L'Énigme de Jésus-Christ

 

Tome deuxième

CHAPITRE PREMIER : JEAN A-T-IL ÉTÉ LE CHRIST ?

 

 

II. — Le Change sur le Précurseur.

L’inutilité de Jean-Baptiste.

Puisque, du Iôannès-Christ, Messie juif crucifié par Ponce-Pilate, mort sans se douter qu’il serait divinisé comme Rédempteur du inonde, mais en qui, au IIe siècle, Cérinthe, Valentin et autres ont fait descendre le dieu Jésus lors de ses séjours temporaires sur notre globe terraqué, — et, en ceci, on peut, en effet, dire qu’il est le précurseur de Jésus, à plus de cent ans en ça, — puisque, dis-je, de ce Iôannès, les scribes, incarnant en lui le Verbe Jésus, à qui ils donnent ainsi un corps, une chair, veulent tirer Jésus-Christ, distinct de Iôannès, il est conforme à la règle du jeu que,  ne pouvant supprimer le Iôannès, sur lequel les polémiques s’étaient engagées, ils commencent par lui prêter une prédication. Coup double : il parle, donc il existe, et il parle pour annoncer la venue de Jésus-Christ, après lui ; il authentifie Jésus-Christ, dont il devient le témoin, le précurseur, comme un être biologique distinct de lui.

Simple travail de littérature, qui ne dépasse pas les ressources de l’esprit humain, et auquel n’a pas besoin de participer le Saint-Esprit. Mais travail forcé, que l’on a dû faire, dans l’impossibilité où l’on s’est trouvé de se débarrasser de Jean, ce gêneur, alors que l’on inventait Jésus-Christ.

Travail forcé, dis-je, que l’on n’aurait pas fait, si Jean n’avait pas été le Christ, à qui il fallait enlever sa personnalité historique. Car ce rôle de Jean, qu’on veuille bien y réfléchir, ce rôle de Jean, comme Précurseur. il est inutile, il est superfétatoire, invraisemblable et inexplicable. Comme baptiseur, il en est de même, et j’y reviendrai. Jean-Baptiste, dans le drame des Évangiles, est comme un fonctionnaire en trop dans une administration, et dont on ne peut se défaire, pour qui il faut trouver un emploi, où il ne rend d’ailleurs aucun service. Il tourne à vide, comme un écureuil dans sa roue.

Qu’est-il besoin de Jean-Baptiste pour annoncer le Messie et courir au-devant de lui et aplanir ses sentiers ? En quoi les a-t-il aplanis ? Qu’a-t-il préparé ? Son témoignage ? Nous en reparlerons. Que vaut-il, après toutes les prophéties, toutes les prédictions des anciens livres hébraïques, ces livres que les Chrétiens ont gardés comme étant les leurs, où tous les Nabis vocifèrent, depuis Jacob, l’espérance d’Israël en un Vengeur, descendant de David, qui devait établir, à son profit et au profit de ses compatriotes, le règne de leur Dieu Iahweh sur les nations subjuguées, foulées aux pieds pour lui servir de marchepied, passées à ce que les scribes appelleront le baptême de feu et de sang, devenu, par un change pour piper les goïms, le baptême du Saint-Esprit ?

Jésus lui-même, — le Scribe ne lui ajoute même pas l’épithète de Christ, car il reproduit Cérinthe et sait qu’il s’agit du dieu Jésus, qu’il ne confond pas avec le Crucifié de Ponce-Pilate, — Jésus lui-même, donc Jésus-Christ, se refuse à prendre au sérieux ce témoignage de Jean sur lui ; il en fait fi : Pour moi, ce n’est pas le témoignage d’un homme que j’invoque, — et j’en reparlerai ; il veut bien, sous la plume des scribes, se prêter à la mystification pour goïm, car il est essentiellement juif, laquelle l’a incarné dans le Iôannès = Jean ; mais il ne veut pas en être la dupe[1].

D’autre part, est-ce qu’il n’est pas acquis que les Juifs, à l’époque de Tibère, avaient la certitude que l’heure du Messie était imminente. Ils attendaient sa venue avec une foi ardente, visionnaire. D’après les prédictions de Jean ? Quelle plaisanterie ! D’après des données factices fondées sur une vague tradition, sur des commérages ? Allons donc ! Ils l’attendaient conformément à des calculs astronomiquement et mathématiquement établis. L’attente était à son comble, a dit très justement Renan. Et la Judée était en pleine fermentation[2]. Si un Jean, un  Iôannès y fut pour quelque chose, c’est le Iôannès-Christ, fils du Jona ou Iôannès ler, père aussi de Simon-Pierre : Jona-Iôannès = Joseph = Zacharie = Zébédée, — en histoire : Juda de Gamala.

Le silence impressionnant de Saint-Justin sur Jean-Baptiste.

Voici encore une étrange histoire ! Justin fut probablement un philosophe platonicien, un Chrêstos, un vertueux, peut-être un gnostique. Nous ne savons de lui que ce qu’il a plu à l’Église de nous en apprendre. En ce temps, — vers 159, ­dit Eusèbe (Hist., IV, 11), florissait Saint-Justin qui, sous l’habit du philosophe, prêchait le Verbe de Dieu ou Logos (et c’est peut-être la vérité ; Justin était cérinthien ou gnostique ; il connaît les fables sur le Verbe, sur le dieu Jésus ; il ne sait rien de Jésus-Christ). Il défendait la vérité de notre foi, tant par ses écrits que par ses paroles. Oui, la foi du IIe siècle, c’est possible ; mais pas celle des Évangiles, avec Jésus-Christ, qu’il ignore, parce qu’ils n’existent pas encore. Il ne parle que des Mémoires des Apôtres, et l’on ne sait ce qu’il faut entendre par là. Eusèbe dit de ces Mémoires qu’ils sont des mensonges impudents, fabriqués par des faussaires (Hist., I, 11), ce qui permet de supposer, sans grand risque de se tromper, que ces Mémoires visent les Commentaires de Papias sur l’Apocalypse, ou l’Évangile de Cérinthe, ou Pistis-Sophia de Valentin. Mais la phrase d’Eusèbe sur Justin est vague, et elle ne l’est que pour permettre l’équivoque. Notre foi ? Celle des Évangiles, la foi jésus-christienne, voilà ce que veut faire entendre Eusèbe, alors qu’il s’agit de la foi cérinthienne et gnostique. Mais peu importe ici, où nous n’avons à parler que de Jean-Baptiste.

Justin est du IIe siècle, vers 160. Il a écrit, nous dit-on, deux Apologies, qui ont été sophistiquées avec une intempérance rare par des scribes ecclésiastiques, notamment par l’introduction de passages évangéliques nombreux. Dans ces Apologies, destinées à prouver Jésus-Christ, en 160, — on ne l’inventera que plus tard, vers 180-200, — Justin rappelle tous les prophètes qui ont annoncé le Christ (Messie). Il ne cite même pas Jean-Baptiste. Et s’il ne le cite pas, ne venez pas me dire que c’est par oubli. Défaite trop commode ! Il est impossible que Justin, si les Évangiles sont faits de son temps, comme on veut le faire croire, par les citations qu’on a frauduleusement interpolées dans ses Apologies, ignore Jean-Baptiste, dont Jésus-Christ a dit qu’il est le plus grand de tous les prophètes. Conclusion : au temps de Justin, IIe siècle, Jean en tant que Baptiste n’est pas inventé, précurseur et baptiseur du Christ. Si le Jean-Baptiste des Évangiles était un personnage réel, si ce que disent de lui les Évangiles était vrai et se trouvait dans les Évangiles, du temps de Justin, il y a, dans les Apologies, un passage où il est impossible que Justin n’en parle pas, outre celui qui est relatif aux prophètes qui ont annoncé Jésus, notre Christ, et qui se succédèrent de génération en génération (Apol., XXXI, 7 et 8). C’est celui où, à propos du baptême, disant que lorsque Jésus sortit de l’eau, un feu s’alluma dans le Jourdain, et citant la voix du ciel, reproduction des Psaumes (XVIII-XIX, 3-6) : Le Seigneur m’a dit : — Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Or, Justin ne met pas en scène Jean-Baptiste. Jésus est seul. Il a seul entendu la voix. Le Seigneur m’a dit. Le Seigneur ne s’adresse qu’à Jésus, et non au public : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, comme dans le Selon-Matthieu. Le Selon-Marc et le Selon-Luc portent : Tu es mon Fils, mais ils omettent, comme le Selon-Matthieu aussi : Je t’ai engendré aujourd’hui. Et c’est une preuve de plus  que l’on a refait et retouché les Évangiles après le Ve siècle, car dans ceux dont s’est servi saint Augustin, l’omission n’existait pas. Dans ses Confessions (liv. XI, chap. XIII) il dit, parlant à Dieu : Tu as engendré dans une éternité égale à la tienne celui (Jésus) auquel tu as dit (hors du baptême) : — Je t’ai engendré aujourd’hui.

Bref, au temps des Apologies, en 160, Jean-Baptiste n’est pas inventé, et malgré toutes les sophistications qu’elles ont subies et qui les ont bouleversées de fond en comble, où l’on a introduit des multitudes de passages des futurs Évangiles, que Justin n’a pas connus, on a oublié de leur faire parler de Jean-Baptiste[3].

La chronologie.

Inutile donc le rôle de Précurseur ; pas inventé au milieu du IIe siècle, Jean-Baptiste. Mais il y a plus. Jean et Jésus-Christ sont du même âge, ce qui s’oppose à ce que Jean ait pu jouer, bien qu’on le lui fasse jouer, le rôle de Précurseur de Jésus-Christ.

Les Évangiles veulent donner l’impression que Jean a commencé à prêcher avant Jésus-Christ. Mais combien de temps avant ? Pour sacrer quelqu’un précurseur, faut-il encore, sans rien exagérer, qu’il s’écoule tout de même un certain laps de temps entre le précurseur apparu pour préparer, aplanir les sentiers, œuvre d’assez longue haleine, et celui qui vient après lui. Or, Jean et Jésus font des débuts quasiment simultanés. Le Selon-Luc, qui nous donne deux récits des nativités, — disons des naissances, — de Jean = Iôannès et de Jésus, prouve qu’ils sont absolument du même âge. Dans l’enchevêtrement des faits relatifs à ces deux naissances auxquelles je réserve un chapitre, le cinquième — annonciation à Zacharie par un ange, (anonyme d’abord, puis qui se présente ensuite sous le nom de Gabriel) qu’Elisabeth enfanterait le Iôannès ; annonciation par le même ange à Marie qu’elle aussi serait mère d’un fils, Jésus ; visite de Marie à Elisabeth, naissance de Jean, délivrance de Marie à Bethlehem —, on sent bien que le scribe essaie de mettre de l’espace et du temps entre les deux naissance. Jean doit être le précurseur, n’est-ce pas ? Mais ses malices ne peuvent prévaloir contre ce fait que Iôannès et Jésus, conçus en même temps sont nés au même terme, à quelques six mois près si l’on y tient. Six mois, — et je prouverai que ce n’est qu’une apparence, en étudiant plus loin les Nativités, — c’est peu, pour faire d’un simple homme, même envoyé de Dieu, un être plus précoce que le propre fils de Dieu, Dieu lui-même, dans le seul but d’annoncer le fils de Dieu, de prêcher la repentance, de baptiser et de pardonner les péchés, — toutes choses que fait Jean, comme s’il était le Christ. Les Pharisiens le lui disent nettement (Jn., I, 25) : Pourquoi baptises-tu, si tu n’es pas le Christ ? Oui, de quel droit ? J’y reviendrai.

