L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (SUITE). - LE VOYAGE DE VARENNES. Avril-juin 1791L'approche du temps de Pâques redoublait l'agitation causée par la Constitution civile du clergé. Un bref du pape, du 10 mars, suspendait de leurs fonctions tous les prêtres assermentés qui ne rétracteraient pas leur serment sous quarante jours. Partout les évêques et les prêtres réfractaires s'efforçaient d'exciter les populations contre le clergé constitutionnel et assermenté. Ils prêchaient que les sacrements conférés par le clergé assermenté étaient nuls ; que tous ceux qui communiqueraient avec ce clergé seraient damnés, eux et leur postérité. Des troubles avaient éclaté sur plusieurs points. Le cardinal de Rohan, ce prélat prodigue et débauché qu'avait rendu fameux le Procès du collier, se faisait maintenant le champion de la foi, avait excommunié son successeur l'évêque constitutionnel de Strasbourg, et poussait à des séditions en Alsace. En Bretagne, le clergé réfractaire avait insurgé quelques milliers de paysans, qui furent mis en déroute pas les gardes nationales de Vannes et de Lorient (février 1791). L'Assemblée et les autorités nouvelles avaient d'abord traité fort doucement le clergé réfractaire. Ses membres, quoique destitués de leurs fonctions, conservaient leur traitement et pratiquaient librement leur culte dans les églises à côté du culte officiel. Le décret interdisant aux prêtres réfractaires le droit de confesser n'était point appliqué. Les directoires des départements commencèrent à prendre des mesures restrictives et à interdire aux prêtres réfractaires de dire la messe sans la permission des évêques et curés constitutionnels L'intolérance répondait à l'intolérance. Il y eut des excès odieux et honteux commis dans Paris, par des bandes tumultueuses, contre les femmes qui persistaient à se rendre à une église où le culte était célébré par des réfractaires. Cependant, plusieurs des journaux les plus ardents n'avaient pas approuvé les mesures intolérantes du directoire de la Seine. Louis XVI, après beaucoup d'hésitations, fit ses Pâques publiquement dans la chapelle des Tuileries par les mains d'un prêtre réfractaire (17 avril). Cela produisit un effet terrible dans Paris. Les colporteurs crièrent par les rues : La grande trahison du roi des Français. Le district des Cordeliers, où Danton et ses amis étaient les maîtres, dénonça au peuple français, par une affiche, le premier fonctionnaire public comme rebelle aux lois qu'il avait jurées. Le lendemain matin, plusieurs voitures portant le roi, la reine, leurs enfants et toute une suite, sortirent des Tuileries pour aller à Saint-Cloud. On avait annoncé que le roi y voulait faire quelque séjour ; mais le peuple était persuadé, avec raison, que, de Saint-Cloud, le roi s'en irait à la frontière. Une foule immense arrêta les voitures. La Fayette voulut faire ouvrir le passage. La garde nationale cria, comme le peuple, que le roi ne partirait pas. La Fayette courut à l'Hôtel de ville demander l'ordre d'appliquer la loi martiale et de déployer contre l'émeute le drapeau rouge, signe de péril public et de répression par la force. Danton, membre du directoire du département, fit refuser le drapeau rouge, et un membre de la municipalité alla prier le roi de rentrer. Le roi céda. 11 était ainsi constaté que Louis XVI n'était pas libre. C'était ce que voulait la cour, afin d'ôter leur valeur légale aux actes constitutionnels du roi. Le jour suivant, 19 avril, le roi se transporta dans l'Assemblée, déclara qu'il n'avait pas voulu qu'on employât la force pour assurer son départ, mais qu'il persistait dans son voyage de Saint-Cloud, afin que la Nation lit qu'il était libre. La Constitution civile du clergé, dit-il, fait partie de la Constitution que j'ai juré de maintenir ; j'en maintiendrai l'exécution de tout mon pouvoir. L'Assemblée reçut, avec une confiance apparente, les déclarations du roi ; mais les quarante-huit sections de Paris, convoquées par le directoire du département et par la municipalité, refusèrent tout à la fois et de prier le roi d'aller à Saint-Cloud et de le remercier de n'être pas parti. 11 y eut de dures paroles sur la sincérité du roi. Le peuple, lui disait-on, ne doit pas mentir. — C'est le faible qui trompe, dit Camille Desmoulins en résumant le débat dans son journal. La faiblesse, en effet, menait à la fausseté le malheureux Louis XVI, né droit et honnête. Il fit quelque chose de bien pire que sa déclaration du 19 avril devant l'Assemblée. Le 23 avril, son ministre des affaires étrangères, Montmorin, communiqua, de sa part, à l'Assemblée, une lettre adressée à nos ambassadeurs près les cours étrangères. On y vantait la Révolution, la Constitution, qui ferait le bonheur du roi, la Nation souveraine, et l'on y traitait de calomnie atroce la supposition que le roi n'était pas libre. On y chargeait les ambassadeurs français de déjouer les intrigues et les projets des émigrés. Cette