LES CONTES POPULAIRES DE L’ÉGYPTE ANCIENNE

 

CONTES

LE CYCLE DE PÉTOUBASTIS

 

 

I. — L’EMPRISE DE LA CUIRASSE

Ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction, nous possédons actuellement deux romans qui appartiennent au cycle de Pétoubastis. Le premier des deux, celui que j’ai appelé l’Emprise de la Cuirasse, est conservé dans un des manuscrits de l’Archiduc Régnier ; les fragments en étaient perdus dans une masse de débris achetés par les agents de M. Graf à Diméh, au Fayoum, vers la pointe nord-est du Birket-Kéroun. Parmi les mille documents originaires de cette localité et qui couvrent un espace d’environ trois cents ans, du IIe siècle avant au IIe siècle après J.-C., quarante-quatre morceaux de taille différente étaient épars, appartenant à un même papyrus démotique. Krall y devina du premier coup les éléments d’une composition littéraire, d’un roman historique selon les apparences, et ce lui fut un motif pressant de les étudier, toute affaire cessante. Plusieurs d’entre eux demeurèrent rebelles à la classification, mais la plupart finirent par s’assembler en trois grandes pièces, dont la première mesurait 1 m. 88 de longueur, la seconde 0 m. 79 et la troisième 0 m. 66 sur 0 m. 28 de hauteur. La première de ces pièces, qui est composée de huit morceaux, contenait les restes de huit colonnes de 32, 33, 34, 36 et 38 lignes chacune ; la seconde et la troisième comprenaient cinq et quatre colonnes plus ou moins mutilées. Les vingt-trois fragments plus petits semblaient se ranger dans cinq colonnes diverses, si bien que le volume entier devait consister à l’origine de vingt-deux colonnes .au moins, comportant plus de sept cents lignes et se déployant sur une longueur d’environ six mètres. Aucun des contes connus jusqu’alors n’atteignait des dimensions pareilles, et pourtant l’œuvre demeurait incomplète : nous en possédions la seconde moitié sans lacunes trop fortes, mais une portion notable du début manquait encore. Krall, arrivé à ce point, crut que le moment était venu d’annoncer sa découverte. Il le rit à Genève, au mois de septembre 1894, dans une séance du Congrès des Orientalistes, mais trois années s’écoulèrent avant qu’un mémoire imprimé vint confirmer les espérances que sa communication verbale avait soulevées. Il le publia sous le titre de Ein neuer historischer Roman in Demotischer Schrift, von Jakob Krall, dans les Mitteilungen aus der Sammlung der Papyrus Erzherzog Rainer, 1897, in-4°, t. VI, p. 19-80 (avec un tirage à part de 62 pages).

Ce n’était à proprement parler qu’une analyse détaillée du texte, accompagnée de notes nombreuses où étaient reproduites les phrases qui présentaient des difficultés d’interprétation. Tel qu’il était, ce premier mémoire suffisait à nous montrer l’originalité de l’œuvre. C’était une vraie chanson de geste, la Geste de Pémou le petit, qui nous offrait une peinture vivante des mœurs de la féodalité égyptienne aux temps des invasions assyriennes, et les principaux points en furent discutés par G. Maspero, Un Nouveau Conte égyptien, dans le Journal des Savants, 1898, p. 649-659 et 717-731.

Cependant, en triant les fragments moindres de la collection de l’Archiduc, Krall y avait découvert beaucoup d’autres menues pièces qui avaient été détachées du manuscrit original, et qui finirent par porter à quatre-vingt-deux le nombre des petits fragments. II se décida donc à publier les grands fragments :

J. Krall, Demotische Lesestücke, 2e partie. 1903, pl. 10-22, puis à donner une traduction, provisoire sur certains points, mais complète, de tous les fragments grands et petits :

J. Krall, Der demotische Roman aus der Zeit des Königs Pelubastis, dans la Wiener Zeitschrift für die Kurde des Morgenlandes, 1902, in-8°, t. XVII, (tirage à part de 36 pages in-8°).

La découverte des petits morceaux n’a pas modifié sensiblement la première restauration que Krall avait donnée de l’ensemble du roman. L’ordre des trois grands fragments avait été rétabli exactement, mais les menues pièces ont dû être réparties entre neuf colonnes au lieu de cinq, et un assez grand nombre d’entre elles proviennent des premières pages ; beaucoup même sont inédites-Ce texte de Krall, le seul que nous ayons à notre disposition, a fourni à M. Révillout la matière d’une leçon d’ouverture et d’une traduction à demi publiée seulement :

E. Révillout, Le Roi Petibustît II et le roman qui porte son nom, dans la Revue Égyptologique, 1905, t. XI, p. 115-173, et 1908, t. XII, p. 8-59.

On en trouvera la transcription en caractères romains et la traduction allemande dans W. Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, in-4°, Leipzig, 1910, p. 43-75.

La traduction que je donne a été faite d’après le texte même pour les parties publiées, d’après la seconde traduction de Krall pour les parties qui sont inédites. La langue de l’auteur est simple, claire, très semblable à celle du premier roman de Satni-Khâmoîs, et formée de phrases courtes en général : c’est un bon ouvrage à mettre entre les mains des débutants. On y distingue un certain mouvement et une certaine chaleur de style, une entente notable de la description et une habileté assez grande à dépeindre le caractère des héros principaux en quelques traits. Le début manque, mais on peut en reconstituer la donnée sans trop de peine. Au temps où le Pharaon Pétoubastis régnait à Tanis, le pays entier était partagé entre deux factions rivales, dont l’une avait pour chef le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, peut-être ici la Thèbes du Delta, aujourd’hui Ibchân, avec laquelle l’auteur confond volontairement ou non la Tèbes du Saîd, et dont l’autre obéissait au roi-prêtre d’Héliopolis Ierharerôou-Inarôs, ainsi qu’à son allié Pakrourou, prince de Pisapdi, le grand chef de l’Est. Le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes n’était soutenu que par quatre nomes au centre du Delta, mais les quatre nomes les plus pesants, ainsi que le texte le dit, ceux de Tanis, de Mendès, de Tahaït, de Sébennytos ; Inarôs au contraire avait réussi à établir ses enfants ou ses parents dans la plupart des autres nomes, et de plus il possédait une sorte de talisman, une cuirasse à laquelle il tenait beaucoup, peut-être une de ces cuirasses de fer ou d’airain qui jouent un rôle dans la légende saïte et memphite de la Dodécarchie (Hérodote, II, CLII). Lorsqu’il mourut, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes profita du trouble que le deuil avait jeté parmi les Héliopolitains pour s’emparer de la cuirasse et pour la déposer dans une de ses forteresses. Dès que le prince Pémou, l’héritier d’Inarôs, l’apprit, il dépêcha un messager au voleur pour le sommer de lui restituer le talisman. Le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes refusa, et c’est sur la scène du refus que la partie conservée du roman commence.

J’ai suivi le texte d’aussi près qu’il m’a été possible le faire dans l’état de mutilation où le manuscrit nous est parvenu : quand la restitution des mots ou des membres de phrase perdus venait naturelle, je n’ai pas hésité à l’accepter, mais très souvent, lorsque les lacunes étaient fortes, j’ai résumé en deux ou trois phrases la matière de plusieurs lignes. C’est donc moins une traduction littérale qu’une adaptation, et le lecteur trouvera dans bien des endroits le sens général plutôt que la lettre même du récit égyptien : je n’ai pu faire davantage pour le moment.

 

Je ne suis pas le premier qui vient à lui à ce sujet. C’est lui qui l’a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê[1], sa ville, tout d’abord, après qu’il eût pris l’armure de leurs mains et qu’il l’eût transportée hors, de leurs maisons sans que nulle personne au monde s’en aperçût. II l’a donc prise en sa propre ville, que je lui ai donnée dans le district, près du surintendant des troupeaux de Sakhmi[2]. Toutes les paroles que son jeune serviteur avait dites devant lui, il les répéta devant Pharaon, et il employa deux jours à les raconter devant Pétoubastis, sans que parole au monde y manquât. Pémou lui dit : Malheur du cœur soit pour Zaouîphrê ! Cette cuirasse ne l’as-tu pas emportée chez toi ? N’as-tu pas allongé la main vers la cuirasse du prince Inarôs[3], afin de l’emporter à Zaouîphrê, ta ville, et né l’y as-tu pas cachée afin de ne plus la remettre en sa place première ? As-tu pas agi de la sorte à cause de ta confiance en ta force, ou bien à cause que ta famille est versée dans la leçon du soldat[4] ? Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes lui dit : Par Horus ! Je ne te rendrai pas la cuirasse sans combat. Ma famille ne tonnait-elle pas la leçon du soldat ? Ils s’éloignèrent pour préparer la guerre, chacun de son côté[5], puis Pémou le petit s’embarqua sur son yacht et, ayant navigué sur le fleuve pendant la nuit, il arriva à Tanis afin de notifier au roi ce que le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes avait fait.

Pharaon Pétoubastis les fit mander devant lui, le prince de l’Est, Pakrour, et Pémou le petit, disant : Qu’ils se prosternent sur le ventre en notre présence, et qu’ils se traînent ainsi devant nous. Les sergents et les huissiers et les maîtres des cérémonies dirent : Qu’ils viennent au pavillon d’audience. Le prince de l’Est, Pakrour, dit : Est-ce bien beau ce qu’a fait le grand seigneur d’Amon de Thèbes de couvrir d’injures le prince Inarôs, tandis que celui-ci avait la face tournée vers ses serviteurs ? Après que Pharaon eût entendu sa voix, Pharaon dit : Chefs de l’Est, Pakrour et Pémou le petit, ne vous troublez pas en vos cœurs, à cause des paroles qu’il a proférées. Par la vie d’Amourâ, le seigneur de Diospolis, le roi des dieux, le grand dieu de Tanis, je te le répète, je ferai donner au prince Inarôs une sépulture grande et belle. L’instant que Pémou entendit ces paroles, il dit : Pharaon, mon grand maître, les paroles que tu as prononcées sont comme du baume pour les gens de Mendès, qui échapperaient à ma vengeance ! Par Atoumou, le maître d’Héliopolis, par Râ-Horus-Khoproui-Marouîti, le dieu grand, mon dieu, qu’il rassemble les hommes d’Égypte qui dépendent de lui, et je lui rendrai le coup qu’il m’a porté ![6] Pharaon dit : Mon fils Pémou, ne quitte pas les voies de la sagesse, si bien que des désastres se produisent de mon temps en Égypte ! Pémou inclina la tête et sa face s’attrista. Le roi dit : O scribe, que l’on envoie des messagers dans tous les nomes de l’Égypte, depuis Éléphantine jusqu’à Souânou[7], afin de dire aux princes des nomes : Amenez votre lecteur[8], et vos taricheutes de la maison divine, vos bandelettes funéraires, vos parfums à la ville de Busiris-Mendès, afin que l’on lasse ce qui est prescrit pour Hapis, pour Mnévis, pour Pharaon le roi des dieux, célébrant tous les rites en l’honneur du prince Inarôs, selon ce que Sa Majesté a commandé. Et, quand les temps furent accomplis, les pays du Sud s’empressèrent, les pays du Nord se hâtèrent, l’Ouest et l’Est accoururent, et tous ils se rendirent à Busiris-Mendès. Alors le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : Mon fils Pémou, vois les gens des nomes de l’Est, qu’ils préparent leurs bandelettes funéraires, leurs parfums, leurs taricheutes de la maison divine, leurs chefs magiciens « et leurs aides qui viennent au laboratoire ; qu’ils se rendent à Busiris, qu’ils introduisent le corps du défunt roi Inarôs dans la salle de l’embaumement, qu’ils l’embaument et l’ensevelissent de l’ensevelissement le plus considérable et le plus beau, tel que celui qu’on fait pour Hapis et pour Pharaon le roi des dieux ! Qu’on le traite ainsi, puis qu’on le dépose dans sa tombe sur le parvis de Busiris-Mendès[9] ! Après quoi, Pharaon renvoya l’ost d’Égypte dans ses nomes et dans ses villes.

Alors Pémou dit au grand prince de l’Est, Pakrour : Mon père, puis-je donc retourner à Héliopolis, mon nome, et y célébrer une fête, tandis que la curasse de mon père Inarôs reste dans l’île de Mendès, à Zaouîphrê ? Le grand prince de l’Est, Pakrour, dit : Ce furent de grandes paroles, ô Soupditi, dieu de l’Est[10], les tiennes quand tu dis : Tu vas contre la volonté « de mon prophète Inarôs, si tu peux rentrer à Héliopolis sans que nous y rapportions la cuirasse avec nous. Les deux seigneurs s’embarquèrent sûr un yacht, ils voyagèrent jusqu’à ce qu’ils arrivassent à Tanis, ils coururent au pavillon d’audience devant le roi. L’heure que le roi aperçut les princes de l’Est, Pakrour et Pémou, et leur ost, son cœur en fut troublé, et il leur dit : Qu’est-ce là, mes seigneurs ? Ne vous ai-je donc pas envoyés vers vos nomes, vers vos cités et vers vos nobles hommes, pour qu’ils célébrassent en l’honneur de mon prophète Inarôs des funérailles grandes et belles ? Qu’est-ce donc que cette conduite fâcheuse de votre part ? Le grand chef de l’Est, Pakrour dit : Mon seigneur grand, pouvons-nous donc retourner à Héliopolis sans rapporter avec nous, dans nos nomes et dans nos cités, la cuirasse du prince Inarôs, ce qui est une honte pour nous dans toute l’Égypte ? Pouvons-nous célébrer pour lui les fêtes des funérailles tant que sa cuirasse est dans la forteresse de Zaouîphrê, et que nous ne l’avons pas rapportée à sa place première dans Héliopolis ? Pharaon dit : O scribe, porte le message de mon ordre à la forteresse de Zaouîphrê, au grand seigneur d’Amon dans Thèbes, disant : Ne tarde pas de venir à Tanis pour certaine chose que je désire que tu fasses ? Le scribe ferma la lettre, il la scella, il la remit aux mains d’un homme de couleur. Celui-ci ne tarda pas d’aller à Zaouîphrê ; il mit la dépêche aux mains du grand seigneur d’Amon dans Thèbes, qui la lut et qui ne tarda pas de se rendre à Tanis, à l’endroit où Pharaon était. Pharaon dit : Grand seigneur d’Amon dans Thèbes, vois, la cuirasse de l’Osiris, le roi Inarôs, qu’elle soit renvoyée à sa place première, qu’elle soit rapportée à Héliopolis, dans la maison de Pémou, aux lieux où tu l’as prise. L’instant que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes l’entendit, il baissa la tête et son visage s’assombrit : Pharaon l’interpella trois fois mais il ne répondit mot.

