RENAUD DE DAMMARTIN

 

CHAPITRE V.

 

 

1200-1203, 1203-1206

TROUBLES EN BOULONNAIS. — LA CROISADE. — RENAUD DE DAMMARTIN SE RAPPROCHE DE PHILIPPE-AUGUSTE. — IL FIANCE SA FILLE AU FILS DU ROI. — CONQUÊTE DE LA NORMANDIE PAR LE ROI DE FRANCE.

 

Les grands événements auxquels le comte de Boulogne se trouvait mêlé et auxquels il prenait une part active ne l'empêchaient pas de s'occuper de questions de moindre importance au point de vue général, mais d'un intérêt direct pour son comté. En 1199, il confirma les donations faites par le comte Eustache à l'abbaye de Saint-Vulmer, la seule pour laquelle il semble avoir eu une certaine prédilection ; il ajouta à la charte de confirmation l'autorisation pour les religieux de prendre chaque jour un sommier de bois dans la forêt de Boulogne[1]. Puis, le 23 avril 1200, comme il avait un procès en Angleterre avec les moines de Lisleschirch, Renaud désigna un de ses fidèles, Robert de Dammartin, pour plaider sa cause par-devant la cour du roi d'Angleterre. Le lendemain, 24 avril, il fit confirmer par Jean-sans-Terre l'échange de cent sous de terres à Kirketon qu'il donnait à l'abbaye de Notre-Dame de Longvilliers, pour cent sous de terres à Norton, données jadis à cette communauté par le comte Mathieu d'Alsace (Waltham, 24 avril 1200).

Bien que les rois de France et d'Angleterre ne se fissent pas la guerre, le pays n'en était pas beaucoup plus tranquille pour cela. Les rivalités des petits seigneurs, les guerres privées de voisin à voisin, de clocher à clocher, de tourelle à tourelle ; les déprédations auxquelles se livraient les bandes de routiers et de cottereaux, qui, lorsqu'elles ne touchaient pas de solde au service d'un seigneur puissant et riche, n'avaient pour vivre que le pillage ; tous ces ferments entretenaient une agitation constante dans les provinces. Les voyageurs rencontraient à chaque pas de nouveaux dangers, écrivait Étienne de Tournai[2] : Dangers au passage des fleuves, dangers de la part des cottereaux, Basques et Aragonais : ma route est plutôt mortelle que joyeuse. Je cherche l'évêque d'Albane par monts et par vaux, au milieu des fureurs des brigands et des images de mort, à travers des villes incendiées et des maisons démolies. Rien n'est sûr, rien n'est tranquille ; partout et toujours il faut trembler pour sa vie et pour ses membres.

Et c'était ainsi d'un bout à l'autre de l'Europe occidentale !

Il n'y avait pas de raison pour que le Boulonnais fit exception, bien au contraire : le moindre possesseur d'une cotte de mailles, le moindre propriétaire d'une tour se croyait par cela même le droit de piller et d'assommer les gens qui passaient à portée de son épée. Ces petits barons pillards accomplissaient leurs exploits à l'ombre des rivalités des grands, dont ils savaient faire leur profit. Les comtés de Boulogne et de Guines sont à cette époque effroyablement ravagés ; Lambert d'Ardres nous a conservé quelques noms et quelques détails : il cite Enguerrand d'Erninghesem, un fidèle allié de Renaud de Dammartin, qui profite de l'obscurité des nuits pour infester le pays de Guines. Gui de Campagne pille les environs de Guines, Escales, Herbedinghem ; il emmène de nombreux prisonniers et ne les relâche que contre une forte rançon. Hugues du Val et Simon de la Cauchie, attachés au parti de Guines, exercent des représailles sur les domaines du comte de Boulogne. Quant à Eustache de Harnes, fier de sa noblesse et de sa vigueur peu commune, il commence par envahir le Boulonnais, y fait une ample moisson de butin et de prisonniers, puis il se réconcilie avec Renaud et se comporte sur la terre de Guines comme il l'avait fait sur celle de Boulogne. Baudouin de Guines n'en put obtenir la paix qu'en lui donnant en mariage une de ses nièces, Mathilde, fille de sa sœur Gisle et de Gautier de Poulaire.

Le séjour dans un pays aussi bouleversé ne devait rien avoir de bien séduisant ; Jean-sans-Terre, pour complaire à son nouvel allié et se l'attacher davantage, envoya à Renaud, le 29 mai 1200, de la Roche-Orival, un sauf-conduit où il disait : Si, à cause de la guerre qui ravage le Boulonnais, le comte de Boulogne veut venir en Angleterre, il pourra s'y retirer, y rester ou en repartir à sa guise, en toute liberté, lui, sa femme et sa fille. Puis, comme le roi d'Angleterre n'aurait pas été fâché de voir Mahaud, la jeune fille du comte et l'héritière du Boulonnais, épouser quelqu'un de-ses barons, il ajoutait : S'il arrive que le comte Renaud veuille marier sa fille à un de nos barons, il pourra le faire suivant les coutumes du Boulonnais. Mais Renaud ne profita pas de ces avances et ne répondit pas aux offres qui lui étaient faites. Un événement survenu à quelque temps de là mit en balance sa rancune et son intérêt : son père étant mort le 20 septembre 1200, Renaud ne pouvait entrer en possession de son fief héréditaire que du consentement du roi de France. Il lui fallait donc opter entre son héritage et son ressentiment contre Philippe-Auguste.