Il est évident que, dès leur début, la vie et la carrière de Iôannès = Jean et du Christ Jésus, dans les Évangiles, chevauchent l’une sur l’autre. Peut-être même coïncident-elles par de nombreux points. Jean est à peine entré en scène, comme  prédicateur, ou prophète, que Jésus apparaît aussitôt. Plutôt qu’un précurseur, Jean, — et je n’attache à la comparaison aucune irrévérence, — a l’air d’un personnage de prologue, annonçant au public, le rideau levé, l’acteur qui attend tout prêt et tout près, dans la coulisse, qui va paraître, et dont on veut faire connaître le rôle qu’il va tenir dans le drame. Comme si, s’agissant du Messie, il en était besoin ! Justin vous a prouvé que non.

Serrons la discussion de plus près.

D’après le Selon-Luc, la carrière de Jean, qui demeura dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation à Israël (Lc., I, 80), — on dirait qu’il s’agit du Messie, puisqu’on emploie ce mot énorme : sa manifestation, le lancement de son manifeste, la quinzième année du règle de Tibère, — sa carrière, dis-je, commence à une date bien déterminée, la seule, en millésime, que l’on trouve dans les Évangiles, — on lui fait cet honneur à Jean ! — et c’est, je le répète, car c’est un trait important et remarquable, la quinzième année du règne de Tibère César, soit l’an 782 de Rome, ou l’an 28 de l’ère chrétienne[4]. Jésus a été baptisé en ce temps-là[5]. Et il a commencé immédiatement son ministère, âgé d’environ trente ans, d’après le Selon-Luc (III, 23). Environ, en effet. Or, à 754, si on ajoute 30, on obtient 784, qui est la date de la dix-septième année du règne de Tibère. Jean débuterait ainsi, en 782, deux ans avant Jésus-Christ. C’est bien humiliant pour le fils de Dieu.

Mais de ceci, les scribes n’ont cure. Il s’agit de bien marquer le rôle de Précurseur voulu pour Jean. Plus il apparaîtra comme Précurseur, moins il sera facile de prétendre que Jean et Jésus sont le même personnage historique[6].

Eh ! bien, soit ! Amen ! J’accepte ce monceau de faux et d’erreurs volontaires. Jean-Baptiste débute en 782, quinzième année du règne de Tibère, précédant Jésus-Christ, né en 754, et débutant, âgé d’environ trente ans, en 784, soit deux ans après Jean.

Mais alors, je demande respectueusement à l’Église qui, d’après saint Augustin et Lactance, fait mourir Jésus-Christ sous le consulat des deux Geminus, c’est-à-dire encore 782 de Rome, comment elle concilie cette date de la mort de Jésus-Christ avec l’année 784 où elle le fait débuter, âgé d’environ trente ans ? Je lui demanderai aussi comment Jésus-Christ que l’Évangile Selon-Luc fait naître en 760, à l’époque du recensement de Quirinius, et qui aurait eu trente ans en 790, peut avoir été crucifié en 782, huit ans avant ses débuts. Allons ! répondez ! ! Expliquez ces mensonges, ô exégètes[7] !

Ainsi Jean-Baptiste est en 782 le précurseur, le témoin, le héraut de Jésus-Christ, il le baptise au Jourdain, il lui envoie des ambassadeurs, il dit de Jésus-Christ qu’il vient après lui, dans l’année même où Jésus-Christ meurt, — et doit lui aussi mourir, dans le système de Lactance et de saint Augustin. Toute la carrière de Jean-Baptiste se resserre donc dans quelques mois de l’an 782. Je vous disais bien que l’Eglise, malgré ses efforts pour mettre de l’espace, du temps et de l’air entre Jean et Jésus-Christ, ne peut y réussir. Jean et Jésus se superposent l’un sur l’autre en une seule année, d’après l’Eglise elle-même. Ils meurent la même année ; ils sont nés au même terme de Marie et d’Elisabeth[8].

Eh ! bien, quand on a examiné toutes ces impossibilités de chronologie qui prouvent que le rôle de Jean-Baptiste comme Précurseur est inventé, quand on a essayé de raisonner sur les contradictions, de les ramener à une certitude, on se trouve en présence d’une succession de faux qui cascadent les uns sur les autres : fausse la date 754 comme date de la naissance de Jésus-Christ, donnée par Denys-le-Petit ; fausse celle de 760 (recensement de Quirinius), pour cette même naissance ; fausse la date de 782 (consulat des deux Geminus), comme date de la crucifixion. Et quand on a découvert tous ces faux, qui vous submergent, et que l’on est prêt à passer condamnation, pardonnant à l’Église de ne pouvoir se dépêtrer de ses impostures, voici qu’elle vous jette au visage un Jésus-Christ qui débute, âgé d’environ trente ans, en 784, c’est-à-dire deux ans après qu’elle nous a dit, par la voix de saint Augustin et Lactance, et six ans par les déductions à tirer du Selon-Luc, qu’il est mort. Jésus-Christ débute, quand il est mort, depuis six ou deux ans ! La farce passe les bornes !

Création suspecte par travail de littérature.

On commence à apercevoir combien le rôle de Précurseur de Jésus-Christ, attribué à Jean-Baptiste, dans le sens des Évangiles, est une création suspecte. Et si elle est suspecte, elle a un but. Que veut-on cacher ? On n’entasse pas les mensonges sur les mensonges et qui se contredisent, surtout quand on se dit la première puissance morale, pour le plaisir de mentir. Ce qu’on veut cacher ? C’est cette vérité, qu’il ne faut pas se lasser de répéter : que Jean, nom d’apocalypse du Messie sous Tibère, qu’on le qualifie ou non de Baptiseur, a été l’homme en qui, cent ans plus tard, les Cérinthe, Valentin et autres, ont fait descendre le dieu Jésus, dans des affabulations théologiques d’abstraite mythologie, en attendant que des scribes, au IIIe siècle, poussent le mythe jusqu’à l’incarnation.

C’est en ceci que Jean, Christ crucifié par Ponce-Pilate, a été vraiment le Précurseur de Jésus-Christ, à près de deux cents ans de distance. Les scribes, dans l’impossibilité où ils étaient de supprimer le corps qui fut le support charnel du Verbe Jésus, et transformant la fable en une histoire arrivée, créant Jésus- Christ, se sont débarrassés de l’homme historique, dont on leur demandait compte dans les polémiques, en en faisant Jean-Baptiste, le Précurseur.

L’idée était en germe, en puissance dans Cérinthe et Valentin. Du moment qu’on humanisait, qu’on matérialisait le dieu Jésus, en l’incarnant dans le corps du Christ, que l’on dépouillait lui-même de sa personnalité, sans pouvoir escamoter  la dépouille, il était immanquable qu’on en fît le Précurseur. C’était fatal, forcé. Bien plus. Il est certain que, pendant une étape de l’imposture, Jean a dû rester encore un moment le Christ, concurremment avec Jésus. Partant de la vérité à éliminer sous les espèces du Iôannès = Christ, pour aboutir à la fraude Jésus-Christ, les scribes ont joué quelque temps à la confusion entre Jean et Jésus, comme Christ unique, — le temps de substituer le mot Jésus à celui de Jean dans les manuscrits et d’y habituer l’esprit et l’oreille des goïms ignares. C’est à quoi s’est occupé saint Paul (I aux Corinthiens), sur quoi ont insisté lourdement les Actes des Apôtres. Et les Évangiles confirmeront plus tard. Il faut qu’il croisse et que je diminue, dira de Jésus, Jean-Baptiste, pour nous persuader mieux. Bonne âme, qui se dévoue ! L’homme qui a perdu son moi !

Mais ce travail littéraire, — pas autre chose, — ce travail forcé, si simple comme invention, ne s’est pas achevé en une fois. Il a suivi le sort des polémiques qui le discutaient. Il a nécessité des retouches, visibles comme des traces d’effraction, malgré les efforts des scribes pour les atténuer. Ils y ont laissé leurs empreintes digitales !

Dans les Synoptisés, Matthieu, Marc, Luc, composés par des scribes dévoués à la propagande jésus-christienne, on avait les mains assez libres. On a pu donner à Jean-Baptiste et à Jésus-Christ, distincts, des carrières assez différentes, où, en apparence, les deux personnages ne se pénètrent pas trop. Avec le quatrième Évangile, dont le fond provient de l’œuvre millénariste de Cérinthe et des écrits gnostiques de Valentin, inventeurs de l’Aeôn ou dieu Jésus, Verbe = Logos, on n’a pas réussi. Le Christ-homme ne cesse guère d’y être distinct et indépendant du Dieu Jésus, même quand on les appelle, l’un et l’autre, Jésus- Christ[9].

Nous allons en discuter de près.

L’Évangile dit Selon-Jean.

Il s’ouvre par quelques considérations sur le Verbe ou Logos, conformément aux théories de Cérinthe et de Valentin[10].

Puis Jean est introduit. Pas de naissance. Aucun renseignement sur ses parents. Il a l’air de tomber du ciel. En quoi il ne diffère pas de Jésus-Christ dans ce même Évangile. Voici comment on le présente :

Il y eut un homme, envoyé de Dieu, dont le nom était Iôannès (Jean). Celui­-ci vint pour être témoin, afin qu’il rende témoignage au sujet de la lumière, afin que tous aient la foi à travers lui.

Sur ce début, une observation. Jean étant présenté dans la première phrase, et seul, pourquoi le scribe emploie-t-il, pour le rappeler, au premier mot de la seconde phrase, le pronom démonstratif celui-ci, au lieu de dire tout simplement il vint ? C’est que Jean, — celui-ci —, doit s’opposer à un autre celui-là. On ne peut conclure autrement. Eh bien ! pas du tout. Le texte qui suit porte bien le pronom démonstratif celui-là, alors qu’il s’agit toujours de Jean seul en scène. Ecoutez, et sans tenir compte, pour le moment, des mots que je signale entre parenthèses, car je traduis le texte tel qu’il se présente actuellement. J’y reviendrai ensuite, pour montrer qu’il a été falsifié et en quoi. Voici :

Celui-là (n’)était (pas) la lumière, (mais afin qu’il rende témoignage au sujet de la lumière). Il était la lumière, la vraie, qui éclaire tout homme venant au monde[11].