pièce officielle fut suivie de près par des dépêches secrètes qui prévenaient le roi de Prusse et la gouvernante de Belgique, sœur de l'empereur et de Marie-Antoinette, que toute sanction donnée par Louis XVI aux décrets de l'Assemblée nationale devait être réputée nulle. La Fayette, désobéi par la garde nationale, avait envoyé pour la seconde fois sa démission, comme après le meurtre de Foulon et de Berthier. Ainsi que la première fois, la garde nationale et la municipalité le conjurèrent de reprendre le commandement. On fit circuler, dans les soixante bataillons parisiens, une résolution par laquelle tout soldat citoyen devait jurer sur son honneur et s'engager par sa signature à obéir à la loi ; ceux qui s'y refuseraient seraient exclus de la garde nationale. Cette résolution fut portée par les délégués des bataillons à La Fayette, et il consentit à reprendre ses fonctions. Cet incident excita beaucoup d'irritation parmi les hommes d'opinions ardentes. Les journaux crièrent furieusement et prétendirent qu'on imposait aux gardes nationaux, sous peine d'expulsion, un engagement d'obéissance absolue à La Fayette. Dans la garde nationale même, cela causa de la division. Le 28 avril, l'Assemblée prit, relativement à la garde nationale, une décision grave. Elle décréta, malgré l'opposition de Robespierre, que la garde nationale ne se composerait que des citoyens actifs, c'est-à-dire des citoyens qui payaient l'impôt direct donnant droit de voter dans les assemblées primaires. A Paris, cela existait en fait ; la garde nationale, qui n'était que d'une trentaine de mille hommes, ne comprenait même pas tous les citoyens actifs. Mais, dans une foule de localités, tout le monde, avec ou sans uniforme, était enrôlé dans la milice civique. Au lieu de diviser la Nation en deux classes, il eût été mieux de statuer que les citoyens les plus pauvres seraient dispensés du service actif, tout en restant sur les contrôles. Robespierre eut plus de succès dans une autre occasion importante. Le 7 avril, il avait fait décréter qu'aucun membre de l'Assemblée ne pouvait être porté au ministère pendant les quatre années qui suivraient la session. Il avait ainsi refait, contre les chefs actuels de la gauche, Duport, Barnave et les Lameth, ce que d'autres avaient fait, après les journées d'octobre, contre Mirabeau. Le 15 mai, il proposa, qu'aucun membre de l'Assemblée ne pût être réélu à l'Assemblée prochaine. Le côté droit l'appuya par vengeance contre la majorité, et pour empêcher que la Constitution ne fût affermie par ceux qui l'avaient fondée. La plus grande partie de la gauche approuva par désintéressement ou par lassitude. Beaucoup souhaitaient de se reposer de leurs prodigieux travaux ; d'autres, les plus obscurs, se sentaient peu de chances d'être réélus. Les chefs de la majorité, abandonnés de leur armée, ne purent résister. L'Assemblée constituante vota le décret qui devait la faire disparaître de la scène politique (16 mai). Robespierre avait fort habilement manœuvré. Il abattait par là les hommes qui, après avoir été d'abord les chefs des Jacobins, étaient, depuis la mort de Mirabeau, à la tête de l'Assemblée. Il s'interdisait à lui-même l'entrée de l'Assemblée future en la leur interdisant ; mais son influence toujours croissante sur la puissante Société des Jacobins, qui échappait de plus en plus à ses rivaux, lui assurait d'un côté plus qu'il ne perdait de l'autre. Il comptait bien, au moyen des Jacobins, peser du dehors sur la future Assemblée. Robespierre et Duport le plus profond sinon le plus éloquent des chefs de l'ancienne gauche, se retrouvèrent d'accord, quelques jours après, sur une question d'un autre genre : la question de la peine de mort. Robespierre dit que la loi ne devait pas punir un meurtre par un meurtre, un crime par un autre crime. Il fit valoir cet argument que, si les juges ne sont pas infaillibles, ils n'ont pas droit de prononcer une peine irréparable. Duport, législateur éminent, dont le nom, dit un grand historien de la Révolution (M. Michelet), reste attaché à l'établissement du jury en France et à toutes nos institutions judiciaires, parla dans le même sens avec beaucoup d'élévation. Il prononça des paroles qu'on n'eut que trop l'occasion de se rappeler avant-peu. En signalant les violents et continuels changements qui s'opéraient dans les hommes et dans les choses, il dit : Faisons au moins que les scènes révolutionnaires soient le moins tragiques possible... Rendons l'homme respectable à l'homme ! L'Assemblée jugea le maintien de la peine de mort nécessaire (3 juin). Les grands philosophes du dix-huitième siècle n'en avaient pas demandé l'abolition. En abolissant définitivement les supplices atroces et les tortures, l'Assemblée décréta que tout condamné à mort aurait la tête tranchée. Un médecin député, Guillotin, inventa la machine qui, de son nom, fut appelée guillotine. Son but était de rendre l'exécution plus rapide et moins