HISTOIRE ANCIENNE DES PEUPLES DE L'ORIENT

 

L’EMPIRE ASSYRIEN

CHAPITRE VIII – LE ROYAUME HÉBREU.

 

 

Débuts de la royauté Juive : Saül, David, Salomon.

Leur domination dura probablement un demi-siècle. La tradition essaya plus tard d'en diminuer la longueur ou, tout au moins, d'y intercaler des victoires israélites. Samuel, fils d'Elkanah, avait été voué dès l'enfance au culte de Jahvé par sa mère, la pieuse Hannah ; vêtu d'un éphod de lin et d'un petit manteau, qu'elle lui tissait chaque année, il servit l'Éternel en présence d'Éli jusqu'au jour où l'inspiration divine l'anima. Dès lors, Jahvé fut avec lui et ne laissa point tomber une seule de ses paroles. Tout Israël, depuis Dan jusqu'à Bershéba, connut que c'était chose assurée que Samuel serait prophète de Jahvé[1]. Vingt ans après la mort d'Éli, Samuel crut que le temps était favorable à secouer le joug philistin. Il exhorta le peuple à rejeter les Baalim et il le convoqua à Mizpah pour confesser ses péchés devant Jahvé. Les Philistins, inquiets de ce rassemblement qui ne présageait rien de bon à leur autorité, montèrent contre Israël ; ce que les enfants d'Israël ayant appris, ils eurent peur des Philistins. Alors Samuel prit un agneau de lait et il l'offrit tout entier à Jahvé en holocauste ; et Samuel cria à Jahvé pour Israël, et Jahvé l'exauça. Les Philistins, débandés aux grondements du tonnerre, eurent peine à regagner leur territoire. Alors Samuel saisit une pierre et il la dressa entre Mizpah et le rocher ; et il appela le nom de ce lieu-là Ébenezer, et il dit : L'Eternel nous a secourus jusque en ce lieu-ci. Il se hâta de profiter de la victoire, frappa les Tyriens, les Amorrhéens, reconquit les villes perdues. Puis il fixa sa résidence à Rama, sa ville natale, où il avait bâti un autel à l'Éternel : chaque année, il la quittait et il s'en allait en tournée à Béthel, à Guilgal, à Mizpah, où il présidait des assemblées populaires et jugeait Israël[2]. Ainsi parlait la tradition sacerdotale : une autre tradition, plus proche de la vérité, dépeint la position d'Israël avec des couleurs moins brillantes. Elle raconte que les Philistins avaient désarmé les vaincus par crainte d'une revanche. Il n'y avait plus de forgeron dans Israël, car les Philistins avaient dit : Il faut empêcher que les Hébreux ne fabriquent des épées ou des hallebardes. C'est pourquoi tout Israël descendit vers les Philistins, chacun pour aiguiser son soc, son coutre, sa cognée et son hoyau, lorsque leurs hoyaux, leurs coutres et leurs fourches à trois dents et leurs cognées avaient la pointe gâtée, même pour raccommoder un aiguillon[3]. La guérison sortit de l'excès du mal. Une première fois l'invasion des Ammonites avait suscité la royauté éphémère de Jéroubbaal et d'Abîmélek. La tyrannie philistine contraignit les Hébreux à chercher le remède de leurs souffrances dans l'union de leurs ressources entre les mains d'un homme ; mais cette fois, comme le péril était plus sérieux, l'effort fut plus vigoureux, et le résultat proportionné à l'effort.  La royauté d'Abîmélek s'exerçait sur deux ou trois clans : celle de Saül embrassa la nation entière[4].

Benjamin, la moindre et la plus belliqueuse des tribus, n'était qu'une avant-garde campée sur la frontière méridionale d'Ephraïm. Son domaine comprenait à peine quelques bourgades, Rama, Mikhmas, Gibéa, Anatot, Nob, que la forteresse cananéenne de Jébus isolait de Juda[5] ; encore deux d'entre elles, Gibéa et Mikhmas, étaient-elles au pouvoir des Philistins depuis la mort d'Éli. La vie religieuse était intense dans cette marche sans cesse en péril. C'est à Nob que les desservants du temple de Shiloh s'ètaient réfugiés après la catastrophe d'Aphek[6]. C'est à Rama que Samuel siégeait ; c'est de là qu'il partait pour faire, chaque année, ses rondes à Béthel, à Gilgal, à Mizpah, dans les localités sur lesquelles il exerçait une autoritê incontestée ; c'est là que la tradition le met en rapport avec Saül. Saül et son fils Jonathan étaient les chefs d'une des familles les moins considérables de Benjamin  à la tête d'une bande peu nombreuse, mais endurcie au métier des armes, ils surprirent un poste de Philistins à Gibéa et ils enlevèrent la garnison de Mikhmas qui accourait au secours. Benjamin recouvra son indépendance, et le chef qui l'avait si bien conduit acquit grand renom en Israël : tout homme fort et vaillant que Saül voyait, il l'attachait à son service[7]. Proclamé roi, il résida, comme par le passé, à Gibéa ; dans le clan dont il était le cheikh ; mais son autorité se propagea à l'est sur Galaad, au sud sur Juda. Les nations voisines, longtemps accoutumées à opprimer les Hébreux, furent défaites et opprimées à leur tour. Saül guerroya contre tous ses ennemis à la ronde, contre Moab, contre les Ammonites, contre Édom, contre les rois de Soba et contre les Philistins, et partout où il se dirigea, il fut victorieux. Et il fit des exploits et il battit Amalek et il délivra Israël de ces pillards[8].

Les habitudes d'isolement étaient trop invétérées chez les Hébreux, pour que la royauté ne rencontrât pas une opposition violente, au moins parmi plusieurs des tribus. Juda ne s'était pas mêlé jusqu'alors à la vie nationale : perdu et comme noyé au milieu des Cananéens, le fond hébraïque de la race n'avait pas encore réussi à s'assimiler cet élément étranger. Il avait été conquis assez tôt par les Philistins et il leur était resté soumis, malgré les exploits de Benjamin, mais quelques-uns de ses chefs étaient allés se ranger sous les ordres de Saül. Au nombre de ces aventuriers, comptait David, fils d'Ishaï, né à Bethlehem. David est le premier héros judéen, le fondateur réel du royaume de Juda ; aussi l'imagination sacerdotale s'est-elle donné libre carrière à son sujet. Elle voulait que le vieux Samuel, mécontent de Saül, se fût rendu à Bethlehem sous prétexte d'y célébrer un sacrifice, mais en réalité afin d'y sacrer David mystérieusement. Celui-ci, appelé à la cour pour distraire le roi de la mélancolie dans laquelle il était tombé, devint le favori de Saül et l'ami de coeur de Jonathan ; puis, ses hauts faits dans une guerre contre les Philistins le désignèrent bientôt à l'attention du peuple. Comme il revenait, des femmes sortirent de toutes les villes d'Israël en chantant et en dansant, au-devant du roi Saül, avec des tambours et des cymbales. - Et les femmes qui jouaient des instruments se répétaient l'une à l'autre : Saül a frappé ses mille et David ses dix mille. Aussitôt la jalousie de Saül s'éveille : dans un accès de fureur, il se précipite sur David, veut le percer de sa lance, puis, revenu à lui-même, il l'éloigne, lui confie le commandement d'une troupe de soldats, et le marie à sa seconde fille, Mikal. Sauvé à plusieurs reprises par sa femme, par son beau-frère Jonathan et par le grand-prêtre Akhimélek, David fut enfin obligé de se retirer chez Akhis, roi de Gath. Le seul fait certain qu'il y ait dans ce récit, c'est que David, après avoir mené la vie d'aventures au service de Benjamin, se déclara vassal des Philistins et reçut d'eux en récompense la ville de Ziklag.

Les Philistins ne pouvaient renoncer du premier coup à la suprématie profitable qu'ils avaient exercée sur la Syrie méridionale. Assurés qu'ils étaient de la neutralité de Juda et des clans méridionaux, ils assaillirent les tribus du centre et ils manoeuvrèrent pour dégager la route des caravanes, dont l'occupation du Thabor par les Hébreux leur barrait le passage. Saül les attendit dans la plaine de Jezréel, au pied des monts de Gelboé, mais il fut battu et tué ainsi que son fils Jonathan : les vainqueurs coupèrent la tête du cadavre et pendirent le tronc à la muraille de Bethshéan, où les habitants de Jabesh virent l'enlever pour lui rendre les derniers honneurs. La légende ne se résigna pas à donner des motifs purement humains à la catastrophe dans laquelle le premier roi disparut. Maudit par Samuel, Saül était parti pour la guerre en proie aux plus sombres pressentiments. La veille du combat, il avait consulté secrètement une magicienne d'Endor et il l'avait priée d'évoquer l'ombre du prophète. Celui-ci apparut, la figure cachée dans son manteau, et il renouvela mort les malédictions qu'il avait lancées vivant contre Saül. Jahvé a déchiré le royaume entre tes mains et l'a donné à ton serviteur David, parce que tu n'as pas obéi à la voix de Jahvé et que tu n'as pas exécuté l'ardeur de sa colère contre Amalek ; à cause de cela, Jahvé t'a fait ceci aujourd'hui. Et même Jahvé livrera Israël avec toi entre les mains des Philistins, et vous serez demain avec moi, toi et tes fils ; Jahvé livrera aussi le camp d'Israël entre les mains des Philistins[9]. En apprenant la nouvelle du désastre, David éclata en sanglots, et il exhala sa douleur en une belle élégie, dont un fragment nous a été conservé. Ô Israël, ceux qui ont été tués sont sur les hauts lieux, les hommes forts sont à bas ! - Ne l'allez point dire dans Gath et n'en portez la nouvelle sur les places d'Ascalon, de peur que les filles des Philistins ne s'en réjouissent, que les filles des incirconcis n'en tressaillent de joie. - Ô monts de Gelboé, que la rosée et la pluie ne tombent point sur vous, ni sur les champs qui y sont haut élevés ; car c'est là qu'a été jeté le bouclier des héros et le bouclier de Saül, comme s'il n'eût pas été l'oint du Seigneur. - L'arc de Jonathan ne revenait jamais sans le sang des morts, et sans la graisse des forts ; et l'épée de Saül ne retournait jamais sans effet. - Saül et Jonathan, qui s'aimaient dans leur vie, n'ont pas été séparés dans leur mort. Ils étaient plus légers que les aigles, ils étaient plus forts que les lions. - Filles d'Israël, pleurez pour Saül, qui faisait que vous étiez vêtues d'écarlate, que vous viviez dans les délices et que vous portiez des ornements d'or sur vos vêtements. – Hélas ! les forts ont succombé au milieu de la bataille ; Jonathan a été tué sur les hauts lieux ! - Jonathan a été tué sur les hauts lieux ! Jonathan, mon frère, je suis dans l'angoisse pour l'amour de toi : tu faisais tout mon plaisir, l'amour que j'avais pour toi était plus grand que celui qu'on a pour les femmes. - Hélas ! les forts sont à bas et les instruments de guerre ont péri ![10]

Le succès des Philistins était complet : tout Israël à l'occident du Jourdain s'inclina devant leur autorité. Les débris de l'armée, commandés par Abner, se réfugièrent par delà le fleuve, en Galaad et ils y acclamèrent Ishbaal, fils de Saül. Benjamin et Gibéa étaient aux mains de l'ennemi : Ishbaal voulut résider dans Makhanaîm, l'un des plus vieux sanctuaires de la nation. Le choix d'un fils de Saül excita la jalousie des autres tribus : Juda et les clans voisins élurent David. Les hostilités entre les deux prétendants débutèrent par l'escarmouche indécise de Gibéon, et elles traînèrent sept années durant avec des chances diverses. Elles se seraient peut-être terminées au désavantage de Juda, si Abner, gravement insulté par son maître, ne l'avait pas abandonné. Ishbaal fut bientôt après assassiné par deux de ses gens, et David resta sans rival : les représentants des familles qui avaient soutenu la maison de Saül s'assemblèrent à Sichem et le déclarèrent seul roi. C'en était fait désormais des anciennes divisions : le moment était venu où les tribus, serrées en un seul faisceau, n'allaient plus former qu'une masse. Les chroniqueurs des derniers temps, qui jugeaient par expérience des avantages que la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d'un roi avait procurés à la nation, prêtèrent leurs sentiments aux contemporains, et ils imaginèrent que l'avènement définitif de la royauté s'était accompli au milieu d'un cérémonial imposant. Ils supposèrent que toutes les tribus s'étaient présentées en armes à Hébron, et que, se rangeant en bataille, d'un coeur joyeux, elles proclamèrent David roi sur tout Israël. Ils restèrent là avec David, pendant trois jours, à manger et à boire ; car leurs frères les pourvoyaient et leurs voisins aussi, jusques en Issakar, en Zabulon, en Naphtali, leur apportaient du pain sur des ânes et sur des chameaux, sur des mulets et sur des boeufs, de la farine, des figues sèches, des raisins secs, du vin, de l'huile, et l'on amenait des boeufs et des brebis en abondance, car il y avait joie en Israël[11].