Ainsi, Jean, celui-ci dans la première citation, et seul, devient, toujours seul, celui-là dans la seconde. Il s’oppose à lui-même par ces deux pronoms différents. C’est inexplicable. Mais relisez les deux citations à la suite, en supprimant de la seconde les mots que j’ai mis entre parenthèses. Tout s’explique. Celui-ci, c’est toujours Jean, qui vient en témoin de celui-là, c’est-à-dire de celui qui est la lumière. C’est si vrai, que la dernière phrase de la deuxième citation, où il s’agit de quelqu’un qui n’est pas Jean, introduit ce quelqu’un, qui est la lumière, la vraie, et qui est en violente opposition avec Jean, sans même marquer celle opposition par un pronom, alors que s’agissant du même Jean, le texte le désigne par celui-ci et par celui-là, ce qui est absurde. Et ce quelqu’un, qu’on oppose à Jean, sa personnalité, sur laquelle, par opposition, le texte devrait attirer l’attention, n’est marquée que par l’emploi, en grec, du verbe être, à la troisième personne, qui se passe du pronom personnel : Ên’ = (il) était. Ceux qui ont étudié le grec ou le latin le savent. Est-ce que très correctement cette dernière phrase n’est pas la suite naturelle de la précédente d’où il faut supprimer les mots entre parenthèses ? C’est certain.

Le texte grec a donc été gravement sophistiqué. Il faut lire celui-là — s’opposant à celui-ci, — était la lumière, en supprimant les négations ; (il) était la lumière, la vraie, addition explicative, très naturelle, car le scribe veut insister, et qui prouve qu’il faut sauter par-dessus l’incidente : afin qu’il rendit témoignage à la lumière, qui n’est qu’une répétition maladroite et inutile (mais dont on comprend l’intention) de la même incidente, dans les mêmes termes, contenue dans la première citation. Cette répétition est si bien interpolée, qu’elle suit ce qui précède dans une phrase incohérente. Qu’on la relise : Celui-là n’était pas la lumière, mais afin qu’il rende témoignage à la lumière. Qu’est-ce que c’est que cette façon de s’exprimer ? La preuve évidente que le texte a été maladroitement tripatouillé, dans un but suspect que l’on connaît, depuis que je le répète[12].

Cérinthe était clair. Les scribes qui l’ont refait en le falsifiant brouillent tout -Jean, le Verbe, Jésus-Christ. Mais on peut restituer facilement à chacun ce qui est à chacun. Continuons à lire le Selon-Jean.

Il (le Verbe) était dans le monde et le monde a été fait par lui ; et le monde ne l’a pas connu. Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas reçu. Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, mais de Dieu[13].

La main du scribe se manifeste. Il répète ce qui a été dit plus haut, et se prépare, avec des phrases qui peuvent s’entendre du Verbe, comme du Christ Ioannès, à glisser vers Jésus-Christ. Voici, catégoriquement :

Et le Verbe a été fait chair (dans Jean). Il a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire telle qu’est celle du Fils unique venu d’auprès du Père[14]. Telle qu’est celle de... Est-ce la même ou pas la même ? Se confond-elle, cette gloire, dans le Verbe et le Fils unique ? On peut répondre oui ; on peut répondre non.

Puis, la confusion s’aggrave, s’affirme : c’est le change éternel Jean lui rend témoignage quand il crie, disant :Celui-ci (le Fils unique) était celui dont j’ai dit : Celui qui vient après moi m’a devancé, parce qu’il était avant moi. En effet, nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce sur grâce. Car la Loi (thora) a été donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ[15].

Le morceau s’achève sur une phrase d’un gnosticisme suraigu :

Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique (quelques manuscrits très anciens portent : le dieu fils unique), qui est dans le sein du Père, est celui qui nous l’a fait connaître. Oui ! grâce à Pistis-Sophia, de Valentin, où le dieu-Jésus, venu du sein du Père, instruit pendant onze ans les Sept, Jean compris, sur le Mont des Oliviers. Le scribe oublie de nous le dire. Mais, pour le fond, il ne ment pas. Tout du Verbe Jésus, ce Fils Unique qui est dans ce sein du Père, et de toute éternité, évidemment. Car, dans la mystique de Cérinthe et des Gnostiques, il est incréé, il est le — étant dans le sein de l’Abba. Bien que le scribe veuille que nous le confondions avec Jésus-Christ, il n’a rien de Jésus-Christ, — qu’un nom, une moitié de nom, plus vraiment.

J’ai cru bon de reproduire tout ce développement, traduit mot à mot, sans fantaisie ni élégance, pour faire ressortir comment, en suivant le texte au plus près, de l’Évangile de Cérinthe, qui n’a jamais confondu le Christ-homme, le Messie juif  crucifié par Ponce-Pilate, avec le pur Esprit qu’est le dieu Jésus, l’Eôn céleste, émanation de Dieu, on a mis au point, et bien mal, l’Évangile que l’Eglise attribue à Jean, le disciple bien-aimé, l’apôtre, où Jésus-Christ veut être donné comme un être de chair, ayant une substance corporelle, comme on s’est efforcé de le présenter, sans aucune espèce de gêne, dans les Synoptisés.

Mais ce travail de littérature, ce travail forcé, il était trop au-dessus des forces humaines pour qu’il aboutisse à une vraisemblance, même approximative, acceptable pour la raison.

Cette inconciliable fusion, en Jésus-Christ, du Verbe, du dieu-Jésus, pur Esprit imaginé par des métaphysiciens sémitiques, avec le Christ de chair ou Messie juif crucifié par Ponce-Pilate, cette synthèse impossible entre deux éléments, l’un historique, l’autre mythologique, réussie théologiquement et ecclésiastiquement pour les croyants que les mystères de l’Eglise ébaudissent, reste une entreprise, à l’état d’entreprise, pour la raison et la critique, qui ne peut que souligner les invraisemblances, les incohérences, les contradictions, qui résultent des mensonges, des fraudes, des impostures accumulées, cascadant les unes sur les autres a en avoir la nausée.

Ayons le cœur solide pour vider l’abcès.

L’Évangile de Marcion, détruit naturellement, débutait ainsi, d’après Tertullien, qui donne la citation (Adv. Marcion, IV, 7 et ss.) : La quinzième année (du règne) de Tibère, au temps de Pilate, Jésus descendit (du ciel). Marcion est un gnostique qui ne confond pas le dieu Jésus, Verbe ou Logos, avec le Christ, dont il prend l’enveloppe charnelle, quand il descend. Jésus débuta donc l’an quinzième du règne de Tibère.

Dans le Selon-Luc actuel, avec quelques précisions de plus sur Tibère, Pilate et les Hérodes, phrase identique, mais, au lieu de Jésus qui descend du ciel, c’est le Iôannès-Jean, fils de Zacharie, — et, il n’est pas encore dit le Baptiste, — qui apparaît, venu l’on ne sait d’où, et à qui la Parole de Dieu est annoncée. Il se manifeste l’an quinzième du règne de Tibère. Si Jésus-Christ et Jean sont deux personnages distincts, d’après ces deux textes, leurs débuts sont synchroniques, simultanés. Qu’est-ce donc que cette, histoire qui fait de l’un le précurseur de l’autre ? Une supercherie. Ecoutez la fin. Si l’on en croit Tertullien, l’Évangile Selon-Luc aurait été composé d’après l’unique évangile dont Marcion serait l’auteur, — Marcion ayant lui-même utilisé comme source un Évangile paulinien ; cette seconde proposition constituant à mon avis une imposture introduite dans Tertullien, s’il ne l’a perpétrée lui-même, mais dont la discussion est sans intérêt ici. Reste ceci, qui paraît plus sûr et l’est plus ou moins : que le Selon-Luc procède d’un Évangile de Marcion.

Il est impossible alors de n’en pas tirer cette conclusion que le Selon-Luc, dans ce passage : La quinzième année de Tibère, etc., reproduisait Marcion, y parlait donc de Jésus et non du Iôannès-Jean, ou du moins, sachant que Iôannès = Jean était le Christ crucifié par Ponce-Pilate, il ne contenait pas, à l’origine, les scènes qui veulent faire de Jean le Jean-Baptiste de convention que l’on voit agir, personnage distinct du Christ.

Il a été retouché plus tard, quand on n’a plus voulu que le Christ, devenu Jésus-Christ, apparaisse sous ses traits historiques de Iôannès, dans son rôle de prétendant davidique, de Messie en révolte, d’émeutier en insurrection, soulevé contre l’État, et coupable, en jouant ce rôle, de crimes de droit commun.

La confrontation raisonnée du texte de Marcion avec le texte du Selon-Luc actuel prouve que Jean et le Christ sont le même personnage historique, que l’on n’a séparé en deux que par fraude.

La carrière de Jean dans le Selon-Jean.

La carrière de Jean-(Baptiste), après sa présentation, comme il vient d’être dit, est courte dans l’Évangile Selon-Jean. A part le baptême de Jésus, à qui je consacre un titre spécial, car il en vaut la peine, la carrière de Jean se borne à deux épisodes qui tendent tous les deux à faire témoigner par lui qu’il n’est pas le Christ et que le Christ, c’est Jésus. Des traits et détails que j’examinerai aussi, en passant, ont le même but. Littérature ! Premier épisode ou interview : Les Juifs lui dépêchent de Jérusalem des sacrificateurs et des lévites pour lui demander : Qui es-tu ? Et ces ambassadeurs sont de tels compères, dont Jean attend la question sans aucune espèce de doute, qu’immédiatement il comprend ce qu’il doit répondre. Il le déclara et ne le nia point ; il déclara qu’il n’était pas le Christ. — Quoi donc ? lui demandèrent-ils. Es-tu Elie ? Pas même. Il dit : Je ne le suis point[16]. Les ambassadeurs continuent : Es-tu le prophète ? Le prophète, et non point un prophète. Le prophète de quoi ? sinon Jean, le Prophète de l’Apocalypse, si vous voulez le savoir. Il répondit : non. C’est l’abdication totale devant Jésus. Le Iôannès ne sait plus ce qu’il a été. Les deux questions d’ailleurs sont astucieuses. Elles dédoublent le Christ, auteur de l’Apocalypse. Jean qui fut l’un et l’autre n’est plus ni l’un ni l’autre. Oui, le scribe est un maître Machiavel. Mais les ambassadeurs s’impatientent. Diable, enfin, lui disent-­ils, qui es-tu donc ? afin que nous rendions réponse à ceux qui nous ont envoyés. Que dis-tu de toi-même ? Oh ! pas grand’chose ! Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : aplanissez le chemin du Seigneur, comme l’a dit le prophète Ésaïe. Alors, les ambassadeurs, qu’on nous apprend être des Pharisiens, — malheur à eux ! — lui demandent encore : Pourquoi donc baptises-tu, si tu n’es point le Christ, ni Élie, ni le prophète ? Oui, pourquoi baptise-t-il, ce Jean, qui n’a, dans trois Évangiles : dans le Selon-Matthieu, dans le Selon-Marc et dans le quatrième Évangile, ni père, ni mère, ni lieu de naissance, qui est sans feu ni lieu, presque sans foi ni loi, car nous verrons tout à l’heure dans l’ambassade, à Jésus, que ses disciples, quand il est en prison, qu’il ne sait même plus si Jésus est le Christ ? Pourquoi baptise-t-il, ce Jean, qui serait, sans mandat, s’il n’était pas le Christ, puisqu’il est l’envoyé de Dieu, comme le Verbe, le dieu Jésus, l’Aeôn de Cérinthe ? Pourquoi baptises-tu ? Question sans réponse, si le scribe qui parle pour Jean pouvait jamais être échec et mat. Il répond : Pour moi, je baptise d’eau ; mais il en est un au milieu de vous, que vous ne connaissez pas. C’est celui qui vient après moi, — il ne dit plus : qui était avant moi, ici, car le passage provient des Synoptisés —, ­et je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure. Il ne dit pas non plus de quoi cet un qui vient après lui doit baptiser[17].