Le vieux seigneur de Dammartin s'était retiré dans sa terre de Lillebonne, alors sous la domination anglaise. Sentant venir sa fin ; il avait appelé les siens auprès de lui : sa femme, Mabilie, sa bru, Ide de Boulogne, ses fils Renaud, Raoul et Simon. Le 20 septembre, il donna à l'abbaye de Chaalis vingt sous parisis de revenus à prendre sur le cens de Dammartin, et quarante sous au prieuré de Saint-Leu d'Esserent, plus une mesure de blé par an pour les pauvres du prieuré. Mabilie et Renaud apposèrent leur sceau sur ces deux donations. Le même jour, Aubri mourut. Son corps fut transporté à Jumièges, où on l'ensevelit. Renaud, agissant comme chef et du consentement de sa famille, donna aux moines de cette abbaye onze livres de rente à percevoir à Lillebonne, dans le fief Vascher, afin que des prières fussent dites pour l'âme de son père.

Entre temps, Jean-sans-Terre, prévoyant que la paix ne serait pas de longue durée, continuait à consolider ses alliances et tâchait de s'en créer de nouvelles, surtout parmi les seigneurs flamands. Il les flatte, les favorise de donations : il accorde une rente annuelle de cent livres sterling à Gérard, prévôt de Bruges (Westminster, 20 avril 1200), et le, même jour, Baudouin de Guines et Guillaume le Maréchal concluent un échange de terres sous son autorité suzeraine. Il autorise les marchands de Flandre à aller et venir librement dans ses domaines, et à y jouir des droits accordés par eux aux marchands anglais en Flandre et dans le Hainaut. Il donne à Thibaut, comte de Bar, un château avec ses dépendances, d'une valeur de 250 livres sterling (19 août). A Baudouin, comte d'Aumale, il confirme le droit de tenir de lui en fief le bourg de Heddun (13 décembre). Enfin il confie à Richard le Flamand le poste de vicomte de Cornouailles et le château de Lancaveton (9 janvier 1201)[3].

Renaud de Dammartin ne fut pas un des moins favorisés : il reçut l'autorisation de faire tenir une foire à Norton, dans le comté d'Oxford, du 1er au 3 mai de chaque année (Chelmesford, 21 mars 1201) ; le 4 avril suivant, Jean-sans-Terre déclara que les habitants de Boulogne seraient exempts de payer le droit de lestage en Angleterre, conformément à la charte que son père Henri leur avait autrefois octroyée, et il prit sous sa protection, en temps de paix comme en temps de guerre, les habitants de Calais, qu'il exempta de tous péages dans ses États[4]. Ces avantages accordés coup sur coup à Renaud de Dammartin et à ses sujets témoignent du désir qu'avait le roi d'Angleterre de le conserver au service de sa cause. Peut-être le sentait-il déjà se détacher de lui peu à peu.

Profitant de l'espèce d'accalmie qui régnait, Foulques de Neuilly, qui depuis quelque temps déjà prêchait une nouvelle croisade, parvint à décider un grand mouvement en faveur de la défense des Lieux-Saints. Le mercredi des Cendres de l'an 1201, le comte de Flandres prit la croix dans l'église de Saint-Donatien de Bruges, et une foule de nobles flamands suivit son exemple. Renaud de Dammartin, après avoir conclu un traité avec le comte de Ponthieu, contre, lequel il était presque toujours en guerre, se croisa également, ainsi que la comtesse Ide[5]. Mais lorsque Baudouin IX, Hugues de Saint-Pol et les autres croisés se mirent en route, en avril 1202, pour cette expédition qui fut détournée de son but et aboutit à la fondation d'un Empire chrétien d'Orient, le comte de Boulogne ne les suivit pas.

Pour quel motif ? Guillaume le Breton donne à entendre qu'il ne fut pas satisfait du rôle qu'on lui assigna dans la croisade, et qu'il ne voulut pas être un simple comparse ; le chapelain de Philippe-Auguste ajoute que sans doute Renaud craignait de laisser sa terre exposée aux convoitises du roi en son absence[6]. Mais il ne faut pas oublier que Guillaume le Breton écrivit après Bouvines, et qu'il n'est pas exempt de partialité à l'endroit du comte de Boulogne. La première raison qu'il donne est plausible, la seconde est inadmissible. Renaud était trop ambitieux pour-écouter d'autres sollicitations que celles de son intérêt ; ses sentiments religieux ne peuvent donc entrer en ligne de compte. A ce moment, il était redevenu le fidèle de Philippe-Auguste ; puisque le roi laissait cette croisade se faire sans lui, il était politique de rester à ses côtés. De plus, Renaud pouvait avoir l'arrière-pensée de s'agrandir aux dépens de ses voisins, tandis qu'ils seraient occupés à se battre en Orient. Enfin, s'il pouvait craindre pour ses domaines pendant son absence, le danger serait venu, en avril 1202, non de Philippe-Auguste, mais du roi d'Angleterre.

