JULES CÉSAR EN GAULE

 

DEUXIÈME ÉPOQUE (SUITE).

CHAPITRE SEPTIÈME. — TRACES ANTIQUES DANS L'OPPIDUM MÊME D'ALÉSIA-IZERNORE.

 

 

§ IV. — Ville gauloise d'Alésia. Monument et ville gallo-romaine d'Izernadorus, ou Izernodoro, ou Izarnobero, ou Izarniboro, ou Izarno... à l'époque mérovingienne.

 

Quelle était approximativement la population de la ville gauloise d'Alésia à l’époque de César ?

Plutarque seul nous l'indique ; voici ce qu'il en dit : Pendant que César faisait le blocus de la ville, il se trouva exposé à un danger tel, qu'on ne saurait le faire concevoir par de simples paroles. En effet, les forces de toute la Gaule, au nombre de 300.000 combattants, vinrent auprès d'Alésia, pendant qu'il se trouvait déjà dans a la ville non moins de 170.000 hommes ; de sorte que César, pour faire face des deux côtés à ces forces considérables, fut obligé d'entourer son camp d'une double ligne de fortifications.

Si donc on raisonne comme l'a fait M. Quicherat en citant ce passage de Plutarque, il est clair qu'une ville bâtie ainsi et habitée par une population de mœurs aussi simples — eût-elle eu jadis autant d'habitants que le suppose le passage de Plutarque cité plus haut —, n'eût pas pu ne pas laisser des traces durables et considérables aujourd'hui encore, après dix-neuf siècles écoulés.

Mais nous devons faire remarquer que le plateau de l'oppidum d'Izernore, par sa vaste étendue, par la force de sa position, et la facilité d'y trouver de l'eau à boire partout sur place, comme nous l’avons expliqué, et enfin par sa situation au point de croisement des anciennes voies par lesquelles on traversait la chaîne des monts Jura, surtout avant que Lyon fût fondé et qu'Agrippa eût tracé dans ce pays de nouvelles routes, s'accorderait mieux que remplacement d'Alise-Sainte-Reine ou que le plateau d’Alaise avec l’agglomération d'une population très-nombreuse dans la ville gauloise d'Alésia.

Contrairement à ce qu'a dit Plutarque, voici le texte tiré de Suétone par Eutrope, et que nous rappelons ici : Ensuite les Romains et les Gaulois prirent position sur deux collines qui se faisaient réciproquement face, duos colles sibi invicem obversas Romani Gallique ceperant.

Ce dernier texte, on le voit, donnerait à penser que l'oppidum d'Alésia était simplement une position forte, une position stratégique, occupée en sens contraire par les deux armées.

Mais qu'il ait existé ou non, à l'époque de César, une grande ville gauloise sur le plateau d'Izernore, il est certain, comme nous le démontrerons ci-après, qu'il a existé là, vers cette même époque, une petite ville gallo-romaine établie auprès du monument d'Izernore, presque à l’endroit même où se trouve aujourd'hui le bourg de ce même nom. Ajoutons tout de suite que, dans notre pensée, rétablissement de cette petite ville n'aurait été que la conséquence de l'érection de ce monument lui-même. Il convient donc, pour la clarté de notre thèse, afin de suivre l'ordre naturel des choses et d'éviter les répétitions, de parler d'abord de cet édifice, à l'existence duquel pourront venir se rattacher naturellement toutes les traces archéologiques environnantes.

 

Monument et ville gauloise ou gallo-romaine d’Isarnodorus.

Qu'était-ce que le monument d’Izarnodorus ou d'Izarnodoro ? Pourquoi a-t-il été élevé à la place où nous en voyons aujourd'hui les magnifiques ruines ?

Ce monument d'Izernore, à l'apprécier d'après ce qu'il en reste encore debout, est le seul monument d'une telle beauté qui se puisse voir dans toute J'étendue de la vieille Gaule celtique envahie par Jules César. Il est plus intéressant encore par le lieu où il se trouve, c'est-à-dire au milieu du passage le plus facile et le plus fréquenté jadis (au témoignage de Plutarque cité plus haut), pour passer de la Province romaine dans la Gaule transalpine, en traversant au préalable la chaîne des monts Jura (ou réciproquement) ; comme César paraîtrait avoir eu l'habitude de faire pendant les premières années de la guerre de Gaule.

Ce passage fut donc nécessairement un point stratégique dans les guerres de ce pays, et l'existence du monument d'Izernore s'y rattacherait sans aucune difficulté militaire ou archéologique ; et, néanmoins, l'intérêt particulier de ce lieu n'a pu jusqu'à ce jour être rattaché à aucun événement connu de l'histoire des Gaules.

Indiquons donc tout d'abord la nature de ce monument et les divers éléments archéologiques qui ont été découverts tout à l’entour, afin que le lecteur puisse juger s’il est susceptible d'une explication qui soit en rapport avec les événements rapportés dans les Commentaires de Jules César sur la guerre de Gaule.

L'examen de l'espèce particulière du monument d'Izernore au point de vue de l'ordre d'architecture auquel il appartient, et de tous les détails de ses parties constitutives, d'après ce qu'il en reste de visible surplace, nous entraînerait à des citations trop spéciales et trop longues, difficiles à suivre sans l'aide d'un grand nombre de dessins, et dont la connaissance n'est point strictement nécessaire pour apprécier la question historique que nous devons examiner ici. Nous allons donc nous borner à quelques indications générales sur l'aspect, la nature et la position de ce monument, qui est du reste bien connu des archéologues ; puis nous dirons un mot des fouilles qui y ont été exécutées, soit dans le monument lui-même, soit sur l'emplacement de la petite ville gallo-romaine qui était établie tout proche de lui ; après quoi, nous discuterons (si nous en avons le temps) une tradition écrite ou une légende du moyen âge dans laquelle cette petite ville nous parait avoir été désignée, et enfin nous présenterons notre propre opinion sur la cause et l'origine de ce monument d’Izernore, dont l'existence à celte place est, à nos yeux, d'une importance historique de premier ordre.

Le monument d'Izernore était un édifice rectangulaire, d'environ 30 mètres de largeur et 23 mètres de longueur, situé sur une petite éminence, à 200 ou 300 mètres du bourg actuel d'Izernore, et dans la direction du nord-est. Il s'élevait là à la crête du versant occidental de la vallée de l’Anconnans, et sa façade principale était tournée à l'orient, c'est-à-dire du côté de ce cours d'eau. On pouvait s'y rendre du lieu où est aujourd'hui le bourg d'Izernore, et où était aussi la petite ville gallo-romaine qui y existait jadis, par lin ancien chemin bien conservé, horizontal, qui s'élargit devant cette façade d'entrée du monument et y constitue une petite plateforme.

A trois des angles de cet antique édifice, on voit encore debout trois énormes pilastres à quatre faces, d'environ 6 à 7 mètres de hauteur, et présentant à chacune des faces, qui se regardent réciproquement d'un angle à l'autre, une demi-colonne engagée (ou taillée en demi-colonne sur la masse même du pilastre), où elle fait saillie. Un savant très-compétent du département de l'Ain, M. de Saint-Didier, en a conclu avec juste raison, que ces demi-colonnes, ainsi engagées dans les pilastres des angles du monument d’Izernore, faisaient face rectangulairement départ et d'autre à une suite de colonnes entières, de même diamètre, placées sur le même soubassement, et alignées d'un pilastre à l’autre. — Suivant M. de Saint-Didier, les bases de ces colonnes engagées dans les pilastres et celles d’autres colonnes libres qu'on a trouvées en grand nombre dans les environs ; les proportions et les moulures du soubassement qui subsiste encore aujourd'hui, et des fragments de chapiteaux à feuilles d’acanthe, retrouvés çà et là, démontrent que ces colonnes étaient d'ordre corinthien. Il y en avait six de face, sur huit de côté, sans compter les demi-colonnes des pilastres des angles. Au milieu de l’espace compris entre ces quatre rangées de colonnes, se trouvait une petite enceinte oblongue, d’environ 13 mètres de longueur, sur 8 mètres de largeur, au fond de laquelle notre savant compatriote pense qu’était placée la statue de la divinité du monument. La place même de cette statue est indiquée par les restes d'un fort massif de maçonnerie cimentée, auquel on ne saurait assigner aucune autre destination.

En 1825, on trouva parmi ces ruines un doigt de bronze, tout près du pilastre sud-est[1]. Il est déposé aujourd'hui à la Société d'émulation de l’Ain, où l’on peut le voir. C'est un morceau de bronze très-remarquable : — ce sont les deux dernières phalanges d'un doigt d'une main de femme, parfaitement modelé, ayant appartenu à une statue en bronze de grandeur colossale (d'environ 2m,60).

Le monument d'Izernore n'était point un temple, dans l'acception ordinaire du mot. Si l'on en compare les diverses parties avec celles des temples anciens connus dans la science, il est facile de constater qu'elles ne sont ni semblablement disposées, ni dans les mêmes proportions relatives, au dire de plusieurs savants qui ont examiné la chose avec soin et qui ont établi leur appréciation sur des éléments positifs.

Dans la pensée de notre compatriote d'Avèze, qui a publié son opinion sur ce sujet, avec les raisons à l'appui, le monument d'Izernore aurait été ou un monument élevé aux mânes d'un homme puissant, ou un autel sur lequel était posée la statue de quelque divinité.

Ce monument était richement orné. Il en subsiste de nombreux débris des marbres les plus précieux.

On y a recueilli des plaques de serpentine, des mosaïques, des fragments de bronze finement travaillés ; mais presque tous ces objets sont aujourd'hui déplorablement dispersés. Nous possédons nous-même un de ces débris de bronze trouvé il y a une dizaine d'années et qui porte l'empreinte manifeste du marteau ou de la massue métallique du barbare impitoyable qui a brisé l'œuvre de l'artiste. Le travail en est si délicat et si parfait, qu'on le croirait trouvé à Corinthe plutôt que dans les monts Jura.