cruelle que par le glaive, le gibet ou la hache. Marat, dans son journal, applaudit avec transport au maintien de la peine de mort, contre laquelle Robespierre avait protesté. Robespierre ne cessait plus d'être en scène. Bientôt après, il présenta à l'Assemblée le vœu des Jacobins pour le licenciement des officiers de l'armée comme suspects en majorité d'opposition à la Révolution. L'Assemblée prit un parti moins violent et plus politique ; ce fut d'imposer à tous les officiers un engagement d'honneur de s'opposer personnellement à toutes trames fet complots contre la Constitution. Ceux qui refuseraient seraient mis à la réforme, en conservant le quart de leur traitement. C'était l'analogue de ce qu'on avait fait pour le clergé ; mais cela n'avait pas les mêmes inconvénients, et le parti contre-révolutionnaire se sentit si bien atteint par cette décision, que ses meneurs poussèrent le roi à précipiter l'exécution d'un projet depuis longtemps préparé : le projet de s'évader de Paris pour aller à la frontière se mettre sous la protection de l'étranger. C'était là du moins le plan des contre-révolutionnaires restés à l'intérieur ; car les émigrés en avaient un autre, et le parti du comte d'Artois ne s'entendait aucunement avec le parti de la reine. Les émigrés groupés autour du comte d'Artois voulaient une invasion étrangère combinée avec des complots et des coups de main à l'intérieur, sans se soucier de ce qui pourrait arriver au roi et à la reine dans Paris. Louis XVI, lui, était surtout préoccupé d'éviter le sort qu'avaient eu les Stuarts en Angleterre. Il ne voulait ni faire la guerre civile, comme Charles Ier, ni quitter son royaume, comme Jacques II. De là, le dessein qu'il concerta avec la reine : c'était de se retirer dans une place frontière, au milieu de troupes françaises, qu'appuieraient des troupes étrangères. Il s'imaginait qu'un manifeste publié par lui et soutenu par une déclaration des souverains étrangers, suffirait pour que la Nation consentît à changer la Constitution et restaurer le pouvoir royal ! L'entente entre les souverains contre la Révolution était rien moins avancée que ne le croyaient chez nous les patriotes. Dans les premiers mois de 1791, les puissances étaient été près de se diviser en deux ligues : l'Angleterre, la Prusse et la Hollande contre la Russie et l'Autriche. Pitt, loin de songer à la guerre contre la France, voulait secourir la Turquie contre les Russes, qui l'avaient fort entamée, et l’Autriche et la Prusse avaient été sur le point de rompre par convention de Reichenbach. La guerre entre l'Angleterre et la Russie n'avait point éclaté, parce que Pitt n'avait point été soutenu sur ce terrain par l'opinion publique. Les Anglais préférèrent l'intérêt de leur commerce avec la Russie à l’intérêt politique qu'ils avaient d'arrêter les progrès de la Russie en Orient. Ce fut un très grand malheur pour la France et pour l'Europe, que cette guerre n'éclatât point ; elle eût rendu imposible aux étrangers d'intervenir dans notre Révolution, et la Révolution eût été infiniment moins violente. Cette guerre eût probablement en outre sauvé la Pologne. Ainsi, Pitt, qu'on a, chez nous, si longtemps considéré comme ayant été, dès l'origine, le premier et le plus implacable instigateur de la coalition contre la Révolution française, avait eu, au contraire, des projets qui nous eussent grandement servis, quoiqu'il pensât à toute autre chose qu'à nous servir. Cela montre combien il faut se défier des préjugés dans l'histoire comme en toute chose. Pitt et ses alliés étant obligés de négocier au lieu de se battre, l'Autriche et la Prusse s'étaient rapprochées de nouveau ; mais tout cela était trop flottant encore pour qu'aucun plan d'action commune eût pu jusque-là être concerté. Pitt n'était disposé, en aucun cas, à ce concert, quoiqu'i laissât voir des sentiments peu bienveillants pour la Révolution française. Le roi de Prusse, qui avait eu envie, dès 1789, de se mêler de nos affaires, et qui, dès lors, avait fait des offres à Louis XVI, inclinait à intervenir par les armes ; mais ses ministres l'en détournaient. L'empereur Léopold, malgré ses liens de famille avec la cour de France, avait mis de la circonspection et de la lenteur dans ses démarches. Il avait en tête d'autres objets importants. La fameuse tzarine de Russie, Catherine II, criait de loin contre la Révolution mais elle était encore occupée à sa guerre de Turquie. Les rois d'Espagne et de Sardaigne ne croyaient pouvoir agir que lorsque l'empereur agirait. Le plus ardent de tous pour la cause commune des rois comme on disait, était celui qui pouvait le moins, le roi de Suède, Gustave III, esprit remuant et romanesque, qui avait laissé là ses propres intérêts et ses propres querelles avec le Russie pour rêver la gloire de restaurateur du trône de France. Il s'était transporté sur le Rhin, et de là en Belgique, pour être à portée des événements et y prendre part, au besoin, de sa