Hébron, situé au centre de Juda, était la capitale naturelle de cette tribu, mais non celle d'un royaume qui prétendait englober Israël  David chercha une résidence moins reculée vers le sud, et son choix s'arrêta sur la forteresse cananéenne de Jébus, qui interceptait les communications entre les Hébreux méridionaux et la maison de Joseph. Un assaut vigoureux, conduit par Joab, eut raison de la ville : changeant de possesseur, elle changea de nom, et elle devint Jérusalem. David se hâta de la mettre en état de défense abandonnant Moriah au peuple, il garda Sion pour lui-même et il fortifia Millo, sans toutefois enfermer ces trois points dans une enceinte continue[12]. Plus tard, quand le succès de ses premières guerres lui laissa quelques instants de répit, il s'y construisit un palais en bois de cèdre et en pierre de taille, avec l'aide d'ouvriers tyriens[13]. Pour le moment, il y transféra de Kiriath-Jéarim une arche de Jahvé célèbre, la même, disait-on, qui avait été ravie par les Philistins sur le champ de bataille d'Aphek, et il la plaça auprès de lui sur la colline de Sion[14] : il fallait, en effet, que son lieu d'habitation fût, selon l'usage oriental, la capitale non seulement administrative, mais religieuse du pays. Le site était des meilleurs. Jérusalem couronnait une éminence entourée, l'est, au sud, à l'ouest, par le lit du Kédron et par la gorge de Hinnom, bornée au nord par une légère dépression du sol. Postée à la croisée des routes qui mènent de Joppé au Jourdain, du désert en Syrie, elle commandait la majeure partie du territoire habité par les Hébreux. De son château royal, David, adossé à Juda, pouvait descendre par Jéricho sur la vallée du Jourdain et fondre de là sur Galaad, ou se précipiter par Bethhoron sur la plaine maritime et remonter vers la Gaulée. Sans doute, Zabulon, Ashsher, Naphtali étaient encore éloignées de lui plus qu'il n'était avantageux : mais c'étaient des tribus de second rang, sans valeur politique. Pour dominer, il devait avoir toujours la main sur Ephraïm et sur Juda : c'est à quoi Jérusalem se prêtait admirablement.

Tant qu'Ishbaal avait vécu, les Philistins, dont les discordes juives assuraient la tranquillité, n'avaient pas dénoncé la trêve. La réunion des douze tribus leur causa des inquiétudes sérieuses : ils essayèrent de la dissoudre avant que le nouveau roi eût affermi l'ordre et organisé une armée régulière. Ils envahirent Juda, ils menacèrent Jérusalem, ils assiégèrent Bethlehem, le tout en vain. David les battit à deux reprises, les poursuivit de Gabaon jusqu'à Guézer[15], et les relança sur leur propre territoire. La lutte, engagée tout le long de la frontière, de Gath à Ékron, dura assez longtemps avant de produire aucun résultat : pendant plusieurs années, ce ne furent qu'incursions, pillages, alertes, escarmouches perpétuelles de part et d'autre. David ne se ménageait point. Un jour, il s'aventura si avant dans la mêlée qu'Abishaï eut peine à l'en tirer sain et sauf : ses compagnons lui défendirent désormais d'assister aux batailles. Il avait toujours avec lui un corps de six cents braves (gibborim), recrutés parmi les Hébreux et parmi les étrangers, Philistins, Crétois, Cananéens et Hittites ; c'était le noyau de sa garde, et leurs chefs, Joab et Abishaï, Eléazar, fils de Dodo, Elkhanan de Bethlehem, Jonathan, Bénaiah, restèrent à jamais populaires en Israël. On se racontait, des siècles après leur mort, comment Jabsokham, fils de Hakmoni, avait abattu trois cents hommes à lui seul, un jour de combat[16], et comment Bénaiah aussi, fils de Jéhoiada, fils d'un vaillant homme de Kabzéel, avait accompli de grands exploits. Il tua deux des plus vaillants hommes de Moab, et il descendit et frappa un lion au milieu d'une fosse, un jour de neige. Il tua aussi un homme égyptien qui était haut de cinq coudées. Cet Égyptien avait en main une lance grosse comme une ensouple de tisserand ; mais Bénaiah descendit contre lui avec un bâton, arracha la lance des mains de l'Égyptien et le perça de sa propre lance[17]. Les Philistins, las de leur mauvaise fortune, se résignèrent à la paix. Gath et les villages de son ressort demeurèrent au pouvoir des Israélites[18], mais les quatre autres villes ne furent pas même astreintes à un tribut régulier. Leur puissance militaire ne survécut pas longtemps à cet échec et elle mourut presque aussi subitement qu'elle était née[19].

L'heureuse issue de cette longue aventure mit David en goût de succès : son royaume se développa sur tous les points à la fois avec la rapidité habituelle aux monarchies orientales. Moab succomba le premier : les deux tiers de la population furent massacrés de sang-froid, le reste se soumit[20]. Au nord, les Hébreux rencontrèrent un ennemi plus redoutable. La Syrie était morcelée, comme au temps des Égyptiens, en royaumes rivaux, ceux de Damas, de Maakha, de Rohob, de Zobah, d'Hamath ; le prince qui régnait alors sur Zobah, Hadadézer, fils de Réhob, les renversa l'un après l'autre. La fondation d'un État unique dans la vallée de l'Oronte ne pouvait plaire à David : il attaqua l'Aram-Zobah au moment où Hadadézer allait pour recouvrer ses frontières sur le fleuve d'Euphrate, et il remporta une victoire signalée. La tradition ajoute qu'il avait annexé Damas et qu'il avait reçu l'hommage plus ou moins nominal des roitelets voisins, mais cela n'est rien moins que prouvé. La défaite d'Hadadézer remplit de joie non seulement les Hébreux, mais plusieurs chefs syriens que son humeur inquiète gênait : Thou d'Hamat dépêcha son fils Joram à David pour le féliciter de son triomphe[21]. Cette conquête en entraîna d'autres. On avait dégarni les territoires du sud afin d'occuper Zobah, et les Iduméens avaient saisi cette occasion de razzier Juda : Joab et Abishaï les anéantirent dans la vallée du Sel, au sud de la mer Morte[22]. Leur roi périt les armes à la main, et son fils Hadad s'enfuit en Égypte avec quelques serviteurs. Joab égorgea toute la partie mâle de la population, et il installa des garnisons juives à Elath et à Éziongaber, vers la pointe orientale de la mer Rouge[23]. David consacra le butin à Jahvé, et Jahvé, plein de gratitude, le garda partout où il allait[24].

Quelques années d'une politique habile avaient transformé les Hébreux en conquérants. Leur autorité était respectée des bords de l'Oronte au torrent d'Égypte et aux rives de la mer Rouge. Moab, Édom, Ammon relevaient directement de leurs officiers ; les Philistins fournissaient le froment et l'huile à la table royale ; la Phénicie leur offrait ses bois précieux et leur prêtait ses artistes : Zobah, Hamath et les États de l'Aramée leur payaient redevance. Leur royaume en arrivait presque à être un empire, coulé dans le même moule que ceux de l'Égypte et de la Chaldée, mais il était étriqué, mal né et peu viable. Pas plus qu'aux temps des Pharaons, les tributaires n'avaient abdiqué le désir de liberté  au fond de leur coeur, ils détestaient la souveraineté d'Israël et ils ne souhaitaient qu'un prétexte, bon ou mauvais, pour risquer de nouveau la fortune des armes. Nahash, roi des Ammonites, étant mort, David, qu'il avait jadis protégé contre les persécutions de Saül, envoya complimenter son fils Hanoun. Celui-ci s’imagina que les ambassadeurs étaient des espions chargés de lever le plan de sa cité royale : il leur rasa la moitié de la barbe, leur coupa la moitié des vêtements jusqu'à la ceinture, et les chassa ignominieusement. Ce fut le signal de la guerre. Les Ammonites s'entendirent avec Hadadézer et ils soulevèrent la Syrie : les contingents de Rohob, de Maakha, de Tob et de Zobah se hâtèrent à leur aide. Joab, qui commandait en l'absence de David, se trouva serré entre les Ammonites et les troupes de secours : il partagea son armée en deux corps, conserva sous ses ordres celui qui faisait face aux Syriens et confia l'autre à son frère Abishaï. Les Syriens enfoncés, les Ammonites se débandèrent, et Joab ne jugea pas à propos de les poursuivre jusque dans leur ville. Hadadézer ne se tint pas pour battu ; il rassembla ce qu'il avait de soldats et il réclama des renforts aux Araméens d'au delà l'Euphrate. Cette fois, David prit l'offensive : il franchit le Jourdain et il s'avança jusqu'auprès d'Alam, où Sobakh, général d'Hadadézer, accepta la bataille. Les Syriens plièrent de nouveau : Sobakh fut tué dans la déroute et Hadadézer, abandonné de ses alliés, implora l'aman. L'année suivante, Joab investit Rabbah. Au moment où elle allait céder, il appela le roi au camp pour lui laisser l'honneur de la reddition. Les Ammonites furent traités aussi durement que leurs cousins de Moab : on les mit sous des scies, et sous des herses de fer, et sous des haches de fer, et on les fit passer par les fourneaux où l'on cuit la brique[25]. La clémence ne comptait point parmi les vertus favorites d'Israël.

La Syrie avait donc trouvé son maître. Les Assyriens, rejetés au delà de l'Euphrate par le désastre d'Assournazirabal II ne songeaient plus à l'assaillir, et l'Égypte usait les restes de son énergie d'autrefois dans des querelles intestines : les circonstances étaient propices à façonner en un seul État les nations comprises entre l'Euphrate et la mer Rouge. La création du royaume d'Israël ne procura pas à la Syrie l'unité qui lui aurait été nécessaire pour résister avec des chances de succès aux entreprises de ses deux puissants voisins. Aussi bien, les Hébreux n'étaient pas un peuple militaire. Ils pouvaient se laisser entraîner au combat par un chef audacieux et produire un effort momentané qui les arrachât à leur apathie, mais bientôt, leur naturel reprenant le dessus, ils cédaient à leurs inclinations d'agriculteurs ou de nomades, et ils retombaient dans leurs petites rivalités de tribu à tribu : autant ils étaient disposés aux courses rapides, aux razzias chez les voisins, autant ils goûtaient peu les guerres longues qui exigeaient une organisation aussi méthodique que celle de l'Égypte et de l'Assyrie. Les expéditions de David, ou plutôt de son lieutenant Joab, car David lui-même parut assez rarement sur les champs de bataille étrangers[26], n'eurent donc d'autre résultat que de ramener dans Israël du butin, des troupeaux, des esclaves. Le vaincu promettait le tribut et il le payait tant que l'effroi causé par la défaite subsistait en lui : à la première occasion, il en suspendait l'envoi et il ne se décidait à l'acquitter que devant la crainte d'une défaite nouvelle. Tant que David ou les généraux à qui David avait dû sa grandeur furent là pour recommencer la lutte, la puissance hébraïque se maintint : elle cessa presque d'elle-même sitôt qu'ils eurent disparu.

David aurait dû mourir au lendemain de sa dernière victoire : comme la plupart des souverains d'Orient, il vécut trop pour son bonheur, et il finit parmi les misères qui attristent d'ordinaire la fin d'un long règne. L'étiquette monarchique voulait qu'à chaque agrandissement dans la fortune d'un prince correspondît un accroissement proportionnel dans le nombre de ses serviteurs et de ses femmes. David ne s'était pas soustrait à cette loi : aux deux épouses qu'il avait eues pendant son exil à Ziklag, il avait ajouté successivement et Maakha l'Araméenne, fille du roi de Gessur, et Khaggit, et Abital, et Egla, et bien d'autres. Pendant le siège de Rabbah, il avait séduit Bathshéba, femme d'Uriah le Hittite, et il avait supprimé le mari dont la présence était gênante : vertement réprimandé par le prophète Nathan, il s'était repenti du crime et il avait gardé la maîtresse[27]. Des querelles éclatèrent entre les enfants de tant de mères différentes. Amnon, né d'Akhinoam, viola sa soeur Tamar, fille de Maakha : Absalom, frère de Tamar, vengea cet affront dans le sang du criminel. Gracié par son père, il se révolta bientôt après, et il débaucha la majorité du peuple à sa suite. Ses hésitations au moment critique laissèrent à David le temps de se réfugier au delà du Jourdain : la multitude indisciplinée qu'Absalom traînait après lui fut dispersée aisément par l'armée royale, et lui-même, il fut tué par Joab dans la déroute[28]. Le chef mort, il semblait que la guerre civile n'eût plus d'objet : la jalousie des tribus contre Juda la prolongea quelque temps encore. Elle ne se termina que sous les murs d'Abel-beth-Maakha par la mort de Sibah le Benjaminite[29]. David n'eut plus de rébellions à craindre, mais le choix de son successeur le jeta dans des difficultés inextricables. Selon l'ordre naturel, le trône aurait dû appartenir à son quatrième fils, Adonijah, né de Khaggit : Bathshéba décida le vieux roi à proclamer son jeune enfant Salomon dans Jérusalem et à partager le pouvoir avec lui. Il survécut quelques mois à cette association, et il mourut à l'âge de soixante et onze ans, dans la quarante et unième année de son règne[30].