Ces ruines du monument d'Izernore sont éparses en bien des lieux éloignés les uns des autres. De menus débris ont été enlevés, par centaines de tombereaux, pour servir à assainir un pré humide du voisinage. On continue à en disperser par masses chaque jour, par simple curiosité. D'énormes pierres de taille, faciles à reconnaître comme ayant appartenu au monument par leur forme et par les trous des crampons de bronze qui les reliaient entre elles, ont été employées çà et là dans des constructions du village actuel d'Izernore, où on peut les reconnaître. Un fût de colonne supporte la croix du cimetière de cette commune. Deux grands tronçons de colonnes sont couchés au bord du chemin de Tignat, tout proche de l'Anconnans ; ces vénérables restes étaient destinés, par les habitants du bourg, croyons-nous, à la reconstruction d’un pont sur le chemin vicinal qui franchit cette petite rivière. Un autre tronçon de colonne, avec sa base et plusieurs grandes pierres de taille de la même origine, servent aujourd'hui de piédestal et de support à une croix, qui est placée à un kilomètre au sud du bourg d'Izernore, au point où le chemin de Bussy à Pérignat croise la route départementale de Nantua à Thoirette. On a transporté aussi à Volognat, dit-on, un tronçon d'une des colonnes d'Izernore. On en voit même plusieurs à Nantua.

Mais la plupart des gros blocs de pierre de taille qui faisaient partie du monument d'Izernore ont été transportés à environ un kilomètre de distance à l’ouest, au bas du village d’Intriat, pour y établir dans l’Ognin la digue d'un ancien moulin seigneurial. On y voit encore, en divers points, dans le lit de la rivière, en aval de cette digue, des fragments de colonnes précipités de leur place par les grandes eaux. Des maçons d'Izernore qui avaient autrefois travaillé à une réparation de cette digue, nous ayant informé qu’ils y avaient remarqué jadis, sur deux grosses pierres de taille provenant du monument, plusieurs lignes de grandes lettres gravées au ciseau, et la personne qui était propriétaire de la digue nous ayant gracieusement autorisé à y faire toutes les recherches que nous jugerions utiles dans l'intérêt de la science, la Commission départementale y fit examiner quelques-uns des grands blocs de pierre, dans la partie de la digue qu'on nous avait signalée. On en découvrit un, qui porte effectivement une inscription latine de six lignes, en lettres de 8 à 10 centimètres de hauteur, et dont nous donnons le dessin ci-contre.

Malheureusement, il semblerait que ce n*est là qu'une partie du bloc de pierre et de l'inscription qui s'y trouvait gravée. Et encore, dans ce que nous avons sous les yeux, la surface de la pierre ayant été usée à la longue, par les matériaux que la rivière charrie, il manque quelque jambage ou quelques lettres à l'inscription dont nous parlons, et celles qui sont restées complètes n'ont plus assez de netteté et de continuité pour qu'on puisse la lire facilement et avec toute assurance.

Néanmoins nous croyons pouvoir y reconnaître assez distinctement, au début de la première ligne, A L, c'est-à-dire la première syllabe du nom d'ALESIA ; à la seconde ligne, ces mots DE. R. (ege) (G. allo) OVANT (es) ; — à la troisième ligne i N HONOR (em), et ensuite une lettre qui peut être la première du mot I (mperatoris), Les lettres placées à la quatrième ligne sont très-probablement l'abréviation de DEdicaverunt ou DEdicarunt. Nous laissons à de plus habiles que nous l'honneur de déchiffrer complètement cette inscription, que nous croyons intimement liée à notre histoire ancienne nationale.

Le bloc de pierre qui la présente est aujourd'hui exposé aux regards des savants et conservé avec soin dans la cour du presbytère d'Izernore, avec un léger abri, afin de le préserver des dégradations qu'il pourrait éprouver de la part des météores. C'est un bloc qui n'a été que grossièrement taillé jadis. Ou peut-être aurait-il été déjà mutilé depuis la première façon qu'il aurait reçue. Sa hauteur est de un mètre cinq centimètres, sa largeur de quatre-vingt-onze centimètres, et son épaisseur de quatre-vingt-treize centimètres. N'est-ce qu'une partie d'un bloc plus considérable qu'on aurait divisé pour la construction de la digue de l’Ognin ? Est-ce là toute l'inscription du monument ? A quelle place y était-elle offerte aux regards du public ?

En posant cette dernière question, nous devons faire observer que la plupart des blocs de pierre transportés pour construire la digue de l'Ognin ont dû provenir de la façade principale du monument (qui faisait face au nord-est) ; car, de ce côté-là, il ne reste plus rien ; tout a été enlevé, même les énormes blocs du pilastre de l'angle nord-est. Ce qui, d'ailleurs, s'explique naturellement à la vue des lieux. En effet, c'est là, devant la façade du monument, qu'arrive le seul chemin qui y conduise, et c'était le seul côté de l'édifice qui fût abordable pour des voitures destinées à transporter des charges telles que ces blocs de pierres, ou les lourdes statues de bronze que ce monument présentait. C'est donc probablement de la façade principale du monument d’Izernore que provient le bloc qui présente l'inscription ci-dessus. Mais voici le point le plus important de ces ruines.

L'inscription dont il s'agit pourrait très-bien remonter à une époque antérieure à la construction de ce monument à colonnes et se rapporter à un autre monument dont nous n'avons point encore parlé, et qui paraîtrait avoir été élevé à la même place que celui sur lequel nous avons jusqu'à présent fixé l'attention du lecteur. Voici le fait qui constate l'existence antérieure de ce monument primitif d'Izernore :

Qu'on veuille bien se représenter dans la pensée le monument secondaire décrit ci-dessus, s'élevant de terre, tout d'abord, jusqu'au niveau où devaient être posées les colonnes : considérons ces premières assises qui constituent le soubassement des colonnades, et qui subsistent encore aujourd'hui en majeure partie. Elles forment un grand quadrilatère, un grand cadre d'énormes pierres de taille, supportant à trois de ses angles les trois pilastres restés debout. Ce cadre s'élève d'environ un mètre, plus ou moins, au-dessus du niveau du sol naturel ou extérieur. A l'intérieur, il est comblé de menues ruines, sans que néanmoins ces ruines puissent s'ébouler jusqu'au contact de sa paroi interne. Ce qui les retient ainsi et les contient ensemble, ou les maintient dans l'intérieur du monument, c'est un second cadre intérieur, parallèle au précédent sur les quatre faces, et qui s'élève encore presque partout au même niveau, qui est fait en maçonnerie cimentée, et qui est séparé du cadre extérieur, construit en énormes pierres de taille, par un intervalle vide constituant une sorte de tranchée isolante très-étroite et très-profonde, n'offrant guère plus de 12 centimètres de largeur sur 2 mètres de profondeur.

On a ouvert en plusieurs endroits ce petit intervalle, cette tranchée étroite et profonde qui régnait partout entre le mur intérieur et le mur extérieur du monument d’Izernore ; alors on a pu constater, et l’on peut encore vérifier aujourd'hui que, des deux parois qui s'y touchent presque : 1° celle qui appartient au gros mur extérieur est, en général, à peu près brute et complètement nue ; tandis que : 2° celle qui appartient au petit mur intérieur est revêtue d'une couche de ciment parfaitement lisse et peinte de couleur rouge vif. Or, quand on a peint cette paroi, si le monument eût déjà existé, non-seulement ou n'eût eu aucune raison d'exécuter cette peinture, puisque personne n’eût pu la voir ; mais encore il eût été impossible de l’exécuter, puisque c'est à peine si l’on peut passer le bras dans l’intervalle étroit et profond où elle se trouve.

De tout cela nous croyons pouvoir induire :

1° Que, à la place même où l'on voit aujourd'hui les ruines du monument d'Izernore et avant que ce monument à colonnes y ait été élevé, il en avait déjà précédemment été érigé un autre, d'une même forme générale, des mêmes proportions horizontales, mais de dimensions un peu moindres ;

2° Que celui-ci, monument primitif, construit simplement avec de petits matériaux et du ciment, présentait à l'extérieur, au moins jusqu'à la hauteur où l'on voyait la peinture primitive, des parois bien unies et peintes en rouge vif ;

3° Que ce monument primitif a pu et dû être élevé en peu de jours ;

4° Que ce monument primitif a été respecté et très-religieusement enveloppé (à quelques centimètres d'intervalle entre les deux parois voisines) dans le plus grand monument à colonnes et dont nous voyons encore les magnifiques ruines. Ce qui tend à démontrer que l’un et l’autre ont été l’expression de la même pensée, mais le second à une époque de calme et de luxe, où le fondateur pouvait considérer sa domination comme définitivement assise dans ce pays.

Ces inductions relatives au monument primitif d’Izernore sont-elles exagérées ? Nous ne le pensons pas, et nous espérons qu'elles obtiendront l’assentiment du lecteur, s'il veut bien lui-même réfléchir, avec un peu d'attention, à la liaison naturelle des choses.

Est-ce donc de la façade de ce monument primitif que provient ce fragment d’une grande inscription latine retrouvée dans la digue de l’Ognin ? Le travail très-imparfait du bloc de pierre et même des lettres porterait à le penser.

On a trouvé une seconde inscription dans le blocage intérieur du mur primitif, sur une pierre blanche, longue de 21 centimètres, large de 12, épaisse de 11. C'est une inscription votive où on lit :

PAENS

V. S. L. M.

PAENS Votum Solvit Libenter Merito.

Paius s’est acquitté de son vœu volontiers et à juste titre[2].

Le Rapport officiel sur les fouilles de 1863 présente, au sujet de ce double monument d’Izernore, deux erreurs de fait que nous sommes dans l’obligation de relever ici pendant que les faits sont encore visibles à tous.

La première de ces deux erreurs est à la page 30 du rapport, où il est dit : On trouve dans les fondations des deux monuments deux couches de cendre et de charbon, ce qui donnerait à supposer que les deux monuments ont été, à certain intervalle de temps, détruits par un incendie. Or, de fait, il n'y a aucune couche de cendre ni de charbon dans les fondations de ce double monument d’Izernore, et il est bien facile de s'en assurer en y regardant. C'est très-loin de là, en divers points du village même, par exemple, auprès de la Maison Gletton, du côté du nord, qu on a reconnu deux couches de cendre et de charbon.

La seconde erreur suit immédiatement dans le rapport officiel en ces termes : Le premier (monument), à en juger par les trois pilastres encore subsistants, parait avoir été construit à l'époque où l'art romain était dans sa phase la plus riche ; ce premier temple appartenait à l'ordre corinthien. Quant au second temple, dont les fondations furent faites, ainsi qu'il est facile de le constater avec les matériaux provenant de la première construction, a-t-il, comme le premier, été un sanctuaire païen ou chrétien ?