Alors Pémou s’avança en face de Pharaon et il dit : Nègre, Éthiopien, mangeur de gomme[11], est-ce ton dessein par confiance en ta force de te battre avec moi devant Pharaon ? Lorsque l’armée d’Égypte entendit ces paroles, elle dit : Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes désire la guerre ! Pémou dit : Par Atoumou, le seigneur d’Héliopolis, le dieu grand, mon dieu, n’était l’ordre donné[12] et le respect dû au roi qui te protège, je t’infligerais sur l’heure la mauvaise couleur ![13]. Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes dit : Par la vie de Mendès, le dieu grand, la lutte qui éclatera dans le nome, la guerre qui éclatera dans la cité, soulèvera clan contre clan, fera marcher homme contre homme au sujet de la cuirasse, avant qu’on l’arrache de la forteresse de Zaouîphrê. Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit devant Pharaon : Est-ce bien beau ce que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes a fait et les paroles qu’il a prononcées : Pharaon verra qui de nous est le plus fort ? Je ferai retomber sur le grand seigneur d’Amon dans Thèbes et sur le nome de Mendès la honte de leurs actes et de leurs paroles, celles qu’ils ont prononcées parlant de guerres civiles : je les rassasierai de guerre, et je m’évertuerai à ce que la bataille et la guerre ne surgissent pas en Égypte aux jours de Pharaon. Mais si on m’y autorise, je montrerai à Pharaon la guerre entre gens de deux écussons[14]. Tu seras alors témoin « de ce qui arrivera ! Tu verras la montagne tressauter jusqu’au ciel qui s’étend au-dessus de la terre et celle-ci trembler ; tu verras les taureaux de Pisapdi, les lions de Métélis et leur façon de combattre, le fer se tremper après que nous l’aurons chauffé dans le sang. Pharaon dit : Non, ô notre père, grand chef de l’Est, Pakrour, prends patience et ne t’inquiète pas non plus. Et maintenant allez chacun à vos nomes et à vos villes, et je ferai prendre la cuirasse du défunt roi Inarôs et la rapporter en Héliopolis à l’endroit d’où elle fut enlevée, la joie devant elle, l’amour derrière elle. Si tu doutais [de cela] une grande guerre éclatera : [donc] fais qu’il n’y ait aucune guerre chez nous. Si cela vous plaît, accordez-moi cinq jours, et, par la vie d’Amonrâ, le maître, le roi des dieux, mon grand dieu, après que vous serez rentrés dans vos nomes et dans vos cités, je ferai rapporter la cuirasse à sa place première. Pharaon se tut, il se leva, il s’avança, et Pémou le petit alla devant Pharaon et dit : Mon grand Seigneur, par Atoumou le dieu grand, si l’on me donne la cuirasse et que je la prenne à Héliopolis, sans l’avoir enlevée de force, alors, les lances reposeront en Égypte, à cause de cela. Mais quand même l’armée du pays Entier retournerait dans ses foyers, je marcherais au nom de mon prophète Inarôs et je rapporterais sa cuirasse à Héliopolis.

Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes dit : Pharaon, notre maître grand, puisses-tu parvenir à la longue vie de Râ, puisse Pharaon ordonner au scribe de porter ma voix dans mes nomes et dans mes villes, à mes frères, à mes compagnons, à mes charriera, qui sont de mon clan, afin qu’ils m’entendent. Pharaon dit : Allons, qu’on m’amène un scribe. Quand il fut venu, d’ordre de Pharaon, il écrivit aux gens du nome de Mendès[15], ainsi qu’à Takhôs, le chef des milices du nome et à Phrâmooni, le fils d’Ankhhorou, disant : Faites vos préparatifs vous et vos gens. Qu’il leur soit donné des provisions, des vêtements, de l’argent de la maison du roi et qu’ils reçoivent leurs ordres de départ ; et qui n’a point d’armes et de fourniment qu’on les leur donne de l’argent de mon trésor, puis qu’ils viennent avec moi à l’étang de la Gazelle[16], qui sera le lieu d’abordage des princes, des archontes, des chefs de milices en vue de la lutte de ville contre ville, nome contre nome, clan contre clan, qui va s’engager. De plus qu’on « envoie aux maisons d’Ankhhorou, fils de Harbîsa, le prince du canton de Palakhîtit. Qu’on envoie également aux maisons de Teniponi le fils d’Ouzakaou, le prince de... Alors les princes de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, envoyèrent chercher leurs armées, et Ankhhorou, le fils de Pharaon, envoya à ses villes et à sel frères, les enfants de Pharaon, et ils se rangèrent devant le pavillon de Pharaon, chacun selon ses nomes et de ses villes. Ainsi fut fait. L’heure que Pémou le petit entendit le nom des princes et des armées des nomes et des villes auxquelles le grand seigneur d’Amon dans Thèbes avait envoyé, il pleura comme un petit enfant. Le grand chef de l’Est, Pakrour, le regarda et il vit que sa face était trouble et qu’il était triste en son cœur, et il dit : Mon fils, chef des milices, Pémou le petit, ne te trouble pas ! Quand ils entendront ce qui arrive, tes alliés à toi te rejoindront eux aussi. Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit à Pharaon : Fais venir Sounisi, le fils d’Ouazhor, le scribe, afin qu’il écrive un ordre à nos nomes et à nos villes, à nos frères, à nos hommes. Pharaon dit : Scribe, fais tout ce qui te sera commandé ! Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : Scribe ! Celui-ci lui dit : A tes ordres, mon grand maître ! Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : Fais une dépêche pour Harouî, fils de Pétékhonsou, le greffier des quartiers de ma ville et des affaires des gens qui y habitent, disant : Fais tes préparatifs avec l’ost du nome de l’Est. Qu’il leur soit donné des provisions, des vêtements, et à celui qui n’a point d’armes et de fourniment qu’on les lui donne de mon trésor[17], et qu’ils partent en campagne, mais qu’ils s’abstiennent de tout acte de violence jusqu’à ce que je mouille au Lac de la Gazelle pour la lutte qui va s’engager de nome à nome et de clan à clan, au sujet de Pémou le petit, le fils d’Inarôs, et de la cuirasse du prophète, le défunt prince Inarôs, car Pémou le petit va se battre avec le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, à propos de la cuirasse d’Inarôs que celui-ci a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê, laquelle est dans l’île du nome de Mendès !

Fais une autre dépêche pour le nome de l’Est, pour la ville de Pisapdi, pour le chef des soldats, Pétékhonsou, disant : Fais tes préparatifs ainsi que ton ost tes chevaux, ton bétail, ton yacht, et les hommes de l’Est qui doivent te suivre tous, et ce, au sujet de la cuirasse du prophète, le défunt prince Inarôs, que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê. Je te rejoindrai au lac de la Gazelle, à cause de la querelle qui vient d’éclater.

Fais une autre dépêche pour Phrâmooni, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi[18], dans les termes indiqués ci-dessus.

Fais une autre dépêche pour le prince Mînnemêî, le fils d’Inarôs, d’Éléphantine, ainsi que pour ses trente-trois hommes d’armes, ses écuyers, ses chapelains, ses mercenaires éthiopiens, ses fantassins, ses chevaux, son bétail.

Fais une autre dépêche à Pémou, le fils d’Inarôs le petit, au poing fort, disant : Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes hommes d’armes, tes sept chapelains, dans les termes indiqués ci-dessus.

Fais une autre dépêche à Busiris, pour Bakloulou, le fils d’Inarôs, disant : Fais tes préparatifs avec ton ost dans les termes indiqués ci-dessus.

Fais une autre dépêche à l’île d’Héracléopolis, à Ankhhorou le manchot, disant : Fais tes préparatifs avec ton ost ainsi que tes hommes d’armes, et fais un autre ordre pour Mendès, le fils de Pétékhonsou et pour ses chapelains, dans les termes indiqués ci-dessus.

Fais une autre dépêche à Athribis pour Soukhôtês, le fils de Zinoufi, disant : Fais tes préparatifs ainsi que ton ost et tes hommes d’armes.

Fais une autre dépêche à Ouilouhni, le fils d’Ankhhorou, le prince de la forteresse de Méitoum, disant : Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes mercenaires, tes chevaux, ton bétail !

Fais enfin une autre dépêche au grand chef de l’Est, Pakrour, à ses nomes et à ses villes, disant : Faites vos préparatifs pour le lac de la Gazelle !

Or, après cela, le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : Mon fils Pémou, écoute les paroles que le scribe a dites pour toi dans tes dépêches à tes nomes et à tes villes. Va-t’en vite, préviens le grand seigneur d’Amon dans Thèbes et sois le premier en force sur les lieux, à la tête de tes frères qui sont de ton clan, si bien qu’ils t’y trouvent tout rendu ; car, s’ils ne t’y trouvaient pas, ils retourneraient à leurs nomes et à leurs villes. Moi-même je m’en irai à Pisapdi et j’encouragerai l’ost afin qu’il ne faiblisse pas, et je le ferai aller à l’endroit où tu seras. Pémou le petit dit : Mon cœur est content de ce que tu as dit. Après cela, les hauts personnages se rendirent à leurs nomes et à leurs villes. Pémou le petit partit, il monta sur une galée neuve qui était fournie de toute sorte de bonnes choses : sa galée descendit le courant, et, après un certain temps, Pémou arriva au lac de la Gazelle, et on lui indiqua une place pour s’y installer en son privé.

Or, tandis que tout cela s’accomplissait, on vint l’annoncer devant le chef des milices, le grand seigneur d’ Amon dans Thèbes, disant : Pémou le petit vient d’aborder au lac de la Gazelle ; il s’y est établi en son privé et il est là seul avec Zinoufi, son jeune écuyer. Fais donc tes préparatifs ainsi que ton ost, et que celui-ci se hâte de s’armer. Que les gens de Tanis, de Mendès, de Tahaît et de Sébennytos partent avec toi, et qu’ils se concertent bien avec toi afin de livrer bataille à Pémou le petit. Car celui-ci t’a précédé, et ils ne sont là que deux faibles. Les nomes et les villes qui sont avec toi, ordonne-leur de se rendre au champ de bataille, et de l’attaquer au Sud, au Nord, à l’Est, à l’Ouest ; ils ne cesseront point les attaques qu’ils n’aient détruit sa vie. Quand ses frères viendront et qu’ils sauront sa mort tragique, leur cœur en sera brisé en eux et leur force en sera amoindrie ; ils retourneront à leurs villes et à leurs nomes, sans que rien ne retienne leurs pieds, et la cuirasse d’Inarôs ne sortira jamais de tes maisons. Il dit : Par la vie de Mendès, le dieu grand ! C’est bien à cette intention que j’ai convoqué Mendès et les quatre nomes qui sont avec moi ! Qu’on m’arme une galée ! On la lui arma à l’instant, et le grand seigneur d’Amon dans Thèbes s’embarqua avec son ost et ses hommes d’armes. Or il arriva que l’ost et les hommes d’armes de sa ville étaient prêts et ils partirent avec les bandes de l’ost des quatre nomes. En peu de temps le grand seigneur d’Amon dans Thèbes parvint au lac de la Gazelle ; il s’informa aussitôt, et il apprit que Pémou le petit y était venu avant lui.