En effet, le voyage de Jean-sans Terre à Paris avait eu lieu en juin-juillet 1201. Il y conclut avec le roi de France divers arrangements, en l'absence du comte de Boulogne et salis le consulter, au mépris du traité passé entre eux[7]. Renaud put craindre d'être écrasé dans ce rapprochement des deux puissances qui l'enserraient ; connaissant le caractère cauteleux, hypocrite et lâche de Jean, il était sûr que du moment où son allié agissait sans lui, il risquait fort d'être sacrifié à la première occasion. Aussi prit-il les devants : dès que le roi d'Angleterre fut retourné dans ses États, le comte de Boulogne alla faire sa soumission à Philippe-Auguste et implorer sa grâce. Outre la crainte de Jean-sans-Terre, il était encore poussé par le désir d'entrer en possession de son fief héréditaire de Dammartin : il lui fallait pour cela la faveur royale, puisque ce fief avait été confisqué de droit, par le fait de la mort d'Aubri II en ennemi du roi et sur terre étrangère[8].

Heureux de retrouver un allié précieux, le roi lui pardonna ses fautes passées et l'accueillit avec une bonté qui l'étonna[9]. C'est que Philippe-Auguste ne perdait pas de vue le comté de Boulogne, et il vit là une occasion d'y assurer sa prépondérance. Pour permettre à Renaud de recouvrer les biens de son père, il commença par lui faire payer un droit de 3.000 marcs d'argent fin au poids de Troyes ; puis il mit comme condition à l'hommage du comté de Dammartin, les fiançailles de Mahaud, fille de Renaud et Ide, avec Philippe, surnommé plus tard Hurepel, le fils qu'il avait eu d'Agnès de Méranie. De cette façon, le comté de Boulogne devait tomber un jour aux mains de la famille royale.

Le contrat de fiançailles fut rédigé à Compiègne, en août 1201. Renaud et Ide s'engagèrent à marier leur fille, quarante jours après sa nubilité, suivant les coutumes de l'Église, avec Philippe, fils du roi. Ils promirent de donner à leur gendre le tiers de la terre qu'ils possédaient à cette heure, et la moitié des acquêts jusqu'à la date du mariage.

Il fut décidé qu'en cas de décès : 1° de la comtesse, le comte et le fils du roi auraient chacun la moitié des domaines précités, le château de Boulogne demeurant dans la moitié afférente au comte ; 2° de Renaud, tout l'héritage reviendrait au fils du roi, sauf le douaire de la comtesse Ide ; 3° de Renaud et de son épouse, leur gendre hériterait de toutes leurs possessions intégralement.

Renaud et Ide s'engagèrent, au cas où Philippe Hurepel mourrait le premier, à ne pas remarier leur fille sans l'assentiment du roi, et à ne la donner qu'à un baron faisant au roi loyal et fidèle service.

L'importance que Philippe-Auguste attacha à ce contrat ressort nettement de la qualité et du nombre des témoins qui en jurèrent l'observation au nom du comte et de la comtesse : ce furent tous les chevaliers de la terre de Dammartin, puis les principaux nobles de la terre de Boulogne, enfin les représentants des communes les plus importantes du Boulonnais, les maires de Boulogne et de Desvres, les échevins de Calais et de Merch.

Jean-Sans-Terre ignorait ces différents arrangements Renaud avait suivi son exemple, et ne l'avait averti de rien. Mais il ne tarda pas à connaître la vérité, que les faits se chargèrent de mettre en évidence. Philippe-Auguste l'ayant sommé de venir à Paris lui rendre l'hommage lige pour le Poitou, l'Anjou et l'Aquitaine, quinze jours avant Pâques 1202, le roi d'Angleterre ne répondit pas à cet appel, et Philippe-Auguste entra en Normandie avec une armée, prit Boutavant, Arguel, Mortemer, Gournay, et mit le siège devant Pont-de-l'Arche.

Jean répondit en assassinant Artur de Bretagne. Aussitôt Philippe-Auguste le déféra à la cour des pairs de France. Jean ne comparut pas et fut condamné à mort par contumace ; ses biens situés en France furent confisqués, et Philippe-Auguste chargé de l'exécution de la sentence.

Dès les premières opérations de la guerre, le comte de Boulogne avait pris ouvertement parti pour le roi de France. Jean-sans-Terre lui confisqua immédiatement ses fiefs anglais et distribua à d'autres ses domaines de Normandie. Renaud avait commencé à percevoir ses revenus ; il n'eut pas le temps de terminer l'opération[10]. Successivement, le 22 avril, son bailli reçoit l'ordre de remettre à Guillaume le Maréchal le château de Lillebonne et la terre dont il a la garde en Normandie[11] ; le 23 et le 24 mai, Guillaume le Maréchal reçoit l'ordre d'assigner cent livrées de terres à Roger de Portes, deux cents à Enguerrand de Montenai, cent à Enguerrand d'Aumale, cent vingt à Hugues de Kaigny, soixante à Robert de Morvillers, le tout à prendre sur les terres du comte de Boulogne ; le 3 juin, c'est le bailli de Caux qui doit remettre à Richard de Willenk les terres que Renaud possédait dans la forêt de Lillebonne[12]. Le 4, Guillaume le Maréchal donne, toujours de par la volonté du roi, à Guillaume, comte de Warenne, les possessions du comte de Boulogne à Lillebonne même ; le 14, sur les mêmes domaines, il complète un don de terres fait à Hugues de Gournai[13] ; le 23, il remet à Gilbert, fils du comte de Clara, les propriétés de Renaud à Barfleur et à Mostrevillers, et le 24 il complète, toujours sur les mêmes terres, un don de trois cents livrées de terre en faveur de Geffroy de Bosc[14]. Enfin, le 13 octobre 1204, Geffroi, fils de Pierre, recevait encore l'ordre de prélever cent livrées sur les terres de Renaud, pour les remettre à Guillaume le Maréchal[15].

