III. — Témoignage de Jésus sur Jean et celui du peuple sur Jésus-Christ.Le témoignage de Jésus-Christ sur Jean.Nous avons vu Jésus renier le témoignage de Jean, dans le quatrième Évangile. C’est que, conformément aux doctrines de Cérinthe, dans cet Évangile, Jésus-Christ, quand le scribe qui a refait Cérinthe ne réussit pas ou réussit mal son camouflage, c’est le Verbe, qui n’a pas besoin d’autre témoignage que le sien et celui du Père, de l’Abba, de Dieu (Iahveh). Il est Bar-Abbas. Dans les Synoptisés, que les scribes ont composé à leur gré, les mains libres et le cerveau prêt à toute invention, on a pu corser la distinction entre Jean et Jésus-Christ au moyen de scènes imaginaires, suivant le simple procédé narratif, sans documents à l’appui. Et c’est ainsi que Jésus-Christ peut parler de l’homme du premier siècle, dont il est le demi-revenant, au troisième, le ressuscité, dira Hérode, au troisième aussi, par la plume des scribes, qui font revivre tout le monde. Ce témoignage, Jésus-Christ le produit par deux fois, ou, si l’on veut, en deux occasions. Le témoin est unique, mais l’occasion est double. C’est presque la preuve deutéronomique. La première occasion s’offre à lui, à la suite de l’ambassade à Jésus-Christ des disciples de Jean qui est en prison, et dont j’ai montré l’inanité mensongère. Il n’y a que le Selon-Luc (VII, 24-28) et le Selon-Matthieu (XII, 7-15) qui donnent le morceau. Le voici : Quand les messagers de Jean furent partis, Jésus se mit à parler à la foule au sujet de Jean, et dit : Qu’êtes-vous allés voir au désert ? Un roseau agité par le vent ? Mais encore ! Qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu d’habits somptueux ? Voici, ceux qui portent des vêtements magnifiques et vivent dans les délices sont dans les Palais des rois[1]. Mais enfin ! Qu’êtes-vous allés voir ? Un prophète ? Oui, vous dis-je, et plus qu’un prophète. C’est celui dont il est écrit : Voici, j’envoie mon messager devant ta face qui préparera ton chemin devant toi[2]. Je vous le dis, entre ceux qui sont nés des femmes, il n’y a pas eu de plus grand prophète que Jean. Or, dans l’ambassade des Juifs à Jean[3], il est certain que le Christ est le Prophète, et nul autre. Jean, qui a abdiqué par la plume des scribes, déclare n’être ni le Christ, ni le Prophète, contre la vérité historique. Mais le témoignage de Jésus sur Jean nous y ramène. Jésus-Christ, ici, c’est le Dieu Jésus qui se souvient que Valentin, Cérinthe lui ont donné comme corps terrestre le Iôannès-Jean, le Christ crucifié par Ponce-Pilate. C’est pourquoi il proclame de Jean qu’il est un prophète, plus qu’un prophète, le plus grand prophète, entre ceux qui sont nés des femmes. Si c’était le Jésus-Christ évangélique qui parlait ici, puisqu’il est incontestablement né d’une femme, la Vierge Marie, — et l’apôtre Paul confirme, (Gal., IV, 4 : Lorsque arriva le plérôme ou la fin c’est-à-dire à l’heure du Messie, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la Loi...), — il faudrait admettre que Jean est plus grand que lui, de son propre aveu. Plus grand plus qu’Esaïe. Plus grand que Jérémie, plus grand que le Christ ! Non. S’il est le plus grand prophète né de la femme, c’est qu’il est le Christ, dont la Prophétie, — l’Apocalypse, — devait être la réalisation de l’Espérance juive prédite par tous les anciens prophètes. Et le Jésus qui parle ici, ce n’est pas Jésus-Christ, né de la femme, c’est un Jésus qui n’est pas né de la femme, — sans quoi il s’exprimerait autrement, — c’est un Jésus qui veut, au contraire, bien marquer