Quand le grand seigneur d’Amon dans Thèbes eut amené les siens au lieu où Pémou se trouvait au lac de la Gazelle, il dit : Battons-nous en duel une heure durant, jusqu’à ce que l’un de nous deux ait vaincu l’autre. L’heure que Pémou le petit entendit ces paroles, son cœur se troubla sur le champ, et il pensa : Je m’étais dit qu’il n’y aurait pas de bataille avant que mes frères m’eussent rejoint, car ma défaite découragerait l’ost des nomes de l’Égypte lorsqu’il arriverait ici. Toutefois la réponse de Pémou fut : Je suis prêt au combat ! Zinoufi, son jeune écuyer, se mit à pleurer et dit : Te protège mon Dieu, que ton bras soit heureux, et puisse Dieu t’être pitoyable ! Tu sais bien qu’un seul au milieu d’âne multitude est en mauvaise posture et qu’un nome est perdu s’il est seul. Dois-je te nommer les bandes qui sont ici avec le grand seigneur d’Amon thébain, celles de Tanis, celles de Mendès, celles de Tahaït, celles de Sébennytos, ainsi que les hauts personnages qui sont avec lui ? Vois, tu entres en lice contre lui, sans qu’un seul de notre clan soit avec toi. Hélas, s’il s’attaque à toi, sans que nul de tes hommes d’armes soit auprès de toi ! Par Atoumou, toute une armée s’approche pour toi du champ de bataille et elle te sauvera la vie, une grande vie : ne la jette pas à la destruction par témérité ! Pémou dit : Mon frère Zinoufi, tous les mots que tu as dits, je les ai pensés moi-même. Mais puisque les choses sont telles qu’il ne peut plus ne pas y avoir de bataille jusqu’à ce que mes frères m’aient rejoint, j’abattrai les gens de Mendès, j’humilierai Tanis, Tahaït et Sébennytos qui ne me comptent point parmi les vaillants. Puisqu’il en est ainsi, mon frère Zinoufi, aie bon courage et qu’on m’apporte l’armure d’un hoplite ! On la lui apporta sur le champ et on l’étendit devant lui sur une natte de roseaux frais. Pémou’ allongea sa main et il saisit une chemise faite de byssus multicolore, et sur le devant de laquelle étaient brodées des figures en argent, tandis que douze palmes d’argent et d’or décoraient le dos. Il allongea ensuite sa main vers une seconde chemise en toile de Byblos et en byssus de la ville de Panamhou, brochée d’or, et il l’endossa. Il allongea ensuite sa main vers une cotte teinte, longue de trois coudées et demie de laine fine, dont la doublure était en byssus de Zalchel, et il l’endossa. Il allongea ensuite sa main vers son corselet de cuivre, qui était décoré d’épis d’or et de quatre figures mâles et de quatre figures féminines représentant les dieux du combat, et il l’endossa. Il allongea sa main vers une grève d’or fondu et il l’emboîta à sa jambe, puis il saisit de sa main la seconde grève d’or et il l’emboîta à sa jambe. Il attacha ensuite les courroies, puis il posa son casque sur la tête et il se rendit à l’endroit où était le grand seigneur d’Amon dans Thèbes[19].

Celui-ci dit à son écuyer : Par Mendès, mon jeune écuyer, apporte-moi mon armure ! On la lui apporta sur le champ, il l’endossa, et il ne tarda pas aller à l’endroit où devait avoir lieu la bataille. Il dit à Pémou : Si tu es prêt, battons-nous l’un contre l’autre ! Pémou accepta et la bataille s’engagea, mais bientôt le grand seigneur d’Amon dans Thèbes eut l’avantage[20]. Quand Pémou s’en aperçut, son cœur en fut troublé. Il fit un signe avec la main et il dit à Zinoufi, son jeune écuyer : N’hésite pas à courir au port, afin de voir si nos amis et nos compagnons n’arrivent pas avec leur ost. Zinoufi se mit en branle[21], et il n’hésita pas à courir au port ; il attendit une heure, il observa pendant un temps du haut de la berge. Enfin il leva son visage et il aperçut un yacht peint en noir avec un bordage blanc, tout garni de gabiers et de rameurs, tout chargé de gens d’armes, et il reconnut qu’il y avait des boucliers d’or sur les bordages, qu’il y avait un haut éperon d’or à la proue, qu’il y avait une image d’or à sa poupe., et que des escouades de matelots manœuvraient aux agrès ; derrière lui suivaient deux galères, cinq cents flûtes, quarante baris et soixante petits bateaux avec leurs rameurs, si bien que le fleuve était trop étroit pour ce qu’il y avait de vaisseaux, et la berge était trop étroite pour la cavalerie, pour les chariots, pour les machines de guerre, pour les fantassins. Un chef était debout dans le yacht. Zinoufi appela à voix haute et il cria bien fort, disant : O vous gens de la flotte blanche, gens de la flotte verte, gens de la flotte bariolée, qui de vos bateaux aidera la race de Pémou le petit, le fils d’Inarôs ? Accourez vers lui à la lice, car « il est seul dans la bataille. Il n’y a ni calasiris[22], ni piétons, ni cavaliers, ni chars avec lui contre le grand « seigneur d’Amon dans Thèbes. Les gens de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, ils aident le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, leur dieu, qui réside dans la forteresse de Zaouîphrê. Ses frères, ses alliés, ses gens d’armes le soutiennent tous. Sur l’heure que les gens du yacht l’entendirent, un calasiris se leva sur la proue disant : Malheur terrible, celui que nous annoncent tes lèvres, en nous révélant que Pémou et son clan se battent contre le grand seigneur d’Amon dans Thèbes. Zinoufi revint pour porter la nouvelle. Il tourna ses pas vers l’endroit où était Pémou, et il le trouva engagé contre le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes : son cheval avait été tué et gisait à terre. Zinoufi s’écria : Combats, mon dieu Pémou, tes frères, les enfants d’Inarôs, ils accourent vers toi !

Lorsque le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, vit que Zinoufi revenait, il commanda aux gens de Tanis, à ceux de Mendès, à ceux de Tahaît, à ceux de Sébennytos, de redoubler d’efforts contre Pémou[23]. Zinoufi, le jeune écuyer, trouva Pémou le cœur troublé, le visage inondé de larmes, à cause de son cheval, disant : T’ont-ils donc tuée, ma bonne bête ? Quand il entendit Zinoufi, il releva son visage et il aperçut un yacht garni de gabiers et de rameurs, chargé de gens d’armes et de matelots qui chantaient au vent et qui accouraient à la bataille. Il cria d’une voix haute à son petit écuyer Zinoufi : Frère, qui sont ces gens-là ?C’est le clan d’Inarôs, qui «accourt à l’aide de Pémou le petit, le fils d’Inarôs. Pétékhonsou, le frère de Pémou, qui était à leur tête, défia Ankhhorou, le fils de Pharaon : lors, la mêlée générale fut suspendue d’un commun accord et ils s’armèrent pour un combat singulier. Lors un messager ne tarda pas d’aller au lieu où le Pharaon Pétoubastis était pour lui raconter ce qui s’était passé entre Pétékhonsou et Ankhhorou, l’enfant du roi. Lorsque Sa Majesté l’apprit, elle devint furieuse : Qu’est-ce que cette mauvaise action ? voici-t-il pas que malgré mes ordres, Ankhhorou, l’enfant du Pharaon, se bat avec le taureau dangereux des gens de l’Est ! Par Amonrâ, le roi des dieux, mon dieu grand, malheur à l’ost de Pisapdi ! Honte aux gens d’Athribis, à l’ost du nome de Mendès, qui écrasent les bandes de Sébennytos en lutte à propos du clan des hauts personnages, princes, fils du prophète Inarôs ! La bannière du prince Inarôs est abaissée jusqu’à ce que leurs alliés arrivent[24]. Qu’on se prépare pour la lice, « pour le cercle du champ clos. On a répété des mensonges au prince Pétékhonsou, pour qu’il ne joute pas avec Ankhhorou, l’infant royal, mon fils, et qu’il ne lève pas son fanion avant que toutes les bandes n’aient débarqué et qu’on ait érigé les étendards[25] devant Pharaon pour le cercle du champ clos. L’ost des deux sceptres et les gens des deux boucliers[26] se mirent donc en chemin. Quand Pharaon arriva à l’endroit où Pétékhonsou était, il aperçut les pages de Pétékhonsou et Pétékhonsou lui-même qui endossait une cuirasse de fer solide. Pharaon s’avança et dit : N’aie pas le mauvais œil mon enfant, chef des milices, Pétékhonsou ; n’engage pas la guerre, ne combats pas jusqu’à ce que tes frères soient arrivés, ne lève pas ta bannière jusqu’à ce que ton clan soit venu ! Pétékhonsou vit que le Pharaon Pétoubastis se posait la couronne sur la tête : Pétékhonsou le loua et lui adressa la prière usuelle, et il n’engagea pas la bataille ce jour-là. Pharaon fit inscrire sur une stèle de pierre un rescrit en l’honneur du prince Pétékhonsou[27].

Or, tandis que tout cela arrivait, le yacht du grand chef de l’Est, Pakrour, aborda au lac de la Gazelle, et les transports de Pétékhonsou et des gens d’Athribis poussèrent plus au Nord : on assigna un appontement à leurs transports et on attribua un appontement aux transports d’Ankhhorou le fils de Panemka. On attribua un appontement aux transports des gens d’Héliopolis et aux transports des gens de Saïs. On attribua un appontement aux transports de Mînnémêî le prince d’Éléphantine. On attribua un appontement aux transports de Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, et à l’ost de Pimankhi. On attribua un appontement à Pebrekhaf, le fils d’Inarôs, et à l’ost du nome de Sais. On attribua un appontement au yacht du chef Bakloulou, le fils d’Inarôs, et à l’ost du nome de Busiris. On attribua un appontement au yacht d’Ouilouhni, le fils d’Ankhhorou, et à l’ost de Méitoum. On attribua un appontement à Ouohsounefgamoul, fils d’Inarôs. On attribua un appontement au yacht de Pémou le petit, au poing vigoureux, et aux autres fils du prince d’Inarôs, ainsi qu’aux frères du chef des soldats Pétékhonsou, et à ceux du clan du prophète Inarôs. Qui voit l’étang et ses oiseaux, le fleuve et ses poissons, il voit le lac de la Gazelle avec la faction d’Inarôs 1 Ils mugissaient à la façon des taureaux, ils étaient imbus de force comme des lions, ils faisaient rage ainsi que des lionnes. On vint donc l’annoncer à Pharaon disant : Les deux factions sont arrivées ; elles semblent des lions pour leurs cuirasses et des taureaux pour leurs armes. On dressa alors une estrade élevée pour le roi Pétoubastis, et on dressa une autre estrade pour le grand chef de l’Est, Pakrour, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Takhôs, le fils d’Ankhhorou, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ouilouhni, le commandant des soldats de Méitoum, et on en dressa une autre pour le fils royal Anoukhhorou, le fils de Pharaon Pétoubastis, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Psintalês, le fils de Zaouîrânamhaî, le prince du grand cercle de Hanoufi, et on en dressa une autre pour Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhorou, le fils de Harbîsa, le prince du canton de Pilakhîti, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou de Mendès en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhophis, le fils de Phrâmoonî, le prince de Pzoéis, et on en dressa une autre pour Soukhôdtès, le fils de Tafnakhti d’Athribis, en face de celle-là. L’ost des quatre nomes était rangé derrière le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, et l’ost du nome d’Héliopolis derrière Pémou le petit.

Alors Pharaon dit : O grand chef de l’Est, Pakrour, je vois qu’il n’y a personne qui puisse empêcher les deux boucliers de se choquer, nome contre nome et chaque ville contre sa voisine. Le grand chef de l’Est sortit revêtu d’une cotte lamée de bon fer et de bronze coulé, ceint d’une épée de combat en bon fer coulé, et de son poignard à la mode des gens de l’Est, coulé en une seule pièce de sa poignée à sa pointe affilée. Il saisit une lance en bois d’Arabie pour un tiers, en or pour un autre tiers, et dont un tiers était de fer, et il prit à la main un bouclier d’or. Le grand chef de l’Est, Pakrour, se tint au milieu des bandes de l’Égypte, entre les deux sceptres et les deux boucliers, et il interpella à haute voix ses chèvetaines, disant : Sus, toi, chef des milices, Grand seigneur d’Amon dans Thèbes ! C’est à toi qu’il appartient de combattre Pémou, le chef des soldats, le petit, le fils d’Inarôs, avec qui marchent les sept gens d’armes qui étaient dans le camp du fils divin, du prince Inarôs et vous, gens du nome d’Héliopolis placez-vous en face des bandes nombreuses du nome de Mendès. Sus toi, chef des soldats, Pétékhonsou ! C’est à toi qu’il appartient de combattre Ankhhorou, l’infant royal, le fils de Pharaon Pétoubastis Sus, vous Psitoûêris, fils de Pakrour, Phrâmoonî, fils d’Aukhhorou, Pétékhonsou, fils de Bocchoris, et toi, sus, ost de Pisapdi. C’est à vous qu’il appartient de combattre l’ost du nome de Sébennytos. Sus, vous, Phrâmoonî, fils de Zinoufi, et ost de Pimankhî ! C’est à vous qu’il appartient de combattre l’ost du nome de Tanis. Sus toi, Soukhôtés, le fils de Zinoufi, le chef de l’ost du nome d’Athribis ! C’est à toi qu’il appartient de combattre, ainsi qu’à Ankhhorou, le fils de Hârbîsa, le prince de Tiôme, le chef des troupeaux de Sakhmi ! Il les appareilla homme contre homme, et grande était leur prouesse, grande leur ardeur meurtrière !

