Gazettia de Rome, de lui conserver son canonicat de Mons.

[29] D'Aiguillon est mieux inspiré : à propos du mariage de Charles-Édouard, il dit au Cardinal que Sa Majesté ne répond pas, quelque part qu'elle prenne à tout ce qui peut intéresser le bonheur et la satisfaction de ce Prince, qui connait aussi les raisons qui me privent de l'honneur de lui témoigner en cette occasion les sentiments de mon respect et de mon dévouement sans bornes (5 mai 1772, AFF. ÉTR.)

[30] Le marquis de Puy-Montbrun était de la maison du premier Grand maître militaire de l'Ordre, Raymond du Puy. Le Cardinal obtient d'abord pour sa nièce la permission de porter la croix de Malte ; en 1776, il revient à la charge, et enlève la grand'croix héréditaire.

[31] Pons-Simon de Pierre, qui épousa successivement les deux filles de madame de Puy-Montbrun. C'est du premier de ces deux mariages que descendent les branches actuellement existantes de la famille de Pierre de Bernis.

[32] Je ne résiste point à placer ici une lettre qui montre la façon dont les Ministres d'autrefois traitaient et récompensaient les vieux employés. Le 29 novembre 1773, le duc d'Aiguillon écrit : Votre Éminence honore l'abbé de la Ville de ses bontés. Elle connaît ses bons et anciens services, et je suis persuadé qu'elle applaudira au parti que le Roi a pris de les récompenser convenablement et de lui procurer le repos et la tranquillité dont il est juste qu'il jouisse après avoir travaillé aussi longtemps, sans cependant le meure hors de portée de le servir encore autant que son grand âge peut le lui permettre. Pour remplir ce double objet, Sa Majesté est déterminée à le nommer directeur des Affaires étrangères, et elle désire qu'il soit en même temps décoré du titre d'évêque, pour le rendre plus susceptible de la place qu'elle se propose de créer en sa faveur. Le Roi m'a chargé en conséquence de mander à Votre Éminence que son intention est qu'elle demande en son nom au Pape de conférer à l'abbé de la Ville un évêché in partibus. Elle pourra, si elle le juge à propos, lui en expliquer les motifs et l'objet, mais je la prie d'en garder le silence vis-à-vis de tout autre que le Saint-Père, auquel elle aura la bonté de recommander de n'en point parler. La lettre de remercîment de l'Abbé au Cardinal, en date du 4 avril, est d'une écriture presque indécise et toute tremblée : l'écriture d'un moribond. L'abbé fut sacré le 10 avril, mais mourut quatre jours après. (Voir au chapitre précédent, la lettre du 27 décembre 1773.)

[33] Chaque année, le Cardinal envoie aux religieuses de Sainte-Claire, au couvent de Saint-Sylvestre, vingt-cinq bassins de comestibles.

[34] Au nom du Roi, le Cardinal tient le fils du prince Lante. C'est lui qui nomme, le 4 juin 1770, le fils du prince Santa-Croce, Valère-Balthasar-Melchior-Marieu-Esprit-François-Jean-Baptiste, premier-né de doña Julienne Falconieri, princesse Santa-Croce. (Gazette de Leyde du 16 juin.) Le 17 mars 1771, la Princesse accoucha d'un second fils qui fut baptisé le 18 et nommé Scipion-Joseph-Marie-Vincent-François-Joachim-Pascal.

[35] Quelque luxe qu'il désire pour sa table, Bernis ne manque jamais aux règles religieuses. Ainsi, en 1774, quand le duc de Cumberland vient à Rome, le Cardinal écrit : Je l'inviterai à diner après Pâques, parce qu'on ne sert jamais de gras à ma table pendant les jours d'abstinence. Il est vrai qu'on pouvait se contenter de ce maigre. Au surplus, rien n'arrêtait les réceptions, pas même quand on volait au cardinal, comme en novembre 1769, son linge, sa batterie de cuisine et sa vaisselle. Il écrivait seulement : Un des voleurs est arrêté ; il fera connaitre ses camarades, et n'en parlait plus.

[36] Voir dans le Fanfulla della Dominica du 24 février 1884 un très-curieux article de M. A. Adeneollo sur la princesse Santa-Croce.

[37] V. THÉVENOT, Correspondance du prince Xavier de Saxe. Paris, 1875, in-8°.

