Un homme qui baptise un dieuDans le fatras des fraudes et des impostures grossières perpétrées par les Scribes juifs en mal de christianisme, an IVe siècle, il n’en est pas de plus révoltante, dans le but d’étoffer l’invention de Jésus-Christ distinct de Jean, que le baptême de Jésus par Jean. Que la conscience des chrétiens d’aujourd’hui, que la foi aveugle, à qui la mystification judaïque est agréable, s’accommode de voir son Dieu, fils de Dieu, baptisé par un homme, le Iôannès-Jean, même juste et saint, — des mots ! — c’est son affaire. Mais l’historien a le droit de chercher à voir clair dans cette fantasmagorie, sans précédent, dans la mythologie universelle. Jean, d’après les Évangiles, a paru, prêchant la repentance, confessant les péchés, et les remettant par le baptême. Il baptise les pécheurs, et, après les avoir confessés, remet donc leurs péchés. Jésus, Fils de Dieu, Jésus-Christ, que des millions d’hommes adorent, avait-il donc, pour que Jean les lui pardonne après baptême, commis des péchés ? Blasphème ! L’Eglise nous dit qu’il a été en tout conforme à nous, pauvres hommes, sauf par le péché. Un pécheur, cet Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ? Comment croire qu’ôtant les péchés, il en ait commis ? Pourquoi l’Église lui fait-elle subir le baptême de la repentance, pour la rémission des péchés ? Voilà la question. Un homme qui baptise Dieu, c’est, pour la raison, la terre et le ciel renversés, c’est la religion, la métaphysique et la physique à l’envers. Je le constate avec tout le déplaisir qui convient, en une matière aussi austère, mais je ne puis autrement. La logique humaine se refuse à admettre pareil contresens ; la conscience de l’honnête homme aussi. Donnons-lui des apaisements. Le Selon-JeanLe quatrième Évangile que l’Église a dérobé à Cérinthe pour l’attribuer a l’apôtre-disciple Jean, après y avoir introduit ça et là des retouches, pour le rendre canonique, et si maladroitement ! Ne fait pas baptiser Jésus par Jean. Ce serait pour lui un scandale, tout autant que l’incarnation. Un homme baptiser Dieu ! Un Dieu se faire chair ! Aucun Juif du IIe siècle, et jusqu’au début du troisième, ne l’admet, même et surtout parmi ceux qui ont fabriqué les affabulations millénaristes et gnostiques d’où sortirent les Évangiles. Le baptême de Jésus par Jean, comme l’incarnation par la création de Jésus-Christ, est l’œuvre d’aigrefins, qui ont compris quelle spéculation profitable serait l’exploitation du baptême, l’œuvre de marchands de Christ, comme dit Saint-Justin (Christ-emporoï), postérieurs aux gnostiques. L’Église aujourd’hui, et les critiques, même laïques, y compris les derniers venus à l’exégèse, comme Henri Barbusse, soutiennent, et continueront à soutenir, contre toute vraisemblance, sans preuves, parce que c’est leur bon plaisir, que, les trois Évangiles synoptisés ont paru à la fin du premier siècle au plus tard, et cinquante a soixante ans avant l’Évangile Selon-Jean. Les trois synoptisés donnent le récit du baptême de Jésus par Jean, et nous en reparlerons. Le quatrième Évangile, qui leur serait postérieur, n’aurait pas donné le baptême ! On répondra, sans doute, — et je ne l’ignore pas ; je le sais mieux et le prétends davantage que les critiques traditionnels, — que le Selon-Jean diffère essentiellement des Synoptisés, que, par exemple, il ne parle pas, comme eux, du banquet de la Sainte-Cène. Je montrerai d’ailleurs que les Noces de Cana, du Selon-Jean, que les Synoptisés ignorent, en tiennent lieu. Il ne doit pas paraître si étonnant, dira-t-on, que, le Selon-Jean n’ait pas le récit du baptême. Cette réponse par analogie qui veut expliquer l’absence du récit dit baptême de Jésus dans le Selon-Jean, et qui aurait de la valeur dans d’autres cas, peut-être, et c’est à voir, dans le cas présent ne vaut rien. Que le Selon-Jean n’ait pas le récit de la Cène, même si les Noces de Cana n’en tenaient pas lieu, on pourrait souligner le fait sans en être gravement surpris. Son auteur aurait pu oublier, rien ne le sollicitant à se souvenir. Et puis, il est si vieux, cet Évangéliste, Jean, quand l’Église le fait écrire ! Passe pour la Sainte-Cène. Mais en ce qui concerne le baptême, il en est tout autrement. Il n’est pas possible de prétendre que le Scribe a pu oublier le baptême, s’il est un fait, historique. Car le Scribe a été sollicité lui-même de s’en souvenir, par ce qu’il déclare sur la colombe et la voix du ciel qui a envoyé Jean baptiser d’eau. Il ne pouvait parler de la colombe sans l’accrocher au baptême. En effet, le lecteur qui sait que les trois Synoptisés, antérieurs au quatrième Évangile, d’après l’Eglise, donnent le récit du baptême, baptême que le quatrième Évangile doit donc connaître, comme un fait qui a eu lieu, s’il a pris la peine de lire les trois Synoptisés, ses prédécesseurs, le lecteur, dis-je, qui ouvre ensuite le Selon-Jean au chapitre premier, à partir du verset 19, y lit d’abord le témoignage de Jean. Jean, aux ambassadeurs des Pharisiens qui viennent le trouver à Béthabara où il baptise, répond qu’il n’est pas le Christ, ni Élie, ni le Prophète, et qu’il en vient un après lui. Nous connaissons la scène. Immédiatement après, que lit le lecteur ? Ceci, à partir du verset 29 : Le lendemain, — nous sommes toujours à Béthabara (pseudo-Béthanie), au-delà du Jourdain, où Jean baptise, où il baptise Jésus dans les trois synoptisés, — Jean (jamais Jean-Baptiste, dans le quatrième Évangile) vit Jésus qui venait vers lui, et il dit : Voici I’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. C’est celui dont je disais (hier même) : Il vient après moi un homme qui m’a devancé, parce qu’il était avant moi (C’est en effet, le Dieu-Jésus, éternel). Pour moi, je ne le connaissais pas ; mais je suis venu baptiser d’eau, afin qu’il fût manifesté à Israël[1]. Et écoutez bien la suite : Jean rendit encore ce témoignage : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe, et il s’est arrêté sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas[2]. Mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau (Iahveh lui-même) m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et s’arrêter, c’est celui qui baptise d’Esprit saint. — Et je l’ai vu, et j’ai rendu ce témoignage : C’est lui qui est le Fils de Dieu. Voilà ce morceau. Raisonnons. D’après les Trois Synoptisés, l’Esprit-colombe est descendu sur Jésus pendant que, Jean le baptisait. Dans le quatrième Évangile, en dehors de tout baptême, dont il n’est pas question, Jean déclare qu’il a vu la colombe-Esprit descendre sur Jésus. Où ? Quand ? Dans quelles conditions ? Affirmation pure, soit ! Mais qui appelle le baptême. Où est-il ? Et l’on oserait soutenir que si le baptême est un fait historique, Jean a pu l’oublier à cette place, oublier d’en faire le récit, alors qu’il met en scène la colombe qui descend du ciel et s’arrête sur Jésus ! Est-ce que le lecteur n’attend pas inévitablement que Jean, ou l’Évangile, raconte cette scène du baptême qui est qans les Trois Synoptisés ? Si Jean a baptisé Jésus, il est incompréhensible qu’au moment, au lieu, dans les circonstances où l’Évangile place et fait parler Jean, alors que Jésus vient à lui pour la première fois, dans le morceau que j’ai reproduit in extenso, on ne trouve pas un récit du baptême, comme dans les Synoptisés, et d’autant plus incompréhensible que la Colombe, l’Esprit, qui se trouvent dans les quatre Évangiles, en ce même moment et en ce même lieu, prouvent que les récits des quatre Évangiles sont parallèles. J’en conclus que si, en réalité, historiquement, il y avait eu un baptême de Jésus par Jean, le quatrième Évangile n’aurait pas gardé le silence sur un événement dont il donne les phénomènes extérieurs. Ce baptême n’a pas eu lieu. Il a été inventé après l’Évangile de Cérinthe, devenu le Selon-Jean, Et il a été impossible de l’introduire après coup. J’ai affirmé et je ne cesserai d’affirmer que le IVe Évangile est antérieur de cent à deux cents ans aux autres Évangiles, et, je pense que déjà, par une infinité de détails, j’en ai apporté des preuves fragmentaires. Le baptême de Jésus par Jean en est une preuve de plus, et qui compte. J’en suis désolé pour l’exégèse et la critique traditionnelles. Mais c’est ainsi. Et je vais m’en expliquer, dans le cadre même de ma démonstration sur l’invention dit baptême de Jésus par Jean, où prendront place les intentions des scribes inventant ce baptême. La ColombeC’est un personnage ancien dans le judaïsme. On l’appelle IemOnA, en hébreu. Son nom contient, en voyelles, les quatre lettres du dieu juif, son tétragramme : IEOA, d’où sont tirées toutes les variantes : Iehovah, Iao, Iaou, Iahveh. La colombe était dans l’Arche de Noé. Parce qu’elle est le Tétragramme de Iehovah, c’est elle que Noé lâche, à l’exclusion de tout autre volatile, pour être messagère du salut contre les eaux du déluge. Blanche, et symbole de tout ce qui est pur, bien avant l’ange Gabriel, elle a volé entre ciel et terre. Dieu le Père lui-même est à sa ressemblance. Valentin nous l’a dit. Et Valentin était juif. Quand les fondateurs de la quatrième secte, comme dit Flavius Josèphe, celle de Juda le Gaulonite, la secte messianiste christienne, qui vint s’adjoindre aux trois autres (Pharisiens, Sadducéens, Esséniens), constituèrent leur symbolisme zodiacal sur le Thème des Destinées du monde, il était naturel qu’ils enrôlassent la Colombe. Juda le Gaulonite, qui est le Joseph, le Zacharie et le Zébédée des Évangiles, suivant ses différents aspects (Zacharie = Verseau, Zébédée = père des Poissons), n’est dit le