personne. Le plan de la cour de France fut combiné entre Marie-Antoinette et l'ancien ambassadeur d'Autriche, le comte d Merci, principal conseiller de la reine depuis son mariage, qui était maintenant à la tête des affaires en Belgique. Dans une lettre du 7 mars 1791, Merci dit à la reine que l'Autriche a en Belgique près de cinquante mille hommes de troupes d’élite, mais que les intrigues de la Prusse et de l'Angleterre entretiennent de l'agitation dans ce pays, ce qui empêche que ces troupes ne soient disponibles. Les plus grands obstacles aux vues du roi — à l'accord des puissances contre la Révolution — viendront toujours, suivant lui, de l'Angleterre, qui ne songe qu'à prolonger les horreurs de la démocratie pour ruiner sa rivale, la France. Il faudrait, suivant Merci, faire des sacrifices pour obtenir tout prix que la cour de Londres ne contrariât point les mesures favorables au retour de l'autorité royale en France ; sans quoi aucune puissance étrangère, la mieux intentionnée, ne pourra se montrer efficacement. Les puissances ne font rien pour rien. Il faudrait favoriser les vues du roi de Sardaigne sur Genève et lui céder quelque territoire dans la partie française des Alpes et sur le Var. Il faudrait pareillement céder à l'Espagne quelque terrain du côté de la Navarre, et offrir quelques avantages en Alsace aux princes allemands qui y avaient des fiefs. L'empereur est le seul auquel on pourrait se promettre des secours désintéressés. — Mais, le préalable à tout, c'est l'évasion du roi... Tout serait perdu si cette mesure manquait. Cette lettre fut interceptée et transmise au Comité des recherches de l'Assemblée nationale. Les soupçons furent ainsi changés en certitude ; mais cette révélation ne fut point rendue publique. La correspondance continua cependant. Merci voyait plus clair que Louis XVI, et l'évasion du roi impliquait à ses yeux la guerre civile faite par le roi à la tête de sa noblesse et de ce qui lui resterait de troupes fidèles. Le 20 avril, la reine répond à Merci en demandant si le gouvernement de Belgique peut envoyer quinze mille hommes dans le Luxembourg et autant à Mons, afin que M. de Bouillé puisse rassembler des troupes et des munitions à Montmédy, sous prétexte de protéger la frontière. Merci réplique, le 27, qu'il a onze mille soldats à peu de distance de la frontière, ce qui offre déjà un point d'appui à M. de Bouillé, mais qu'on ne peut en ce moment faire sortir ces troupes de la Belgique. Le 22 mai, Marie-Antoinette écrit à l'empereur, son frère, que le roi et elle sont décidés à aller à Montmédy ; que M. de Bouillé s'est chargé d'y réunir des forces, et désire vivement que l'empereur tienne à Luxembourg huit à dix mille soldats disponibles, pour les faire entrer en France quand le roi sera en sûreté. Ces troupes, dit-elle, serviront d'exemple aux nôtres et les contiendront. L'empereur Léopold annonce à sa sœur (12 juin) que le comte de Merci a ordre, après que l'évasion du roi aura réussi, de mettre aux ordres de Marie-Antoinette argent et troupes On peut compter, dans ce cas, ajoute-t-il, sur le roi de Sardaigne, les Suisses et les troupes de tous les princes de l'Europe, même celles du roi de Prusse, qui sont à Wesel, et, par conséquent, fort à portée. — Quand vous serez en sûreté, vous protesterez publiquement contre tout ce qui a été lait, et appellerez vos amis et vos fidèles sujets à votre secours. Tout le monde y volera, et tout sera fini plus aisément qu'on ne le croit. L'évasion se préparait avec peu d'activité et point du tout de prudence. Il eût été fort aisé au roi de s'évader seul ; mais Marie-Antoinette, pour rien au monde, ne l'eût laissé partisans elle ; elle craignait trop qu'il ne tombât entre les mains de ses ennemis personnels à elle, Calonne et les autres émigrés qui entouraient le comte d'Artois. On s'apprêta donc à emmener le petit dauphin et sa sœur, plus la sœur du roi, la gouvernante des enfants, trois gardes du corps déguisés, deux grosses voitures, et l'on prescrivit à M. de Bouillé de disposer des détachements de cavalerie sur divers points de la route, entre Châlons et Montmédy. Cette mesure mettait inévitablement les populations en éveil tout le long du chemin. Paris n'avait pas besoin qu'on l'éveillât. Il avait sans cesse l’œil ouvert sur les Tuileries. Marat jeta le cri d'alarme dans son journal. La Fayette et Bailli reçurent d'employés subalternes du château des avis très précis. Bailli eut la confiance imprudente de révéler un de ces avis à la reine. La Fayette aborda franchement la question avec le roi. Louis XVI, dit La Fayette dans ses Mémoires lui donna des assurances si positives, si solennelles, que La Fayette crut pouvoir répondre, sur sa tête, que le roi ne partirait pas. Les amis particuliers du roi et de la reine furent trompés, comme La Fayette et comme les ministres. D'après les assurances de Louis XVI, le ministre des affaires étrangères, Montmorin, avait écrit, le 1er juin, à