APERÇU DE L’HISTOIRE DE L’ÉGYPTE

Depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Conquête Musulmane.

 

PÉRIODE CHRÉTIENNE.

 

 

Quand les habitants de la vallée du Nil abandonnèrent pour la religion chrétienne la religion de leurs ancêtres, l’histoire ne les appelle plus des Égyptiens : elle les nomme des Coptes. Les Coptes sont donc les descendants de la vieille race dont nous venons de tracer l’histoire, devenus chrétiens. La période pendant laquelle la religion chrétienne fut la religion officielle de l’Égypte eut une courte durée : elle embrasse les 259 ans compris entre l’année de l’édit Théodose (244 ans avant l’hégire[1]) et l’année de la conquête de l’Égypte par les lieutenants de Mahomet (48 ans après l’hégire[2]).

Pendant cette période, l’Égypte, comme on le sait déjà, avait suivi la fortune de l’empire romain. L’empire romain ayant été fractionné, l’Égypte fut attachée à celle de ses fractions qui alla siéger à Constantinople. Pendant les 259 ans qui précédèrent l’invasion musulmane, l’Égypte releva donc des empereurs bysantins.

Quoique ayant renoncé à la religion pharaonique, l’Égypte, devenue chrétienne, ne renonça pas à la langue qu’elle avait parlée pendant un si grand nombre de siècles. Mais elle abandonna les hiéroglyphes dont les symboles lui rappelaient des idées païennes, et clic adopta pour écriture l’alphabet des Grecs tel qu’il était usité à cette époque à Alexandrie. La langue copte, comme on la connaît encore aujourd’hui, est donc, dans un état plus ou moins parfait de conservation, l’ancienne langue égyptienne appliquée à des usages chrétiens, et écrite avec des lettres empruntées à une écriture étrangère.

Du reste, il ne faudra pas croire que l’abandon de l’ancienne religion nationale ait eu lieu subitement et d’un seul coup, l’année même de l’édit de Théodose. L’édit de Théodose rendit obligatoires pour tout l’Empire les pratiques de la religion chrétienne. Mais, avant Théodose, il y avait déjà quelques Égyptiens ralliés au christianisme, comme après lui on trouve encore, surtout dans la Haute-Égypte, de fervents adeptes du paganisme qui ne se laissèrent que difficilement entamer par la religion nouvelle.

Notre intention n’est pas de suivre dans tous ses détails l’histoire des Coptes pendant la période qui nous occupe. L’Égypte à ce moment donna au monde un bien triste spectacle. Sous la pression des évènements, elle s’était partagée en deux fractions. D’un côté étaient les Coptes formant une secte qui tenait d’autant plus à ses idées qu’elles avaient été condamnées par le concile de Chalcédoine. De l’autre étaient les Melkites, c’est-à-dire tous ceux qu’un lien quelconque unissait à Constantinople et qui condamnaient comme entachée d’hérésie la croyance admise par l’autre moitié de la nation. Qui ne voit ce que ces seules dissidences devaient soulever d’implacables haines au sein d’une société déjà si bouleversée ? L’Égypte l’éprouva cruellement pendant les deux siècles et demi qui suivirent son émancipation religieuse. Émeutes dans les rues, incendies, brigandage organisé dans les campagnes, elle subit à la fois tous les fléaux de la guerre civile, pendant qu’à Alexandrie des luttes sanglantes mettaient aux prises non seulement les chrétiens et les juifs, mais encore les chrétiens eux-mêmes que quelques points de dogme différemment compris armaient les uns contre les autres. Je viens de dire que le spectacle que présente l’Égypte après l’édit de Théodose est de ceux qui attristent et découragent : je ne m’y arrêterai donc pas.