Ainsi, d'après ce rapport, le premier, le plus ancien des deux monuments d’Izernore, aurait été le grand monument à colonnes, construit en énormes pierres de taille. Or, non-seulement on ne reconnaît aucuns débris de ces énormes pierres de taille parmi les matériaux du monument plus petit, qui occupait l’intérieur de cet édifice à colonnes, mais encore il existe une preuve de fait, une preuve péremptoire que ce monument intérieur a été construit le premier.

Cette preuve, répétons-le, est la peinture rouge appliquée à l’extérieur de sa base, et qu'on y voit encore aujourd'hui, dans l'étroit intervalle qui règne entre les deux constructions, particulièrement à l'angle nord-ouest, qu il eût été non-seulement inutile, mais encore impossible d'appliquer là, si le grand monument lui-même eût déjà été construit.

A-t-on d'autres indices concernant la pensée qui a pu présider à l’érection du double monument d'Izernore ?

Un chemin qui passe devant la façade principale (tournée à l'Est) et qui tend vers le Voërle et Pérucle, rappelle traditionnellement le chemin de Mars (la vi de Mars). Les terres qui y sont attenantes portent le nom lieu dit de Mars.

Une crête de terrain qui se voit tout près du monument, dans la direction nord-est, s'appelle la crête de Mars (la cré dé Mars). Tous ces indices, on le voit, portent à croire que la pensée générale ou fondamentale du monument d’Izernore se rattache au dieu Mars ou à quelque événement de guerre.

Au contraire, divers auteurs, dont l’opinion doit être prise en sérieuse considération, ont pensé que cet édifice d’Izernore avait été un temple élevé à quelque divinité de l’Égypte.

L'auteur du Rapport officiel sur les fouilles de 1863, en faisant allusion à la colonie de soldats du Nil, — milites niliaci, — qui s’étaient établis non loin de là, sur les bords du lac d'Antre, et qui y ont laissé l'inscription que nous avons citée plus haut, s'exprime ainsi, page 37 : C'est ce qui explique la présence des images de Sphinx, d'Ibis, de tigres et autres emblèmes empruntés à l'Egypte, vus et signalés par les auteurs des premières fouilles à Izernore, en 1784, et plus tard par M. Désiré Monnier en 1822... Or, il n'est point constaté que de véritables emblèmes empruntés à l'Egypte, tels que des images de Sphinx ou d'Ibis, aient été réellement vus par les auteurs des fouilles de 1784 et de 1823 dans le monument même d'Izernore.

En effet, voici comment s'exprime le compte rendu des fouilles de 1783, 1784 et 1787 publié en l'an II de la République, par Thomas Riboud. Toujours dans les environs, dit-il (et déjà l'on voit qu'il continue de parler de ce qui a été découvert dans les,environs du monument, non dans le monument même), on a trouvé plusieurs murailles en pierre calcaire, dont trois de 1 mètre d'épaisseur, une de 2 mètres, et une de 8 ; mais, comme on ne les a pas coupées transversalement, il parait qu'on a pris pour des murs pleins ce qui était véritablement des aqueducs doubles ou simples, des égouts ou des passages... L'un de ces murs, dont l'épaisseur n'excède pas 1 mètre et ce qui est nécessairement plein, est revêtu d’un conduit sur lequel on a vu des signes hiéroglyphiques, des sphinx. Ces emblèmes égyptiens semblent se réunir au mot Izernore, pour rappeler qu'une divinité d'Égypte, dont a le culte a été connu dans les Gaules, a été vénérée en ce lieu, qui lui fut peut-être consacré avant de l'être à Mars. Ainsi Thomas Riboud, au sujet des fouilles de 1784, ne dit pas qu'il ait réellement vu lui-même de ses propres yeux des emblèmes égyptiens dans le monument d'Izernore ; il parle seulement comme s’il avait ouï dire que, dans des fouilles précédemment exécutées, on avait vu des signes hiéroglyphiques et des images de Sphinx tracés sur un mur, non pas dans le monument d'Izernore, notons-le bien, mais seulement dans lés environs de ce monument.

Voici quelles sont les images ou peintures dont il parle comme les ayant vues de ses propres yeux et dans les ruines du monument : Il est de ces fragments (de fresques) qui ont jusqu'à 2 décimètres ; on y remarque des indications de draperies et de franges, des ombres assez bonnes, des fruits, des feuilles, des moulures, des frises ; quelques-uns n'ont qu'une seule teinte de rouge vif ou d’un beau vert. Le citoyen Chapuis m'en a montré un qui offre la partie postérieure d'un tigre, dont le corps est vert, moucheté de pourpre.

Mais peut-on être assuré qu'on a devant les yeux sur un fragment de fresque une partie de l’image d'un tigre, quand on n’y voit que la partie postérieure du corps de l'animal, plus ou moins bien tracée, avec des couleurs fausses ; et qu'on n'a même aucun terme de comparaison pour reconnaître à quelle échelle l'image en question a été tracée ? Du reste, l'image d'un tigre est-elle nécessairement un emblème d'une divinité égyptienne ? Ce tigre moucheté, ou plutôt cette panthère, n'était-il pas consacré à Bacchus, le dieu qui conquit l'Inde comme César la Gaule, qui préserva l’Olympe de l'escalade des Géants, et dont les fêtes retentissaient de ces applaudissements frénétiques : Évohé ! que nous a rappelés précédemment le nom traditionnel d'un lieu voisin du monument d'Izernore, le Molard des Évouës ?

Thomas Riboud parle ensuite d'une belle mosaïque qui existait dans le monument et qui fut coupée en croix par les ouvriers. Cette mosaïque reposait sur une épaisse couche de ciment supportée par des murs épais et rapprochés, entre lesquels néanmoins un homme pouvait passer. J'ai vu, dit-il, des parties de ces murs peintes à fresque, et j'en ai recueilli quelques morceaux où l’on voit des feuillages, des figures d'hommes, etc. Puis il signale très-clairement, sinon complètement, le fait capital en ces termes : Plusieurs de ces murs sont parallèles, et l’on en a distingué un dont l'épaisseur est de 1 mètre, tandis que celle de son nom n'a que 3 décimètres, cependant la face intérieure de fun est peinte à fresque. Cette circonstance est très-singulière, car ces deux murs parallèles n'étaient ni un canal ou aqueduc, puisqu'un des côtés est peint, ni un passage, puisqu'il était trop étroit pour un homme. On ne peut chercher à expliquer cette bizarrerie apparente qu'en réfléchissant que le mur peint a nécessairement été construit et enduit avant l'existence de l’autre ; qu'il y a eu ensuite des distributions changées, qu'elles ont entraîné la construction du second mur et rendu le premier inutile. Peut-être aussi celui-ci a-t-il appartenu à quelque éditée antérieur au temple et démoli lors de sa construction.....

Il est possible aussi que ce mur peint ait coexisté avec le splendide monument à colonnes et qu'ils aient été démolis fun et l'autre à la même époque : ce que nous avons à examiner.

Ainsi, en résumé : 1° Thomas Riboud a ouï dire qu'on avait vu, dans les environs du monument d’Izernore, des peintures à fresques, présentant des signes hiéroglyphiques et des sphinx ; 2° il a vu de ses propres yeux dans les ruines mêmes du monument des figures d'hommes et de feuillages et la partie postérieure d'une figure de tigre ou de panthère ; et 3° il a signalé encore dans le monument le fait capital de deux murs très-rapprochés, dont fun seulement est peint en rouge, de manière à démontrer l'existence antérieure d,une première construction.

Citons enfin ce que dit M. Désiré Monnier, qui avait entre ses mains le compte rendu précédent de Thomas Riboud, comme on le voit par une note placée au bas de la page de son livre où ce compte rendu est cité : Nous avons, dit-il, p. 26-29, quelque raison de croire que l’édifice, dont nous voyons encore les restes debout, a été substitué par les Romains à un édifice plus antique dont il existe encore un mur de fondation dans l’enceinte de l'autre. Au mois de juillet 1822, je fis travailler deux hommes à déblayer l’interstice, de 95 à 108 millimètres, qui règne entre ces deux murs, et je ne vis pas sans étonnement que le plus ancien avait été orné de peintures à fresque dont les couleurs étaient encore très-vives. La partie que je dévoilais en avait été le soubassement, elle était d'un beau rouge ; mais la partie supérieure, dont il ne restait plus rien, avait été décorée, sur un fond blanc, de figures d'hommes, de sphinx, d'ibis, de tigres, d'autres animaux et de feuillages. On le voit donc, M. Désiré Monnier répète ici, presque mot pour mot, les indications déjà fournies par Thomas Riboud, 38 ans auparavant. Comment, en effet, aurait-il pu voir toutes ces peintures qu'il indique sur cette partie supérieure du mur dont il ne restait plus rien, dit-il lui-même ? Mais voici ce qui est nouveau dans ce passage de M. Désiré Monnier, ce qui est en opposition avec le témoignage de Thomas Riboud, et qui tendrait à induire en erreur au sujet de l’origine du monument d’Izernore.

D'une part, Thomas Riboud indique sur ouï-dire des peintures d'hiéroglyphes et de sphinx qui auraient été vues dans les environs du monument ; d'une autre part, il déclare avoir vu lui-même dans le monument des figures d'hommes, de feuillages, et une partie d'une figure de tigre ou de panthère.

Or, ici, M. Désiré Monnier place le tout dans le monument, ce qui altère la signification de ces antiquités locales ; et il y ajoute une figure d’ibis, emblème caractéristique de l'Egypte. Voilà de quelle manière il est parvenu à trouver dans les ruines du monument d'Izernore des traces du culte égyptien ! Du reste, il parait avoir senti lui-même la délicatesse de cette situation, car il ajoute quelques lignes plus bas : S'il est vrai que l'on a vu l’ibis, le sphinx, le tigre, sur les lambeaux de fresque d’Izernore..... on ne doit pas y méconnaître l’influence de l'art égyptien sous les mains des Grecs.

Ce fut en 1825 qu'on trouva dans le monument, au pied du pilastre sud-est, le doigt annulaire d'une statue de bronze d'environ 2m,60 de hauteur, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, et qui fut déposé aux archives de la Société d'Émulation de l'Ain, où on peut encore aujourd'hui le voir. De nos jours, la commission départementale, nommée en 1863, a d'abord fait suivre le mur extérieur du monument primitif dans tout son pourtour ; ce qui a démontré qu’il était encadré partout exactement dans le splendide édifice élevé ensuite ; d'où cette conséquence capitale que l'un et l'autre ont dû être élevés dans une même pensée.