L'intrigue de harem qui avait porté Salomon au trône acheva par un massacre. Tous ceux que sa mère soupçonnait d'hostilité ou même d'indifférence envers lui furent égorgés, et Joab lui-même périt au pied de l'autel[31]. Il ne fut pas remplacé : Salomon n'avait point le tempérament batailleur et il ne conserva pas intact le domaine que son père avait tant peiné à acquérir. Pour réduire Guézer, dont les habitants, Cananéens d'origine, avaient gardé leur autonomie, il fut obligé de recourir aux Égyptiens. Il demanda en mariage la fille du Pharaon, Psinakhès ou Psousennès II, qui régnait alors en Égypte et il décida son beau-père à intervenir : les ingénieurs égyptiens eurent bientôt raison de la ville, la démantelèrent et la livrèrent au Juif comme dot de sa femme[32]. Partout ailleurs il n'éprouva que des échecs. Hadad, fils du roi d'Édom tué sous David, revint d'Égypte où il s'était tenu longtemps caché, et il souleva l'Idumée contre les Hébreux[33]. Rèzon, roi de Zobah, s'empara de Damas et constitua sur la frontière septentrionale un État militaire dont l'inimitié fut longtemps dangereuse à ses successeurs[34]. Par bonheur Moab et Ammon demeurèrent tranquilles, et Tyr, qui aurait pu s'opposer à Israël avec avantage, brigua son alliance. Depuis la chute de Sidon, elle était devenue la métropole de la Phénicie. D'abord gouvernée par deux suffètes, elle s'était donnée un roi, Abibaal, à peu près dans le même temps que les Hébreux acclamaient David. Hirom 1er, fils d'Abibaal, avait toujours eu des relations d'amitié avec son voisin : il lui avait fourni des bois et des artistes phéniciens pour la construction du palais de Jérusalem. Il continua la même politique sous Salomon, et il y gagna de pouvoir reporter sur les colonies ce qu'il possédait de forces disponibles[35].

S'il n'avait pas le goût de la bataille, Salomon fut du moins un administrateur avisé. Il répara les enceintes de Mageddo et d'Hazor ; il fortifia Guézer, les deux Bethhoron, Tamar[36], sur de nouveaux plans, afin de couvrir la frontière méridionale. Une tradition, d'origine assez tardive[37], assurait qu'il avait pavé avec le basalte noir de Bashan les routes qui conduisaient à Jérusalem. Jérusalem elle-même fut entourée de murailles : le roi y édifia des palais, un pour lui, un pour la fille de Pharaon, des piscines, des portiques. La guerre ne lui suppléant plus de quoi payer ce luxe, ce fut son peuple qui en supporta les frais : il greva d'impôts les descendants des Cananéens, et il obligea les Hébreux eux-mêmes à la prestation en nature pour l'entretien de la maison royale. Le territoire d'Israël, tendu entre la Méditerranée, la mer Rouge et le désert, barrait les routes d'Afrique et commandait ainsi les deux grands marchés du monde, l'Égypte et la Chaldée. Outre les droits de péage auxquels les caravanes avaient été astreintes de tout temps, Salomon se réserva le monopole de divers produits égyptiens, le fil, les chars et les chevaux. Le fil d'Égypte, le plus fin peut-être que l'antiquité ait connu, était recherché par les teinturiers et par les brodeurs de Babylone. Les chars, à la fois solides et légers, étaient un article de commerce fort précieux, à une époque où l'usage des chariots de guerre était universel. Enfin la race chevaline, importée par les Pasteurs aux bords du Nil, s'y était acclimatée et elle y avait prospéré, grâce aux soins que les Pharaons et les nobles avaient pris d'elle. La plupart des villes de la Moyenne et de la Basse-Égypte, Khmounou, Khninsou et d'autres possédaient des haras célèbres[38], où les princes syriens s'approvisionnaient. Salomon décréta que lui seul désormais servirait d'intermédiaire entre les étrangers et le pays de production. Il taxa, dit-on, les chars à six cents pièces d'argent, les chevaux à cent cinquante pièces par tête, et il les livra aux princes des Khati, probablement avec un bénéfice considérable[39]. Cela même ne lui suffit pas : à l'exemple et peut-être à l'instigation de la Phénicie, il rêva de joindre aux richesses naturelles de son royaume les ressources du trafic avec les contrées lointaines. Hirom lui prêta des ouvriers et des matelots qui équipèrent une flotte à Eziongaber, et qui cinglèrent sur la mer Rouge vers les parages d'Ophir[40]. Ils revinrent au bout de trois ans avec de l'or, de l'argent, de l'ivoire, des pierreries, des bois précieux et des animaux curieux, tels que des singes et des paons. Le succès du premier voyage encourageait à le renouveler : pendant une partie au moins du règne, les Hébreux entretinrent des rapports réguliers avec les princes de l'Arabie méridionale[41]. Le profit réel de ces expéditions romanesques ne dut pas être considérable, mais l'audace qu'elles supposaient frappa vivement les imaginations, et elle valut à Salomon plus de renommée légendaire que ses victoires n'en avaient mérité à David.

Et pourtant Salomon s'acquit un titre plus grand encore que son habileté politique à l'admiration des derniers Juifs. L'ambition des souverains sémites a toujours été d'avoir dans le palais même, ou du moins à côté du palais, un sanctuaire et un prêtre qui relèvent d'eux directement. Les chefs de tribus et de clans israélites avaient multiplié les cultes domestiques. Jéroubbaal avait consacré une image dans Ophrah après sa victoire[42]. David, maître de Jérusalem, avait songé à s'y bâtir un temple et il en avait choisi l'emplacement : Salomon accomplit l'oeuvre que son père avait seulement projetée. Le Moriah avait une figure irrégulière dont la surface naturelle s'adaptait mal à l'usage auquel on le destinait : il en rectifia les contours par des murs de soutènement qui, selon les exigences du terrain, s'enracinaient aux flancs de la montagne ou descendaient au fond de la vallée ; l'espace circonscrit entre ces murs fut comblé de terre et forma une sorte d'esplanade carrée sur laquelle l'édifice reposa. Moyennant une contribution annuelle d'huile et de blé, Hirom se chargea d'envoyer les ouvriers, les ingénieurs et les bois de charpente[43]. Le temple avait la façade tournée vers l'Orient : il était large de vingt coudées, long de soixante et haut de trente. Les murs étaient en gros blocs de pierre, les boiseries en cèdre sculpté et doré ; pour y entrer, on passait sous un portique (oulam) et entre deux colonnes de bronze ciselé, qu'on nommait Yakin et Boaz. L'intérieur ne comprenait que deux salles : le lieu saint (hékal), qui renfermait l'autel des parfums, les chandeliers à sept branches et la Table des pains de proposition ; le Saint des saints (débir), où l'arche de Jahvé reposait sous l'aile de deux chérubins en bois doré. Sur trois des côtés de la nef, et jusqu'à moitié de la hauteur, s'étageaient trois rangées de cellules, où le trésor et le matériel étaient entassés. Le souverain pontife pénétrait une fois l'an au Saint des saints. L'hékal était accessible aux prêtres, et ils y célébraient les cérémonies journalières du culte : on y brûlait les parfums, et l'on y accumulait les pains de proposition. Sur le parvis intérieur, et vis-à-vis de l'entrée, étaient dispersés le grand autel des holocaustes, la mer de bronze et les dix bassins de moindre taille où on lavait les membres des victimes, les chaudières, les couteaux, les pelles, tous les ustensiles nécessaires aux rites sanglants. Un mur bas, couronné d'une balustrade en bois de cèdre, séparait cette cour vénérable d'une autre cour où le peuple était admis en tout temps. L'an XII de son règne, Salomon opéra lui-même la dédicace : il transporta l'arche de Jahvé de Sion au Saint des saints, et il offrit les sacrifices, au milieu de la joie et de l'admiration universelles[44]. L'inexpérience des Hébreux en matière d'architecture leur fit considérer leur temple comme une oeuvre unique : en fait, il était aux édifices grandioses de l'Égypte et de la Chaldée ce que leur royaume était aux autres empires du monde antique, un petit temple pour un peuple petit.

Les religions de Canaan et d'Israël : le schisme des dix tribus.

Il est difficile de tracer un tableau complet de ce que les religions de Canaan étaient au début. De même que le pays a subi l'influence politique de la Chaldée et de l'Égypte, il a reçu l'empreinte de leurs idées religieuses. Le dieu-poisson de Babylone[45] était chez lui dans Ascalon, sous la figure de Dagon[46]. Le nom de la déesse Astarté et son rôle semblent être adaptés de l'Ishtar babylonienne. Peut-être ces divinités se sont-elles introduites au temps où une partie des tribus Cananéennes vivaient sur les bords du Golfe Persique, en contact journalier avec les habitants de la Chaldée[47]. Les emprunts à l'Égypte ne peuvent pas être plus anciens que la dix-huitième dynastie, mais ils ont modifié profondément la physionomie de certains mythes phéniciens. La légende d'Isis et d'Osiris émigra à Byblos et elle s'y greffa sur celle d'Adonis et d'Astarté : on affirmait que le corps d'Osiris, dépecé par Typhon et lancé à la mer, avait été ballotté par les flots puis déposé sur la côte de Syrie et qu'il y avait séjourné pendant de longues années[48]. Thot, naturalisé Phénicien, conserva, dans sa patrie nouvelle, son rang d'historiographe divin et d'inventeur des lettres[49]. Que ce croisement de types ait été, non pas le fait des seuls Phéniciens, mais une sorte d'oeuvre commune à laquelle Égyptiens et Sémites collaborèrent avec une activité égale, on n'en saurait douter à voir le nombre des divinités syriennes[50] qu'on adorait à Memphis et à Thèbes au temps des Ramessides. Le travail de fusion s'opéra sur les bords du Nil aussi bien qu'au pied du Liban, et nous avons encore les débris d'une version égyptienne de la légende d'Astarté5 ; transplantés des sanctuaires phéniciens d'Égypte aux sanctuaires phéniciens d'Asie, les mythes étrangers se mêlèrent si intimement aux nationaux qu'ils finirent par être adoptés de la nation entière.

Les Cananéens, les Phéniciens, les Edomites tous les peuples de Syrie dont l'origine sémitique est prouvée, tous ceux qui s'étaient, comme les Khati et les Philistins, amalgamés aux tribus sémites, possédaient une religion analogue à celles de la Chaldée et de l'Assyrie. Mais à Babylone les concepts, brassés par une caste sacerdotale puissante, s'étaient coordonnés et ils composaient un ensemble de dogmes complet[51]. En Syrie, ils continuèrent longtemps à l'état flottant et les dieux se partagèrent le sol comme autant de princes féodaux. Chaque tribu, chaque peuple, chaque ville avait son seigneur (adôn), son maître, son Baal, qu'on désignait souvent d'un titre particulier pour le distinguer des maîtres, Baalim, des cités voisines[52]. Les dieux de Tyr et de Sidon s'appelaient Baal-Sour, le maître de Tyr, Baal-Sidon, le maître de Sidon. Les plus exaltés d'entre eux, ceux qui personnifiaient dans sa pureté le principe du feu céleste, du soleil créateur et moteur de l'univers, étaient qualifiés de roi (mélek, molok) des dieux[53]. Nous ignorons malheureusement les noms de beaucoup de ces rois : El ou Kronos trônait à Byblos, Kamosh chez les Moabites[54], Ammân chez les enfants d'Ammon, et chaque canton des Khati avait son Soutkhou particulier, Soutkhou de Khaloupou, Soutkhou de Tounipou, Soutkhou de Khissapat[55]. Melkarth, le grand dieu de Tyr, dont le culte avait été propagé au loin par les colonies tyriennes, n'était que le Baal de la métropole et les inscriptions parlent de lui comme du dieu Melkarth, Baal de Tyr[56]. Chacun des Baal se compliquait d'une divinité féminine qui était la maîtresse, Baalat, de la cité, la reine (Milkat) des cieux[57], comme il en était le maître et le roi. Elle avait le nom générique d'Astarté, mais elle y joignait parfois celui du dieu auquel elle était mariée, Ashtor de Kamosh[58] ; celui d'un des emblèmes qu'on lui avait assignés, Ashtoreth Karnaïm, à cause des deux cornes du croissant lunaire[59] ; celui de la ville ou du pays dont elle était la patronne, Astarté de Khati[60] ; un surnom provincial, Tanit, Ashérah, Anati[61] ; une épithète tirée de l'une de ses qualités, Ashtoret Naamah, la bonne Astarté[62]. Le caractère de ces divinités n'est pas aisé à définir. Les Baalim sont presque tous l'incarnation des forces de la nature, du soleil, des astres ; les Astarté président à l'amour, à la génération, à la guerre, et par suite aux diverses saisons de l'année, à celle ou la nature renaît et enfante, comme à celle où elle semble mourir. Dieux ou déesses, tous habitent le sommet des montagnes, le Liban[63], l'Hermon[64], le Sinaï, le Kasios[65], les bois[66], les eaux : ils se révèlent aux mortels sur les hauteurs (Bamôth), et ils se logent dans les arbres, dans les buissons, dans les pierres brutes (bétyles), dans les dolmens, dans les blocs taillés en colonne (masseboth[67]).