Je ne puis cependant m’empêcher d’ajouter que les désordres qui marquèrent cette époque d’un signe fatal ne doivent pas être tous attribués à l’Égypte. Le vrai tort de l’Égypte, en ces circonstances, fut d’avoir été un des points de centre les plus actifs de toutes les prodigieuses transmutations politiques et religieuses qui troublèrent alors le monde. D’un autre côté, les yeux tournés vers Constantinople où résidait pour elle la toute-puissance, elle ne pouvait puiser au siége même de l’Empire que des exemples de la plus perverse corruption. Là, en effet, le libertinage fastueux des patriciens, la servilité des grands, l’indiscipline des soldats, sont des vices que la grande cité n’essaie même pas d’extirper de son sein. Le patriotisme y est remplacé par la vénalité et la soif immodérée des richesses. Les empereurs eux-mêmes usent dans de vaines discussions théologiques le temps qu’ils emploieraient mieux à gouverner l’Etat, et, après avoir présidé des conciles, ils en viennent à prescrire des articles de foi, et à écrire des plaidoyers pour ou contre les décisions des patriarches[3]. En se laissant aller aux idées de désordre et de révolte, en faisant de ces disputes religieuses l’occupation de tous ses jours, l’Égypte s’abandonnait donc à un torrent qu’il lui était impossible de remonter. Le rôle d’agitateur politique et religieux n’est pas du reste celui qui convient à l’Égypte, et l’histoire nous montre que toutes les fois qu’elle l’a pris, elle y a été conduite par les évènements plus que par sa propre impulsion. L’Égypte, en effet, n’est pas une terre de luttes. Par son admirable climat où il est si doux de se laisser vivre, par la fertilité de son sol, par la douceur de ses habitants si faciles à initier à tous les progrès de la civilisation, l’Égypte est le pays conservateur par excellence. L’agression, le besoin d’expansion et de propagande, si communs dans d’autres races, lui sont pour ainsi dire inconnus, et si on ne vient pas troubler chez elle cette sorte de tranquillité qui est comme l’essence de sa vie, il est certain qu’elle n’ira jamais chez les autres porter l’agitation. Peut-être, en des moments de crises suprêmes, fera-t-elle un effort et deviendra-t-elle à son tour envahissante. Mais ces mouvements contre nature sont de courte durée, et on peut être sûr que la catastrophe finale se fera toujours à ses dépens.

C’est ce qui est arrivé après les violentes disputes religieuses auxquelles nous venons de la voir livrée. A l’époque où nous en sommes maintenant, Mahomet avait paru, et avait, lui aussi, proclamé une religion nouvelle. De son côté l’Égypte, fatiguée du joug pesant et sans dignité de Constantinople, songeait à s’en débarrasser. Un copte d’une noble origine et d’une grande fortune, Makaukas, entreprit la tâche difficile de rendre à son pays son antique indépendance. Presque seul contre les soldats de l’Empereur qui s’étaient enfermés à Alexandrie, il noua des intelligences avec les Arabes et engagea par la promesse d’un tribut annuel un des lieutenants de Mahomet, Amrou-ben-el-Ass, à venir lui prêter le secours de son bras. Amrou, en effet, battit les troupes impériales, et, après un siège de quatorze mois, entra vainqueur dans Alexandrie. En vain les troupes bysantines, aidées par une flotte et une nouvelle armée venues de Constantinople, réussirent-elles à reprendre la ville. Les Coptes s’effrayèrent à l’idée de retomber sous le joug des maîtres qu’ils croyaient avoir chassés ; de nouveau ils appelèrent les Arabes ; ils s’unirent à eux, et tous ensemble enlevèrent une seconde fois Alexandrie où l’islamisme s’établit triomphant. On sait le reste. Cette fois l’Égypte n’est plus ni une monarchie indépendante comme sous les Pharaons, ni une province de l’empire romain comme sous les Césars, ni une province de l’empire d’Orient comme sous les Byzantins : incorporée au vaste empire des Khalifes, elle est et elle restera jusqu’à nos jours musulmane. — Ainsi se termine, par l’établissement de la religion du prophète à Alexandrie et successivement dans toutes les provinces de l’Égypte, la seconde des trois périodes dont se compose l’histoire générale de ce pays.

 

 

 



[1] 381 après J.-C.

[2] 640 après J.-C.

[3] Viennet.