HISTOIRE ANCIENNE DES PEUPLES DE L'ORIENT

 

L'ÉGYPTE JUSQU’A L’INVASION DES PASTEURS

CHAPITRE I - L'ÉGYPTE PRIMITIVE.

 

 

Le Nil et l'Égypte

Le premier des voyageurs qui ait visité l'Égypte, le premier du moins qui nous ait laissé le récit de son voyage, Hérodote d'Halicarnasse, a résumé l'impression que produisit sur lui cette contrée merveilleuse en une seule phrase, souvent citée : L'Égypte est un don du Nil[1]. L'Égypte n'est qu'une bande de terre végétale tendue à travers le désert, une oasis allongée aux bords de la rivière et sans cesse approvisionnée par elle de l'humidité nécessaire à la végétation. Il faut l'avoir vue au moment de l'étiage, un mois avant le solstice d'été, pour se figurer ce qu'elle deviendrait Si quelque accident la privait de son fleuve nourricier. Le Nil s'est resserré entre ses rives au point d'être réduit à la moitié de sa largeur habituelle, et ses eaux troublées, limoneuses, stagnantes, semblent à peine couler dans une direction quelconque. Des bancs plats ou des masses abruptes d'une boue noire, cuite et recuite au soleil, forment les deux berges. Au delà, tout c'est plus que poudre et que stérilité, car c'est à peine si le khamsin, le vent chargé de sable qui dure quarante jours, a cessé de souffler. Le tronc et les branches des arbres apparaissent çà et là à travers l'atmosphère terreuse, aveuglante, enflammée, mais les feuilles sont tellement engluées de poussière, qu'à faible distance on ne peut plus les distinguer du désert qui les environne. C'est seulement à force d'arrosages pénibles et laborieux qu'on parvient à entretenir quelque semblant de verdure dans les jardins du Pacha. Enfin, - et c'est le premier indice qui annonce la fin de cette saison terrible, - le vent du nord, l'Etésien des Grecs, se lève et se met à souffler avec violence, parfois même avec furie, pendant tout le jour. Grâce à lui, le feuillage des bosquets dont la Basse Égypte est parsemée se débarrasse de la poussière et recouvre sa couleur verte. Les ardeurs dévorantes du soleil, alors au plus haut de sa course, sont aussi fort à propos amoindries par le vent qui règne, ce mois-là et les trois suivants, sur tout le pays d'Égypte.

Bientôt un changement se produit dans le fleuve. On signale au nilomètre du Caire une hausse d'un pouce ou deux ; les eaux perdent le peu de limpidité et de fraîcheur qui en faisaient, hier encore, une boisson délicieuse. Elles prennent la teinte verte, gluante et terne de l'eau saumâtre entre les tropiques, sans que filtre au monde ait réussi jusqu'à ce jour à les débarrasser de la pulpe nauséabonde et malsaine qui cause cette altération. Le phénomène du Nil vert provient, à ce qu'on dit, des vastes nappes dormantes que le débordement annuel abandonne sur les larges plaines sablonneuses du Soudan, au sud de la Nubie. Après avoir croupi six mois et plus sous le soleil des tropiques, elles sont balayées par l'inondation nouvelle et elles rejoignent le lit du fleuve. Il est heureux que ce phénomène dure rarement plus de trois ou quatre jours, car, si court que soit ce temps, les malheureux contraints de s'abreuver au Nil, lorsqu il est dans cet état, éprouvent des douleurs de vessie insupportables. Aussi les habitants des villes ont-ils la prévoyance d'approvisionner d'eau leurs réservoirs et leurs citernes.

Dès lors la rivière augmente rapidement de volume et elle se trouble par degrés. Il s'écoule pourtant dix ou douze jours avant l'apparition du dernier et du plus extraordinaire phénomène que présente le Nil. J'essayerai de décrire les premières sensations qu'il me fit éprouver. C'était à la fin d'une nuit longue et accablante, à mon juger du moins ; au moment où je me levai du divan sur lequel j'avais tenté vainement de dormir, à bord de notre bateau que le calme avait arrêté au large de Benisohef, ville de la Haute Égypte, le soleil montrait tout juste le bord supérieur de son disque au-dessus de la chaîne Arabique. Je fus étonné de voir qu'à l'instant où ses l'ayons vinrent frapper l'eau, un reflet d'un rouge profond se produisit sur-le-champ. L'intensité du ton ne cessa de s'accroître avec l'intensité de la lumière avant même que le disque se fût dégagé complètement des collines, le Nil offrait l'aspect d'une nappe de sang. Soupçonnant quelque illusion, je me levai à la hâte, et, me penchant par-dessus le bordage, ce que je vis me confirma dans ma première impression. La masse entière des eaux était opaque, d'un rouge sombre, et plus semblable à du sang qu'à toute autre matière avec laquelle j'aurais pu la comparer. En même temps, je m'aperçus que la rivière avait haussé de plusieurs pouces pendant la nuit, et les Arabes vinrent m'expliquer que c'était là le Nil rouge. La rougeur et l'opacité de l'eau sont soumises à des variations constantes, tant qu'elle reste dans cette condition extraordinaire. A de certains jours, quand la crue n'a pas dépassé un pouce ou deux, les eaux redeviennent à demi transparentes, sans perdre toutefois cette teinte d'un rouge sombre dont j'ai parlé. Il n'y a point là de mélange nuisible, comme au temps du Nil vert: l'eau n'est jamais plus saine, plus délicieuse, plus rafraîchissante que pendant l'inondation. Il y a des jours où la crue est plus rapide, et, par suite, où la quantité de limon charrié dépasse, dans la Haute Égypte, la quantité entraînée par toute autre rivière à moi connue : même, en plus d'une occasion, j'ai pu m'apercevoir que cette masse opposait un obstacle sensible à la rapidité du courant. Un verre d'eau, que je puisai alors et que je laissai reposer pour un peu de temps, fournit les résultats suivants la partie supérieure du liquide resta parfaitement opaque et couleur de sang, tandis qu'un précipité de boue noire remplissait environ Je quart du verre. Une portion considérable de ce limon est déposée avant que la crue atteigne la Moyenne et la Basse Égypte, où je n'ai jamais vu l'eau du Nil en cet état.

Il n'y a peut-être pas, dans tout le domaine de la nature, un spectacle plus gai que le spectacle présenté par la crue du Nil. Jour après jour et nuit après nuit, le courant trou¬blé roule et s'avance majestueusement par delà les sables altérés des immenses solitudes. Presque d'heure en heure, taudis que nous remontions lentement, poussés par le vent du nord, nous entendions le fracas produit par la chute de quelque digue de boue; nous voyions, au mouvement de toute la nature animée vers le lieu où le bruit venait de retentir, que le Nil avait franchi un nouvel obstacle et que ses eaux bondissantes allaient répandre la vie et la joie au milieu d'un autre désert. Des impressions que j'ai reçues, il y en a peu dont le souvenir me laisse autant de plaisir que l'impression causée par la vue du Nil, à la première invasion de son débordement annuel dans l'un des grands canaux. Toute la nature en crie de joie. Hommes, enfants, troupeaux de buffles, gambadent dans ses eaux rafraîchissantes, les larges vagues entraînent des bancs de poissons dont l'écaille lance des éclairs d'argent, tandis que des oiseaux de toute plume s'assemblent en nuées au-dessus. Et cette fête de la nature n'est pas restreinte aux ordres les plus élevés de la création. Au moment où le sable devient humide à l'approche des eaux fécondantes, il s'anime littéralement et grouille de millions d'insectes. L'inondation gagne Memphis ou le Caire quelques jours avant le solstice d'été : elle atteint sa plus grande hauteur et elle commence à décliner aux environs de notre équinoxe d'automne. A peu près au moment de notre solstice d'hiver, le Nil est redescendu entre ses rives et il a endossé sa livrée bleu clair. Les semailles ont été faites durant cet intervalle et elles s'achèvent vers le moment que l'inondation finit. Le printemps est suivi sur-le-champ par la moisson, et la récolte est rentrée d'ordinaire avant le lever du khamsin ou vent de sable. L'Année d'Égypte se partage donc naturellement en trois saisons : quatre mois de semailles et de croissance, qui correspondent approximativement à nos mois de novembre, décembre, janvier et février ; quatre mois de récolte, qu'on peut de même indiquer, d'une manière vague, en les comparant aux mois de notre calendrier qui sont compris entre mars et juin inclusivement ; les quatre mois ou lunes de l'inondation complètent le cycle de l'année égyptienne[2].

Les Égyptiens ne connaissaient pas la source de leur fleuve. Vainement leurs armées victorieuses l'avaient longé pendant des semaines et des mois, à la poursuite des tribus noires ou koushites : toujours elles l'avaient trouvé aussi large, aussi plein, aussi puissant d'allures qu'il était dans leur patrie. C'était moins un fleuve qu'une mer, et mer était le nom qu'ils lui donnaient[3]. Les prêtres n'étaient pas en peine d'expliquer son origine. Il descendait du ciel ; il était l'image en cette terre des eaux d'en haut, sur lesquelles flottaient les barques des dieux ; il naissait entre Eléphantine et Philae, parmi les rochers de la cataracte, dans deux gouffres insondables qu'on appelait les Qarati[4]. Ses inondations n'étaient pas un phénomène naturel : elles étaient produites par les larmes d'Isis et elles devaient leur vertu à cette provenance divine. A ces légendes dévotes s'ajoutaient mille histoires merveilleuses qui avaient cours parmi le peuple. On contait que des matelots 'se rendant aux mines de Pharaon avaient fini, à force de remonter le courant, par déboucher dans la mer inconnue qui baignait le pays de Pouanît : de même les marchands arabes du moyen âge croyaient qu'on pouvait aller par eau d'Égypte au pays des Zindjes et dans l'océan Indien[5]. Cette mer était semée d'îles mystérieuses, semblables à ces îles enchantées que les marins portugais et bretons apercevaient parfois dans les lointains de l'horizon et qui s'évanouissaient quand on voulait en approcher. Elles étaient peuplées par des êtres fantastiques, quelquefois cruels aux naufragés, quelquefois bienveillants. Quiconque en sortait n'y pouvait plus rentrer; elles se résolvaient en flots et elles disparaissaient au sein des ondes[6].

Jadis toute la région de l'Égypte aujourd'hui connue sous le nom de Delta était recouverte par la mer : la Méditerranée baignait de ses vagues le pied du plateau sablonneux que dominent les grandes Pyramides, et le Nil se terminait un peu au nord de l'emplacement où la ville de Memphis fleurit plus tard. A la longue, les matières terreuses qu'il amène avec lui des montagnes d'Abyssinie se déposèrent en bancs de boue sur les bas-fonds de la côte et comblèrent une partie du golfe ; elles s'étalèrent en larges plaines marécageuses, entrecoupées d'étangs, à travers lesquelles les eaux durent se frayer passage. Consolidés par les apports marins, ces terrains nouveaux constituèrent un premier Delta, dont la pointe atteignait un peu au-dessous de Memphis et les extrémités prés de quinze lieues plus bas, dans les parages d'Athribis. Puis, le fleuve continuant son travail et les alluvions gagnant toujours, la chaîne des dunes qui bordait au nord ce premier Delta vit la mer se retirer peu à peu vers le Nord et se trouva délaissée dans l'intérieur des terres, où ses restes indiquent encore par endroits la direction du littoral ancien : dés les commencements de la période historique, le Nil avait projeté ses embouchures en avant de la ligne normale des rivages environnants. Près du village antique de Kerkasore, il se divisait en trois branches : la Pélusiaque tournait au N.-E. et se terminait aux confins du désert de Syrie ; la Canopique se dirigeait vers le N.-O. en baignant les derniers versants du désert Libyque ; la Sébennytique, poussant dans le prolongement de la vallée, courait presque droit au Nord et coupait le Delta en son milieu[7]. Ces trois grands bras étaient unis l'un à l'autre par un lacis de canaux naturels et artificiels, dont quelques-uns tombaient directement dans la mer et portaient le nombre des bouches du Nil à sept[8], et même à quatorze[9], selon les époques. La plaine triangulaire qu'ils enfermaient, et dont chaque portion avait été charriée grain à grain du fond de l'Afrique, compte aujourd'hui environ 25 000 kilomètres carrés de superficie et elle croît chaque année.

Les prêtres, qui savaient par tradition l'état primitif de leur patrie, croyaient pouvoir déterminer avec certitude l'espace de temps qui avait suffi au fleuve pour accomplir son travail. Ils racontaient à Hérodote que Ménès, le premier des rois de race humaine, avait trouvé l'Égypte presque entière plongée sous les eaux : la mer pénétrait jusqu'au delà de l'emplacement de Memphis, en pleine Heptanomide, et le reste du pays, moins le nome de Thèbes, n'était qu'un marais malsain[10]. Ils se trompaient étrangement dans leur appréciation. Le Nil, soumis à des débordements annuels, abandonne la plus grande partie des matières qu'il entraîne sur les campagnes riveraines, et s'appauvrit de plus en plus à mesure qu'il avance ; il n'arrive à la mer que dépouillé du gros de ses alluvions. C'est à peine Si les plages basses qui sont en voie de formation au débouché des branches Canopique et Sébennytique s'accroissent, bon an mal an, l'une de quatorze hectares, l'autre de seize; c'est une moyenne d'un mètre de progrès annuel pour tout le front du Delta. Eu s'appuyant sur ces données, on a pu calculer que, dans les conditions actuelles, il aurait fallu environ sept cent quarante siècles au Nil pour combler son estuaire. Sans accepter aucunement ce chiffre dont l'exagération parait évidente, car la marche progressive des boues était plus rapide autrefois qu'elle ne l'est aujourd'hui dans ces contrées, on n'en sera pas moins forcé de conclure que les prêtres ne soupçonnaient guère l'âge réel de la contrée. Le Delta existait depuis longtemps déjà à l'avènement de Ménès ; peut-être même était-il entièrement terminé à l'époque où la race égyptienne posa pour la première fois le pied dans la vallée qui devint sa demeure.

Le Nil n'a pas seulement créé le sol de l'Égypte, il en a déterminé l'aspect général et le genre de ses productions. Une vallée, qui est sortie tout entière du sein des eaux et qui est chaque année envahie de nouveau par elles, ne peut nourrir qu'un nombre assez restreint d'espèces végétales. Le sycomore et plusieurs sortes d'acacias et de mimosas y prospèrent ; le grenadier, le tamarin, l'abricotier, le figuier ornaient les jardins, et la présence du perséa sur les monuments de la douzième dynastie nous prouve que Diodore commit une erreur en attribuant au Perse Cambyse le mérite d'avoir le premier introduit cet arbre[11]. Deux espèces de palmiers, le dattier et le doûm[12], viennent presque sans culture ; mais aucune de nos grandes essences européennes ne s'est acclimatée dans la partie fréquentée par les anciens. D'autre part, les plantes aquatiques s'y développaient avec un luxe de végétation extraordinaire, et lui donnaient un aspect caractéristique. On ne les rencontrait pas, en général, au long des berges, où la profondeur de l'eau et la force du courant ne leur permettraient guère de croître en paix ; mais les canaux, les étangs, les mares que l'inondation laisse derrière elle, en étaient littéralement encombrés. Deux espèces surtout, le papyrus et le lotus, sont célèbres en Europe à cause du rôle qu'elles jouent dans l'histoire, la religion, la littérature sacrée ou profane de l'Égypte. Le papyrus se plaisait dans les eaux paresseuses du Delta et il devint l'emblème mystique de cette région ; le lotus au contraire fut choisi pour symbole de la Thébaïde. Les anciens confondaient sous ce nom des individus appartenant à trois espèces de nymphéas différentes.  Deux d'entre elles, le lotus blanc et le lotus bleu, portent des fruits assez semblables pour la forme à ceux du pavot : leurs capsules renferment de petites graines de la taille d'un grain de millet. La  troisième espèce, le Nymphæa nelumbo ou nénuphar rose, est décrite fort exactement par Hérodote. Elle produit un fruit porté sur une tige différente de celle fleur et qui sort de la racine même qui porte la il est semblable pour la forme aux gâteaux de cire des abeilles, ou, plus prosaïquement, à une pomme d'arrosoir. Il est percé, à la partie supérieure, de vingt ou trente cavités dont chacune contient une graine de la grosseur d'un noyau d'olive, bonne à manger fraîche ou desséchée[13]. C'est là ce que les anciens appelaient la fève d'Égypte[14]. On cueille également, ajoute l'historien, les pousses annuelles du papyrus. Après les avoir arrachées dans les marais, on en coupe la tête, qu'on rejette, et ce qui reste est à peu près de la longueur d'une coudée. On s'en nourrit et on le vend publiquement ; cependant les délicats ne le mangent qu'après l'avoir fait cuire au four[15]. Ce pain de lis était une friandise recherchée et figurait sur les tables royales[16] ; mais, quoi qu'en dise Hérodote[17], la nourriture habituelle du peuple était le blé et les différentes espèces de céréales, le froment, l'orge, le sorgho, l'olyra (Triticum spelta) et la zéa (Triticum monococcum), que le sol d'Égypte produit en abondance. La vesce, le lupin, la fève, le pois chiche, la lentille, plusieurs espèces de ricin naissaient naturellement dans les champs. La vigne venait à merveille dans certains cantons du Delta ou de l'Heptanomide ; l'olivier était rare et restreint à quelques districts[18].

Deux au moins des espèces animales qui vivent à présent sur les bords du Nil, le cheval et le chameau[19], ne sont pas figurées sur les monuments des plus anciennes dynasties et paraissent n'avoir été introduites que longtemps après la fondation du royaume. En revanche, les Égyptiens possédaient plusieurs races de boeufs à longues cornes, analogues aux boeufs de Dongolah, plusieurs variétés de moutons, de chèvres et de chiens, le chien-renard à robe fauve, au nez effilé, aux oreilles pointues, à la queue épaisse, le sloughi ou grand lévrier d'Afrique à oreilles longues et droites, le basset, le chien hyénoïde[20]. L'âne, d'origine africaine, garda sous ce climat favorable une beauté de formes et une vigueur de tempérament que n'a point notre baudet d'Europe[21]. A côté des espèces domestiques, les premiers émigrants trouvèrent le lièvre à longues oreilles, l'ichneumon, une quantité innombrable d'oryx, de àubales, de gazelles, algazelles, defassas, antilopes à cornes en lyre qu'ils apprivoisèrent à moitié[22] : puis des animaux plus redoutables, le chat sauvage, le loup, le chacal, le renard, l'hyène striée et mouchetée, le léopard, le guépard, le lion enfin[23], qu'ils combattirent sans relâche et qu'ils refoulèrent vers le désert[24]. Deux monstres amphibies, le crocodile et l'hippopotame, vivaient sur les bords du Nil et ils en rendaient les abords dangereux pour les hommes et pour les bestiaux. Les hippopotames, assez nombreux sous les premiers rois, diminuèrent bientôt, grâce aux poursuites acharnées dont ils furent l'objet, et se retirèrent dans les marais de la Basse Égypte : quelques individus de leur espèce y subsistaient encore vers le milieu du treizième siècle après Jésus-Christ. Le crocodile, adoré et protégé dans certains nomes, exécré et poursuivi dans certains autres, s'est maintenu jusqu'à nos jours. Quand il passa devant Qénéh, Champollion vit jusqu'à quatorze crocodiles réunis en conciliabule sur un îlot. Si pareille bonne fortune n'échoit jamais maintenant au voyageur, c'est que le crocodile recule de plus en plus vers le sud devant les armes à feu et l'agitation produite par les bateaux à vapeur, et que bientôt le Nil jusqu'à Assouan ne les connaîtra plus que par tradition[25].

L'Égypte possède une grande quantité d'oiseaux, l'aigle, le milan, l'épervier, le faucon, le vautour, la corneille à mantelet, la pie, le pigeon, la tourterelle, la perdrix, le moineau. Les ibis blancs et noirs, les pélicans, le cormoran, l'oie, le canard, hantent les bas-fonds et couvrent les îlots du fleuve de leurs variétés infinies. L'oie et le canard, apprivoisés de toute antiquité, remplissaient la basse-cour des sujets de Ménès et tenaient la place du poulet, encore très rare[26]. Les bras et les canaux du Delta fourmillent littéralement de poissons, la plupart bons à manger, le rouget des marais de Péluse (?), engraissé dans les lotus, le mulet tacheté des étangs artificiels, le mulet ordinaire mêlé aux fahaka,[27] l'oxyrrhynque au museau pointu, la torpille, la grande tortue d'eau douce. La nature semble avoir inventé le fahaka dans un moment de bonne humeur. C'est un poisson allongé qui a la faculté de se gonfler à volonté ; quand il ballonne outre mesure, et que le poids de son dos l'emporte, il bascule et s'en va à la dérive, le ventre en l'air et tout semé d'épines qui lui donnent l'air d'un hérisson. Au moment de l'inondation, la crue, en se retirant, l'abandonne dans les champs limoneux, où il devient la proie des oiseaux et des hommes, ou sert de jouet aux enfants. Les embouchures du Nil sont fréquentées par un grand nombre de poissons de mer qui remontent pour frayer en eau douce, et de poissons d'eau douce qui descendent déposer leur frai en pleine mer.

Ainsi tout en l’Égypte se règle sur le Nil, le sol, ses productions, l'espèce des animaux qui l'habitent et des oiseaux qu'il nourrit. Les Égyptiens le sentaient mieux que personne et ils s'en montraient reconnaissants : ils tenaient leur fleuve pour un dieu qu'ils appelaient Hapi et dont ils ne se lassaient pas de célébrer la bienfaisance. Salut à toi, ô Nil, qui sors en cette terre et qui viens pour donner la vie à l'Égypte, - toi dont les lois sont cachées, ténèbres en plein jour, mais dont pourtant on célèbre les lois, - toi qui détrempes les champs que Râ crée - pour donner la vie à tout le bétail, - toi qui arroses la montagne loin de l'eau, - car ce n'est que ta rosée la pluie qui tombe, - qui aimes le dieu Terre Gabou, - qui offres le dieu des grains Napri, et qui fais prospérer l'atelier de Phtah, la terre d'Égypte ! Seigneur des poissons, lui qui ramène au Sud les bandes d'oiseaux, - par qui il n'y a plus d'oiseau qui attaque les récoltes, - fabricant de l'orge, producteur du millet, - qui met les temples en fêtes, - s'il est paresseux, alors les nez se bouchent, - tout le monde est misérable, les pains d'offrandes aux dieux diminuent ; - alors des millions d'individus périssent parmi les hommes. - S'il s'irrite, la Terre Entière souffre, - grands et petits sont misérables, - et toutes les conditions sont confondues, lorsqu'il leur va contre ! - Si, au contraire, Khnoumou d'Eléphantine l'a fait bon, - et qu’il se lève, alors la terre est en allégresse, - tout ce qui a ventre est en joie, - tout dos est secoué de rire grâce à lui, - toute dent déchire. Ô toi qui apportes les provisions et qui es riche de nourritures, créateur de toutes les bonnes choses, - maître des réconforts, qui renouvelles les parfums (à ses venues), - de qui la peine est plaisir pour les autres, - générateur des fourrages pour les bestiaux, - qui pourvois aux sacrifices de tout dieu, - toi qui es dans l'Hadès, au ciel, en la terre, sur le trône de Tataouî, - qui remplis les entrepôts, qui forces à élargir les greniers, - qui pourvois de biens les malheureux ! - Il fait croître tous les bois utiles - sans qu'il en manque - car c'est son fort de faire exister les bateaux ! - On ne sculpte pas dans les pierres pour lui - des statues où poser la double couronne ; - on ne l'aperçoit point, - il n'a ni serviteurs ni maîtres, - on ne l'arrache pas au mystère, - on ignore le lieu où il est, - et on ne trouve point sa retraite par vertu de livres magiques. - Il n'y a pas de maisons pour ses revenus, - il n'y a point qui guide en son cœur ! - Néanmoins ses générations et ses enfants se réjouissent, - on s'informe de son état comme s'il était un roi – aux ordonnances constantes, - qui se montre au Midi comme au Nord, - par qui sont bus les pleurs de tous les yeux, et qui prodigue l'abondance de ses biens[28].

Origine des Égyptiens : les nomes

Les Égyptiens paraissent avoir perdu de bonne heure le souvenir de leur origine. Venaient-ils du centre de l'Afrique ou de l'intérieur de l'Asie ? Au témoignage presque unanime des historiens anciens, ils appartenaient à une race africaine qui, d'abord établie en Éthiopie sur le Nil moyen, serait descendue graduellement vers la mer en suivant le cours du fleuve. On s'appuyait pour le démontrer sur les analogies évidentes que les moeurs et la religion du royaume de Méroé présentaient avec les moeurs et la religion des Égyptiens proprement dits[29]. On sait aujourd'hui à n'en pas douter que l'Ethiopie, celle du moins que les Grecs ont connue, loin d'avoir colonisé l'Égypte au début de l'histoire, fut colonisée par elle à partir de la douzième dynastie, et qu'elle a été comprise pendant des siècles dans le royaume des Pharaons. D'autre part, la Bible affirme que Mizraïm, fils de Cham, frère de Koush l'Éthiopien et de Canaan, vint de Mésopotamie pour se fixer sur les bords du Nil avec ses enfants[30]. Loudim, l'aîné d'entre eux, personnifie les Égyptiens proprement dits, les Rotou ou Romîtou des inscriptions hiéroglyphiques. Anamîm représente assez bien la grande tribu des Anou, qui fonda Onou du Nord (Héliopolis) et Onou du Sud (Hermonthis) dans les temps antéhistoriques. Lehabim est le peuple des Libyens qui vivent à l'occident du Nil, Naphtouhim (No-Phtah) s'établit dans le Delta au nord de Memphis ; enfin Pathrousim (Patorisi, la terre du Midi) habita le Saïd actuel entre Memphis et la première cataracte[31]. Cette tradition, qui amène les Égyptiens de l'Asie par l'isthme de Suez, n'était pas ignorée des auteurs classiques, car Pline l'Ancien attribue à des Arabes la fondation d'Héliopolis[32] ; mais elle n'eut jamais la popularité de l'opinion qui les dérivait des hauts plateaux de l'Ethiopie.

De nos jours, la provenance et les affinités ethnographiques de la population ont fourni matière à de longues discussions. Tout d'abord les voyageurs du XVIIe et du XVIIIe siècle, trompés à l'apparence de certains Coptes abâtardis, assurèrent que leurs prédécesseurs de l'âge pharaonique avaient le visage bouffi, l'oeil à fleur de tête, le nez écrasé, la lèvre charnue, et qu'ils présentaient plusieurs des traits caractéristiques de la race nègre. Cette erreur, vulgaire encore au commencement du siècle, s'évanouit sans retour dès que la Commission française eut publié son grand ouvrage. En examinant les innombrables reproductions de statues et de bas-reliefs dont il est rempli, on reconnut que le peuple figuré sur les monuments, loin d'offrir les particularités ou l'aspect général du nègre, avait la plus grande analogie avec les belles races blanches de l'Europe et de l'Asie occidentale. Aujourd'hui, après un siècle de recherches et de fouilles,  nous n'avons plus de difficulté à évoquer devant nous, je ne dirai pas le contemporain de Psammétique et de Sésostris, mais celui de Kheops, qui contribua pour sa part à la construction des pyramides. Il suffit pour cela d'entrer dans un musée et d'examiner les statues d'ancien style qui y sont réunies. Au premier coup d'oeil, on sent que l'artiste a poursuivi, dans le rendu de la tête et des membres, la ressemblance exacte avec son modèle ; puis, lorsqu'on écarte les nuances propres à chaque individu, on dégage sans peine les caractères généraux et les types principaux de la race. L'un d'eux, trapu et lourd, répond assez bien à l'un de ceux qui prévalent chez les fellahs actuels. L'autre, celui qui distinguait les membres des hautes classes, nous montre son homme grand, maigre, élancé. Il avait les épaules larges et pleines, les pectoraux saillants, le bras nerveux, rond, terminé par une main fine, la hanche assez peu développée, la jambe sèche ; les détails anatomiques du genou et les muscles du mollet sont assez fortement accusés, comme c'est le cas pour la plupart des peuples marcheurs ; les pieds sont longs, milices, aplatis à l'extrémité par l'habitude d'aller sans chaussure. La tête, souvent trop forte pour le corps, revêt d'ordinaire une expression de douceur et même de tristesse instinctive. Le front est carré, peut-être un peu bas, le nez court et charnu ; les yeux sont grands et bien ouverts, les joues arrondies, les lèvres épaisses, mais non renversées ; la bouche, un peu trop fendue, garde un sourire résigné et presque douloureux. Ces traits, communs à la plupart des statues de l'ancien et du moyen empire, se perpétuent à toutes les époques. Les monuments de la dix-huitième dynastie, les sculptures saïtes et grecques, si inférieures en beauté artistique aux monuments des vieilles dynasties, se transmettent sans altération notable le type primitif. Aujourd'hui, bien que les classes supérieures se soient défigurées par des alliances répétées avec l'étranger, les simples paysans ont gardé presque partout l'aspect de leurs ancêtres, et tel fellah contemple avec étonnement les statues de Khephren ou les colosses des Sanouasrît qui promène, à travers le Caire, à plus de quatre mille ans d'existence, la physionomie de ces vieux Pharaons[33].

Si le type de la population est bien défini, l'origine des éléments qui la composent n'en est pas moins obscure. La majorité des philologues contemporains en place le berceau dans l'Asie occidentale[34], mais sans pouvoir se mettre d'accord sur la route qu'ils auraient suivie pour se rendre en Afrique. Quelques-uns pensent qu'ils prirent le chemin le plus court, celui de l'isthme de Suez[35], mais d'autres leur prêtent des voyages plus longs et des itinéraires plus compliqués : les immigrants auraient franchi le détroit de Bab et Mandeb et les montagnes de l'Abyssinie, puis ils auraient descendu le Nil et ils se seraient installés entre la première cataracte et la mer[36]. L'hypothèse d'une origine purement asiatique soulève des difficultés considérables, car, au point de vue anatomique, le gros de la population nous offre tous les caractères des nations blanches qui se sont établies de toute antiquité sur les versants méditerranéens du continent libyque, et qui peut-être vinrent elles-mêmes de l'Europe méridionale  elles se seraient glissées dans la vallée par l'Ouest ou par le Sud-Ouest[37]. Plusieurs enfin assignent pour berceau aux Égyptiens le centre de l'Afrique[38]. Ils auraient rencontré dans leur patrie nouvelle une race noire[39], et ils reçurent plus tard, à coup sûr, des accroissements de peuplades asiatiques, qui s'infiltrèrent par le désert jusqu'aux marais du Delta. Quoi qu'il faille penser de ces théories, le certain est que les ancêtres variés des Égyptiens que nous connaissons, à peine parvenus sur les rives du Nil, furent conquis aussitôt par le pays et assimilés, comme ç'a toujours été le cas depuis lors pour tous les étrangers qui l'occupèrent. Au moment où leur histoire commence pour nous, cinq ou six mille ans avant notre ère, ils étaient tous fondus en un seul peuple, qui possédait une civilisation uniforme et qui parlait la même langue d'un bout à l'autre de la contrée.