Le roi d'Angleterre avait dépouillé le comte de Boulogne autant qu'il était en son pouvoir. Pour trouver des compensations à ces pertes, Renaud n'avait d'autre ressource que de se faire concéder de nouveaux fiefs par le roi de France ; il ne pouvait y arriver qu'en rendant de sérieux services à son suzerain, et ce motif le détermina à prendre une part des plus actives à la conquête de la Normandie.

Innocent III se montrait hostile aux tentatives du roi de France. Philippe-Auguste n'avait pas, comme Philippe-le-Bel cent ans plus tard, l'appui des États-Généraux contre la Papauté ; il se servit de ses barons, et en ce qui concerne Renaud de Dammartin, par exemple, il se fonda sur les devoirs de la vassalité pour exiger de lui une charte où Renaud reconnaissait lui avoir donné le conseil de ne faire ni paix ni trêve avec le roi d'Angleterre, si le Pape ou l'un de ses cardinaux cherchaient à l'y contraindre, et promettait, au cas où Innocent III aurait recours à la force, de venir en aide au roi de France de tout son pouvoir ; il donnait en gage les fiefs qu'il tenait du roi, et ajoutait qu'il ne ferait aucune paix avec le Pape sans l'assentiment de son suzerain (Évreux, juin 1203).

La conquête de la Normandie commençait. Le comte de Boulogne y joua un rôle brillant, particulièrement lors des opérations du siège de Château-Gaillard, qui en fut l'épisode saillant[16].

Au mois d'août 1203, l'armée française arriva par la rive gauche de la Seine, en face de Château-Gaillard ; elle se développa dans la presqu'île Bernières, appuyant sa gauche à Bernières et sa droite à Toëni. Étant donné la force et la situation de Château-Gaillard, il ne fallait pas songer à l’attaquer de front : on ne pouvait espérer s'en emparer que si on parvenait à le prendre à revers. La première opération que tenta Philippe-Auguste fut donc le passage sur la rive droite ; il aurait en outre l'avantage de communiquer alors avec le Vexin, d'où il pourrait tirer de nombreux approvisionnements.

Bien que l'île d'Andeli fût fortifiée, le roi s'en servit pour y appuyer un pont de bateaux qu'il réussit à établir d'une rive à l'autre ; à la pointe même de l'île, deux grosses tours, supportées par quatre bateaux, en dominaient les fortifications. Lorsque cet ouvrage fut terminé, Philippe-Auguste passa de sa personne sur la rive droite avec les principaux chefs de son armée, et s'installa sous les murs du Petit-Andeli. Il laissait sur la presqu'île Bernières ses machines de siège, gardées par un retranchement, et le reste de ses troupes, toute la piétaille, les ribauds, les vivandiers, et la bande de pillards et de gens sans aveu qui formait la suite ordinaire des armées en campagne.

En apprenant les dispositions prises par le roi de France, Jean-sans-Terré conçut un projet vraiment habile : il confia à Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, 300 chevaliers choisis, 3.000 sergents à cheval, 4.000 hommes de pied, et lui adjoignit le fameux chef de routiers Lou Pescaire, avec sa bande ; puis il chargea le pirate Main Tranchemer d'embarquer 3.000 Flamands sur ses 70 nefs. Tous deux devaient profiter d'une nuit obscure pour combiner une attaque d'après le plan suivant : le Maréchal, arrivant par la voie de 'terre, surprendrait les ribauds et piquichins de la presqu'île Bernières et les mettrait en déroute, tandis qu'Alain attaquerait le pont de bateaux, l'incendierait et le détruisait. Jean-sans-Terre comptait ainsi couper en deux l'armée française.

On était à la fin de l'été ; pendant la journée, les gens de la presqu'île Bernières s'étaient pour la plupart répandus dans la campagne environnante, afin d'y récolter du butin. Le soir, ils étaient rentrés au camp et avaient festoyé avec le produit de leurs rapines, en compagnie des ribaudes qui les suivaient. Lorsque la nuit tomba, une nuit sans lune, complètement noire, à peine piquée par la tache rouge de quelques feux qui mouraient lentement, le sommeil gagna le camp : ceux qui ne dormaient pas étaient ivres. Nul n'avait songé à se garder, à placer des sentinelles ; le danger ne pouvait venir que de la rive droite, du côté des Andelis : or, il y avait là la meilleure moitié de l'armée ; les gens de la rive gauche, ne craignant aucune surprise, dormaient en toute sécurité.