[38] V. CLÉMENT, Journal de correspondance et de voyages pour la paix de l’Église de 1758 à 1771. Paris, an X, 3 vol. in-8°. Le père Collombet prétend, d'après ce livre, que Bernis était Janséniste. Il résulte au contraire des déclarations de Clément (t. III, p. 22, 33, 71, 95) que ce fut le Cardinal qui le fit sortir de Rome. Ces deux Clément, d'après une lettre de Choiseul du 20 décembre 1769, étaient fils d'un ancien accoucheur de la Heine.

[39] Il passe un mois en 1770. V. ses Souvenirs, publiés par GRIMBLOT. Paris, 1868, in-12. Voir aussi sur la même année les Mémoires de Casanova, qui, il faut bien en croire M. Armand Baschet, sont décidément authentiques.

[40] Cardinal, sénateur et comte sous Napoléon Ier ; duc et pair de France sous Louis XVIII. Il mourut en 1818.

[41] M. de Llano, comme on a vu, était ministre de l'Infant. Il écrit à Bernis pour lui annoncer les couches de sa femme : Si mon fils pouvait, il dirait avec son père et sa mère qu'il n'a trouvé dans le monde une personne plus respectable, plus aimable que le cardinal de Bernis. (Arch. Bernis.)

[42] Bernis à Vergennes, 17 août. (AFF. ÉTR.)

[43] Bernis à Vergennes, 24 août. (AFF. ÉTR.)

[44] Bernis à Vergennes, particulière, 28 août. (AFF. ÉTR.)

[45] Bernis à d'Aiguillon, 1er mai 1771. (AFF. ÉTR.)

[46] Bernis à d'Aiguillon, 12 juin 1771. (AFF. ÉTR.)

[47] Voir sur cette eau et la façon dont on la prenait au dix-huitième siècle, RICHARD, Description de l'Italie, Paris, 1770, in-12, t. VI, p. 243.

[48] Bernis à d'Aiguillon, 29 juillet 1772. (AFF. ÉTR.)

[49] Je me trouve ici, sans l'avoir cherché, complètement d'abord avec PICOT, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, Paris, 1815, in-8°, t. II, p. 600.

[50] Bernis à Choiseul, 27 septembre 1769. (AFF. ÉTR.)

[51] Bernis à Choiseul, 15 novembre 1769. (AFF. ÉTR.)

[52] Bernis à Choiseul, 20 novembre 1769. (AFF. ÉTR.)

[53] Bernis à Choiseul, 29 novembre 1769. (AFF. ÉTR.) Voir dans SILVAGNI, La corte e la societa Romana nei secoli XVIII e XIX (Florence, 1882, in-12), le récit de cette cavalcade. Malheureusement, M Silvagni, qui prétend écrire d'après des documents authentiques, fait figurer dans cette cérémonie le machiavélique comte de Florida Blanca, lequel n'était alors que Moniño et n'arriva à Rome qu'en 1772. Cela retire quelque autorité à ses récits.

[54] Bernis à Choiseul, 7 mars 1770. (AFF. ÉTR.)

[55] Bernis à Choiseul, 7 mai 1770. (AFF. ÉTR.)

[56] Bernis à Choiseul, passim et surtout 20 juin. (AFF. ÉTR.)

[57] Bernis à Choiseul, 20 juin 1770. (AFF. ÉTR.)

[58] Bernis à Choiseul, 25 juillet 1770. (AFF. ÉTR.)

[59] Bernis à Choiseul, 29 août 1770. (AFF. ÉTR.) On prétendait qu'ils avaient des Jésuites pour confesseurs. (2 janv. 1771.)

[60] Bernis à Choiseul, 14-21 novembre 1770. (AFF. ÉTR.)

[61] Bernis à La Vrillière, 23 janvier 1771. (AFF. ÉTR.)

[62] Bernis à La Vrillière, 12 juin 1771. (AFF. ÉTR.)

[63] Bernis à d'Aiguillon, 25 septembre 1771. (AFF. ÉTR.)

[64] En particulier Bernis à d'Aiguillon, 9 septembre 1772. (AFF. ÉTR.)

[65] Bernis à d'Aiguillon, 3 février 1773. (AFF. ÉTR.) On trouvera ces prétendues prophéties dans PROYART, Louis XVI détrôné avant d'être Roi, Londres, 1800, in-8°, p. 240 et suiv., et de curieuses lettres de l'abbé Maury sur la prophétesse de Valentino dans BOUYS, Nouvelles Considérations sur les Oracles, les Sibylles et les Prophètes, Paris, 1806, in-8°.