l’opposition qu’il y a entre lui, qui n’est pas né de la femme, et le Prophète qui, lui, est né de la femme. C’est l’Aeôn de Cérinthe, le Verbe ou Logos, le dieu-Jésus, et qui tient à ce qu’on ne le confonde pas avec son double hylique, le Iôannès, le Christ humain, historique, crucifié par Ponce-Pilate et fils de Marie[4]. Impossible d’échapper à la conclusion : Iôannès fut le Christ, le prophète de l’Apocalypse, d’après Jésus lui-même. Cette vérité, elle ressort si claire du Selon-Luc, que l’Église a voulu la voiler, par des tripatouillages dans les manuscrits originaux. Cette phrase : Entre ceux qui sont nés des femmes, il n’y a pas en de plus grand Prophète que Jean, — on n’ajoute même pas Baptiste, — elle ne se trouve telle quelle, avec le mot prophète, que dans certains anciens manuscrits : notamment dans le Codex Borgianus I, texte alexandrin, donné comme du Ve siècle[5]. Les manuscrits Vaticanus et Sinaïticus, qu’on dit du IVe siècle, — une plaisanterie des savants[6], — ont fait sauter le mot Prophète qui attirait trop l’attention. Jean n’y est plus que le plus grand entre ceux qui sont nés de la femme. Le plus grand quoi ? Le plus grand des hommes ? Bien, Et les Prophètes font partie de l’humanité. Tout de même, l’intention d’escamoter le prophète est certaine, et afin de le mieux escamoter, on va vous le comparer, par une espèce de coq-à-l’âne ou de quiproquo, au plus petit de ceux, — sans qualité ni profession, — qui sont dans le royaume de Dieu. Entre ceux qui sont nés de la femme, aucun n’est plus grand que Jean ; mais le plus petit — quelconque individu — dans le royaume de Dieu est plus grand que lui. Plus de Christ, plus de Prophète : un Jean, né de la femme, amorphe, anodin, falot, plus petit que le plus petit n’importe qui dans le royaume de Dieu. Le Selon-Matthieu, que les exégètes et érudits prétendent antérieur au Selon-Luc, sans preuve sérieuse, reproduit (XI, 7-15), dans un morceau parallèle, synoptique, synoptisé, le récit du Selon-Luc. Il supprime le trait : ceux qui vivent dans les délices. Jean y est dit Jean-Baptiste. Il y est prophète, plus que prophète. Mais aucun manuscrit du Selon-Matthieu ne dit plus qu’il est le plus grand prophète né de la femme. » Il corrige le Selon-Luc, ecclésiastiquement, pour éteindre le lumignon historique qui brillait toujours sous le boisseau où Jésus-Christ ne l’éteignait pas encore dans le Selon-Luc[7]. Autre témoignage de Jésus : Élie et Jean.Il se lit, — et c’est la deuxième occasion qui s’offre pour le redoubler, dans le Selon-Matthieu, (XVII, 10-13) et le Selon-Marc (IX, 11-12) seulement, à la suite de la scène de la Transfiguration. Le Selon-Luc qui narre la Transfiguration (XVII, 28-36), et qui serait plus récent que les autres synoptisé, d’après l’Église, n’a pas ce témoignage. Voici le Selon-Matthieu : Ses disciples interrogèrent Jésus, disant : — Pourquoi les scribes disent-ils qu’Élie doit venir premièrement (avant toi) ? Et lui, répondant, dit : — Élie viendra et rétablira toutes choses. Mais, je vous le dis, Élie est déjà venu, et, ils ne l’ont pas reconnu ; mais ils ont fait contre lui tout ce qu’ils ont voulu. De même aussi le Fils de l’homme doit souffrir par eux. Ils comprirent alors qu’il leur parlait de Jean-Baptiste. Ce texte du Selon-Matthieu nous apprend d’abord que Jésus assimile Élie à Jean, bien que le quatrième Évangile, attribué à Jean cependant par l’Eglise fasse déclarer à Jean lui-même aux Juifs de Jérusalem qu’il n’est point Élie. Voir Selon-Jean (I, 21). Mais le Jésus du Selon-Matthieu a une intention. Il