l'Assemblée, qu'il attestait, lui aussi, sur sa tête et sur son honneur, que le roi n'avait jamais songé à quitter la France. La famille royale, dans la nuit du 20 juin, s'échappa des Tuileries par une porte qui n'était pas gardée. Le roi était travesti en valet de chambre, avec un habit gris et une petite perruque. La reine avait emprunté le passeport d'une dame russe. La reine s'égara, avec un garde du corps qui la conduisait, et erra une grande demi-heure avant de rejoindre la voiture où le roi l'attendait au coin de la rue de l'Échelle. Ils sortirent enfin de Paris sans obstacle par la route de Châlons. La nouvelle, dès le point du jour, se répandit dans tout Paris. La municipalité fit tirer le canon d'alarme ; les clubs se déclarèrent en permanence. Défense fut publiée de sortir de la ville. La générale battait ; les hommes à piques du 14 Juillet reparaissaient en foule et prenaient possession des Tuileries. On effaçait partout le nom du roi, sur les monuments publics et sur les enseignes, et l'on remplaçait le mot l'Oyat par le mot national. La foule disait, en montrant la salle de l'Assemblée : Notre roi est là dedans ; l'autre roi peut aller où il voudra. L'Assemblée témoigna beaucoup de décision et de vigueur ; elle manda les ministres, arrêta que tous ses décrets seraient immédiatement exécutés dans tout le royaume, chargea son comité militaire de veiller à la sûreté publique, et appela à sa barre le commandant de la garde nationale et le maire de Paris. Comme on accusait La Fayette d'avoir laissé échapper le roi, Barnave, qui était maintenant un des chefs de la majorité de l'Assemblée et qui avait été longtemps en opposition avec La Fayette, le défendit vivement et montra la nécessité de l'union. La Fayette, menacé par la foule à l'Hôtel de ville, l'avait apaisée moitié par des raisons sérieuses, moitié par une plaisanterie. De quoi vous plaignez-vous ? avait-il crié au peuple ; vous gagnez chacun vingt sous de rente à la suppression de la liste civile ! Il y avait vingt-cinq millions de Français et le roi recevait vingt-cinq millions de liste civile. La Fayette, avant de se rendre à l'Assemblée ; avait déjà pris sur lui, de l'avis du maire de Paris et du président de l'Assemblée, d'envoyer à toutes les gardes nationales de France l'ordre d'arrêter les ennemis de la patrie qui avaient enlevé le roi et sa famille. Dès le premier moment, La Fayette, tout en prenant une mesure énergique contre le roi, mettait ainsi Louis XVI à l'abri sous une fiction. L'Assemblée adopta cette fiction, en décidant qu'on poursuivrait ceux qui enlevaient le roi et sa famille. L'Assemblée témoigna bien grandement, au milieu d'une telle crise, son respect pour les principes de 89. On lui avait remis une lettre trouvée aux Tuileries et adressée à la reine. Le président n'ouvrit pas la lettre. Un homme de confiance de Louis XVI, intendant de sa liste civile, apporta à l'Assemblée une proclamation que le roi avait laissée en partant. Louis XVI y déclarait que, n'espérant plus voir renaître l'ordre et le bonheur par les moyens qu'employait l'Assemblée nationale, et voyant la royauté détruite, les propriétés violées, l'anarchie dans tout le royaume, il avait dû chercher à se mettre en sûreté, et protestait contre tous les actes émanés de lui pendant sa captivité, depuis le mois d'octobre 1789. Il faisait ensuite, en style très vulgaire, une longue énumération de ses griefs. A côté de récriminations sur la ruine du pouvoir royal, il se plaignait de n'avoir pas trouvé aux Tuileries les commodités auxquelles il était habitué dans ses autres demeures, et de n'avoir reçu qu'une liste civile de vingt-cinq millions — qui en vaudraient plus de soixante aujourd'hui ! —... Il reprochait aux factieux d'avoir employé tout leur art à faire envisager sous un mauvais aspect une épouse fidèle qui venait de mettre le comble à sa bonne conduite. Il y avait là bien peu de dignité pour un roi de France ! L'Assemblée termina la séance en ordonnant la mise en activité de toutes les gardes nationales du royaume, dans la proportion de ce que réclameraient les nécessités publiques. Promptement remis de sa surprise, Paris eut une attitude très ferme. Le peuple témoigna plus de dédain que de colère. On n'entendait que moqueries contre le roi. Des biens nationaux, des maisons dépendant du chapitre de Notre-Dame, furent vendus, le jour même, un tiers au delà de l'estimation. C'était là une confiance qui rappelait les anciens Romains. Le sentiment républicain commença d'éclater. Marat, qui
n'avait que des fureurs et point d'idées, ne sut que demander, dans son
journal, un dictateur, c'est-à-dire un tyran, pour remplacer le roi et pour
faire tomber les têtes de La Fayette, de Bailli, de tous les traîtres de la
municipalité et de l'Assemblée nationale, etc. ; mais, pendant ce temps, un
jeune et énergique patriote, le franc-maçon Bonneville, écrivait dans un
autre journal, la Bouche de fer : — Plus de rois !