Des fouilles récentes ont fait découvrir encore, parmi les décombres des deux édifices, un certain nombre d'objets intéressants qui sont actuellement conservés à la mairie d’Izernore, avec beaucoup d,autres découverts en même temps sur divers points du voisinage, et dont l’énumération et la description se trouvent à la suite du procès-verbal officiel.

Mentionnons ici quelques-uns de ceux qui proviennent du double monument.

Un cou-de-pied de statue, en marbre blanc ; — fragments de marbre de diverses couleurs, marbre blanc, marbre vert, marbre veiné rouge et blanc ; — le petit morceau de pierre blanche qui porte l'inscription votive de Pœius citée plus haut ; — vingt-deux autres fragments en pierre blanche, sculptés, fouillés avec beaucoup de soin et de goût, qui paraissent avoir appartenu à des chapiteaux, et qui ont été trouvés à deux mètres de profondeur dans l'intervalle étroit qui règne entre les fondations des deux monuments ; — une base de colonne, en pierre grise, de dix-huit centimètres de diamètre, avec plinthe percée de part en part d'un trou circulaire ; — enfin un fragment de volute.

Or, l'inscription votive de Pœius, incrustée dans le blocage du monument primitif, donne à présumer que toutes ces pierres blanches ont appartenu au monument primitif ; tandis que les marbras de luxe proviendraient du splendide monument élevé ensuite, et dont aucun de ses énormes débris n'est en pierre blanche. Auquel des deux a appartenu la petite colonne en pierre grise ?

Parmi les débris de peinture à fresque, que ces dernières fouilles ont permis de recueillir encore dans les décombres des deux édifices, mentionnons les suivants :

Deux fragments sur lesquels on voit un I et un O, peints en jaune sur une bordure bistre ; — un fragment sur lequel est grossièrement peinte en vert, brun et bistre, une tête d’homme couronnée de feuillage ; — une tête de cheval sur un fond rouge ; — un fragment d'une large bordure rouge accompagnée de filets et de denticules noirs.

Quant aux médailles trouvées dans les fouilles de 1863 et qui sont pareillement conservées à Izernore, dans un médaillon déposé au presbytère, elles sont au nombre de deux cent vingt-huit de tous modules, dont vingt gauloises, toutes anépigraphes, à l’exception de celle dont nous avons déjà parlé, au revers de laquelle on lit, au-dessus du cheval, les lettres TOG, formant la première syllabe du nom de Togirix, chef Séquane suivant l'opinion commune des numismates. Rappelons encore ici la monnaie des Santons que nous avons signalée précédemment. Les deux cent huit autres médailles provenant des fouilles de 1863 sont romaines et constituent une -série assez continue depuis Auguste jusqu'à Valentinien[3].

Malheureusement on n'a pas songé à indiquer le lieu de provenance de chacune de ces médailles, en sorte que l’on ne saurait distinguer aujourd'hui celles qui ont pu être trouvées parmi les ruines du monument.

Mais, dans le rapport officiel sur les fouilles de 1863, M. le rapporteur signale des médailles importantes découvertes jadis dans le monument même. Voici en quels termes il s'exprime (pages 37 et 38) : En 1813, la Société d'émulation (de l’Ain) fit pratiquer une fouille que les événements politiques de ce temps ne permirent pas de pousser bien avant. Cette fouille, cependant, ne fut pas improductive ; car, entre autres objets, elle restitua un grand bronze trouvé dans les fondations du temple, représentant l'apothéose d'Auguste, plus deux petits bronzes du même empereur portant à leur revers un autel avec la légende : Providentia. Ces médailles, qui pouvaient avoir une importance relative au point de vue que je discute, furent envoyées à l’abbé Chapuis, avec prière d'en donner l'explication. Ces pièces restèrent malheureusement dans son médaillier, lequel, après la mort de ce savant, fut vendu en détail, on n'a jamais su à qui. Ces bronzes s'appliquaient-ils spécialement à Izernore ? Question insoluble.

Nous possédons nous-même une de ces médailles d'Auguste du type dont il s'agit. Elle nous fut donnée il y a huit ou dix ans, par l'un des gendarmes de la brigade d'Izernore, qui l'avait trouvée en travaillant à son jardin. C'est un moyen bronze très-oxydé, où cependant on peut lire distinctement autour de la tête : DIVVS AVGVSTVS PATER Patriæ ; au revers, à gauche et à droite d'un autel, S et C, pour Senatus Consulto, et au bas PROVIDENT, pour PROVIDENTIA — prévoyance et sagesse suprême d'Auguste.

Un monument tel que celui d'Izernore n'a pu être élevé en Gaule que sous la domination romaine. Le gouvernement romain a dû en confier la protection et le service religieux à un personnage choisi dans celte double intention. Son rôle devait tenir à la fois et de celui d'un intendant ou d'un gardien et de celui d'un pontife.

C'était donc tout à la fois et une autorité civile et une autorité religieuse, c'est-à-dire en latin un antistes, mot qui indique l'un et l'autre rôle. — Cicéron l’emploie dans la signification de pontife, et Columelle dans la signification de chef ou de préposé.

Cet antistes dut être un grand personnage dans le pays. Il dut y habiter auprès du monument et dans une demeure splendide : car, ainsi l'exigeaient toutes les convenances. Voilà deux indications qui peuvent nous guider pour retrouver aujourd'hui la demeure de l’antistes du monument d'Izernore. Et voici ce qu'on a découvert dans le voisinage.

La commission départementale savait que, dans les fouilles exécutées à la fin du siècle dernier et encore au commencement du siècle actuel, on avait découvert au nord-ouest et dans le voisinage du monument de nombreux murs souterrains, épais, cimentés, où s'apercevaient encore des restes de peinture à fresque et d'autres traces d'une décoration luxueuse, et plusieurs salles basses pavées de marbre blanc, entourées de gradins de marbre, avec des fourneaux établis plus profondément. Les laboureurs y signalaient encore d’autres fondations de murs, que la charrue heurtait et par-dessus lesquelles il fallait faire sauterie soc pour continuer le sillon. Sur quoi, la commission décida qu'on ferait de nouvelles fouilles dans ces mêmes lieux, et l’on prit soin d'en dresser un plan qui doit être conservé et annexé à la minute du rapport officiel. On reconnut là, en effet, plusieurs salles pavées de marbre blanc, d'autres dont le sol était fait d'une couche de ciment bien unie. Une salle basse, pavée de marbre blanc et entourée de gradins du même marbre, était attenante à des fourneaux placés un peu plus bas et dont les flammes devaient circuler dans l'épaisseur même des parois de la salle, qui étaient construites en briques creuses de manière à y composer une multitude de petits tuyaux, où l'on distinguait encore les traces du feu. En un mot, on reconnut là cette sorte de calorifère en usage chez les riches Romains et que Vitruve appelle hypocauste (hypocaustum) , avec la salle de bain attenante ; ce qui constituait l'étuve de luxe appelée par Pline le Jeune : unctarium hypocauston.

Cette habitation romaine d'un tel luxe était placée à l'origine d'un petit vallon et tout près, avons-nous dit, du monument d'Izernore. L'ensemble de ces conditions nous conduit à penser que c'était là que résidait l’antistes du monument d'Izernore, ville gallo-romaine d'Isarnodorus au moyen âge.

Il est clair que la présence d'un tel monument et du personnel qui y était attaché dut déterminer d'autres Romains et même des Gaulois à venir s'établir aussi dans ce lieu, chacun suivant son intérêt personnel. De là donc, selon nous, l’origine de la petite ville gallo-romaine d’Isarnodorus ou Izarnodoro dont l'existence est démontrée par cent preuves.

Elle était en partie à la même place que le bourg ou village actuel d'Izernore et s'étendait un peu plus loin au nord-nord-ouest, tout le long de la vieille voie qui se dirige de ce côté-là ; voie qui existe encore aujourd'hui comme chemin rural, et qu'on peut suivre (sauf dans une petite lacune ravinée) jusqu'à l'ancien gué de l’Ognin, remplacé aujourd'hui par un pont de pierre, établi au même endroit, directement au bas du village de Matafelon.

On peut démontrer encore aujourd'hui avec certitude qu'Isarnodorus était une ville gallo-romaine d'une médiocre étendue, mais d'un grand luxe, et qu'elle a joué un rôle important dans l’administration de ces contrées.

En effet, si l'on parcourt le terrain environnant, il est facile de reconnaître que les débris antiques, qui fourmillent dans le sol, se concentrent au voisinage du monument dans un espace assez restreint. Pour se faire une idée nette de l'étendue et de la situation de cet espace occupé jadis par la petite ville gallo-romaine d'Isarnodoro, imaginons que, du monument comme centre, on décrive une circonférence de cercle d'environ quatre cents mètres dé rayon : tous les vestiges de cette ville seront contenus dans la moitié occidentale de ce cercle. La commission départementale y a fait récemment exécuter des fouilles, tout le long de l’ancienne voie dont nous avons parlé plus haut, et l’on y a mis à découvert les fondations de deux lignes de maisons qui formaient une rue. On en a découvert plusieurs autres par derrière jusqu'à une certaine distance ; puis on s’est arrêté là, en l’absence de toute espèce d'indice visible ou de renseignements oraux, et surtout faute de fonds.

Signalons encore la découverte faite jadis de quelques substructions isolées, soit à Pérignat, soit sur le plateau de l’oppidum au lieu dit en Moui, soit au Voërle, et encore, si nos souvenirs d'enfance sont fidèles, au lieu dit La Doy, du côté du nord, un peu en aval de la grande route actuelle ; toutes substructions isolées qui peuvent être des restes de villas gallo-romaines.

Mais, tout à l’entour d'Izernore, la surface du plateau est bien unie ; on n'aperçoit nulle part un grand ensemble de reliefs de terrain, sous lesquels puissent se trouver des amas de ruines qui indiqueraient l'existence antérieure d'une grande ville. On n'aperçoit non plus aujourd'hui aucun relief de remparts, ni aucune trace de fossés. Néanmoins nous devons dire qu'il en est vaguement fait mention dans certaines notices anciennes concernant les ruines d'Izernore. On a parlé aussi de plusieurs grandes cavités souterraines dont on ignore aujourd'hui la position.