distingue parfaitement, aux II-IIIe siècles, le Iôannès-Christ, crucifié par Ponce-Pilate, Prophète de l’Apocalypse, qui devait rétablir toutes choses (autrement dit, restaurer le royaume d’Israël), du dieu-Jésus qu’il est lui-même. Ce Iôannès-Christ, il est déjà venu (sous Tibère) ; les Juifs du Temple ne l’ont pas reconnu. Il a été crucifié. Voilà qui est clair. Le texte du Selon-Matthieu ne devait pas, ne pouvait pas dire autre chose. Mais on l’a touché. On a voulu le rendre incompréhensible. Élie viendra et rétablira toutes choses. Ce futur est en contradiction avec l’affirmation catégorique : Je vous le dis, Elie est déjà venu. Et, — toujours le change sur le Précurseur, — voici que Jésus, comme Fils de l’homme, se met dans la peau du Christ, et déclare qu’il doit souffrir aussi par eux. Qu’on relise ce morceau. Il donne, au futur, au présent et au passé l’unique aventure du Christ, sous les traits d’Élie-Jean, du Christ et de Jésus-Christ. Quoi d’étonnant ? Le dieu-Jésus, venu du sein du Père, n’est-il pas, comme lui, Celui qui fut, est et sera ? Pour lui, comme pour le Père, il n’y a pas de temps. Le symbolisme mythique du Selon-Matthieu est complexe. Il semblerait mieux à sa place dans le Selon-Luc, dont c’est la manière ordinaire. Peut-être le morceau provient-il du Selon-Luc qui ne l’a plus. Et je le crois. Mais voici le Selon-Marc. Il va projeter en pleine clarté lumineuse cette vérité que Élie-Jean est le Christ et que Jésus, c’est le dieu qu’on a incarné en lui. On croirait lire un extrait de la Pistis-Sophia de Valentin, où l’on aurait coupé quelques propositions intermédiaires. J’en rétablirai les idées explicatives entre crochets. Jésus, avec Pierre, Jacques et Jean, descend de la montagne de la Transfiguration. Il leur défend de dire ce qu’ils ont vu, jusqu’à ce que le Fils de l’Homme soit ressuscité des morts. Les disciples retiennent cette parole, se demandant ce que c’est que ressusciter des morts. Ils sont Juifs. Ils ne connaissent que le Schéol Bien. Tout ceci crée l’atmosphère indispensable pour comprendre ce qui va suivre, qui serait incohérent et ne prend un sens que si on y insère des idées de liaison, que je place entre crochets. Les disciples l’interrogèrent, disant : — Pourquoi les Scribes, disent-ils, qu’il faut qu’Élie vienne premièrement ? Jésus leur répondit : — Il est vrai qu’Élie devait venir premièrement et rétablir toutes choses. En me voyant, moi, Dieu Jésus, qui me présente comme Christ et n’ai rien souffert, qui me glisse en esprit dans la peau d’Élie, et Élie, c’est Jean, n’est-ce pas ? Vous vous demandez comment donc est-il écrit au sujet du Fils de l’homme, [que je prétends être sans avoir souffert] qu’il doit souffrir beaucoup et être méprisé ? Or, je vous dis qu’Élie est déjà venu, — c’est ce Jean qui devait venir, l’ai-je assez répété, ô race incrédule, et jusqu’à quand te supporterai-je ? — et à cet Élie-Jean, ils ont fait tout ce qu’ils ont voulu, selon qu’il a été écrit de lui. Si le Scribe allait jusqu’au bout de sa pensée, il ajouterait : Et ce qui a été écrit de lui par Tacite (coupé), par Flavius Josèphe (coupé), par Juste de Tibériade (détruit), par Apulée, Lucien de Samosate (sophistiqués), et par tant d’autres, vous le connaissez : Fils de Juda le Gaulonite, il s’est posé en Messie, Prophète de l’Apocalypse, contre les Hérodes et contre Rome, qui l’ont crucifié comme émeutier rebelle, prétendu Roi des Juifs, soulevant le peuple contre l’État. Moi, Jésus, dans sa peau, au IIIe siècle, je ne suis que son revenant, sa deuxième