Le même penchant à en réduire le nombre qu'on observe en Égypte et en Chaldée, prévalut également en Syrie. La multitude des Baalim et des Astarté secondaires tendit à se résoudre en un seul couple suprême, Il et Ilât, Bel et Baalat, auprès duquel les autres couples divins n'eurent plus qu'un semblant d'existence. Baal ainsi conçu, s'intitulait Elioun, le dieu par excellence, le maître du ciel[68], des temps et de l'éternité[69] : il était le soleil et sa compagne la lune. Dans un autre système, celui que les Grecs ont le mieux connu, sept dieux, les Cabires, fils de Sydyk, le véridique, représentaient la classe des créateurs, et se groupaient autour d'un huitième, Eshmoun, qui les dominait tous. Leur mythe, populaire dans les villes marchandes, à Ascalon, à Béryte, à Sidon, fut disséminé par les marins sur les côtes de la Méditerranée, et survécut même à la colonisation phénicienne : il eut son sanctuaire et des mystères célèbres dans l'île de Samothrace jusqu'aux derniers jours du paganisme. A l'époque gréco-romaine, Philon de Byblos, travaillant sur les vieux manuscrits des bibliothèques sacerdotales, essaya, d'après Sanchoniaton, de condenser les légendes en corps de doctrines et il en composa une sorte de Genèse phénicienne. Au commencement, disait-il, était le chaos (bohou), et le chaos était plein de ténèbres et troublé, et le souffle (rouah) flottait sur le chaos. - Et le chaos n'avait pas de fin, et il fut ainsi des siècles et des siècles. - Mais alors le souffle se prit d'amour pour ses propres principes et il se fit un mélange, et ce mélange fut nommé désir (khepez) : - or le désir fut le principe qui créa tout, et le souffle ne connut pas sa propre création. - Le souffle et le chaos se mêlèrent, et môt (le limon) naquit, et de môt sortit toute semence de création, et môt fut le père de toutes choses : or môt avait la forme d'un oeuf. - Et le soleil, la lune, les étoiles et les grandes constellations brillèrent. - il y eut des êtres vivants privés de sentiment, et de ces êtres vivants naquirent des êtres intelligents, et on les appela zophésamin (contemplateurs des cieux). - Or l'éclat du tonnerre, dans la lutte de ces éléments qui commençaient à se séparer, éveilla ces êtres intelligents comme d'un sommeil, et alors les êtres mâles et les êtres femelles commencèrent à se mouvoir et à se rechercher sur la terre et dans la mer[70]. Au dixième siècle avant notre ère, les Phéniciens étaient bien loin encore de donner à leurs idées religieuses une forme aussi abstraite. Les cultes cananéens comportent une quantité de cérémonies sanglantes ou licencieuses, telles qu'on ne trouve point les pareilles dans les cultes contemporains. D'une part, les Baalim avaient le tempérament farouche et envieux : ils réclamaient impérieusement le sang, non seulement des animaux, mais de l'homme. En temps ordinaire, celui-ci se rachetait en retranchant une part de lui-même et en se soumettant à la circoncision[71] : dans les circonstances graves cette substitution légère ne suffisait plus, et le dieu voulait la mort du premier-né[72]. Même, dans les cas de danger public, le roi et les nobles présentaient non plus une seule victime, mais tous ceux de leurs enfants que le dieu choisissait. On les brûlait vifs devant lui, et l'odeur de leurs chairs apaisait sa colère ; le chant des flûtes et le fracas des trompettes couvraient leurs cris de douleur, et, pour que l'offrande fût efficace, la mère devait être là, impassible et vêtue de fête[73]. Les Astarté, moins cruelles, n'étaient pas moins exigeantes : elles prescrivaient à leurs prêtres les flagellations, les mutilations volontaires, parfois même la perte de la virilité[74]. Beaucoup d'entre elles n'acceptaient pour servants que des mignons et des courtisanes (kedeshôt). Les plus brillantes et les plus scandaleuses de leurs panégyries étaient celles que l'on célébrait près de Byblos en l'honneur de la grande déesse. Deux fois par an, au printemps et à l'automne, les pèlerins accouraient vers le sanctuaire d'Aphaka et vers la vallée du fleuve Adonis[75]. Au solstice d'été, au moment où l'été tue le printemps[76], les mystères auxquels ils assistaient revêtaient un caractère funèbre : la déesse s'était éprise du maître des maîtres, Adôn Adonîm, mais un rival jaloux, caché dans le corps d'un sanglier monstrueux, venait de lui tuer son amant. Elle l'ensevelissait et la Phénicie entière s'associait à son deuil de Tammouz[77]. Sur les catafalques dressés dans les temples et dans les hauts lieux, des statues en bois peint simulaient le dieu, qu'on veillait avant de le conduire au tombeau  partout, dans les rues de la ville, dans les bois, par la montagne ; des troupes de femmes échevelées ou la tête rase, les habits en lambeaux, la poitrine meurtrie, le visage déchiré à coups d'ongles en signe de douleur, erraient et se lamentaient. Au jour voulu, on enterrait le simulacre avec les rites traditionnels, et l'on préparait les jardins d'Adonis, sorte de vases où des rameaux verdoyants, plantés sans racines, se desséchaient au soleil. L'été s'écoulait ; vers l'automne, à la suite de pluies très fortes et subites, tous les torrents versaient dans la mer des flots d'eau rougeâtre, qui, par suite de la direction du vent, perpendiculaire au rivage, ne se mêlaient que très lentement à l'eau de la mer, et formaient, surtout vus obliquement, une bande rouge le long des côtes[78]. C'était le sang d'Adonis, et la douleur des fidèles se ravivait à son aspect. Sept jours durant, les larmes avaient leur cours, mais, le huitième, les prêtres annonçaient que le dieu, ressuscité, allait rejoindre sa divine maîtresse. Aussitôt la joie éclatait bruyante et sans bornes : de même qu'on avait feint la mort et la sépulture, on jouait au naturel les scènes de la résurrection. Toutes les femmes, et non pas seulement les pleureuses, se rasaient la tête ou, si elles étaient trop coquettes pour renoncer à leur chevelure, elles se rachetaient en se donnant à un étranger, comme la déesse s'était livrée à son amant ranimé[79] : le salaire de leur faiblesse était versé au trésor sacré[80].

La religion d'Israël ne différait pas sensiblement à l'origine des autres religions cananéennes. Elle reconnaissait des dieux de nature diverse, dieux domestiques (téraphim) particuliers à chaque famille[81], dieu des astres et du ciel, dont le plus important s'appelait Jahvé[82]. Jahvé était le patron d'Israël au même titre que Kamosh était celui de Moab, et Melkarth celui de Tyr. Comme les divinités cananéennes, il se montrait souvent jaloux, plus enclin à la colère qu'à la miséricorde, impitoyable envers ceux qui l'avaient offensé[83]. Comme les divinités cananéennes, il élisait pour emblèmes des images (éphod) d'homme, de taureau[84], de serpent, en métal ou en bois, des pierres brutes, des colonnes. Ainsi qu'il convient au maître de la nature, c'est dans l'orage qu'il se manifestait le plus souvent à ses adorateurs : la foudre était sa voix, le vent son souffle, la lumière son vêtement[85]. Irrité, il fermait les canaux du ciel et il arrêtait la pluie ; apaisé, il lui permettait de tomber et de féconder les champs. Il avait siégé d'abord au Sinaï et au Séîr ; mais, après la conquête, il descendit dans les villes, à Hébron, à Pnouel, à Shiloh, à Sichem, et il en expulsa les dieux antiques. Pour justifier son usurpation, on se rappela fort à propos que leurs sanctuaires avaient été révérés jadis par les héros mythiques de la race : Hébron avait abrité Abraham ; Shiloh, Sichem, Pnouel, Makhanaïm, étaient pleins du souvenir de Jacob. Shiloh était le plus couru de tous dans les temps qui précédèrent l'établissement du royaume hébreu : la présence d'une arche mystique y attirait les dévots en foule. Jahvé, figuré par deux pierres sacrées analogues aux bétyles, habitait dans l'arche, et quiconque touchait même involontairement sa demeure tombait foudroyé[86]. Il s'attacha à ces lieux renommés, mais sans négliger les montagnes, les bamôth des âges antérieurs : il y rendit ses oracles et il y sollicita l'hommage des fidèles. Le culte qu'il y recevait se rapprochait par bien des points des cananéens, mais il n'était à beaucoup près, ni aussi sanglant, ni aussi licencieux. La circoncision avait délivré l'homme de l'obligation du sacrifice humain[87], et l'offrande du premier-né était remplacée par celle du chevreau[88]. Cependant telle circonstance pouvait se présenter où la victime humaine était réclamée ou acceptée. Jephté avait consacré à Jahvé la première personne qu'il rencontrerait en rentrant chez lui après la victoire, et sa fille fut réservée par le sort à l'accomplissement du voeu[89].

Avant leur établissement au pays de Canaan, les Hébreux n’avaient guère eu que des fêtes de bergers, comme celle de la tonte des brebis[90]. Les Cananéens, laboureurs et vignerons, avaient sanctifié par des fonctions religieuses les semailles, la récolte, la vendange et les principaux évènements de l'année agricole ; chacun devait à son dieu la possession ou plutôt l'usufruit du territoire et il lui payait, en guise de loyer, les prémices de tout ce que le sol portait. Les Israélites, devenus cultivateurs à l'école des Cananéens, leur empruntèrent leurs cérémonies, comme ils leur avaient emprunté leurs temples. Chaque sanctuaire eut ses panégyries locales que les gens des tribus voisines fréquentèrent : à Shiloh, au moment de la vendange, les jeunes filles allaient danser dans les vignes[91] ; à Sichem, les habitants sortaient de la ville et se répandaient dans les champs, puis, la grappe foulée, ils s'assemblaient autour du dieu pour l'offrande et pour le banquet sacré[92]. Le temple de Salomon ne fit disparaître aucune des chapelles ni des fêtes locales. Salomon ne l'avait point bâti à cette intention ; il voulait simplement avoir son dieu près de lui sous sa main. Aussi bien Jahvé n'était pas encore exclusif ; il se déclarait supérieur à ses rivaux, mais il avouait leur existence et il condescendait même à leur donner asile chez lui. Il hébergeait une Astarté et son collège de prêtres[93], un serpent d'airain qui guérissait les maladies et les piqûres d'animaux venimeux[94]. Les chevaux et les chars de Baal entraient solennellement dans ses cours, les courtisanes sacrées y tissaient pour lui les tentes où elles accueillaient les dévots les jours fériés ; les pleureuses s'y lamentaient sur la mort de Tammouz-Adonis[95]. Salomon érigea des autels à Kamosh et au dieu des Ammonites sur le mont des Oliviers[96] ; à plus forte raison laissa-t-il subsister les lieux saints où, depuis la conquête, on avait adoré le dieu national. Le seul effet sérieux que son oeuvre produisit fut de changer et de relever la condition des desservants. Jusque-là quiconque le souhaitait avait été prêtre en Israël, c'est-à-dire avait pu consacrer directement l'offrande et supprimer l'intermédiaire entre le dieu et lui. Sur un point seulement, dans la pratique de la divination, le sacerdoce exigeait une instruction particulière. L'image de Jahvé prédisait l'avenir. Nous avons vu comment en Égypte les statues divines répondaient aux questions qu'on leur posait par une inclinaison de tête, quelquefois même de vive voix. On ne sait trop de quels procédés les prêtres hébreux usaient pour interpréter la volonté de leur idole, mais l'art d'interroger Jahvé était un secret, et il ne s'acquérait qu'après un noviciat assez long.

Le sacerdoce, restreint à ces pratiques, n'était donc pas un privilège : on devenait prêtre soit par vocation naturelle, soit en exécution d'un voeu de la famille[97]. Il y avait eu pourtant, çà et là, dans les lieux saints, des familles asservies au dieu de père en fils : nous connaissons deux au moins d'entre elles, celle d'Éli à Shiloh et celle de Jonatban-ben-Gersom à Dan[98]. L'histoire de cette dernière est des plus significatives. Un Hébreu de la montagne d'Ephraïm, Mikah, moitié piété, moitié spéculation, édifia sur ses domaines une Maison de Dieu ; il y installa une image de Jahvé, plaquée d'argent[99], et il en installa la garde à l'un de ses fils. Cela suffisait pour la partie matérielle du culte, pour l'offrande, pour le sacrifice ; mais il lui manquait un homme du métier qui remplît la fonction la plus lucrative, l'émission des oracles. Vint à passer un lévite de Juda, Jonathan, fils de Gersom, qui cherchait où exercer son ministère : Mikah se l'attacha par la promesse d'un traitement annuel, de la nourriture et de l'habillement. Cependant une troupe de Danites en marche vers le nord demanda une consultation, et, ayant obtenu une réponse favorable, enleva l'idole et le célébrant. Celui-ci voulait résister, mais la menace et un appel pressant à son intérêt bien entendu eurent raison de ses scrupules : Que vaut-il mieux pour toi être le prêtre d'un seul homme ou celui d'une des tribus d'Israël ? Maîtres de Laïs, les Danites y déposèrent l'image dans un sanctuaire dont la renommée grandit rapidement[100]. A côté des prêtres les textes mentionnent parfois de saints personnages, analogues à ceux que l'on rencontre aujourd'hui chez les nations de l'Islam  des voyants (roê) que l'esprit de Dieu envahit brusquement, sans préparation, et auxquels il dévoile les événements futurs ; des prophètes (nabi), qui vivent isolément ou en commun et qui n'atteignent à la vision de l'avenir qu'après un entraînement rigoureux. Leurs séances étaient accompagnées de musique et de chant, comme celles des derviches modernes, et l'exaltation que leurs manoeuvres développaient chez eux gagnait parfois les assistants, comme c'est encore le cas dans les zikr des musulmans[101]. Jahvé n'était pas d'ailleurs le seul qui suscitât des prophètes. Baal avait les siens, dont les pratiques et l'influence ne le cédaient en rien à celles de leurs confrères[102].

