L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome deuxième

CHAPITRE II : LE JUIF APOLLOS D’ALEXANDRIE.

 

 

Actes, XVIII, 24-25

Un Juif, du nom d’Apollos, originaire d’Alexandrie, homme éloquent, s’était fixé à Éphèse. Il était très fort dans les Écritures. Il avait été instruit dans la voie du Seigneur (du Rabbi), et tout bouillant du Saint-Esprit[1], il prêchait et enseignait avec une connaissance parfaite (supposant un examen approfondi) — en grec : akribôs, — ce qui concerne Jésus, mais n’ayant connaissance que du baptême de Jean.

Voilà ce qu’on lit dans les Actes des apôtres (XVIII, 24-25). Étrange histoire que celle de ce Juif Apollos, très fort, très versé dans les Écritures, instruit dans la voie du Rabbi, qui prêche et enseigne tout ce qui concerne Jésus, mais, — admirez ce mais ! — qui n’a connaissance que du baptême de Jean, le baptême par l’eau !

Il est très versé, — fort, puissant, dit le texte grec des Actes – dans les écritures. Lesquelles ? Pas les Évangiles canoniques qui n’ont pas paru, même selon les hypothèses les plus favorables de l’Eglise et des exégètes. Nous ne sommes qu’au temps où, sous l’empereur Claude, Paul prêche à Éphèse, à Corinthe. Sont-ce les Écritures de l’Ancien Testament ? Sans doute, et d’abord. Mais il a été instruit dans la voie du Rabbi. Autrement dit, il connaît la Révélation, l’Apocalypse, et, avant les Commentaires de Papias, il propage l’Évangile millénariste. Le fait qu’il ne connaît que le baptême de Jean est une confirmation. Cela signifie-t-il en plus qu’il baptise au nom de Jean ? C’est plus que sûr. Il n’ignore rien de l’aventure du crucifié de Ponce-Pilate. Mais devant sa triste fin, cet Apollos a-t-il repris à son compte les prophéties messianistes ? Il semble bien qu’il a agi pour son propre profit, puisque, comme baptiseur, il a eu des disciples à lui, à Corinthe, notamment. La preuve est dans la Lettre I aux Corinthiens (I, 12), où l’on apprend qu’il y a des gens qui disent Moi, je suis disciple de Paul, moi, d’Apollos, moi de Képhas ! Peut-être est-il un de ces méchants, visés plus tard par l’auteur de la Lettre à l’Église d’Éphèse, précédant l’envoi de l’Apocalypse (Apoc., 11, 2), qui se disent apôtres et ne le sont pas, et que l’Eglise d’Éphèse a trouvés menteurs. Soyez sûrs que ce fut un important personnage[2].

Mais s’il ne connaît que le baptême, de Jean, pourquoi les Actes ajoutent-ils qu’il sait tout ce qui concerne Jésus ? S’il est aussi exactement renseigné, s’il a, d’un esprit critique, examiné ce qui, suivant les thèses de l’Église tout du moins, devait déjà se raconter et que les Évangiles ont recueilli, à savoir que Jean, distinct de Jésus-Christ dont il a été le précurseur, a baptisé Jésus au Jourdain, tandis que la voix du ciel sacrait Jésus fils de Dieu ; s’il sait que Jésus, a baptisé lui-même et non seulement d’eau, tout comme Jean, mais aussi de feu et d’esprit saint, comme Jean du moins l’a prédit, s’il sait tout de Jésus, et j’en passe, il est faux de dire d’Apollos qu’il ne connaît que le baptême de Jean, et les Actes sont incompréhensibles. En effet, ils sont incompréhensibles, et leurs contradictions sur Apollos sont irréductibles, si les fables évangéliques sur Jean et Jésus-Christ sont la vérité historique. Mais comme tout, devient clair quand on sait comment Jésus-Christ a été fabriqué, au IIIe siècle, avec le corps du Christ Iôannès-Jean du premier siècle, sous son nom de révélation ou d’Apocalypse, d’abord séjour intermittent du Verbe ou du Logos, dieu Jésus avec les gnostiques du IIe siècle, dans lequel on a incarne définitivement au IIIe siècle, ce Verbe, dieu Jésus, et authentiqué cette incarnation dans les Actes des Apôtres et les Lettres de Paul, écrits qui n’ont été fabriqués que dans ce but, et l’apôtre Paul, inventé, au préalable. Les Évangiles viendront à la rescousse, plus tard.