Cette langue semble appartenir à la même famille que le berbère et ses dialectes ou que les langues mal étudiées dont se servent encore plusieurs tribus du désert égyptien et du Soudan : on y a signalé en effet des analogies sérieuses avec le berbère[40], et aussi avec l'ensemble des langues dites sémitiques. Non seulement un grand nombre de ses racines appartiennent au type hébræo-araméen ; mais sa constitution grammaticale se prête à de nombreux rapprochements avec l'hébreu et le syriaque. L'un des temps de la conjugaison, le plus simple et le plus ancien de tous, est composé avec des pronoms suffixes identiques à ceux des Sémites[41]. Les pronoms, suffixes et absolus, sont exprimés par les mêmes racines et jouent le même rôle en égyptien et dans les langues sémitiques[42]. Sans nous étendre sur ces rapprochements, dont quelques-uns laissent encore prise au doute, nous pouvons dès à présent affirmer que la plupart des procédés grammaticaux mis en oeuvre par les langues sémitiques se retrouvent en égyptien à l'état rudimentaire. Aussi bien l'égyptien et les langues sémitiques, après avoir fait partie du même groupe, se sont séparés de bonne heure à une époque où leur système grammatical était encore en voie de formation. Désunis et soumis à des influences diverses, ils traitèrent dès lors d'une façon très différente les éléments qu'ils possédaient en commun. Tandis que l'égyptien et les autres idiomes qu'on pourrait intituler protosémitiques s'arrêtaient dans leur développement, les langues sémitiques propres continuaient le leur pendant de longs siècles avant d'arriver à la forme que nous leur voyons aujourd'hui ; en sorte que, s'il y a un rapport de souche évident entre la langue de l'Égypte et celles de l'Asie, ce rapport est cependant assez éloigné pour laisser au peuple qui nous occupe une physionomie distincte[43].

Au moment où les tribus de langue protosémitique y descendirent, le pays devait présenter l'image de la désolation. Le fleuve, abandonné à ses caprices, changeait perpétuellement de lit. Il n'atteignait jamais dans ses débordements certains recoins de la vallée, qui restaient improductifs ; ailleurs, au contraire, il séjournait avec tant de persistance qu'il changeait le sol en bourbiers pestilentiels. Le Delta, à moitié noyé par les eaux douces, à moitié perdu sous les flots de la Méditerranée, était un immense marais semé de quelques îles sablonneuses et couvert de papyrus, de lotus, d'énormes roseaux, à travers lesquels les bras du Nil se frayaient paresseusement un cours sans cesse déplacé. Sur les deux rives, le désert envahissait tout ce qui n'était pas chaque année recouvert par l'inondation : on passait sans transition de la végétation désordonnée des fanges tropicales à l'aridité là plus absolue.  Peu à peu les nouveaux venus apprirent à régler leur fleuve, à l'endiguer, à porter par des canaux la fertilité jusque dans les replis les plus reculés du territoire. L'Égypte sortit de la boue et devint dans la main de l'homme une des contrées les mieux appropriées au développement paisible d'une grande civilisation.

La période de formation du sol et de la nation dura longtemps, des myriades d'années au dire des anciens eux-mêmes, entre trois et quatre mille ans d'après les calculs les plus modérés des savants contemporains. Des découvertes récentes nous ont fait connaître les monuments de ces premiers Égyptiens, et nous ont rendu leurs maisons, leurs tombeaux, les outils et les armes dont ils se servaient. Ils habitaient des huttes basses, construites en pisé ou en briques séchées au soleil, qui ne contenaient qu'une seule chambre carrée ou rectangulaire sans autre ouverture que la porte; les riches seuls en possédaient qui étaient assez vastes pour qu'il fût nécessaire d'en soutenir le toit au moyen d'une ou de deux colonnes. Le mobilier ne comportait que de la vaisselle de terre, modelée à la main, des couteaux et des grattoirs de silex, des nattes de roseaux ou de paille tressée, deux pierres plates à moudre le grain, quelques coffres, quelques escabeaux, quelques chevets en bois comme oreillers pendant le sommeil. La poterie ordinaire est lourde et presque toujours non décorée. Souvent elle est de deux couleurs, le corps du vase en une terre d'un rouge brillant polie à la pierre, tandis que le fond et le goulot sont d'un noir plus luisant que le rouge. Plus souvent, la couverte est d'un jaune uniforme sur lequel s'enlèvent en traits rouges des fleurs, des palmiers, des autruches, des gazelles, des bateaux entremêlés de lignes ondées. Les hommes allaient à peu près nus, sauf les nobles, qui portaient une peau de panthère jetée sur l'épaule ou serrée à la taille en guise de pagne. Ils s'enduisaient le corps d'huile ou de graisse, et ils se tatouaient en partie la face et le visage : plus tard ce genre d'ornement ne fut plus conservé que chez les gens de la basse classe, mais l'usage se maintint de farder le visage et de noircir au kohol le bord des paupières et les sourcils. On substitua de bonne heure la perruque noire ou bleue à la chevelure naturelle, et les chefs militaires ou religieux arborèrent sur leur front des plumes d'autruche pour se distinguer de leurs subordonnés. Par la suite, le pagne en toile blanche de lin remplaça la peau de bête, qui ne fut plus que l'insigne des prêtres ou des princes : un long manteau de lin couvrait l'ensemble du costume lorsqu'on sortait de la maison. L'habillement des femmes n'était pas beaucoup plus compliqué que celui des hommes : il consistait surtout en une jupe étroite de toile de lin, maintenue sur les épaules par deux bretelles et qui, prenant sous la gorge, ne descendait pas tout à fait à la cheville. Des bracelets et des colliers en silex, en ivoire, en coquillages, en graines de couleur, en cailloux bizarres complétaient cette toilette. Les hommes étaient armés de casse-tête et de sabres en bois ou en os de formes variées, d'arcs, de flèches et de lances, garnies de pointes en silex et en os ; comme armes de jet, ils employaient la fronde et le boumerang. Longtemps avant les débuts de l'histoire, les métaux s'étaient associés à la pierre pour les armes et pour les outils, et l'on avait vu le cuivre, puis le bronze et enfin le fer se répandre parmi toutes les classes de la société. Les armes de bois et de pierre, masses, flèches, casse-tête, boumerangs, ne servirent plus que pour la chasse, ou ne furent conservées que par la noblesse ou le clergé comme emblèmes de l'autorité ou comme instruments rituels. La pêche et la chasse fournissaient une partie importante de l'alimentation, chasse au lasso ou à la bola des taureaux sauvages et des espèces de gazelles, d'oryx et de chèvres qui vaguaient par le marais ou la montagne : toutefois, le blé, l'orge, le millet étaient cultivés déjà, et l'âne, le mouton, la chèvre, le boeuf, le porc avaient été domestiqués. Les Egyptiens des temps antérieurs à l'histoire possédaient la meilleure partie de l'outillage agricole, industriel et militaire, que nous voyons figuré sur les monuments de l'époque historique[44].

C'est donc à ces générations si mal connues que revient l'honneur d'avoir établi la constitution et la civilisation de l'Égypte. Le souvenir précis de leur condition s'effaça de bonne heure, et les chroniqueurs de l'âge pharaonique, avec cette naïveté instinctive qui incite les peuples à chercher la perfection dans le passé, en étaient venus assez vite à considérer leurs ancêtres demi sauvages comme des hommes pieux, attachés au culte d'Horus et menant une vie heureuse sous l'autorité directe des dieux. D'abord séparés en clans indépendants, ces Serviteurs d'Horus, - Shamsou-Horou[45], - se seraient groupés à plusieurs pour établir, le long du Nil, de petits Etats dont chacun pratiquait ses lois et son culte. Avec le temps, ces Etats se fondirent les uns dans les autres : il ne resta plus en présence que deux grandes principautés, la Basse Égypte (To-mouri) ou pays du Nord (To-mehi) dans le Delta, la Haute Égypte ou pays du Sud (To-rêsi), depuis la pointe du Delta jusqu'à la première cataracte. La réunion sous un même sceptre constitua le patrimoine des Pharaons ou pays de Kîmit, mais elle n'effaça pas la division primitive : les petits Etats devinrent provinces et furent l'origine des circonscriptions administratives que les Grecs ont appelées nomes. Ceux-ci se composaient d'une ou plusieurs villes et d'un territoire assez restreint[46]. Ils comportaient chacun plusieurs subdivisions : 1° la capitale (nouît) et sa banlieue, siége de l'administration civile et militaire, centre de la religion provinciale ; 2° les terres de production (ouou), cultivées en céréales et fécondées chaque année par l'inondation; 3° les terres marécageuses (pah'ou), sur lesquelles les débordements du Nil laissaient des étangs trop profonds pour être desséchés facilement ; on les mettait en pâturages quand on pouvait, on y cultivait le lotus et le papyrus, on s’y livrait en grand à l'élève des oiseaux d'eau ; 4° enfin, les canaux dérivés du Nil pour les besoins de l'agriculture et de la navigation[47]. En tête de l'administration civile, militaire et religieuse, marchaient des princes héréditaires (hak ou haîti), qui à certaines époques formèrent une véritable féodalité, en d'autres temps furent remplacés par des nomarques à la nomination directe du roi[48]. L'autorité religieuse était exercée sous la surveillance du prince ou du nomarque, par le grand prêtre du temple, dont la dignité était tantôt élective, tantôt héréditaire. Les habitants du nome payaient au roi et à ses fonctionnaires un impôt en nature proportionnel à la richesse foncière, et dont la répartition exigeait des recensements et des cadastres fréquents. Ils étaient astreints à une espèce de conscription pour le service militaire, et à la corvée pour l'exécution de tous les travaux d'utilité publique, qu'il s'agît de restaurer un temple, d'édifier une forteresse, de tracer une route, de construire une digue ou de creuser un canal.

Le nombre des nomes varia selon les temps. La plupart des historiens anciens en comptent trente-six[49] ; les listes égyptiennes en donnent parfois quarante-quatre, dont vingt-deux pour la Haute Égypte et vingt-deux pour la Basse[50]. Le plus méridional d'entre eux s’appelait To-Khentît et il confinait à la Nubie. Le chef-lieu était Abou, l'Eléphantine des Grecs, et plus tard, au temps des Romains, Noubît, Ombos. Il comprenait, avec la ville de Senomouït (Syène), les deux îles célèbres de Senomouït (Bîgèh) et de Lak (Aïlak, Pilak, Philae), qui servirent de refuge aux derniers païens d'Égypte contre les persécutions chrétiennes. Venaient ensuite le nome de Tas-Horou (Apollonitès) avec Dobou (Apollinopolis Magna, Edfou) et Khonou (Silsilis) et celui de Ten (Latopolitès). La métropole de ce dernier fut d'abord Nekhabît que Champollion identifia avec la ville grecque d'Eilithyia. Le nom de Nekhabît est mêlé aux faits les plus importants de l'histoire d'Égypte. Sous la dix-septième dynastie, au temps où les pasteurs dominaient le Delta, les princes indépendants du Sud avaient fait de cette ville un de leurs boulevards et quelquefois leur capitale. Le gouvernement en était confié à un prince de la famille royale, qui prenait le titre de Royal fils de NERHABIT. Plus tard, à l'époque gréco-romaine, Nekhabît, déchue de sa splendeur, céda le premier rang à Sanît (Latopolis), la moderne Esnèh[51].

Au sortir du nome de Ten on entrait dans le nome de Ouîsit, le Phathyritès des Grecs, où brillait Apit, Tapit, la Thèbes aux cent portes d'Homère, la demeure d'Amonrâ, roi des dieux et créateur du monde (Pa-Amon, Diospolis Magna). Son origine se perdait dans la nuit des temps : les traditions nationales en faisaient la patrie terrestre d'Osiris[52] et la résidence d'une des dynasties humaines antérieures aux dynasties historiques. A l'époque de sa prospérité, elle s'étalait sur les deux rives du Nil, du pied de la chaîne Libyque au pied de la chaîne Arabique. Capitale de l'Égypte sous neuf dynasties consécutives, de la onzième à la vingtième, puis dépouillée de sa suprématie à partir de la vingt et unième dynastie, prise et pillée successivement par les Ethiopiens, les Assyriens et les Perses, elle fut détruite par Ptolémée Lathyre et à moitié renversée par un tremblement de terre en l'an 27 avant le Christ. Sur ses ruines s'élevèrent un grand nombre de villages de peu de valeur[53], qui subsistent encore aujourd'hui sous des noms arabes : El-Aqsorain (Louqsor) et Karnak, sur la rive droite ; Gournah, Médinét-Habon, Déir-el-Bahari, sur la rive gauche. A partir de cette époque, le chef-lieu du nome fut Onou du Midi ou Hermontou (Hermonthis), dont la fondation remontait jusqu'aux âges antéhistoriques[54].

Au nord de Thèbes, on rencontrait d'affilée : sur la rive droite du fleuve, le nome de Haroui (Coptitès) avec Qoubti (Coptos), l'une des forteresses et l'un des marchés les plus renommés de la Haute Égypte ; sur la rive gauche, le nome Tentyritès avec Taririt (Tentyris, Dendérah); sur les deux rives, le nome de Hasekhokh (Diospolitès) et le Thinitès, dont la métropole, après avoir été Thini, fut plus tard Aboudou (Abydos). Abydos était une des plus illustres parmi les cités égyptiennes. Strabon, qui la visita lorsqu'elle était en décadence complète, rapporte que jadis elle occupait le second rang[55] : et de fait, après Thèbes, je ne connais pas de ville qui soit mentionnée plus souvent sur des monuments de toute sorte. Non qu'elle fût vaste ou bien peuplée : resserrée entre le désert et un canal dérivé du Nil, elle couvrait, entre les villages modernes d'El-Kharbéh et d'Harabat-el-Madfounèli, une bande de terre fort étroite et elle ne put jamais se déployer à son aise. C'est comme ville sainte qu’elle était respectée universellement. Ses sanctuaires étaient célèbres, son dieu Osiris vénéré, ses fêtes suivies par toute l'Égypte ; les gens riches des autres nomes tenaient à honneur de se faire dresser une stèle dans son temple, auprès du tombeau d'Osiris. Sous les Ptolémées, elle perdit son rang et sa primauté, qui furent attribués au bourg de Soul (Syis, Psouï, Psoï). Celui-ci, agrandi et colonisé par Ptolémée Sôter, prit le nom de Ptolémaïs[56].