Or, après cela, il arriva que le grand chef de l’Est, Pakrour, se détourna au milieu de la mêlée, et qu’il aperçut un calasiris de haute taille et de belle mine, qui se tenait debout sur le brancard  d’un chariot neuf et bien décoré. Il était couvert de son armure et de toutes ses armes, et il avait quarante gens d’armes avec lu~, fermes et droits sur leurs quarante chevaux, et quatre mille fantassins marchaient à sa suite, armés de pied en cap, et quatre mille autres soldats étaient derrière lui bien équipés. Il leva la main devant le grand chef de l’Est, Pakrour[28], disant : Sois-moi favorable, ô Baal, grand dieu, mon Dieu ! Qu’as-tu donc que tu ne m’as pas donné une place au combat, afin de me ranger parmi mes frères, les fils du prince Inarôs, mon père. Le prince de l’Est, Pakrour, lui dit : Lequel es-tu des hommes de notre clan ? Le calasiris lui dit : En vérité, mon père, prince de l’Est, Pakrour, je suis MontoubaaI, le fils d’Inarôs, qui avait été envoyé contre le pays de Khoîris[29]. Par ta prouesse, mon père, prince de l’Est, Pakrour, j’étais énervé et je ne pouvais dormir dans ma chambre, quand je songeai un songe. Une chanteuse des paroles divines se tenait près de moi[30] et me disait : Montoubaal, fils d’Inarôs, mon fils, cours autant que tu peux courir ! Ne tarde pas plus longtemps, mais monte en Égypte, car j’irai avec toi au lac de la Gazelle, à cause de la bataille et de la guerre que mènent l’ost de Mendès et le clan de Harnakhouîti, le fils de Smendès, contre tes frères et contre ton clan, à cause de la cuirasse qu’on a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê. O mon père, prince de l’Est, Pakrour, qu’on m’assigne une place dans la lice ; car si on ne me la donne, que deviendrai-je, mon père, prince de l’Est, Pakrour ? Le prince de l’Est, Pakrour, lui dit : Salut à toi, salut à toi, Montoubaal ! Tu arrives avec tes bandes lorsque tout est déjà disposé ; toutefois, puisque tu me demandes un ordre, voici l’ordre que je te donne. Reste sur ton yacht et n’envoie aucun de tes gens à la bataille, car je ne te donnerai pas le signal du combat avant que les bandes des nomes n’attaquent nos vaisseaux : alors ; ne les laisse pas faire rage sur le fleuve ! Montoubaal lui dit : O mon père, prince de l’Est, Pakrour, je resterai sur mon yacht ! Pakrour lui montra le poste où il devait se placer et il monta sur son estrade pour suivre les péripéties de la bataille[31].

Les deux factions se battirent donc depuis la quatrième heure du matin jusqu’à la neuvième heure du soir, sans que les gens d’armes cessassent de frapper l’un sur l’autre. Enfin Ankhhorou ; fils de Harbîsa, le prince de Tiômé, se leva pour délivrer un autre héros des bandes de Sébennytos et ils coururent vers le fleuve. Or, Montoubaal était au fleuve sur son yacht ; il entendit la forte plainte qui s’élevait de l’ost et le hennissement des chevaux, et on lui dit : C’est l’ost du nome de Sébennytos qui fuit devant tes frères. Il dit : Sois avec moi, ô « Baal, le Dieu grand, mon dieu ! Voici, il est déjà la neuvième heure et mon cœur est ému, pour ce que je n’ai pris part à la bataille et à la guerre ! Il endossa sa cotte et il saisit ses aimes de guerre, et il s’élança à l’encontre de l’ost du nome de Sébennytos, des bandes de Mendès et de la forteresse de Zaouîphrê, de Tahaît, des forces du Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes. Il répandit la défaite et le carnage parmi eux, telle Sokhit en son heure de fureur, lorsque sa colère s’enflamme dans les herbes sèches. L’ost se dispersa devant lui, et l’on répandit la défaite sous leurs yeux, le carnage parmi elles ; on ne se lassa pas de semer la mort au milieu d’elles. On le rapporta à Pharaon Pétoubastis et il ouvrit la bouche pour un grand cri, il se jeta à bas de son estrade élevée. Pharaon dit : Grand chef de l’Est, Pakrour, rends-toi parmi les soldats. On m’a rapporté que Montoubaal, le fils d’Inarôs, répand la défaite et le carnage parmi l’ost des quatre nomes. Qu’il cesse d’anéantir mon ost ! Le grand chef de l’Est dit : Plaise Pharaon se rendre avec moi à l’endroit où Montoubaal est ; je ferai qu’il cesse  d’égorger l’ost de l’Égypte ! Pakrour endossa sa cotte, il monta dans une litière avec Pharaon Pétoubastis. Ils rencontrèrent Montoubaal, le fils d’Inarôs, sur le champ de bataille, et le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : Mon  fils Montoubaal, retire-toi de la lice du combat. Est-ce beau de répandre la défaite et la ruine parmi tes frères, l’ost d’Égypte ? Montoubaal dit : Est-ce beau ce que ces gens-là ont fait d’emporter la cuirasse de mon père Inarôs dans la forteresse de Zaouîphrê, par ruse, sans que tu aies fait tout ce qu’il fallait pour qu’ils nous la rendissent ? Le roi dit : Retiens ta main, ô mon fils Montoubaal, et sur l’heure ce que tu as demandé se produira. Je ferai rapporter la cuirasse à Héliopolis au lieu où elle se trouvait auparavant, et la joie marchera devant elle, la jubilation derrière elle ! Montoubaal fit sonner le clairon dans son armée. On se retira hors de la lice et ce fut comme si personne ne s’était battu.

Ils revinrent donc, Pharaon et Pakrour, avec Montoubaal, à la bataille, à l’endroit où Pémou était, et ils le trouvèrent engagé avec le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes. Pémou avait renversé à demi son adversaire sous son bouclier de joncs tressés : il lança un coup de pied, il fit tomber le bouclier à terre et il leva sa main et son épée comme pour tuer. Montoubaal dit : Non, mon frère Pémou, ne pousse pas ta main jusqu’au point de te venger de ces gens-là, car l’homme n’est pas comme un roseau qui, lorsqu’on le coupe, il repousse. Puisque Pakrour, mon père, et Pharaon Pétoubastis ont commandé qu’il n’y ait pas la guerre, qu’on fasse tout ce que Pharaon a dit au sujet de la cuirasse, pour la rapporter à sa place première, et que le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes s’en aille, et qu’il rentre à sa maison. Ils se séparèrent donc l’un de l’autre, mais il arriva ensuite que le chef des troupes, Pétékhonsou, engagea Ankhhorou, l’infant royal, et qu’il lui poussa une botte par manière de plaisanterie. Pétékhonsou sauta derrière lui d’un bond et il administra à Ankhhorou, l’infant royal, une botte plus dure que la pierre, plus brûlante que le feu, plus légère qu’un souffle d’haleine, plus rapide que le vent. Ankhhorou n’en put saisir ni l’exécution, ni la parade : et Pétékhonsou le tint, renversé à demi devant lui, sous son bouclier de joncs tressés ; Pétékhonsou le jeta à terre, il leva son bras, il brandit sa harpé[32], et une plainte forte ainsi qu’une lamentation profonde s’élevèrent parmi l’armée de l’Égypte, au sujet d’Ankhhorou, l’infant royal. La nouvelle n’en demeura pas cachée à l’endroit où était Pharaon, à savoir : Pétékhonsou a renversé Ankhhorou, ton fils, à terre, et il lève son bras et sa harpé sur lui pour l’anéantir. Le roi Pharaon en conçut une grande angoisse. Il dit : Sois-moi pitoyable, Amonrâ, seigneur roi de Diospolis, le dieu grand, mon dieu ! J’ai agi de mon mieux pour empêcher qu’il y eût bataille et guerre, mais on ne m’a pas écouté ! Lorsqu’il eut dit ces choses, il se hâta et il saisit le bras de Pétékhonsou. Le roi dit : Mon fils Pétékhonsou, conserve-lui la vie, détourne ton bras de mon fils, de peur, si tu le tuais, que ne vint l’heure de mes représailles. Votre vengeance, vous l’avez prise, et vous avez vaincu dans votre guerre, et votre bras est fort par toute l’Égypte ! Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : Détourne ton bras d’Ankhhorou, à cause de Pharaon, son père, car il est la vie[33] de celui-ci. II se sépara donc d’Ankhhorou, l’infant royal. Pharaon dit : Par Amonrâ, le roi de Diospolis, le dieu grand, mon Dieu, c’en est fait de l’ost du nome de Mendès, et le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes est à terre, et Pétékhonsou l’a vaincu, ainsi que l’ost des quatre nomes qui étaient les plus pesants de l’Égypte ; il n’y a plus qu’à faire cesser le carnage[34].

Or, tandis qu’il en arrivait ainsi, Mînnemêî s’avança sur le fleuve avec ses quarante sergents d’armes, ses neuf mille Éthiopiens de Méroé, avec ses écuyers de Syène ; avec ses chapelains, avec ses chiens de Khazirou[35], et les gens d’armes du nome de Thèbes marchaient derrière lui, et le fleuve était trop étroit pour les gens des yachts et la berge trop étroite pour la cavalerie. Quand il arriva au lac de la Gazelle, on assigna un appontement au taureau des milices, Mînnemêî, le fils d’Inarôs, le prince de ceux d’Éléphantine, auprès du yacht de Takhôs, le chef des soldats du nome de Mendès, et près de sa galère de combat, et il arriva que la cuirasse du prince Inarôs se trouvait sur cette galère. Mînnemêî s’écria : Par Khnoumou[36], le seigneur d’Éléphantine, le dieu grand, mon Dieu ! Voici donc ce pourquoi je t’ai invoqué, de voir la cuirasse de mon père, l’Osiris Inarôs, afin que je devienne l’instrument de sa reprise ! Mînnemêî endossa sa cotte et ses armes de guerre et l’ost qui était avec lui le suivit. Il alla à la galère de Takhôs, le fils d’Aukhhorou, et il rencontra neuf mille gens d’armes qui gardaient la cuirasse de l’Osiris Inarôs. Mînnemêî se précipita au milieu d’eux. Celui qui se tenait là, prêt au combat, sa place de bataille lui devint un lieu de sommeil ; celui qui se tenait là, prêt à la lutte, il accueillit la lutte à son poste, et celui qui aimait le carnage, il en eut son saoul, car Mînnemêî répandit la défaite et le carnage parmi eux. Ensuite, il installa des sergents d’armes, à bord de la galère de Takhôs, fils d’Ankhhorou, pour empêcher qu’homme au monde y montât. Takhôs résista de son mieux, mais il plia enfin, et Mînnemêî le poursuivit avec ses Éthiopiens et ses chiens de Khazirou. Les enfants d’Inarôs se précipitèrent avec lui et ils saisirent la cuirasse[37].

Après cela, ils apportèrent à Héliopolis la cuirasse de l’Osiris du prince Inarôs et ils la déposèrent à l’endroit où elle était auparavant. Et les enfants, du prince Inarôs se réjouirent grandement, ainsi que l’ost du nome d’Héliopolis, et ils allèrent devant le roi et ils dirent : Notre grand maître, saisis le calame et écris l’histoire de la grande guerre qui fut en Égypte au sujet de la cuirasse de l’Osiris, le prince Inarôs, ainsi que les combats que mena Pémou le petit pour la reconquérir, ce qu’il fit en Égypte, avec les princes et l’ost qui sont dans les nomes et dans les villes, puis fais-la graver sur une stèle de pierre que tu érigeras dans le temple d’Héliopolis. Et le roi Pétoubastis fit ce qu’ils avaient dit.

 

II. — L’EMPRISE DU TRÔNE

Ce second roman nous est parvenu dans un seul manuscrit thébain, qui date de la première moitié du Ier siècle après J.-C., et dont les fragments furent achetés chez un marchand de Gizèh en 1904 par Borchardt et par Rubensohn, en 1905 par Seymour de Ricci. La plus grande partie, celle qui fut acquise par Borchardt et par Rubensohn, passa à l’Université de Strasbourg, où Spiegelberg en découvrit le sujet : elle a été publiée, ainsi que les débris recueillis par Ricci, dans W. Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, nach dem Strassburger Demotischen Papyrus sowie den Wiener und Pariser Bruchstücken, in-4°, Leipzig, 1910, 80 et 102 pages, et 22 planches en phototypie.

Autant qu’il est possible d’en juger actuellement, il contient une version thébaine de la donnée mise en couvre dans le premier roman. La cuirasse y est remplacée par le trône d’Anion ; probablement, ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction, par le trône sacré sur lequel les prêtres posaient l’emblème de forme bizarre qui représentait un des types du dieu à l’époque gréco-romaine. Les personnages mis en scène autour de Pétoubastis sont pour la plupart identiques à ceux de l’autre récit, Pakrour, le prince de l’Est, Pémou fils d’Éierhorérôou-Inarôs, le prince d’Héliopolis, Ankhhorou le fils du Pharaon, et son fils Takhôs, Minnebmêi, le prince d’Eléphantine ; pourtant, ainsi que Spiegelberg le fait observer justement (der Sagenkreis, p. 8), les années avaient passé depuis l’affaire de la cuirasse, et des personnages nouveaux avaient surgi, Pesnouti, le fils de Pakrour, et un jeune prophète d’Horus de Bouto qui n’est nommé nulle part, mais dont les auxiliaires s’appellent d’une manière générale, les Améou. Ce mot, que Spiegelberg traduit littéralement par les Pasteurs et qu’il interprète les Asiatiques, lui fournit la matière d’un rapprochement fort ingénieux avec la légende d’Osarsouph le prêtre d’Héliopolis, le Moïse des traditions juives, et de ses compagnons les Pasteurs ou les Impurs asiatiques : ici toutefois le terme Améou aurait été appliqué d’une manière vague et incorrecte aux Assyriens, les véritables maîtres de l’Égypte au temps où vivaient le Pétoubastis et le Pakrour de l’histoire (der Sagenkreis, p. 8-9). Un passage de notre roman parle de ces gens comme étant originaires du pays des Papyrus, et Spiegelberg, poursuivant son idée, reconnaît là une expression analogue à celle de Mer des Joncs, par laquelle les livres hébreux désignent les lacs Amers de l’isthme de Suez (der Sagenkreis, p. 86, n° 582). Il me semble que cette identification, eu les rejetant au-delà du nome Arabique, le pays de l’Est sur lequel Pakrour régnait, leur assigne une situation trop éloignée de cette ville de Boutô où leur maître, le prêtre d’Horus, exerçait son sacerdoce. Je préférerais appliquer le nom de Pays des Papyrus à ces marais de la côte Nord du Delta, où, depuis Isis et Horus, plusieurs rois de la fable populaire ou de l’histoire s’étaient réfugiés. Ces districts, presque inaccessibles, étaient habités par des pêcheurs et par des bouviers à demi-sauvages, dont la bravoure et la vigueur inspiraient une terreur extrême aux fellahs de la plaine cultivée et à leurs maîtres. J’ai rappelé dans l’Introduction ce qu’étaient les Boucolies : je considère le nom Amé, ou au pluriel Améou, qui signifie en copte le bouvier, comme l’original égyptien du grec Boukolos et de l’arabe Biamou, — le copte Amé avec l’article masculin, — par lequel les chroniqueurs du moyen âge désignent les habitants de ces parages.