Une carrière de pierres de taille a été exploitée jadis au nord-ouest du monument, dans l'un des monticules rocheux où dut être la citadelle d'Alésia (Arx Alésia). On voit encore aujourd'hui, sur le bord de l’antique voie qui mène de ce côté-là et dont nous venons de parler, un tronçon de colonne du même type que celles du monument et qui parait s'être fendu par suite de quelque vice de la matière (ce qui expliquerait pourquoi on l'aurait laissé sur le bord du chemin). Cette carrière est de la même roche jurassique que les colonnes du monument ; et le volume de roche exploité jadis ne parait pas avoir excédé le volume nécessaire pour construire ce monument. A l'inspection de cette carrière, il devient manifeste qu'on n'en a point extrait les matériaux de construction d'une grande ville, et l’on n'aperçoit dans les environs aucune autre carrière qui ait été exploitée jadis en très-grand volume.

De toutes ces considérations il ressort que la ville gallo-romaine d'Isernodore n'a jamais eu qu'une médiocre étendue.

Nous avons dit aussi que c'était une ville de luxe. Et, en effet, on voit encore ce que dut être le luxe de ses habitants par une multitude de débris d'objets élégants ou précieux qu'on a trouvés et qu'on trouve encore chaque jour dans ses ruines.

Tout démontre que ce luxe y a attiré jadis les barbares et que cette malheureuse ville a été saccagée et incendiée, peut-être même à plusieurs reprises.

Une ou plusieurs couches de terre mélangée de cendres et de débris d'habitations romaines couvre aujourd'hui la surface du sol qu'elle occupait.

Or, depuis onze ou douze siècles peut-être, que le travail de la charrue ou les autres travaux de l'homme n'ont cessé de tourner et de retourner, sous ses yeux, ce terrain parsemé de débris précieux, ce qu'on y trouve encore aujourd'hui peut faire juger de ce qui devait y être resté après le passage des barbares, sans même compter ce qu'ils ont emporté.

En effet, on a trouvé à Izernore et on y trouve encore aujourd'hui, çà et là, des fragments d'objets en marbre de toutes les espèces, en serpentines ou en d'autres roches précieuses, des fragments de vases de verre dont quelques-uns en très-beau bleu ; des fragments d'émaux aux vives et nombreuses couleurs ; des bijoux d'or et d'argent ; beaucoup de menus objets de bronze destinés à l'usage personnel ou au luxe des riches habitants et qui souvent sont d'un travail exquis, même émaillés ; des ustensiles en bronze à l'usage de la table ; beaucoup de poteries sigillées, des formes les plus élégantes, couvertes de dessins ou de figurines du meilleur goût et d'une grande perfection, représentant des scènes mythologiques, des chasses[4], etc. Ajoutons à cela nombre de bijoux en pierres dures présentant diverses figurines gravées avec toute la perfection de l'art antique ; objets certainement de luxe s'il en fut jamais, et dont la découverte parmi les parcelles du sol cultivé implique un hasard très-heureux et une vue bien perçante ; car ils étaient séparés des anneaux d'or où de tels chefs-d'œuvre microscopiques ont dû être enchâssés[5].

Ainsi, on ne saurait mettre en doute que la petite ville gallo-romaine d'Isarnodore ne fût une ville de luxe.

L'importance du rôle qu'elle joua jadis dans l’administration de ces contrées est constatée par le fait qu'on y frappait encore des monnaies d'or et des pièces de billon dans les temps mérovingiens. Le savant Bouterone, dans son ouvrage sur les monnaies, décrit comme étant des monnaies de Gontran, roi d'Orléans et de Bourgogne au VIe siècle, trois tiers de sol d’or frappés à Isarnodore, et une pièce de billon frappée au même lieu. Il en donne les figures, au droit et au revers. Voici comment il s'exprime :

 

Monnaies de Guntehram.

Tiers de sol d’or. — Le premier avec sa tête ornée en diadème perlé et l'habit brodé, pour légende ISARNODO FIT. De l'autre côté une croix sur son pied, une boule au-dessous, d'un côté (à droite) un I et de l'autre (à gauche) un S, pour légende DROCTABATUR UNC ; pour dire monetarius.

Nous n’avons pas encore eu l’occasion de faire déterminer la seconde, qui est une calcédoine d’un beau travail et parfaitement intacte. Nous connaissons d’ailleurs personnellement un habitant de Nantua qui possède une cornaline trouvée à Izernore, laquelle représente un homme nu, la tête couverte d’un casque grec.

Le second avec un double diadème, pour légende ISARNDORE F, pour dire FIT. De l’autre côté, une croix sur deux degrés, un S (à gauche) et deux II (à droite) sous les bras, pour reste de légende ....ioaldo....

Le troisième avec le diadème perlé, pour légende ISARNOBERO. De l'autre côté la croix sur son pied et une boule ; un I (à droite) et un V (à gauche) sous les bras, pour légende WINTRIO MOU.

Isarno, Isarnobero ou dero, ou Isarnodoro était un bourg de la Bourgogne. Ce nom, en vieux gaulois, signifie porte de fer, et il avait été donné à ce bourg à cause qu’il avait un temple d'idole, bien fermé et fortifié. Dans la vie de saint Eugende abbé : Ortus est haud longe a vico cui a vetusta paganitas, ab celebritatem clausuramgue superstitiosissimi templi, gallica lingua Isarndori, id est ferrei a ostii indidit nomen.

Pièces de billon fabriquées au même lieu avec la tête ceinte du diadème simple dont la ligature est en forme de croix, une branche d'arbre devant le visage. De l'autre côté une branche de palme ou de fleurs, et pour légende ISARNO.

Dans les deux premières de ces trois pièces d'or, les lettres I et S placées sous les bras de la croix sont les initiales du nom d’Isarnodero. L'ordre inverse dans lequel ces lettres sont disposées n'est point une difficulté en numismatique, et nous en allons voir plus loin une preuve évidente.

Voici, du reste, ce que dit à ce sujet Lelewel, savant numismate polonais, dont l'opinion est d'une grande autorité en cette matière.

Parlant des monnaies du type mérovingien, il s'exprime ainsi :

La répétition du nom du lieu sur la même pièce fut, pratiquée de bonne heure par les deux initiales placées dans le champ, ou accostées près de la croix. On en voit de fréquents exemples tant sur les pièces monétaires que sur les royales : sur celles frappées à Toul TV, à Chalon-sur-Saône CA (Cabillono), à Autun A.G (Augustodum), à Lyon LV, à Vienne VI, à Limoges LE, à Clermont en Auvergne AR (vernis), à Izernore IS... à Arles AR, à Marseille MA... On remarque encore des lettres isolées, cantonnées dans le champ de la croix, dont on ne connaît pas le sens et qui n'indiquent aucun lieu. Essayons de les expliquer : VO VI, comme dans la troisième pièce d'or d'Izernore décrite par Bouterone ci-dessus, sont les restes du romain vovet vota AV sont placés pour alpha et oméga[6].

Bouterone a décrit, parmi les pièces de monnaies du règne de Gontran, d'autres tiers de sol d’or frappés à Chalon-sur-Saône par un monétaire du nom de Wintrio, que l'on croit être le même Wintrio qui a frappé ceux d'Isernobero.

Le royaume de Bourgogne et celui d’Orléans, dit-il (p. 240), furent donnés à Gonthran avec les pays de Sens, Troyes, Arles, etc. Il en transféra le siège de la ville d'Orléans en celle de Chalon-sur-Saône, et fit fabriquer aussi des tiers de sol d'or ayant d'un côté sa tête ornée du diadème de perles, pour légende CABILLONO FIT. De l’autre côté une croix avec un P au-dessus, pour faire le monogramme de Christus, et pour légende WINTRIO MONET.

Ces tiers de sol d'or frappés par Wintrio à Chalon-sur-Saône sont de deux types. Autant qu'on en peut juger par les dessins, ils ressemblent beaucoup à celui qui a été de même frappé par un monétaire Wintrio à Isernobero ; et l'attribution qui a été faite de tous ces trois sols d'or à un même monétaire de ce nom (comme on le verra ci-après) nous paraît très-plausible. Ceux de Chalon-sur-Saône présentent sous les bras de la croix un C et un A, lettres initiales du nom du lieu de fabrication, CAbillonum ; et dans l'un des deux types seulement la croix est chrismée ; dans l'autre, elle est simple, comme dans ceux d’Isernobero, et haussée de même sur deux degrés. Tout semble donc indiquer la même main de part et d'autre.

Enfin Bouterone décrit encore, parmi les monnaies royales de Dagobert Ier, deux tiers de sol d’or où l’inscription du nom du lieu de fabrication est incomplète, et qui, ensuite, ont été reconnus comme fabriqués à Isarnobero. Voici la description qu'en donne Bouterone (p. 294) :

Autre avec la même tête (de Dagobert Ier) mais barbue, ce qui marque que ces pièces ont été fabriquées sur la fin de son règne, et pour légende DÆGOBERTHUS REX. De l’autre côté de la croix, avec son pied sur la boule, un alpha et un oméga sous le bras (l'alpha à droite, l’oméga à gauche et pour légende ...NVM RIBORXAFIT). En examinant le dessin de la pièce, on voit que au lieu de NVM, lu par Bouterone, il n'y a que deux traits droits qui convergent, comme les jambages de la lettre A. On remarque en outre que la lettre X, lue par Bouterone, pourrait n'être qu'un simple ornement en forme de croix et ne point faire partie de la légende. C'est par ces considérations qu'on est parvenu à reconnaître le véritable nom du lieu où cette pièce a été frappée, comme il sera dit ci-après : Ce lieu, ajoute Bouterone, m'est inconnu, et la lettre H, ajoutée dans le nom de Dagobert, fait croire que ce lieu était situé en quelque province de l’Austrasie.