Charpentier, pneumatiquement, en Esprit, allégoriquement, que comme inventeur de la Barque de Pêche, où ses fils, le Christ en tête, étant l’aîné, seront des pêcheurs d’hommes. La Barque de pêche, la Barque du salut, — admirable bateau monté ! — ne pouvait être armée, affrétée sans la Colombe[3]. Sculptée symboliquement à la poupe, IEOA, elle mettait la Barque dit baptême sous le parrainage même de Dieu. Et quand, après son père Juda-Joseph-Zacharie-Zébédée, tué dans le Temple, en 760, à la révolte du recensement, qu’il avait fomentée sous Quirinius, proconsul de Syrie, son fils aîné, dont le nom de circoncision a disparu des Évangiles et de toutes les Écritures dites sacrées et profanes, devenu Jésus-Christ, Sauveur-Oint, prit la barre de la Barque, Capitaine et pilote, il se mit sous la protection de la Colombe, et, avant même d’être Oint, se fit consacrer Christ, par elle, messagère divine, porteuse de l’Esprit de Dieu[4]. L’Apocalypse, telle qu’elle nous a été transmise dans l’adaptation grecque, dite de Pathmos, ne contient plus rien des scènes où Iôannès = Jean, en se manifestant à Israël, devait, dans l’Apocalypse araméenne, s’expliquer sur la Colombe, descendue du ciel pour lui répéter au nom de Dieu ce que les Psaumes déclarent (II, 7) : Tu es mon Fils ; je t’ai engendré aujourd’hui, déclaration que les Évangiles actuels ont modifiée, mais qui se lisait telle quelle dans ceux que possédait Saint-Augustin. L’adaptation grecque de l’Apocalypse a été retouchée à diverses reprises dans des détails ; mais surtout on y a opéré des suppressions considérables, que nous ferons toucher du doigt, le moment venu. En ce qui concerne la Colombe et son rôle, on peut affirmer qu’on l’a enlevée de l’Apocalypse, comme on a fait disparaître les Commentaires de Papias sur les Paroles du Rabbi, puisque les écrits millénaristes de Cérinthe et gnostiques de Valentin ont la Colombe, comme ayant consacré le Christ. J’ai reproduit, d’après le quatrième Évangile, le récit où figure la Colombe. On a sophistiqué Cérinthe de telle sorte qu’on a mis deux hommes, Jean et Jésus, où il n’y en a qu’un. Du moins, pas de baptême de Jésus par Jean. Dans la Pistis-Sophia, de Valentin, Jésus, parlant à la première personne, déclare : Mon Père m’a envoyé l’Esprit-Saint sous la forme d’une colombe. Un seul personnage, conformément à la vérité historique. Peu importe son nom. Et ni dans Cérinthe, quatrième Évangile Selon-Jean, bien que sophistiqué, ni dans Valentin, la Colombe ne consacre le Christ Fils de Dieu, avec l’accessoire du baptême, comme il arrive dans les trois Synoptisés. Cette consécration par la Colombe se suffit en effet à elle-même. L’intention qui a fait intervenir le baptême est, née de préoccupations postérieures, et, pour ne pas le celer plus longtemps, l’intention des Scribes, eu inventant le baptême, a été de créer, dans les Évangiles, deux personnages quand, historiquement, il n’y en a qu’un. Au IIe siècle, pas de baptême de Jésus par Jean. C’est qu’en effet, ce baptême n’a été inventé qu’après la mise en circulation de Jésus-Christ, comme être biologique distinct de Jean qui est sa substance charnelle, hylique, et pour fournir une preuve de plus, sur le papier, de cette distinction imaginée. L’examen des trois récits qu baptême dans les Synoptisés, par les nuances dans leur composition, permettent facilement de suivre les étapes de la fraude. Le morceau le plus ancien, — il date de la fin du IIe siècle, — est celui certainement du Selon-Matthieu. Jean-Baptiste, voyant beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, et les traitant de race de vipères, à la manière du Christ qu’il est, annonce que va venir, après lui, celui qui baptisera d’Esprit-Saint et de feu. Et incontinent, comme à un appel, voici, en effet, Jésus qui arrive (Mat., III, 13-17) : Alors Jésus vint de la Galilée, — où s’était retiré son père au retour d’Égypte, à Gamala, — au Jourdain, vers Jean, pour être baptisé. Oui, le Fils de Dieu, sans péché, l’Agneau qui ôte le péché dit monde, vient se faire baptiser d’eau pour la repentance et pour la rémission des péchés. Jean lui-même n’en revient pas. Les Évangiles le prouvent. Mais Jean s’y opposait, disant : C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et tu viens à moi ! Oui, c’est trop fort. C’est le monde à l’envers, je l’ai dit. Et le scribe le sent très bien. C’est comme son excuse préalable à la fraude qu’il perpètre. Peut-être aussi que Jean, se reconnaissant dans ce Jésus qui, par la plume des Scribes, lui a dérobé sa carrière devant lequel ils l’ont fait abdiquer, ressent quelque humiliation. Il se souvient de ses crimes politiques et de droit commun, et qu’il fut le brigand Bar-Abbas : tous ses titres de gloire comme Messie, Prétendant au trône de David, transformés en péchés, que, sous la figure de Jésus, il vient se faire pardonner par le baptême de repentance et de rémission. Quel soufflet, de Satan, bien sûr, à son orgueil ! Ce Jésus jouant le rôle d’un ange de Satan ! Mais la révolte de Jean est de courte durée : « Laisse faire pour le moment, lui répond Jésus, car il est convenable que nous accomplissions ainsi toute justice. » Comprenne qui pourra. Le baptême de Jésus par Jean, voici que c’est accomplir toute justice. Au moment où les Scribes transforment le Christ-Jean, ancien Bar-Abbas, en Christ-Jésus, il est juste qu’ils le lavent de ses péchés. Toute l’explication de ce baptême tient dans cette phrase : séparer le Christ de Jean, et laver Jésus-Christ qu’on invente des péchés, des crimes du Christ historique, du Iôannès-Jean, crucifié par Ponce-Pilate. Le scribe continue : Alors Jean le laissa faire ! La phrase en dit long. Que de suggestions ! Jean le laissa faire quoi ? Dans ce baptême, le rôle de baptiseur est tenu par Jean. C’est le rôle actif. Le baptisé n’a qu’un rôle passif. Si l’un des deux doit laisser faire l’autre, c’est Jésus, qui vient pour être baptisé, et non Jean qui agit, qui baptise. Cette phrase confirme cette vérité qu’à une époque intermédiaire entre le Sacrement par la colombe sans le baptême et le baptême inventé, Jean ne baptisait pas Jésus ; Jean-Jésus se baptisait lui-même. D’ailleurs, le Selon-Matthieu fait-il baptiser Jésus par Jean ? Non. Il dit que Jésus vient pour être baptisé par Jean. Bien. Jean s’y oppose, proteste. Il ne veut pas. Jésus répond-il : Baptise moi tout de même ? Non. Il répond : Laisse faire... Quand on laisse faire, on ne fait pas. Il ne baptise pas Jésus. S’il y a baptême, Jésus, que Jean laisse faire se baptise lui-même. Pour composer des morceaux de littérature aussi nuancés que celui du Selon-Matthieu, pour faire comprendre le contraire de ce qui y est dit, il faut être expert dans les travaux de l’esprit. Et l’on nous conte, sans rire, que les apôtres donnés comme auteurs de cette prose qui en remontrerait à celle de la diplomatie machiavélique la plus rusée, étaient des rustres épais. Qu’ont fait les savants de leur sens critique ? Voici la fin du morceau : Dès qu’il eût été baptisé, — par qui ? Par Jean ? Par lui-même ? Qu’importe ! Ils ne sont qu’un corps dont les deux aspects marivaudent, — Jésus sortit de l’eau, et, à l’instant, les cieux s’ouvrirent (phénomène que vous demanderez à voir, et que je ne me charge pas de vous expliquer), et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe (en chair ou fantôme ?) et venir sur lui. Aussitôt une voix se fit entendre des cieux (de quelle hauteur ?), disant : Celui-ci est, mon Fils, mon Bar bien-aimé, en qui j’ai mis mon affection. Avec le Selon-Marc, quelques années ont coulé. La fraude pieuse a progressé. Le scribe n’hésite plus. Jésus vient de Galilée, oui, de Nazareth (Gamala), ville de Galilée, le scribe le précise, et il fût baptisé par Jean dans le Jourdain. C’est net. Pus de marivaudage entre Jean et Jésus ; plus d’opposition de Jean, qui ne laisse plus faire ; il agit. Et Jésus ne lui dit plus de laisser faire « pour accomplir toute justice ». Ce n’est plus Jean qui voit la colombe, c’est Jésus. Chacun son tour. La voix du ciel ne parle plus à la troisième personne : Tu es mort Fils bien aimé... Jean est presque escamoté. Abdication presque totale, totale sauf qu’il a baptisé Jésus. Il faut qu’il grandisse (Jésus) et que je diminue (moi, Jean). Oui, les temps ont marché, depuis le Selon-Matthieu, que l’Église et les critiques déclarent avoir été précédé par le Selon-Marc. Quand je vous dis qu’ils voient tout à l’envers et n’hésitent jamais entre la vérité et son contre-pied, pour prendre le contre-pied ! Jusqu’à quand vous le répèterai-je ? Race incrédule ! Reste Luc, composant son Évangile pour son très cher Théophile, après s’être exactement informé de tout, depuis l’origine. Dans un long récit sur Jean-Baptiste, sur son ministère, et sa prédication, qu’il interrompt pour nous apprendre qu’Hérode a fait mettre Jean en prison, qui devrait disparaître ainsi et à tout jamais de cet Évangile, il achève, par le baptême de Jésus. C’est une façon bien curieuse d’écrire l’histoire. Jean est en prison, et, comme tout le peuple se faisait baptiser, Jésus se fit aussi baptiser. Si vous demandez par qui ? — mais, par Jean, répond l’Église. — Comment ? par Jean, répliquez-vous. Il est en prison. Et Luc ne spécifie pas que si Jésus se fait baptiser, c’est par Jean. — C’est que le récit est à dessein composé à double entente. Si on y apporte l’esprit traditionnel qui accepte sans discussion toutes les fraudes, évidemment Jésus se fait baptiser ; Luc ne dit pas par qui. Mais la tradition ajoute : par Jean. Luc a sous-entendu. Le Juif christianisant qui, vers