— Point de dictateur ! — Avez-vous vu comme on est frères quand le tocsin sonné,
quand on bat la générale, quand on est délivré des rois ! — Assemblez le peuple à la face du soleil. — Proclamez que la Loi doit seule être souveraine. — La Loi, la Loi seule, et faite pour tous ! Camille Desmoulins, de son côté, déclarait, au Palais-Royal, qu'il serait malheureux que le perfide Louis nous fut ramené ; tout en invectivant le roi, il opinait pour qu'on épargnât sa vie, et que, si on le prenait, on le reconduisit par étapes jusqu'aux frontières. Le club des Cordeliers, auquel appartenaient Desmoulins et Marat, faisait placarder une affiche, en tête de laquelle se lisaient ces vers du Brutus de Voltaire : ... Si parmi nous il se trouvait un traître Qui regrettât les rois et qui voulût un maître, Que le perfide meure au milieu des tourments.... Un journal royaliste eut la hardiesse de répondre en annonçant que tous ceux qui voudraient être compris dans l'amnistie qu'offraient les princes émigrés pouvaient se faire inscrire dans son bureau. On n'excepterait que cent cinquante individus. Il se contentait de moins de têtes que Marat. Bien peu prirent au sérieux cette bravade. Presque seul parmi les révolutionnaires, Robespierre se montra troublé et effrayé. Il dit, chez son collègue Pétion, que les complices de la cour allaient sans doute faire une Saint-Barthélemy des patriotes, et qu'il s'attendait à ne pas être en vie dans vingt-quatre heures. Le député Pétion et le journaliste Brissot lui répondirent que la fuite du roi devait au contraire amener la chute de la royauté, et qu'il fallait préparer les esprits à la République. Brissot prétendit que La Fayette avait laisse échapper le roi pour amener la République. — Qu'est-ce qu'une République ? demanda Robespierre en hochant la tête. Ce mot prouve que Robespierre, tout en faisant une guerre incessante au pouvoir royal, n'avait pas encore arrêté nettement sa pensée sur ce qui pourrait succéder à la monarchie. Robespierre se ranima, quand il eut mieux apprécié les dispositions du peuple, et il fut aussi violent, le soir, aux Jacobins, qu'il avait été, l'après-midi, incertain chez Pétion. Il savait que les nouveaux chefs de la majorité, Barnave et les Lameth, allaient arriver avec La Fayette, Bailli et deux cents députés, pour entraîner les Jacobins à se rallier sans réserve à l'Assemblée nationale. Il les prévint, en dénonçant non seulement le roi, les émigrés et les contre-révolutionnaires de l'intérieur, mais la presque totalité des membres de l’Assemblée comme trompant la Nation sur le prétendu enlèvement du roi et comme étant des contre-révolutionnaires par peur ou par ignorance, par rancune ou par confiance aveugle. Je sais, ajouta-t-il, que j'aiguise contre moi mille poignards ; mais si, dans les commencements de la Révolution, lorsque j'étais à peine aperçu dans l'Assemblée nationale, lorsque je n'étais vu que de ma conscience, j'ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, aujourd'hui que les suffrages de mes concitoyens m'ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait une mort qui m'empêchera d'être témoin de maux que je vois inévitables. Ces paroles, mêlées d'exagération, d'orgueil et de passion sincère, remuèrent violemment l'auditoire. Nous mourrons tous avant toi, s'écria Camille Desmoulins, et le club tout entier se leva en jurant de vivre libre ou de mourir avec Robespierre. En ce moment entra le cortège des députés, ayant en tête Alexandre de Lameth et La Fayette, Barnave et Sieyès, le rand initiateur de 89. A la voix aigre et plaintive de Robespierre succéda une \oi\ tonnante. Danton était à la tribune. Robespierre avait accusé tout le monde ; Danton attaqua La Fayette seul. Ou vous êtes, dit-il, un traître, qui avez favorisé le départ du roi, et vous
devez perdre la tête ; ou vous êtes incapable de commander, puisque vous
n'avez pas su empêcher le départ du roi confié à votre garde, et, alors, vous
devez être déposé ! — Répondez ! La Fayette n'opposa point la violence à la violence. Il rappela qu'il avait, le premier, appelé la France à la liberté, et déclara qu'il venait s'unir aux Jacobins, parce que là étaient les vrais patriotes. Lameth, Sieyès, Barnave, prêchèrent la concorde. Barnave rédigea, au nom du club, une adresse aux sociétés affiliées dans les départements. On n'y disait plus que le roi avait été enlevé, mais qu'il avait été égaré par des suggestions criminelles, et l'on y déclarait que tous les patriotes étaient réunis autour de l'Assemblée nationale et de la Constitution. Les Jacobins acceptèrent cette rédaction, et reconduisirent fraternellement le général et les députés contre lesquels ils avaient tout à l'heure applaudi les accusations de Robespierre et de Danton. Les chefs de la majorité, qui avaient supprimé dans l'adresse des Jacobins le terme d'enlèvement du roi, le rétablirent, le lendemain, dans un manifeste par lequel l'Assemblée nationale répondit à la déclaration laissée par le roi en partant. Cette obstination à employer une telle fiction