Autre avec la tête barbue et le diadème de perles, qui semble fabriquée au même endroit ; pour légende, d'un côté, Dagoberthus rex, de l'autre la croix, l'alpha et l'oméga (l'alpha à droite, l'oméga à gauche), et pour reste de légende AFI..V.MRIOR. Dans le dessin de la pièce on lit nettement AFI...ARIOR ; et on reconnaît ainsi que Bouterone a pris là un A pour un monogramme des lettres V et M. Ce qui fait, ajoute-t-il, le commencement du nom du monétaire, et sa qualité abrégée, pour dire Monetarius Regis, y ayant peut-être dans la même ville deux monnaies, l'une publique et royale ou finale, comme la vie de saint Éloi nomme celle de Limoges, publicam fiscalis monetæ officinam, et une autre accordée à la ville ou à quelque église, comme à celles de Spire et de Visinebourg remarquées ci-dessus (p. 291 de l’ouvrage).

Vingt-quatre ans après Bouterone, Le Blanc, dans son Traité historique des monnaies de France, parait avoir copié l’un des trois premiers tiers du sol d'or d'Isarnobero décrits par Bouterone, celui dont le monétaire est Droctebalus, et il l'a placé sous le n° 19 dans son tableau de pièces mérovingiennes dont le lieu de fabrication lui était inconnu (p. 58). Il y a sur la dix-neuvième, dit-il ensuite, Isarnobero. Sur d'autres on lit Isernobero, Isarnodero, et sur une pièce de billon Isarno simplement. Un auteur gaulois, qui a écrit environ l'an 800 (le moine anonyme de Condat, abbaye de Saint-Claude), parlant d'un saint abbé dont il avait été disciple (saint Eugarde ou saint Oyen), dit : — Ortus est haud longe a vico cui vetusta paganitas, ob celebritatem clausiuramque superstitiosissimi templi, gallica lingua Isarndori, id est ferrei ostii indidit nomen. — Les Flamands nomment encore aujourd'hui une porte de fer Isern-Deure ; les Anglais Yerndoor, et les Allemands Eysernthor, Bouterone dit qu’Isarnobero est dans la Bourgogne.

Le Blanc a aussi reproduit les deux tiers du sol d'or du roi Dagobert que Bouterone avait décrits sans en déterminer le lieu de fabrication, comme on vient de le voir ci-dessus. Le Blanc a reproduit ces deux monnaies royales dans un tableau (p. 80), où elles occupent les dixième et onzième places, et voici ce qu'il en dit à son tour (p. 53) :

Pour la 10e et la 11e je crois qu'on les doit aussi donner à Dagobert Ier, à cause que la tête qui y est gravée a de la barbe et parait être d'un homme âgé. La statue qui est à Saint-Denis et que l’on croit avoir été faite sous son règne, ou sous celui de son fils, le représente avec de la barbe. Les inscriptions qui sont du côté de la croix de ces deux pièces n'étant pas entières, il est difficile de savoir ce qu'elles disent.

On le voit, Le Blanc, non plus que Bouterone, n'a pu parvenir à déchiffrer le nom du lieu où ces deux pièces royales ont été fabriquées. Et il s'est contenté de copier ce qu'on lit nettement au revers dans les dessins de Bouterone, c'est-à-dire, sur la pièce 10, la légende incomplète... ARIOR — AEI..., et sur la pièce 11, la légende un peu moins incomplète... ARIBOR + AFIT.

Longtemps après ces deux illustres numismates français, en 1835, Lelewel, qui avait fait une étude comparée et approfondie de la numismatique du moyen âge, non-seulement dans nos monnaies de France, mais encore dans celles de la plupart des grandes nations de l'Europe, et qui joignait ainsi, à une grande aptitude personnelle pour ce genre de recherches, une expérience consommée et très-variée ; Lelewel, disons-nous, est venu compléter les recherches de ses devanciers, pour confirmer tout ce qui nous intéresse le plus dans cette question des monnaies mérovingiennes frappées à Isarndore. Familier avec le facies de toutes les monnaies mérovingiennes, avec les mille sortes d'incorrections que leurs légendes peuvent présenter et avec tous les noms des lieux où l’on frappait la monnaie dans ces temps reculés, il a rapproché les deux légendes incomplètes des deux monnaies du roi Dagobert mentionnées ci-dessus, et il y a reconnu le nom d'Isarndore défiguré en Isaribore.

Voici comment il s'exprime sur ce point particulier (Num., I, p. 76) dans la discussion de certains noms de lieux inconnus :

ISARNOBERO du monétaire Droctebalus (Btr., p. 268 ; Le B., inconnus, 19) ; une autre pièce, ISERNOBERO, du monétaire Wintrio (Btr., p. 268) ; et les deux pièces du roi Dagobert qui offrent (Le B. p. 80 ; n° 10 et 11) :

.....ARIOR + AEI...

Isaribora fit.

.....ARIBOR + AFIT.

On savait qu’il existait un lieu célèbre, nommé Isarnobero, Isarnodero, Isarno vicus, où il y avait un temple des Gaulois. On savait que l’antique paganisme a imposé ce nom, qui signifiait dans la langue vulgaire porte de fer (Vita S. Eugendi abb. jurensis). Effectivement, dans la langue allemande Eisernethor signifie porte de fer. On supposait qu'elle était placée non loin du Jura ; mais Le Blanc ne savait pas déterminer l'emplacement.

Ce n'est que des recherches ultérieures qui firent découvrir Izernore, village du Bugey, près de Nantua. Il y reste une frise de trois colonnes avec des figures de l'ancien temple de Mercure, que Dunod a fait graver dans son Histoire des Séquanois, t. I, p. 153. L’empereur a fait une dissertation sur ce sujet, p. 4. On appelle porte de fer la gorge fort étroite par où l’on passe pour aller à Montréal et à Nantua.

Cette gorge fort étroite est située au-dessus du hameau de Bussy, où l’Anconnans prend naissance et où l’on voit inscrite sur la carte de l’État-major l’indication de Fontaine de Sonnant. Le chemin qui mène d’Izernore à Bussy monte ensuite directement par là vers la grange de Beauregard pour conduire à Montréal et à La Cluse. Durant la guerre de Gaule, c'était la route suivie en arrivant du Nord pour se rendre par le défilé de Nantua à la Perle du Rhône et chez les Allobroges. Mais de nos jours, afin d'éviter la montée rapide et les autres difficultés de cette ancienne route, on va d'Izernore, directement au Sud, rejoindre la route actuelle de Nevers à Genève, qui traverse en ligne droite la prairie marécageuse du Lenge à l’Ouest de La Cluse : partie de route qui est une œuvre d'art tout à fait moderne.

Or, cette ancienne route qui mène d’Izernore à Montréal et à La Cluse par Bussy et Beauregard, conserve encore aujourd'hui le nom de vi-ferra (via ferrata), voie ferrée, route ferrée ou construite avec des cailloux : ce qui était indispensable en divers points de cette route où le sol est humide, comme on peut le voir sur les lieux. C'est sans doute ce nom de vi-ferra qui aura induit en erreur l’auteur cité par Lelewel, et qui lui aura fait dire que cette gorge fort étroite par où l'on passe pour aller à Montréal et à Nantua, s'appelle aussi porte de fer. Car nous qui, chaque année depuis notre enfance, avons chassé dans ces contrées, jamais nous n'avons entendu donner par personne le nom de porte de fer à la gorge fort étroite dont il est question. Du reste, lui eût-on même donné ce nom, que, puisque la route suivie jadis par César passait par là, le nom de porte de fer répété en cet endroit, loin dé devenir une objection contre notre opinion sur le sens historique du nom de porte de fer donné par nos pères à l’oppidum d'Izernore, serait plutôt une nouvelle raison en faveur de cette opinion. Revenons donc à la numismatique.

En conséquence des considérations que nous venons de citer, Lelewel (Num., t. I, p. 80) dans une liste intitulée : Noms des lieux où les monétaires de la première race fabriquaient la monnaie et noms des monétaires, a inscrit les indications suivantes : Isarnobero, Izernore, en Bugey, près de Nantua, Droitebalus, Wintrio. Et pour ce qui concerne les deux pièces royales d'un roi Dagobert, Isariboro fit, nous allons immédiatement indiquer l'attribution qu'il en a faite, en examinant la question importante que voici :

Pendant combien d'années de la période mérovingienne la petite ville d'Isarndore a-t-elle joui du privilège politique de frapper la monnaie ?

Nous avons vu premièrement que les trois tiers de sol d’or de ce lieu, qui ont été décrits par Bouterone et sur lesquels le nom du roi n'est pas inscrit, ont été attribués par ce savant numismate au roi Gontran. Or, comme rien n'a été dit contre celte attribution, ni par Le Blanc, ni par Lelewel, nous devons admettre qu'on fabriquait la monnaie à Isarndore sous le règne de Gontran, c'est-à-dire de l'an 862 à l'an 893.

Nous avons vu ensuite que les deux tiers de sol d’or du roi Dagobert décrits par Bouterone et Le Blanc, et reconnus ensuite par Lelewel comme ayant aussi été frappés à Isarndore, ont été attribués par Bouterone et par Le Blanc au roi Dagobert Ier, en se fondant sur ce que la figure du roi présente de la barbe, exceptionnellement sur ces deux pièces. Cette attribution fixerait donc leur date entre l’an 628 et l’an 638.

Mais Lelewel les attribue à Dagobert III, par la raison très-particulière que la figure y présente un profil gauche, tandis que presque toutes les monnaies mérovingiennes présentent un profil droit. Voici, du reste, comment Lelewel s'exprime à ce sujet (Num., t. I, p. 27) :

Je voulais supposer que les pièces de Thierry, frappées à Metz (Le Bl. p. 19) ; de Clotaire, frappées à Vervick (Le Bl. p. 38, n° 8) ; et de Dagobert, frappées à Isarnobor (Le Bl., p. 80, n° 10 et 11), qui ont le profil gauche, sont de Clotaire III, de Thierry III et de Dagobert III. On ne doutera pas que Clotaire III possédait Vervick ; on peut présumer qu’après la bataille de Testri, en 687, lorsque le maire Pépin d'Héristal s'est emparé de Thierry III, il lui permit de battre monnaie à Metz. Dagobert III, sous la tutelle du même maire, n'aurait pas été contrarié de voir son nom placé sur la monnaie, quelque part qu'elle ait été forgée. Je croyais rapprocher le profil gauche de l'époque des rois Carlovingiens, parce qu'on le voit reproduit plusieurs fois sur la monnaie de ces derniers. Cependant je ne saurais contester que le profil gauche se montrait en tout temps. L'observation du coin monétaire et la comparaison de ses images le font présumer.