Les fragments de Ricci sont si brefs pour la plupart que je n’en ai pas tenu compte. J’ai suivi pour ceux de Strasbourg l’excellente traduction de Spiegelberg, sauf en quelques points de peu d’importance. J’ai rétabli sommairement le début du récit, mais sans essayer d’y trouver une place pour divers incidents auxquels l’auteur faisait allusion dans plusieurs parties de son couvre, notamment pour ceux que rappellent Pétoubastis, Pémou et Pesnoufi et qui inspirent à celui-ci des injures si pittoresques à l’adresse de son suzerain. Comme l’Emprise de la Cuirasse, l’Emprise du Trône est écrite d’un style simple, qui touche parfois à la platitude : l’intérêt romanesque en sera médiocre aux yeux du public lettré, mais les renseignements qu’elle nous apporte sur certains usages religieux ou militaires, et sur plusieurs points d’étiquette chez les Égyptiens de l’époque gréco-romaine, sont assez précieux pour qu’elle mérite d’être étudiée de près par les archéologues.

 

Il y avait une fois, au temps de Pharaon Pétoubastis, un grand-prêtre d’Amon de Thèbes, qui possédait beaucoup de terres, beaucoup de bétail, beaucoup d’esclaves, et il avait dans sa maison un trône d’Amon plus beau que toute chose au monde. Quand il mourut, ses bestiaux, ses esclaves passèrent aux mains de ses enfants, mais Ankhhorou, fils du Pharaon Pétoubastis, s’empara du trône. Or il arriva que le fils aîné du grand-prêtre, qui lui-même était prêtre d’Horus à Boutô, désira l’avoir. Il rassembla ses treize hommes d’armes, qui étaient des bouviers des Boucolies, et il envoya un message au Pharaon, disant : Si ton fils Ankhhorou ne me restitue pas le trône d’Amon qui appartenait à mon père, le grand-prêtre d’Amon, je te ferai la guerre pour le lui enlever. Arrivé que fut le message à Thèbes, Pharaon rassembla les princes, les chefs militaires, les principaux de l’Égypte, et il leur demanda de lui dire ce qu’il convenait faire : ils lui conseillèrent de repousser la demande. Dès que le prêtre d’Horus l’apprit, il s’embarqua avec ses treize hommes d’armes et il remonta le fleuve jusqu’à ce qu’il atteignit Thèbes. Il y arriva tandis qu’on célébrait la grande fête annuelle d’Amon de Karnak, et, tombant à l’improviste sur la foule, il s’empara de la barque sacrée qui portait la statue du dieu Pharaon. Pétoubastis s’irrita grandement et il somma le prêtre d’Horus de rendre la barque, mais le prêtre lui déclara qu’il la garderait tant que le trône ne lui aurait pas été restitué, et, sans doute pour mieux montrer l’importance qu’il attachait à l’objet de sa réclamation, il lui vanta les mérites de la barque et il la lui décrivit partie par partie[38]. Il ajouta ensuite : Et maintenant[39], y a-t-il homme qui ait droit sur le trône plus que moi, le prophète d’Horus de Pal, dans Boutô[40], l’enfant d’Isis dans Khemmis ? C’est à moi qu’appartient ce trône, et certes mon père, certes mon père[41], le premier prophète actuel d’Amon et les « prêtres d’Amon n’ont aucun droit sur lui.

Pharaon regarda le visage du prêtre, il dit : Avez-vous pas entendu ce que le jeune prêtre a dit ? Les prêtres dirent devant Pharaon : Ces paroles mêmes nous ne les avons pas entendues avant ce jour, et des lettres ne nous en sont point parvenues autrefois. Or tandis que le jeune prêtre disait ces paroles, Amon le dieu grand était apparu, écoutant sa voix[42]. Le lecteur[43] dit donc : S’il plaît Pharaon, que Pharaon interroge Amon le dieu grand disant : Est-ce le jeune prêtre celui qui a droit audit trône ? Pharaon dit : C’est équitable ce que tu dis. Pharaon interrogea donc Amon, disant : Est-ce le jeune prêtre, celui qui a droit audit trône ? Amon s’avança donc à pas rapides[44], disant : C’est lui. Pharaon dit : Jeune prêtre, puisque ces choses t’étaient connues en ton cœur, pourquoi n’es-tu pas venu hier afin d’élever ta voix au sujet de ces choses mêmes, avant que j’eusse délivré un bref à leur sujet au premier prophète d’Amon ? car j’aurais obligé Ankhhorou, le fils royal, à te laisser le trône lui-même. Le jeune prêtre dit devant Pharaon : Mon seigneur grand, j’étais venu devant Pharaon, mon seigneur grand, pour en parler avec les prêtres d’Amon[45]. Car Amon, le dieu grand, étant celui qui trouva les choses pour Horus avant que celui-ci eût vengé son père Osiris, je suis venu pour recevoir le charme de la couronne d’Amon le dieu grand, celui-là même qu’il fit lorsque fut envoyé Horus, fils d’Isis, fils d’Osiris, au Saïd pour venger son père Osiris, je me suis entretenu avec lui à cause de la vengeance qu’Horus avait exercée [avec son aide.] Takhôs, le fils d’Ankhhorou, dit : Puis donc que tu t’es entretenu avec lui hier, ne reviens pas aujourd’hui et ne tiens pas des discours mauvais. Ankhhorou, le fils royal, on l’a armé par-devant le diadème d’Amon, le dieu grand, il est revenu au Saïd et on l’a calmé comme au jour où il est arrivé à Thèbes[46]. Le jeune prêtre dit : Tais-moi ta bouche, Takhôs, fils d’Ankhhorou, et lorsqu’on t’interrogera sur ces choses de chef des milices qui te regardent, occupe-t’en. Les trônes du temple, où les as-tu mis ? Par la vie d’Horus de Paî dans Boutô, mon dieu, Amon ne reviendra point à Thèbes, en la façon ordinaire, jusqu’à ce qu’Ankhhorou, le fils royal, m’ait donné le trône qui est entre ses mains ! Ankhhorou, le fils royal, lui dit : Es-tu venu prendre ledit trône par action en justice, ou es-tu venu le prendre par la bataille ? Le jeune prêtre dit : Si on écoute ma voix, je consens à ce qu’on décide de lui par action en justice ; si on n’écoute pas ma voix, je consens qu’on décide de lui par bataille[47].

L’instant qu’il parla ainsi, Ankhhorou, le fils royal, s’emporta comme la mer, ses yeux lancèrent une flamme de feu, son cœur s’obscurcit de poussière comme la montagne d’Orient[48], il dit : Par la vie d’Amonrâ, maître de Sébennytos, mon dieu, le trône que tu réclames tu ne l’auras pas ; je le renverrai au premier prophète d’Amon, à qui il appartenait au début. Ankhhorou, le fils royal, tourna son visage vers le dais[49], il jeta à terre les vêtements de fin lin qu’il avait sur lui, ainsi que les ornements d’or dont il était paré, il se fit apporter son harnois, il alla chercher les talismans de la lice[50], il se rendit au parvis d’Amon. Lorsque le jeune prêtre eut tourné son visage vers le dais, voici il y eut un page en face de lui, qui était caché dans la foule, et qui avait une cuirasse de beau travail entre les mains ; le jeune prêtre s’approcha de lui et lui prit la cuirasse des mains, il l’endossa, il se rendit au parvis d’Amon, il marcha à l’encontre d’Ankhhorou, le fils royal, il le frappa, il se battit avec lui. Alors Takhôs, fils d’Ankhhorou, ouvrit sa bouche en protestation et les gens de bataille s’indignèrent contre l’ont, disant : Allez-vous rester là auprès d’Amon, tandis qu’un bouvier se bat avec le fils de Pharaon, sans que vous mettiez vos armes avec celui-ci ? L’ost d’Égypte se précipita de toute part, ceux de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, l’ost des quatre nomes pesants de l’Égypte[51], ils vinrent, ils se rendirent à la lice pour se joindre à Ankhhorou, le fils royal. [De leur côté,] les treize bouviers des Boucolies[52] tombèrent sur l’ost, serrés dans leur harnois, le haume à face de taureau sur la tête[53], le bouclier au bras, la harpé à la main ; ils se rangèrent à la gauche et à la droite du jeune prêtre, et leur voix retentit disant : Recevez notre serment que nous prêtons devant Amon le dieu grand, ici présent aujourd’hui ! Aucun d’entre vous ne fera entendre au prophète d’Horus de Pou dans Boutô une parole qui lui déplaise, sans que nous abreuvions la terre de son sang ! L’éclat de la force du prêtre, la crainte qu’on avait des treize bouviers pour Pharaon -fut telle dans l’ost que personne au monde ne se décida à parler. Le jeune prêtre se leva contre Ankhhoron, le fils royal, comme fait un lion contre un onagre, comme fait une nourrice contre son gars quand il est méchant, il le saisit par dessous sa cuirasse, il le jeta à terre, il le lia solidement, il le poussa sur le chemin devant lui. Les treize bouviers se, mirent en route derrière lui, et personne au monde ne les attaqua, tant était grande la crainte qu’ils imposaient. Ils se dirigèrent vers la barque d’Amon, ils montèrent à bord, ils déposèrent leur harnois, ils poussèrent Ankhhorou, le fils royal, dans la cale de la barque d’Amon, lié avec une courroie de Gattani[54], et ils baissèrent la trappe sur lui. Les gabiers et les rameurs descendirent sur là berge : ils posèrent leur bouclier à côté d’eux, ils se lavèrent pour une fête, ils apportèrent le pain, la viande, le vin qu’ils avaient à bord, ils le posèrent devant eux, ils burent, ils firent un jour heureux.

Or, tandis qu’ils tournaient leur visage vers la berge, dans la direction des diadèmes d’Amon, le dieu grand, qu’ils se purifiaient par le sel et par l’encens devant lui, Pharaon ouvrit sa bouche pour un grand cri, disant : Par Amon, le dieu grand, le deuil pour Pémou est parti, et la lamentation pour Pesnoufi a cessé[55] : plus de deuil ! Mon cœur est maintenant tout préoccupé de ces bouviers, qui sont venus à fiord de la barque d’Amon serrés dans leur harnois, et qui ont fait d’elle leur salle de festin. Tachôs, le fils d’Ankhhorou, dit : Mon seigneur grand, Amon, le dieu grand, s’est montré ; que Pharaon le consulte disant : Est-ce ton ordre excellent, que je fasse armer l’ost de l’Égypte contre ces Bouviers, pour qu’il délivre Arikhhorou de leurs mains ! Pharaon consulta donc les diadèmes d’Amon, disant : Est-ce ton ordre excellent que je fasse armer l’ost de l’Égypte pour qu’il combatte contre ces bouviers ? Amon fit le geste du refus, disant : Non. Pharaon dit : Est-ce ton ordre excellent, que je fasse amener une chaise à porteurs où te poser, et que je te recouvre d’un voile de byssus, afin que tu sois avec nous, jusqu’à ce que l’affaire cesse entre nous et ces bouviers ? Amon s’avança à pas rapides[56], et il dit : Qu’on l’amène ! Pharaon fit donc amener une chaise à porteurs, il y posa Amon, il le recouvrit d’un voile de byssus.

Et puis après, Pharaon Pétoubastis se tint avec l’armée à la région occidentale du Saïd en face de Thèbes, et Amon le dieu grand reposa sous une tente de byssus, tandis que l’ost de l’Égypte endossa son harnois et que les treize bouviers restaient à bord de la barque d’Amon, gardant Ankhhorou, le fils royal, enchaîné dans la cale de la barque d’Amon, parce qu’ils n’avaient point la crainte de Pharaon non plus que des diadèmes dans leurs cœurs. Pharaon leva son visage, et il les aperçut sur la barque d’Amon ; Pharaon dit à Pakrour, fils de Pesnoufi : Qu’en est-il de nous au sujet de ces bouviers qui sont à bord de la barque d’Amont et qui suscitent la révolte et la bataille devant Amon, au sujet du trône qui revenait au premier Prophète d’Horus et qui appartient maintenant à Ankhhorou, le fils royal ? Va dire au jeune prêtre : Sus, arme-toi, revêts un vêtement de byssus, entre par-devant les talismans d’Amon, et deviens le « premier prophète à la face d’Amon, quand il vient à Thèbes. Pakrour ne tarda pas d’aller se placer en avant de la barque d’Amon, et quand il fut en présence des bouviers, il leur dit toutes les paroles que Pharaon lui avait dites. Le jeune prêtre dit : Par Horus ! J’ai fait prisonnier Ankhhorou le fils royal, et tu viens me parler au nom de son père[57]. Va et porte ma réponse à Pharaon, disant : N’as-tu pas dit : Sus, à la berge, mets du byssus, et que ta main s’écarte des armes de guerre, ou bien je tournerai contre toi l’ost de l’Égypte, et je ferai qu’il t’inflige une injure très grande, très grande ! Si Pharaon veut m’adjuger le trône, que l’on m’apporte aussi le voile de byssus avec les talismans d’or ici sur la barque d’Amon : alors je m’approcherai d’eux et je déposerai mon harnois de combat. Donc fais-moi apporter à bord des diadèmes d’Amon : je prendrai la gaffé de la barque[58] et je conduirai Amon à Thèbes, étant seul à bord avec lui et les treize bouviers, car je n’ai laissé homme du monde monter à bord avec nous. Pakrour alla à l’endroit où Pharaon était, et il lui conta les paroles que le jeune prêtre lui avait dites. Pharaon lui dit : Vie d’Amon ! Pour ce qu’il en est de ce que le jeune prêtre dit, disant : J’ai pris Ankhhorou, le fils royal, ton fils, donc qu’on me donne les diadèmes d’Amon, je les prends à bord, et le lendemain je pars pour le Nord avec eux et je les porte à Bouta, ma ville ! Que si c’était de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, que le jeune prêtre m’avait demandés, je les lui aurais fait donner ; mais je ne lui donnerai pas les diadèmes pour qu’il les porte à Boutô, sa ville, et qu’il fasse un grand concert dans Thèbes[59].