le IVe siècle, lisait Luc, admirait au contraire avec quel art, en trompant les Goïm par le sous-entendu, l’Évangile mêlait le mensonge à la vérité — Jésus se fait baptiser, mais le, baptême consiste-t-il pour lui à se tremper dans l’eau du Jourdain ? Non. La baptême de Jésus, dans le Selon-Luc, ne consiste qu’en ceci : pendant qu’il priait, — et je vous répète que Jean mis en prison par Hérode n’est plus là, — le ciel s’ouvrit, et le Saint-Esprit descendit sur lui, et, — tenez-vous bien ! — sous une forme corporelle, comme une colombe. Et il vint une voix du ciel, etc. En définitive, sauf le mot baptême qu’il ajoute, la chose, la réalité de fait, rejoint le Selon-Jean. C’est la consécration pure et simple du Messie par la Colombe et la voix du ciel, en dehors de l’eau. Toutefois, le Selon-Luc, à propos de la Colombe, ajoute un détail curieux. Chez Matthieu, Marc et Jean, la Colombe est-elle esprit ? est-elle chair ? on ne sait pas. Avec Luc, plus de doute : elle est de forme corporelle ; on l’a vue telle ; elle est donc matière. Oui, vraiment, Luc écrit, mon cher Théophile, après s’être exactement informé de tout. Il sait, et c’est chose remarquable, que l’accusation de magie a pesé sur les chrétiens et particulièrement sur le Christ, dès le début du deuxième siècle. Dans les Évangiles de l’Enfance, Jésus s’amuse à faire de petits oiseaux de terre qui s’envolent après avoir été animés de son souffle. On nous dit bien que les Évangiles de l’Enfance n’étaient qu’un ramassis de niaiseries. Tout de même, il faut bien que ces niaiseries ne le soient pas autant qu’on a voulu le faire croire, pour que le Selon-Luc, à propos de la Colombe, n’ait pas craint d’en ramasser une. Cette Colombe corporelle, qui descend dit ciel est plus qu’une allusion à des tours d’adresse que font plus que d’indiquer les Évangiles de l’Enfance avec ces petits oiseaux de terre que Jésus s’amuse à faire et qui s’envoient après avoir été animés de son souffle, qui a déjà une allure de Saint-Esprit. Que Jésus, je veux dire le Christ-homme, ait matérialisé, dans la terre cuite, la Colombe céleste, c’est un moyen qui n’a pas dû répugner à ce Prétendant Messie pour étonner les foules dont il voulait se faire des partisans, dans ces région de montagnes où confinait la Galilée, habitées par des humanités frustes et incultes, facilement crédules, comme tant d’arabes encore aujourd’hui, pour qui la sorcellerie est sacrée. L’Egypte a été le pays originaire de la magie ; la magie est, par excellence, une science, égyptienne. Ce n’est pas seulement sous le prétexte possible de lui faire fuir la colère d’Hérode que le Selon-Matthieu envoie, en Égypte la Sainte famille. Le Talmud nous apprend que Ben-Sotada, — c’est un des noms qu’il donne au fils de l’évangélique Joseph, Panthora, et de Marie, — s’était marqué la peau avec une sorte d’écriture et n’avait apporté ses sortilèges que de cette façon[5]. L’Apocalypse a inscrit sur ses cuisses ; Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Seigneur des Saigneurs serait mieux. Ce n’est pas dans les Évangiles de l’Enfance que Mahomet, pour le Koran (chap. V, La Table, 108-110), a puisé ce trait où, faisant parler Dieu qui s’adresse à Jésus (Isha), il dit ceci : Tu formas de boue la figure d’un oiseau, et ton souffle l’anima par ma permission..., et souligne un tour de prestidigitation véritable. J’y reviendrai au chapitre V sur les Nativités, § Mahomet et le Koran. Celse, l’Anti-Celse et Origène.Au IIe siècle, et jusqu’au milieu du IVe, il n’y a encore au Jourdain, comme baptiseur-Christ, qu’un seul individu, qu’on l’appelle Jean = Iôannès ou Jésus-Christ. Les manœuvres assez grossières par lesquelles, dans les Évangiles, on essaie de faire croire le contraire, et de quelle façon amphibologique ! suffiraient à elles seules à prouver ce qu’on a voulu cacher. Au IIe siècle, les scribes comme Cérinthe, comme Valentin qui ne connaissent pas le Jésus-Christ évangélique, parce que les Évangiles synoptisés n’existent pas, et qui ne font pas baptiser, par suite, Jésus par Jean, — ils diraient plutôt le contraire, — confirment cette vérité. Dans la Pistis-Sophia[6], Jean lui-même déclare que Jésus, notre Sauveur, sorti du Royaume de Lumière (c’est du Dieu-Jésus qu’il s’agit, du Verbe ou Logos), est venu sur lui comme une colombe. Aucun historien, aucun écrivain quelconque des premier, deuxième et troisième siècles : Tacite, Suétone, Lucien de Samosate, Apulée (qui ne connaît que Jean), Minutius Félix, Justin lui-même, le Talmud (au quatrième), n’a entendu parler, n’a fait mention de deux personnages distincts, Jean et Jésus-Christ, dont l’un aurait été décapité et l’autre crucifié. Tous ont connu l’histoire du Christ juif mis en croix sous Ponce-Pilate. Aucun n’a connu son soi-disant Précurseur, le Baptiseur, décapité sur l’ordre d’Hérode. Flavius Josèphe, dont nous parlerons quand nous étudierons la légende de la décapitation, ne fait pas exception, nonobstant les faux, d’ailleurs peu affirmatifs, dont il a été victime, pour faire entendre le contraire. Il en est de même, à part les Évangiles, où l’imposture est manifeste, à part les Actes des Apôtres et les changes tentés dans l’Épître I aux Corinthiens à propos d’Apollos, de tous les autres écrits dit Nouveau-Testament. Épîtres mises sous le nom de Paul, de Jude, de Jean, de Jacques et de Pierre. Justin, dans les Apologies, mises sous son nom, ne connaît pas Jean. Il reste un ouvrage sur lequel il convient maintenant de s’expliquer. C’est le Contra Celsum ou l’Anti-Celse, essai de réfutation d’une œuvre (du IVe siècle) de Celse, le Discours de Vérité, par un scribe chrétien que l’Église dit être Origène, qui vivait au IIIe siècle. Et le Celse que le prétendu Origène essaie de réfuter serait, d’après l’Église, le Celse, épicurien, ami de Lucien de Samosate, au IIe siècle, donc antérieur d’environ cinquante à cent ans à Origène. Dans la réfutation qu’il tente du Discours de Vérité de Celse, le scribe (Origène ou tout autre, nous allons en discuter) reproduit, à sa manière évidemment, un assez grand nombre de passages de l’œuvre de Celse, au point que d’excellents esprits, MM. B. Aubé et Louis Rougier, notamment, ont essayé une reconstitution partielle de, l’œuvre de Celse, dont nous ne possédons plus rien que ce que le Scribe qui prétend la réfuter a bien voulu nous en conserver, et comme il lui a plu. Si le Celse, dont Origène est censé donner la réfutation, est le Celse, ami de Lucien, tous les extraits cités par Origène comme étant de ce Celse, enregistrent donc un état de choses et de faits qui datent du deuxième siècle, du milieu environ. En ce qui concerne le baptême de Jésus par Jean, et l’existence distincte des deux personnages, si Celse témoigne en leur faveur, il renforce, malgré le silence de Justin, de Lucien, dont il est l’ami, de Flavius Josèphe, et autres, le témoignage des évangiles, tout suspect qu’il apparaisse. Il importe donc de savoir qui est Celse et qui a écrit l’Anti-Celse, et à quelle époque. Voici d’abord le passage de l’œuvre de Celse où, à côté de Jésus-Christ, — je lui donne son nom d’évangiles, — ceux qui ont reconstitué le texte de Celse, d’après les citations littérales du pseudo-Origène, font apparaître Jean-Baptiste. Celse met d’abord en scène un Juif qui, s’adressant directement à Jésus, conteste sa filiation davidique, le donne comme fils du soldat romain Panther, calomnie qu’on retrouve dans le Talmud, et dont j’ai fait justice dans l’Énigme de Jésus-Christ, — et, après cet adultère de Marie, fait chasser celle-ci par Joseph, son époux. Jamais Celse qui connaissait son histoire, n’a écrit ce qui précède et que le pseudo-Origène nous transmet. Mais je poursuis, littéralement : Lorsque le charpentier se prit de haine pour elle, Marie, et la chassa, ni la puissance divine, ni le Logos fidèle (ou qui fait croire), — le Logos ! au IVe siècle, bien que les Évangiles Synoptisés qui ne disent pas un mot du Logos soient prétendus faits, c’est toujours l’Évangile de Cérinthe qu’on allègue, tant il est la vérité ! — ne put la sauver de cet affront. Il n’y a rien là qui sente le royaume de Dieu. Ceci écrit, voici que sans aucune espèce de transition, j’y insiste, le texte continue comme suit : Tu allègues qu’à ce moment une ombre d’oiseau (le Selon-Luc dira : une colombe en forme corporelle) descendit sur toi du haut des airs et qu’une voix céleste te salua du nom de Fils de Dieu. Mais quel témoin digne de foi a vu ce fantôme ailé (il n’y a pas de corps matériel), qui a oui cette voix céleste... qui, si ce n’est toi, et s’il faut t’en croire, l’un de ceux qui ont été châtiés avec toi ? Bien sur Jean-Baptiste. Il est absent. Sollicités par les textes évangéliques, B. Aubé et Louis Rougier ajoutent, au début du second morceau, l’un : Cependant Jean baptisait — Tu vins, à lui... pour être purifié, passage, dit-il, nécessaire, semble-t-il, pour la transition, — et l’autre : Il est vrai que, lors de ton baptême par Jean dans le Jourdain, sans justification aucune. Puis, tous deux continuent : Tu dis (ou tu allègues) qu’à ce moment, etc. B. Aubé et L Rougier ont cédé à la manie de la synoptisation. Les textes évangéliques les suggestionnent. A supposer qu’il faille une transition, qu’appelle peut-être la suite des idées du discours, et aussi l’expression : à ce moment, qui fait songer à un fait concomitant, rien ne décide, dans le texte, en faveur de l’intervention de Jean. On peut supposer tout autre chose, aussi vraisemblablement. Par exemple : Quand tu arrivas au Jourdain tombant du ciel, (comme le dit l’Évangile de