Qu’on veuille bien relire ce morceau de près. On va en découvrir les intentions.

Cet Apollos nous est donné comme vivant au premier siècle, sous Claude, empereur mort en 54. Il ne connaît que le baptême de Jean. Cet aveu signifie que Jésus-Christ, de son temps n’existe pas, et que Jean, c’est le Christ. Pour que les Actes et l’Épître aux Corinthiens aient cru devoir nous entretenir de cet Apollos, qui est la preuve vivante, puisqu’il ne connaît que le baptême de Jean, que Jean fut le Christ, il faut que cet Apollos ait eu une renommée immense. Impossible de le faire disparaître.

Il n’y a qu’une ressource : le travestir d’abord, puis le camoufler en Jésus-­christien,

Vivant au Ie siècle, il ne connaît que le baptême de Jean. Voilà la vérité, historique. Cérinthe, Valentin ne viendront que cent ans après. Pour le travestir, cet Apollos, on va le baigner dans l’atmosphère du IIe siècle. Il ne, connaît que le baptême de Jean, mais, instruit dans la voie du Rabbi, puissant dans les Écritures, ­on ne lui ménage pas les éloges, — il n’ignore rien de ce qui concerne Jésus. Contradiction ? Sans doute. Il est impossible que cet Apollos soit un disciple de Cérinthe, qu’il précède d’un siècle. Mais ce que l’on veut combattre en lui, ce sont justement les doctrines cérinthiennes et gnostiques, ce qui concerne Jésus. Et on les lui prête, comme une hérésie, vous allez le voir, et dès le temps de Claude. Quand les Pères de l’Église se plaisent à voir en Cérinthe un antagoniste de Saint-Paul, qui n’existe pas du temps de Cérinthe, et aussi bien en histoire que dans l’imposture de la fable, ils méritent qu’on hausse les épaules. C’est le contraire qui est vrai. Actes des Apôtres, Saint-Paul, Évangiles n’ont été fabriqués que par antagonisme aux doctrines cérinthiennes et gnostiques dont on fait Apollos un protagoniste, par un de ces anachronismes rétroactifs dont les scribes ecclésiastiques sont prodigues à l’excès.

C’est ce que signifie, cette phrase, qui contredit celle où Apollos ne connaît que le baptême de Jean, — aveu de la vérité historique, — par laquelle on travestit Apollos, tout ensemble, en cérinthien et en gnostique, qui connaît tout ce qui concerne Jésus, — soit le dieu-Jésus, Aeôn, Verbe ou Logos.

Jamais Apollos n’a su ce qui concerne Jésus-Christ, le Jésus-Christ, moitié homme, moitié dieu, du IIIe siècle. Apôtre millénariste, avant Papias lui-même, instruit dans la voie du Rabbi, c’est-à-dire prêchant l’Apocalypse, pour son compte personnel ou non, s’il a exploité le baptême d’eau, c’est que, de son temps, il n’y en a pas d’autre, c’est qu’il n’y a pas plus de baptême du Saint-Esprit, qu’il n’existe de Jésus-Christ, d’Actes des Apôtres, d’apôtre Paul et d’Épîtres de Paul.