Les nomes de l'Égypte moyenne, entre Abydos et Memphis, sans jamais avoir obtenu une prépondérance durable, ont pesé d'un grand poids dans les destinées du pays[57]. Remplis d'une population nombreuse, semés de places fortes situées avantageusement sur les différents bras du Nil, ils pouvaient couper à volonté les communications entre Thèbes et Memphis ou entraver longtemps la marche des armées. On s'y heurtait d'abord, sur la rive droite du fleuve, à Apou ou Khmînou (Panopolis ou Khemmis), dans le nome de Khmînou. Minou y était adoré, et les Grecs, trompés par une analogie de son, avaient cru démêler dans l'un des titres de ce dieu, Pehrirou ou Pehrisou, le coureur, le nom de leur héros Persée[58]. Plus bas, toujours sur la rive droite, venaient Toukaou et Paharnouboul, dans le nome de Douf (Antæopolitès[59]) ; sur la rive gauche, dans le nome de Bâalou (Hypsélitès), la forteresse de Shashotpou (Shôtp)[60], et dans le nome Iotef supérieur (Iotef khont, Lycopolités), la ville importante de Siout (Lycônpolis, Osyout)[61]. On passait de là dans l'Iotef inférieur (Iotef poh'ou), où Kousit (Kousæ) était maîtresse aux temps pharaoniques ; à l'époque gréco-romaine, son territoire fut réparti entre les deux provinces voisines[62].

Les noms antiques d'Hermopolis étaient Khmounou, la ville des huit dieux, et Ounou la ville du dieu Lièvre[63]. Elle commandait au nome d'Ounou (Hermopolitès), à l'écart du Nil et proche le canal appelé aujourd'hui Bahr-Yousout. C'était une des plus anciennes cités de l'Égypte : elle avait été le théâtre d'une des victoires d'Horus sur Sit, et son dieu éponyme Thot avait pris une part glorieuse aux guerres osiriennes. Son territoire confinait au nord et à l'est avec celui du nome de Mihit[64], l'un des plus puissants parmi les nomes de la Thébaïde. La capitale en était Hibonou (Miniéh) ; mais il renfermait plusieurs autres localités célèbres, Nofirous (Etlidem), Monâït-Khoufou, Haouêrît. Monâït-Khoufou avait été fondée ou agrandie par Khoufou (Kheops); elle florissait encore sous la douzième dynastie et elle fut alors le berceau d'une dynastie provinciale. Au nord de Mihit et sur la rive orientale du fleuve s'étendaient les deux nomes de Pa avec Habonou (Hipponon)[65], et de Matonon (Aphroditès) avec l'obscure Pa Nibtepahe (Aphroditopolis, Atfieh) ; sur la rive occidentale, entre le Nil et la chaîne Libyque, le nome de Ouabou (Oxyrrynchités), ville principale Pamazit (Oxyrrynchos, Pemsje), celui du Nouhit supérieur (Héracléopolitès), chef-lieu Hâkhninsou ou Hnès (Héracléopolis Magna), enfin celui du Nouhit inférieur[66], auquel on rattachait le Toshe ou pays du lac Min (le Fayoum). Le Nouhit inférieur renfermait la ville de Miritoum ou Mitoum (Meïdoum), au pied de la chaîne Libyque. A l'époque gréco-romaine il n'existait plus : la portion de son territoire qui courait entre le Nil et la montagne fut annexée au nome Héracléopolitès ; le Fayoum forma un nome nouveau, l'Arsinoïtès, dont Crocodilopolis, l'ancienne Shodon, fut désormais la cité maîtresse.

A quelques kilomètres au nord de Mitoum, on franchissait la frontière de la Basse Égypte et l'on entrait dans le district du Mur-Blanc (Anbou-haït, Memphitès) ; on défilait sous les murs de Titoouï, un des boulevards du Delta contre les invasions du Midi, et l'on débouchait devant Mannofri (Memphis). Memphis, la ville de Phtah, Hakouphtah, dont les Grecs ont tiré le nom d’Égypte[67], était l'une des places les plus fortes du pays. Elle se composait d'une ville vieille, le Mur-Blanc, où s'élevait le grand temple de Phtah, et de plusieurs quartiers dont le principal, Ankhtooui, était devenu à l'époque persane le séjour favori des étrangers, surtout des Phéniciens[68]. Amoindrie par la fortune d'Alexandrie, la fondation du Caire consomma sa perte: sous les sultans Mamelouks, elle n'était plus qu'un triste champ de décombres. Malgré l'immense étendue de cette ville et la haute antiquité à laquelle elle remonte, ses restes offrent encore aux yeux des spectateurs une réunion de merveilles qui confond l'intelligence, et que l'homme le plus éloquent entreprendrait inutilement de décrire. Les pierres provenues de la démolition des édifices remplissent au loin le site entier : on aperçoit en quelques endroits des pans de murailles encore debout, construits de ces grosses pierres dont je viens de parler ; ailleurs, il ne reste que les fondements ou bien des monceaux de décombres. J'ai vu l'arc d'une porte très haute dont les deux murs latéraux sont formés chacun d'un seul bloc ; et la voûte supérieure, qui était aussi d'un bloc unique, était tombée au-devant de la porte… Les ruines de Memphis occupent une demi-journée de chemin en tous sens[69]. Abdallatif parlait ainsi au treizième siècle. Depuis sa visite, une partie de ces débris, exploités comme carrière, a servi à construire les maisons du Caire et des bourgs voisins : le limon du fleuve a noyé le reste.

Près de la pointe du Delta, sur la rive gauche du Nil, et confinant au désert Libyque, les anciens plaçaient le nome Létopolitès avec Sokhmit (Létopolis) et Kerkasore[70] ; sur la rive droite, et confinant au désert Arabique, le nome Héliopolitès. Onou du Nord, l'Héliopolis des Grecs, en était la métropole. Située sur une butte artificielle, elle ne couvrait qu'une superficie assez étroite, et elle n'avait pas une population nombreuse ; elle n'en était pas moins une des capitales religieuses de l'Égypte et le siège d'une école de théologie célèbre dans le monde entier. D'après la tradition grecque, Solon, Pythagore, Platon, Eudoxe, y avaient passé plusieurs années de leur vie dans l'étude des sciences et de la philosophie égyptiennes. Deux villages voisins, Ahou et Hâbenhen (Babylone d'Égypte), avaient joué leur rôle pendant les guerres osiriennes, et étaient des sanctuaires renommés. Sur les bords du Nil s'élevait Taroiou. Taroiou était située presque en face de Memphis : ses carrières, ouvertes par les rois des premières dynasties, furent exploitées à peu près sans interruption jusqu'à l'époque arabe. Les Grecs l'appelaient Troja, et ils prétendaient qu'elle avait été bâtie par des prisonniers troyens, comme sa voisine, Babylone d'Égypte, l'avait été par des prisonniers babyloniens[71]. La nomenclature des autres provinces du Delta n'est pas encore déterminée avec assez de certitude pour que je me hasarde à la donner en détail. Il me suffira de citer : sur la branche Canopique du Nil, rive droite, Saï (Saïs), dans le nome Saïtès ; entre la branche Canopique et la branche Sébennytique, Khsôou (Xoïs) et Paouzit (Bouto), cette dernière dans le nome Am inférieur ou Patonouzit (Phthénéotès[72]) ; sur la branche Sébennytique, rive gauche, Thebnoutir (Sébennytos), rive droite, Hatrib (Attiribis) ; cuire la branche Sébennytique et la branche Pélusiaque, Pbinibdidi ou Didou (Mendés) et Tanis. Au delà de la branche Pélusiaque, entre le Nil et le Désert, s'interposait la forteresse de Zarou, sur la frontière de l'Égypte du côté de la Syrie ; elle paraît répondre à la Sellé des géographes classiques[73]. Les villes du Delta, malgré leur antiquité et leur richesse, n'exercèrent longtemps qu'une influence restreinte sur les destinées de l'Égypte. Des vingt premières dynasties, elles n'en fournirent qu'une seule, la quatorzième, originaire de Xois : encore est-elle insignifiante. Vers le onzième siècle, elles n'arrivèrent à la vie politique et à la prépondérance que pour présider à la décadence du pays, et l'accélérer par leurs rivalités perpétuelles. La fondation de Naucratis et celle surtout d'Alexandrie les ruinèrent si complètement, qu'au premier siècle de notre ère la plupart d'entre elles étaient réduites à la condition de simples bourgades.

L'Égypte avant l'histoire : les dieux et les dynasties divines.

Les monuments nous montrent que, dès le temps des premières dynasties, les nomes avaient chacun leurs dieux spéciaux, qui nous sont encore mal connus pour la plupart : on adorait Khnoumou aux cataractes, Anhouri à Thinis, Râ dans Héliopolis, Osiris à Mendès. Bien ne nous permet de dire ce qu'étaient ces divinités au début, si les Égyptiens les importèrent toutes de leur patrie primitive ou si beaucoup d'entre elles naquirent dans les boues du Nil : au moment où nous les rencontrons pour la première fois, leur forme s'était modifiée profondément par l'action des siècles et elles ne renfermaient plus tous les traits de leur nature première. Autant qu'on peut en juger, elles se répartissaient en trois groupes d'origine différente : les dieux des morts, les dieux des éléments, les dieux solaires. Sokaris, Osiris et Isis, Anubis, Nephthys, sont voués plus spécialement à la protection des morts. Les dieux des éléments représentent la terre Gabou, le ciel Nouït, l'eau primordiale Nou, le Nil Hâpi, et probablement aussi des dieux comme Sovkou, Sit-Typhon, Haroêris, Phtah, dont nous ignorons presque l'histoire. Parmi les dieux solaires, il convient de mentionner, avant tout, Râ, le soleil, Atonou, le disque solaire, Shou, Anhouri, Amon, le journalier. Dans les plus anciens textes religieux qui nous aient été conservés, la plupart de ces êtres ne sont plus déjà, à proprement parler, que des doublures politiques ou géographiques les uns des autres. Sokaris est le seigneur des morts à Memphis, comme Osiris l'était en d'autres endroits, et il ne différait d'Osiris que par des nuances de culte local : où l'on adorait le soleil sous le nom de Bâ, on ne l'adora point d'abord sous le nom de Shou. Les trois groupes possédaient à l'origine des facultés et des attributions bien tranchées : ils se complétaient l'un par l'autre, mais ils ne se confondaient pas l'un dans l'autre. Le même nome pouvait avoir ses dieux solaires, ses dieux élémentaires, ses dieux des morts : il n'avait pas encore de divinités où l'idée du soleil et des éléments fût mêlée à celle de la mort.

Il ne semble pas que le patron principal de chaque nome ait dû nécessairement revêtir la forme masculine. Dans plus d'un endroit, une déesse jouissait du rang suprême : Hathor à Dendérah, Nît à Saïs, Nekhabît à El-Kab. Dans d'autres localités, le dieu n'était pas unique, mais il se divisait en deux personnes jumelles, toutes les deux mâles comme Anhouri-Shon à Thinis, l'une mâle et l'autre femelle, comme Shou-Tafnouît à Héliopolis. Ils ne témoignaient d'ailleurs aucun goût pour la solitude. Ils s'unissaient en familles, à l'imitation de ce qui se passait sur la terre chacun d'eux se mariait à son gré, avait un fils, et la trinité se trouvait constituée. De Phtah et de la déesse Sokhit naissait Nefertoumou, d'Osiris et d'lsis, Harpochrate l'Horus enfant, et les dieux secondaires de la cité se groupaient autour de chaque trinité. Chacune d'elles gardait d'ailleurs le caractère de la divinité qui l'avait créée ; où c'était une déesse qui avait pris mari, la déesse demeurait le personnage principal ; où c'était un dieu qui avait pris femme, le dieu continuait de tenir le premier rôle. A Dendérah, le mari d'Hathor n'était qu'un reflet de sa compagne ; à Thèbes, Mout, femme d'Amon, n'était qu'une contrepartie féminine d'Amon. Par un progrès tout naturel, on en arriva à considérer que le fils, procédant du père et de la mère, était identique à ses deux parents, et que, par suite, le père, la mère, l'enfant, au lieu d'être trois divinités distinctes, pouvaient bien n'être que trois aspects d'une même divinité. Chaque nome se forgea un dieu en trois personnes, dont les monuments les plus anciens constatent l'existence et qu'ils appellent le dieu, le dieu un, le dieu unique. Mais ce dieu un n'était jamais dieu tout court[74]. Le dieu unique est le dieu unique Amon, le dieu unique Phtah, le dieu unique Osiris, c'est-à-dire un être déterminé ayant une personnalité, un nom, des attributs, un costume, des membres, une famille, un homme infiniment plus parfait que les hommes. Il est à l'image des rois de cette terre, et sa puissance, comme celle de tous les rois, est bornée par la puissance des rois voisins. La conception de son unité est donc géographique et politique au mollis autant que religieuse : Râ, dieu unique à Héliopolis, n'est pas le même qu'Amon, dieu unique à Thèbes. L'Egyptien de Thèbes proclamait l'unité d'Amon à l'exclusion de Râ, l'Egyptien d'Héliopolis proclamait l'unité de Râ à l'exclusion d'Amon. Mais l'unité de chacun de ces dieux uniques, pour être absolue dans l'étendue de son domaine, n'empêchait pas la réalité des antres dieux. L'habitant d'Héliopolis se disait qu'après tout Amon était un dieu puissant, bien qu'inférieur à Râ, et il lui réservait une part de respect dans sa conscience. Chaque dieu unique, conçu de la sorte, n'est que Le dieu unique du nome ou de la ville, noutir nouîti, et non pas le dieu unique de la nation reconnu comme tel dans le pays entier[75].

Le plus souvent les dieux sont représentés à l'image de l'homme, vêtus comme lui et portant à la main les emblèmes de leur puissance. Les uns ont en partage la beauté  Phtah et Hathor sont proclamés beaux de face. Les autres sont de vrais monstres et ils étalent à nos yeux des difformités naturelles ; Phtah est parfois un enfant rachitique[76], Bisou un nain féroce. A côté de ces dieux à figure humaine, les monuments nous montrent des boeufs, des éperviers, des ibis, des serpents, qu'on prie autant et plus que les autres. En effet, l'Égypte ancienne a rendu un culte aux animaux, et chaque nome nourrissait, à côté de son dieu-homme, un dieu-bête qu'il proposait à la vénération des fidèles[77]. Thot était un cynocéphale ou un ibis, Horus un épervier, Sovkou un crocodile, Harmakhis un sphinx à corps de lion et à tête humaine, Amon une oie de belle venue, Anubis un chacal[78]. Tous ces animaux furent adorés d'abord en tant qu'animaux, les uns comme le lion, le sphinx, le crocodile, parce qu'on les craignait et qu'on leur reconnaissait une force, un courage, une adresse supérieure à celle de l'homme; les autres, comme le boeuf, l'oie, le bélier, parce qu'ils servaient bien l'homme et qu'ils lui faisaient la vie plus facile. Plus tard l'idée première se modifia, au moins parmi les théologiens, et l'animal cessa d'être le dieu, pour devenir la demeure, le tabernacle vivant, le corps, dans lequel les dieux infusaient pour ainsi dire une parcelle de leur divinité. L'épervier fut l'incarnation d'Horus et non plus Horus lui-même, le chacal et le boeuf furent l'incarnation d'Antibis et de Phtali et non plus Antibis ou Phtali en personne. Dès lors, les dieux furent conçus indifféremment sous leur forme bestiale ou sous leur forme humaine, souvent même sous une forme mixte où les éléments de l'homme et de la bête étaient combinés selon des proportions diverses. Horus, par exemple, est tantôt un homme, tantôt un épervier, tantôt un épervier à tête d'homme, tantôt un homme à tête d'épervier. Sous ces quatre formes, il est Horus et n'est pas plus lui même sous une d'elles qu'il ne l'est sous l'autre. Quelquefois l'absorption du dieu-bête par le dieu-homme n'avait de raison d'être qu'un simple jeu de mots : Sit-Typhon répondait à l'hippopotame, parce qu’en égyptien Typhon se dit Tobhou et l'hippopotame Tobou[79].