Et puis après, vint le général, le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, au sud de Thèbes, pour honorer Montourâ, et quand les cérémonies furent terminées en présence de Pharaon[60], le général, grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, se leva devant lui et dit : Mon maître grand, les talismans sont sur moi à leur intention, et grâce à cela, les bouviers, je vais captiver ton cœur par ce qu’il va leur arriver. Ils ne pénétreront pas jusqu’ici à cause de l’héritage du prophète d’Amon, mais s’ils veulent qu’il y ait bataille entre eux et Pharaon, je la livrerai. Il endossa son harnois, il s’alla mettre en avant de la barque d’Amon, il s’adressa au jeune prêtre, disant : Songes-tu bien aux actes coupables qui se sont accomplis et par toi et par tes gens qui sont montés à bord de la barque d’Amon, vous qui avez endossé votre harnois et avez permis que la barque d’Amon fût au prêtre d’un autre dieu. Si vous êtes venus ici au sujet de l’héritage du prêtre d’Amon, descendez à terre et prenez-le ; toi, si tu viens ici en goût de bataille, descends à terre et je t’en servirai ton saoul. Le jeune prêtre lui dit : Je te connais, général, grand Seigneur d’Amon dans Thèbes ; tu es un homme du grand pays du Nord autant que nous, et ton nom nous est arrivé bien souvent pour les longs discours que tu as tenus. Je vais faire descendre un des bouviers à terre avec toi, afin que tu passes une heure à causer avec lui[61]. Le jeune prêtre jeta un regard sur les treize bouviers qui étaient à bord avec lui, il se leva, il endossa son harnois, il descendit à la berge, il rencontra le général, grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, il se leva contre lui comme fait une nourrice contre son gars lorsqu’il est méchant, il se rua sur le chef des milices, le grand Seigneur de Thèbes, il le saisit sous sa cuirasse, il le jeta à terre, il le lia, il le remit sur ses pieds, il le conduisit à bord de la barque d’Amon, il le poussa dans la cale où était déjà Ankhhorou, le fils royal, il baissa la trappe sur lui, il posa son harnois, afin de se laver pour la fête avec les prêtres ses compagnons. L’équipage alla verser la libation de vin ; on but et on célébra une fête en présence d’Amon, sous les yeux de Pharaon et sous les regards de l’ost d’Égypte.

Alors Pharaon ouvrit sa bouche pour un grand cri, et il dit : Lorsque je cinglai vers le sud, la galée d’Ankhhorou, le fils royal, naviguait en tête de la flotte que montait Pharaon avec l’ost d’Égypte, un bouclier d’or arboré au haut de son mât, car, disait-il, je suis le premier bouclier de l’Égypte ; et la grande galée du grand Seigneur d’Amon de Thèbes naviguait à l’arrière de la flotte de Pharaon, car, disait-il, je suis le grand vaisseau de l’Égypte. Et maintenant, un jeune bouvier est venu au Sud qui a pris le premier bouclier de l’Égypte et le grand vaisseau de l’Égypte ; il fait trembler l’Egypte à l’égal d’un navire désemparé que nul pilote ne gouverne, et il est plus fort que tous ces gens-ci, si bien qu’Amon, le dieu grand qui est à l’Ouest du Saïd en face de Karnak, on ne lui a point permis de revenir à Karnak. Takhôs dit : Prends-y garde, mon maître grand, si l’ost d’Égypte ne s’arme point contre ces bouviers, ceux-ci demeureront dans l’état où ils sont maintenant, Qu’on convoque les hommes de Pharaon contre eux. Pakrour s’adressa à Takhôs, disant : Est-ce pas démence ce que tu fais, et n’ont-ils pas succombé ceux qui provoquèrent les bouviers qui ont pris Ankhhorou, le fils royal, et le général, le Seigneur grand d’Amon de Thèbes ? L’ost ne pourra pas reprendre seulement l’un d’eux. Ce que tu as dit, disant : Que l’ost d’Égypte s’arme contre eux !, cela ne produira-t-il pas que les bouviers y fassent un grand carnage ? Et puisqu’Amon, le dieu grand, est ici avec nous, est-il jamais arrivé que nous entreprissions quoi que ce fût au monde sans le consulter ? Que Pharaon le consulte, et s’il nous dit : Bataille ! nous nous battrons ; mais si c’est autre chose qu’il nous commande, nous agirons en conséquence. Pharaon dit : Ils sont bons les avis qui nous viennent du prince de l’Est, Pakrour.

Quand Pharaon eut ordonné qu’on fît paraître Amon, Pharaon vint à l’encontre de lui. Oraisons et prières qu’il fit, disant : Mon Seigneur grand, Anion, dieu grand, est-ce ton ordre excellent que je fasse armer l’ost de l’Égypte contre ces bouviers, pour qu’il leur livre bataille ? Amon fit le geste du refus, disant : Non ! Pharaon dit : Mon seigneur grand, Amon, dieu grand, est-ce ton ordre excellent que, si j’abandonne le trône qui était dans l’héritage du prophète d’Amon au jeune prêtre, celui-ci rendra la liberté à Ankhhorou, le fils royal, et au Seigneur grand d’Amon, de Thèbes ? Amon fit le geste du refus, disant : Non. Pharaon dit : « Mon seigneur grand, Amon, dieu grand, ces bouviers, arracheront-ils l’Égypte de mes mains, dans l’état où ils sont ? Amon fit le geste du refus, disant : Non ! Pharaon dit : Mon maître grand, me donneras-tu la victoire sur ces bouviers, pour qu’ils abandonnent la barque d’Amon ? Amon s’avança à pas rapides[62], et voici qu’il dit : Oui ! Pharaon dit devant Amon, le dieu grand, le nom des chévetaines, des généraux de l’ost, des princes, des commandants des chars, des supérieurs des milices, des capitaines des milices, des chefs de l’arrière-ban des hommes de l’Égypte, et Amon, le dieu grand, n’approuva aucun d’entre eux, Amon approuva seulement le prince Pesnoufi, et le capitaine des milices Pémou, disant : Ce sont ceux-là que je prends pour chasser les bouviers aux mains de qui est la barque d’Amon ; ce sont eux qui délivreront Ankhhorou, le fils royal, et le général, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes ; ce sont eux qui mèneront à la bataille les jeunes troupes de Thèbes. Quand Pharaon eut fait désigner par Amon les chefs de l’emprise, Pharaon jeta un regard à Pakrour, le chef de l’Est, il lui parla et il posa devant Amon les questions qu’il posa. Le chef de l’Est dit : S’il plaît Pharaon, qu’on dépêche quelqu’un aux jeunes troupes de Thèbes, qui doivent venir au Midi, et alors ils feront tout ce que Pharaon leur aura commandé. Pharaon dit : Amon m’en garde ! Si je leur dépêche n’importe qui vers le Sud, ils ne viendront pas à cause de l’affront que je leur fis, quand je vins au Sud à Thèbes et que je ne les invitai pas à la fête d’Amon, le dieu grand, mon père[63]. Chef de l’Est, Pakrour, c’est à toi qu’il revient de leur dépêcher un message, au cas où quelqu’un doit leur dépêcher un message, mais ils ne viendront pas au Sud pour moi. Le chef de l’Est, Pakrour, dit : Mon seigneur grand, ils sont grands les affronts que tu as infligés aux jeunes troupes ; une fois après l’autre, tu n’as pas songé, aux hommes de guerre, jusqu’à ce que tu les as eu réjouis de ton malheur. Pharaon dit : Amon, le dieu grand, me garde ! Ce n’est pas moi qui leur ai fait affront, mais ne sont-ce pas les mauvaises intrigues de Takhôs, le fils d’Ankhhorou ? C’est lui qui me les a fait laisser, si bien que je ne les ai pas amenés avec moi, car il disait : On ne doit pas répandre la lutte et les querelles parmi l’ost d’Égypte[64]. Et puis après, celui qui tend ses filets, ils l’enveloppent, celui qui creuse une fosse perfide, il y tombe, celui qui affile une épée, elle le frappe au cou. Voici maintenant que les frères d’armes de Takhôs, le fils d’Ankhhorou, sont dans les chaînes des bouviers, sans qu’il se soit trouvé un homme qui combatte pour eux. Et puis après, ne dispute pas sur les mots[65], mais agis.

Le chef de l’Est, Pakrour, dépêcha un message aux jeunes- braves, disant : Viens au Sud pour ta gloire et ta puissance, car on les réclame dans l’ost de l’Égypte ! Le chef de l’Est, Pakrour, dit : Qu’on m’appelle Higa, le fils de Mînnebmêî, mon scribe. On courut, on revint et on le lui amena sur l’instant, et le chef de l’Est ; Pakrour, lui dit : Fais une lettre, et qu’on tic la porte à Pisapdi[66], à l’endroit où est le prince Pesnoufi. En voici la copie : Le chef de l’Est, Pakrour, fils de Pesnoufi, père des taureaux de l’Égypte, le bon pasteur des Calasiris[67], salue le prince Pesnoufi, son fils, le taureau vigoureux de ceux de Pisapdi ; le lion de ceux de l’Est, le mur d’airain que m’ont donné Isis, le pieu de fer de la dame de Tasonout, la belle barque de l’Égypte dans laquelle l’ost de l’Égypte a mis son cœur. S’il te plaît, mon fils Pesnoufi, quand cette lettre te parviendra, si tu manges, mets le pain à terre, si tu bois, dépose la cruche enivrante, viens, viens, accours, accours, et qu’on s’embarque avec tes frères d’armes, tes cinquante-six hommes de l’Est, ton frère d’armes Pémou, le fils d’Inarôs, avec sa barque neuve l’Étoile[68] et ses quatre chapelains. Viens au Sud de Thèbes au sujet de certains bouviers des Boucolies, qui sont ici à Thèbes, combattant chaque jour avec Pharaon. Ils ne le laissent point passer vers Amon ni vers Karnak ; Amon demeure exilé à l’Ouest de Thèbes sous un voile de byssus, et l’ost d’Egypte tremble devant son éclat et sa « rosée ! Ankhhorou, le fils royal, le fils de Pharaon Pétoubastis, et le général, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, sont prisonniers des bouviers ; ils sont à bord de la barque d’Amon. Sus au Sud, livre bataille, et que l’ost de l’Égypte apprenne à connaître la crainte et l’effroi que tu inspires. On ferma la lettre, on la scella au sceau du chef de l’Est Pakrour, on la remit aux mains d’Hakôris, et celui-ci courut vers le Nord de nuit comme de jour. Après quelques jours, il arriva à Pisapdi, il ne tarda pas d’aller à l’endroit où était Pesnoufi, il lui donna la lettre. Celui-ci la lut, il entendit chaque mot qu’elle contenait, il gronda comme la mer, il bouillit comme la résine [qui brûle], il dit : Ce pêcheur d’anguilles de Tanis, cette trappe cachée dans les roseaux de Boutô, Pétoubastis, fils d’Ankhhorou, que je n’ai jamais appelé Pharaon, quand il me rend des honneurs, c’est qu’il a besoin de moi contre l’affront qu’on lui fait ; mais quand il s’en va célébrer la fête de son dieu sans qu’il y ait guerre et bataille contre lui, il ne me dépêche pas de message. Je jure ici, voici ce que je ferai au nom de Sapti, le chef de l’Est, mon dieu. Puisque le chef de l’Est, Pakrour, mon père, m’a écrit dans cette lettre disant : Amon, le dieu grand dans la partie Ouest du Saïd qui est en face de Karnak, si on ne l’a pas laissé revenir à Thèbes, c’est qu’on né veut pas se battre pour les enfants de Tahouris, la fille de Patenfi[69]. Et puis après, ni moi, ni mes frères d’armes, les cinquante-six hommes de l’Est, nous ne voulons plus connaître l’injure qu’Amon m’a faite. Nos huit chapelains se sont embarqués et ils ont endossé leur harnois, pour se rendre au sud de Thèbes. Pars, chien courant de Sapdi, serviteur du trône[70], ne tarde pas, à Héliopolis ! Parle à Pémou, le fils d’Inarôs, disant : Endosse ton harnois, aune ton navire neuf de cèdre, et tes quatre chapelains ; je te donne rendez-vous à toi et à ton équipage à Pinebôthès, le port d’Héliopolis[71]. Le serviteur du trône, il ne tarda pas de se rendre à Héliopolis : il se tint devant Pémou, et il lui récita tout ce dont Pesnoufi lui avait dit : Fais-le ! Pesnoufi endossa son harnois avec ses cinquante-six hommes de l’Est et ses huit chapelains : il s’embarqua, il ne tarda pas de se rendre à Pinebôthès, et il y rencontra Pémou qui y était sur sa galée, avec son navire neuf nommé l’Étoile et ses quatre chapelains, et ils cinglèrent vers le sud le Thèbes.