Marcion), tu allègues qu’à ce moment, etc. Alors surtout que la suite du morceau, dans son expression essentielle, de premier jet, prouve très clairement que Jésus est seul : qui a vu ce fantôme ailé ? qui, oui.... qui, si ce n’est toi. Voilà qui est catégorique et qui permet d’affirmer que le faussaire a ajouté : et, s’il faut t’en croire, l’un de ceux, quelqu’un de ceux qui ont été châtiés avec toi, pour essayer de jeter Jean-Baptiste dans ses phrases. Mais l’addition, tardive, porte sa marque ; ce qu’elle exprime ne correspond à rien de connu. Il n’y a que Jean qui a parlé de la scène du baptême, de la colombe, de la Voix. Or Jean, n’a pas été châtié avec Jésus. B. Aubé a raison, quand il dit : Il est étrange que le Juif de Celse mette Jean-Baptiste dans la suite de Jésus et le fasse mourir avec lui ! Étrange, en vérité. Mais le Juif de Celse, ni Celse, ne se sont trompés à ce point. C’est le pseudo-Origène qui fait la chanson, et la chante, pour essayer de nous faire croire que Jean n’est pas le Christ historique. Vous allez voir comment il se tire plus maladroitement encore des mensonges où il s’est empêtré. Il continue ainsi : Puisque ce Juif se mêle d’équivoquer sur la personne de Jésus, il est nécessaire de montrer combien ce Juif est peu au courant de ce qui s’est passé, car les Juifs distinguent bien deux personnes et — coq-à-l’âne — ne confondent pas le supplice de Jean avec celui de Jésus. Cette argumentation effrontée du pseudo-Origène, qui reproche au Juif d’équivoquer sur la personne de Jésus, alors qu’il n’équivoque aucunement, et se borne à nier très clairement qu’un autre que Jésus ait entendu la Voix du ciel, à un certain moment et sans dire où, et ait vu la colombe, cette argumentation qui, elle, n’est qu’une succession d’équivoques, mérite qu’on la discute du près. 1° Il en résulte d’abord que le Juif de Celse a dit expressément, si expressément qu’il n’a pas pu ajouter la restriction que le texte lui prête, que Jésus était seul quand la Colombe a été vue par lui, — et par suite, que la phrase : et, s’il faut t’en croire, l’un de ceux qui ont été châtiés avec toi (meta sou), est une fraude. Preuve que l’on peut tirer aussi de la réponse du pseudo-Origène reprochant au Juif d’être peu au courant de ce qui s’est passé car les Juifs distinguent bien deux personnes. Le Juif n’en distinguait donc qu’une seule. Ainsi est avouée l’addition frauduleuse, devinée sans cet aveu. 2° Il est bien vrai que les Juifs distinguaient deux personnes, le Verbe-Logos ou le dieu Jésus et le Christ crucifié de Ponce Pilate, — et le pseudo-Origène ne fait que confirmer un fait acquis, une vérité qu’il ne peut pas s’empêcher de laisser échapper. Mais, alors qu’il confirme par une proposition générale, qui ne précise rien à propos de la scène de la Colombe, avec laquelle elle n’a aucun rapport, — les Juifs distinguent bien deux personnes, dit-il ; mais où ? quand ? à quel propos ? le pseudo-Origène n’ose même pas préciser que c’est à la scène de la Colombe, — voici que, par un tournant en coq-à-l’âne, n’ayant rien dit de la scène de la Colombe, n’ayant pas précisé que Jean y était auprès de Jésus, il essaie de nous donner le change en nous aiguillant sur le supplice de Jean et celui de Jésus, pour faire entendre que Jean y était. C’est du beau travail de maître faussaire, mais qui n’aboutit pas à prouver, malgré le change, que Jésus et Jean se trouvaient ensemble, — je discute sur le plan ecclésiastique de deux personnages distincts, — à l’apparition de la Colombe, sans quoi le Juif l’aurait dit expressément, même si Jean a été décapité et Jésus crucifié, thèse de l’Église ; et si le Juif confond le supplice de l’un avec celui de l’autre, le pseudo-Origène n’a pas démontré la fausseté de l’allégation formelle du Juif que Jésus seul a assisté à la scène de la Colombe. 3° Le Juif laisse si bien entendre qu’il n’y a qu’un personnage, Christ ou Jésus, — et si Jean s’y trouve, c’est qu’il est le Christ, -qu’en prêtant à Jésus des allégations en style indirect, il le fait parler de telle sorte que, traduites en style direct, ses allégations prennent le tour verbal de la première personne : Une ombre d’oiseau est descendue sur moi. Une voix céleste m’a salué, et il faut bien qu’il ait été seul, puisque le Juif dit qu’aucun témoin (digne de foi) n’a vu..., ni entendu, si ce n’est toi, Jésus, et sans faire appel au témoignage de Jean. 4° D’ailleurs, en déclarant que les Juifs distinguent entre le supplice de Jean (décapité) et celui de Jésus (crucifié), le pseudo-Origène, pour nous donner le change sur la scène de la Colombe, se transporte sur un terrain où le Juif ne s’est pas placé. Il discute sur un point sur lequel le Juif n’a rien dit, et, j’ajoute, ne pouvait rien dire. Celse, et c’est pourquoi son Juif n’en parle pas, n’a pas connu la fraude, la décapitation qui n’existait pas quand il a écrit soit Discours de Vérité. En la jetant dans sa discussion, le pseudo-Origène prouve qu’il ne réfute pas seulement Celse, mais qu’il essaie de faire authentiquer par lui, — et l’Église place l’Anti-Celse au IIIe siècle, — une fraude qui ne date que du IVe siècle. Puisque je mêle la décapitation de Jean-Baptiste au débat que j’ai avec Celse, c’est que Celse en a parlé comme d’un événement historique. Ainsi raisonne le maître faussaire que l’on a fait signer, — autre faux, — du nom d’Origène. 5° Le Juif, de même, si Jean a été décapité, ne pouvait pas assimiler son supplice, en le plaçant au même temps, à celui du Christ. C’est pourquoi l’addition : un de ceux qui ont été châtiés avec toi crée à dessein une confusion. Le Juif n’ayant pas nommé Jean, s’il avait dû le viser, — comme la réplique du pseupseudo-Origène veut nous le laisser entendre, en mettant Jean en scène, avec son supplice, — pourquoi le Juif ne l’aurait-il pas nommé expressément ? Jean est assez illustre ; il est le plus grand des prophètes nés de la femme, a dit Jésus. Le Juif ne pouvait l’ignorer. Pourquoi cette périphrase : l’un de ceux qui ont été châtiés avec toi, si Jean-Baptiste a été décapité, et avant Jésus-Christ, ainsi que le soutient l’Église ? Le Juif Ne pouvait ignorer ni Jean, ni sa décapitation, si ce que L’Église en rapporte est vrai. La création de Jean distinct du Christ et sa décapitation ne sont donc que des inventions de l’Église[7]. 6° Il n’y a si bien qu’un personnage humain, au Jourdain, Jean ou Christ, ou Jésus-Christ, — qu’importe le nom ? — que la Colombe, c’est le Jésus céleste, rien du Jésus-Christ évangélique. Elle est le symbole de l’Esprit, sa représentation pneumatique, fantôme ailé, qui descend sur le Christ historique, Iôannès, mué évangéliquement en Jésus-Christ. La Colombe, C’est Jésus, émanation, puissance émanée de Dieu. Si Jésus est là, il fait double emploi, avec la Colombe. Tel est le dispositif originaire, éclos dans les fables cérinthiennes, montrant comment le Dieu-Jésus est descendu sur le Christ, sur le Iôannès, sans que nous sachions si c’est au moment où il se purifiait symboliquement par un bain. C’est probable. La Colombe, à ce moment, IEmOnA, IEOA, tétragramme du nom ineffable du Dieu Juif, apporte au Iôannès qu’il pénètre, le Verbe, le Dieu Jésus. C’est pour cacher l’origine gnostique de toute la fable évangélique que les Scribes, brodant sur la mythologie cérinthienne, et matérialisant en trois corps Jean, Jésus, la Colombe, ont abouti à cette monstruosité, — un homme baptisant un dieu ! — du baptême de Jésus par Jean. Pour conclure, j’affirmerai qu’aucun homme de raison saine, discutant avec logique et en toute bonne foi, ne peut admettre comme sincère, reproduisant la vérité historique, le discours du Juif que le pseudo-Origène met en scène, comme le porte-parole de Celse. Ce qu’il lui fait dire constitue de maladroites, contradictoires et confuses allégations destinées à noyer la vérité, en jetant dans l’esprit tous les doutes, avec une tendance jésuitique à insinuer comme vrais les mensonges et les fraudes ecclésiastiques. En conséquence, je tiens pour une manœuvre d’imposture cette phrase que le pseudo-Origène prête au Juif, à cinq alinéa du passage rapporté ci-dessus : Si quelqu’un a prédit que le Fils de Dieu devait descendre dans le monde, c’est un des nôtres, un prophète inspiré par notre Dieu, Jean, qui a baptisé votre Jésus ; et Jésus même, né parmi nous, était aussi un des nôtres, vivait selon notre Loi et observait nos rites. Certes, Jean, l’évangéliste, à la condition de se souvenir qu’on lui a fait voler la peau de Cérinthe et son Évangile, a bien, non pas prédit que le Fils de Dieu devait descendre dans le monde, mais, en l’introduisant par droit d’allégorie anthropomorphique, l’a fait descendre, par la Colombe, messagère divine depuis le Déluge, dans le corps humain du Iôannès = Jean, Christ historique. Quant à l’addition : que Jean a baptisé Jésus, chair lui-même et distinct de Jean, créer Jean-Baptiste, c’est transposer le mythe métaphysique de l’Aeôn cérinthien dans le sens catholique, donnant à l’Aeôn-Jésus, émanation immatérielle de Dieu, qui la transmet par la Colombe, IEmOnA, un corps hylique, de chair ; c’est frauduleusement transformer en être biologique, appartenant à l’histoire, un fantôme de la spéculation maladive de mythologues juifs, une création pure de l’esprit. Et ce n’est pas non plus Jésus, dieu imaginaire, qui n’est Juif que parce qu’il est une invention de Juifs, et à ce titre, il est aussi, en effet, né parmi eux, ce n’est point Jésus qui a vécu selon la Loi juive, observant les rites juifs, c’est son appui de chair, le Christ crucifié par Ponce-Pilate, en qui on l’a finalement incarné. S’il faut comprendre ce que dit à ce sujet le pseudo-Origène, dans le sens catholique, si Jean-Baptiste distinct du Christ, a annoncé Jésus, donné comme le crucifié de Ponce-Pilate, et l’a baptisé, si, vers 180, Celse, épicurien, a écrit la phrase ci-dessus, qui témoigne d’un fait important, connu, illustre, que personne ne pouvait ignorer, puisqu’il est dans les Évangiles, donnés alors comme parus, comment expliquer que Justin, Saint-Justin, qui a vécu de l’an 100 à l’an 160, dans ses Apologies, où il devait immanquablement en faire état, ignore Jean, ne le cite pas, ne lui fasse pas baptiser Jésus, et qu’il soit, en un mot, moins bien renseigné qu’un vil païen sur l’histoire de son dieu ? C’est ce que, à défaut de l’Église, qui lie saurait, et qui se garde d’attirer l’attention sur ce silence, je vais, tout modestement, vous faire comprendre ! Le véritable Celse.Car, quoi qu’en disent les érudits de toutes robes, il s’agit maintenant de savoir qui était et quel est le Celse, auteur du Discours de Vérité, dont la réfutation porte le nom d’Origène, et de quelle époque exacte est ce Discours et la réfutation qu’on en produit. L’histoire romaine fait mention de trois Celse (Celsus) : 1° Celsus (Cornelius Aulus), médecin et érudit du temps d’Auguste. Ce n’est pas notre Celse. 