Quelques-uns des dieux-bêtes suivirent la fortune des dieux-hommes auxquels ils étaient associés, et on les adora par tout le pays, le scarabée de Phtah, l'ibis et le cynocéphale de Thot, l'épervier d'Horus, le chacal d'Anubis. D'autres, préconisés dans un nome, étaient proscrits ailleurs. Les gens d'Eléphantine tuaient le crocodile. Au contraire, les prêtres de Thèbes et de Shodou en choisissaient un beau, qu'ils nourrissaient, après lui avoir appris à manger dans la main. Ils lui enfilaient aux oreilles des anneaux d'or ou de terre émaillée et des bracelets aux pattes de devant[80]. - Notre hôte prit des gâteaux, du poisson grillé et une boisson préparée avec du miel, puis il alla vers le lac avec nous. La bête était couchée sur le bord : les prêtres vinrent auprès d'elle, deux d'entre eux lui ouvrirent la gueule, un troisième y jeta d'abord les gâteaux, ensuite la friture, et finit par la boisson. Sur quoi le crocodile se mit à l'eau et s'alla poser sur la rive opposée. Un autre étranger étant survenu avec pareille offrande, les prêtres la prirent, firent le tour du lac, et, après avoir atteint le crocodile, lui enfournèrent l'offrande de la même manière[81]. Le culte des animaux sacrés coûtait aussi cher que celui des dieux à figure humaine. Il n'était pas rare de voir un riche particulier dépenser tout ou partie de son bien à leur faire de splendides funérailles[82]. Leur mort était un deuil public pour le nome, parfois pour l'Égypte entière ; leur meurtre, un crime capital. Lorsqu'un indigène ou un étranger en tuaient un, même par mégarde, les prêtres réussissaient quelquefois à préserver le coupable contre la fureur populaire en lui imposant une pénitence ; mais le plus souvent leur intervention était impuissante à le sauver. Du temps que l'historien Diodore de Sicile voyageait en Égypte vers le milieu du premier siècle avant notre ère, un Italien, établi dans Alexandrie, tua par hasard un chat. Le peuple s'assembla aussitôt, le saisit et le mit en pièces, malgré sa qualité de citoyen romain, malgré les prières du roi, qui dépendait de Rome et qui craignait pour sa couronne[83].

Les plus célèbres des animaux sacrés étaient le boeuf Mnévis, et l'oiseau Bonou, le Phénix, à Héliopolis ; le bouc de Mendès et le boeuf Hapi à Memphis. Le bouc de Mendès était l'âme d'Osiris, le boeuf Mnévis l'âme de Râ. Au dire des Grecs, le Phénix émigrait tous les cinq cents ans de l'Est et il s'abattait dans le temple de Râ. Quelques-uns prétendaient qu'il apportait avec lui le corps de son père enveloppé de myrrhe. D'autres disaient qu'il venait se faire brûler lui-même sur un bûcher de myrrhe et de bois odorants, pour renaître de ses cendres et pour repartir à tire-d'aile vers sa patrie d'Orient[84]. En fait le Bonou était une espèce de vanneau dont la tête était ornée de deux longues plumes flottantes. Il passait pour l'incarnation d'Osiris comme l'ibis pour l'incarnation de Thot, et l'épervier pour celle d'Horus.

Le taureau Hapi avait fini par devenir aux yeux des Égyptiens l'expression la plus complète de la divinité dans un corps d'animal. Il procédait à la fois d'Osiris et de Phtah aussi l'appelle-t-on la seconde vie de Phtah et d'Osiris[85]. Il n'avait point de père, mais un rayon de lumière tombé du ciel fécondait la génisse qui l'enfantait et qui ne pouvait plus désormais avoir d'autre petit[86]. Il devait être noir, porter au front une tache blanche triangulaire, sur le dos la ligure d'un vautour ou d'un aigle aux ailes éployées, sur la langue l'image d'un scarabée : les poils de sa queue étaient doubles. Le scarabée, le vautour et toutes celles des autres marques qui tenaient à la présence et à la disposition relative des épis n'existaient pas réellement. Les prêtres,  initiés aux mystères d'Apis, les connaissaient sans doute seuls et savaient y voir les symboles exigés de l'animal divin, à peu près comme les astronomes reconnaissent dans certaines dispositions d'étoiles les linéaments d'un dragon, d'une lyre et d'une ourse[87]. Il vivait à Memphis dans une chapelle attenante au grand temple de Phtah, et il y recevait des prêtres les honneurs divins. Il rendait des oracles aux particuliers qui venaient le consulter et il remplissait d'une fureur prophétique les enfants qui l'approchaient[88].

La durée de sa vie ne devait pas excéder un certain nombre d'années fixé par les lois religieuses : passé vingt-cinq ans, les prêtres le noyaient dans une fontaine consacrée au Soleil. Cette règle, en vigueur à l'époque romaine, n'existait pas encore ou n'était pas rigoureusement appliquée dans les temps pharaoniques, car deux Hapi contemporains de la vingt-deuxième dynastie vécurent plus de vingt-six ans[89]. L'Hapi défunt devenait un Osiris et prenait le nom d'Osor-Hapi, Osiris-Apis, d'où les Grecs ont tiré le nom de leur Sarapis. Au commencement, chaque animal sacré avait sa tombe propre dans cette partie de la nécropole memphite que les Grecs appelaient le Sérapéion. Elle se composait d'un édicule orné de bas-reliefs sous lequel on pratiquait une chambre carrée à plafond bas. Vers le milieu du règne de Ramsès II, on substitua un cimetière commun aux chapelles isolées. On creusa dans la roche vive une galerie d'une centaine de mètres de long, sur chaque côté de laquelle quatorze chambres assez grossières furent percées successivement ; plus tard, le nombre des galeries et des chambres s'accrut à mesure que le besoin s'en faisait sentir. La momie d'Hapi une fois mise en place, les ouvriers muraient l'entrée de son caveau ; mais les visiteurs ou les dévots avaient l'habitude d'encastrer, soit dans le mur même de fermeture, soit dans les parties qui l'avoisinaient du rocher, une ou plusieurs stèles contenant leur nom et une prière à l'Hapi mort. Ce culte, institué d'une manière définitive par le second roi de la deuxième dynastie, dura jusqu'aux derniers jours de l'Égypte[90]. Mais alors, les prêtres se dispersèrent, les tombes furent violées, puis abandonnées, et le désert s'en empara : au bout de quelques années, le sable les avait recouvertes. Il était réservé à Manette de les retrouver en 1851, après quatorze siècles et plus d'un oubli complet[91].

Les trois groupes de dieux ne jouissaient pas d'un crédit égal dans la religion égyptienne telle que nous la connaissons aujourd'hui. Les dieux des éléments, Gabou, Nouît, Tonen, prêtaient peu au culte : leur influence, si elle fut jamais considérable en dehors de certaines localités, s'effaça de bonne heure devant celle des dieux solaires. Le Soleil, Râ, était le patron de la ville d'Onou, qui joua un rôle prépondérant aux temps antéhistoriques, et c'est à la prédominance de sa ville d'origine qu'il dut de monter dès le début au premier rang parmi les dieux du pays entier. Ses prêtres, essayant de se représenter la création du inonde, en étaient arrivés à la conclusion qu'elle s'était produite par l'action concertée d'un nombre déterminé de divinités dont chacune avait accompli une fonction nécessaire à l'organisation de l'univers. Ils avaient choisi les dieux des clans voisins et, les subordonnant au leur, ils avaient combiné un système de neuf personnes, une Ennéade toute puissante, dont les membres étaient issus l'un de l'autre. Au début, Râ était sorti des eaux primitives, du Nou, dans lequel il reposait inerte de toute éternité, et, par sa seule énergie, il avait tiré de lui-même un couple divin, Shou et Tafnouît, les maîtres de l'aurore et du crépuscule, de l'atmosphère et de la ploie. Shou et Tafnouît avaient engendré Sibou-Gabou le dieu-terre et Nouît la déesse-ciel, ou plutôt Shou, se glissant entre ces deux êtres qui étaient endormis dans les bras l'un de l'autre, les avait séparés pour former de Gabou la terre, de Nouït le ciel. Gabou et Nouît avaient eu pour enfants Osiris et Typhon, Isis et Nephthys, qui avaient introduit dans le monde la civilisation, la mort et la résurrection. Cette première Ennéade, la grande, avait été complétée par deux Ennéades moindres, dont la seconde, commençant avec Horus, fils d'Isis, comprenait les dieux civilisateurs et vivificateurs, Thot, Anubis, Hathor, et ainsi de suite, tandis que la troisième se composait des dieux de la mort et des mânes. Les trois Ennéades et l'idée cosmogonique qu'elles exprimaient s'étaient répandues d'autant plus rapidement qu'il y avait par toute l'Égypte l'équivalent exact des êtres qu'elles mettaient en scène. Partout où un dieu Soleil existait, qu'il s'appelât Anhouri, Shon, Khopri, on l'identifia avec le Râ héliopolitain, et l'on vit en lui le chef des Ennéades créatrices et organisatrices de l’Univers. La plupart des sacerdoces locaux se contentèrent de substituer leur dieu à Râ en tête de l'Ennéade principale, et ils ne modifièrent rien aux données de la théologie héliopolitainne. A Hermopolis seulement les prêtres greffèrent sur la théorie courante une conception originale. Leur dieu Thot était un sorcier qui, par la vertu des formules magiques et de la voix, avait suscité le monde du chaos ; ils lui attribuèrent pour assesseurs des dieux au nombre de huit, quatre mâtes et quatre femelles, qui symbolisaient le ciel et ses supports, le jour et la nuit, la durée.

L'Ennéade hermopolitaine, moins répandue que l'héliopolitainne dans la masse de la population, rencontra un accueil favorable auprès des théologiens : elle fournit un thème à leurs spéculations philosophiques ou cosmogoniques jusqu'aux derniers instants de la religion égyptienne.

L'homme avait été créé, comme le reste de l'Univers, au même instant où Râ, le Soleil, avait surgi des profondeurs de l'eau éternelle. La tradition voulait qu'au début il ne connût aucun des arts nécessaires à la vie; il n'avait pas de langage, et il en était réduit à imiter les cris des animaux. Les dieux des diverses Ennéades se chargèrent de faire son éducation et ils vinrent le gouverner l'un après l'autre. Leur séjour sur terre dura des milliers d'aunées, et leur succession forma trois dynasties divines, dont la composition varia selon les temps et les lieux. A Héliopolis, Atoumou prenait naturellement la tête de la liste. Venaient ensuite :

Le roi de la Haute et de la Basse Egypte, Râ, v. s. f.;

Le roi de la Haute et de la Basse Egypte, Shon, fils de Râ, v. s. f.;

Le roi de la Haute et de la Basse Égypte, Gabou, v. s. f.;

Le roi de la Haute et de la Basse Egypte, Osiris-Ounnofri, v. s. f. ;

Le roi de la Haute et de la Basse Egypte, Sit, v. s. f.;

Le roi de la Haute et de la Basse Egypte, Horus, v. s. f.[92].

A Memphis, Phtah était inscrit en tête. A Thèbes, Atoumou et Phtah cédaient la primauté à Amon Râ, le roi des dieux, le dieu de la première fois. Le temps de cette première dynastie divine était regardé par les Egyptiens des siècles postérieurs comme un âge d'or, auquel ils ne songeaient jamais sans envie : pour dire d'une chose qu'elle était supérieure à tout ce qu'on pouvait imaginer, ils affirmaient « ne pas en avoir vu la pareille depuis les jours du dieu Râ ». Le règne des dieux-rois n'était pas moins rempli d'événements que celui des Pharaons réels. L'histoire ne nous en est parvenue que par fragments, mais le peu qu'on en sait fait le plus grand honneur à l'imagination des Égyptiens. Râ eut à lutter sur son déclin contre l'ingratitude des mortels. Il les avait créés et instruits : ils conspirèrent contre lui et il dut rassembler les dieux secrètement, dans le grand temple d'Onou, pour aviser aux moyens de se défendre. Voyez les hommes qui sont nés de moi-même : ils prononcent des paroles contre moi. Dites-moi donc ce que vous feriez à leur égard, car, voici, j'ai attendu et je n'ai pas voulu les tuer avant d'avoir entendu vos paroles. Les dieux décidèrent de détruire la race des coupables, et la déesse Tafnouit à mufle de lionne fut chargée d'exécuter la sentence. Elle descendit parmi les hommes, les massacra et baigna ses pieds dans leur sang, plusieurs nuits durant, jusqu'à la ville de Khninsou. Le sang, recueilli et mêlé à diverses substances, fut présenté à Râ en sept mille cruches, et le dieu, apaisé par cette offrande, jura que, désormais, il épargnerait le genre humain ; mais, fatigué de vivre sur la terre, il s'envola au ciel et il remit la royauté à son fils Shou[93].

Il courait beaucoup de légendes analogues sur Shou et sur Gabou, mais Osiris était de tous celui dont l'histoire s'était développée le plus. Je n'entreprendrai pas de la raconter ; trop de documents nous font encore défaut, et ceux que nous avons sont trop obscurs pour que nous y démêlions ce qui appartient à chacune des écoles de théologie qui ont fleuri successivement en Égypte[94]. Son mythe n'est qu'une des formes sous lesquelles on se plaisait à retracer la lutte du bien et du mal, du dieu ordonnateur contre le chaos. Osiris, l'être bon par excellence, Ounnofri, est en guerre perpétuelle avec son frère Sit-Typhon, le maudit : assassiné et démembré par lui, il se ranime sous les manoeuvres magiques d’Isis, d'Horus, d'Anubis, de Thot, et il devient le modèle que les dieux eux-mêmes s'efforcent d'imiter. Or, le Soleil après sa disparition à l'Ouest du ciel, le roi du jour, souverain de la nuit, qui avance sans station, ni relâche, Râ, n'arrêtait jamais sa course. Il allait inlassable, sur la voie mystérieuse de la région d'Occident, à travers les ténèbres de l'enfer, d'où nul vivant n'est jamais revenu, et il y voyageait pendant douze heures avant de regagner l'Orient et de reparaître à la lumière. Sa naissance et sa mort journalières, indéfiniment répétées, avaient suggéré aux Égyptiens l'identification d'Osiris avec Râ. Comme tous les dieux, Osiris s'était fait soleil : sous la figure de Râ, il brillait là-haut pendant les douze heures de la journée ; sous la forme d'Osiris Ounnofri, il régissait la terre. De même que Râ est chaque soir attaqué et vaincu par la nuit qui semble l'engloutir à jamais, Osiris est trahi par Sit, qui le met en pièces et disperse ses membres pour l'empêcher de ressusciter. Malgré cette éclipse momentanée, ni Osiris, ni Râ ne sont morts. Osiris Khont-Amentit, Osiris infernal, soleil de nuit, revit, comme le soleil au matin, sous le nom d'Harpechroudi, Horus enfant, l'Harpochrate des Grecs. Harpochrate, qui est Osiris, lutte contre Sit et le bat, comme le soleil levant dissipe les ombres de la nuit ; il venge son père, mais sans anéantir son ennemi. Cette guerre, qui se rallume chaque jour et qui symbolise la vie divine, servait aussi de symbole à la vie humaine. Celle-ci n'était pas, en effet, confinée à notre terre. L'être qui naissait à notre monde avait déjà vécu et devait vivre ailleurs : les moments de son existence terrestre n'étaient qu'un des stages, un des devenirs (khopriou) d'une existence dont il ne connaissait ni le commencement, ni la fin. Chacun des moments de cette existence, et partant la vie humaine, répondait à un jour de la vie du soleil et d'Osiris. La naissance de l'homme était le lever du soleil à l'Orient, et sa mort la disparition du soleil à l'Occident du ciel  une fois mort l'homme devenait Osiris comme Râ lui-même, et il s'enfonçait dans la nuit, jusqu'à l'instant où il renaissait à une autre vie comme Horus Osiris à une autre journée.