[66] Bernis à d'Aiguillon, 3 novembre 1773. (AFF. ÉTR.)

[67] Bernis à d'Aiguillon, 5 janvier 1774. (AFF. ÉTR.)

[68] Bernis à d'Aiguillon, 13 avril 1774. (AFF. ÉTR.)

[69] Bernis à Bertin (intérimaire en attendant l'arrivée de Vergennes), 15 juin 1774. (AFF. ÉTR.)

[70] Je ne saurais prendre pour une insinuation cette phrase dans la dépêche du28 août : Ceux qui jugent avec imprudence ou malice ne voient rien de naturel dans l'état du Pape ; on hasarde des raisonnements et des soupçons avec d'autant plus de facilité que certaines atrocités sont beaucoup moins rares dans ce pays-ci que dans beaucoup d'autres.

[71] Bernis à Vergennes, 31 août 1774. (AFF. ÉTR.)

[72] Chapelle papale pour la tète de la Nativité de la Sainte Vierge.

[73] Lettres contenant le journal d'un voyage fait à Rome en 1773. Genève, 1783, in-12, t. II, p. 56.

[74] Bernis à Vergennes, 14 septembre 1774. (AFF. ÉTR.)

[75] Bernis à Vergennes, 20 septembre 1774. (AFF. ÉTR.)

[76] Bernis à Vergennes, 28 septembre 1774. (AFF. ÉTR.)

[77] Le 26 octobre 1774, Bernis écrit : Les circonstances qui ont précédé et accompagné la mort du feu Pape excitent également l'horreur et la compassion. Soyez assuré qu'il faut bien du courage et du zèle pour le repos de l'Église et pour l'exécution des ordres du Roi pour s'opposer à la faction fanatique qui voudrait régner dans le conclave et qui est animée et excitée par d'autres fanatiques externes qui se communiquent leurs passions d'un bout du monde à l'autre. Je rassemble actuellement les vraies circonstances de la maladie et de la mort de Clément XIV, qui, vicaire de Jésus-Christ, a prié comme le Rédempteur pour ses plus implacables ennemis et qui a poussé la délicatesse de conscience au point de ne laisser échapper qu'à peine les cruels soupçons dont il était dévoré depuis la fin de la semaine sainte, époque de sa maladie. On ne peut dissimuler au Roi des vérités quelque tristes qu'elles soient qui seront consacrées par l'histoire. J'ai vainement cherché la pièce qu'annonce ici Bernis. Elle n'est ni aux archives des Affaires Étrangères à Paris, ni au dépôt de Saint-Louis des Français à Rome, ni dans les archives de la famille de Bernis.

Le 28 octobre 1777, le Cardinal écrit : Je sais mieux que personne jusqu'où s'étend l'affection de Pie VI en faveur des ex-Jésuites, mais il les ménage encore plus qu'il ne les aime, parce que la crainte a plus d'empire sur son esprit et sur son cœur que l'amitié. Le Pape a de certains moments de franchise dans lesquels ses vrais sentiments se développent, Je n'oublierai jamais trois ou quatre effusions de cœur, qu'il a laissé échapper avec moi, par lesquelles j'ai jugé qu'il était fort instruit de la fin malheureuse de son prédécesseur et qu'il voudrait bien ne pas courir les mêmes risques. Le 21 mars 1781, il écrit : &Il parait que Pie VI ne doute pas de la vraie cause de la mort extraordinaire de son prédécesseur, et que cette crainte, encore plus qu'un peu de partialité, rendra toujours sa conduite envers les Jésuites faible et timide. (AFF. ÉTR.)

[78] AFFAIRES ÉTRANGÈRES, Espagne, vol. 541,

[79] AFFAIRES ÉTRANGÈRES, France et divers États, vol. 179. Un certain nombre d'autres assertions relatives à l'empoisonnement et émanant, dit-on, de Tanucci, se rencontrent dans les Jésuites jugés par les Rois, les évêques et le Pape, Paris, 1857, in-12, p. 177, note 1, rapportées d'après ANTONIO FERRER DEL RIO, Histoire du règne de Charles III en Espagne.