L'avènement de la royauté et la concentration des forces politiques de la nation eurent leur contrecoup sur les institutions religieuses et sur l'organisation de la prêtrise. Le dieu du souverain et le temple où ce dieu réside ont une importance marquée dans toutes les monarchies orientales : en Égypte, nous avons vu Phtah prévaloir sous les dynasties memphites, Amon l'emporter sous les dynasties thébaines. Il en fut de même en Israël. Saül, le plus indépendant des rois, accepta au début de son règne les bons offices d'un prêtre de la maison d'Éli, et il eut son temple à Nob dans la tribu de Benjamin : Akhijah l'accompagna dans sa première guerre contre les Philistins et consulta pour lui l'oracle de Jahvé[103]. Sous David, Abiathar joua un rôle assez considérable, et Salomon transféra à la maison de Sadok la prérogative, que ses prédécesseurs avaient accordée à celle d'Éli, de fournir le chapelain de la maison royale. Dans cette alliance du sacerdoce et de la royauté, c'est naturellement la royauté qui eut d'abord l'avantage. Le roi sacrifie où et quand il veut : non seulement David préside lui-même au transport de l'arche de Jahvé, mais Salomon, lors de la dédicace du temple, monte à l'autel ; il y prie, les bras étendus, et il bénit le peuple[104]. Les prêtres n'ont auprès du souverain que des fonctions secondaires  ils tiennent sa chapelle en ordre, ils ont le soin du mobilier sacré, ils interrogent l'image de Jahvé avec les cérémonies prescrites pour le contraindre à répondre. Ils ne font l'oblation ou le sacrifice qu'au nom des sujets du roi ou lorsque le roi renonce à l'accomplir par lui-même. Néanmoins Salomon, en construisant le temple de Jérusalem, donna à son clergé ce qui lui avait manqué jusqu'alors, un point d'attache au sol, un centre de ralliement qui demeurât immuable quand tout changerait autour de lui[105]. Sadok, investi grand prêtre, s'adjoignit pour l'aider d'autres prêtres secondaires, qui se répartirent, selon les degrés d'une hiérarchie savante, les mille fonctions qu'exigeait la routine journalière du culte. Ils ne formaient pas encore une caste fermée : sans doute, la tendance à substituer le fils au père dans la charge qu'il remplissait dut se manifester dés le début, mais le recrutement se fit librement, surtout dans les emplois inférieurs. Le sacerdoce appartient à l'homme qui dit de son père et de sa mère : Je ne les ai point vus, qui ne reconnaît pas son frère, et qui ne veut rien savoir de ses fils. Car ils observent tes commandements et sont les gardiens de ta loi. Ils enseignent tes statuts à Jacob et tes mandements à Israël ; ils présentent l'encens à ta narine et l'holocauste à ton autel[106]. Quiconque renonçait au monde pouvait devenir prêtre ou domestique. Prêtres ou domestiques, le personnel était tout entier dans la main du grand prêtre, et le grand prêtre était dans la main du roi. Le temple n'était qu'une annexe du palais, et le clergé qu'une fraction de la domesticité royale[107].

La suprématie politique et religieuse que ces établissements attribuaient à Juda suscita contre lui la jalousie et la haine des autres tribus. Ephraïm surtout ne voyait pas sans rancune la domination échappée à ses cheikhs et dévolue aux chefs d'un clan dont la population était, en partie au moins, d'origine étrangère. Il ne semble pas que le mécontentement se soit accru jusqu'à la révolte ouverte  cependant Salomon eut un compétiteur sérieux dans Jéroboam, fils de Nebât. Jéroboam fut contraint de s'enfuir en Égypte[108], auprès de Pharaon ; le seul fait qu'on l'avait opposé un moment au souverain légitime était d'un mauvais augure pour l'avenir. Plus tard, quand l'influence sacerdotale prédomina, au milieu des douleurs de l'exil et des dangers qui menacèrent les Juifs à la rentrée dans Jérusalem, on se reporta avec complaisance vers les temps où le premier temple avait été fondé, et l'on se plut à en embellir le souvenir. Salomon apparut à ces Hébreux dégénérés comme le sage de la race ; il prononça trois mille proverbes et composa mille et cinq cantiques, - et il traita de tous les arbres depuis le cèdre qui est au Liban jusqu'à l'hysope qui sort des murailles, et il parla des quadrupèdes, des oiseaux, des reptiles et des poissons[109]. Non content de lui prêter le talent littéraire, on conta que Jahvé s'était manifesté trois fois à lui, le lendemain de la mort de David, pour lui accorder la sagesse et la prospérité[110] ; après la dédicace du temple, pour le confirmer dans la pratique du culte[111] ; vers la fin de sa vie, pour lui reprocher ses faiblesses idolâtres et pour lui prédire la chute de sa maison[112]. On le mit en correspondance réglée avec tous les monarques de l'univers[113], et l'on évoqua la reine de Saba au fond de l'Arabie afin de lui rendre hommage[114]. Les contemporains ne soupçonnèrent rien de tout cela Salomon resta pour eux le maître orgueilleux et dur qui les avait écrasés d'impôts à seule fin d'embellir sa ville et d'enrichir sa tribu.

Il était à peine mort (929) que la réaction s'accusa contre son oeuvre. Son fils Roboam lui succéda sans opposition à Jérusalem, mais les clans du centre et du nord se rassemblèrent à Sichem, pour choisir leur roi ; ils ne reconnaîtraient Roboam comme tel que s'il les libérait des charges dont son prédécesseur les avait accablés. Jéroboam, de retour d'exil, se chargea de présenter les doléances d'Israël. Ton père a mis sur nous un joug pesant, mais toi, allège la rude servitude de ton père et le joug pesant qu'il a mis sur nous, et nous te servirons. Roboam demanda un délai de trois jours, et il commença par consulter les vieux serviteurs de la couronne, qui lui conseillèrent de céder. L'avis des jeunes gens qui l'entouraient prévalut : quand Jéroboam revint, il fut accueilli par des outrages et par des menaces. Mon père avait mis sur vous un joug pesant, et moi je rendrai votre joug plus pesant encore : mon père vous a châtiés avec des verges, moi je vous châtierai avec des fouets garnis de pointes. Les tribus du nord et de l'est, les Philistins, Moab, Ammon, se déclarèrent pour Ephraïm et proclamèrent Jéroboam roi d'Israël[115]. C'était la revanche de Joseph sur Juda : Juda refusa de déserter la race de David, et il se sépara du reste de la nation. Personne ne le suivit dans son isolement ; mais le territoire occupé par les débris de Siméon, et quelques bourgades de Dan ou de Benjamin, trop rapprochées de Jérusalem pour échapper à l'attraction de la grande ville, restèrent aux mains de Roboam[116].

Ainsi tomba la maison de David et avec elle le royaume qu'elle avait essayé de fonder. Certes, à ne juger que le caractère des deux hommes qu'elle fournit, on ne peut s'empêcher de penser que son entreprise méritait de mieux réussir. David et Salomon offrent l'assemblage si curieux de qualités et de défauts qui font les grands princes chez les Sémites. Le premier, soldat de hasard et héros d'aventure, est le type du fondateur de dynastie, fourbe, cruel et dissolu, mais brave, prévoyant, capable de dévouement, de générosité et de repentir ; le second est le monarque fastueux, sensuel, dévot, qui succède d'ordinaire au soldat heureux. S'ils n'instituèrent rien de durable, c'est qu'ils méconnurent l'un et l'autre la nature du peuple auquel ils avaient affaire. Les Hébreux n'avaient pas l'esprit militaire, et David les contraignit à la guerre ; ils n'étaient ni marins, ni constructeurs, ni enclins alors au trafic ou à l'industrie, et Salomon leur bâtit des flottes et des routes, les lança dans des aventures industrielles et commerciales. Le hasard des circonstances parut un moment les favoriser. L'affaiblissement de l'Égypte et de l'Assyrie, les divisions de l'Aram et de la Phénicie, permirent à David de gagner des batailles et d'arrondir son domaine : l'alliance intéressée de Tyr prêta à Salomon le moyen de réaliser ses projets de voyages et de constructions. Mais le royaume qu'ils avaient édifié péniblement ne reposait que sur eux : dès qu'ils ne furent plus là, il s'évanouit sans bruit et presque sans secousse, par la seule force des choses.

Israël et Juda jusqu'à l'avènement d'Omri ; la vingt et unième dynastie égyptienne ; Sheshonq Ier. Commencements du royaume de Damas.

L'union d'Ephraïm et de Juda sous un même sceptre avait été trop courte pour beaucoup changer aux vieilles traditions de l'époque des Juges : seule la division en tribus, déjà très faible, avait disparu et n'était plus qu'une sorte de souvenir historique. En réalité ce n'était plus que deux tribus qu'il y avait : Juda au sud, Israël au nord et dans les régions situées au delà du Jourdain. Israël était de beaucoup le plus puissant : tant qu'il vécut, Juda se mut obscurément dans son orbite et il n'attira que peu l'attention des étrangers. Roboam s'appliqua à mettre son royaume en défense, à fabriquer des armes, à réparer les murailles des villes. Jéroboam déploya de son côté beaucoup d'activité : il s'installa de sa personne à Sichem, et il fortifia sur la rive gauche du Jabbok le bourg de Pnouel, afin de surveiller Galaad. Le nouvel État ne manquait pas de sanctuaires vénérés qu'on pouvait opposer à Jérusalem : Jéroboam en choisit deux, dont il rehaussa le prestige par ses largesses, Dan au nord, Béthel, au sud, sur la frontière de Juda et presque en vue de la cité de David. Il fabriqua deux veaux d'or et il dit au peuple : Ce vous est trop de peine de monter à Jérusalem : voici tes dieux, ô Israël, qui t'ont fait sortir du pays d'Égypte. Comme le sacerdoce du temple unique de Salomon, celui des temples de Jéroboam était une classe ouverte : Quiconque voulait se consacrait et était des sacrificateurs des hauts lieux[117]. Cette reconnaissance officielle des sanctuaires d'Israël était pour exciter la jalousie des prêtres de Juda, et la rivalité politique des deux royaumes se compliqua de la rivalité religieuse des deux clergés. Tous les deux servirent Jahvé avec les mêmes rites, mais chacun affirma que les rites de l'autre étaient entachés de crime et désagréables au dieu national. La trace de leurs querelles est encore visible dans un discours que les rédacteurs de la Genèse placèrent à la bouche de Jacob mourant. Le poète passe en revue les tribus d'Israël et leur départit l'éloge ou le blâme. Juda n'est point trop maltraité, on souhaite seulement qu'il s'incline devant un prince sacré à Shiloh ; mais Benjamin, Siméon et Lévi sont accablés d'insultes. Au contraire, la maison de Joseph et ses alliés ne reçoivent que des bénédictions : Joseph est un rameau fertile, Issakar un âne vigoureux, Ruben le premier-né d'Israël[118]. Une race où les haines de tribu à tribu étaient si fortes et si vivaces courait grand risque de ne pas rester longtemps indépendante : ses divisions la livraient sans défense à tous ses voisins.

L'Égypte seule était alors en état d'en profiter. Le siècle qui s'était écoulé depuis l'usurpation  des  rois-prêtres avait été rempli de guerres civiles et de révolutions. Une Égypte était morte, la vieille Égypte des conquérants thébains, et une Égypte nouvelle était née en sa place : la vie avait commencé à se retirer du sud et, de Thèbes, et elle refluait vers le nord et dans les nomes du Delta. Tant que les entreprises des Pharaons étaient restées enfermées dans le bassin du Nil, Thèbes avait été le centre naturel de l'empire. Assise au point de croisement des principales voies commerciales de l'Afrique et de l'Arabie, elle était comme un vaste entrepôt où s'entassaient les richesses des contrées étrangères, depuis le golfe Persique jusqu'au delà du Sahara, depuis la Méditerranée jusqu'à la région des Grands Lacs. Les cités septentrionales, tournées vers des nations avec lesquelles elles n'entretenaient que des relations irrégulières, exerçaient peu d'influence sur les destinées du royaume : Memphis elle-même, malgré son étendue, malgré les souvenirs de Ménès et des premières dynasties, n'arrivait qu'en seconde ligne. L'invasion des Pasteurs, en faisant de la Thébaïde le refuge et le dernier rempart de la nationalité égyptienne, augmenta cette importance : pendant les siècles de lutte, Thèbes ne fut plus la première ville du pays, mais le pays lui-même, et le coeur de l'Égypte battit sous ses murailles. Les victoires d'Ahmosis, les conquêtes de Thoutmosis 1er élargirent le cercle du monde : l'isthme de Suez fut franchi, la Syrie soumise, les princes de l'Oronte et de l'Euphrate rançonnés au profit et à l'exaltation de Thèbes ; pendant deux cents ans, elle vit les vaincus défiler à l'ombre de ses palais. Mais quand vinrent les temps anxieux de la dix-neuvième et de la vingtième dynastie, quand les Syriens et les Libyens, asservis si longtemps, se redressèrent contre leurs maîtres, on s'avisa qu'il y avait loin de Karnak à la frontière d'Asie, et qu'une résidence enfoncée à plus de deux cent lieues dans l'intérieur était un mauvais quartier général pour des souverains toujours en alerte. Ramsès II, Mineptah, Ramsès III, séjournèrent de plus en plus dans les nomes orientaux du Delta. Ils y rebâtirent les cités déchues et ils en édifièrent de neuves, que le commerce avec les Asiatiques enrichit promptement. Le centre de gravité de l'Égypte, qui, après la chute du premier empire, était descendu au sud, vers Thèbes, par le développement de la puissance égyptienne dans le Soudan, remonta peu à peu vers le nord. Tanis, Bubaste, Saïs se disputèrent le pouvoir avec des chances à peu près égales et elles régnèrent tour à tour ; mais la sève qui avait soutenu si longtemps l'Égypte thébaine était trop appauvrie. Elles défaillirent rapidement l'une après l'autre, sans jamais s'être approchées à la splendeur de Thèbes, et sans avoir produit une seule dynastie comparable aux dynasties des rois thébains.