Chez les Égyptiens, l'homme n'était pas composé de la même manière qu'il l'est chez nous. Il n'avait pas ainsi que nous un corps et une âme : il possédait d'abord un corps, puis un double (ka). Le double était comme un second exemplaire du corps en une matière moins dense que la matière corporelle, une projection colorée, mais aérienne, de l'individu, le reproduisant trait pour trait enfant s'il s'agissait d'un enfant, femme s'il s'agissait d'une femme, homme s'il s'agissait d'un homme. Plus tard, les idées s'élevant, on reconnut dans l'homme un être moins grossier que le double, mais doué toujours des mêmes propriétés que la matière, une substance que l'on considéra comme étant l'essence de la nature humaine et que l'on imagina sous forme d'un oiseau (Bi, Baï), ou bien une parcelle de flamme ou de lumière, qu'on nomma Khou, la lumineuse. Chacune de ces âmes avait des facultés diverses et ne subsistait pas dans le même milieu que les autres. Le double logeait à l'intérieur du tombeau, et ne le quittait point. Le Baï s'envolait vers « l'autre terre », comme une grue huppée ou comme un épervier à tête et à bras d'homme : il pouvait, à son gré, sortir de la tombe ou y rentrer. Le Khou, instruit ici-bas de toute sagesse humaine et muni de tous les talismans nécessaires pour surmonter les périls surnaturels, abandonnait notre monde afin de n'y plus revenir et se joignait au cortège des dieux de lumière. Ces diverses définitions sont contradictoires et elles auraient dû se détruire l'une l'autre ; mais les Égyptiens, à mesure qu'ils modifiaient leur âme, ne surent pas se débarrasser des notions qu'ils avaient entretenues antérieurement. Ils crurent au Baï et au Khou, sans renoncer pour cela à croire au double, et chaque homme, au lieu de n'avoir qu'une seule âme répondant à la dernière conception que ses contemporains entretenaient de l'âme humaine, eut plusieurs âmes répondant à toutes les conceptions que les dévots s'étaient faites depuis le début[95].

L'idée de la vie future changea aussi souvent que changea l'idée de l'âme. Ceux pour qui la partie durable de l'homme était le double se contentèrent de croire que les morts continuaient la vie sous terre, et ils voulurent leur fournir ce qui faisait la joie et la richesse des habitants de notre monde. Livré à ses propres forces, le double avait faim et soif, il était poursuivi par des animaux monstrueux qui le menaçaient d'une seconde mort, c'est-à-dire de l'anéantissement. Les prières des survivants, habilement rédigées, eurent pour effet de lui donner des vivres, une maison, un cortège de domestiques et de gardiens qui le protégeaient contre ses ennemis. Ses actions d'ici-bas n'exerçaient aucune influence sur le sort qui lui accroissait au delà : bon ou méchant, juste ou injuste, du moment que les rites avaient été accomplis et les prières prononcées sur lui, il florissait riche et heureux dans sa tombe. D'autres transportèrent l'âme en un monde nouveau, et ils joignirent à la croyance d'une vie future dans un milieu différent celle d'une rétribution proportionnée au bien ou au mal achevé pendant la durée de l'existence terrestre. Avant de connaître son sort, l'âme désincarnée devait comparaître devant le tribunal où Osiris, maître de l'Occident, siège, entouré des quarante-deux membres du jury infernal[96]. Sa conscience, ou, comme disaient les Égyptiens, son coeur parle pour elle ou contre elle. Le témoignage de sa vie l'accable donc ou l'absout[97] ; ses actions sont pesées dans la balance infaillible de vérité et de justice, et, selon qu'elles sont trouvées lourdes ou légères, la cour divine rend son jugement. L'âme impie tombait dans l'enfer, où elle n'avait pour nourriture et pour boisson que des matières immondes, où les scorpions et les serpents la poursuivaient, où elle subissait, après mille tortures, la mort et l'anéantissement final. L'âme juste, après avoir subi son jugement, n'était pas encore exempte d'épreuves et de dangers. Sa science s'est confirmée, ses pouvoirs se sont agrandis, elle est libre d'assumer toutes les formes qu'il lui plaît revêtir[98] ; mais le mal se dresse contre elle sous mille figures hideuses et tente de la détruire ou du moins de l'arrêter par ses menaces et par ses épouvantements[99]. Pour triompher il faut qu'elle s'identifie avec Osiris[100] et qu'elle reçoive d'Isis, de Nephtys et des dieux bons les secours qu'Osiris en avait reçus. Grâce à leur appui, elle parcourt les demeures célestes[101] et célèbre dans les champs d'Aïlou les rites du labourage mystique, puis elle se mêle à la troupe des dieux et elle marche avec eux dans l'adoration du Soleil[102]. Afin de mériter ces destinées heureuses les Égyptiens avaient rédigé comme un code de morale pratique dont les articles se montrent plus ou moins développés sur les monuments de toutes les époques[103], mais dont la version la plus explicite forme le chapitre CXXV du Livre des Morts.

Le Livre des Morts, dont chaque momie portait un exemplaire plus ou moins complet, était un recueil de prières à l'usage de l'autre monde. On y lit comment l'âme, amenée au tribunal d'Osiris, plaide sa cause par-devant le jury infernal. Hommage à vous, Seigneur de Vérité et de Justice ! Hommage à toi, Dieu grand, Seigneur de Vérité et de Justice ! Je suis venu vers toi, ô mon maître ; je me présente à toi pour contempler tes perfections ! Car je te connais, je connais ton nom et les noms des quarante-deux divinités qui sont avec toi dans la salle de la Vérité et de la Justice, vivant des débris des pécheurs et se gorgeant de leur sang, le jour où se pèsent les paroles par-devant Osiris à la voix juste : Esprit double, seigneur de la Vérité et de la Justice est ton nom. Moi, certes, je vous connais, seigneurs de la Vérité et de la Justice ; je vous ai apporté la vérité, j'ai détruit pour vous le mensonge. Je n'ai commis aucune fraude contre les hommes ! Je n'ai pas tourmenté la veuve ! Je n'ai pas menti dans le tribunal ! Je ne connais pas la mauvaise Foi ! Je n'ai fait aucune chose défendue ! Je n'ai pas fait exécuter à un chef de travailleurs, chaque jour, plus de travaux qu'il n'en devait faire ! … Je n'ai pas été négligent ! Je n'ai pas été oisif ! Je n'ai pas failli ! Je n'ai pas défailli ! Je n'ai pas fait ce qui était abominable aux dieux ! Je n'ai pas desservi l'esclave auprès de son maître ! Je n'ai pas affamé! Je n'ai pas fait pleurer ! Je n'ai point tué ! Je n'ai pas ordonné le meurtre par trahison ! Je n'ai commis de fraude envers personne ! Je n'ai point détourné les pains des temples ! Je n'ai point distrait les gâteaux d'offrande des dieux ! Je n'ai pas enlevé les provisions ou les bandelettes des morts ! … Je n'ai point fait de gains frauduleux ! Je n'ai pas altéré les mesures de grain ! Je n'ai pas fraudé d'un doigt sur une paume ! Je n'ai pas usurpé dans les champs ! Je n'ai pas fait de gains frauduleux au moyen des poids du plateau de la balance ! Je n'ai pas faussé l'équilibre de la balance ! Je n'ai pas enlevé le lait de la bouche des nourrissons ! Je n'ai point chassé les bestiaux sacrés sur leurs herbages ! Je n'ai pas pris au filet les oiseaux divins ! Je n'ai pas pêché les poissons sacrés dans leurs étangs ! Je n'ai pas repoussé l'eau en sa saison ! Je n'ai pas coupé un bras d'eau sur son passage ! Je n'ai pas éteint le feu sacré en son heure ! Je n'ai pas violé le cycle divin dans ses offrandes choisies ! Je n'ai pas repoussé les boeufs des propriétés divines ! Je n'ai pas repoussé de dieu dans sa procession ! Je suis pur ! Je suis pur ! Je suis pur !

Les mêmes formules de confession négative sont répétées presque mot pour mot dans la deuxième section du chapitre, jointes chacune au nom d'un des quarante-deux membres du tribunal. La troisième section se borne à reproduire dans un langage parfois très mystique les idées exposées dans la première : Salut à vous, dieux qui êtes dans la salle de la Vérité et de la Justice, qui n'avez point le mensonge en votre sein, mais vivez de vérité dans Onom et en nourrissez votre coeur, par-devant le Seigneur Dieu qui habite en son disque solaire. Délivrez-moi de Typhon qui se nourrit d'entrailles, ô magistrats, en ce jour du jugement suprême ; donnez au défunt de venir à vous, lui qui n'a point péché, qui n'a ni menti, ni fait le mal, qui n'a commis nul crime, qui n'a point rendu de faux témoignage, qui n'a rien fait contre lui-même, mais vit de vérité et se nourrit de justice. Il a [semé partout] la joie ; ce qu'il a fait, les hommes en parlent et les dieux s'en réjouissent. Il s'est concilié Dieu par son amour ; il a donné des pains à l'affamé, de l'eau à l'altéré, des vêtements au nu ; il a donné une barque à qui était arrêté dans son voyage ; il a offert des sacrifices aux Dieux, des repas funéraires aux défunts. Délivrez-le de lui-même ! Protégez-le contre lui-même (variante), ne parlez pas contre lui, par-devant le Seigneur des morts, car sa bouche est pure et ses deux mains sont pures ![104]

La lutte de Sit et d'Osiris se terminait par le triomphe de Sit : pendant quatre cents années au moins[105], Sit régna sur l'Égypte à la place de sa victime. Mais Osiris avait eu, après sa mort, un enfant, Horus, qui devait le venger. Le récit de la guerre d'Horus contre Sit nous a été conservé par les inscriptions du temple d'Edfou avec un luxe de détails que ne comportent pas toujours les inscriptions vraiment historiques[106]. Horus prend ici le nom d'Harmakhis (Harmakhouîti). Il a une cour, des ministres, une armée, une flotte. Son fils aîné, Harhoudîti, héritier présomptif de la couronne, commande les troupes. Le premier ministre, Thot, dieu de son métier et inventeur des lettres connaît sa géographie et sa rhétorique sur le bout du doigt  il est d'ailleurs historiographe de la cour et on l'a chargé, par décret royal, du soin d'enregistrer les victoires de son seigneur et d'inventer pour elle des noms sonores. Un souverain si bien servi ne pouvait pas souffrir qu'un usurpateur comme Sit jouît trop longtemps de son pouvoir : aussi, en l'an 565 de son règne, se décide-t-il à la guerre. Il s'ébranle avec sa flotte, ses archers et ses chars, il descend le Nil sur sa barque, il ordonne des marches et des contremarches ; il livre des batailles rangées, il soumet des villes, jusqu'au moment où l'Égypte entière se prosterne devant lui. Son triomphe n'est pas si complet cependant qu'il anéantisse l'adversaire : après diverses vicissitudes, la querelle des deux prétendants est évoquée devant le dieu Gabou, qui juge de leurs titres et qui partage la vallée du Nil en deux royaumes, dont la limite est à Titoouï, un peu au sud de Memphis[107]. Désormais la constitution politique de l'Égypte est un fait accompli : elle se compose de deux moitiés, la moitié d'Horus et la moitié de Sit, la Haute et la Basse Égypte, qui, réunies, formeront le royaume des Pharaons.

Le premier roi qu'on lui connaisse, le premier du moins dont les Égyptiens eussent gardé le souvenir, portait le nom de Mini (Ménès)[108]. Il était originaire de Thini, dans la Haute Égypte[109]. Jusqu'alors Onou et les cantons du nord avaient eu la part principale dans le développement de la civilisation égyptienne. Les prières et les hymnes, qui servirent plus tard de noyau aux livres sacrés, avaient été rédigés à Onou. Le dieu d'Onou, Râ, avait fourni le type sur lequel s'étaient modelés peu à peu les autres dieux locaux. Il semble bien que l'avènement du Thinite détruisit la supériorité que la ville du Soleil avait exercée si longtemps. La monarchie dont il fût officiellement le fondateur dura quatre mille ans au moins, sous trente dynasties consécutives. On divise d'ordinaire cet intervalle de temps, le plus long qu'ait enregistré l'histoire, en trois parties : l'Ancien Empire, de la première à la onzième dynastie ; le Moyen Empire, de la onzième dynastie à l'invasion des Pasteurs ; le Nouvel Empire, de l'invasion des Pasteurs à la conquête persane. Cette division a l'inconvénient de ne pas tenir un compte suffisant de la marche des évènements. Il se produisit en effet quatre grandes révolutions dans la vie politique de l'Égypte. Au début des âges, le centre de gravité du pays reposa sur Thinis : Thinis est la capitale et le tombeau des rois. Bientôt, toutefois, avec la troisième dynastie, Memphis impose ses souverains à tous et elle est l'entrepôt du commerce et de l'industrie. C'est la seconde période, celle qui marque l'apogée de l'Égypte archaïque ; mais, vers la sixième dynastie, le centre de gravité se déplace et tend à s'abaisser vers le sud. Il s'arrête d'abord à Héracléopolis dans la Moyenne Égypte (neuvième et dixième dynasties), puis il descend encore et se fixe à Thèbes sous la onzième dynastie. Dès ce moment, Thèbes reste la capitale réelle et elle fournit les rois : à l'exception de la quatorzième dynastie, xoïte, toutes les dynasties, de la onzième à la vingt et unième, sont thébaines de naissance. Quand les Pasteurs envahissent la vallée, la Thébaïde s'ouvre comme un refuge à la nationalité égyptienne, et ses princes, après avoir lutté pendant des siècles contre les conquérants, finissent par affranchir le royaume entier au profit d'une dynastie thébaine, la dix-huitième, qui ouvre l'ère des guerres étrangères. Sous la dix-neuvième dynastie, un mouvement inverse à celui qui s'était produit vers la fin de la sixième redresse peu à peu le centre de gravité vers le nord et vers la mer. Avec la vingt et unième dynastie, tanite, Thèbes perdit son rang de capitale, et les villes du Delta, Tanis, Bubaste, Mendès, Sébennytos et surtout Saïs, se disputèrent la primauté avec acharnement. Désormais toute la vie active se concentra dans les nomes maritimes : ceux de la Thébaïde, ruinés par les invasions éthiopiennes et assyriennes, furent privés de leur influence ; Thèbes tomba en ruines et ne fut plus qu'un rendez-vous de touristes curieux. Je proposerai donc de diviser l'histoire d'Égypte en trois périodes, correspondant chacune à la suprématie d'une ville ou d'une portion du pays sur le pays entier[110].

Période achaïque (Première-dixième dynasties). – Elle se subdivise on deux périodes secondaires :

a. Empire Thinite. Première-deuxième dynasties.

b. Empire Memphite. Troisième-dixième dynasties.

