LES ESPIONNES À PARIS

LA VÉRITÉ SUR MATA-HARI. - MARGUERITE FRANCILLARD. - LA FEMME DU CIMETIÈRE. - LES MARRAINES. - UNE GRANDE VEDETTE PARISIENNE. - LA MORT DE MARUSSIA

 

VI. — LA TICHELLY ET Mme DUCIMETIÈRE.

 

 

MENTALITÉ D'ESPIONNES

 

Voici la femme Tichelly, fille Dufays, née à Paris le 29 novembre 1870, de mère allemande, ancienne femme de chambre à l'hôtel Meurice.

Elle figurait sur les registres de l'espionnage allemand sous le chiffre Zud 160.

Elle résidait avant son arrestation à Francfort-sur-le-Mein. Elle avait fait un séjour à Kartoum avant de se rendre à Francfort le 20 août 1914.

En 1915 la Tichelly était employée dans un grand hôtel de Mannheim. C'est là qu'elle fut mise en relation avec le centre d'espionnage de Lorach qu'elle connaissait certainement depuis longtemps.

Elle avait trois enfants, dont un soldat au 117e d'infanterie.

Tichelly n'était pas une espionne du genre anodin comme la petite Francillard. Ce n'était pas non plus une femme de l'intelligence de Mata-Hari. C'était simplement une femme dangereuse, qui ne se bornait pas à porter des lettres comme la couturière de Grenoble, qui ne fréquentait pas le grand monde comme Mata, mais qui, tout de même, trouvait le moyen de se procurer des renseignements militaires importants.

Sous prétexte de chercher de l'ouvrage, elle s'introduisait dans les ateliers et usines de guerre. Elle se faisait embaucher, travaillait pendant huit jours, observait attentivement tout ce qui l'entourait, et envoyait très fréquemment des rapports.

Quand elle était fatiguée de son labeur, elle se reposait dans un hôtel et nouait des relations avec des contremaîtres, de préférence avec des mécaniciens employés à l'artillerie, à l'aviation ou à la télégraphie sans fil.

Dans les petits restaurants, chez les marchands de vin, elle écoutait les conversations. Elle aimait beaucoup aussi cancaner chez les concierges et écouter la lecture des lettres adressées du front aux femmes de poilus.

Bref, la Tichelly allait partout et s'enquérait de tout. Elle était extrêmement active et suivait de point en point les instructions que lui envoyait son chef Gruber.

Une perquisition faite à son domicile à l'Hôtel de la Marine, 59, boulevard du Montparnasse, fut des plus fructueuses et l'espionne dut faire des aveux complets.

Ce qu'il y avait de particulier dans son cas c'est la manière qu'elle employait pour transmettre ses renseignements.

Tichelly employait des moyens nouveaux. Exemples un carré de papier couvert d'inscriptions à l'encre secrète et recouvert d'un timbre-poste ; feuille de papier placée entre deux cartes postales collées ensemble ; dentelé des timbres découpé d'une certaine façon, etc., etc.

Elle avait fait de nombreux voyages en Suisse ; elle obtenait facilement des passeports à cause de la situation militaire de son fils.

C'est le contrôle postal de Pontarlier qui la fit prendre.

Les papiers trouvés chez la Tichelly étaient intéressants ; ils étaient relatifs aux mouvements de troupes, secteurs, etc. Jugée le 20 décembre 1916, elle fut fusillée le 15 mars 1917.

Quand on alla la prendre à Saint-Lazare, elle Protesta :

— On ne doit pas exécuter une femme il a toujours été convenu qu'on n'exécute pas les femmes ! criait-elle.

C'était une grande maigre, d'aspect rêche et assez vulgaire, vêtue comme une ouvrière.

Au moment où, dans la cour de la prison, elle monta en voiture, elle me dit :

— Monsieur l'officier, je n'ai pas tué on ne doit pas me tuer ! Ce n'est pas juste. Je n'ai pas versé de sang, on ne doit pas verser mon sang !

Et le sang que vous avez fait verser par les autres ? pensai-je sans répondre.

La mentalité de certaines espionnes était ainsi faite elles croyaient que, parce qu'elles n'avaient pas tiré le canon ou lancé de grenades, elles n'avaient pas fait de mail Or, leur œuvre traitresse était bien plus nuisible, bien plus sanglante, qu'une bordée d'artillerie ou de mitrailleuses elle aboutissait à la surprise et au massacre de milliers de Français.

La Tichelly, devant le poteau, se redressa et refusa le bandeau.

Il y a eu beaucoup de femmes arrêtées à Paris pour espionnage. Toutes n'ont pas été fusillées.

L'histoire que voici se rapporte un peu à celle de la Tichelly :

Lucie Baer, née le 3 août 1865 à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin), était directrice de l'Œuvre des Gares, 8, rue Saint-Paul. Elle s'occupait également de l'Œuvre de la Protection de la Jeune Fille avec Mme Siegfried, femme du député du Havre, qui ignorait certainement la mentalité de cette prétendue Française.

Lucie Baer dirigeait ces œuvres d'assistance avec la nommée Emilienne-Rose Ducimetière — un nom prédestiné au poteau — demeurant rue Saint-Jacques, 328, et née en 1896 dans la Haute-Savoie.

Il ne fut rien précisé contre Lucie Baer, qui bénéficia d'une ordonnance de non-lieu.

Mais son amie, la femme Ducimetière — elle n'en prit pas le chemin — fut condamnée à mort et graciée.

Cette femme avait connu à Genève un nommé Walter, espion allemand, dont elle était devenue la maîtresse.

A Paris, elle fréquentait les soldats et les sous-officiers, s'efforçant de leur soutirer des informations. Elle parvint même à se faire engager comme infirmière, grâce aux œuvres précitées, à l'ambulance de Mme Marie Lanelongue, rue de Tolbiac. Là, elle interrogeait encore les blessés.

Elle fut arrêtée un matin au moment où elle sortait de l'hôtel du 8 de la rue de Bellechasse avec un adjudant d'infanterie.

A l'instruction, elle a tout avoué. Elle savait que Walter était un espion autrichien.

Comme nous l'avons dit, elle fut condamnée à mort par le 3° Conseil de guerre le 24 avril 1917 et sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité le 29 juin 1917.

A la même affaire, elle avait mêlé Catherine S..., une Suissesse âgée de 76 ans, demeurant avec la femme Ducimetière, 328, rue Saint-Jacques, et, comme elle, en correspondance avec Walter. Elle fut renvoyée des fins de la poursuite.