Ces choses se passaient à Béthanie, au delà du Jourdain, ajoute le scribe. Quelques manuscrits portent : à Béthabara oui, le lieu du bac, autrement dit. Car de Béthanie, au-delà du Jourdain, oncques n’en vit-on ; il n’est même pas de Béthanie près de Jérusalem, au temps de Ponce-Pilate. Il n’y a de Bathanea qu’au delà du Jourdain et c’est la capitale de la Bathanée[18].

Deuxième épisode ou la présentation de Jésus : le lendemain de cette ambassade, Jean vit Jésus qui venait vers lui et il dit : Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde. C’est celui dont je disais — Il vient après moi un homme qui m’a devancé, parce qu’il était avant moi[19]. » Jean continue : Pour moi, je ne le connaissais pas, mais je suis venu baptiser d’eau, afin qu’il fût manifesté à Israël.

Au point de vue de la vérité historique, cette phrase est importante. Elle prouve que Iôannès = Jean est bien le Messie juif qui n’a pas connu le dieu Jésus lequel, en effet, n’a été inventé qu’au IIe siècle. Le scribe qui a refait Cérinthe a laissé passer cet aveu. Il a beau ajouter : Je suis venu baptiser d’eau afin qu’il fut manifesté à Israël, essayant ainsi, par une explication d’ailleurs assez incohérente, de donner le change, comme toujours, selon son procédé ordinaire, et de faire de Jean le précurseur immédiat de Jésus-Christ inventé, il est impossible que Jean, d’après la tradition évangélique, ait pu déclarer qu’il ne connaissait pas Jésus-Christ, puisque le scribe veut nous aiguiller vers lui. Quand nous étudierons les Nativités de Jean et de Jésus-Christ, dans le Selon-Luc, la dernière des manœuvres frauduleuses, — et désespérée, — de l’Église pour faire de Jean et de Jésus-Christ deux êtres distincts, nous verrons que si quelqu’un doit, d’après les affabulations évangéliques, connaître Jésus-Christ, c’est bien Jean, comme aussi, par le baptême, nul autre que Jean n’a dû mieux savoir que celui qu’il annonce est le Fils de Dieu. Il est vrai que le quatrième Évangile ne fait pas expressément baptiser Jésus par Jean. Nous dirons pourquoi, quand nous discuterons sur ce baptême. Mais il le laisse entendre, il le sous-entend, assez sournoisement : J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe, ajoute en effet Jean, et il s’est arrêté sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas[20], mais celui qui m’a envoyé baptiser d’eau[21] m’a dit :Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et s’arrêter, c’est celui qui baptise d’Esprit saint. Et je l’ai vu, et j’ai rendu ce témoignage : c’est lui qui est le Fils de Dieu.

Tout ce passage peut, à la rigueur, être signé Cérinthe. On en est d’autant plus sûr que Jésus-Christ ne baptise pas autrement que d’eau, tout comme Jean-Baptiste, quand il baptise[22].

Enfin, puisque Iôannès, mort au premier siècle, n’a pas connu, ainsi qu’il l’avoue, Jésus-Christ, fabriqué aux confins du IIe et du IIIe siècle et non plus même le dieu Jésus, Verbe ou Logos, imaginé au IIe, quel Christ a-t-il donc connu et pouvait-il bien annoncer et manifester à Israël, qui ne fût pas lui-même, Jean ?

Il faudrait tout de même qu’on nous explique ce phénomène d’un homme, Jean, — qui ne sait jamais s’il connaît un autre homme, qui est son cousin né au même temps, qui l’a fréquenté, baptisé, etc.

Le Selon-Jean nous présente une fois encore, le lendemain, Jean-Baptiste. Jésus apparaît. Jean dit : Voici l’agneau de Dieu. De quoi, deux de ses disciples  profitent pour le quitter et suivre Jésus, naturellement. Pure littérature. Soyez sûrs que les deux ne changent pas de Rabbi. Jean aplanit les chemins de Jésus jusqu’en lui passant ses disciples. Il faut bien : ce sont les mêmes.

Jean ne reparaît plus personnellement, dans le IVe Évangile, qu’à Aïn-on, près de Saleïm ; et l’on prend la précaution de nous annoncer qu’il n’avait pas encore été, mis en prison, ce qui suppose qu’il va l’être, puisqu’il disparaît à jamais de l’Évangile, ou plutôt, il continue sous les espèces de Jésus-Christ.

Cette scène d’Aïn-On, près de Saleïm, est, en effet, le trait d’union, comme la soudure, entre les deux parties de la carrière du Messie juif, sous le nom de Jean d’abord, et sous le nom de Jésus-Christ, ensuite. On ne comprend pas, en effet, que Jean puisse continuer à baptiser, alors que Jésus est entré en fonction, comme Christ et comme baptiseur. C’est ce que l’Évangile Selon-Jean a très bien compris et laisse clairement entendre par qui a des oreilles.

Et le Selon-Jean ne décapite pas Jean-Baptiste.

Toutefois, pour bien marquer l’abdication de Jean, en le faisant disparaître, le quatrième Évangile — le faussaire qui l’a retouché, plutôt, — invente une dispute des disciples de Jean avec un Juif au sujet de la purification. Et les disciples de Jean, bien mal instruits vraiment par leur maître, leur Rabbi, sur le Christ, disent à Jean : Maître, voici que celui qui était avec toi au delà du Jourdain, auquel tu as rendu témoignage, le voici qui baptise, et tous vont à lui. Et Jean répond : Aucun homme ne peut rien s’attribuer qui ne lui soit donné du ciel. Vous m’êtes vous­ mêmes témoins que j’ai dit :Ce n’est pas moi qui suis le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui. Oui, c’est entendu.

Mais pour que Jean le leur répète aussi souvent, il faut décidément qu’ils n’en croient rien. Suit un long morceau qui semble extrait des œuvres cérinthiennes et gnostiques[23]. On y a glissé une phrase cependant, noyée dans l’ensemble, mais qui sonne comme la dernière expression de la résignation de Jean abdiquant son rôle historique de Christ devant le Jésus-Christ des scribes : Il faut qu’il croisse et que je diminue (Jean, III, 30). Oui, il le faut absolument, sans quoi toute la mystification jésu-chrétienne s’écroule, et il faut aussi que les disciples christiens de Jean passent en même temps à Jésus-Christ. Tous vont à lui. On escamote jusqu’à ses disciples, qui deviennent jésus-christiens. Osez soutenir que Jean fut le Christ.

Jésus-Christ renie le témoignage de Jean.

Je ne puis me séparer du quatrième évangile sans y relever deux traits qui montrent combien est inutile, invraisemblable, contraire à toute vérité historique le rôle de Précurseur de Jésus-Christ, donné à Jean pour remployer sa dépouille de christ dépossédé.

Dans un discours aux Juifs, sans autre précision, Jésus-Christ (Jean, V, 33) leur rappelle ce témoignage que Jean aurait fait aux sacrificateurs et lévites, venus de Jérusalem. Vous m’avez envoyé vers Jean, dit-il, — comment le sait-il ? On voit que c’est le scribe qui tire toutes les ficelles. — et il a rendu témoignage à la vérité. Pour moi, ce n’est pas le témoignage d’un homme que j’invoque... Alors, pourquoi ce rôle de Jean, si ce n’est que, ne pouvant anéantir sa personne, il fallait lui trouver un emploi, hors de son rôle historique, pour qu’on ne le découvre pas en Jésus-Christ que l’on inventait.

Pauvre Jean ! Jésus-Christ, l’ingrat, fait fi de son témoignage. Encore, dans le passage qui précède se souvient-il de lui ! Il le nomme. Mais, patience ! Il ne va pas tarder à l’oublier tout à fait.

Voici le chapitre VIII, du Selon-Jean, du verset 12 au verset 20. Lisez et méditez. C’est à Jérusalem, pendant la fête des Tabernacles, où l’on a inséré le hors-d’œuvre, de la Femme adultère qui coupe mal à propos un ensemble bien intéressant, car il n’est que dans le IVe Évangile et cache un coup de force, une émeute dont je parlerai un jour quand je reconstituerai la carrière du Christ, messie juif, dans son vrai rôle historique, de prétendant davidique au trône de Judée[24].

Donc, pendant la fête des Tabernacles, à Jérusalem, Jésus-Christ discourt et dit aux Juifs :

Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. Il est le soleil, quoi ! Et c’est pourquoi il est né à Bethlehem, conçu par la Vierge.

Il reprend à la première personne, parlant de lui, ce que le scribe en disait, par la bouche de Jean, à la troisième personne, au début de l’Évangile. Et ce qu’en disait Jean est sans doute une invention du scribe pour différencier celui-ci de celui-là, puisque, ici, l’Évangile s’exprime ainsi, remettant le Christ dans sa vraie peau, celle de Jean : — Alors les Pharisiens lui dirent : Tu te rends témoignage à toi-même ; ton témoignage n’est pas digne de foi.

Que va répondre Jésus ? Va-t-il leur dire : Eh ! bien, et Jean ? Ne m’a-t-il pas rendu témoignage ? Vous l’avez entendu vous-mêmes, quand vous avez dépêché des ambassadeurs vers lui (chap. I, 19-28). Et moi, ne vous ai-je pas rappelé (chap. V, 33) ce témoignage de Jean à vos ambassadeurs, sacrificateurs et lévites ? Pas du tout. Plus de Jean, plus de héraut, plus d’annonciateur. — Jésus leur répondit : Quoique je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est digne de foi, car je sais d’où je suis venu et où je vais ; mais vous, vous ne savez ni d’où je viens, ni où je vais. Vous jugez selon la chair.