Période thébaine (Onzième-vingtième dynasties). - Suprématie de Thèbes et des rois thébains. - Cette période est divisée en deux parties par l'invasion des Pasteurs :

a. Ancien Empire thébain. Onzième-quatorzième dynasties.

b. Nouvel Empire thébain. Dix-septième-vingtième dynasties.

Période saïte (Vingt et unième-trentième dynasties). - Suprématie de Saïs et des autres villes du Delta. - Cette période est divisée on deux parties par l'invasion perse:

a. Première période saïte. Vingt et unième-vingt-sixième dynasties.

b. Deuxième période saïte. Vingt-septiéme-trentième dynasties.

Ménès et les dynasties thinites.

Jusque dans ces dernières années les princes thinites, Si bien assurée que leur existence fût par le témoignage des listes royales, n'étaient pour nous que de simples fantômes, presque aussi insaisissables que les douteux serviteurs d'Horus, dont la tradition peuplait le monde primitif. On nous racontait qu'après son avènement Ménès n'avait point voulu fixer le siège de son gouvernement au lieu de sa naissance. A nouvel empire, nouvelle capitale : il fonda Memphis, sur la rive gauche du Nil, à quelques lieues au sud du Delta[111]. Jadis en effet tout le fleuve coulait vers la Libye, le long de la montagne sablonneuse (qui borne l'Egypte à l'occident) : Ménès, à cent stades au-dessus de Memphis, combla le bras qui va vers le midi, mit à sec l'ancien lit, et contraignit le fleuve à couler au milieu de l'espace qui sépare les deux montagnes. Encore maintenant les Perses surveillent avec le plus grand soin ce bras du Nil qui coule dans un lit distinct, et consolident la digue chaque année car, si le fleuve voulait la rompre et déborder de ce côté, il serait à craindre que Memphis entière ne fût inondée. Lors donc que Ménès, le premier qui se fit roi, eut enclos de digues un terrain solide, il y bâtit cette ville qui est aujourd'hui appelée Memphis (car Memphis, elle aussi, est dans la partie étroite de l'Egypte) ; en dehors de la ville et tout autour d'elle, il creusa un lac qui, dérivé du fleuve, va vers le nord et l'ouest, car le côté de l'orient c'est le Nil qui l'enclôt.[112]

Il est impossible de dire ce qu'il y a de vrai dans cette tradition, non plus que dans celles qui nous représentent Ménès comme le type achevé du monarque égyptien, à la fois constructeur, législateur et soldat. Il construit le grand temple de Phtah[113] et il règle le culte des dieux[114] ; il est conquérant à l'occasion et il conduit des armées hors de ses frontières[115] ; enfin, on assure qu'entre temps il perdit son fils unique à la fleur de l'âge : le peuple composa à ce sujet un chant de deuil, le Manéros, dont l'air et les paroles se transmirent de siècle en siècle[116]. On ajoute qu'il se montra ami du luxe, qu'il inventa l'art de servir un dîner, et qu'il enseigna à ses sujets la manière de manger étendu sur un lit[117]. Aussi un prince saïte, Tafnakhiti, père du Bocchoris de la vingt-quatrième dynastie, pendant une expédition contre les Arabes, où l'aridité du désert le força de renoncer à la pompe et aux délicatesses de la royauté pour mener quelques jours durant le train d'un simple particulier, maudit solennellement Ménès, et fit graver ses imprécations sur une stèle dressée dans le temple d'Amon, à Thèbes[118]. Cela n'empêcha point le premier roi humain de rester toujours cher aux Égyptiens son nom se retrouve en tête de presque toutes les listes royales, et son culte se perpétua jusque sous les Ptolémées[119].

Il mourut sous la dent d'un hippopotame après soixante ou soixante-deux ans de règne, et le peu que nous savons de ses successeurs tient plus du roman que de l'histoire. Manéthon énumérait avec une complaisance superstitieuse les miracles qui avaient attristé ou réjoui leurs règnes. Une grue à deux têtes apparue dans la première année de Têti, le fils de Ménès, avait été pour l'Egypte le présage d'une longue prospérité[120] ; sous Ouénéphès une famine terrible avait décimé le peuple[121]. Çà et là, quelques détails trop brefs sur les constructions royales : Têti avait jeté les fondations du grand palais de Memphis[122], et Ouénéphès élevé les pyramides de Kô-komè, près du bourg actuel de Saqqarah[123]. Plusieurs de ces vieux rois, si éloignés de nous qu'on a peine à s'imaginer qu'ils ont vécu, avaient, dit la tradition, ambitionné le renom d'écrivain ou de savant. Têti avait étudié la médecine et composé des traités d'anatomie[124] ; le chapitre lxiv du Livre des Morts[125] et l'un des ouvrages contenus au Papyrus Médical de Berlin passaient pour avoir été découverts dans les jours de la sainteté du roi des deux Égyptes, Housaphaïti, le véridique[126]. Sous Sémempsès, petit-fils d'Housaphaïti, la peste ravagea la contrée : les lois se relâchèrent, de grands crimes furent commis, et des révoltes éclatèrent, qui amenèrent bientôt la chute de la première dynastie.

La seconde n'était pas mieux partagée que la première. Manéthon n'avait enregistré du fondateur Boêthos que la mention d'un désastre épouvantable : un gouffre s'était creusé près de Bubaste et avait englouti beaucoup de gens[127]. Kakoou aurait proclamé dieux l'Hapi de Memphis, le Mnévis d'Héliopolis et le bouc de Mendès : aussi son nom royal signifie-t-il le mâle des mâles ou le taureau des taureaux, par allusion sans doute aux idées symboliques qui prévalaient de son temps, et auxquelles la divinisation des animaux conféra une confirmation éclatante[128]. Son successeur, Binôthris, aurait accordé le droit de succession aux femmes de sang royal. On ne savait des autres que quelques histoires ridicules : sous Nepherkherês, le Nil avait roulé du miel onze jours durant, et Sésochris passait pour avoir été un géant[129]. Pourtant leur figure s'ébauchait déjà plus réelle que celle de leurs prédécesseurs, et quelques-uns des mastabas disséminés dans les cimetières de Memphis, le tombeau de Thothhotpou à Saqqarah, la grande stèle de Shiri au Musée du Caire[130], les statues de Sapi au Louvre[131], semblaient pouvoir être reportés jusqu'à leur époque. Les fouilles de ces dernières années ont rompu enfin le charme d'oubli, qui pesait si lourdement sur ces vieux souverains et elles ont ramené à la lumière leurs monuments, chapelles ou tombeaux[132]. C'est sur le territoire même du nome dont ils étaient originaires, à l'ouest de Thinis, dans la nécropole d'Abydos, c'est à Neggadéh et à Kom el Ahmar dans la Haute Égypte, c'est à Sakkarah, près de Memphis, qu'ils ont reparu au jour, et désormais nous pouvons espérer que les traces de leur activité se manifesteront partout, du Delta à la première cataracte. Les tombeaux d'Abydos, les plus nombreux jusqu'à présent, sont comme l'ébauche grossière des pyramides de la plaine memphite, des constructions rectangulaires s'élevant médiocrement au-dessus du sable et bâties de briques posées à cru sans mortier. La chambre funéraire, en partie creusée dans le roc, avait un toit plat de poutres, recouvert d'une couche de sable d'un mètre d'épaisseur ; le plancher était de bois également, et le cadavre du souverain y était posé au milieu, environné de son mobilier funéraire. De petites chambres ménagées symétriquement autour de la pièce principale recevaient le gros des provisions, et souvent aussi les corps d'esclaves, de femmes et d'animaux domestiques, sacrifiés au jour de l'enterrement pour accompagner le maître dans l’autre monde. Des stèles grossières se mêlent aux présents, dont beaucoup contiennent le nom de ses serviteurs ou l'épitaphe de ses nains et de ses chiens favoris ; des tablettes d'ivoire, d'os ou de schiste, sculptées habilement, représentent les scènes des funérailles ou certains des exploits du mort. Les offrandes sont en substance les mêmes que celles qui abondent dans les tombeaux des âges postérieurs et qui sont inscrites sur les listes funèbres, les gâteaux, les différentes sortes de pains, les vins, la bière, les liqueurs, les légumes, les fruits, la volaille, la viande de boucherie. Le mobilier comprend, outre les nattes et les étoffes du trousseau, des chaises, des tabourets, des fauteuils, des lits à pieds et à têtes de lions, et une quantité prodigieuse de vases en terre cuite ou en pierres dures, telles que le granit, le cristal de roche, l'albâtre, sur lesquels le prénom et les titres royaux sont gravés. Les outils et les armes sont en un silex blond, travaillé d'une perfection qui n'a d'égale en aucune partie du monde, parfois avec la poignée en or estampée. Au-dessus du tombeau, deux stèles se dressaient sur lesquelles on lisait en hiéroglyphes massifs le nom d'intronisation du souverain, celui qu'il recevait comme descendant d'Horus et comme identifié à Horus lui-même : c'est devant elles qu'aux jours de fêtes les sacrifices s'accomplissaient et qu'on entassait les viandes et les pains destinés au double pour la suite des siècles. Des tombeaux privés se groupaient autour de chaque hypogée royal, où venaient reposer les officiers de l'entourage du souverain, si bien que la Majesté défunte était entourée après sa mort des mêmes personnages qui l'avaient servie durant sa vie terrestre.

L'usage de graver sur les monuments non pas le nom propre du Pharaon, mais son nom d'Horus, ne nous a point permis encore de classer d'une manière certaine tous les rois qui surgissent ainsi de la poussière  Manéthon et les listes antiques ne nous ayant transmis que les noms propres, il nous est impossible d'assimiler les membres de leurs dynasties thinites aux maîtres des tombeaux d'Abydos, sauf dans les cas, fort rares, où les deux sortes de noms se trouvent réunies sur l'un des objets recueillis récemment. C'est le cas pour Ménès probablement, et pour trois de ses successeurs, Miébis, Ousaphaîs et Sémempsès[133], mais toutes les tentatives faites jusqu'à présent pour identifier les autres n’ont produit aucun résultat sérieux. Et pourtant, malgré cette incertitude, quels progrès cette résurrection ne nous a-t-elle pas procurés dans la connaissance de l'Égypte primitive ? Ces rois étaient des conquérants et des constructeurs : leurs victoires sont représentées avec les noms des peuples ou des villes qu'ils vainquirent. La religion et les rites funéraires étaient déjà complètement fixés sous eux, et le système d'écriture qu'ils employaient ne diffère que par des détails de celui que nous déchiffrons sur les inscriptions des temps memphites ou thébains. Enfin leurs bijoux, leurs armes, leur vaisselle sont d'un fini d'exécution qui suppose une longue habitude. Les quelques stèles et les quelques statues que nous avons d'eux jusqu'à présent ne trahissent pas plus que le reste les caractères d'un art encore dans l'enfance. Sans doute les hiéroglyphes y sont comme en désordre et les figures ébauchées à grands coups plutôt que finies ; mais ces imperfections prouvent simplement que les pièces tombées entre nos mains n'étaient pas des plus soignées. Il y a de mauvaises oeuvres a toutes les époques, et le hasard des fouilles ne nous a pas rendu ce que les sculpteurs de ces premières dynasties avaient exécuté de mieux : si rudes que soient les statues de Sapi et la stèle de Shiri, elles ne sont pas plus grossières que mainte statue ou mainte stèle de la IVe ou de la VIe dynastie.

Avec le dernier roi de la deuxième dynastie s'éteignit probablement la descendance directe de Ménès. Elle avait régné cinq siècles et demi, et accompli durant cet intervalle une oeuvre qui n'était ni sans gloire ni sans difficulté. Les princes des nomes durent s'habituer difficilement à leur vasselage, et ils saisirent sans doute tous les prétextes de révolte que la cruauté ou la faiblesse de certains rois leur offrirent. Il est vraisemblable que plusieurs d'entre eux réussirent à regagner leur indépendance et même à établir des dynasties collatérales, qui disputèrent le pouvoir suprême à la famille régnante ou parfois la réduisirent à une impuissance momentanée. La plupart des noms royaux, qui figurent sur certaines listes pharaoniques et ne se retrouvent pas dans des listes de Manéthon, appartiennent probablement à ces dynasties illégitimes. Les descendants de Ménès finirent par triompher de ces résistances et par s'imposer au pays entier. Les clans se mêlèrent et se fondirent d'Abou jusqu'à Adhou, d'Éléphantine au Delta. Ménès avait fondé un royaume d'Egypte : ses successeurs des deux premières dynasties en unirent les éléments disparates et ils en formèrent une nation égyptienne.

 

 

 

 



[1] Hérodote, II, VII, qui l'emprunta probablement à Hécatée de Milet.

[2] Obsurn, The Monumental History of Egypt, t. I. p. 9-14.

[3] Ainsi dans le Conte des Deux frères, où il est toujours appelé iaumâ, iôm, la mer.

[4] Hérodote, II, xxviii.

[5] Quatremère, Mémoires géographiques sur L'Égypte et sur quelques contrées voisines, t. II, p. 484-482, d'après Macoudi.

[6] Cf. le conte découvert en 1880 par M. Golénischen ; Maspero, les Contes populaires de l'Égypte ancienne, p. LXX-LXXIX, p. 457-448.

[7] Hérodote, II, xvii.

[8] Hérodote, II, xvii ; Skylax, Peripl., § 106 ; Strabon, XVII.

[9] Pline, Hist., nat., V. 40.

[10] Hérodote, II, iv.

[11] Diodore, I, 34.

[12] Sur une troisième espèce fort rare, mentionnée dans quelques documents, cf. Loret, Recueil de travaux relatifs à la Philologie et à l'Archéologie égyptiennes et assyriennes, t. III, p. 21 sqq.

[13] Hérodote, II, xcii.

[14] Diodore, I, 34.

[15] Hérodote, II, xxxvi.

[16] Papyrus Anastasi IV, pl. XIV, l. 1.

[17] Hérodote, II, xxxvi.

[18] Strabon, 1. XVII, 4. Le Musée du Caire possède un véritable herbier égyptien antique, fait par M. Schweinfurth avec les fleurs, les graines et les tiges découvertes dans les tombeaux. Cf. Schweinfurth, la Flore de l'ancienne Égypte, dans le Bulletin de l'Institut égyptien, 1882, et la Revue scientifique, n° du 21juillet 1885.

[19] Fr. Lenormant, Sur l'antiquité de l’Ane et du Cheval, p. 2 ; Lefébure, Sur l'ancienneté du Cheval en Égypte, dans l'Annuaire de la Faculté des Lettres de Lyon, 2e année, p. I-II, admet que le cheval était connu en Égypte sous la XIIe dynastie et très probablement aux temps antérieurs. Le chameau semble n'avoir été introduit que vers l'époque romaine.

[20] Fr. Lenormant. Sur les animaux employés par les anciens Égyptiens à la chasse et à la guerre, p. 2-5.

[21] Fr. Lenormant, Sur l'antiquité de l'Ane et du Cheval, p. 2.

[22] Fr. Lenormant, Notes d'un voyage en Égypte, p. 17.

[23] Hartmann, Zeitschrift für Ægyptische Sprache, 1864-1865.

[24] C'était un des devoirs des rois de poursuivre et de détruire les animaux féroces. Un fait montrera quelle conscience ils mettaient à s'en acquitter : Aménôthès III tua deux cents lions dans les dix premières années de son règne.