Mais le scribe des Actes déclare qu’il sait tout ce qui concerne Jésus. Apollos ne le montre pas, ce qui est étonnant. Conclusion : c’est le travestissement nécessaire, le premier mouvement de la fraude. On commence par dire, — contre toute vraisemblance, — qu’il sait tout ce qui concerne Jésus. Ainsi, plus facilement, pourra-t-on le convertir, — ou le tenter, — à la pure doctrine jésu-chrétienne, celle qui apparaît aujourd’hui dans les Évangiles canoniques ; les Synoptisés tout au moins. C’est le second mouvement de la fraude. Je ne vous ai donné que la moitié de l’histoire, en effet. Voici la suite. Écoutez bien.

Actes XVIII, 25-28

Apollos ayant commencé à parier avec hardiesse, dans la synagogue, Priscille et Aquilas, — Juifs du Pont dont Paul a fait ses compagnons, — l’ayant entendu, le prirent avec eux, et lui exposèrent, plus exactement encore, — bons apôtres, avec cet encore, — la voie de Dieu. Comme il voulait passer en Achaïe, les frères l’y encouragèrent et écrivirent aux frères de l’accueillir. Quand il fut arrivé, il se rendit très utile à ceux qui avaient la foi. Car il réfutait fortement les Juifs, démontrant par les Écritures que Jésus de Verbe (ou Logos) est le Christ. Il fait croisade pour l’incarnation.

Voilà. C’est touchant ! Cet Apollos, si versé dans les Écritures, qui ne connaît que l’Apocalypse millénariste, le baptême de Jean, bien que n’ignorant rien de ce, qui concerne Jésus, le dieu Jésus des gnostiques, il suffit que Priscille et Aquilas, la Vieille et l’Aigle, donnés comme tisserand de leur métier, le métier de Paul, faiseurs de tentes, de tentes davidiques sans doute ; il suffit qu’ils le prennent avec eux, — lui, docteur en théologie, — lui fassent, comprendre qu’il gâche le baptême, qu’il parle comme un inconscient ; il suffit qu’ils lui exposent plus exactement encore la voie de Dieu, c’est-à-dire, eu deux mots, l’imposture évangélique du IIIe siècle, pour que tout, de go, au milieu du premier, il s’y convertisse et, passant en Achaïe, à Corinthe, démontre à tous que -Jésus est le Christ, que le Verbe s’est incarné dans le Crucifié, de Ponce-Pilate. Cette, fois, il renie le baptême de Jean, la voie du Rabbi. Il connaît les Évangiles tels qu’ils seront au IVe siècle. C’est entendu, seulement, — il faut toujours seulement et faire des réserves avec les scribes d’Église, — écoutez bien ceci, qui dénonce toute l’imposture.

Corinthiens I, 12

Ou bien les Actes nous racontent une histoire inventée, — on s’en doutait sans la suite, — ou bien Apollos a été mal instruit et ne prêche aucunement que Jésus est le Christ, — comment le pourrait-il, en vérité ? — ou bien est-ce Paul qui, sur les événements, même les plus graves, comme son chemin de Dimas, n’a qu’une mémoire infidèle, — tant de faussaires ont écrit sur lui et pour lui ! — voici qu’Apollos, à  Corinthe, travaille toujours à sa manière, qui n’est pas du tout celle de Paulos ou Paul, et se fait des disciples qui ne sont pas ceux de Paulos, ni du Christ, encore moins de Jésus-Christ, mais d’Apollos. Or, Paul baptise d’esprit saint, le baptême de Jésus, de Jésus-Christ, si vous voulez, inventé à la fin du IIe siècle. Apollos, qui a une autre manière, quelle sorte de baptême, et le baptême de qui, emploie-t-il encore ? Pas celui de Jésus, ni de Jésus-Christ, celui de Jean, puisqu’il n’en est que deux en discussion. Mais la Lettre aux Corinthiens se garde de distinguer entre les deux. Parmi vous, dit-elle, chacun parle ainsi : Moi, je suis disciple de Paul, moi, d’Apollos, moi de Céphas, et moi du Christ. Le Christ ? Pas, question de Jésus. Et elle continue : Christ (toujours pas de Jésus) est-il divisé ? Paul a-t-il été crucifié pour vous ? Ou avez-vous été baptisés au nom de Paul ?... Christ m’a envoyé pour annoncer l’Évangile... afin que la croix du Christ ne soit pas rendue vaine... Christ... puissance et sagesse de Dieu, etc. Et Paul exhorte ses correspondants Corinthiens à ne mettre leur gloire qu’en Christ, étant serviteurs du Christ. Il n’y a plus de Iôannès-Jean, il n’y a plus de Jésus. Passez muscade. Il n’y a plus que Christ. Le tour est joué, Le débat sur Jean et le Christ distincts, ou unique personnage, reste en suspens, étant entendu que Christ, ce sera tout à l’heure Jésus-Christ[3].

Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.

Paulos et Apollos à Ephèse

Pendant qu’Apollos, ayant quitté Éphèse, après que Priscille (la Vieille) et Aquilas (l’Aigle) lui ont exposé plus exactement encore qu’il ne savait, quoique puissant dans les Écritures, la voie de Dieu, se trouve à Corinthe (Achaïe), Paul, éternel vagabond, revient de Phrygie et Galatie et descend à Éphèse (Actes, XIX, 1­20). Il y trouve quelques disciples. Il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit lorsque vous avez cru ? Ils répondent : Nous n’avons même pas entendu dire qu’il y ait un Saint-Esprit. La vérité, en somme ! Il leur dit : Quel baptême avez-vous donc reçu ? Ils répondent : Le baptême de Jean. Comme c’est curieux ! C’est Jésus qui est le Christ, d’après la tradition évangélique ; Jean l’a proclamé assez véhémentement lui-même, en s’humiliant, s’abaissant à plaisir devant Jésus ; et partout, c’est au nom de Jean qu’on baptise, comme s’il était le Christ. Les Éphésiens ignorent tout de Jésus, du Saint-Esprit. Il faut que ce soit Paul qui vienne leur apprendre ce qu’on lit aujourd’hui dans les Évangiles, et que l’on y a mis, commence-t-on à le comprendre ? — après l’invention de Paul, qui n’a pas d’autre but que de substituer Jésus-Christ à Jean, comme Christ. Que dit, en effet, ensuite, aux disciples d’Éphèse, l’apôtre Paul ? Jean a baptisé du baptême de repentance, en disant au peuple de croire en celui qui devait venir après lui, — nous avons vu de quelle manière Jésus vient après Jean, — c’est-à-dire en Jésus. Oui, Jean a fait et dit cela, au IIIe sinon au IVe siècle, par la plume des Scribes, qui ont en même temps fait venir Jésus, après Jean, le séparant de lui, deux ou trois cents ans après. Et naturellement, les Éphésiens, ayant entendu les paroles de Paul, sont baptisés au nom du Seigneur Jésus, — qui est le Christ, ajoutent pour plus de précision quelques manuscrits, pas tous. Paul impose les mains aux Éphésiens et le Saint-Esprit descend sur eux, ce qui se constate par ce fait que ceux qui reçoivent le Saint-Esprit dans le système des Actes et de Paul, et qui leur est particulier, se mettent aussitôt à parler en langues et à prophétiser[4].

Pas de doute. Avant l’arrivée de Paul, les Éphésiens ne connaissaient que le baptême de Jean. Apollos, converti au baptême de Jésus par Priscille et Aquilas, n’a même pas cru devoir leur communiquer sa foi nouvelle, avant de cingler vers l’Achaïe. A quoi sert qu’on l’ait instruit ? N’importe encore. Passe pour Apollos. Mais Paul, avant la scène que je viens de rapporter d’après les Actes, où il baptisa au nom de Jésus ces disciples qui disent ne connaître que le baptême de Jean, Paul était venu une première fois à Éphèse, arrivant de Corinthe (Actes, XVIII, 5-6), — car Paulos joue alors au chassé-croisé avec Apollos, ­accompagné de Priscille et Aquilas, qu’il a laissés tout exprès à Éphèse ensuite pour convertir Apollos. Il s’était fait raser la tête à Cenchrées, car il avait fait un vœu, qu’on ne nous dit pas. Il ne reste pas longtemps à Éphèse, c’est entendu. Mais, tout de même, il va à la synagogue. Il s’entretient avec les Juifs. Au sujet de quoi ? Les Actes sont muets. Mais enfin, ce serait faire injure à Paul que d’admettre qu’entré dans la synagogue, et plein de son sujet habituel, celui pour lequel il a été inventé, il n’a pas entretenu les Juifs du baptême de Jésus, du Saint-Esprit, et du témoignage de Jean lui-même sur Jésus-Christ. Comment est-il possible que les Éphésiens, à son second voyage à Éphèse, en soient encore au seul baptême de Jean ? Expliquez-le, si toute cette histoire d’Apollos n’a pas été combinée pour dépouiller Jean de soit christat.