n'était pas propre à maintenir l'union proclamée aux Jacobins. A cela près, le manifeste de l'Assemblée était ferme, et réfutait vigoureusement ce qu'elle nommait un écrit plein d'ignorance et d'aveuglement, arraché, avant son départ, à un roi séduit. — La France, disait le manifeste, veut être libre ; elle sera libre. — La Révolution ne reculera pas ! Le roi avait, dans sa déclaration, attaqué les associations politiques. Le manifeste affirmait que les sociétés des Amis de la Constitution (les Jacobins) avaient soutenu la Révolution, et qu'elles étaient plus nécessaires que jamais. Comme l'Assemblée venait de voter le manifeste, vers dix heures du soir, un courrier annonça que le roi était arrêté. L'émotion fut profonde dans l'Assemblée et bientôt dans Paris. Le lendemain, 23 juin, le faubourg Saint-Antoine se leva et marcha vers l'Assemblée, entraînant les autres quartiers sur son passage. La Fayette, au lieu de s'opposer au mouvement, se mit à la tête du peuple avec un gros de gardes nationaux, et vint déclarer, à la barre de l'Assemblée, que le peuple de la capitale jurait de défendre la Constitution et la Liberté. La masse d'hommes, armés ou sans armes, qui suivait les gardes nationaux, défila pendant plusieurs heures dans la salle de l'Assemblée. La Fayette fit ainsi tourner au profit de l'Assemblée un mouvement commencé au cri : A bas le roi ! bien plutôt qu'au cri : Vive la Constitution ! On avait pris, dès 89, l'habitude de laisser entrer dans l'Assemblée de grandes députations qui devenaient parfois des foules entières. C'était là une imprudence qui n'avait pas mal tourné cette fois, mais qui devait finir par avoir des suites fatales. L'Assemblée avait donné, la nuit précédente, l'ordre de ramener le roi à Paris. Louis XVI, à son départ, dans la nuit du 20 juin, avait pris la route de Châlons-sur-Marne. En traversant cette ville, le 21, dans l'après-midi, il fut reconnu ; mais ceux qui l'avaient vu se turent. Il passa. Il atteignit sans obstacle Sainte-Menehould. Il était tard. Le roi avait perdu beaucoup de temps. Les mouvements de divers détachements de cavalerie envoyés par Bouillé avaient excité la défiance des populations le long de la route. Au relais de Sainte-Menehould, Louis XVI fut reconnu de nouveau, et, cette fois, par le maître de poste Drouet, qui était un ardent patriote. Il y avait là des dragons expédiés par Bouillé. Drouet n'essaya point de faire arrêter les voitures ; mais il monta à cheval pour les suivre. A Clermont-en-Argonne, le roi quitta la grand'route de Verdun pour le chemin de Varennes. Cette petite villa est partagée en deux par la rivière d'Aire. Des officiers, expédiés par Bouillé avec des hussards, avaient préparé un relais dans la partie de la ville au delà de la rivière. Par un malentendu, le roi comptait trouver le relais en deçà. Le roi n'avait pas envoyé de courrier en avant. Il faisait nuit ; on mit une demi-heure à chercher le relais. Ce délai perdit le roi. Drouet arriva. Il cria aux postillons : — De par la Nation, dételez ! — Vous menez le roi ! Il passa outre. Un moment après, on entendit le tambour. A force d'instances, on décida les postillons à mener le roi jusqu'au delà du pont. Mais, quand on arriva sous la voûte qui était à la tête du pont, des hommes armés de fusils crièrent : Halte-là ! vos passeports ! Le passage était barré par une voiture renversée. Drouet était là avec le procureur de la commune de Varennes et le commandant de la garde nationale, qu'il avait prévenus en toute hâte. Les trois gardes du corps qui accompagnaient le roi n'avaient pas même d'armes à feu. On n'essaya pas de résister. Le roi et sa famille parlementèrent, sans avouer qui ils étaient. Le procureur de la commune invita les voyageurs à se reposer dans sa maison, qui était tout proche, tandis que la municipalité délibérerait sur leurs passeports. La famille royale descendit dans la boutique de cet homme, qui était un épicier appelé Sausse. Drouet, pendant ce temps, avait couru sonner le tocsin. Il craignait une attaque des hussards, qui étaient dans la partie de la ville au delà du pont ; mais ce détachement, par la faute de son commandant, s'était dispersé. Les dragons, qui, de Sainte-Menehould, auraient dû venir joindre le roi, avaient tourné pour le peuple et refusé de marcher. Il arriva seulement une quarantaine de hussards que leurs officiers amenèrent jusqu'auprès de la maison de Sausse. Mais la garde nationale encombrait la rue, et les paysans, appelés par le tocsin, accouraient en armes de tous les villages. Au milieu du tumulte, les officiers qui avaient amené les hussards pénétrèrent dans la chambre où était la famille royale, et proposèrent au roi et à la reine de monter à cheval avec leurs enfants. Ils garantissaient de leur ouvrir le passage avec les hussards, et de leur faire traverser la petite rivière à gué. Louis XVI n'était pas homme à tenter un pareil coup de main, et la reine, toute hardie qu'elle fût, n'osa l'y pousser. Ils comptaient, l'un et l'autre, que Bouillé, qu'ils savaient à Stenay, arriverait