Et puis après, comme Pharaon Pétoubastis était avec l’armée à la rive occidentale du Saïd, en face de Thèbes, et que l’ost d’Égypte se tenait tout armé, Pharaon monta sur la barque d’Amon, regardant du côté opposé à celui par où devaient venir Pesnoufi et Pémou, le fils d’Inarôs. Au bout d’une heure Pharaon aperçut une galée neuve de cèdre qui descendait le courant. Quand elle eut abordé au quai d’Amon de Thèbes, un homme d’armes s’y précipita, cuirasse au dos, qui se fit passer à la rive Ouest du Saïd et qui aborda au sud du navire de Pharaon. L’homme descendit à la rive, armé de pied en cap, semblable à un taureau cornu, il se rendit à grands pas en amont de la barque d’Amon, sans aller jusqu’à l’endroit où Pharaon était, et il parla en face de l’ost, disant : Oh ! donne le bon Génie[72] la vie à Pharaon ! Je sais le crime que vous avez commis en abordant la barque d’Amon, la cuirasse au dos, et en le livrant à un prêtre autre que le sien ! Le prophète d’Horus de Pal lui dit : Qui es-tu, toi qui parles ainsi ? Es-tu un homme de Tanis, ou bien es-tu un homme de Mendès ? L’homme d’armes lui dit : Je ne suis pas né en cette terre du Nord dont tu parles. Je suis Mînnebmêî, le fils d’Inarôs, le grand prince d’Éléphantine, le chef du sud de l’Égypte. Le bouvier[73] lui dit : Puisque tu n’es pas un homme de la terre du Nord, pourquoi Pharaon t’a-t-il remis la charge de la barque d’Amon ? Allons, viens à bord avec nous, pour faire un jour heureux devant Amon, et ce qu’il en adviendra de nous en adviendra aussi de toi. Et puis après, Mînnebmêî lui dit : Me garde Khnoumou le grand, le seigneur d’Éléphantine, vous ne pouvez racheter le crime que vous avez commis ! Si je me permettais de m’embarquer et de passer un jour heureux avec vous, ce serait une déclaration de guerre à l’égard de Pharaon. Or ce que je dis, je vous le fais : laissez le chemin à Amon, pour qu’il passe à Thèbes, sinon, ce que vous ferez, je vous le ferai faire par force, malgré votre répugnance. Un des treize bouviers se leva et dit : Je viens à toi, nègre, Éthiopien, mangeur de gommes[74], homme d’Eléphantine ! Il endossa son harnois, il courut à la berge, il frappa, il se battit avec Mînnebmêî en amont de la barque d’Amon, du moment de la première heure du matin jusqu’au moment de la huitième heure du jour, sous les yeux de Pharaon et sous les regarda de l’ost de l’Égypte, chacun d’eux montrant à l’autre sa connaissance des armes, sans que l’un d’eux pût triompher de l’autre. Pharaon dit au chef de l’Est, Pakrour, et à Takhôs, le fils d’Ankhhorou : Vie d’Amon ! Voilà un combat qui dure dans la lice, mais après, je ne sais pas trop si notre chance se maintiendra[75] jusqu’au moment de la dixième heure du soir ! Le bouvier parla à Mînnebmêî, disant : Aujourd’hui nous nous sommes battus, cessons la lutte et la bataille entre nous, abattons chacun notre fanion[76] : celui qui ne reviendra pas ici sera honni ! Mînnebmêî donna assentiment aux paroles que celui-là avait dites : ils abattirent chacun son fanion, ils sortirent de la lice, et le bouvier s’en alla à bord de la barque d’Amon.

Et puis après, lorsque Mînnebmêî revint à bord de sa galée, Pharaon se porta à sa rencontre avec le chef de l’Est Pakrour, et avec Takhôs, le fils d’Ankhhorou. Ils lui dirent : Est-ce qu’un homme se rend à la lice et en sort, sans aller ensuite à l’endroit où est Pharaon, pour que lui soit donné le prix de son combat ? Le Calasiris se rendit à l’endroit où Pharaon était, il ôta son casque de sa tête, il se courba à terre, il prononça le salut, puis il baisa le sol[77]. Pharaon l’aperçut, et quand il l’eut reconnu, il se rendit à l’endroit où celui-là était, il le serra dans ses bras, il lui posa la bouche sur la bouche, il le baisa longuement à la façon dont un homme salue sa fiancée[78]. Pharaon lui dit : Salut à toi, salut à toi, Mînnebmêî, fils d’Inarôs, chef du sud de l’Égypte. C’était bien ce que j’avais demandé à Amon, le dieu grand, qu’il m’accordât de te voir sans dommage à ta force excellente et à ta santé[79]. Vie d’Amon, le dieu grand, depuis l’heure que je t’ai vu dans la lice, je dis : Nul homme ne livrera bataille pour moi, si ce n’est un taureau, fils d’un taureau, et un lion, fils de lion, comme moi ! Pakrour, le fils de Pesnoufi, et Takhôs, le fils d’Ankhhor, et les premiers de l’Égypte, saisirent sa main et ils lui adressèrent la parole, et Pharaon se rendit avec lui sous les draperies de sa tente. Et puis après, Mînnebmêî monta sur sa galée, et Pharaon lui fit donner des parfums et des provisions à plentée, et les grands de l’Égypte le comblèrent de cadeaux. Mînnebmêî combattit encore trois jours. Accomplis les trois jours de combat en champ clos, pendant lesquels il alla se battre avec le bouvier, et il en sortit sain et sauf sans qu’on pût rien lui faire, l’ost de l’Égypte s’entretenait disant : Il n’y a clan de gens d’armes en Égypte qui égale le clan de l’Osiris roi Inarôs, car Ankhhôrou, le fils royal, et le général, Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, ils n’ont pu tenir un seul jour de bataille contre ces bouviers, tandis que, trois jours durant, Mînnebmêî s’est rendu constamment dans-la lice, sans que personne lui pût rien faire.

Or tandis qu’il en était ainsi, Pesnoufi et Pémou arrivèrent au Sud ; ils abordèrent avec leurs galées au sud du vaisseau de Pharaon, ils volèrent à la berge, cuirasse au dos. Quand on l’eut annoncé à Pharaon et au chef de l’Est, Pakrour ; ainsi qu’à Takhôs, fils d’Ankhhorou, Pharaon se porta à leur rencontre avec ceux-ci, et il saisit la main du prince Pesnoufi...

 

Après quelques lignes trop mutilées pour que j’essaie de les traduire, le manuscrit s’interrompt, sans qu’il nous soit possible de dire combien de pages il comptait encore. On devine toutefois qu’à partir du moment où Pesnoufi et Pémou arrivaient, la chance tournait en faveur de Pétoubastis : les treize bouviers périssaient ou étaient faits prisonniers ainsi que leur chef, la barque d’Amon retombait aux mains du sacerdoce thébain, et le trône d’Amon, objet de la querelle, demeurait acquis au prince Ankhhorou[80].

 

 

 



[1] Ce nom n’est pas de lecture certaine, bien qu’il revienne souvent dans le texte. Il se traduirait la ville des deux jumeaux du Soleil, Shou et Tafaït, et il désigne une place située au nome mendésien, dans une île.

[2] Sakhmi est le nom de l’ancienne ville de Latopolis aujourd’hui Oussim, à quelque distance au Nord-Ouest du Caire.

[3] Pour la lecture Inarôs du nom égyptien, voir ce qui est dit plus haut, le cycle de Satni-Khâmoîs, l'Aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies.

[4] Cette expression, la leçon du soldat, qui se rencontre plusieurs fois dans le texte, parait désigner l’habileté au métier militaire, soit au maniement des armes, à l’escrime, soit à la conduite des troupes, à la stratégie. Ailleurs, faire la leçon du soldat, signifie se battre dans les règles ou simplement se battre, pousser une botte.

[5] Cette phrase correspond à quinze lignes de texte, trop mutilées pour que j’en puisse tenter la restitution.

[6] Pémou, comprenant que Pharaon a des intentions pacifiques, s’en indigne et il demande que la querelle soit vidée par les armes.

[7] Le nom Souânou est celui que portait Assouan dans l’antiquité, mais il s’applique ici à une ville du Delta, et Spiegelberg, l’identifiant avec le nom biblique Sin (Ézéchiel, XXX, 15), conjecture qu’il désigne Péluse. Les Égyptiens de l’âge pharaonique disaient, pour exprimer la même idée, d’Éléphantine à Nathô : peut-être Souânou, qui remplace Nathô, doit-elle être cherchée plutôt dans les mêmes parages que celle-ci.

[8] Sur les lecteurs, voir ce qui est dit plus haut, dans Le Roi Khoufouî et les Magiciens.

[9] Ce passage semble montrer qu’à Busiris-Mendès les princes étaient enterrés en pleine ville, dans le temple d’Osiris ; de même, à Saïs (Hérodote, II, CLXIX), on les ensevelissait dans le temple de Néith. Il devait en être ainsi dans tout le Delta, l’éloignement des deux chaînes de montagne ne permettant pas qu’on établit les cimetières sur la lisière du désert, comme c’était le cas dans la vallée.

[10] Soupditi, nommé ailleurs Soupdou (cf. Les Mémoires de Sinouhît), le dieu de l’Est, est le dieu de Pakrour. Il est représenté d’ordinaire sous la forme d’un épervier accroupi et coiffé de deux plumes.

[11] Voir, ce qui est dit plus haut, Le cycle de Satni-Khâmoîs, l'Histoire véridique de Satni-Khâmoîs et de son fils Sénosiris ; c’est la haine contre Thèbes qui vaut au grand seigneur d’Amon cette insulte.

[12] Le roi avait défendu plus haut que l’on songeât à se battre de son temps.

[13] Comme l’a vu Krall (der Demotische Roman, p. 14), la couleur mauvaise, c’est la couleur de la mort, la teinte livide qui se répand sur le corps lorsque la vie s’est éteinte.

[14] Pakrour, entrant dans les bonnes intentions de Pharaon et voulant pourtant donner satisfaction à Pémou, propose un duel entre les deux écussons, c’est-à-dire entre les deux factions rivales représentées chacune par les armoiries du nome d’où leur chef était originaire : de la sorte on évitera que la guerre civile se répande sur l’Égypte entière. La suite du récit prouve que cette proposition n’est pas, acceptée : un combat en champ clos est décidé, qui mettra aux prises les forces de tout le pays.

[15] Ce membre de phrase représente deux lignes de texte qui sont trop mutilées pour qu’on puisse les traduire. Les dix lignes suivantes sont un peu mieux conservées ; toutefois Spiegelberg n’en a qu’imparfaitement restitué le contexte (der Sagenhreis des Königs Petubastis, p. 52-53), et je ne suis pas sûr d’en avoir rétabli le sens correctement.

[16] Le texte emploie pour désigner cette localité une expression un peu longue, le lac de la Gazelle, qui est le bi-kéh de la ville de la déesse Ouotît, la dame de la ville d’Amît, peut-être Tell-Mokdam de nos jours, qui est le Didou du l’Hathor de Mafkît, une petite ville située dans le XIXe nome du Delta (cf. Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 52, note 2). Pour éviter les longueurs, je traduirai partout le lac de la Gazelle, en supprimant les épithètes.

[17] Il semble qu’ici le scribe ait passé une ligne. Je rétablis la formule dans son intégrité d’après ce qu’on a lu plus haut.

[18] Peut-être cette ville est-elle identique à celle de même nom qui est mentionnée sur une stèle des carrières de Masara (Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 54, note 10).

[19] Le texte décrivait ici, en vingt-sept lignes la forme, l’étoffe, le métal, le décor de chaque pièce de l’armure ; par malheur il est fort mutilé et le détail n’en peut pas être rétabli. J’ai dû me contenter d’en indiquer le sens général.

[20] Ici encore le texte est trop mutilé pour qu’on puisse le rendre en entier ; j’ai dû resserrer en quelques mots le contenu probable d’environ dix-huit lignes.

[21] Litt. : Zinoufi trouva [ses jambes].

[22] C’est le nom qu’Hérodote (II, CLXIV-CLXVI) donnait à l’une des classes parmi lesquelles l’armée se recrutait.

[23] Une fois de plus je suis obligé de condenser en quelques mots le sens de plusieurs lignes, douze environ, qui sont à moitié détruites.

[24] J’ai résumé dans cette seule phrase tout un long passage mutilé de quarante-sept lignes qui contenait le défi de Pétékhonsou, la réponse d’Ankhhorou, les préparatifs du combat, et le début du discours de Pharaon ; j’ai essayé de rendre le sens général du morceau plutôt que d’en donner la teneur exacte.

[25] Il semble qu’au moment d’engager le combat, deux troupes ou deux individus plantaient en terre, à chaque extrémité de la lice ou du champ de bataille, un fanion à côté duquel ils se retiraient après chaque reprise : vers la fin de la journée, si aucun des étendards n’avait été enlevé de vive force, ce qui assurait la défaite, on les abattait pour marquer la suspension des hostilités. L’expression supprimer le fanion, correspond dans nos textes à proclamer une trêve, un armistice.