2° Celsus, philosophe épicurien du temps de Lucien de Samosate, du IIe siècle. C’est celui que l’Église prétend être l’auteur du Discours de Vérité, écrit vers 180, et que, entre 246 et 250, Origène aurait réfuté[8]. 3° Celsus, ami de l’Empereur Julien, l’Apostat, l’un de ses plus chers compagnons d’études aux écoles d’Athènes, élève, ami et admirateur de Libanius, Celsus que Julien fit gouverneur de Cappadoce, Cilicie, et préteur de Bithynie[9]. Celse était platonicien avec une tendance au stoïcisme, ce qui n’a rien de contradictoire, au contraire. C’est lui, c’est ce Celse, ami de Julien, qui est l’auteur du Discours de vérité, au IVe siècle, qu’Origène n’a pas pu, vivant au IIIe, réfuter[10]. Lorsque Julien, revenant de défendre les Gaules contre les germains, arriva en Asie-Mineure pour préparer son expédition contre les Perses, au cours de laquelle il devait être assassiné par un javelot que lança traîtreusement une main chrétienne, il fut salué à son passage à Pylas par Celse. Et Julien, prenant Celse dans sa voiture, le ramena à Tarse. Nous sommes en 362. C’est l’année où Julien va faire déterrer à Machéron, le corps du mort que les Juifs adorent comme un dieu, soit le corps du Christ, sous son pseudonyme apocalyptique de Iôannès-Jean, et, le corps retrouvé, en fera brûler les ossements[11]. L’Église ayant décidé, pour accomplir toute justice, comme dit Jésus à Jean dans le Selon-Matthieu, lorsqu’il se présente pour être baptisé, que le Discours de vérité serait du Celse, épicurien, du IIe siècle, et qu’Origène le réfuterait au IIIe, ne pouvait faire autrement que d’ignorer le Celse, du IVe. Tout de même, on ne peut lire l’Anti-Celse, sans se persuader, immédiatement, que le scribe qui réfute Celse confond à dessein les deux Celse, et, s’il les confond, c’est qu’il écrit au temps ou après le temps où a vécu le second. Ce scribe ne peut donc pas être Origène, qui est mort vers 254. Censé écrire IIIe siècle, vers 246-249, quatre ou cinq ans avant la mort du véritable Origène le scribe dit que le Celse auquel il a affaire et répond est mort depuis longtemps déjà et il le donne comme philosophe épicurien afin d’aiguiller le lecteur sur le Celse ami de Lucien qui aurait écrit le Discours de vérité, vers 180. Une première objection vient à l’esprit. Comment ? Une œuvre aussi terrible que le Discours de vérité contre les chrétiens les apologistes du christianisme auraient attendu soixante-dix ans pour y répondre ? malgré sa très grande opportunité, le livre de Celse passa inaperçu de son vivant ? Les écrivains chrétiens de la fin du second siècle et du commencement du troisième n’en parlent jamais ?[12] Porphyre ne le connaît pas, ni Méliton évêque de Sardes, ni Apollinaire d’Hiérapolis ni Athénagore, ni Aristide, qui, tous, passent pour avoir adressé des apologies aux empereurs. tels que Marc-Aurèle et Commode, pour répondre aux ouvrages et aux soi-disant calomnies dirigées contre les chrétiens. Pour expliquer ce silence, le scribe de l’Anti-Celse nous raconte une histoire. Un riche alexandrin, Ambroise — voyez percer le bout de l’oreille de l’évêque de Milan, qui convertit Augustin par l’appât de l’évêché d’Hippone, — attrait, par hasard, bibliophile curieux, à l’affût de toutes les nouveautés religieuses (parues depuis soixante-dix ans, pour le Discours de vérité), protecteur et fauteur d’Origène, découvert le livre de Celse à qui il l’aurait envoyé, avec prière instante de le réfuter. Après des feintes d’hésitation, Origène, pour réfuter les quatre livres, pas bien gros, dont se compose le Discours de vérité, en aurait écrit huit, que, quel que soit leur autour, nous avons[13]. Partant en guerre contre le Celse de Lucien, le scribe de l’Anti-Celse est bien obligé d’abord de le donner comme philosophe épicurien. Toutefois, comme tous les extraits qu’il cite de Celse sont d’un philosophe purement platonicien, — sauf un, imitation d’un passage de Lucien, sur les femmes dont l’esprit ne correspond pas à leur beauté, il fait semblant d’avoir des doutes sur l’épicuréisme de son Celse, et plus il avance dans sa réfutation, plus il en manifeste. Pour se dérober, il en est réduit à prétendre que les autres ouvrages de son adversaire sont d’un épicurien[14]. Et alors il faut lire les explications du scribe, pour voir avec, quel embarras il parle du Celse contre qui il aiguise son calame. Il ne peut dire quel est ce Celse (il le sait mieux que personne), de quel pays il est, ne l’appelant continuellement que Celse l’épicurien ou l’athée (deux mensonges effrontés contre la vérité criée par tous les extraits qu’il cite), à quelle secte philosophique il appartient (troisième, mensonge). Jamais faussaire, pour frauder la vérité qu’il étale lui-même, qu’il lui est impossible de ne pas étaler, n’eut pareille intrépidité dans l’imposture cynique, dans le démenti donné à soi-même et sans vouloir en convenir. On dit — qui, on ? et où ? et quand ? — qu’il y eut deux Celse épicuriens, écrit-il au commencement de son livre, le premier qui a vécu au temps de Néron (oncques n’en entendit-on parler et le dictionnaire Larousse-Augé, à qui ne répugnent pas les bourdes ecclésiastiques, ne le cite pas), l’autre, qui est celui auquel j’ai affaire, qui vécut au temps d’Hadrien et au delà. Oui, plus de deux cents ans au delà. En effet, il y a eu deux Celse, — à part le médecin du temps d’Auguste : le Celse épicurien, ami de Lucien, qui n’a écrit de livre que contre la magie, et c’est celui que le vrai Origène aurait pu réfuter, celui auquel le pseudo-Origène dit faussement qu’il a affaire, — le Celse du temps de Néron est un Celse de plus, inventé par le scribe de l’Anti-Celse, — et le Celse ami de Julien, qui est donc du IVe siècle, le Celse platonicien, auquel à affaire le faussaire, en essayant de faire croire que c’est le Celse épicurien du IIe siècle. Le pseudo-Origène ment, et il sait si bien qu’il ment, que, ayant affaire au Celse platonicien, préteur de Bithynie, auteur du Discours de vérité, au IVe siècle, et après lui avoir mis le masque du Celse épicurien. Il l’accuse de prendre un masque, — celui qu’il lui met —, de s’exprimer en fidèle disciple de Platon, et de dissimuler ses sentiments épicuriens. Pourquoi le Celse du IIe siècle, qui a écrit sur la magie, à qui Lucien, son ami, dédie, vers 180, son traité sur Alexandre d’Abonotichos, — une autre espèce de marchand de Christ comme Apollos, Pérégrinos, Simon de Gitta, etc., — pour venger Épicure, cet homme vraiment sacré, ce divin génie, vengeance que je sais n’être point pour te déplaire, dit Lucien, pourquoi ce Celse, si fervent épicurien, classé comme tel, dissimulerait-il ses sentiments ? Le pseudo-Origène devrait au moins nous le dire. Ou bien, il les a abjurés, opine le pseudo-Origène, qui croit que les reniements de Simon-Pierre sont le fait de tout le monde. Et le faussaire achève, — écoutez bien : ou alors, il (mon Celse) n’a de commun que le nom avec l’épicurien Celse. Enfin ! Nous y voilà ! Le pseudo-Origène confesse la vérité ! Il faut la lui arracher comme une dent. Il est surprenant, après cela, que les exégètes et les érudits, sans parvenir à se mettre d’accord sur le Celse, auteur du Discours véritable, tiennent cependant son ouvrage comme datant du IIe siècle, et sa réfutation l’Anti-Celse, même avancée par rapport à sa vraie date jusqu’au temps d’Origène, du IIIe, alors qu’il laisse assez entrevoir qu’il n’est pas dupe de la farce qu’il joue, — mon Celse n’a de commun que le nom avec l’épicurien Celse, — mêlant le souvenir de Celse, ami de Julien, à sa réfutation, rien qu’en le signalant comme platonicien, et aussi, alors qu’il parle du christianisme et en brosse un tableau, qui n’est vrai et ne petit être exact qu’aux IVe et Ve siècles ; vigoureux organisme de l’église chrétienne, fixité des dogmes, évangiles faits, opposition et antagonisme aigu du paganisme et du christianisme, disparition à peu près totale des sectes, scission avec le judaïsme probable, unité déjà presque réalisée de l’institution catholique[15]. Le Discours de vérité se termine par un appel à la concorde, à la paix des âmes, à l’union de tous les bons citoyens dans la défense de la civilisation contre les Barbares qui la menacent, et, comme cette péroraison n’est due qu’à