édition, expurgée, revue, contrefaite. Vox populi, vox dei.Et voici la vérité encore proclamée par le peuple. Si, par impossible, il vous reste quelque doute sur l’identité du Christ et du Iôannès, rapprochez de ces témoignages de Jésus sur Jean, l’identifiant à Élie, Jérémie, etc., une scène antérieure, où les disciples de Jésus, à leur tour, identifient leur maître, d’après la commune renommée, à Jean, à Élie, à Jérémie, etc. Les trois Synoptisés, cette fois, font bloc sans défaillance. Par ainsi, Jean et Jésus coïncident, ils se superposent, ils communient, ils ne font qu’un sous les espèces de Jean, de Christ, de Jésus, de Jésus-Christ et du Fils de l’homme. Il faut savoir lire les Évangiles. D’abord Matthieu (XVI, 13-16) : Jésus interrogea ses disciples, disant -Qui disent les hommes qu’est le Fils de l’homme ? Ils lui répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste ; les autres, Élie ; d’autres Jérémie ou l’un des prophètes. Il leur dit : Mais vous, qui dites-vous que je suis ? Simon Pierre répondant, lui dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Mon dieu ! oui Jésus, Christ dans la peau du Iôannès, est, le fils, unique même, de Dieu. Tout le monde, les uns et les autres, soutiennent que le Christ, c’est Jean, en chair et en sang. Si Jésus est le Christ, comme dit Pierre, l’évangéliste va vous dire par la bouche même de Jésus que ce n’est ni la chair ni le sang qui lui ont fait cette révélation, mais le Père de Jésus, qui est dans le ciel (Matt., XVI, 17). » Autrement dit : Jean fut le Christ, le Crucifié de Ponce-Pilate. Si Cérinthe et Valentin ont fait descendre dans son corps le Dieu ou Verbe ou Aéôn Jésus, que d’autres ont fini par incarner dans Jean, ce mystère ne peut se révéler et se faire comprendre qu’à ceux qui n’ont pas égard à la chair et au sang, — c’est-à-dire à ceux qui sont familiers avec le Pneumatique. Le morceau n’est qu’une application, qu’une explication des fables cérinthiennes et gnostiques. Ensuite Marc (VIII, 27-28) : — Il demanda à ses disciples : Qui disent les hommes que je suis ? Ils répondirent : les uns disent Jean-Baptiste ; d’autres, Élie ; d’autres, l’un des prophètes. Et il leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Tu es le Christ. Et il leur défendit sévèrement de dire cela de lui à quiconque[8]. Enfin Luc (XI, 18-19) : — Il leur demanda : Qui dit-on, parmi le peuple, que je suis ? Ils répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste ; d’autres, Élie ; d’autres, l’un des anciens prophètes ressuscité. Et vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? Pierre répondit — Tu es le Christ de Dieu. Il leur défendit sévèrement de le dire à quiconque[9]. Voyons ! Que signifient ces scènes ? Quelle est leur portée ? Et que faut-il conclure de leur confrontation ? Eh ! quoi ! Il y aurait eu en Judée, à la même époque, deux individus, l’un Jésus-Christ, l’autre Jean, du même âge, tous deux baptisant, prêchant la repentance, la venue imminente du royaume de Dieu, dont l’un, Jean, dit : Je ne suis pas le Christ, mais dont tout le monde proclame qu’il l’est ; dont l’autre Jésus-Christ, défend qu’on dise qu’il est le Christ, dont on proclame qu’il est Jean, Jean ressuscité, quand on a escamoté Jean par la fraude de la décapitation ; qui dit de Jean qu’il est Élie, celui qui devait venir ; dont on dit, dont ses disciples disent, que tout le monde proclame qu’on le prend pour Élie, pour Jean ; bref, qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, tout le monde affirme qu’ils sont Élie, Jean, le Christ, Jésus-Christ ou Jésus, le Fils de l’Homme, Esaïe, Jérémie ou quelque prophète ; on les identifie comme deux quantités qui égales à une troisième sont égales entre elles ; tous deux ont souffert pour la même cause, par les mêmes gens, les Hérodiens. Et si Jean a été frauduleusement décapité, — je le prouverai dans un prochain chapitre, — quand Jésus, lui, parle de la passion de Jean, il ignore, et pourquoi ignore-t-il ce supplice ! Ils lui ont fait, dit-il, tout ce qu’ils ont voulu. Ainsi ne se compromet-il pas. Tout ce qu’ils ont voulu ? Prison, fouet, et décapitation, et crucifixion ? Il ne précise pas. On peut soutenir tout ce qu’on veut. Quand le Scribe écrit, la décapitation n’est pas encore dans l’Évangile. Je vous dis, en vérité, je vous répète, et à satiété, que ces deux individus proviennent du seul et unique Christ historique, fils de Juda le Gaulonite, né à Gamala, Prophète de l’Apocalypse et mis en croix, par Ponce-Pilate. Si le Christ et Jean étaient deux personnages distincts, si la vérité historique était qu’ils le sont, croit-on vraiment que les scribes évangéliques éprouveraient le besoin, continuellement, de poser sans cesse la question si Jean est le Christ ou non ? Et si le Christ, voire Jésus et Jésus-Christ, est Jean-Iôannès ou non ? Quand on est sûr d’un fait, on ne s’amuse pas à en parler comme s’il était, douteux, surtout quand on le veut faire prendre comme arrivé et vrai. Il faut, avoir été obligé de jeter le doute pour noyer la vérité qui gênait. Pourquoi, chez les évangélistes, cette obsession sur Jean à qui l’on demande s’il est le Christ, que l’on dit être le Christ, qu’Hérode ressuscite comme Christ ? Pourquoi dans les deux scènes du témoignage de Jésus sur Jean et des disciples de Jésus sur le Christ, Jean et Jésus-Christ passent-ils tous deux pour Élie, pour Jean, pour les mêmes prophètes ? Ne voit-on pas que les Scribe dans ces deux scènes en réplique, jouent avec le même, personnage sous le nom de Jean et de Jésus, comme ils joueront des deux Nativités, vous le verrez, ayant l’air de se renvoyer une même balle d’une raquette à l’autre ? Pour nous, Goïm, occidentaux, nous avons pu être trompés par ce genre d’exercice parabolique, et croire à deux individus distincts : le Christ et Jean. Mais il ne faut jamais oublier que le christianisme est d’origine essentiellement judaïque ; que les écritures chrétiennes sont des œuvres de Juifs dissidents, que toutes les affabulations sur le Christ sont le résultat des controverses entre Juifs, les uns tenant pour la vérité historique, les autres pour les inventions cérinthiennes et valentiennes, d’autres mêlant l’histoire et la fable ; que ces controverses ont duré jusqu’au Ve siècle ; que, lorsque les Juifs christianisants ont dû se séparer des Juifs de l’ancienne Alliance, et l’Ekklésia rompre avec la synagogue, les controverses ont nécessairement abouti à des compromis entre les thèses et les doctrines, entre l’histoire et la légende[10]. Pour piper et duper les Goïm, les incirconcis, les nations, il fallait bien, à moins de faire naufrager l’entreprise, du Christ historique, crucifié par Ponce-Pilate, Prophète de l’Apocalypse sous le nom de Jean, inacceptable comme Dieu, ajouter un élément divin, quoique imaginaire, par l’incarnation du Verbe, de Jésus, inventé au IIe siècle par les Juifs cérinthiens et gnostiques, pour aboutir au composé Jésus-Christ. C’est la concession qu’ont faite aux auteurs et aux partisans de la légende ceux qui tenaient pour la vérité historique. Quant à ces derniers, la concession que leur ont faite les