Soudain, en pleine nuit, un vacarme effroyable, fracas d'armes, cris de rage, hurlements de douleur, éclate au milieu des dormeurs ; ils reçoivent des coups sans voir qui les leur porte, sans pouvoir les rendre, et au milieu d'une confusion inexprimable, les soldats de Guillaume le Maréchal, en font tout à leur aise un épouvantable carnage. Bientôt Cette foule que l'affolement fait tournoyer sur place, se souvient que le roi et ses meilleurs capitaines se trouvent de l'autre côté du pont de bateaux ; dominée par cette idée, elle s'y précipite et s'y engage avec une telle furie, elle s'y entasse avec une telle violence, que le pont menace de se briser.

A la première alerte, Guillaume des Barres, Renaud de Dammartin et Gaucher de Châtillon avaient couru au danger. L'épée nue, ils s'étaient résolument placés au milieu du pont, barrant le passage aux fuyards. Aidés par la puissante stature et par la force herculéenne de des Barres, soutenus bientôt par ceux des leurs qui les avaient suivis, ils parvinrent à arrêter le flot qui menaçait de les déborder ; sur leur ordre, on alluma de toutes parts des torches, des branches d'arbres, des poutres, de l'huile, toutes les matières inflammables, que l'on avait sous la main et qui pouvaient éclairer la scène. Chacun put alors se reconnaître : Guillaume des Barres, Renaud de Dammartin et Gaucher de Châtillon se mirent à la tête des ribauds, les entraînèrent de la voix et du geste et les ramenèrent au combat, tandis que beaucoup de chevaliers passaient le pont à leur suite. Devant cette résistance inattendue, la poussée des Anglais se ralentit ; sous l'effort des Français qui avaient repris courage, ce fut à leur tour de commencer à plier, et bientôt ils furent mis en pleine déroute, laissant des morts sur le champ de bataille et des prisonniers aux mains de leurs ennemis.

Revenus de cette chaude alerte, les Français firent immédiatement au pont les quelques réparations nécessaires ; le petit jour naissait ; on se disposait à prendre un peu de repos, lorsque le cri de : aux armes ! retentit de nouveau. C'était la flotte d'Alain Tranchemer qui apparaissait ; elle avait été retardée dans sa marche par les difficultés de la navigation, de sorte qu'elle trouva les gens de Philippe-Auguste prêts à la recevoir. L'attaque échoua ; tandis qu'Alain s'enfuyait en toute hâte, Gaubert, le pêcheur de Mantes qui a attaché son nom à l'histoire de Château-Gaillard, se mettait à sa poursuite et lui capturait deux nefs.

Le plan de Jean-sans-Terre avait complètement échoué.

Philippe-Auguste s'étant rendu maître des ouvrages de l'île et du Petit-Andeli, abandonna de sa personne les opérations du siège pendant quelque temps pour aller attaquer Radepont, dont il s'empara. Au mois d'octobre, il était revenu sous les murs de Château-Gaillard, et organisa le blocus afin de prendre la place par la famine. Pendant que ce travail s'accomplissait, le roi regagna sa capitale pour y passer les mois d'hiver. Mais avant de quitter le camp, il récompensa. Renaud de Dammartin-des services qu'il lui avait rendus. au cours de la campagne, et lui donna les domaines de Bellencombre et de Meulers avec la forêt d'Eawl, pour en jouir dès qu'ils seront conquis[17].

Le 23 février 1204, Philippe-Auguste était revenu devant Château-Gaillard, qui succomba le 18 mars, Renaud de Dammartin ne quittait pas le roi, et le suivit au siège de Falaise. Après la prise de cette ville, Guillaume le Maréchal se présenta au roi comme envoyé par Jean-sans-Terre pour traiter de la paix, et pour lui faire hommage de ses domaines normands : devant les progrès de l'armée française, c'était le seul moyen de les conserver. Mais le comte de Pembroke avait à la cour d'Angleterre un rival jaloux de son influence, dans la personne de l'archevêque de Canterbury. Le prélat, furieux que cette démarche eût été décidée sans qu'on eût pris son avis, dépêcha Raoul d'Ardenne à Renaud de Dammartin, le chargeant de lui dire que ceux qui étaient venus auprès de Philippe-Auguste pour traiter de la paix au nom du roi d'Angleterre n'avaient aucun pouvoir pour le faire. Renaud s'empressa de reporter ce propos à son suzerain, qui renvoya de sa présence Guillaume le Maréchal. D'autre part, toujours à l'instigation de l'archevêque de Canterbury, Raoul d'Ardenne alla dire à Jean-sans-Terre que Guillaume le Maréchal avait fait alliance contre lui avec le roi de France[18].

De Falaise, Philippe-Auguste marcha sur Caen. Gui de Thouars et ses Bretons, qui venaient de prendre et d'incendier le Mont-Saint-Michel, l'y retrouvèrent. Le roi se concerta avec eux et leur adjoignit le comte de Boulogne, Guillaume des Barres et plusieurs autres chevaliers français, les chargeant de prendre Pontorson et Mortain, pendant que lui-même se dirigerait sur Rouen[19].