la plume du pseudo-Origène et non à Celse, on peut en conclure que l’ouvrage l’Anti-Celse est d’une époque où le christianisme est à égalité avec le paganisme. Sa victoire est prochaine. Il pare, par l’appel à la concorde, aux retours offensifs du paganisme, qu’il essaie d’endormir, d’amadouer, tandis qu’il ne cessera pas lui-même son prosélytisme fanatique. Il offre la paix, à la faveur de laquelle sa propagande persévérante travaillera à son triomphe. Au IIIe, siècle, sa manière était toute différente[16]. Il se défend et il attaque, avec toutes les armes et tous les procédés des minorités, criant à la persécution, prenant des attitudes de martyr. Dans Celse, rien de ce caractère. Il tend à ses ennemis le rameau d’olivier. De révolutionnaire, il devient parti de gouvernement, pour s’emparer du pouvoir. L’Église nous dit que, dans de volumineuses compositions, Apollinaire (saint Apollinaire qui distingue encore le Dieu-Jésus ou Verbe du corps du Christ), Méthodius, Eusèbe, Philostorge, tous personnages du IVe siècle, ont réfuté Celse, sans préciser duquel il s’agit. L’Église a fait disparaître ces compositions, à supposer qu’elles aient existé, car adversaires et apologistes du christianisme les ont ignorées. Peut-être, en dehors de la personnalité d’un Celse quelconque, a-t-on fait passer dans l’Anti-Celse quelques traits de leur argumentation contre les dieux du paganisme et en faveur du christianisme. Il y a dans l’Anti-Celse beaucoup de lieux communs métaphysiques et mythologiques, des poncifs. C’est que le pseudo-Origène a beau se targuer de reproduire avec une conscience scrupuleuse, — à la manière d’Eusèbe, — les arguments de Celse, d’éprouver continu à la pierre de touche chacune des paroles de son adversaire, de ne pas éluder volontairement les articles de Celse, faute d’y pouvoir répliquer, et d’y répondre en greffier[17], l’examen de l’ouvrage prouve, qu’il ne prend ces précautions que pour nous persuader de sa bonne foi qui est nulle et ôter au Discours de vérité sa vraie substance historique. Sans parler des abréviations et des suppressions importantes dans le détail, que nul ne conteste, des interversions et des déplacements de textes qui rompent l’enchaînement des idées et les faussent il n’est pas douteux que les parties les plus intéressante de Celse ont été coupées, et d’autres sophistiquées, toutes celles surtout qui touchent à des faits d’histoire. D’autre part, comment ne pas s’apercevoir que le Celse conservé dans la réfutation argumente souvent contre le christianisme si sottement qu’il porte des coups au paganisme qu’il prétend défendre, et qu’il le frappe non seulement dans ses éléments positifs, mais dans son principe même. Celse connaissait Platon, pour l’avoir étudié à Athènes avec Julien, et le christianisme d’alors, dans ses origines, son histoire, sa légende, mieux qu’il n’y paraît dans le pseudo-Origène. Pour se donner la répartie facile, le scribe prête à Celse des raisonnements qui, sans atteindre le ridicule, y confinent souvent. Passons, car il faut se borner[18]. L’Anti-Celse, saint Paul et Julien.Que l’auteur de l’Anti-Celse évolue au temps du Celse de Julien ou peu après, une preuve encore. Dans les ouvrages écrits par Julien et son entourage pour dénoncer la fourberie purement humaine des écritures chrétiennes, une place spéciale était certainement réservée à la mystification de l’apôtre Paul, dont Julien dit encore : Paulos est le plus fieffé charlatan qui ait jamais paru. Cette phrase est une modification ecclésiastique, pour donner à saint Paul une existence réelle, du texte de Julien qui racontait comment on avait inventé cet apôtre sur le modèle des Apollos, des Pérégrinus, etc. Et ce qui le prouve et qui prouve aussi que le Discours de vérité est du temps de Julien, c’est que l’Anti-Celse se préoccupe de répondre à Julien, ami du Celse qu’il réfute, sur la question de Paul. Oh ! pour lui, Paul a bien existé. Il va même le faire authentiquer par Celse. Il s’étonne, en effet, que Celse ait négligé ou oublié de parler de saint Paul qui, après Jésus, est celui qui a fondé les Eglises chrétiennes. Dites, après cette affirmation, qu’il est un personnage inventé ! Mais si Celse n’a pas parlé de saint Paul, sachant quelle imposture est à la base de l’invention de cet apôtre, le scribe qui prétend le réfuter va astucieusement vous aiguiller sur saint Paul, dans Celse lui-même. Car s’il s’étonne, c’est pour que, contre son étonnement qui vous a poussé à bien lire, il ne vous échappe pas que l’on trouve, dans les extraits de Celse qu’il cite, des phrases propres aux Épîtres de Paul. Celse a beau ne pas parler de Paul, il le cite. Donc Paul a existé. Bien plus ! Le pseudo-Origène, avec une mauvaise foi cynique, va accuser Celse d’avoir falsifié une pensée de l’apôtre. Ce n’est pas vrai. Le scribe se fera traiter de menteur. Mais qu’est-ce que ça lui fait ? Qui veut la fin veut les moyens. Ce qu’il cherche, son but, c’est de prouver que Celse, vers 150, a connu saint Paul et ses épîtres, qui ne vinrent que vers 170-200. On cite saint Paul, on falsifie ses Épîtres, vous voyez bien que l’un et les autres existaient. Une imposture, — c’est ce qu’on a traduit par fieffé charlatan, — saint Paul ! Charlatan ? Qu’importe l’injure ? On verra qu’en penser. Il fut ! c’est l’essentiel. Et c’est vous Celse, c’est vous Julien qui êtes des imposteurs, de le nier, — des imposteurs, des insolents et des sophistes[19]. Un dernier mot, à propos de la charlatanerie de Paul. Celse, relevant les divisions des sectes chrétiennes, accusant les chrétiens de se charger à l’envie les uns les autres de toutes les injures, animés les uns contre les autres d’une, haine mortelle, échangeant dans leurs querelles les pires outrages, ajoute qu’ils ont tous à la bouche leur mot : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde ! On ne voit pas bien le rapport de ce mot avec ce qui précède. Il devait y avoir autre chose. Mais c’est un mot qui rappelle l’épître aux Galates (VI, 14) : Dieu me garde de me glorifier, y dit saint Paul, si ce n’est en la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par laquelle le monde est crucifié à mon égard, et moi, à l’égard du monde ! Ce qui, à part la proposition initiale, n’a d’ailleurs aucun sens. Le pseudo-Origène conclut (V, 6, 1) : C’est tout ce que Celse a retenu de saint Paul. Sans en parler, n’est-ce pas ? En quoi, le scribe exagère. Celse n’a rien ignoré, ni oublié de saint Paul, inventé plus de cent ans environ auparavant. Le peu que le scribe laisse passer dans sa réfutation, prouve que Celse a mieux qu’une connaissance superficielle des écrits apocryphes mis sous le nom de Paul. Mais, encore une fois, peu importe au scribe qu’on le démente sur ces à-côtés. Peut-être même tient-il à ce qu’on ne discute que ses erreurs, voulues. Cependant, la discussion sur l’existence historique de Paul se trouvera écartée. Ce qu’il veut, c’est faire croire que Celse, vers 150, c’est-à-dire bien avant qu’on ait inventé saint Paul, entre 170 et 200, ainsi que le disait Celse, — que ne reproduit pas en ceci le pseudo-Origène, — a connu les Épîtres de Paul, et Paul lui-même, puisque, plus ou moins, il en a retenu quelque chose. Que de peine pour effacer cette certitude que si Paul est un fieffé charlatan, comme on le fait dire à Julien, c’est que toute l’histoire de Paul est une, charlatanesque imposture ! Lactance et le Juge de Bithynie.Le Discours de vérité de Celse est si peu passé inaperçu, quoique pense L. Rougier, que, non contente d’y faire répondre, au IVe siècle, par un pseudo-Origène de son invention, qui feint de ne pas savoir à quel Celse il a affaire, tout en faisant croire que c’est le Celse du IIe siècle, l’Église produit, sous la signature de Lactance, une réfutation d’un ouvrage dont le titre serait : Philaléthiéis, (livres) Amis de la Vérité, adressés aux chrétiens, dont l’auteur n’est pas nommé, qui n’est, désigné que par sa fonction — le Juge (ou préteur) de Bithynie. L’ouvrage est le Discours de vérité, et l’auteur est Celse[20]. L’examen et l’étude de la réfutation de Lactance montrent à l’évidence qu’il ne fait, comme le pseudo-Origène, que répondre au Discours de vérité de Celse. Elle est une deuxième mouture de l’Anti-Celse, jusque dans sa conclusion pacifique[21]. Le Juge de Bithynie est plus que le sosie de Celse. C’est Celse lui-même. Toutefois, en mettant cette réfutation sous le nom de Lactance, — Lactance est mort en 325, — l’Église fait vivre le Juge, de Bithynie avant le règne de Julien, pour qu’ainsi, on ne reconnaisse pas en lui l’ami de cet empereur, le Celse du Discours de vérité. Mais cette imposture sera jugée par ce seul fait que la réfutation de Lactance, s’adressant à Constantin, prouve que son auteur connaît la chronologie établie par Denys le Petit, puisqu’il l’admet sans discussion. Or, Denys le Petit c’est la fin du Ve siècle. Tout ce qui est écrit et porte la signature de Lactance est apocryphe, c’est-à-dire frauduleux[22]. |
[1] Deux observations sur ce début. D’abord, d’où vient Jésus ? C’est la première fois qu’il apparaît dans cet Évangile. Les autres, Matthieu el Luc tout au moins, l’ont fait naître, grandir, et le Selon-Marc, qui l’introduit aussi ex-abrupto, comme le Selon-Jean, le fait venir de quelque part, de Nazareth, ville de Galilée. Dans le Selon-Jean, il vient on ne sait d’où. Il tombe du ciel, du sein de Dieu. Et on le comprend très bien quand on lit, dans Pistis-Sophia, où nous allons rencontrer la Colombe, que Jésus vient du premier Mystère, qui est le Père à la ressemblance de la Colombe.