Depuis l'exaltation de Hrihorou et l'avènement de Smendès, l'Égypte était partagée en deux. Évidemment cette situation ne pouvait durer longtemps sans que l'une des maisons royales essayât de supplanter l'autre : la tanite eut toujours le dessus. Elle n'accorda au premier héritier de Hrihorou, à Piônkhi[119], que le titre de grand prêtre d'Amon ; après Piônkhi, le tanite Psioukhânou 1er exerça un moment le pontificat dans Thèbes[120], avant de monter sur le trône à Tanis. Après lui, Pinotmou 1er releva la royauté thébaine, puis ses deux fils Masahirti et Manakhpirri se succédèrent dans l'emploi de grands prêtres et gouvernèrent au Midi, presque à partir du Fayoum[121]. Les deux familles prenaient soin, selon l'usage traditionnel, de légitimer leur usurpation par des unions répétées avec la race des Ramessides. Celle-ci subsistait encore : les mâles étaient réduits à la simple condition de particuliers, mais les filles entraient par le mariage dans le harem des souverains et elles léguaient à leurs enfants les droits qu'elles avaient reçus de leurs ancêtres[122]. C'est ainsi probablement que le dernier des grands prêtres d'Amon, Pinotmou II, réunissait en sa personne le sang des Ramsès, des Hrihorou et des Pharaons tanites[123].

Ceux-ci paraissent n'avoir manqué ni de vigueur, ni de ressources. Leurs monuments, rares et clairsemés qu'ils sont, prouvent qu'ils n'interrompirent pas entièrement les travaux de leurs prédécesseurs. Deux d'entre eux, Psioukhânou I et Amenemopit, restaurèrent la chapelle bâtie jadis auprès des grandes pyramides de Gizeh, par Kheops, en l'honneur de sa fille Honitsen[124], et les traces de leur activité sont visibles dans plusieurs antres endroits. Mais ce fut leur capitale, Tanis, qu'ils embellirent par-dessus tout. Le temple principal, agrandi par les princes de la douzième et de la treizième dynastie, saccagé pendant les guerres contre les Hyksos, élargi encore par les Ramessides, le disputait en étendue et en splendeur à ceux de Thèbes[125] : le colosse monolithe que Ramsès II y avait consacré égalait par la hauteur non seulement les deux Memnon thébains, mais encore la statue aujourd'hui brisée du Ramesséum. Siamonou-miamoun termina la réparation, et Psioukhânou 1er entoura l'édifice d'un énorme mur de briques crues qui lui prêta l'aspect d'une forteresse. Tout cela ne se fit pas, bien entendu, sans démarquages  Psioukhânou grava son nom sur les sphinx et sur les statues des Hyksos, sans plus de scrupule que ceux-ci n'en avaient eu à s'approprier les monuments des rois égyptiens de la treizième dynastie[126]. Tout Pharaon constructeur est, ou du moins essaye d'être, un Pharaon conquérant : je ne doute pas que les princes de la vingt et unième dynastie n'aient tenté de raffermir leur autorité sur la Syrie méridionale, et l'expédition de Psioukhânou II contre Guézer, le mariage de ses filles avec Salomon et avec Hadad l'Iduméen, parurent, aux yeux des Égyptiens d'alors, une renaissance partielle de leur ancienne domination. La force leur manqua cependant à poursuivre ces succès légers. Les nomes n'obéissaient plus au pouvoir central que contraints : la population indigène, amoindrie par les guerres antérieures, ne fournissait plus de contingents pour recruter les armées. Afin de se maintenir au dedans contre les compétitions, et de présenter en ligne au dehors une armée suffisante, les Pharaons de Tanis durent avoir recours aux mercenaires plus que leurs prédécesseurs n'avaient fait jusqu'alors ils livrèrent l'Égypte aux barbares.

L'irruption des barbares dans les affaires de l'Égypte fut moins soudaine et moins imprévue qu'on ne le supposerait au premier abord. De tout temps on avait considéré comme étant d'une bonne politique de combler avec des prisonniers les vides que la guerre creusait parmi les indigènes. Les Pharaons de la douzième dynastie s'étaient vantés déjà de transporter au midi les nations du nord et au nord les nations du midi : ils avaient implanté des clans entiers dans la vallée du Nil. L'invasion des Pasteurs augmenta considérablement le nombre des étrangers Après la victoire d'Ahmosis, la famille royale des Hyksos et la classe guerrière émigrèrent en Asie, mais le gros de la population ne consentit pas à s'exiler : Hâouârou, Tanis, les villes et les nomes situés au nord-est du Delta, particulièrement aux environs du lac Menzaléh, restèrent pour ainsi dire aux mains des Sémites. Sujets égyptiens, ceux-ci n'oublièrent pas leurs traditions nationales : ils gardèrent une sorte d'autonomie, ils refusèrent de payer certains impôts, et ils se vantèrent de ne pas être de la race des Pharaons. Leurs voisins de vieille souche égyptienne leur infligèrent des sobriquets d'étrangers, Pashemour, les Barbares (Bâschmourites), Pi-amou, les Asiatiques (Biahmites)[127]. Sous la dix-huitième dynastie, quelques-uns d'entre eux exercèrent des commandements importants ou parvinrent aux charges les plus hautes du sacerdoce. Leurs divinités, Soutkhou, Baal, Baal-Zéphon, Marna, Astarté, Anati, Qodshou, s'introduisirent dans le Panthéon égyptien et elles eurent leurs temples à Memphis. Vers le milieu de la dix-neuvième dynastie, les campagnes de Sésostris et l'alliance étroite qu'il conclut avec le souverain des Khati mirent à la mode l'usage des dialectes syriens. On se piqua de les enseigner non seulement aux enfants libres, mais aux esclaves nègres et libyens[128] ; les gens du monde et les savants se plurent à émailler leur langage de locutions étrangères. Il ne fut plus de bon goût d'habiter une ville nouit, mais une qarat ; d'appeler une porte ro, mais tirâa ; de s'accompagner sur la harpe (bonit), mais sur le kinnor. Les vaincus, au lieu de rendre hommage (aaou) à Pharaon, lui adressèrent le salam, et les troupes ne voulurent plus marcher qu'au son du toupar ou toph (tambour). Le nom sémitique d'un objet faisait-il défaut, on s'ingéniait à défigurer les mots égyptiens pour leur imposer au moins une physionomie étrangère. Au lieu d'écrire khabsou, lampe, sonshou, porte, on écrivait khabousa, saneshaou. Les bourgeois de Thèbes ou de Memphis ressentaient autant de satisfaction à sémitiser que nos contemporains à semer le français de mots anglais mal prononcés[129].

A l'occident du Delta, autres races, autres influences. Saïs et les villes voisines, en rapport constant avec les tribus libyennes, leur avaient emprunté une moitié au moins de leur population. Les Mâzaiou et surtout, depuis le règne de Ramsès III, les Mashouasha y prédominaient ; mais, tandis que les Sémites se métamorphosaient à la longue en agriculteurs, en lettrés, en prêtres, en marchands, aussi bien qu'en soldats, les Libyens conservaient toujours leur tempérament guerrier et leur organisation militaire. Depuis plus de deux mille ans, les Mâzaiou étaient campés sur le sol ; ils ne s'y étaient pas enracinés : c'étaient des mercenaires par droit héréditaire plutôt que des citoyens paisibles. Ils remplissaient les corps de police placés dans chaque nome à la disposition du gouverneur et des autorités, ils garnissaient les postes de la frontière, ils accompagnaient le Pharaon dans ses expéditions lointaines ; les idées d'armes et de lutte étaient si étroitement liées à leur personne, qu'aux époques de décadence de la langue, leur nom, altéré en Matoï, devint pour les Coptes le terme générique de soldat[130]. Les Mashouasha ne renoncèrent jamais à leur costume ni à leur armement spécial ; on les reconnaît à la plume qu'ils ont couchée sur la tête en guise de coiffure. Sans cesse recrutés parmi l'élite des hordes libyennes que les hasards de la guerre ou l'appât d'une haute solde attiraient du dehors, ils ne tardèrent pas à être la force principale des armées égyptiennes. Les Pharaons s'entourèrent de leurs bataillons comme d'une garde plus solide que les troupes indigènes et ils leur réservèrent pour commandants des princes de sang royal. Ces chefs des Mashouasha se rendirent à peu près indépendants de leur suzerain : les uns s'appuyèrent sur leurs soldats pour s'élever au trône, les autres aimèrent mieux faire et défaire les rois à leur gré. Dès la fin de la vingt et unième dynastie, l'Égypte était en proie aux étrangers : elle n'eu plus d'autres maîtres que ceux qu'il leur plut lui infliger.

Vers le milieu ou la fin de la vingtième dynastie, il y avait, à Bubaste ou dans les environs, un Libyen nommé Bouïoua[131]. Ses descendants prospérèrent, et le cinquième d'entre eux, Shashanqou (Sheshonq), épousa une fille de sang royal, Mihitinouôskhit. Leur fils Namarouti joignit aux dignités religieuses dont il était revêtu le titre militaire de commandant des Mashouasha. Leur petit-fils Sheshonq eut une fortune plus brillante encore. Dès le début de sa vie, il fut traité de Majesté et qualifié de prince des princes, ce qui semble montrer qu'il avait le premier rang parmi les Mashouasha ; il était, en tout cas le personnage le plus considérable du royaume et il marchait presque sur le même pied que le souverain. Ainsi, dans un acte par lequel il instituait le culte funéraire de son père, il se faisait adresser la parole par Amon-Râ, ce qui était le privilège du Pharaon et du grand prêtre[132]. Il avait du reste marié son fils Osorkon à la fille de Hor-Psioukhânou, le dernier des Tanites de la vingt et unième dynastie, et cette alliance assura la couronne a sa race. En peu d'années, il réunit l'Égypte entière sous son pouvoir  à la mort de Psioukhânou, il s'octroya les cartouches et les insignes de la royauté ; à celle de Pinotmou II, il hérita de la charge de premier prophète d'Amon, dont il investit son fils Aoupouti. Il semble que la famille de Pinotmou n'ait pas opposé de résistance et se soit retirée en Ethiopie, à Napata, où elle fonda un État indépendant. L'avènement de Sheshonq 1er et d'Aoupouti, consomma la ruine politique et économique de Thèbes. Le désordre et l'appauvrissement, déjà épouvantables sous les derniers Ramessides, avaient crû encore sous les successeurs de Hrihorou. Les vols étaient devenus si fréquents dans la nécropole, et les voleurs si audacieux que, pour sauver d'eux les momies des grands Thébains, on avait dû les retirer de leurs syringes et les déposer les unes dans une chambre murée de l'hypogée d'Aménôthès II, les autres dans la chapelle attenante à la tombe d'Aménôthès 1er : des inspecteurs constataient de temps en temps l'identité des personnes et l'état de conservation de leur maillot funèbre. Des princes de la dix-septième dynastie, comme Soqnounrî Tiouâqen, les premiers conquérants de la dix-huitième, Ahmosis 1er, Aménôthès 1er, Thoutmosis 1er, Thoutmosis II, Thoutmosis III et les princesses de leur harem, Nofritari, Ahhotpou, Mashonttimihou, puis Ramsès 1er, Sétoui 1er et Ramsès II de la dix-neuvième, siégeaient là en assemblée solennelle. Aoupouti, qui ne descendait que fort indirectement de ces morts glorieux, s'impatienta sans doute de la surveillance qu'ils exigeaient, et il résolut de les cacher dans un endroit où ils seraient à l'abri de toute atteinte. Les grands-prêtres d'Amon s'étaient creusé, dans un coin du cirque méridional de Déir-el-Baharî, un tombeau de famille où ils reposaient de compagnie depuis Pinotmou 1er ; Aoupouti y entassa pêle-mêle les cercueils royaux que la chapelle d'Aménôthès 1er renfermait, et il en dissimula si bien l'entrée qu'elle demeura perdue jusqu'à nos jours[133].