Renaud et ses compagnons menèrent à bien l'expédition militaire qui leur avait été confiée et revinrent joindre le roi à Rouen. Les terres qu'il possédait déjà en Normandie, celles qui lui étaient promises à ce moment et qui lui furent données peu après, lui créaient de nombreux intérêts dans le pays. Aussi, pour se faire bienvenir de la population, pour augmenter la prospérité commerciale de ses ports du Boulonnais, peut-être bien un peu pour complaire à Philippe-Auguste, qui se fit une règle de s'attacher, en leur concédant des chartes, les bourgeois de ses villes, particulièrement dans les domaines nouvellement réunis à la couronne, Renaud de Dammartin accorda aux bourgeois de Rouen une charte les affranchissant du droit de lagan sur toutes ses terres.

Il décida que si des marchandises appartenant à un homme ou à une femme demeurant à Rouen ou dans la banlieue, et faisant partie de la commune, venaient à être soumises au lagan sur ses domaines, il suffirait d'une déclaration portant que leur propriétaire est rouennais, pour qu'elles fussent gardées sauves pendant trois semaines ; si dans ce délai, le comte, ou son bailli au lieu où elles se trouvent, reçoit du maire de Rouen des lettres-patentes confirmant la déclaration, lesdites marchandises seront sauvegardées aussi, longtemps que les lettres du maire le demanderont, sans toutefois que ce nouveau délai puisse excéder trois mois ; passé trois mois, elles deviendront la propriété du comte, Réclamées en temps utile, elles seront rendues à leur propriétaire, quittes de tout lagan, mais sans préjudice des autres droits. Enfin, pour tout navire voyageant à vide de marchandises, appartenant à un Rouennais, et qui viendrait à être soumis au lagan, les personnes des matelots seront sauves, quel que soit leur pays d'origine (Rouen, septembre-décembre 1204).

La campagne de 1204 était terminée. Le comte de Boulogne suivit Philippe-Auguste à Paris. Cette fois, le roi le combla de biens et lui donna trois comtés : d'abord Mortain, que Renaud avait pris ; puis Aumale et ses dépendances du côté de la forêt d'Eawi, sauf Arguel ; enfin Domfront-en-Passais et la forêt d'Andaine. En échange de ces deux derniers comtés, Philippe-Auguste se faisait livrer Mortemer et ses dépendances, sauf le village de Saint-Riquier, situé entre Eu et Furcarmont. Les comtés de Mortain et de Domfront se touchaient et étaient limitrophes du comté de Mayenne ; Philippe-Auguste, craignant les habitudes de mauvais voisinage de Renaud, lui fit prendre l'engagement de ne pas attaquer et de ne pas mettre en cause Juhel de Mayenne sans son consentement.

M. Walker[20], fait très justement remarquer l'habileté avec laquelle le roi de France savait donner ou échanger des terres, de façon à accaparer celles qui avaient pour lui une utilité stratégique. Comme exemple il cite ce fait que le roi échangea avec Bérangère, veuve de Richard Cœur-de-Lion, Falaise, Domfront et Bonneville-sur-Touque contre le Mans, et qu'ensuite il échangea, avec Renaud de Dammartin, Domfront contre Mortemer. Il arrivait ainsi à la possession de cette dernière place, qui lui mettait entre les mains un sérieux avant-poste dominant les routes de Normandie et du Ponthieu.

Le comte de Boulogne avait donc retrouvé toute sa faveur, et faisait partie de la cour du roi. A ce titre, il fut avec Robert, comte de Dreux, Gaucher de Châtillon, Gui de Senlis le Bouteiller, Philippe de Nanteuil et Guillaume des Barres, au nombre des garants de la promesse qu'Alix, comtesse d'Angoulême, fit au roi de ne lui porter aucun préjudice, et de n'envoyer personne en Angleterre à son insu[21].

Les moines de l'abbaye de Chaalis profitèrent de la présence de Renaud de Dammartin â Paris pour se faire confirmer un don de douze arpents de bois et la dîme de vingt-six arpents de terre, que leur avait fait Aleaume de Monger, un des barons du comté de Dammartin[22].

Renaud passa le mois de janvier 1205 dans son comté de Boulogne ; en février, il était revenu auprès de Philippe-Auguste à Vernon. La Normandie était conquise, mais la guerre avec l'Angleterre n'était pas terminée pour cela. Avant de recommencer la campagne, le roi de France profita des bonnes dispositions où le don de trois comtés avait mis le comte de Boulogne, pour terminer le différend qui depuis longtemps le séparait de son beau-frère Henri de Louvain ; du même coup, le roi se faisait un allié de ce dernier. En donnant pour femme au duc de Brabant Mahaud, sœur cadette de Ide de Boulogne, Philippe d'Alsace lui avait assigné en dot un revenu de 500 livres à percevoir sur le comté de Boulogne ; puis, avant de partir pour la croisade, il emprunta au duc 300 marcs et 7.000 talents, lui donnant le Boulonnais comme gage de sa dette.