Ma foi, oui. Les Juifs, interlocuteurs de Jésus, jugent selon la chair. Ils se rappellent le Christ de chair, le Iôannès, dont tous les prophètes avaient annoncé la venue. Il ne se donnait pas comme le Verbe de Dieu, sous Tibère. Ni Cérinthe, ni Valentin n’étaient passés par là en ce temps-là. Les Juifs savaient d’où il venait, ce Christ. De Gamala. Et ils surent, à la Pâque de 788-789 où il alla. Ils ne se doutaient pas que le Verbe, venant en lui, plus de cent ans plus tard, le quitterait sur la croix, remettant à Marie, sa mère, sa loque pantelante : Femme, voilà ton fils ! Ils ne comprennent rien à ce jeu de littérature, où le scribe les convie, du Jean-Christ de chair, devenu Jésus-Christ mi-chair, mi-aeôn ou mi-esprit.

Mais Jésus tient à prouver que le témoignage qu’il se rend à lui-même est conforme à la vérité. Il invoque la Thora (Deutér., XIX, 5) où il est écrit que le témoignage de deux personnes est digne de foi. Il compte le sien pour un. Soit ! Vous croyez que le second sera celui de Jean ? Quelle erreur !

Je me rends témoignage à moi-même (un), dit-il ; et le Père qui m’a envoyé, — comme il a envoyé Jean, que Jésus ici met dans sa poche, — me rend aussi témoignage. Ça fait deux.

Où est ton père ? demandent les Juifs. Et Jésus répond :

Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Vous ne connaissez ni moi, ni mon Père. Et c’est vrai. Ils continuent à juger selon la chair. A l’époque où est censément tenu ce discours, entre 782 et 789, sous Ponce-Pilate, la fable du Jésus Verbe, Fils unique de Dieu, qui descend dans le corps du Christ, est inconnue, n’existe pas. Elle ne sera imaginée que plus de cent ans plus tard. Ce morceau fait état en faveur de Jésus-Christ, au premier tiers du premier siècle, d’affabulations qui datent du milieu du second. C’est assez dire que c’est du Cérinthe tout pur que l’on veut faire rétroagir. Et pour que nul ne s’y trompe, situant la scène, — ainsi tout le monde sera trompé ! — le scribe qui refait Cérinthe ajoute : Jésus prononça ces paroles, dans le lieu appelé le Trésor, — où il y avait treize troncs pour recevoir les aumônes, à l’entrée de la cour des femmes, — enseignant dans le Temple ; et personne ne se saisit de lui, car son heure n’était pas encore venue.

Comme tout est bizarre, dans les Évangiles ! Eh ! quoi, voici un homme qui enseigne dans le Temple, et, tel qu’on veut nous le donner et faire prendre, qui enseigne la morale, le bien, la vertu, la paix, — le royaume de Dieu ! — et vlan ! Il est question de se saisir de lui, de l’arrêter, et si la malencontre ne lui advient pas, c’est parce que son heure n’est pas encore venue.

Quelle pantalonnade !

Allons ! Bas les masques et haut les mains ! Le Christ est à Jérusalem, dans le temple, prêchant l’Apocalypse, la révolte contre Rome et les Hérodes, — qui sait ? Ayant essayé de mettre la main sur le trésor, nerf de la guerre. Il y a eu quelque échauffourée. Il n’a même pas réussi à s’échapper. Le scribe peut prétendre le contraire, à la suite de sa variation cérinthienne sur le Verbe, le Christ fut pris ; et je vais vous dire l’année de cette fête des Tabernacles : c’est 787, l’année même où, étant en prison, sous les traits de Iôannès, on profitera de l’occasion pour décapiter Jean, sous les espèces du Baptiste[25].

Jean-Baptiste dans les Synoptisés. — Dans le Selon-Matthieu, où il n’a ni acte ni lieu de naissance, Jean-Baptiste apparaît en ce temps-là, c’est-à-dire, d’après ce qui précède, dans cet Évangile, au retour d’Égypte de Joseph et de Marie, donc de leur fils, après la mort d’Hérode. Le Selon-Matthieu, qui n’a pas l’air de se douter de ce qu’on lit dans le Selon-Luc, où Jean et Jésus naissent ensemble, en 760 environ, fait débuter Jean, à une époque où il devait avoir, — après tout quel âge pouvait-il avoir, au lendemain de la mort d’Hérode, vers 750, en ce temps-là ? Ne cherchons pas. Ne supposons même pas qu’entre le retour d’Égypte et le en ce temps-là, le Selon-Matthieu ait franchi des années creuses. Au vrai, il veut nous montrer que Jean paraît alors que Jésus n’est encore qu’un enfant. Le précurseur,  n’est-ce pas ? Quelle malice ! Et concluons, avec raison et vraisemblance, que Jean est tellement le Messie, le Christ, que le scribe ne peut pas le faire débuter avant que le fils de Joseph et de Marie ne soit présent. Il prêche dans le désert de la Judée, et dans des termes que Jésus-Christ pourrait contresigner, tant comme appel à la repentance que comme invectives aux Pharisiens et aux Saducéens[26].

Car le doux Jésus, dont on ne nous dit pas, comme du rude Jean, mangeur de miel sauvage et de sauterelles, qu’il était vêtu, qu’il avait un vêtement de poils de chameau, tissé à Gamala, autrement dit, ne le cède en rien à son précurseur en fait d’invectives aux Pharisiens et Saducéens, et avec le même à-propos[27].

Mais reproduisant des invectives communes aux deux personnages, le scribe craint que le lecteur n’y reconnaisse qu’une même bouche, et y voie clair. Vite, changeons ses idées. Et alors, il se souvient du IVe Évangile falsifié, à moins que les falsifications du Selon-Jean procèdent des mêmes scribes que celles du Selon-Matthieu. Et il écrit, faisant parler Jean : Pour moi, je vous baptise d’eau, pour la repentance, mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses chaussures, — et non plus d’en délier la courroie ; — c’est lui qui vous baptisera d’Esprit saint et de feu[28]. Des mots !

Le Selon-Luc (III, 1-17), sauf qu’il a donné les Nativités de Jean et de Jésus, est, à quelques détails, la reproduction presque textuelle, en ceci, du Selon-Matthieu : exhortations à la repentance, invectives, non pas aux Pharisiens, mais à la foule. L’échec du Messie juif le rend furieux, trois cents ans après. La foule d’ailleurs n’est plus, — car n’est plus la nation juive. Le scribe peut l’insulter. A noter cette précision qui compte, que j’ai déjà signalée, que je signalerai sans doute encore, et qui n’est que dans le Selon-Luc, tout fier de montrer qu’il est bien renseigné, grâce à Marcion : il donne la quinzième année du règne de Tibère, — soit 782 de Rome, — comme date de la manifestation de Jean à Israël[29].

Toutefois, un paragraphe de Luc (III, 14-19) que n’a pas Matthieu est tellement dans la manière de Jésus humanitaire et socialisant, que tous, parmi le peuple, se demandent si Jean ne serait point le Christ. Dans le Selon-Luc, le peuple, à qui l’on a changé son Messie historique, son Christ crucifié, tient le rôle de compère, que les sacrificateurs et lévites, venus de Jérusalem, jouent dans le Selon-Jean. Et Jean répond comme dans le Selon-Matthieu : Pour moi, je vous baptise d’eau, etc. (Mt, III, 11-12 ; Lc, III, 16-17). Puis Luc met Jean en prison, avant même qu’il ne lui fasse baptiser Jésus. J’en reparlerai.

Le Selon-Marc commence, comme un titre, sans l’article : Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu. Christ est de trop, et quelques manuscrits, qui l’ont compris, n’ajoutent pas : Fils de Dieu. Puis, rappelant la parole d’Esaïe : Voici, j’envoie mon messager devant la face et il te préparera le chemin, il l’applique à Jean qu’il fait apparaître. Il résume Matthieu et Luc et ne nous apprend rien que nous ne sachions sur la prédication de Jean.

Le baptême d’Esprit saint ou de feu.

Le grand argument des Évangiles, en ce qui concerne la pratique du baptême, pour différencier Jean de Jésus-Christ, — et ou le retrouve à propos d’Apollos, nous le verrons, par opposition aux pratiques baptismales de saint Paul, — c’est que Jean a baptisé d’eau et que Jésus-Christ baptisera, après Jean, d’Esprit saint.

Le baptême d’eau, on sait ce que c’est[30]. Mais le baptême d’Esprit saint ? Baptiser d’Esprit saint ou du Saint-Esprit, qu’est-ce ? On devrait bien nous le dire. Ce sont des mots, des mots sous lesquels il n’y a rien, sauf ce que j’ai dit du Saint-Esprit, dans l’Enigme de Jésus-Christ. Le Saint-Esprit, (qo hagion pneuma), c’est le change des changes, inspiration sacrée, sans doute, vent qui souffle où il veut, comme un Esprit qu’il est. Tout ce qui est pneumatique est contraire à la vérité historique et à la raison. Le Saint-Esprit n’a été inventé qu’à cause des mensonges ecclésiastiques qu’il faut couvrir et des fraudes dont on fait des mystères, de peur qu’en y réfléchissant on ne les perce à jour comme des mystifications.

Jésus-Christ est venu après Jean, parait-il, pour baptiser d’Esprit-Saint. C’est facile à dire. Mais, voici les Évangiles — ils sont quatre ; ils sont le récit authentique, historique, d’après l’Église, de la vie de Jésus-Christ. Voulez-vous m’y montrer un cas, un seul, où Jésus-Christ pratique le baptême d’Esprit saint ? Allons ! cherchez, trouvez, prouvez ! Des mots, oui. Des actes, pas un.

Jésus-Christ, comme Jean qu’il est en chair, ne baptise que d’eau. Il baptise d’eau à Aïn-on Saleïm, aux côtés de Jean : ce quatrième Évangile est formel (III, 22). Et ce n’est pas la restriction qu’il apporte ensuite (IV, 2), disant que ce n’est pas Jésus qui baptisait, mais ses disciples, qui y peut changer quoi que ce soit. Et puis, n’aurait-il pas baptisé d’eau, affirmation absurde, qu’il n’en resterait pas moins qu’il n’a pas baptisé de feu, ni d’Esprit saint. Sur ce point, aucun doute, aucune contradiction, aucun change : le silence, un procès-verbal de carence.

Il n’en peut être autrement. Et l’on va comprendre pourquoi.