partisans de la légende, elle a consisté précisément dans l’admission de toutes ces scènes où, sous l’apparence de deux êtres distincts, et avec des noms divers, le Christ, Jean, Jésus, Jésus-Christ, le Fils de l’Homme, ne sont en réalité qu’un unique personnage. Aucun Juif christianisant, aux origines, n’a pu se tromper sur ce dosage astucieux de la vérité et de la fraude, qui a mis d’accord, vers le cinquième siècle, dans un compromis dont les Évangiles sont le procès-verbal de constat, — rien d’autre, — les clans adverses des Juifs christianisants, après trois siècles d’âpres et sanglantes disputes sur leurs conceptions du Messie. La paix s’est faite entre eux, — une maison divisée contre elle-même, dit Jésus-Christ, ne saurait subsister, — en raison même du but poursuivi : la domination du monde, qu’ils n’auraient pu atteindre en continuant leurs querelles de mots sur des abstractions métaphysiques. Les Évangiles, le Nouveau Testament avec l’Apocalypse, offraient aux initiés Juifs christianisants, assez de vérité historique, bien que voilée sous des Thargoums, paraboles, épisodes, miracles, pour donner satisfaction à ceux qu’avaient d’abord épouvantés les mystificateurs sur le dieu Jésus incarné. Dans le Christ, appelé Jésus ou Jésus-Christ, ils reconnaissaient leur Iôannès, leur Jean, Prophète de l’Apocalypse, tout camouflé qu’il soit. Mais le camouflage ne pouvait tromper que les Goïm, les Occidentaux, Hellènes, Latins, tous aryens et non sémites. L’intérêt de la spéculation, d’excellent rapport, sur Jésus-Christ, exigeait ce camouflage, et qu’on le donnât comme, la vivante vérité. Le succès a dépassé les espérances d’Israël. Car les contradictions, les invraisemblances, les incohérences, les inconciliables prétentions qui résultent de ce concert frauduleux, les Goïm qui, après les Juifs des origines, ont hérité de la spéculation, héritiers de la Promesse, comme ils disent, n’ont voulu ni les voir, ou, s’ils les ont vues, n’ont pas voulu en faire état ni les dénoncer, passant à l’article mystère, — nous dirons ait compte profits et pertes, — ce qui est impossible, hors nature, contre raison, et qui n’est que mystification, œuvre littéraire d’imagination, essayant de fondre dans le composé Jésus-Christ, au IIIe siècle, le Messie Juif du Ie Siècle l’homme de chair crucifié de Ponce-Pilate, avec le dieu-Jésus, le Verbe ou Logos inventé par Cérinthe et Valentin au IIe siècle. Mais tous les mystères, incohérences, invraisemblances, contradictions, impossibilités, faits hors nature ou contre raison, s’expliquent le plus simplement du monde, quand on a percé à jour la mystification, quand on a compris et l’on sait comment et de quoi Jésus-Christ a été composé. Aucun mystère, vraiment. |
[1] Tels les Hérodes. Le Messie n’a pas encore détrôné les Hérodes, au temps de Tibère, où Jésus est censé parler ; Il ne les détrônera pas. Mais quel regret se lamente dans ces phrases écrites plus de deux siècles après la faillite au Golgotha de l’Espérance d’Israël !
[2] Reproduit de Malachie, III, 1 : Voici, je vais envoyer mon ange, etc. Toujours le change sur le Précurseur. Il préparera le chemin devant moi. C’est Dieu qui parle. Dieu envoie son ange pour préparer le chemin devant lui, Dieu. Les scribes évangéliques ont fraudé Malachie pour lui faire dire que Dieu envoie son messager, non devant lui-même, mais devant Jésus-Christ. Je viderai l’incident à fond, au chapitre V sur les Nativités à propos du cantique de Zacharie sur Jean. On y saisira sur le vif les procédés des faussaires, une fois de plus.