C'est alors que Renaud de Dammartin intervint, épousa l'héritière du comté dont il s'empara de force, et dont il fit ensuite hommage au roi de France. Depuis cette époque, le duc n'avait rien touché des sommes qui lui étaient dues, en dépit des stipulations contenues dans l'acte d'hommage de Renaud à Philippe-Auguste. Il demanda au Pape d'intercéder en sa faveur ; le 6 août 1198, Innocent III écrivit à Pierre, évêque d'Arras, et à Adam, doyen de Cambrai, les engageant à user de leur influence auprès du roi pour faire rendre justice à Henri de Louvain[23].

Voyant l'extension que prenait la puissance de Philippe-Auguste, à la suite des campagnes de 1203 et 1204 en Normandie, Henri de Louvain comprit que le roi seul pouvait lui faire obtenir la reconnaissance de ses droits. Il se détermina à venir le trouver à Vernon, en février 1205, et à lui rendre hommage. Philippe-Auguste intervint alors en sa faveur ; Renaud acquiesça aux volontés de son suzerain, et l'accord fut aussitôt conclu et rédigé en double exemplaire.

Henri de Louvain reconnut à Renaud la pleine et entière possession du Boulonnais et de tout ce qui en dépend sur le continent, et Renaud promit de remettre à son intention entre les mains du roi une rente annuelle de 600 livres parisis prélevées sur la ville de Calais, ou sur ses autres domaines au cas où les revenus de Calais ne pourraient y suffire. S'il arrivait que l'un des contractants se disposât à aller revendiquer en Angleterre les terres auxquelles il a droit du chef de sa femme, il devrait prévenir l'autre ; et si, dans les deux mois qui suivront cette notification, l'autre ne vient pas à son aide, soit de sa personne, soit en lui envoyant des hommes d'armes, tout ce qu'il acquerrait en Angleterre lui appartiendrait intégralement. Si au contraire les deux beaux-frères agissaient de concert, les biens acquis seraient partagés entre eux suivant les coutumes anglaises, c'est-à-dire proportionnellement suivant l'ordre de primogéniture des deux filles de Mathieu d'Alsace.

Cet accord fut juré par le duc de Louvain et par Renaud de Dammartin en présence de Philippe-Auguste, qui de son côté jura de les suivre avec une armée dans le mois qui suivrait le moment où ils auraient pris pied sur la terre anglaise. Lorsque ces nouvelles parvinrent en Angleterre, elles y causèrent un vif émoi ; on craignit que tous les barons y possédant des droits dont ils avaient été frustrés ne fissent de la même façon alliance entre eux et avec le roi de France[24].

Dès les premiers jours du printemps, Philippe-Auguste entra en campagne. Depuis qu'il avait commencé la conquête de la Normandie, Jean-sans-Terre avait toujours abandonné à eux-mêmes ceux qui se battaient pour lui ; cette fois, il fit un effort et réunit une flotte à Porchester. Il y arriva le 31 mai, et se disposa à passer sur le continent. Mais l'archevêque de Canterbury et Guillaume le Maréchal le dissuadèrent de ce projet. La raison qu'ils invoquèrent vaut la peine d'être notée : si Renaud de Dammartin, dirent-ils, apprend que les côtes d'Angleterre se trouvent dégarnies de leurs meilleurs défenseurs, il s'empressera de passer le détroit et d'opérer un débarquement. Jean se laissa convaincre, et quitta Porchester le 9 juin, sans utiliser la flotte dont il disposait[25].

Renaud n'était cependant pas en Boulonnais à ce moment. Il n'avait pas quitté le roi avec lequel il assista aux sièges de Loches et de Chinon. Lorsque Hubert de Burgh, le futur grand justicier d'Angleterre, qui commandait dans cette dernière place, eut été forcé de se rendre, ce fut au comte de Boulogne que le roi en confia la garde[26].

Cette année-là Philippe-Auguste s'occupa de l'organisation de sa conquête. Il fit faire une enquête sur les droits dont le duc et les barons de Normandie avaient joui vis-à-vis du clergé, sous les rois anglais Henri II et Richard Cœur-de-Lion, c'est-à-dire sur les rapports des pouvoirs laïque et ecclésiastique dans cette province. Renaud de Dammartin 'était alors à Rouen ; il fut un des témoins consultés et un des signataires de la charte qui fixa les droits en question (Rouen, 13 novembre 1205)[27].

Outre les barons du Boulonnais qui avaient suivi Renaud en Normandie et combattu à ses côtés depuis le commencement de la guerre, comme Guillaume de Fiennes, Gui Leschans, Daniel de Bétencourt, ses deux frères, Simon et Raoul, y avaient pris une part active. Comme ils avaient été à la peine, ils furent aussi aux profits ; Philippe-Auguste ne les oublia pas lorsqu'il récompensa ceux qui l'avaient fidèlement servi. Pour sa part, Simon reçut le comté d'Aumale en même temps que Renaud ; tous deux le possédèrent en quelque sorte par indivis[28]. Un ancien devoir des comtes d'Aumale envers leurs suzerains, les ducs de Normandie, consistait à 'porter leur étendard à la guerre, cette qualité était restée attachée au comté lorsque la Normandie passa sous la domination royale, de sorte que Renaud et son frère devinrent les porte-étendards du roi[29]. Plus tard, en 1206, lorsque Gui de Thouars se fut détaché de l'alliance française, le roi donna encore son château de Saint-Jacob de Beuvron à Simon de Dammartin, pour être tenu par lui en fief et hommage lige, suivant les coutumes de Normandie, et comme il était précédemment tenu par Gui de Thouars[30].