Le baptême d’Esprit saint ou de feu, dont parlent les Évangiles, — des mots dans leur texte, puisque Jésus-Christ n’y vient jamais aux actes, — c’est dans l’Apocalypse que les scribes des trois Évangiles synoptisés en ont pris l’idée. L’Apocalypse, manifeste du Christ, seul Bonne nouvelle historique, malédiction juive sur les autres « nations », prophétie en vertu de laquelle les Juifs devaient régner sur la terre, conformément à la Promesse d’Iahveh inscrite dans les tables du Témoignage, dans la Thora, but et obligation de la Sainte Alliance avec son peuple, révélation du Iôannès = Jean sur la réalisation de l’Espérance d’Israël, telle qu’il la concevait et la désirait, au jour de la grande Pâque, au mois de nisan (avril) 788-789, et qui aboutit pour lui, Christ vaincu, à la crucifixion, l’Apocalypse nous explique, en  son chapitre XIX, ce qu’est ce que devait être ce baptême de feu, qui n’est devenu d’Esprit saint en Évangile ou du Saint-Esprit, qu’après la défaite juive sous Hadrien, la ruine de l’espérance messianique et la destruction définitive du royaume de Judée ou de David, la dispersion d’Israël sans patrie à travers le monde. Ce baptême du Saint-Esprit, c’est, à l’origine, le baptême de feu, réservé aux nations, aux goïm, aux ennemis des Juifs. Savourez ce passage. C’est Jean-Iôannès qui parle :

Je vis le ciel ouvert, et voici un cheval blanc : celui qui le montait s’appelle le Fidèle et le Véritable ; il juge et combat avec justice. Ses yeux sont une flamme de feu... il est revêtu d’un manteau teint de sang. Le nom dont il s’appelle, c’est le Verbe de Dieu... De sa bouche sort une épée tranchante dont il va frapper les nations qu’il gouvernera avec un sceptre de fer (c’est bien le Messie-Christ). Sur son manteau et sur sa cuisse, il porte ce nom écrit : Roi des rois et Seigneur des Seigneurs (Seigneur des Saigneurs serait plus exact, on va le voir)... Un ange debout dans le soleil. Il cria à tous les oiseaux qui volaient par le milieu du ciel : Venez ! rassemblez-­vous pour le grand festin de Dieu ! Venez manger la chair des rois, la chair des chiliarques (capitaines), la chair des puissants, la chair des chevaux et de ceux qui les montent, et la chair de tous les hommes libres et esclaves, des petits et des grands. Et je vis la Bête (juive : Hérode Antipas) et les rois de la terre et leurs armées (la Bête romaine), rassemblés pour faire la guerre à celui qui était monté sur le cheval (blanc) et à son armée. Mais la Bête fut saisie, et avec elle le faux prophète qui avait fait des prodiges devant elle, par lesquels il avait séduit ceux qui avaient pris la marque de la Bête (romaine) et adoraient son image. Les deux furent jetés vivants dans l’étang ardent de feu et de soufre...

Voilà le baptême de feu, que le Christ destinait aux nations, aux goïms, et dont il devait les baptiser. Et Jean (Baptiste), se souvenant, par l’esprit des scribes, au IIIe ou IVe siècle, de l’Apocalypse qu’il avait prêchée au premier, lors de sa manifestation à Israël, comme Christ, s’écriera :

Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu... Mais il vient celui qui est plus puissant que moi... C’est lui qui vous baptisera d’Esprit saint et de feu- Il consommera le froment... mais il brûlera la balle au feu qui ne s’éteint point (Matt., II, 1, 9, 16, 17).

Relisez le morceau. Voilà, dans les Évangiles eux-mêmes, la définition du baptême de feu et de Saint-Esprit. Dans la deuxième Epître aux Thessaloniciens (I, 7-9), fausse mais ancienne, elle date d’un peu après Papias, vers 130 du IIe siècle, on peut lire encore, corroborant et commentant l’Apocalypse : ... Dans la révélation (apocalypsei, texte grec) du Seigneur Jésus, venant du ciel, avec les anges de sa puissance, faisant justice dans des flammes de jeu de ceux qui ne connaissent point Dieu (et n’obéissent point à l’Évangile de notre Seigneur Jésus), lesquels seront punis de la perdition éternelle (éonienne). C’est la confirmation de la prophétie apocalyptique. Et il faut que ce baptême de feu ait bien été celui, et tel quel, dont devait baptiser le Christ vainqueur des nations, pour que les scribes, dans l’Évangile Selon-Luc (XII, 49), le rappellent dans la bouche de Jésus, comme un souhait, un regret de ce qui ne s’est pas accompli : Je suis venu jeter le feu sur la terre, et qu’est-ce que je veux sinon qu’il soit déjà allumé ?

A la suite, Jésus ajoute, il est vrai, aujourd’hui : J’ai à être baptisé d’un baptême, et combien je souffre qu’il s’accomplisse. Le scribe nous présente ainsi un Christ qui pense au martyre, à la mort sur la croix, à sa Passion, dit l’Eglise, pour la Rédemption des hommes. Entre la première phrase (je suis venu jeter le feu sur la terre) et la deuxième (j’ai à être baptisé, — à supposer qu’il n’y eut pas d’abord : j’ai à baptiser, — d’un baptême, et je souffre qu’il s’accomplisse, — à supposer donc qu’il n’y eut pas le contraire), il s’est écoulé deux ou trois cents ans, sinon davantage, qui vont du temps de Tibère et de Ponce-Pilate, au temps de Constantin, et peut-être de saint Augustin. Le Selon-Luc est la maison de correction.

Le baptême dont Jésus dit qu’il a à être baptisé et qu’il souffre de voir s’accomplir, auquel, comme Messie, il ne s’attendait pas pour lui-même, est un troisième baptême : celui du sang, que le scribe n’a aucune peine à prédire, puisqu’il écrit bien après la crucifixion. Ce troisième baptême, je l’infère de la Première épître de Jean (V, 6) où il est dit : C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu avec l’eau et le sang... car il y en a trois dans le ciel qui rendent témoignage : le Père, le Verbe de dieu Jésus et le Saint-Esprit, et ces trois-là sont un. Il y en a aussi trois qui rendent témoignage sur la terre : l’Esprit, l’eau et le sang. On voit que cette Épître s’inspire, est toute imprégnée encore des doctrines cérinthiennes et gnostiques. Aussi, dans certains manuscrits, a-t-on fait sauter la phrase sur les trois témoins dans le ciel. C’est dans la règle du jeu d’imposture.

Lorsque le Christ-Messie fut transfiguré par les scribes en Jésus-Christ, sauveur des hommes, le baptême de feu qui punit de la perdition éternelle, devint le baptême de feu et d’Esprit-Saint, qui doit sauver le monde. De ce baptême, nulle trace dans les Évangiles, que dans les mots. Mais dans les Actes des Apôtres, qui ont précédé de quatre-vingts à deux cents ans les Évangiles, le Saint-Esprit apparaît sous la forme de langues de feu (Actes, II, 3), quand les Apôtres, dans la Chambre haute, le reçoivent. Et Jean = Iôannès, Christ ayant abdiqué, est parmi eux, disciple bien-aimé, cette fois. Mais, plus les années s’écoulent, et plus ce feu s’éteint. On en parlera, mais on ne le montrera plus. Et c’est pourquoi dans les Évangiles, on ne le voit pas. On le nomme encore, mais le Saint-Esprit finit par le remplacer, et jamais plus on n’y associera l’idée ni surtout l’image du feu. Même dans les Actes, qui supposent le Christ mort, le baptême de Jésus ne confère pas le Saint-Esprit. Lisez au chapitre VIII, 14-17 : Pierre et Jean vont en Samarie ; ils prient ; pour les nouveaux disciples (que Philippe a convertis), afin qu’ils reçussent le Saint-Esprit, car il n’était encore descendu sur aucun d’eux : ils avaient été seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Jean et Pierre leur imposèrent les mains, et ils reçurent le Saint-Esprit !

Qu’est devenu le baptême de sang et de feu ? On a renié l’Apocalypse[31].

L’ambassade de Jean à Jésus.

Décidés à faire du Iôannès contre la vérité historique un être distinct du Christ, les scribes évangéliques n’en sont pas à une invention frauduleuse près, même s’ils font sombrer leur Jean-Baptiste, dont Jésus, le dieu Jésus, dira tout à l’heure qu’il fut le plus grand des prophètes, — nous examinerons ce point quand nous étudierons l’Apocalypse, — dans l’incohérence, dans l’oubli de tout, dans le ridicule. Et c’est bien à ce résultat qu’ils aboutissent avec l’ambassade de Jean à Jésus.

Jean, au dire des scribes, a baptisé Jésus ; il a entendu la voix du ciel le consacrant Fils de Dieu, Bar-Abbas ; il a témoigné de la venue de Jésus-Christ. Quand nous étudierons les Nativités, nous verrons que les scribes imaginent deux mères qui se trouvent enceintes ensemble, qui sont parentes, qui se font des visites  et minaudent assez intimement sur leur maternité. Si elles sont différentes, si deux enfants sont nés d’elles, distincts, il est évident que ces deux enfants, qui sont cousins, qui ont été conçus au même temps, n’ont rien ignoré l’un de l’autre.

Déjà Jean, une première fois, proclamera, de Jésus : Pour moi, je ne le connaissais pas ! Et ceci, on l’a vu, s’explique, quand on sait comment on a fabriqué Jésus-Christ avec le Christ Jean et le dieu Jésus[32].

Mais où Jean-Baptiste devient incompréhensible, c’est lorsqu’il envoie deux de ses disciples, — pourquoi ne nous les nomme-t-on pas ? — dire au Seigneur, ­le scribe se démasque rien que par l’emploi de cette expression qui date du Ier siècle, appliquée au Christ : Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? Et ces hommes (ses disciples) étant arrivés auprès de Jésus, lui dirent : Jean-Baptiste nous a envoyés vers toi pour te dire : Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? Ainsi s’exprime le Selon-Luc (VII, 18-20) ; et le Selon-Matthieu (XI, 2-3) contient la même scène, sans la répétition du Selon-Luc. Les scribes des deux évangiles sentent si bien qu’ils inventent, qu’ils n’ont même pas la franchise de poser la question directe : Es-tu le Christ, le Messie ? Ils emploient une périphrase. Que pensez-vous que devait répondre Jésus ? S’il ne jouait pas le compère de la fraude, il répondrait : Non, mais ! Il devient fou, ce Jean ! Personne mieux que lui ne sait qui je suis. Il est le fils de ma tante ; nous avons joué aux billes ensemble ; il m’a baptisé ; il a entendu la voix du ciel qui m’a sacré fils de Dieu, Bar-Abbas. Celui qui doit venir ? Ne sait-il plus que je le suis ? C’est pour me demander si je le suis qu’il vous fait faire le voyage ? Va-t-il au moins répondre, ce Jésus, qu’il est le Christ ? Il n’ose. A cette même heure, continue le scribe, qui a besoin de cette coïncidence, Jésus guérit plusieurs personnes de maladie, d’infirmités et de malins esprits ; il rendit la vue à plusieurs aveugles. Peu auparavant, il avait ressuscité le jeune homme de Naïn et c’est sur cette résurrection, rapportée à Jean, en prison, que Jean a dépêché, deux des disciples qui la lui ont apprise, à Jésus[33]. Et Jésus se décide enfin à répondre, — ceci : Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont nettoyés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, — le fils notamment de la veuve (de Zébédée) à Naïn, — et l’Évangile est annoncé aux pauvres. Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute !

Le texte grec dit exactement : Heureux celui qui ne se scandalisera pas en moi ! C’est bien difficile, vraiment, quand on lit des scènes aussi manifestement frauduleuses, mystifications judaïques pour piper la confiance des Occidentaux.

Mais la scène qui suit, où Jésus proclame Jean le plus grand des prophètes nés de la femme, nous consolera, car elle entrouvre un coin du voile sur une vérité essentielle. Nous soulèverons quand nous étudierons l’Apocalypse, le voile tout entier. Dans ce chapitre : Jean a-t-il été le Christ ? nous nous bornerons à analyser cette scène, témoignage de Jésus sur Jean, que nous complèterons par l’examen d’un autre témoignage, celui des hommes ou du peuple sur Jésus-Christ.

 

 

 



[1] Évang. selon Jean V, 33, et plus loin V, 39 : Vous sondez les Écritures, — les anciens livres hébraïques, peut-être l’Évangile de Cérinthe, celui des Valentiniens aussi, et l’Apocalypse, — ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Jean-Baptiste ? Zéro, comme témoin, comme précurseur. Et nous verrons ce que Jésus, le dieu Jésus, dans la peau du Jésus-Christ évangélique, dira de Jean. Car ce qui importe, dans cette histoire, c’est beaucoup plus le témoignage de Jésus sur Jean que celui de Jean sur Jésus.

[2] C’est pour détruire cette certitude, ou l’essayer, et parce que les événements ont trompé l’espoir d’Israël et du Messie-Christ, que les scribes, des Synoptisés surtout, bien longtemps après l’époque de Tibère, ont introduit dans les Évangiles, des développements d’allure apocalyptique, mais qui n’ont plus la précision de l’Apocalypse, et qui enregistrent l’ajournement sine die de l’espérance, d’Israël. Pour ce qui est du jour et de l’heure de la venue du Messie, — c’est Jésus qui parle et qui renie lui-même le Christ, — personne n’en sait rien, pas même les anges du ciel, ni même le Fils, mais le Père seul, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que, l’on ne pense pas. (Matt.  XXIV, 34, 35, 36 et 14, contradictoires ; Mc., XIII, 1 à 37 ; Lc., XII, 40 ; XIII, 1-37 ; XVII, 23-35). Jésus-Christ oublie même qu’il est dans le sein du Père de toute éternité, qu’il ne fait qu’un avec lui, et que ce que le Père sait, le Fils le sait. Des manuscrits ont senti ce reniement ; ils ont fait sauter après : les anges du ciel, ni même le Fils.

[3] Mais l’Église s’est rattrapée, a essayé de réparer cet oubli inexpiable, en mettant sous le nom de Justin, un opuscule : Le Dialogue contre Tryphon, écrit au plus tôt au milieu du IVe siècle, et à peine contemporain de l’Anti-Celse, mis lui-même au IVe siècle sous le nom d’Origène. On obtient ainsi deux ouvrages qui passent pour avoir paru au IIe : le Celse et le Tryphon. Je consacre un paragraphe spécial à l’Anti-Celse, au chap. III, Le baptême de Jésus, par Jean. Dans le Dialogue contre Tryphon, l’on a inséré, conforme au récit des Synoptisés, la décapitation de Jean, ce qui date l’œuvre. L’auteur argumente contre Tryphon en trois points : Caducité de l’Ancienne Alliance et de la Loi ; Identité du Verbe avec Iahveh et qui s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie ; vocation des Gentils comme vrai peuple de Dieu.

A en juger par cet écrit, la scission entre le Judaïsme et le Christianisme est faite ou Imminente, ce qui le classe comme postérieur à l’Anti-Celse. L’auteur du Contre Tryphon paraît répondre au juif de Celse, et à une époque plus avancée du christianisme — fin du IVe siècle, début du Ve.

[4] Dont l’an 1er est l’an 754 de Rome, d’après les calculs du moine Denys le Petit, admis pour la chronologie, comme date de la naissance du Christ. Fausse, bien entendu.

[5] Et l’on peut affirmer que, en ce temps-là, c’est exactement l’an 15 de Tibère. La seule phrase qui nous reste de l’Évangile de Marcion, la première, dit que l’an 15 de Tibère, Jésus descendit du ciel. Dans la chair du Iôannès, évidemment. Ce simple rapprochement permet de comprendre comment on a pu dédoubler en deux personnages biologiques : Jésus et Jean, mais combien il est difficile ensuite de faire de l’un le précurseur de l’autre. J’y reviens plus expressément ci-dessous, au § L’Évangile dit selon Jean, à fin.

[6] Seulement, l’an 754, choisi comme date de la naissance du Christ, est faux. Et cette date, le moine Denys-le-Petit ne l’a choisie que pour jeter une confusion de plus dans l’histoire. A l’époque où il a fait son beau travail (VIe siècle), les Évangiles sont, dans l’ensemble, achevés. Si on les retouche, ce sera seulement pour des variantes dont nous n’avons aucun intérêt à nous occuper ici. Mais tout ce qui peut différencier Jean de Jésus-Christ, on a besoin de le tenter encore, car les discussions sur les deux natures ou hypostases qui sont en Jésus-Christ, et qui proviennent de ce qu’on a incarné, dans le Messie-Juif Iôannès, le Logos ou Verbe, le dieu Jésus, durent encore. Il faudra toute la nuit du Moyen-âge pour faire sombrer définitivement cette vérité historique que Iôannès fut le Messie-Juif, mort sur la croix, en qui les scribes ont incarné le dieu Jésus. Le christianisme a pour base la nuit voulue, la confusion préméditée, la volonté de ténèbres, le chaos ou tohu-bohu à dessein introduit dans l’ordre et la clarté de l’Histoire.

[7] Eusèbe, au sujet de prétendues lettres du roi d’Edesse Abgar, à Jésus, et des réponses de Jésus à Abgar, fausses de l’avis de tous, et notamment de L.-J. Tixeront, prêtre de Saint-Sulpice (Les Origines de l’Église d’Édesse et la Légende d’Abgar), Eusèbe donne tout de même la date exacte de la crucifixion, 340 des Grecs. Transposée dans l’ère de Rome, 340 fait 789. Lactance et Saint-Augustin veulent sauver les Actes des Apôtres, imposture des impostures ! Au surplus, si Jésus est né au recensement de Quirinius, comme dit le Selon-Luc, soit 760 et débute à 30 ans, soit 790, Il est mort encore avant de débuter, puisque la crucifixion, — 340 des Grecs, — c’est 789 de Rome.

[8] Et je cite pour mémoire qu’il ressort des Évangiles, que la décapitation de Jean (imposture en fait) ne peut être datée que de l’année 791 = 34. J’éluciderai ce point à l’évidence, au chapitre IV, au § Le motif de la Décapitation.

[9] J’en ai donné des exemples dans l’Énigme de Jésus-Christ, aux §§ Fils unique et fils premier-né et Femme ! femme, vois le fils de toi, — comme j’ai exposé sommairement, sous le § L’homme-dieu, la doctrine de Cérinthe. — Et saint Jérôme, à une époque où l’œuvre de Cérinthe a déjà été passée à Jean disciple, apôtre, évangéliste, écrira, sans que sa main tremble (Hier., II, 244) : L’Évangile de Jean a été écrit contre les dogmes de Cérinthe et des Ebionites, qui prétendent que le Christ n’a pas existé avant Marie. Et c’est exact, quand on dit le Christ. Mais, pour Jérôme, Christ est devenu l’équivalent de Jésus. L’intention de tromper est manifeste. Car, s’agissant de Jésus, dieu, que Jérôme assimile sournoisement au Christ, homme, Cérinthe, comme les Gnostiques, avec leur Aeôn dit, leur Dieu-Jésus, leur Verbe, disent tout le contraire. Le Dieu-Jésus, le Verbe, est le père de Marie, sa mère selon le monde ou la chair. J’ai dit que dans le Dialogue avec Tryphon, faussement attribué à saint Justin, le Verbe ou Logos va jusqu’à se confondre avec Iahveh, dont, tant la chose est forte, au regard de l’invention de Jésus-Christ, il faudra n’en faire qu’une puissance émanée.

[10] Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne t’ont point saisie.

Tout ce prologue n’est d’ailleurs que le plagiat des Livres d’Hermès Trismégiste, reproduisant eux-mêmes des inscriptions égyptiennes. C’est lui uni a fait tout ce qui est, et rien jamais n’a été fait sans lui, sur le temple de Philœ. En la vie et la lumière consiste le père de toutes choses (Hermès : le Pasteur). Voir l’ouvrage de Louis Ménard : Hermès Trismégiste, Paris, 1867, qui surabonde de pareilles maximes.

[11] J’ai montré dans l’ÉNIGME DE JÉSUS-CHRIST, La Crèche de Bethléem, que le Christ naît comme le soleil. Je n’insiste pas.

[12] Sous les réserves ci-dessus, et corrections opérées, tout ce début est du plus pur Cérinthe. Le texte grec distingue, en effet, deux personnages, si l’on peut dire, quand l’un des deux est le Logos, le Verbe. Il emploie, pour désigner Jean, le démonstratif grec, celui-ci, et le démonstratif grec, celui-là, pour le Verbe, le dieu Jésus dont il a parlé plus haut. Au commencement était le Verbe. Le scribe (Cérinthe) est bien un juif :

Au commencement. Il traduit en grec le premier mot du premier livre hébraïque, la Genèse, qui est aussi un livre chrétien : Bereschit, au commencement. La Nouvelle Alliance calque ses formules sur l’Ancienne. Mais le scribe, par la suite, va créer toute la confusion désirable pour qu’on puisse soutenir que « celui-là », c’est Jésus-Christ, même l’interpolation découverte.

[13] Comme on sent que cette lamentation est d’un Juif messianiste ! Le Verbe d’Iahveh était dans le monde, juif bien entendu. C’est pourquoi il est venu chez lui, chez les siens, les Juifs, qui ne l’ont pas connu. Rappel désolé, regret, à cent ans de distance de l’échec du Christ, crucifié par Ponce-Pilate, qui n’a pas pu triompher par les armes ! Quelle mélancolie ! Mais cette victoire christienne qui s’est dérobée aux Juifs christiens vaincus sur les champs de bataille, on la remportera sur le terrain spirituel d’une organisation à allure religieuse, par une propagande obstinée où le Christ crucifié sera érigé en fils de Dieu, donné par l’Abba, pour sauver le monde. Il ne s’agit pas de chair, de sang, de temporel. Tout va devenir pneumatique, chose et affaire du Saint-Esprit.

[14] Le scribe revient au dieu Jésus, Fils unique. Voir ÉNIGME DE JÉSUS-CHRIST, le § Fils unique ou fils premier-né. Le Christ, crucifié par Ponce-Pilate, c’est le premier-né de Marie et même de Joseph, l’aîné des sept, plus deux sœurs, le premier-né des morts.