Néanmoins Lelewel n'a point abandonné son opinion dans le tableau XX de l’Atlas joint à sa Numismatique du moyen âge, lequel a pour titre : Analyse du type mérovingien, et où sont inscrits les noms des rois avec les dates et les lieux de fabrication de leurs monnaies ; il a inscrit l'indication suivante sous le n° 19 : Dagobert III, — 711 à 715, Isarnobero.

Du reste, cette opinion de Lelewel, d'attribuer à Dagobert III les deux pièces royales de ce nom frappées à Isarndore, est confirmée par l'examen comparatif des autres tiers de sol d'or frappés au même lieu, qui ne présentent point de nom de roi et que Bouterone attribue à Gontran. En effet, les deux pièces de Dagobert, avec le profil gauche, présentent seulement la tête du Roi, et non pas, comme à l'ordinaire, la tête avec une partie du buste ; au revers, la croix est chrismée, et l'orthographe du nom du lieu de fabrication y est gravement modifiée ; tandis que, sur les autres pièces d'Isarnobero, avec le profil droit, non-seulement la tête du roi, mais encore son buste et ses vêtements, y sont représentés ; le nom du lieu de fabrication y est à peine modifié dans son orthographe primitive, Isarndoro, et au revers la croix y est simple. Il faut donc naturellement qu’il se soit écoulé un laps de temps considérable entre les deux époques où ont été frappés ces deux groupes de pièces de monnaie si différentes.

Quel que soit le roi Dagobert auquel on doive attribuer les deux monnaies royales de ce nom, frappées à Isarndore, ces deux pièces méritent de fixer encore un instant notre attention, parce qu'elles sont, l’une et l'autre, un exemple de l’alpha et de l’oméga cantonnés sous les bras de la croix : exemples assez rares parmi les monnaies mérovingiennes, comme on en va juger.

L'alpha et l'oméga, dit Lelewel (Num., t. I, p. 31), ne sont pas d’une production commune et trop ancienne. Ces lettres, ce symbole de l'Éternel, qui dit : Je suis l’alpha et l’oméga, le principe et la fin de toutes choses (Apocalypse, I, 8), apparurent sur la monnaie romaine d’abord avec le chrisme, et se communiquèrent aux Francs. On en voit quatre exemples chez eux : sur les pièces de Clovis, de Théodebert, de Clotaire et de Dagobert. La première, comme nous l'avons dit, est de Clovis II (638-656) ; la deuxième, qui ressemble à celle de Clovis, n'ayant aucune indication de lieu ni aucune inscription autour de la croix, s'adjuge à Théodebert II (596-612) ; nous avons cru devoir attribuer la quatrième, celle d'Isarndore, à Dagobert III (711-715) ; et, par suite de cette distribution, la troisième ne peut être que de Clotaire II ou Clotaire III, qui possédaient également Marseille, où la pièce fut fabriquée ; l'un, depuis 613 jusqu'à 628, l'autre, depuis 656 jusqu'à 670.

Enfin, l'établissement monétaire d'Isarndore parait s'être rattaché jadis à l’important établissement de Chalon-sur-Saône, par des monétaires communs à ces deux lieux de fabrication. C'est encore Lelewel qui en a fait la remarque dans la Revue de la numismatique française (t. I, p. 326, article intitulé Numismatique : vingt-trois pièces des monétaires mérovingiens et une du roi visigoth Swiatillo). N° 9 et 10 sont deux pièces de Chalon-sur-Saône, dit-il. La première, de la collection de M. de Saulcy, offre autour de la tête, Cabilonno fit, et autour de la croix, accostée des initiales CA, le nom du monétaire VVINTRIO MONEIAROC. Une semblable pièce du même monétaire Wintrio, est signalée dans le catalogue de Ghesquière, n° 4453...

Je ferai remarquer qu'il y a aussi un WINTRIO, monétaire à Izernore, suivant Bouterone (p. 268).

La proximité d’Izernore et de Chalon-sur-Saône fait présumer que le Wintrio de Chalon est le même que celui d’Izernore, et qu'il inspectait plusieurs hôtels des monnaies.

Du reste, aujourd'hui l’on connaît encore d'autres monnaies mérovingiennes, frappées à Isarndore par d'autres monétaires. Nous pouvons mentionner un tiers de sol d’or que notre honorable collègue de la commission départementale, M. Alexandre Sirand, a signalé dans un de ses ouvrages. Un autre membre de la Commission, M. Valentin-Smith, en possède un qu'il nous a offert pour l'examiner et en prendre l’empreinte. Ce tiers de sol d’or mérovingien est tout à fait de la même sorte que ceux qui ont été décrits par Bouteroue. Il présente d’un côté le buste du roi, à droite avec le diadème perlé, le manteau royal, et pour légende Isernodero ; d'un autre côté, la croix, sur deux degrés, accostée des initiales I et S sous les bras (I à gauche, S à droite), et pour légende incomplète, le flan ayant fait en partie défaut sous cinq ou six lettres du coin, BADV... qu'on lit très-nettement, et qui doit être le commencement du nom du monétaire.

Nous avons donc, en définitive, des témoignages numismatiques précis, qui établissent d'une manière incontestable que la petite ville gallo-romaine d'Isarndore battait monnaie et florissait sous le règne de Gontran, et sous celui d'un roi Dagobert, probablement de Dagobert III. Ce qui comprendrait environ un siècle et demi sur les deux siècles de la période mérovingienne, pour lesquels on a des témoignages numismatiques certains.

C'est ici l’occasion de parler d'une inscription intéressante que nous avons trouvée nous-même à Izernore sur un fragment de poterie, en cherchant les noms des potiers.

Disons d'abord que, outre de grands vases antiques, tels que des amphores, des urnes et de petits vases d'un blanc grisâtre ou jaunâtre, on trouve à Izernore deux sortes de vases usuels qu'on ne saurait confondre ensemble. Les uns sont de ces beaux vases qu'on désigne sous le nom de poterie de Samos (Samia testa), c'est-à-dire des vases d'une terre extrêmement fine, d'un rouge vif, d'un vernis très-brillant et inaltérable, d'une forme élégante, et qui souvent présentent de charmantes figures jouant quelque rôle mythologique, avec des médaillons interposés ou d'autres ornements, moulés en relief. Ces vases, d'une civilisation avancée et rappelant le luxe de Rome, étaient sans doute ceux des riches et puissants maîtres de ce lieu de la Gaule. Leurs débris abondent à Izernore. Y avaient-ils été apportés de quelque lieu de fabrication lointain ? Ou bien y avaient-ils été fabriqués par des ouvriers établis, peut-être tout proche, peut-être à l'endroit où l'on voit aujourd'hui le village de Samognat (Samo-gnati) situé à 1 kilomètre nord-est de l'oppidum d'Izernore ? La deuxième sorte de vases usuels, dont on trouve pareillement beaucoup de débris à Izernore, se compose de vases d'argile commune, d'un gris d'ardoise, non vernis, dénués de tout ornement, mais non pas d'une certaine élégance de forme, qu'on louerait même de nos jours. Nous en possédons un très-gracieux spécimen, qui est intact. Ces vases modestes étaient probablement ceux du peuple de ce lieu, ceux des Gaulois, nos pères. Or, c'est sur un fragment d'un de ces derniers vases de terre commune que nous avons trouvé l'inscription dont il nous reste à parler.

 

Signalons tout d'abord sa position singulière sur le vase. Elle était placée en dessous du fond, c'est-à-dire au seul endroit qui fût caché à tous les regards dans l'usage de ce vase. En le retournant donc sens dessus dessous et en le considérant par dessous (de bas en haut), on avait devant les yeux comme le champ d'une médaille, de cinquante millimètres de diamètre, avec ce champ entouré et protégé à sa circonférence par un cordon ou bourrelet, d'environ 3 millimètres de saillie. Là, en procédant de la circonférence au centre, on voit d'abord trois petites gorges creusées au moyen du tour, et qui, ensemble, réduisent le champ d'inscription à 37 millimètres de diamètre ; puis, vient un espace libre et tout uni de quatre millimètres de largeur annulaire ; puis, vient l’inscription elle-même.

Elle est disposée en couronne comme une légende de monnaies et composée de lettres d'environ 5 millimètres de hauteur et très-correctement moulées en relief ; puis, au centre, est une croix, à branches d'environ cinq millimètres de longueur. L'inscription, déposée ainsi en légende autour de cette croix centrale, y constitue le monogramme de Christus suivi du mot noster ; ce qui signifie ensemble, on le voit, CHRISTUS NOSTER. La présence du monogramme de Christus sur ce vase d'Isarnodore est d'ailleurs en concordance parfaite avec ce que Lelewel dit de ce monogramme, à l'occasion de deux pièces de Chalon-sur-Saône qui le présentaient (Num., t. I, p. 31). Le Chrisme qu'on voit sur ces deux monnaies de Chalon-sur-Saône, dit-il, se communiqua aux francs de la monnaie romaine ; et d'abord le roi Childebert (556-558) l’employa à Arles. Il parait tenir à la Bourgogne sous sa forme véritable et complète ; il se reproduit à Arles, à Vienne (dans la pièce de l'empereur Maurice), à Chalon-sur-Saône. Autre part, les monétaires croyaient l'imiter et le combiner mieux avec la croix, en accrochant la lettre R ou P au haut, ou à la tête de la croix. Cette façon parut à Autun, à Axzat, à Limoges, à Angers, à Orléans, à Rouen, à Senlis, à Cherbonne. Il paraît qu'elle se répandit des frontières de la Bourgogne.

La place occulte qu'occupait l’inscription cotée sur le vase d'Isarndore et cette forme énigmatique sous laquelle y était inscrit le nom du Christ, nous paraissent constater qu'à l’époque où ce vase fut exécuté, le christianisme n’était point encore publiquement toléré dans ce lieu de la Gaule. De plus, la pureté de forme des lettres de cette inscription est telle qu'il faut remonter peut-être jusqu'au siècle des Antonins (IIe siècle après Jésus-Christ) pour en retrouver de pareilles sur les médailles des empereurs de Rome. Tout s'accorde donc pour démontrer que ce vase a appartenu aux premiers chrétiens d'Isarndore, qu'il est de l'époque du haut empire, et que, déjà à cette époque reculée, les choses de la religion, da la morale et de l’intelligence préoccupaient à Isarndore la pensée des hommes. Ce qui est bien un indice de civilisation aussi important que le luxe et la fabrication de la monnaie.