Jean — Iôannès fut le Christ

Ainsi, de toute cette histoire, d’Apollos et de Paulos, à Corinthe ou à Éphèse, il ressort à l’évidence qu’elle est une composition suspecte, où l’on touche du doigt le dessein prémédité de brouiller les faits, de cacher et frauder la vérité, sans qu’on ait pu l’effacer complètement. Et cette vérité c’est que le Christ historique fut ce Iôannès baptiseur, qu’il n’y a pas eu d’autre Christ en chair, crucifié par Ponce-Pilate, que le Iôannès, que Jean, donné sous son nom d’Apocalypse ; et que le Dieu-Jésus, pure fiction mythologique, n’a été incarné dans le corps de Jean, Christ historique, pour former Jésus-Christ, que par la littérature des Scribes juifs et Judéo-hellènes, au IIIe siècle, à Rome, dans les Actes des Apôtres et les Lettres de Paul, dont on se servira pour composer les Évangiles synoptisés, que l’on est en train de commencer, mais  où l’histoire de Jean-Baptiste, distinct du Christ, crucifié par Ponce-Pilate, ne se trouve pas encore[5].

Les Chrétiens de Saint-Jean

Malgré toutes les persécutions que l’Église a exercées contre les chrétiens, qui n’ont pas voulu se soumettre aux dogmes inventés par elle et aux mystifications diaboliques dont elle a fait la religion chrétienne, il y a eu des hommes, des chrétien ­car ils sont chrétiens, — dont la foi orthodoxe en l’homme-christ réel n’a jamais pu être entamée. Le Christ, pour ces chrétiens, ce n’est pas Jésus, ce fantôme né d’imaginations maladives, incarné dans le Joannès Baptiseur ; mais c’est le Ioannès Baptiseur lui-même. Traités d’hérésiarques, bien entendu, parce que la vérité qu’ils détenaient est devenue contraire aux supercheries et changes qui sont le fondement du christianisme actuel, ces hommes n’ont jamais abjuré. Combattus dès le IIe siècle quand les faussaires ont commencé l’œuvre de mystification, ils ont subsisté en Syrie, en Palestine et en Babylonie, et aujourd’hui encore, — Renan l’avoue, — il y a toujours, dans ces pays, la secte des chrétiens de Saint-Jean[6].

 

 

 



[1] Les traductions ecclésiastiques interprètent : bouillant par l’esprit, le sien, pas le Saint-Esprit. Le texte grec ne porte pas le qualificatif hagios, saint, devant esprit. On peut donc traduire : d’esprit bouillant. Mais comme il arrive assez souvent que le Saint-Esprit n’est donné en grec dans les Écritures qaue sous le substantif seul, l’Esprit, je puis maintenir ma traduction, à laquelle je tiens autant que les ecclésiastiques à la leur. Apollos y a droit.

