LES MORALISTES SOUS L'EMPIRE ROMAIN — PHILOSOPHES ET POÈTES

 

PRÉFACE DE LA DEUXIÈME ÉDITION.

 

 

Nous remercions le public de l'accueil bienveillant qu'il a fait à ce livre et l'Académie française qui l'a Couronné. Mais de toutes les satisfactions qui puissent être données à un auteur qui écrit sur la morale, la plus douce assurément est de pouvoir se persuader avec quelque vraisemblance que son travail n'a pas été inutile et qu'il a touché, ici, là, en des coins ignorés, des âmes délicates. Dans ce temps de controverse ardente où chacun se fait gloire de blesser l'opinion de son voisin, on nous a su gré sans doute de notre équité et de la modération de nos jugements. Il est vrai que cette modération nous a exposé à deux reproches contraires. De très-libres esprits se sont étonnés de ce qu'ils appellent notre complaisance pour le christianisme ; d'autre part, des chrétiens trop fervents se sont inquiétés de notre vive admiration pour les grands représentants de la morale païenne. Nous pourrions renvoyer nos critiques les uns aux autres en les engageant à se mettre d'accord, mais nous préférons leur rappeler ces mots de saint Paul, dont ni les uns ni les autres ne contesteront ici l'autorité, ceux-ci parce que rien n'est plus large que son précepte, ceux-là parce que c'est un texte sacré : Que tout ce qui est véritable, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui est aimable soit l'entretien de vos pensées. (Éprit. aux Philip., IV, 8.) — Dieu ne fait point acception de personnes. — Lors donc que les Gentils qui n'ont pas la loi font naturellement les choses que la loi commande, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi. (Aux Rom., II, 10.) Dieu n'est-il le Dieu que des Juifs ? ne l'est-il pas aussi des Gentils ? oui certes, il l'est aussi des Gentils. (Ibid., III.)

Voilà l'esprit de notre livre qui respecte tout ce qui est pur sans distinguer le profane du sacré, ni le sacré du profane. Que d'autres s'arment en guerre et se signalent dans l'attaque ou la défense de telle ou telle doctrine, j'applaudis à leur vaillance parce que toute opinion sincère librement exprimée est un service rendu à la vérité ; mais c'est la servir aussi que de rapprocher quelquefois les hommes dans l'étude paisible des idées morales universellement acceptées. Si la guerre a ses gloires, elle a aussi ses aventures ; si la paix a ses mollesses, elle a du moins ses douceurs et sa justice.

1866.