à temps pour les sauver. En attendant Bouillé, un troisième détachement de hussards parut avant la fin de la nuit ; mais il trouva le pont barré. Le commandant voulut faire mettre pied à terre à ses hommes pour attaquer avec leurs carabines. Ils n'avaient pas de cartouches ; on les leur avait dérobées dans les maisons où ils avaient couché. Les troupes étaient environnées d'une conspiration universelle. Le roi et la reine avaient tenté d'obtenir le passage de la municipalité. La reine de France, l'orgueilleuse fille de Marie-Thérèse, avait supplié en vain la femme de l'épicier Sausse et cherché à l'attendrir sur ses enfants, qui dormaient là paisiblement sans comprendre leur malheur. L'épicière et son mari, quand ils l'eussent voulu, eussent été maintenant bien impuissants à délivrer le roi. Entre cinq et six heures du matin arrivèrent un envoyé de la municipalité de Paris et un aide de camp de La Fayette. Ils apportaient le décret de l'Assemblée nationale qui ordonnait de ramener le roi. Louis XVI lut le décret, et dit : Il n'y a plus de roi en France ! Il posa le décret sur le lit où dormaient ses enfants. Je ne veux pas qu'il souille mes enfants ! s'écria la reine ; et elle jeta le papier violemment à terre. Un murmure s'éleva parmi les gens qui encombraient la maison. Pendant ce temps, de grands cris du dehors appelaient le roi. Quand on le vit à la fenêtre, pâle, silencieux, les cheveux défaits, déguisé sous l'habit gris d'un valet, la colère tomba, et il y eut un mouvement de compassion dans la foule. Il n'en fallut pas moins repartir, non pour la frontière, mais pour Paris. A huit heures du matin, on emmena le roi. A neuf heures, Bouillé arriva au galop devant Varennes avec le régiment Royal-Allemand, le même qui avait eu affaire aux Parisiens la veille de la prise de la Bastille. Le tocsin sonnait à dix lieues à la ronde ; tout le pays se levait, et la garnison de Verdun marchait avec du canon au secours des gardes nationales. Bouillé sentit l'impossibilité de rejoindre le roi, et tourna bride. Les voitures qui ramenaient la famille royale avancèrent lentement, sous le soleil et la poussière, à travers les flots de populations armées qui se renouvelaient sans cesse le long de la route, avec des cris et des imprécations. Villes et campagnes étaient soulevées par cette idée : Le roi trahit le peuple ! Le roi allait chercher les étrangers pour maîtriser et piller la France ! On menaçait surtout les trois gardes du corps qui étaient sur le siège, en avant de la voiture ; cependant, on ne les toucha point. Mais, près de Sainte-Menehould, un gentilhomme étant venu saluer le roi et caracoler, sur un beau cheval, auprès de la voiture, la foule se rua sur lui et-le massacra. A Châlons, cela changea. La ville était royaliste. Les dames de Châlons apportèrent des bouquets aux princesses. Les gardes nationaux parlaient de faire escorte au roi vers la frontière. Mais, le lendemain matin, arrivèrent en masse les patriotes de Reims et des milliers de paysans avec eux. Les Châlonnais n'étaient pas en force ; la famille royale dut reprendre la route. Entre Epernay et Dormans, le triste cortège rencontra trois commissaires envoyés par l'Assemblée nationale. C'étaient Barnave, Pétion et un ami de La Fayette, Latour-Maubourg. La reine et la sœur du roi, Mme Élisabeth, conjurèrent les commissaires d'empêcher qu'il n'arrivât malheur aux gens qui les avaient accompagnées. Elles protestèrent que le roi n’avait pas voulu sortir de France. — Non, dit Louis XVI, je ne sortais pas du royaume. J'allais à Montmédy, où mon intention était de rester jusqu'à ce que j'eusse examiné et accepté librement la Constitution. Barnave dit, à l'oreille, à un aide de camp de La Fayette : Si le roi répète la même chose à Paris, nous le saurons. Barnave et Pétion montèrent dans la voiture où se trouvaient le roi et sa famille. Barnave se montra plein d'égards pour la famille royale, par un sentiment de compassion sincère pour de si grands malheurs, et aussi par politique. Il avait eu son plan fait dès le premier jour de l'évasion du roi, et il aspirait à reprendre le rôle qu'avait eu Mirabeau dans les derniers temps de sa vie, mais sans faire payer, comme Mirabeau, ses services à la cour. Pétion, qui n'était nullement méchant, mais qui avait beaucoup de vanité et point de tact, affecta, au contraire, des façons roides et rogues et un franc-parler révolutionnaire, qui devenaient, dans de telles circonstances, de l'inconvenance et même de l'inhumanité. La foule était toujours aussi nombreuse sur la route tantôt silencieuse, tantôt menaçante envers le roi et les siens, le témoignait partout d’un grand respect pour les envoyés de Assemblée. Un prêtre, s'étant approché des voitures en exprimant vivement sa douleur, faillit avoir le même sort que le gentilhomme qui avait péri près de Sainte-Menehould. Des gens furieux se jetaient sur lui. Barnave s'élança à demi hors de la portière, en s'écriant : Vous n'êtes donc pas français ! Le peuple des braves est-il un peuple d'assassins ? |