[25] Mariette, Itinéraire des Invités, p. 175. La prédiction de Mariette s’est complètement réalisée : il n'y a plus aujourd'hui de crocodiles au nord d'Assouan.

[26] Brugsch, Ægyptische Gräberwelt, p. 14, affirme que le poulet était inconnu aux anciennes époques. Cependant deux poulets sont représentés à Béni-Hassan (Champollion, Notices, t. II. p. 587).

[27] Papyrus Anastasi III, pl. II, 1. 6-7. Cf. Maspero, Du Genre épistolaire, p. 104 sqq.

[28] Papyrus Sallier II, pl. XI, 1. 6.

[29] Diodore de Sicile, I, III, c. 8.

[30] Genèse, ch. X, v. 3-6.

[31] E. de Rougé, Recherches sur les monuments qu’on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 4-8 ; Ebers, Ægypten und die Bücher Moses, p. 54 sqq.

[32] Pline, H. N., I. VI, c. XXIX.

[33] L'une des plus belles statues en bois du Musée du Caire a été nommée le Sheikh-el-Beled, parce qu'elle est trait pour trait l'image du Sheikh-el-Beled de Saqqarah au moment de la découverte. On trouvera reproduits dans O. Hayet, les Monuments de l'art antique, t. I, quelques-uns des monuments où le type égyptien est le mieux caractérisé.

[34] C'est l'opinion à laquelle la plupart des Égyptologues contemporains, Brugsch, Ebers, Lauth, Lieblein, Erman, Sethe, Steindorff, se sont ralliés à la suite d'E. de Rougé, Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties, p. 1-11. L'assyriologue Hommel a poussé cette thèse à l'extrême, et il a soutenu, dans son mémoire sur der Babylonische Ursprung der Ægyptischen Kultur, 1892, que l'ensemble de la civilisation et de la religion égyptiennes dérive de la civilisation et des cultes chaldéens, notamment des cultes d'Éridou.

[35] 1. E. de Rougé, Recherches, p. 4, Brugsch, Geschichte Ægyptens, p. 8; Wiedemann, Ægyptische Geschichte, p. 21 sqq.

[36] Ebers, Ægypten und die Bücher Moses, p. 41; Dümichen, Geschichte des Alten Ægyptens, p. 118, 119; Brugsch, Ægyptische Beiträge, dans la Deutsche Revue, 1881, p. 41. Des systèmes plus compliqués, et qu'on peut laisser de côté pour le moment, ont été proposés par Lieblein et par Petrie.

[37] C'est la théorie que préfèrent les naturalistes et les anthropologistes, tels que Hartmann, Morton, Hamy, et qui a été développée récemment par Sergi, fort en détail.

[38] Lortet, la Faune momifiée de l'Ancienne Égypte, p. 70-71.

[39] Lepsius, Ueber die Annahme, dans la Zeitschrift, 1870, p. 90 sqq.

[40] C'est l'opinion que j'ai soutenue, ainsi que Rochemonteix, et que je me réserve de développer ailleurs.

[41] Benfey, Ueber das Verhältniss der Ægyptischen Sprachen zum semitischen Spraehstamm, Leipzig, 1844 ; cette théorie a été reprise par Erman et par ses élèves principaux, Steindorff et Sethe, pour lesquels l'égyptien n'est qu'une langue sémitique usée et déformée en bien des endroits par une longue pratique.

[42] Maspero, Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, t. II, p. 4-8.

[43] E. de Rougé, Recherches, p. 5. cf. Hommel, Die Semitischen Völker und Sprachen, t. I, p. 94 sqq., 439 sqq.

[44] Cette restitution de la plus ancienne civilisation connue résulte en partie de l'étude faite par Maspero des hiéroglyphes et des coutumes de l'Égypte pharaonique, en partie des fouilles exécutées depuis une dizaine d'années dans les cimetières préhistoriques du pays. On trouvera tous les renseignements désirables sur ce point dans les deux ouvrages de M. Morgan, L'âge de la pierre en Égypte, et Ethnographie préhistorique.

[45] Lepsius, Denkm., III, 5 a ; Dümichen, Bauurkunde der Tempelanlagen Von Denderah, pl. XVI ; cf. E. de Rougé, Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 42, note 4, p. 465 sqq.

[46] Brugsch, Geographische Inschriften, t. I, p. 95 sqq.

[47] Jacques de Rougé, Textes géographiques du temple d'Edfou, p. 29.

[48] Lepsius, Denkmæler, II, pl. 124-125. Cf. Brugsch, G. Inschriften, t. I, p. 111-116 ; Maspero, Une Enquête judiciaire à Thèbes, p. 9, note I.

[49] Diodore, I, 44 ; Strabon, 1. XVII, c. i. - Pline (H. N., V, 9,9) en mentionne quarante-trois, et Ptolémée (IV, 5) quarante-sept.

[50] Brugsch, G. Inschr., t. I, p. 99

[51] Brugsch, G. Inschr., t. I, p. 178.

[52] Ibid., L. I, p. 176.

[53] Strabon, I, XVII, c. i.

[54] Brugsch, G. Inschr., t. I, p. 193-195

[55] Strabon, I, XVII, c. i.

[56] Corpus inscr. græc., n° 4925.

[57] Sept de ces nomes, détachés de la Haute Égypte et réunis en un seul gouvernement, formèrent, à l'époque romaine, la province d'Heptanomide.

[58] Hérodote, I. II, c. xci.

[59] Jacques de Rougé, Revue archéologique, juillet 1870, p. 5-6.

[60] Ibid., p 1 sqq.

[61] Brugsch, G. Inschr., t. I, p. 217-219.

[62] Jacques de Bougé, p. 42-15.

[63] Brugsch, Dict. géog., p. 749.

[64] Jacques de Rougé, Revue archéologique, février 1872, p. 68 sqq.

[65] Jacques de Rougé, I. I., p. 76.

[66] Id., p. 76-80.

[67] Brugsch, G. Inschr., t. I, p. 85.

[68] Hérodote, III, xci : .. ¢n tÒ leuxÒ teÛxeâ tÒ ¢n M¡mfi. Cf. Brugsch, Zeitschrift für Ægyptische Sprache, année 1865, p. 9

[69] Aballatif (traduction de Sacy), II. c. iv.

[70] Brugsch, G. Inschr., t. I, p. 243-244.

[71] Diodore de Sicile, I. I, c. lvi ; Strabon, I. XVII, c. i. Cf. sur Taroiou, Brugsch, Zeitschr., 1867, p. 89-95.

[72] Brugsch, Zeitschrift, 1871, p. 11-13.

[73] Les identifications proposées par M. Brugsch, dans son Dictionnaire géographique, pour cette ville et pour les villes voisines, ont été assez fortement compromises par les fouilles que MM. Naville et Petrie ont exécutées à Tell-el-Maskhouta de 1885 à 1890. La géographie de l'Égypte ancienne a été traitée de main de maître par J. Dümichen dans le tome I de sa Geschichte des alten Ægyptens (1880-1881) et par J. de Rougé.

[74] Lepage-Renouf, Lectures on the Origin and Growth of Religion as illustrated by the Religion 0f Ancient Egypt, Londres, 1880, p. 99.

[75] Maspero, dans la Revue de l'Histoire des Religions, 1880, p. 125-126.

[76] Dr Parrot, Sur l'origine de l'une des formes du dieu Phtah, dans le Recueil de Travaux, t. II, p. 129-155.

[77] Maspero, dans la Revue de l'Histoire des Religions, 1880, t. I, p. 121.

[78] Maspero, Notes sur quelques points de Grammaire et d'Histoire dans le Recueil de Travaux, t. Il, p. 115. Voir la liste des animaux sacrés dans Parthey, De Iside et Osiride, p. 260 sqq., et Erdkunde des Alten Ægyptens, pl. XVI.

[79] Le premier auteur qui ait mis en lumière le côté fétichiste de la religion égyptienne est M. Pietschmann, der Ægyptische Fetischdienst und Götterglaube, dans la Zeitschrift für Ethnologie, 1878, p. 155 sqq.

[80] Hérodote, II, LXIX.

[81] Strabon, I. XVII, ch. i.

[82] Diodore, I, 84.

[83] Diodore, I, 83.

[84] Hérodote, II, lxxiii.

[85] De Iside, c. xx ; Strabon, I. XVII, c. i.

[86] Hérodote, III, xxviii. Cf. Pomponius Mela, I, 9 ; Pline, H. N. VIII, xlvi.

[87] Mariette, Renseignements sur les Apis, dans le Bulletin archéologique de l'Athenæum français, 1855, p. 54.

[88] Pline, H. N., VIII, ch. iv, 6.

[89] Auguste Mariette, Renseignements, dans le Bulletin archéologique, 1855, p. 94-100.

[90] Le dernier Hapi dont on connaisse l'existence d'une manière certaine est celui qui fut inauguré sous Julien, en 562 (Ammien, I. XXII, xiv, 6).

[91] Cf. pour tout ce qui se rapporte à la tombe d'Apis, Manette, le Serapeum de Memphis, t. I, Paris, 1882, in-4°.

[92] Voici le nom de ces dieux-rois, sous la forme grecque : …Hfaistow, …Hliow, SÇw, Krñnow, …Osiriw, TufÇn, ŠYrow. Les lettres v. s. f. sont l'abréviation de la formule vie, santé, force, qui accompagne les noms royaux dans les textes égyptiens.

[93] Naville, la Destruction des hommes par les dieux, dans les Transactions of the Society of Biblical Archœology, vol. IV, 1875, p. 1-19.

[94] Osiris a été étudié plus particulièrement par M. Lefébure, le Mythe Osirien ; t. I : les Yeux d'Horus, in-4°, Paris, 1874 ; t. II : Osiris, in-4°, Paris, 1875. Sit a fourni un sujet de thèse à M. Ed. Meyer, Set-Typhon, in-8°, Leipzig, 1875.

[95] Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 191-192.

[96] Todlb., ch. cxxv.

[97] Todlb., ch. xxx, 1.1 sqq. Ô coeur, mon coeur qui me vient de ma mère, mon coeur de quand j'étais sur terre, ne te dresse pas comme témoin ; ne lutte pas contre moi en chef divin, ne me charge point devant le dieu grand !

[98] Celles de l’Epervier d'or (Todlb., ch. lxxvii), du Lotus (ch. lxxxi), du Phénix (ch. lxxxiii), de la Grue (ch. cxxxiv), de l'Hirondelle (ch. lxxxvi), de la Vipère (ch. cxxxii). L'assomption de toutes ces formes est volontaire et ne prouve pas le passage de l'âme humaine dans un corps de bête. Chacune d'elles était une des figures de la divinité ; l'entrée de l'âme en elles marquait seulement l'assimilation de l'homme au type divin que chacune représentait.

[99] Dans les vignettes des Papyrus funéraires, le mauvais principe est figuré par le Crocodile (ch. xxxi, xxxii), la Tortue (ch. xxxvi) et diverses espèces de serpents (ch. xxxiii, xxxv, xxxvii, xli).

[100] A partir de la XIIe dynastie, le défunt est nommé couramment l'Osiris N. Aux époques antérieures, ce titre est joint rarement à son nom, mais l'ensemble des textes connus jusqu'à présent prouve que l'identification était complète entre le mort et le dieu.

[101] Todlb., ch. lxxiv-lxxv.

[102] Id., ch. cx-cxlvi.

[103] Lepsius, Denkm., pl. II, 43 et 81.

[104] Revue critique, 1872, t. II, p. 538-548.

[105] Une date de l'an 400 du règne de Sit, roi d'Égypte, se trouve sur un monument de Ramsès II, découvert à Tanis par M. Mariette (Maspero, Revue critique, 1880, t. I, p. 467).

[106] Naville, le Mythe d'Horus, 1870, Genève, in-folio ; Brugsch, Die Sage Von der geflügelten Sonnenseheibe, Göttingen, 1870, in-4°.

[107] Goodwin, dans Chabas, Mélanges égyptologiques, IIIe série, t. I, p. 246-280.

[108] Sur la vocalisation de ce nom et des noms égyptiens en général, voir Maspero, Réponse à la lettre de M. Edouard Naville, dans la Zeitschrift, 1885, p. 110-123.

[109] Des fouilles exécutées en 1883-1884 me portent à croire que Thini est, ou bien la ville même de Girgéh, ou bien le village de Birbéh situé un peu au nord-ouest de Girgéh, sur la rive gauche du Nil.

[110] Revue Critique, 1875, t. I, p. 82-85

[111] Diodore (1, 50) attribue la fondation de Memphis à un autre Pharaon, qu'il nomme Ouchoreus.

[112] Hérodote, II, xcix.

[113] Ibid.

[114] Diodore, I, 94, qui en cet endroit donne à Ménès le nom de Mnévis ; d'après Elien, Hist. Anim., XI, 10, il aurait institué le culte d'Hapi.

[115] Manéthon, édit. Unger, p. 78.

[116] Hérodote, II, lxxix. Cf. sur le Manéros, Hésychius, s. v. Man¡rvw, Suidas, s. vv. Man¡rvw et Peri manÅw.

[117] Diodore, I, 45.

[118] Diodore, I, 45 ; De Iside et Osiride, § 8, où Tafnakhiti et son fils sont appelés Tn¡faxyow ou T¡xnatiw et Bñaxoriw.

[119] Stèle d'Ounnofri au Louvre, Salle historique, 421. Cf. E. de Rougé, Recherches sur les monuments qu'on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon, p. 50-51.

[120] Élien, H. Anim., XI, 40, qui donne au fils de Ménès le nom d'OÞnÛw.

[121] Manéthon, édit. Unger, p. 79.

[122] Id., p. 78. 2° Manéthon, éd. Unger, p. 78-81.

[123] Id., p. 79; Brugsch, G. Inschr. I, p. 124, 240 ; Mariette, Histoire d'Égypte, 2° édit., p. 134, qui croit devoir reconnaître dans la pyramide à degrés la pyramide d'Ouénéphès.

[124] Manéthon, édit. Unger, p. 78.

[125] Goodwin dans la Zeitschrift, 1867, p. 55-56.

[126] Papyrus Médical, édit. Brugsch, pl. XV, I. 1-2 ; Papyrus Ebers, pl. CIII, I. 1-2.

[127] Manéthon, édit. Unger, p. 84 ; E de Rougé, Recherches sur les monuments, p. 20-21.

[128] Manéthon et de Rougé, loc. cit.

[129] Manéthon, édit. Unger, p. 84.

[130] Maspero, Guide du Visiteur au Musée du Caire, p. 18.

[131] E. de Rougé, Notice des principaux monuments, 1855, p. 50-7.

[132] Le mérite d'avoir découvert et reconnu le premier les monuments thinites revient à Amélineau, qui a fouillé la nécropole d'Abydos quatre années de suite, de 1895 à 1899. Il en a publié les résultats dans trois volumes intitulés Les nouvelles fouilles d’Abydos, 1897-1902 et le Tombeau d’Osiris, 1899. Morgan découvrit, en 1896, le tombeau de Ménès à Neggadéh et le publia dans ses Recherches sur les origines, t. II. Les fouilles de Quibell à Kom el Ahmar, celles de Petrie à Abydos sur le champ déjà exploité par Amélineau, celles de Maspero à Sakkarah ont augmenté le nombre des rois connus : Petrie a essayé de les classer dans ses Royal Tombs of the First Dynasty, t. I et II, mais sans grand succès.

[133] Sethe, die älteste geschichtliche Denkmater der Æqypter, dans la Zeitschrift, 1897, p. 1-6.