Sheshonq 1er fut un prince vigoureux et hardi. Les querelles intestines d'Israël lui fournirent l'occasion de continuer en Syrie la politique de ses prédécesseurs. Sans rompre avec Salomon, il ouvrit son royaume aux exilés ou aux mécontents : Hadad l'Iduméen et Jéroboam trouvèrent asile et faveur auprès de lui. Cinq années après le schisme des tribus, il envahit la Judée, monta contre Jérusalem, la pilla, et passa de là dans Israël[134]. De retour dans ses États, il grava sur l'une des murailles de Karnak le nom des villes qu'il avait rançonnées. La comparaison de sa liste avec celle de Thoutmosis III montre combien était profond l'affaiblissement de l’Égypte, même victorieuse, sous la vingt-deuxième dynastie. Il n'est plus question ni de Gargamish, ni de Qodshou, ni de Damas, ni des villes du Naharanna. Mageddo est le point le plus septentrional où le vainqueur soit parvenu, et les localités dénombrées après elle nous ramènent de plus en plus vers le sud, Rabbit, Tâanak, Hapharaïm, Makhanaïm, Gibéon, Bethhoron, Aialon, Migdol, Ierza, Shoko et les villages du désert de Juda. A force de ramasser des noms de bourgades et de couper en deux cartouches ceux d'entre eux qui se composaient de plusieurs mots, Sheshonq eut la joie indicible de composer, pour l'édification de ses sujets, une liste de vassaux aussi complète que celle de son prédécesseur[135]. Cette satisfaction de vanité fut, avec le butin qu'il rapporta, le produit le plus net de sa campagne : il mourut bientôt, et ses successeurs ne songèrent pas à maintenir effective la suzeraineté qu'il avait rétablie un moment sur la Judée entière[136].

Après la retraite de Sheshonq, Juda et Israël s'enfoncèrent de plus en plus dans leurs discordes. Jéroboam mourut en 908, et son fils Nadab fut assassiné devant Gibbéthon par Baésha, fils d'Akhijah, au bout de deux ans de règne. Baésha se jeta sur Juda, où Asa, fils d'Abijam, petit-fils de Roboam, venait de ceindre la couronne, et il fortifia Rama à deux lieues au nord de Jérusalem. Asa, qui avait repoussé, au dire de la légende, une horde prodigieuse d'Éthiopiens et de Libyens[137], se sentit trop faible pour lutter contre les Israélites et il implora l'aide du roi de Syrie. Depuis Rézon, Damas n'avait cessé de croître en importance et en vigueur sous Hézion[138], sous Tabrimmon, sous Benhadad 1er[139] : elle avait conquis Hamath, la Cœlésyrie et les cantons du désert qui confinent à l'Euphrate. Benhadad parcourut là Galilée et il en réduisit les villes. Baésha, rappelé au nord, ne put se maintenir dans Rama, et Asa assura sa frontière en armant Gibéa et Mizpah. Pas plus que Jéroboam, Baésha n'eut l'heur de fonder une dynastie durable ; comme il avait fait à Nadab, Zimri fit à son fils Éla. Cette fois encore l'armée était au pays des Philistins et devant Gibbéthon quand le meurtre fut commis : elle se souleva, acclama son chef Omri et marcha contre les meurtriers. Zimri, forcé dans Tirzah, mit le feu au palais royal et s'y brûla après avoir régné sept jours. Omri vainqueur trouva un rival dans Thibni, fils de Ginath ; la guerre entre les deux partis dura quatre ans et ne se termina que par la mort naturelle ou violente de Thibni et de son frère Joram[140]. La prise de Jérusalem par Sheshonq, l'hostilité constante de Juda et d'Israël, les crimes des souverains, le choc incessant des factions, achevèrent d'affaiblir le peuple hébreu et lui ravirent le peu de prestige qui s'attachait à son nom depuis David. L'hégémonie passa de Jérusalem à Damas, et les descendants de Rézon essayèrent d'accomplir la tâche où la maison de Jacob avait échoué. Ils tentèrent de réunir les différentes nations de Syrie en un seul empire, et peut-être auraient-ils réussi si l'Assyrie, remise enfin de sa défaite, ne s'était jetée à la traverse de leurs ambitions.

 

 

 

 



[1] I Samuel, iii, 19.

[2] I Samuel, vii, 15 sqq.

[3] I Samuel, xiii, 19-21.

[4] Sur le caractère de la royauté benjaminite et sur le lien qui la rattache à la royauté d'Abîmélek, voir Stade, Geschichte des Volkes Israël, pp. 176 sqq., 197 sqq.

[5] Stade, Geschichte des Volkes Israël, p. 160-162.

[6] Cf. les passages, I Samuel, xxi, 1-9 ; xxiii, 9-23, où il est question du grand prêtre de Nob, Akhimélek, arrière-petit-fils d'Éli.

[7] I Samuel, xiv, 52.

[8] I Samuel, xiii-xiv. Pour les débuts du règne de Saül, voir, outre la longue et pénétrante analyse de Reuss, dans le Résumé de l'Histoire israélite qui occupe le premier volume de la Bible, Wellhausen, Prolegomena, p. 259-274. et Stade, Geschichte des Volkes Israël, p. 207-223.

[9] I Samuel, xx iii, 8-19.

[10] II Samuel, i, 19-27.

[11] I Chroniques, xii, 40.

[12] II Samuel, v, 5-9 ; I Chroniques, xi, 4-8.

[13] II Samuel, v, 11 ; I Chroniques, xiv, 1.

[14] II Samuel, vi ;  I Chroniques, xiii, xv-xvi.

[15] II Samuel, v, 17-25 ; I Chroniques, xiv, 8-17.

[16] I Chroniques, xi, 11.

[17] II Samuel, xxiii, 20-21 ; I Chroniques, xi, 22-23.

[18] I Chroniques, xviii, 1.

[19] Sur ces guerres philistines, voir Stade, Geschichte des Volkes Israël, p. 215-267.

[20] II Samuel, viii, 5 ; I Chroniques, xviii, 2.

[21] II Samuel, viii, 3-10; I Chroniques, xviii, 3-10.

[22] II Samuel, viii, 13-14 ; I Chroniques, xviii, 12-13.

[23] I Rois, xi, 15-16.

[24] II Samuel, xviii, 11-12 ; I Chroniques, xxiii, 10-11.

[25] II Samuel, x-xii ; Chroniques, xix-xx.

[26] Cf. II Samuel, xviii, 3, le discours naïf que le rédacteur du livre prête aux soldats : « Tu ne dois point marcher avec nous ». (Cf. II Samuel, xxi, 17). Dans le passage II Samuel, viii, 16, il est dit que « Joab, fils de Zérouyah, était à la tête de l'armée », et de fait c'est Joab qui dirige la campagne contre les Ammonites et les Araméens (II Samuel, x, 8 sqq.).  David n'intervient que lorsque la victoire définitive est assurée par les succès de son lieutenant (II Samuel, x, 15-18 ; xii, 26-31).

[27] II Samuel, xi-xii.

[28] Samuel, xiii, xiv.

[29] II Samuel, xx.

[30] I Rois, i-ii.

[31] I Rois, ii, 10-35.

[32] I Rois, iii, 1.

[33] I Rois, xi, 14-22.

[34] I Rois, xi, 23-24.

[35] Sur l'origine de la royauté tyrienne, voir le fragment de Ménandre (Fragm. H. Grœc., édit. Didot, t, IV, p. 445 sqq.). Hirom est peut-être nommé sur les fragments d'un vase en bronze découvert à Chypre (Corpus inscriptionum semiticarum, t. I, p. 22-26 et pl. V).

[36] C'était probablement une petite ville située dans le désert de Juda. La tradition a substitué Tadmor à Tamar, et elle a attribué la fondation de Palmyre à Salomon.

[37] Josèphe, Ant. Jud., 7, § 4.

[38] Cela est prouvé pour le huitième siècle par l'inscription de Piônkhi Miamoun. Le haras de Khmounou y est mentionné, l. 64-65, celui de Khninsou, l. 70-71, ceux de la Basse-Égypte, l. 109, 111, 113, 114, 119.

[39] I Rois, x, 28-29. Plus tard encore, au temps de Sargon, les Assyriens avaient les chevaux d'Égypte en grande estime (Schrader, Die Kailinschriften und des Alte Testament, 1883, p. 187-188).

[40] On remplirait une bibliothèque rien qu'avec les titres qu'on a écrits sur l'emplacement du pays d'Ophir. On a voulu le placer en Arabie, sur la côte d'Afrique, en Perse, dans l'Inde, à Java et jusqu'au Pérou. Les noms du bois d'Almoug, des paons, paraissent être d'origine indienne, et ont fait pencher la balance en faveur de l'Inde. Il se pourrait cependant qu'au lieu d'aller chercher ces objets dans l'Inde même, les matelots de Salomon les aient trouvés dans un des nombreux comptoirs de la côte d'Afrique, qui ont pu être en rapport avec l'Inde depuis une haute antiquité.

[41] I Rois, ix, 26-28 ; x, 11, 15, 22 ; II Chroniques, viii, 17-18 ; ix, 10, 13, 21.

[42] Juges, viii, 25-28. Cf. Juges, xvii, 5, sqq. … l'histoire du Lévite de Juda, de Mikah, et des Danites, voir plus bas.

[43] I Rois, v, 15-26.

[44] I Rois, vi-viii. La description du temple, interpolée par endroits, est en somme assez exacte pour qu'on puisse se faire une idée de l'édifice, en tenant compte des données matérielles que fournit la comparaison avec les temples égyptiens.

[45] Voir livre II, chapitre iv.

[46] Juges, xvi, 23 : I Samuel, v, 1 sqq.

[47] Voir livre II, chapitre iv.

[48] De Iside et Oriside, XV. D'après l'auteur du De deâ Syrie, VII, Osiris serait resté en Phénicie ; les fêtes que l'on croyait avoir été instituées en l'honneur d'Adonis, l'auraient été en l'honneur du dieu égyptien.

[49] Cf. le fragment de Sanchoniathon relatif à Thot dans Bunsen, Egypt's Place, t. V, p. 800.

[50] Hathor de Byblos, c'est-à-dire la déesse Hathor adorée à Byblos, est mentionnée dans une inscription de Turin (Maspero, Note sur quelques points de grammaire et d'histoire dans le Recueil, t. II, p. 120) ; la grande déesse de Byblos, Baalath-Gebal, est représentée sous les traits d'Hathor sur le fragment de bas-relief découvert par Renan (Mission de Phénicie, p. 479) et sur la stèle de Iehavmélek (Corpus inscriptionum semiticarum, t. I, p. 2 et pl. I). Baal-Zéphon et Marna sont mentionnés au revers de Papyrus Anastasi n° IV ; Baal, Anati, Astarté, dans le poème de Pentaoïrit et sur des stèles du Louvre, de Turin et du British Museum.

[51] Birch, Varia, dans la Zeitschrift, 871, p. 119-120.

[52] Sur le caractère des Baalim phéniciens, voir Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis van de Ægyptische en Mesopotamische Godsdiensten, 1872, p. 451-457.

[53] « Un dieu spécial du nom de Moloch n'existe guère que dans l'imagination des savants » (Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, p. 457).

[54] Juges, xi, 24, Kamosh est nommé dieu des Ammonites. Milkom paraît signifier leur roi, et n'être qu'une corruption voulue de la formule Milkom, notre roi, dont les Cananéens se servaient en s’adressant au dieu (Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, p. 457-458). C'est du moins ainsi qu'on traduit les Septante, II Samuel, xii, 30, et I Chroniques, xx, 2 : Molxòm õ basileçw aétÇn.

[55] Cf. la liste des Soutkhou qui est donnée à la fin du traité de Ramsès II avec le prince de Khati, l. 27.

[56] M. de Voguë, Mélanges d'archéologie orientale, p. 51-52.

[57] Jérémie, vii, 16 ; xxiv, 17-23.

[58] Inscription de Mesha, l. 41.

[59] Le nom de la déesse ne s'est plus conservé que dans celui d'une ville (Genèse, xiv, 5).

[60] Traité de Ramsès II avec le prince de Khati, l. 28.

[61] Anati est souvent citée dans les textes égyptiens, même populaires.

[62] L'orthographe ƒAstronñh doit se corriger en ƒAstronñmh comme l'ont vu et Movers (Die Phönizier, t. I. p. 656) et Lenormant (Lettres assyriologiques, t. II, p. 285).

[63] Corpus inscriptionum semiticarum, t. I, p. 25-26, à propos d'une inscription qui pourrait remonter jusqu'à Hirom Ier (Clermont-Ganneau, Hiram king of Tyre, dans le Palestine Expl. Fund, 1880, p. 174-181).

[64] Cf. le nom de Baal-Hermon, dans les Juges, iii, 3.

[65] M. de Voguë, Syrie centrale, inscriptions, p. 103-105.

[66] Sur tous ces points, voir le mémoire détaillé de Baudissin, Studien zur semitischen Religions-geschichte, t. II, p. 145 sqq.

[67] Baalsamin.

[68] Baalsamin.

[69] M. de Voguë, Syrie centrale, inscriptions, n° 73, p. 53, dans un texte palmyrénien. La glose ƒAld®miow, de l'Etym. Magnum, répond à la formule Baal-Haladîm, maître des temps, et s'appliquait au dieu suprême de Gaza.