Ensuite, comment Jean peut-il dire, de Jésus : Je ne le connaissais pas ? Et il le répètera trois lignes plus loin. Élisabeth, sa mère, est la cousine de Marie, mère de Jésus. Elisabeth enceinte de six mois, a reçu la visite de Marie. Leurs deux fils sont cousins. On aime à croire qu’ils ont joué ensemble, enfants, que leurs deux familles les ont réunis dans des fêtes et aux vacances. Du moins, en se plaçant sur le terrain des fraudes évangéliques. Mais si Jésus est le Dieu-Jésus inventé par les gnostiques au IIe siècle, et Jean, le Christ de chair, crucifié au premier par Ponce-Pilate, alors tout s’explique, tout s’éclaire. Je ne le connaissais pas ! Comme c’est vrai ! Non, il ne le connaissait pas, certes, ce Jésus dont il ne se doutait pas qu’il serait capable, comme Mercure fit à Sosie, de lui voler son corps, sa vie, sa croix, sa gloire de Messie. Je ne dis pas son nom, car enfin, faut-il bien qu’on puisse le désigner de quelque manière. Même, de Christ, Jean, dévalisé, car enfin faut-il bien qu’il soit quelque chose, deviendra le Précurseur, le baptiste.
[2] Mais oui, il se répète. Il tient à ce que le trait n’échappe pas au lecteur peu attentif. Ces phrases des Évangiles font un tel ronron On est vite distrait. Je ne le connaissais pas. Il est le Dieu-Jésus du IIe siècle. Moi, je suis du premier. Je m’appelle... je m’appelle... Quel était donc mon nom de circoncision ? Je fus le Christ, crucifié par Ponce-Pilate. Les histoires de Zacharie, d’Élisabeth ? les visites de ma mère Marie à sa cousine ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Je ne connais pas. Je le lui apprendrai quand je vous expliquerai sa Nativité.
[3] J’ai souligné à diverses reprises, dans l’Énigme de Jésus-Christ, pour la Colombe et pour Zacharie = Zébédée, toute les évocations d’idées qui résultent du thème zodiacal et qui foisonnent dans les Évangiles : baptême, lac, sources, poissons, barque, pêche, piscines, Beth-Saïda, maison de pêche, etc. Je n’y reviens pas.
[4] Dans la première Épître de Pierre (III, 19-21), le scribe assimile l’arche de Noé au baptême : C’est par ce même Esprit (de Dieu) que Christ (pas Jésus-Christ) est allé prêcher aux esprits retenus en prison, qui furent autrefois rebelles, lorsque, du temps de Noé... se construisait l’arche dans laquelle... huit personnes furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui maintenant vous sauve, etc. L’arche baptismale vogue à pleines voiles. Et le baptême qui sauve, c’est toujours le baptême de Jean, le baptême d’eau. Pas de baptême du Saint-Esprit. L’Épître de Pierre, fausse, mais ancienne, est une preuve que Jésus-Christ n’est pas inventé et n’existe pas avant la fin du IIe siècle.
[5] Talmud J. Sabbat, XII, 4 et 6. Sabbat, 104 b. Bert-Sotadà veut dire Fils de la déviation. Le Talmud fait allusion à l’adultère, de David avec Bethsabée, femme d’Uri. La postérité qu’il en eut, parmi laquelle Joseph et Marie, et donc leurs fils et filles, sont le fruit d’une déviation dans la lignée pure. Marie est Sotada et son fils, Ben-Sotada. Voir Ben Sota (Talmud de Tibériade) et Théologie catholique de Wagenseil au mot Sota.
[6] P. 66 de la traduction Amélineau.
[7] Je tiens enfin à faire observer que, dans la réplique du pseudo-Origène (IVe siècle), ces expressions : 1° Ce Juif, qui se mêle d’équivoquer..., 2° les Juifs (pourquoi pas les chrétiens ? distinguent bien deux personnes, etc., laissent suffisamment entendre, comme je l’ai toujours déclaré et comme tout le prouve que le christianisme, à l’époque de Julien, de Celse et de l’Anti-Celse n’est encore et surtout qu’affaire entre Juifs, — pour la controverse tout au moins. Et j’ai l’impertinence de penser que le Juif de Celse est une invention du pseudo-Origène, discussion de famille, toujours. Celse a bien pu émettre certaines des vérités, — peu nombreuses, d’ailleurs, sur les faits historiques, que l’Anti-Celse prête au Juif, en noyant ces quelques vérités dans un océan d’impostures, mais jamais je ne croirai que Celse ait eu besoin d’un Juif pour dire ce qu’il savait et avait à dire.
[8] Ce qui est sûr, c’est que ce Celsus, et l’Église a fondé sur ce fait la confusion qu’elle a créée entre les Celse, avait écrit un livre contre la magie et les magiciens, où il devait parler du Christ juif, à cause de la Colombe, notamment, et autres tours de prestidigitation. Voir § Mahomet et le Koran, chap. V sur les Nativités. L’Église n’a pas cru devoir nous conserver cet ouvrage. Le Nouveau Dictionnaire Larousse illustré (direction Claude Augé) adopte sur ce Celse, dont il fait un philosophe platonicien, — il va même plus loin que le scribe Origène, vrai ou faux, qui sait que le Celse du IIe siècle est épicurien, et le dit, — les impostures ecclésiastiques. Quant au troisième Celse, — le véritable auteur du Discours de Vérité, qui vécut au IVe siècle, et dont nous allons parler, inutile de dire qu’il n’a pas trouvé place dans le Dictionnaire Larousse. Les forces liguées pour la perpétuité du mensonge, conscientes ou inconscientes, de bonne ou de mauvaise foi, sont incommensurables.
[9] Puisque le Dictionnaire Larousse l’ignore, indiquons-lui, pour correction, dans une prochaine édition, nos sources : 1° L’historien Ammien Marcellin ; 2° les Lettres de Libanus (n° 648 notamment) ; 3° l’ouvrage de M. Paul Allard, sur Julien, qui n’est pas suspect d’hétérodoxie (tome 1er, p. 327 notamment).
[10] Sur ce point, d’une importance primordiale, pour la reconstitution de l’Histoire du Christianisme, j’ai encore le regret d’être en désaccord avec d’illustres érudits Renan, Pélagaud, Aubé, Harnack, Grats, Hudenbach, Volkmar, etc., et le dernier venu Louis Rougier. J’en suis navré. Keim, Hein, Neumann, Kœtschau sont d’avis que l’auteur du Discours de Vérité n’est pas le Celse, épicurien, ami de Lucien, du IIe siècle. Mais ils ne vont pas jusqu’à retrouver le vrai Celse.
[11] Je m’étendrai sur ce point, au titre : La décapitation de Jean-Baptiste, Toute chose en son temps. Toutefois, je ne puis pas ne pas signaler ici, comme une des plus convaincantes preuves de détail que l’Anti-Celse n’est pas une réfutation du Celse épicurien du IIe siècle, mais du Celse, ami de Julien, au IVe, une allusion directe à l’événement, que les auteurs chrétiens appellent : Profanation des reliques (des restes) de Jean. Le réfutateur de Celse, oubliant qu’il écrit censément au IIIe siècle, contre un auteur du IIe, déclare : Croyez que celui qui je vous parle est vraiment le Fils de Dieu, encore qu’il ait été lié honteusement et soumis au supplice le plus infâmant (sous Ponce-Pilate) et encore que TOUT RÉCEMMENT il ait été traité avec la dernière ignominie. Voir Louis Rougier, Celse, p. 393, Restauration du Discours vrai, IV, 67.
Rien que ce bout de phrase date l’Anti-Celse, après 362. Si le trait n’est pas le rappel de la profanation des reliques du mort que les Juifs adorent comme un dieu, à quoi l’appliquer ? Je cherche, en dehors de la Crucifixion, quel fait de l’histoire, même ecclésiastique, autre que la profanation des reste du Christ, motive l’allégation de l’Anti-Celse. Quand, au IIe siècle, le Christ a-t-il été traité, dans sa personne physique, avec la dernière ignominie ? Aux IIe et même IIIe siècles ? Dans quelles circonstances ? J’attends des érudits qui attribuent l’Anti-Celse à Origène et font du Celse qu’il réfute le Celse, épicurien, ami de Lucien, au IIe siècle, qu’ils apportent une réponse autre que puérile, à cette question.
Il est un autre cas, une autre allusion directe à Julien, qui prouve, par un trait de détail encore, que l’Anti-Celse n’est pas d’Origène, au IIIe siècle. C’est quand il y est dit que les divinités n’ont besoin ni du sang ni de la graisse brûlée des victimes, genre d’exercice auquel, d’après l’Église, se serait livré Julien avec une intempérance rare.
[12] Celse, par Louis Rougier, p. 57. J’ai mis sous forme interrogative les deux phrases, qui sont des affirmations chez Louis rougier. Sauf quelques réserves : si toutefois le Celse d’Origène est bien celui de Lucien, qu’Origène identifie, par simple conjecture, à l’auteur du Discours de Vérité, Louis Rougier semble bien admettre que le Celse d’Origène est celui de Lucien. Il n’hésite même pas, — rien n’est plus aisé, dit-il, — à dater l’ouvrage en l’an 178. Toute son argumentation, pp. 51 et 55, repose sur les allusions de l’ouvrage à la situation de l’empire, à la menace des Barbares, à la prescription des chrétiens. Mais ce sont là des arguments qui sont tout aussi vrais, plus même, du temps de Julien. Et nous montrerons par d’autres arguments plus précis, quant aux faits, qu’Origène n’aurait pas pu, au IIIe siècle, écrire une œuvre que son allure date du IVe et plutôt de la fin, et dont certains détails nous poussent an commencement du Ve. L’Anti-Celse ne saurait avoir été composé pendant l’été de 178, contrairement à l’affirmation de Louis Rougier. Je déplorerais un tel aveuglement, chez un auteur dont j’admire la critique littéraire, — Je ne dis pas historique, — dont le Celse fait par ailleurs mon admiration, si je n’étais habitué à rencontrer chez les universitaires l’impossibilité de se dégager et de s’affranchir des préjugés traditionnels sur les origines du Christianisme. Louis Rougier qui relève deux sommations d’Origène à Celse, pour qu’il s’explique, ne s’aperçoit même pas de la pantalonnade que sont ces deux sommations à un homme qu’Origène a dit être mort depuis longtemps. Et j’en passe.