[26] En d’autres termes, les troupes de Pharaon, sa garde royale.

[27] C’était afin de célébrer à tout jamais l’acte d’obéissance de Pétékhonsou envers son suzerain.

[28] C’est le geste de l’adoration, par lequel on saluait les dieux, Pharaon et les gens de bonne famille.

[29] C’est le Kharou des textes plus anciens. La vocalisation Khoïri nous est donnée pour l’époque saïte et grecque par la transcription grecque Pkhoiris du nom de Pkhairi, le Syrien.

[30] Ainsi que Spiegelberg l’a remarqué, le mot que j’avais traduit ici par chanteur est au féminin (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 67, note 10). Comme ce sont d’ordinaire des divinités qui se montrent ainsi aux héros endormis, je crois que la chanteuse est une déesse, probablement une Ishtar ou une Astarté. Montoubaal, ayant vécu en Syrie, devait voir une déesse sémitique en songe, aussi naturellement qu’il jurait par le dieu sémitique Baal.

[31] Ces quelques lignes représentent en gros le sens probable de deux pages entières, qui sont trop mutilées pour que je me risque à les restituer de façon suivie.

[32] La harpé est l’épée à lame recourbée en forme de faucille qui fut, à partir des temps les plus anciens, l’arme caractéristique des troupes égyptiennes. Elle s’est conservée jusqu’à nos jours chez les Massaï, chez les Chiliouks, et chez plusieurs autres tribus de l’Afrique équatoriale.

[33] Le texte dit, à l’égyptienne, sa respiration, son souffle.

[34] Le discours du roi est trop criblé de lacunes pour qu’on puisse, le traduire exactement. J’ai résumé en quelques mots le sens qui m’a paru ressortir des lambeaux de phrases conservés.

[35] On peut se demander si ce sont des chiens de guerre, tels que ceux que les Grecs d’Asie emmenaient avec eux à la bataille dans leurs guerres contre les Cimmériens ; cf. Maspero, les Empires, p. 429, note 1.

[36] J’ai indiqué déjà le rôle de Khnoumou, dans le Conte des deux Frères ; comme il était le dieu d’Éléphantine, c’est par lui que jure Mînnemêî, qui est prince d’Éléphantine. II est bon de noter du reste que, tout le long de ce conte, l’auteur a pris soin de mettre dans la bouche de chacun de ses héros le juron local qui convient au fief qu’il gouverne : Pémou, prince d’Héliopolis, jure par le dieu d’Héliopolis, Atoumou ; Pétoubastis, qui règne à Tanis, jure par Amonrâ le grand Dieu de Tanis ; Montoubaal, qui vient de Syrie, juré par Baal ; le grand seigneur d’Amon par les dieux du nome mendésien.

[37] Les trois dernières phrases comprennent la substance d’environ vingt-sept lignes du texte qui sont trop endommagées pour qu’on puisse les rétablir entièrement.

[38] Cette description, qui occupe la première page conservée du Papyrus Spiegelberq, est trop endommagée pour comporter une traduction suivie. Elle est composée, ainsi que Spiegelberg l’a constaté (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 13), sur le modèle des descriptions mystiques des barques du monde des morts : chaque partie de la coque ou du gréement y est comparée à un dieu ou à une déesse qui la protège.

[39] Ici commence la portion du texte que j’ai cru pouvoir traduire.

[40] Pal, Pi, Pou est le nom de l’une des cités jumelles dont se composait la ville de Boutô, aujourd’hui Tell Abtou. La seconde s’appelait Doupou.

[41] Bien que la place que les mots répétés occupent à la fin de la ligne quatrième et au début de la suivante puisse faire croire à une dittographie inconsciente du scribe, je crois qu’ici le redoublement est volontaire. Le prêtre insiste pour donner plus de force à sa réclamation.

[42] Il ne faut pas s’imaginer ici une théophanie réelle, le dieu apparaissant lui-même au conseil du souverain, mais, selon l’usage égyptien, l’arrivée, aux épaules des prêtres, de l’arche qui renfermait la statue d’Amon, cf. Maspero, Causeries d’Égypte, pp. 167, 173, 293, 298, et du temps de Ramsès et d’Assourbanipal, pp. 66-69.

[43] Sur le sens de ce titre et sur la fonction du prêtre qui le porte, voir ce qui est dit plus haut, dans le Conte des deux Frères.

[44] Naturellement, ce sont les prêtres qui s’avancent à pas rapides portant l’arche du dieu.

[45] Le texte est endommagé et la suite des idées n’est pas claire. Le prêtre donne ici la raison pour laquelle il ne s’est pas présenté la veille, et avant il n’a pas réclamé le trône que Pharaon Pétoubastis avait adjugé en la forme légale à Ankhhorou. La raison qu’il invoque, et qu’il juge assez forte pour justifier son action, est tirée, autant que je puis voir, du mythe de son dieu. Il semble qu’Horus, avant d’entrer en campagne pour rafraîchir, — gabhou, — la colère de son père Osiris, en d’autres termes pour l’apaiser en le vengeant, et plus brièvement pour le venger, avait été envoyé par sa mère Isis à Thèbes, chez Amon, pour que celui-ci lui fournit les charmes nécessaires à triompher de Typhon : le plus puissant de ces charmes était fourni par la couronne du dieu, c’est-à-dire par l’uræus qui orne la couronne dont la flamme détruit les ennemis. Le prêtre, partant pour le Saïd afin de reconquérir son bien, agit comme l’avait fait son dieu, et il va avant tout demander à Amon le charme de la couronne, qui avait assuré la victoire à Horus. C’est tandis qu’il faisait rapport — sami, semme — à Amon de ses intentions que le trône a été donné à Ankhhorou.

[46] Les paroles de Takhôs renferment évidemment une menace qui n’est exprimée qu’à moitié. Elles signifient, si j’ai bien compris, qu’Ankhhorou, lui aussi s’est muni du charme qui réside dans la couronne d’Amon. On l’a calmé — talko, — à grand peine, mais si le prêtre insiste, il donnera carrière à sa colère.

[47] Litt. : je donne qu’il le prenne par jugement... je donne qu’il le prenne par bataille. Le jeune prêtre s’adresse ici au roi et à l’auditoire en général, et il désigne son adversaire par le pronom il : lui-même, il se déclare prêt à accepter soit l’action en justice, soit le duel, pour régler la question de propriété.

[48] Litt. : son cœur enfanta pour lui la poussière comme la montagne d’Orient. L’effet de la colère est comparé ici à l’effet du vent d’orage, du Khamsin.

[49] Le mot touôt, employé ici, me parait être la forme dernière du mot zadou, zatou, de l’âge Ramesside, qui désigne l’estrade surmontée d’un dais sur laquelle Pharaon donnait audience. L’un après l’autre les deux champions se tournent vers le souverain pour le saluer avant de s’armer.

[50] C’étaient les talismans que les soldats prenaient avec eux pour les protéger pendant le combat. Il en sera question plus loin.

[51] Probablement ceux dont les contingents étaient les plus nombreux et pesaient le plus fort dans la bataille.

[52] Litt : Le district du Papyrus, les Boucolies de l’époque romaine.

[53] Le casque à face de taureau est probablement le casque à cornes de taureau que l’on voit chez les Pharaons par exemple au temps de Ramsès III ; cf. Champollion, Monuments de l’Égypte, pl. XXVIII, CXXI, CCCXXVII, et Rosellini, Monumenti Storici, pl. 101, 306, 129, 131.

[54] Gattani ou Gatatani est un pays inconnu jusqu’à présent : si on doit lire vraiment Gattani ou Kattani, on pourrait songer à la Cataonie.

[55] Pétoubastis fait sans doute allusion ici aux mêmes incidents que lui-même, Pesnoufi et Pémou rappellent plus loin et qui étaient racontés soit dans la partie manquante de notre conte, soit dans un conte aujourd’hui perdu : devant ce deuil nouveau qui le frappe du fait des bouviers, il ne veut plus songer au chagrin que l’affaire de Pesnoufi et de Pémou lui avait causé.

[56] Cf. la note 44, pour le sens de cette expression.

[57] Spiegelberg a remarqué qu’il y avait ici une lacune dans le récit, et il a supposé que le scribe avait omis par mégarde le discours de Pakrour au prêtre d’Horus, ainsi que le commencement de la réponse du prêtre (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 21, note 15). L’analogie des lignes 19-21 de la même page me porte à croire que l’auteur n’avait pas mis de discours direct dans la bouche de Pakrour, et que seul le début des paroles du prêtre manque. J’en ai donné le sens probable en quelques mots.

[58] Selon l’usage égyptien, il y a deux pilotes à bord de tout navire, celui d’arrière qui manœuvre les rames-gouvernails, et celui d’avant qui, la gaffe à la main, sonde le chenal et donne la direction à son camarade d’arrière : ici, le prêtre d’Horus s’engage à jouer le rôle de pilote d’avant pour mener la barque d’Amon à Thèbes en toute sûreté.

[59] En d’autres termes, pour qu’il célèbre sa victoire sur nous en chantant des actions de grâces, à Thèbes même.

[60] Ces quelques mots résument ce que je crois être le sens de trois lignes trop endommagées pour qu’il soit possible d’en rétablir le texte complètement.

[61] Ceci doit être pris ironiquement, comme moquerie à l’égard du chef.

[62] Voir sur le sens de cette expression, la note 44.

[63] L’épisode auquel Pétoubastis fait allusion ici était raconté probablement dans les premières pages aujourd’hui perdues de notre papyrus.

[64] Il semble que ces bandes thébaines avaient la réputation d’être turbulentes et querelleuses : Takhôs avait conseillé au Pharaon de les laisser chez elles, alléguant pour raison qu’elles seraient un élément de discorde, dans son armée.

[65] Litt. : Ne fais pas un mot contre son compagnon.

[66] Pisapdi est aujourd’hui Saft-el-Hinéh.

[67] Sur ce mot, qui désigne certaines troupes de l’armée égyptienne, voir Hérodote, II, CLXIV, CLXVI, CLXVIII.

[68] La barque royale s’appelait dès les temps les plus anciens, l’Étoile ou, tout au long, l’Étoile des dieux.

[69] Tahouris est probablement la mère de Pétoubastis.

[70] Le messager, venant de la part de Pétoubastis et d’Amon, peut être appelé en effet le serviteur du trône.

[71] Litt. Mon pieu d’attache avec toi et ton [équipage est] à Pinebôthès, le port d’aborder d’Héliopolis. Le pieu dont parle Pesnoufi est celui que les matelots égyptiens plongeaient dans la berge pour ÿ attacher leur bateau (cf. plus haut, le pieu de fer de la dame de Tasonout). La phrase égyptienne, obscure pour nous, me parait pouvoir se paraphraser ainsi que je l’ai fait dans le texte.

[72] Pshaî, l’Agathodémon, représenté souvent sous la forme d’un serpent joufflu couronné du pschent. C’est l’antique Shaî, le destin, dont la religion, secondaire aux temps pharaoniques, se développa considérablement sous les Ptolémées et sous les Césars.

[73] Le bouvier n’est pas ici l’un des treize bouviers qui accompagnaient le prêtre de Boutô, c’est le prêtre de Boutô lui-même.

[74] Cf., pour cette expression, ce qui est dit dans l'Histoire véridique de Satni-Khâmoîs et de son fils Sénosiris, et plus haut, l'Emprise de la Cuirasse.

[75] Litt. : Le pied de ce combat est stable sur la lice, mais après, je ne le sais pas cela que notre chance fera pour eux ; j’ai dû paraphraser fortement ce passage pour le rendre intelligible aux lecteurs modernes.

[76] Cf., sur cette expression, ce qui est dit plus haut, l'Emprise de la Cuirasse.

[77] Ici, pour la première fois, nous trouvons énumérés tous les moments du proscynème égyptien : 1° le héros se prosterne, les genoux et les mains à terre, l’échine arrondie mais la tète légèrement redressée encore ; 2° il récite la formule ordinaire du salut, puis 3° il baisse la tête et il baise le sol entre ses deux mains. Sinouhit salue de façon à peu près semblable, mais en se jetant de la poussière sur le corps. C’est sans doute parce qu’il veut marquer son humilité : le proscynème ordinaire ne comportait pas ce complément. D’autre part l’étiquette commandait à Pharaon de ne point paraître s’apercevoir de la présence du personnage ; il ne le reconnaissait qu’après un certain temps, probablement sur l’indication d’un de ses officiers, et c’est alors seulement qu’il lui adressait la parole ou, dans les grandes occasions, qu’il faisait quelques pas au-devant de lui pour le relever, pour l’embrasser et pour l’entretenir.

[78] Litt. : Il le baisa beaucoup d’heures, avec une de ces formules exagérées dont j’ai signalé un exemple dans le Conte des deux Frères. Le baiser sur la bouche avait remplacé l’ancien mode de salut, le rapprochement des nez (cf. Le Naufragé), peut-être sous l’influence grecque, au moins dans les cérémonies officielles.

[79] C’est-à-dire, si je comprends bien, sorti sain et sauf de la bataille engagée contre le bouvier. Le mot que j’ai traduit par force est le même que celui qui, dans le Voyage d’Ounamounou, sert à désigner l’état d’extase épileptique dans lequel tombe le page du roi de Byblos. Il marque ici la force mystérieuse qui anime Mînnebmêî par l’inspiration d’Amon, et qui lui donne la faculté de résister jusqu’à ce moment au bouvier.

[80] Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 7, 35.