[70] Philon et Sanchoniathon, Fragm. 2, dans les Fragm. H. Grœc., édit. Didot, t. III, p. 565. Cf. Bunsen, Egypt's Place, t. V, p. 257-295. Sur la valeur de ces fragments, consulter E. Renan, Mémoire sur l'origine et le caractère véritable de l'histoire phénicienne qui porte le nom de Sanchoniathon, dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et Belles-lettres, 1858, t. XXIII, p. 241 sqq., et Baudissin dans les Studien zur semitischen Religions-geschichte, t. I, 1876.

[71] Cf. dans l'Exode, iv, 24 sqq., la manière dont une vieille tradition envisageait le rite de la circoncision chez les Hébreux.

[72] C'était à l'exemple de leur dieu El, identifié par les Grecs avec Kronos, que les Phéniciens sacrifiaient leur premier-né (Philon-Sanchoniathon, Fragm. 5, dans les Fragm. H. Grœc., t. III, p. 570-571).

[73] Plutarque, De Superst., p. 171. S'il faut en croire Tertullien (Apolog., 9), la coutume d'offrir les enfants aurait duré jusqu'au proconsulat de Tibère.

[74] Cf. l'histoire de Combabos dans le De deâ Syriâ, 20. Peut-être l'usage de l'émasculation volontaire n'a-t-il commencé à se répandre qu'aux derniers temps du culte phénicien.

[75] Sur les fêtes d'Adonis, Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, p. 465-467.

[76] Johannes Lydus, De Mensibus, iv, 44.

[77] Fr. Lenormant, Il mito d'Adone-Tammuz nei documenti cuneiformi (Atti del IV Congreso internazionale, p. 143-173), dérive de la Chaldée le nom Doumouzi-Tammouz et le mythe de ce dieu.

[78] E. Renan, Mission de Phénicie, p. 28. M. Renan vit le phénomène se produire prés d'Amschît, au commencement de février, Maundrell (Voyage, p. 57-58), le 17 mars ; il est cependant beaucoup plus fréquent vers l'automne, pendant les pluies de l'arrière-saison.

[79] De deâ Syriâ, c. 3.

[80] Hérodote, I, cxcix ; Justin, XVIII, 6.

[81] Voir l'histoire de Rachel dans la Genèse, xxxi, 19-38 ; cf. Juges, xviii, 45 sqq. ; I Samuel, xix, 15 sqq.

[82] Le mot Jahvé doit appartenir au vieux fonds sémitique, car on le retrouve, comme nom de dieu, dans le nom du roi de Hamath Iaouhidi (var. Iloubidi), au temps de Sargon (Schrader, Die Keilinschriften und des Alte Testament, 1883, p. 25 sqq.). L'origine et le sens n'en sont pas encore bien assurés : certains critiques sont portés cependant à croire qu'il fut le dieu des Kénites, avant de devenir le dieu d'Israël (Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, p. 558-560; Stade, Geschichte des Volkes Israël, p. 130-132). Cf. sur la forme grecque , Baudissin, Studien, I, p. 181-254.

[83] I Samuel, xv ; II Samuel, xxiv.

[84] La forme du taureau, qui prévalut à Dan et à Béthel, n'a rien de commun avec l'Apis des Égyptiens : Apis était un taureau, un dieu vivant, non pas l'image d'un dieu. La forme de serpent existait à Jérusalem, où une légende fit du serpent d'airain une image fondue par Moïse dans le désert, pour guérir les Hébreux de la morsure des reptiles.

[85] Ainsi que l'a bien montré Kuenen, le passage des livres saints auquel sont empruntées ces paroles et les passages analogues peuvent bien être de simples figures de rhétorique à l'époque où ils ont été écrits, vers le viie ou viiie siècle avant notre ère ; à l'origine, ils durent être pris au pied de la lettre et rendre exactement la conception que le peuple se faisait de Jahvé. Cf. Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, p. 445 sqq.

[86] II Samuel, vi, 7 ; 1.1. Kuenen, De Godsdienst van Israel, t. I, p. 250 sqq. ; Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, P. 545-546.

[87] Cf. dans l'Exode, IV, 24 sqq., l'origine mythique de la circoncision chez les Hébreux.

[88] Genèse, xxii, 1-13, donne un récit légendaire de cette substitution. L'offrande du premier-né de l'homme, fréquente aux temps qui précédèrent l'exil, est un emprunt fait par les Israélites aux religions voisines : on s'appuya, pour la justifier, sur une mauvaise interprétation de la loi qui ordonnait d'offrir les prémices des produits de la terre et le premier-né de tous les animaux domestiques (Wellhausen, Prolegomena, p. 91-92).

[89] Juges, xi, 28-40.

[90] I Samuel, xxv, 2 sqq., 36.

[91] Juges, xxi, 19 sqq.

[92] Juges, iv, 26. Cf. Wellhausen, Prolegomena, p. 96 sqq.

[93] II Rois, xviii, 4 ; xxiii, 4 sqq.

[94] II Rois, xxiii, 7.

[95] Ezéchiel, viii, 14-15.

[96] I Rois, xi, 5 sqq. ; II Rois, xxiii, 13.

[97] Voir l'histoire de Samuel et de sa consécration à Shiloh (I Samuel, i-iii).

[98] Wellhausen, Prolegomena zur Geschichte Israel, p. 131-136.

[99] Le texte parle de deux images (Juges, xvii, 3-5) ; j'ai admis avec Reuss qu'il s'agissait d'un simulacre unique.

[100] Juges, xvii-xviii.

[101] I Samuel, ix, 9 sqq. ; cf. Wellhausen, Prolegomena, p. 281, qui compare les nabi aux derviches, « die Haufen Jahvetrunkener Derwische ». Pour l'effet produit sur les assistants par les chants des prophètes et de leurs disciples, voir la scène si curieuse ou Saül est saisi par la contagion de leur fureur et se met à chanter au milieu d'eux (I Samuel, x, 9 sqq.).

[102] La lutte entre Élie et les prophètes de Baal est racontée, I Rois, xviii.

[103] I Samuel, xiv, 16 sqq. Il est vrai que plus tard Saül fit massacrer Akhijah et toute sa famille : Abiathar seul échappa et se réfugia auprès de David.

[104] I Rois, viii, 14, 32 sqq., 54 sqq., 62 sqq.

[105] Wellhausen, Prolegomena, p. 136 sqq.

[106] Deutéronome, xxxiii, 8-12. La bénédiction de Moïse doit dater du viiie siècle, et donne par conséquent une idée de ce qu'était à cette époque la condition du sacerdoce.

[107] Wellhausen, Prolegomena, p. 143-144.

[108] I Rois, xii, 26-40, où l'épisode du prophète Akhijah paraît avoir été intercalé après coup.

[109] I Rois, iv, 39-34. Le plus ancien des livres attribués à Salomon, le Cantique des Cantiques, est un recueil de chants d'amour rédigé dans le royaume d'Israël vers le viiie siècle ; les autres sont d'époque très postérieure.

[110] I Rois, iii, 4-5 ; II Chroniques, viii, 7-12.

[111] I Rois, ix, sqq. ; II Chroniques, vii, 12-22.

[112] I Rois, ix, 9-13.

[113] I Rois, iv, 54 ; cf. Eupolemos dans les Fragm. H. Græc., édit. Didot, t. III, p. 225 sqq.

[114] I Rois, x, 1-13 ; II Chroniques, ix, 442. Les Abyssins se sont approprié la légende de la reine de Saba et en ont fait un des épisodes de leur histoire populaire. Cf. Prätorius, De fabula reginæ Sabæ apud Ethiopas, Berlin, 1871.

[115] I Rois, xii, 1-19. Le récit est antérieur à la chute de Samarie, mais écrit probablement par un Judéen.

[116] La tradition postérieure, d'après laquelle Benjamin se serait rattaché à Juda, est contredite formellement par I Rois, xii, 20.

[117] I Rois, xiii, 33.

[118] Tiele, Vergelijkende Gesehiedenis, p. 630-633.

[119] Sur Piônkhi, cf. Maspero. Notes sur quelques points de grammaire et d'histoire, dans la Zeitschrift, 1883, p. 62.

[120] Wiedemann, Zur XXI Dynastie Manetho's, dans la Zeitschrift, 1882, p.  86-88.

[121] Les momies de Masahirti et des princesses de sa famille, ainsi que celles de Pinotmou I et II, sont aujourd'hui au Musée du Caire (Maspero, Guide du visiteur au Musée de Boulaq, p. 320 sqq.). Les murs d'El-Hibéh, en face de Feshn, sont construits en briques estampées au nom de Manakhpirû et d'Isimkhabït.

[122] Sur ces Ramessides, voir Brugsch, Ramses und Scheschonk, dans la Zeitschrift, 1875, p. 163-165 ; Maspero, la Trouvaille de Déir-el-Baharî, p. 31.

[123] Sur ce Pinotmou II qui, pour d'autres est Pinotmou III, voir Ed. Naville, Inscription historique de Pinodjem III, 1883 ; Maspero, Notes sur quelques points de grammaire et d'histoire, dans la Zeitschrift, 1882, p. 134-135, et 1883, p. 70 sqq. Les quelques monuments de Masahirti dans Maspero, Zeitschrift, 1882, p. 133-144.

[124] Maspero, Guide du visiteur au Musée de Boulaq, p. 423; cf. A. Mariette, Monuments divers, pl. 102 b, c.

[125] Mariette, Lettres à M. de. Bougé sur les fouilles de Tanis, dans la Revue archéologique, 1861.

[126] Cf. Maspero, Guide du visiteur au Musée de Boulaq, p. 64-65.

[127] A. Mariette, dans les Mélanges d'archéologie égyptienne et assyrienne, t. I, p. 91-95.

[128] Mariette, les Papyrus égyptiens du Musée de Boulaq, t. I, Pap. N° 5, dernière page, l. 2-3.

[129] G. Maspero, Du Genre épistolaire, p. 9.

[130] Il me semble que la tribu bédouine des Mâazéh descend de celle des Mâzaiou. Le nom actuel proviendrait d’une assimilation populaire du mot arabe mâazéh, chevreau, avec le nom libyen antique.

[131] Sur la descendance libyenne de la XXIIe dynastie, indiquée dubitativement par Krall (Die Composition und die Schicksale des Manethon, sehen Geschichtswerkes, p. 73, note 1), voir L. Stern, Die XXII manethonische Dynastie, dans la Zeitschrift, 1883, p. 15-26. Birch lui attribuai une origine babylonienne (Transactions of the R. Society of Literature, Second Series, t. III. p. 165 sqq), Lepsius une origine asiatique (Ueber die XXII Ægyptische Königsdynastie, p. 261, 285), Oppert une origine susienne (les Inscriptions en langue susienne, dans les Mémoires du Congrès international des Orientalistes, Paris, 1873, t. Il, p. 183). Tout ce que Brugsch a raconté (Geschichte, p. 644, 651-659) d'une invasion assyrienne en Égypte et de la généalogie assyrienne de Sheshonq repose sur une interprétation trop hardie de quelques textes (Maspero, dans la Revue critique, 1880, t. I, p. 112-115) ; le système de Krall, intermédiaire entre celui de Brugsch et celui de Lepsius, a été infirmé de même par les découvertes postérieures (Die Composition, p 71-76).

[132] Ed. Naville, Inscription historique de Pinodjem III, p. 13-14.

[133] Toutes ces momies sont au Musée du Caire depuis 1881 : Maspero, la Trouvaille de Déir-el-Baharî, avec 40 photographies par Emile Brugsch-Bey, et Guide du visiteur au Musée de Boulaq, p. 314 sqq. Le dépôt enfermé dans la chambre murée d'Aménôthès II n'a été découvert qu'en 1899 par M. Loret : il est au Musée du Caire depuis 1900.

[134] Cela ressort de la liste de Karnak, où les villes d'Israël sont énumérées à côté de celles de Juda.

[135] Lepsius, Denkm., III, pl. 272 ; Champollion, Not. man., t. II, p. 113 sqq ; Maspero, Notes sur quelques points, dans la Zeitschrift, 1880, p. 44-49.

[136] Le tableau de la XXIe dynastie peut se dresser à peu prés comme il suit :

[137] Les Chroniques, II, xiv, 9-15, qui, seules, nous parlent de cette expédition fabuleuse, nomment Zérakh, le chef des envahisseurs. Champollion croyait y reconnaître Osorkon Ier (Précis du système hiéroglyphique, p. 257-262).

[138] Le nom d'Hézion n'est peut-être qu'une corruption de celui de Rézon : en ce cas, il faudrait le rayer de la série des rois de Damas.

[139] Les monuments assyriens paraissent rendre ce nom royal par Adad-idri, Bir-Dadda, et les Septante par ußòw „Ad¡r. Quelle que soit la lecture du nom assyrien, j'ai préféré adopter, jusqu'à nouvel ordre, la leçon ordinaire, Benhadad, qui a l'avantage d'être connue de tout le monde (cf. Schrader, Keilinschriften und Gesehichtsfortshung, p. 371-398 ; Die Keilinschriften und des Alte Testament, 1883, p. 200 sqq.).

[140] D'après Josèphe, Ant. jud., viii, 12, 5, Thibni fut assassiné.