[15] Disons, tout court, par Jésus, le Verbe, le dieu Jésus, et la phrase peut-être signée Valentin : Pistis Sophia. On aperçoit comment le scribe amorce le change sur le Précurseur. Celui qui vient après moi m’a devancé, car il était avant moi. Le Verbe est, en effet, avec Iahveh de toute éternité. Il est avant Jean. Mais, incarné dans Jésus-Christ, il vient après Jean qui peut devenir le Précurseur. Il le sera tout à fait quand, dans les Synoptisés, le Verbe enlevé, vaguement mué en une espèce d’esprit de Dieu, qui fait de Jésus-Christ le bar de l’Abba, le fils du Père céleste, Jésus-Christ apparaîtra comme un homme, un être biologique né de la femme. Il n’est plus alors question de son éternité en Dieu. Le côté verbe, sa moitié divine, est atténué, voilé. Jésus-Christ est surtout un homme. Jean-Baptiste est vraiment son précurseur. Les Synoptisés ne diront jamais plus que Jésus-Christ était avant Jean.

[16] Le scribe du Selon-Jean, falsifiant l’écrit de Cérinthe, n’a pas encore lu l’Évangile Selon-Matthieu où il est dit par la bouche de Jésus (XI, 14 et 15) : Si vous voulez le comprendre, il (Jean) est cet Elie qui devait venir. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. Il y a longtemps, pour ma part, que j’ai entendu et compris.

[17] Au chapitre III, 22 du Selon-Jean, Jésus baptise, et il baptise d’eau. Jean aussi. Comme on se rencontre ! C’est à Aïn-on près de Saleïm. Mais ne croyez pas que la rencontre provient de l’identité de Jean et de Jésus ; C’est parce qu’il y avait là beaucoup d’eau. Et on y venait pour être baptisé, les uns par Jean et les autres par Jésus. Le choix devait être difficile on ne nous dit pas que Jésus baptise d’esprit saint, ni de feu.

[18] Voir Antiq. jud., XII, in, et Polybe, qui la nomme, avec Dadura et Abila. C’est en Bathanée, et non dans une Béthanie quelconque, que le Messie, crucifié par Ponce-Pilate, s’était fait sacrer roi-Messie. Du moment qu’il s’agit de séparer Jean-Iôannès qui fut ce Messie, de Jésus-Christ inventé. Les scribes n’hésitent pas à faire abdiquer Jean, au lieu même où il fut sacré Christ. Ce qui permet de se livrer à d’utiles réflexions.

[19] Et, sauf le mot homme, qui détonne et jure, car ce que le scribe dit de lui ne peut être vrai que s’agissant d’un dieu éternel, soit du dieu Jésus, Verbe un Logos, le scribe respecte la conception cérinthienne. Comment, comme homme, Jésus-Christ a-t-il pu devenir son précurseur !

[20] Il répète, pour que ceux qui ont des oreilles, et ne comprennent pas une première fois, entendent. Bien que, d’après tous les exégètes et critiques le Selon-Jean soit postérieur de dix, vingt, trente ans, — ils flottent ! — aux Synoptisés, le scribe du Selon-Jean ne les connaît pas. Il n’a sous les yeux que l’écrit de Cérinthe, qu’il falsifie tant qu’il peut et comme il le peut.

[21] Dieu lui-même, comme Il l’a fait du Christ, que Jean fut.

[22] Jésus ne baptise d’ailleurs que dans le Selon-Jean (III, 22-24), et il baptise d’eau ; à Aïn-on, près de Saleïm, on l’a vu. L’Église a regretté d’avoir laissé échapper cet aveu. Car, plus loin, au chapitre IV (1-2), elle a fait introduire une parenthèse : toutefois, ce n’était pas Jésus lui-même qui baptisait, mais ses disciples. Rien de plus comique, vraiment, que la maladresse des scribes ecclésiastiques ! Dans les Synoptisés, qu’aucun texte antérieur et comparatif ne lie, Jésus ne baptise plus.

[23] Je dis que ce morceau semble extrait de Cérinthe ou de Valentin ; mieux vaudrait dire, qu’il est un morceau de l’Évangile de Cérinthe, resté tel quel dans le Selon-Jean. Il n’est compréhensible (que si l’on distingue le Dieu-Jésus, l’Aeôn cérinthien, du Christ juif. Voici des exemples : Celui qui vient d’en haut (le Dieu-Jésus) est au-dessus de tous. Celui qui vient de la terre (le Christ, moi, Jean qui vous parle) est de la terre, et il parle comme étant de la terre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous. Ici, des variantes. Certains manuscrits omettent la répétition : est au-dessus de tous, marquant un travail de retouches, qu’on n’a pas d’ailleurs réussi ou dans lequel on n’a pas persévéré. C’est inutile. L’incohérence apparente du morceau le soustrait à la compréhension des exégètes et des savants.

[24] La présence du Christ à Jérusalem pendant la fête des Tabernacles gêne tous les exégètes. Les Synoptisés ne font venir le Christ à Jérusalem qu’une fois, avant la Passion. Le Selon-Jean lui fait faire plusieurs fois le voyage. Il faut lire les explications embarrassées des critiques sur ces divergences, entre autres, du Selon-Jean et des Synoptisés, et de quel air contrit et contraint, Ils sont obligés d’avouer que le selon-Jean est plus près que les Synoptisés de la vérité historique Les Synoptisés, œuvre de chic, par excellence, sont leur bréviaire, en matière de critique Le Selon-Jean, le seul Évangile authentique, mises à part les sophistications qu’il a injurieusement subies, n’est pas digne de l’historicité. C’est pouffant !

La carrière du Christ, dans les Évangiles synoptisés, ne dure qu’un an, un an et demi, d’après eux. Et à la vérité, on a l’impression qu’on l’a voulue très courte. Au surplus, toutes les données qu’on peut tirer des Synoptisés surce point, confrontées avec les traditions de l’Église, n’aboutissent, quand on les analyse, qu’à des contradictions inconciliables. Impossible de ruser avec la chronologie. Le Selon-Jean donne trois ans et demi à la carrière du Christ. Et, bien que plus rapprochée de la vérité historique, cette durée est très insuffisante. Elle est au moins, Évangiles en mains, de sept ans, d’un sabbat d’années.

[25] La fin du chapitre VIII, 21-59 n’est que divagations, où apparaît çà et là la doctrine cérinthienne sur le Verbe – Je suis d’en haut, vous, d’en bas. Je ne suis pas de ce monde... Qui de vous me convaincra de péché... Avant qu’Abraham fût, j’étais..., etc. Et Jésus-Christ sort du temple, s’esquivant pour ne pas être lapidé. Comme si on lapidait les fous ! Et les propos qu’on lui prête, devaient, pour les Juifs de l’époque, apparaître comme des propos de fou.

[26] Voir Mt, III, 1-12. Races de vipères ! Jésus-Christ, en vérité !

[27] Jésus, chez un hôte qui l’avait prié à sa table. Jean quand ils viennent lui fournir l’occasion de les baptiser. Etonnez-vous qu’ils ne se soient pas convertis ! J’ai lu cette réflexion dans un auteur chrétien moderne.

[28] Où ? quand ? qui ? comment ? Le Selon-Matthieu ne nous le dit pas. Il ajoute le trait au Selon-Jean qui ne parle pas de baptême d’Esprit-Saint et de feu.

[29] C’est un des éléments, — Jean étant le Christ, — qui permettent de dater de 782 l’Apocalypse, manifeste du Prétendant Messie. Je pense que c’est cette date 782, précédant au petit bonheur de deux ans celle où débute Jésus-Christ, soit 784, dont Luc dit qu’il avait alors environ trente ans, que Denys est parti pour fixer à 754 le début de l’ère chrétienne. Si l’on retranche 30 de 784, on obtient bien 754. Seulement, en 754, Hérode le Grand est mort depuis quatre ans. Et le Selon-Matthieu fait naître le Christ aux jours d’Hérode, ce qui détruit tout le calcul de Denys-le-Petit. Au surplus, Luc lui-même faisant naître Jésus-Christ en 760, au recensement de Quirinius, Il n’aurait eu, en 784, que vingt-quatre ans. En 790, date où il aurait eu trente ans, dans ce cas, Il est mort depuis un an. J’ai déjà dit que dans le système de saint Augustin et Lactance, la crucifixion est de 782 : consulat des Deux Geminus. Jésus-Christ est donc mort, au moment où, à trente ans, le scribe Luc le fait entrer dans la carrière.

[30] Bien que les Évangiles ne nous le décrivent guère. Jean baptise ; Jésus baptise, et c’est tout. Mais la cérémonie ? Le Selon-Luc nous dit, de Jésus : Pendant qu’il priait... Ouvrez la Pistis-Sophia de Valentin, trad. Amiélincan, p. 135. Vous y trouverez en détail tout le cérémonial liturgique : invocations kabbalistiques aux douze signes du Zodiaque, où l’on a, comme par hasard, supprimé le Verseau-Zachu et les Poissons-Zéb, symboles de Joseph et de son fils le Christ (preuve de plus de cette mythologie cosmogonique à laquelle est associée l’histoire du Christ qui s’y encadre) ; supplications pour le pardon des péchés, afin d’être digne d’entrer dans le Royaume de Lumière, etc. Il ne reste qu’à jouer le baptême, faire apparaître l’action ; entrée dans l’eau, sortie de l’eau, car la mise en scène n’est pas indiquée.

[31] Il y a toutefois, dans les Évangiles, une allusion à l’étang de feu et de soufre de l’Apocalypse, sans le nommer ; c’est à propos du miracle du Démoniaque, Légion, de Gadara (voir Luc, VIII, 31), qui supplie Jésus de ne pas leur (aux démons) commander d’aller dans l’abîme. Mais, l’allusion à l’étang de soufre et de feu, devenu l’abîme, était encore trop transparente. Dans Marc (V, 10) l’abîme est remplacé par cette contrée. Matthieu, plus radical (VIII, 98-34), supprime tout : abîme et contrée. Les démons demandent à Jésus de leur permettre d’entrer dans un troupeau de pourceaux qui paissent par là. Ailleurs, ce sont les ténèbres du dehors, la géhenne, le châtiment éternel.

[32] Voir aussi ci-dessus § L’Évangile dit Selon-Jean, etc., et les Nativités, chapitre V.

[33] J’ai Indiqué que dans ce jeune homme de Naïn, ressuscité en esprit, bien entendu, il fallait voir le Jacob-Stephanos-Étienne, lapidé dans les Actes des Apôtres (L’ÉNIGME DE JÉSUS-CHRIST, chap. Ier, Les Jacob-Jacques). Il est le frère de Jean, du Christ. Vous pensez si cette résurrection intéresse Jean !