De son côté, Raoul de Dammartin reçut les terres que possédait auparavant Marguerite de Toëni à Pont-Saint-Pierre, à Rumilly, à Pistres, et dans la forêt de Lonchoël, avec le plessis Nicolas (Pont-de-l'Arche, 1206)[31].

Les jugements de l'Échiquier de Normandie nous ont conservé la trace de plusieurs procès qu'eut à soutenir le comte, de Boulogne dans le ressort de cette juridiction. D'abord un certain Foulques Paganelli l'accusa d'avoir enlevé ses troupeaux pour les prendre en gage ; le tribunal ordonna une enquête et dispensa Foulques de répondre à la semonce du. comte avant que cette enquête fût terminée (Falaise, Pâques 1207)[32]. L'année suivante à la même époque, Renaud fit assigner en justice Pierre de Saint-Hilaire, pour ne s'être pas rendu : à sa semonce, et répondre de cette abstention à Fressent. Malemains (Falaise, Pâques 1208). A la session d'automne de la même année, Renaud demanda au tribunal de forcer Richard de Griseio à lui payer la dette qu'il avait contractée envers lui ; ce Richard était entré dans l'ordre des Hospitaliers de Jérusalem, et le comte de Boulogne voulait l'en faire sortir afin de se faire payer. Le jugement ne lui donna pas satisfaction sur le premier point, mais lui accorda qu'il pourrait se payer sur les héritiers ou sur la terre dudit Richard (29 septembre 1208). En 1210, le comte ayant voulu citer en justice messire Raoul Taisson dans le fief de Passais, et lui appliquer une peine arbitraire, l'Échiquier lui enjoignit de se conformer aux coutumes de Passais, et de ne pas le soumettre à l'arbitraire plus que s'il était baron[33].

En Normandie, Renaud ne respecta pas plus les biens de l'Église que dans ses autres domaines. Prétendant qu'un fief d'argent perçu par l'évêque d'Avranches était d'essence laïque, il s'en empara ; sa réponse à la réclamation de l'évêque fut qu'il fallait faire une enquête pour savoir si ce fief était talque ou ecclésiastique. L'évêque affirma qu'au temps des rois d'Angleterre Henri et Richard, aucune enquête de ce genre n'avait été faite. En tant que clerc, il aurait dû citer en justice celui qui l'avait dessaisi de son fief : il consentit cependant à s'engager à verser cent livres aux mains du comte de Boulogne, si des barons, des chevaliers ou des baillis affirmaient sous serment avoir vu faire une enquête de ce genre devant la cour des rois précités[34].

Tels sont les actes d'administration de Renaud de Dammartin dans ses comtés normands, qui nous sont parvenus pour la période où il en eut le gouvernement, de 1205 à 1211.

 

 

 



[1] Bull. Soc. ac. de Boulogne, I, 374.

[2] Lettres d'Étienne de Tournai, H. F., XIX, 283.

[3] Rot. chart., passim.

[4] Rot. chart., 91 b, 95.

[5] Raoul de Diceto, M. G., XXVII.

[6] Phil., VI, 59.

[7] Raoul de Coggeshall, 135, 136.

[8] Guill. Bret., Chron., 199.

[9] Raoul de Coggeshall, ibid. — Phil., 60 et suiv.

[10] P. R., 47, 48, 49. Remarquer que pour certains domaines les mots comit. Bolonie sont exponctués.

[11] Rot. lit. pat., 9 b.

[12] Rot. Normanniœ, 45, 46.

[13] Léchaudé d'Anisy, Grands Rôles de l'Échiquier de Normandie, 105, 106, 107.

[14] Rot. Norm., 51, 50.

[15] Rot. lit. claus., I, 10 b, 11.

[16] Deville, Hist. de Château-Gaillard. — Viollet-le-Duc, Dictionnaire. — Phil., VII.

[17] Cette donation fut sans doute annulée et remplacée par d'autres que nous rencontrerons un peu plus tard, car le texte en est cancellé sur le registre JJ9A, A. N.

[18] Hist. de Guillaume le Maréchal, II, 104.

[19] Guil. Bret., Chron., 131.

[20] On the increase of royal power in France under Philipp-August.

[21] Cat., 811.

[22] Le ms. Moreau CVI porte 20 arpents, et le Cart. de Chaalis, porte 26 arpents.

[23] Lettres d'Innocent III, H. F., XIX, 364 a.

[24] Raoul de Coggeshall, H. F., XVIII, 100 b.

[25] Raoul de Coggeshall, 152.

[26] Hist. des ducs de Normandie, 103.

[27] Cat., 961.

[28] Art. Vér., II, 792.

[29] Ernest Semichon, Hist. d'Aumale.

[30] Cart. Norm., 141.

[31] Cart. Norm., 1085.

[32] L. Delisle, Recueil de jugements de l'Échiquier de Normandie, 10.

[33] L. Delisle, Recueil de jugements de l'Échiquier de Normandie, 32, 41, 67.

[34] Cart. Norm., 1104.