[3] Évangile Selon-Jean, I, 19-20. Voir ce détail au § La carrière de Jean, ci-dessus.
[4] La phrase que j’ai citée de l’Epître aux Galates que les exégètes traduisent par : Lorsque les temps ont été accomplis, je l’ai traduite ; Lorsque fut arrivé (ou arriva) le plérôme (la fin) du Temps. C’est, en effet, pour le dernier millénaire de la durée du temps imparti à la terre, ait monde issu de l’œuvre des six jours que le Christ devait apparaître, conformément au thème des Destinées du monde. Les faussaires qui ont fabriqué la Lettre aux Galates, mise sous le nom d’un apôtre Paul imaginaire, pour inventer Jésus-Christ et mettre fin à la gnose, aux affabulations des Cérinthe et Gnostiques, sont obligés, s’adressant aux Juifs de Galatie, de respecter ce thème millénariste de l’Apocalypse. C’est le carcan qui les rive à la vérité historique, et dont mourra la fraude jésu-christienne.
[5] Fragment du Nouveau Testament, qui ne contient que 177 versets du Luc et du Jean. Georgi a publié en 1789 le fragment du Jean, Alford en 1859 le fragment du Luc. Tischendorf en 1870, le tout.
[6] Voir à ce sujet, au chap. IV, la Décapitation, la note sous le § la Danseuse.
[7] On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur un support, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes ! a dit Jésus-Christ (Matt., V. 15-16), Et aussi : il n’y a rien de secret qui ne doive être manifesté, ni rien de caché qui ne doive être mis en évidence. (Marc, IV, 21-22 et Luc, VIII, 16-I7). Hélas ! Comme il y a loin du précepte à la pratique ! Les scribes évangéliques sont comme les Pharisiens et Saducéens que maudit le Christ qui disent et ne font pas.
[8] Évidemment. On les traiterait de menteurs, le Christ historique étant Jean, fils de Juda le Gaulonite. Ici, l’on n’appelle plus l’attention sur la chair et le sang. Dans Marc, tu es le Christ, est d’ailleurs une réponse à la Saint-Paul, amphibologique.
[9] Dans Matthieu et Marc, la scène se passe aux confins de la tétrarchie de l’Hérode Philippe, du côté de Césarée. Le Selon-Luc qui répète le Selon-Marc ne situe pas la scène. Elle se passe un jour que Jésus priait en particulier. Où ? On ne sait pas.
[10] L’histoire contemporaine, avec ses partis politiques ou sociaux, si turbulents, qui empruntent les éternelles méthodes de toutes les factions cherchant, leurs doctrines et leurs dogmes, pour la conquête des pouvoirs, domination et gouvernement, l’histoire contemporaine nous apprend que ces « ecclésia » nouvelles, à prétentions nationales ou hors frontières (universelles ou catholiques), tiennent des congrès ou des conciles, où s’opposent et se heurtent, avec des violences hostiles, haineuses, excommunications, des tendances très différentes, presque ennemies, qui dénoncent combien les apparences d’unification sont trompeuses. Les discussions sur les tendances et les tactiques adverses offrent une telle certitude d’incohérence n’elles menacent à chaque fois de se terminer par des scissions dans le parti ou sa dislocation. Linge sale en famille, seulement. Car la règle du jeu veut que, pour ne pas faire échouer l’entreprise, les associés, dans leur désunion, cherchent un terrain d’entente et finissent par l’embrassade générale constatée dans un procès-verbal de conciliation aux formules pompeuses, aussi vides de précisions que des tambours battus, et amenuisées avec astuce, donnant satisfaction à tout le monde. Les pontifes malins excellent dans l’art de rédiger ces canons de conciles. Et la foule des goïms, et des gogoïms, à qui on les destine, bée et bée de satisfaction, assurée, ayant la foi, qu’on a enfin éclairé, par un évangile, sa religion. — Jusques à quand, mon Dieu ? Jusques à quand ?