[2] A-t-on le droit de l’assimiler à ce Juif venu d’Égypte à Jérusalem et qui se vantait d’être prophète, (dont parle Flavius Josèphe, par deux fois, Hist. Juifs, XX, VI, 819 ; Guerres, II, XXIII, 180). Voici les deux textes :

Il persuada à un grand nombre de peuple de le suivre sur la montagne des Oliviers qui n’est éloignée de la ville que de, cinq stades, et les assura qu’aussitôt qu’il aurait proféré certaines parole (il parle en langues), ils verraient tomber les murs de Jérusalem sans qu’il fût besoin de portes pour y entrer. Aussitôt que Félix en eût avis, il alla les charger... mais ce séducteur égyptien se sauva. Où ? A Éphèse, peut-être. Qui sait ?

Un autre plus grand mal affligea encore la Judée. Un faux-prophète égyptien (non, c’est un Juif, venu d’Égypte) qui était un très grand imposteur, enchanta tellement le peuple qu’il assembla près de trente mille hommes, les mena sur la montagne des Oliviers, et accompagné de quelques gens qui lui étaient affidés, marcha sur Jérusalem dans le dessein d’en chasser les Romains, de s’en rendre le maître et d’y établir le siège de sa propre domination. Mais Félix alla à sa rencontre avec les troupes romaines, le combat se donna, mais cet Égyptien se sauva. Où ? Encore une fois ?

En définitive, ce Juif d’Égypte a voulu recommencer l’aventure du Christ, et au nom de la même espérance d’Israël, en mettant en avant lui-même la foi apocalyptique. Flavius Josèphe donnait certainement son nom. Pourquoi a-t-il disparu ? D’autre part, Apollos, Juif originaire d’Alexandrie, quel nom de circoncision portait-il ? Pourquoi les Actes le désignent-ils par un nom grec ? Est-ce pour qu’on ne reconnaisse pas en lui malgré son pseudonyme, le Juif dont parle Flavius Josèphe ? Mais on l’avait donc reconnu tout de même, qu’on ait éprouvé le besoin de biffer tout nom quelconque dans Flavius- Josèphe. Oui, Il y a là bien des chances que ce Juif soit le même Apollos.

[3] Les scribes juifs qui, aux confins des IIe et IIIe siècles, à Rome, ont écrit les Lettres de Paul et les Actes des Apôtres étaient, littérairement, de prestigieux prestidigitateurs ; et Il faut, je vous assure avoir étudié, analysé, disséqué, observé, épié leurs œuvres, leurs mains et leurs manches, fouillé leurs poches, pendant de longues années, pour surprendre et comprendre leurs tours de passe-passe. On se méfie d’autant moins qu’ils vous ont, pour placer leurs impostures, un air de candeur et d’innocence, un ton de bonne foi et bénin, bénin... le plus bénin du monde.

[4] J’ai traduit l’expression grecque comme on le doit : parler en langues, et non conformément au préjugé vulgaire : parler d’autres langues, que l’on trouve dans toutes les traductions des Écritures. Mais cette traduction est une imposture ; c’est le change éternel, élevé à la hauteur d’une institution. L’expression grecque n’a jamais signifié que le Saint-Esprit rend les gens polyglottes. Elle a un tout autre sens. Elle veut donner à comprendre que ceux qui ont reçu le Saint-Esprit empruntent pour parler et prophétiser un certain langage de devins, de vaticinateurs, plein de formules et de maximes, comme les formules de magie. Le verbe grec elaloun ne s’emploie même que dans des cas péjoratifs babiller, parler à tort, et à travers. Plutarque dit des singes qu’ils parlent en employant le même verbe grec que les Actes, et qu’ils n’ont pas le langage articulé ; et Plutarque emploie alors un autre verbe, qui signifie parler en se faisant comprendre, Théocrite emploie le verbe des Actes pour le cri des sauterelles.

Dans les Actes (II, 11-13), quand les Apôtres, réunis à la Pentecôte, reçoivent le don des langues, on veut faire croire qu’il s’agit de langages de nations différentes. On nous dit que la foule bigarrée qui est à Jérusalem entend les apôtres s’exprimer en toutes langues. Des gens s’étonnent. Mais la vérité est dans le trait de la fin : D’autres disaient en se moquant : Ils sont pleins de vin doux. — Parce que les apôtres parlent toutes les langues ? L’ivresse n’a pas de tels résultats. Mais de gens qui lancent des phrases abracadabrantes, on comprend que l’on en dise, pour être poli qu’ils sont pleins de vin doux.