[80] La Gazette de Leyde donne un extrait curieux d'une lettre de Rome en date du 24 septembre : Jusqu'à présent personne n'a pu déterminer le genre de maladie qui a conduit le Pape au tombeau. Les uns prétendent que c'est une affection dartreuse, d'autres une inflammation de poitrine, d'autres un dépérissement général des intestins. Mais cette incertitude de la cause de la mort prouve qu'on l'ignore. A l'inspection du cadavre qui a été faite à la réquisition du Cardinal camerlingue, on a trouvé le cœur rétréci, privé de tous ses vases lymphatiques et desséché, en sorte que son volume ne dépassait guère celui d'un demi-baïoque : un des poumons devenu solide comme une semelle de cuir et sans la moindre goutte d'humeur ; les intestins en grande partie affectés ; la vessie pleine de tumeurs où la gangrène avait commencé à se former, le cerveau pareillement desséché. L'affirmation relative à l'empoisonnement se trouve dans une correspondance de Rome en date du 5 octobre.

[81] Cette déclaration se trouve dans le Tartuffe épistolaire démasqué, ou Épître très-familière à M. le marquis Caraccioli, Liège, 1777, in-8°, p. 156. Ce très-curieux volume de l'abbé J. B. Bonnaud mérite une étude particulière.

[82] Tome III, p. 301.

[83] Mémoires inédits et historiques, etc., Paris, 1807, in-8°, p. 232.

[84] SANTO DOMINO, Esprit des Papes, Paris, 1839, in-8°, p. 321.

[85] Mémoires secrets et critiques des cours, des gouvernements et des mœurs des principaux États d'Italie, Paris, 1793, in-8°, t. III, p. 61.

[86] Bien des gens, dit-il, prétendent que ce Pontife a été empoisonné, quelques-uns cependant avancent qu'il a cru l'être, qu'il est mort de cette crainte et des précautions qu'il a prises en conséquence. Lettres écrites de Suisse, etc., à mademoiselle *** à Paris en 1776, 1777 et 1778, Amsterdam, 1780, in-12, t. V, p. 117.

[87] Les Jésuites jugés, etc., p. 176.

[88] J'essaye vainement de trouver une opinion anglaise : MOORE, A View of society and manners in Italy, London, 1781, in-8°, qui était à Rome en 1775, parle longuement de Ganganelli qu'il appelle le Pape protestant, mais non point de sa mort.

[89] On n'a pour cela que la relation de Saliceti, la relation envoyée par le Ministre d'Espagne (publiée par l'abbé Boues, in fine) et les procès-verbaux d'autopsie : on a pourtant tenté en Allemagne de formuler une opinion, et voici la conclusion du docteur Maschka : Les indications peu précises et entièrement dénuées de caractère scientifique des médecins relatives aux différentes phases de la maladie et aux résultats de l'autopsie ne permettent pas de donner un avis motivé sur le genre de mort du Pape. (HUBER, les Jésuites, Paris, 1875, in-8°, t. II, p. 370.) Il aurait fallu Littré pour éclaircir ce problème.

[90] CRÉTINEAU-JOLY, Clément XIV et les Jésuites, pass. in fine. Le Père DE BATICHAN, Clément XIII et Clément XIV, Paris, 1854, in-8°.

[91] On sait que, suivant le procès de canonisation d'Alphonse de Liguori, le 21 septembre 1774, le saint aurait éprouvé une sorte d'évanouissement qui dura deux jours, et que, étant revenu à lui, il annonça à ceux qui l'entouraient qu'il était allé assister le Pape. On semble un peu embarrassé de ce prodige dans la Vie de saint Alphonse de Liguori, la dernière publiée (Paris, 1879, in-8°). On y consacre à peine une page (p. 494). Il est bon de remarquer qu'Alphonse de Liguori était entièrement dévoué aux Jésuites.

[92] Choiseul à Bernis, 13 août 1770. (AFF. ÉTR.) Quelqu'un qui connaissait bien Choiseul, qui a vu Bernis, le baron de Gleichen, Ministre de Danemark, a écrit ce jugement qui me parait absolument exact : On croit presque généralement que Clément XIV a été empoisonné par les Jésuites. Pour moi, je n'en crois rien. Ils n'étaient pas gens à commettre des crimes inutiles. Ce poison aurait été moutarde après diner. Le marquis de Pombal, Charles III et le duc de Choiseul sont morts fort naturellement. Voilà les preuves de mon opinion. Clément XIV est mort de la peur de mourir ; son idée fixe était le poison, et la putréfaction subite de son cadavre n'a été que l'effet de l'angoisse horrible qui l'a tué. (Souvenirs, Ed. Grimblot, p. 33.)