[13] C’est méconnaître étrangement la psychologie chrétienne, — et alors, pourquoi discuter sur le christianisme, que de s’imaginer qu’un livre tel que le Discours de Vérité, s’il n’avait eu aucun retentissement, s’il était passé inaperçu, au point qu’il n’en restât qu’un exemplaire obscur enfoui dans une bibliothèque qu’on avait hâte de brûler, des chrétiens insignes seraient allés le déterrer pour en faire faire une réfutation qui, même faussant les textes, les coupant, les présentant de façon tendancieuse devait pousser les curieux à rechercher l’original, et lui donner une grande vogue, en le produisant au grand jour des polémiques.
L’organisation qui a inventé l’index, contre les livres qu’elle n’a plus le pouvoir de détruire, aime mieux faire le silence, la conspiration du silence sur ces livres, à qui la critique et la discussion font une publicité que l’on redoute. Pour que l’Église ait cru devoir réfuter l’ouvrage de Celse, en attendant qu’elle le fasse disparaître quand elle l’a pu, et mettre la réfutation sous le nom d’Origène pour l’antidater de deux siècles, ou d’un siècle et demi, c’est que l’ouvrage a fait du bruit, c’est certain. Tout le prouve, et jusqu’au ton nonchalant, homélistique, patelin, que prend le réfutateur, pour nous en conter, avant d’entrer en matière : Jésus calomnié garda le silence. Aujourd’hui où on l’attaque, il se défend simplement par la conduite et la vie de ses vrais disciples, ce qui est la manière de confondre ses accusateurs. Oui, bien sûr. Mais alors pourquoi écrire huit livres pour en réfuter quatre, — et qui sont passés inaperçus, que l’on déterre après soixante-dix ans de silence ? Nous sommes en pleine littérature apocryphe.
[14] Il jette ainsi dans le débat les livres de Celse, épicurien, du IIe siècle, sur la magie. Tour d’Escolar. Le Celse que le scribe de l’Anti-Celse essaie de réfuter est si peu épicurien, que, parmi les nombreux philosophes qu’il cite dans les extraits du Discours de vérité (sept dixièmes de l’ouvrage mot pour mot et neuf dixième, en substance), il ne nomme pas une seule fois Épicure.
[15] Plusieurs sectes, citées par Celse, ne pouvaient lui être connues, comme postérieures au IIe siècle. Telle la secte des Marcelliniens, dont l’auteur fut au milieu du IVe siècle, un adversaire de l’arianisme. S’il a connu les carpocratiens, c’est de justesse ; leur secte date de la fin du IIe siècle. D’ailleurs ce qu’il dit de la haine mutuelle de ces sectes n’est pas vrai au IIe siècle, à peine au IIIe, mais surtout au IVe.
Il est des cas où ce pseudo-Origène entre tout de même dans la vérité de l’histoire. Il faut bien que de temps à autre il se mette dans la peau d’un homme des IIe et IIe siècles. C’est notamment quand il dit que les affiliés chrétiens tiennent des réunions clandestines et illicites, pour enseigner et pratiquer leurs doctrines (Préf., 1). Ils n’ont pas d’églises encore, et ceci est conforme au témoignage de Minutius Felix et de Tertullien qui déclarent que jusqu’aux premières années du IIIe siècle, les chrétiens n’eurent ni temples ni autels. Ils ont la synagogue. Origène, le vrai, dit (In Matt., 28) que sous Maximin, mort en 235, plusieurs églises furent détruites ou brûlées. Elles venaient donc à peine de sortir de terre.
[16] Je m’en voudrais de ne pas citer ici Louis Rougier, parlant de Celse (p. 53). Plus encore qu’un philosophe, Celse est un patriote... qu’inquiète la menace des Barbares suspendue sur l’empire comme une épée de Damoclès (oui, mais cela n’est vraiment vrai qu’aux IVe et Ve siècles). Lucien, dilettante convaincu de l’incurable sottise humaine, s’en divertit à la façon d’un Voltaire, d’un Flaubert ou d’un France (Lucien a-t-il vu la menace des Barbares ? S’en divertit-il ? Je n’ai rien trouvé à cet égard dans Lucien. Et son ami Celse, l’épicurien, n’a pu s’émouvoir. Au IIe siècle cette menace n’apparaît pas). Celse (il est bien du IVe siècle) a pour principale préoccupation le salut de l’État. Avec une sagacité sans égale, il pronostique la baisse du sentiment patriotique qu’entraînerait le triomphe du christianisme, et prophétise l’invasion des Barbares comme son issue naturelle : ce serait le naufrage de la civilisation.
Comment, ayant écrit ces lignes, entre autres, Louis Rougier peut-il croire qu’un Celse aurait eu de pareilles appréhensions, au IIe siècle ? Au IVe, Constantin, chef d’un empire que le christianisme mine déjà, ne les a pas, et donne an christianisme droit de cité. Il introduit l’ennemi dans la place. Celse, outre les raisons de vérité, n’est contre le christianisme que parce qu’il va ruiner la domination romaine. C’est là un point de vue qui n’est possible qu’au IVe siècle.
[17] Expression remarquable dont nous reparlerons ci-dessous : sungraphikôs agonisasthaï.
[18] Pour me résumer, je citerai la conclusion de Mr. B. Aubé, qui a écrit une étude critique sur Celse, et tenté une reconstitution du texte. Étude d’une critique pénétrante, aiguisée, qui, sur le terrain où il se place, — il croit au christianisme tel que les Évangiles le présentent, — n’a pas été dépassée, ni même atteinte. A ce point de vue, le Celse de Louis Rougier est un recul.
Voici sa conclusion qui juge la façon dont le pseudo-Origène a traité l’ouvrage de Celse dans son texte (p. 249) : Quelque idée qu’on ait de la portée de l’ouvrage de Celse, on ne saurait lui refuser ce qu’on accorde au plus médiocre écrivain, à savoir le mince talent de composer un livre, l’art d’ordonner ses idées, de leur donner de la suite et de la cohésion, sans lesquelles une œuvre d’esprit ressemblerait aux rêves d’un malade ou aux hoquets d’un homme ivre.
Or Celse a été l’un des esprits les plus cultivés de son temps auprès duquel le pseudo-Origène aurait pu prendre des leçons utiles.
[19] Voici à propos de ces falsifications prétendues.
— Celse a dit : les chrétiens disent communément : N’examine pas crois plutôt ; — et : ta foi te sauvera, et encore la sagesse de cette vie est un mal et la folie un bien. N’est-ce pas un raccourci saisissant de la doctrine paulinienne, sur le salut par la foi, sur la folie de la Croix ? Qu’on feuillette les Épîtres de saint Paul (Romains, 1, 16-17 ; III, 21 à IV, 21 ; X, 8-11 ; Hébreux, X, 33 ; XI,1 à 40 ; I Corinthiens, I, 18, 26, 27 , II, 6, 7, 13, etc., etc.). Impossible de prétendre, comme le pseudo-Origène, que Celse a falsifié saint Paul.
Non. Ce que le scribe appelle, chez Celse, une falsification, il ne l’a pas reproduit ; car c’était une vérité sur laquelle mieux a valu faire le silence. Celse disait que saint Paul n’avait jamais existé au Ier siècle, qu’on l’a inventé au second. Charlatan ! charlatanerie ! Celse a falsifié l’imposture ecclésiastique. Il rétablissait la vérité.
[20] Le Juge de Bithynie ! Comment n’y pas reconnaître Celse, à qui, une première fois, le pseudo-Origène a répondu en greffier, il l’avoue. Comme tout s’explique !
Que l’Eglise ne nous a-t-elle conservé les Anti-Celse d’Apollinaire, de Méthodius, d’Eusèbe, de Philostorge !
[21] Quelques aperçus montrent que, dans l’Anti-Celse, le pseudo-Origène avait négligé certains points importants, vérités historiques que dévoilait Celse, préteur de Bithynie. Le nom de circoncision du Christ, par exemple, puisque Lactance, sans reproduire le nom, réplique : Si Jésus existait au ciel, avant de naître, — le voilà bien, le Jésus de Cérinthe ! — comment s’appelait-il ? (Au ciel ?) Il s’est appelé, parmi les hommes Jésus. Car Christ n’est pas un nom propre, c’est celui de sa puissance et de sa royauté, et c’est ainsi que les Juifs désignent leurs rois. A ce sujet, relevons l’ignorance de ceux qui en changeant une lettre, ont l’habitude de l’appeler Chrêstos. C’est Christos qu’il faut dire, Oint, traduction du mot hébreu Messiah (De la vraie Sagesse, IV, VII).
Oui. Sur Chrêstos = Christos, Voir L’ÉNIGME DE JÉSUS-CHRIST. Christ est le signe de sa royauté. Oui, encore, mais pas au sens de Lactance. Au sens de Nathanaël (Selon-Jean, I, 49) : Tu es le Fils de Dieu (Bar-Abbas), le roi d’Israël ! et de Cléopas : Nous espérions que c’est lui qui délivrerait Israël (Selon-Luc, XXIV, 21).
On retrouve ici ce parti pris de tromper sur les deux éléments avec lesquels on a composé Jésus-Christ : attribuer à l’homme le nom de Jésus, pour ne pas avouer qu’il est celui de l’Aeôn cérinthien, sur la terre comme au ciel. Et l’observation sur Chrêstos et Christos, qui rappelle à trois siècles et demi de distance les changes de Justin !
Comme tout est artificiel et fabriqué !
[22] Les œuvres de Lactance sont d’une époque où le quatrième évangile a été attribué à Jean, puisqu’il donne Jean comme l’auteur de cet Évangile.
Au temps de Constantin où aurait vécu (?) Lactance, tout le monde chrétien est de la secte d’Arius. Constantin n’a professé et défendu que l’arianisme. Eusèbe, Lactance, de même. Aujourd’hui Constantin, Eusèbe, Lactance font figure de catholiques romains. Ils ont été annexés à l’orthodoxie victorieuse.