Parler en langues, c’est faire ce que Flavius Josèphe nous dit du Juif égyptien, qui ressemble, comme un frère à Apollos : proférer certaines paroles. Dans tout ce qui touche à la magie, à cette sorte de science occulte que les christiens semblent avoir mise à contribution avec intempérance, il y a les paroles. Pas de tour, pas d’incantation, pas de miracle, sans les paroles. Il faut savoir parler en langues. Aucun rapport avec l’idée de polyglottisme.

[5] La mystification évangélique sur Jean-Baptiste, malgré les Évangiles, n’a pas été ignorée du Moyen-âge. Des gens l’ont dénoncée. Rien ne le prouve mieux que le décret du Concile de Trente (XVIe siècle), dont le Sacré collège a dû, pour imposer le silence aux détenteurs de la vérité historique, proférer l’anathème contre quiconque dit que le baptême de Jean a la même vertu que le baptême de Jésus-Christ. Le Concile de Trente, réuni d’abord à Mantoue, puis à Vicence, a duré de 1545 à 1563, soit 18 ans. Parmi ses résultats, citons : la déclaration solennelle que la tradition est la source de l’enseignement révélé et de la foi, conjointement avec l’Écriture ; la fixation du Canon (au XVIe siècle, elle n’était donc pas encore définitive, ce qui rend rêveur) ; le choix de la vulgate comme édition officielle et substantiellement authentique en ce qui concerne le dogme, et la morale ; le mystère de la transsubstantiation, par lequel la substance des espèces du pain et du vin est changée en chair ou corps et sang de Jésus-Christ ; le salut par les œuvres, concurrent au salut par la foi ; des définitions relatives aux sept sacrements, etc., etc.

[6] Des chrétiens de Saint-Jean ! il ne faut pas demander à Renan de nous expliquer ce phénomène, aussi extraordinaire que celui d’Apollos. Si le Iôannès Baptiseur n’a pas été le Christ, — ainsi qu’on a pris soin dans les Évangiles de le lui faire déclarer à lui-même, dans des scènes inventées à plaisir, — et si le Dieu-Jésus, distinct de Joannès a vécu, a eu chair et a rempli la carrière que les Évangiles lui attribuent, comment expliquer ces chrétiens de Saint-Jean ? Question sans réponse, une fois de plus. Pardon ! J’oubliais Clément de Rome et ses Recognitiones (Reconnaissances). On y lit (I, 54) : Parmi les disciples de Jean, ceux qui étaient considérables (lesquels ? Jésus les lui a pris) se séparèrent de la foule (quelle foule ?) et prêchèrent que leur Maître était le Christ. Comme tout s’explique ! Ce Clément le Romain, troisième pape, il a eu l’audace, après s’être d’abord substitué à Pierre comme auteur du triple reniement lors de la capture du Christ, de se donner comme le disciple bien-aimé. On peut se fier à lui, n’est-il pas vrai ? J’ai signalé dans L’ÉNIGME DE JÉSUS-CHRIST, chap. I, § La Pierre du tombeau ou le cadavre dérobé, que c’est aux impostures mises sous le de nom Clément de Rome que l’on doit la légende de Pierre pape. L’Église n’a pas osé adopter ces impostures : elle a rejeté comme apocryphes les œuvres de Clément de Rome. Mais elle a conservé, comme une tradition, qu’elle a mise dans Saint-Jérôme, l’imposture de Pierre, premier pape. C’est mieux que l’art d’accommoder les restes, dont on ne veut plus pour soi mais dont on empoisonne la bonne foi d’autrui. D’ailleurs nous retrouverons Clément, au dernier chapitre de cet ouvrage. Il en vaut la peine.