On sait d’ailleurs que trois saints de race romaine (saint Romain, saint Lupicin, son frère, dont la vie a été écrite par Grégoire de Tours), tous les deux nés à Isarndore, et saint Eugende (ou saint Oyen), leur parent et leur disciple, né dans les environs, répandirent la religion chrétienne dans ces contrées, et que saint Romain y fonda le monastère de Condat (aujourd'hui saint Claude), où, il eut pour successeur son frère saint Lupicin (vers 460), et son parent saint Eugende (vers 480). La petite ville gallo-romaine d’Isarndore était donc bien à cette époque un foyer de lumière et de charité chrétienne : ce grand et sublime principe qui vint adoucir les mœurs impitoyables et barbares de l’ancien monde romain.

A quelle époque cette petite ville d’Isarndore a-t-elle commencé à avoir de l’importance ? Et à quelle époque a-t-elle été saccagée et incendiée ? Car ses ruines et son sol témoignent par des cendres qu'elle a été saccagée et détruite par le feu.

Dans l’état des documents historiques concernant la Gaule, noud devons encore nous adresser à la numismatique pour obtenir quelque indice en réponse à la première de ces deux questions. Donnons ici la parole au rapporteur de la commission départementale des fouilles opérées à Izernore en 1863 :

Les monnaies impériales, dit-il (p. 74), se rencontrent à tous les pas à Izernore. C'est par milliers qu'on les a trouvées jusqu'à ce jour, c'est par milliers qu'on les trouvera encore. Je dis les monnaies impériales ; car, chose fort surprenante, parmi les monnaies trouvées dans les dernières fouilles, il ne s'est rencontré aucune pièce de la République romaine, dites pièces consulaires. On ne sait comment expliquer l'absence, en ce lieu, de monnaies, les seules en usage à l'époque de la conquête des Gaules. Dans l'état actuel des trouvailles, on saute sans transition des monnaies gauloises proprement dites aux monnaies impériales romaines. Celles-ci commencent à Auguste, et s’arrêtent pour le moment à Valentinien Ier, formant une suite chronologique bien échelonnée, où se remarquent de beaux bronzes, quelques bons deniers d'argent, mais pas d'or. Ajoutons qu'aucune pièce inédite, inconnue à la science, ne s’est présentée jusqu'à présent. Mentionnons également l'absence de pièces grecques (sauf Furius et Peraunus trouvées près de Bouvent) et de toutes pièces commémoratives locales.

On voit par là qu'Isarndore n’avait aucunes relations politiques ou commerciales avec les Romains avant l'époque d'Auguste.

Et comme nous avons démontré dans notre tome Ier que c'était par cette région-là (du haut Rhône) que Jules César avait envahi la Gaule ; par cette région-là qu'il se rendait en Italie et en revenait chaque année, et comme nous démontrerons encore que ce fut par cette même région qu'il ramena l'armée romaine en Italie, on en doit conclure qu'il n'existait là de son temps aucune ville de quelque importance commerciale ou politique ; bien qu'il pût s’y trouver quelque petite ville gauloise, telle que la comportaient l'étendue et la nature des terres environnantes. Ainsi on doit admettre que l'importance de la petite ville d’Isarndore date environ seulement de l'époque de César ou du règne d'Auguste.

Nous venons de voir que la suite chronologique des monnaies impériales romaines, trouvées à Izernore dans les fouilles de 1863, s'étend depuis Auguste jusqu'à Valentinien Ier. Mais, à diverses autres époques, on en a trouvé des quantités bien plus considérables, soit à Izernore même, soit en divers points des environs.

Dans le vallon qui entoure l’extrémité sud-est de l’oppidum d’Isarndore entre la roche de Senan (redoute n° 14) et la colline (notée redoute n° 13) qui ferme l’oppidum de ce côté-là, au bord d,un petit chemin qui mène à Geovressiat, on découvrit, il y a une vingtaine d'années, environ sept cents médailles romaines de divers empereurs. Elles étaient contenues (avec d’autres objets en métal, dit-on) dans un vase enfoui parmi les pierres d'un murget. Peu de temps après, en faisant une coupe de bois à 3 kilomètres environ plus loin, au sud de ce lieu, on découvrit encore plus de mille médailles impériales (surtout de Dioclétien, de Maximien-Hercule et de Constantin). Elles étaient enfouies à fleur de terre dans le bois de Lolliat, à côté d'une voie gallo-romaine qui menait d’Isarndore aux plaines de l’Ain et à Lugudunum par Brion, la combe de Lolliat, la Balme, Cerdon et Poncin. Le pavé de cette voie gallo-romaine est encore très-visible aujourd'hui dans l'intérieur du bois de Lolliat. Il est regrettable que personne, avant la dissémination de toutes ces monnaies anciennes, n'ait constaté quelle en était la moins ancienne dans chacune de ces deux trouvailles : ce qui aurait fourni une indication approximative de la date de l’enfouissement. Quand nous eûmes nous-même connaissance de ces découvertes, déjà presque tout était dispersé, et nous ne pûmes nous procurer que les restes, dont personne n'avait voulu faire l'acquisition, une centaine de petits ou moyens bronzes, qui n’ont d'autre mérite que de combler quelques lacunes dans la suite chronologique indiquée ci-dessus par le rapporteur des fouilles de 1863.

Mais fréquemment il nous a été apporté d’Izernore quelques médailles ou d'autres objets que des cultivateurs venaient de trouver dans leurs champs, et que nous avons réunis avec soin. Parmi ces médailles sont quelques grands bronzes des Antonins, tous en très-mauvais état, sauf un Trajan-Hadrien. Nous en avons un très-beau, de Mammæa Augusta Fecunditas Augusta, mère d'Alexandre-Sévère ; un autre aussi, très-beau, de Pauline (Diva Paulina Consecratia), femme de Maximien , successeur d'Alexandre-Sévère ; un autre, en mauvais état, de la fille de Marc-Antoine (Augusta Antonia), mère de Germanicus, de Claude et de Livie. Nous avons recueilli aussi quelques pièces d'argent, dont une de l'empereur Macrin, etc.

Deux pièces seulement de notre petite collection offrent ici de l'intérêt.

La plus importante est une petite pièce d'or trouvée, il y a une dizaine d'années, par un cultivateur d'Izernore en travaillant sa terre, et qu'il vint nous offrir à acheter. C'est un tiers de sol d’or de Valentinien III, exactement le même que Bouterone a défini (p. 301, n° 34). Il présente d'un côté la tête de l'empereur (profil droit), avec le bandeau de perles, deux grosses perles aux deux bouts de la ligature, et le manteau brodé : pour légende Dominus Noster FLAvius VALENTINIANVS Pius Félix AVGustus. De l'autre côté le champ cerné, la croix sur son pied entre deux arcs de palmes réunis, en dessus par un anneau ou une couronne avec un point central, en dessous par une sorte de piédestal, et au bas de la pièce le mot problématique CONOB, qu’on rencontre sur plusieurs monnaies et qui a exercé la sagacité des numismates. Ce tiers de sol d'or fait la transition numismatique des monnaies impériales romaines trouvées à Izernore aux monnaies mérovingiennes frappées en ce même lieu, puisque Mérovée fut contemporain de Valentinien III, et même que, dans sa jeunesse, il alla à Rome faire confirmer par cet empereur la paix conclue en son nom par Aétius avec les Francs[7].

La seconde pièce intéressante qui nous est venue de la contrée d’Izernore a été trouvée en labourant un champ de la commune de Veyziat, à environ 5 kilomètres nord-est du tracé extérieur des lignes romaines.

C'est une de ces très-petites pièces d'argent frappées avec une grande perfection à l'effigie des fondateurs présumés de Marseille. Elle est identiquement l’une des deux monnaies de ce type dont Bouterone a donné le dessin et qu'il a décrites en ces termes, p. 55, n° 43 : Autres petites pièces d'argent ayant d'un côté les têtes de Furius et Peraunus, chefs de Phocéens, que l'on croît avoir bâti ou rétabli la ville de Marseille ; de l'autre côté un bouclier écartelé, au milieu la bosse nommée umbo, et dans les troisième et quatrième quartiers un M et un A pour signifier Massilia, où ces deux pièces, dont les têtes sont différentes, ont été fabriquées. Les têtes sont d'un haut-relief et le revers est un peu creux ; ce qui fait juger qu'elles ont été frappées avec une machine qui nous est à présent inconnue.

Terminons en ajoutant qu'on a aussi découvert, à Izernore ou dans les environs, un certain nombre de médailles de Nîmes, au crocodile et au palmier.

Ainsi, en résumé, Isarndore était une ville gallo-romaine de peu d'étendue, mais une ville de luxe et qui eut une certaine importance politique, à dater du règne d'Auguste jusque vers la fin de la période mérovingienne. Or, le pays environnant est naturellement peu fertile, peu riche ; il faut donc bien que la raison d'être de cette ville ait été une cause politique, c'est-à-dire l'importance qu'elle tirait de son monument. Ce monument est donc ici le point principal à considérer.

Par conséquent, cette ville ancienne, une fois détruite et déchue de son rang politique dans la décadence de l’empire romain et l’occupation des barbares, n'a pas dû se relever de ses ruines, comme se fût relevée une ville placée avantageusement pour le commerce ou située dans une contrée fertile : conditions persistantes où une ville tend sans cesse à se relever de tous ses désastres.

 

 

 



[1] C'est de là que partait le chemin public, venant du monument, ce qui fait présumer que ce doigt de bronze a été brisé en enlevant par ce chemin la statue à laquelle il appartenait.

[2] Il est fait mention de cette inscription votive de PAENS ou pœius, dans le rapport officiel sut les fouilles exécutées en 1863, par les soins de la commission départementale. Mais, dans ce même rapport, on paraît avoir oublié de mentionner la grande inscription de six lignes retirée de la digue de l'Ognin, qui est actuellement conservée dans la cour du presbytère d'Izernore et que nous examinerons à part.

[3] Un de nos collègues de la commission départementale, M. Guigues, ancien élève de l'École des Chartes et archéologue distingué, a bien voulu se charger de faire le classement et le catalogue des objets divers de la collection d'Izernore. Deux autres de nos collègues, M. Alexandre Sirand et M. Corbet, très-versés dans la numismatique, ont classé et catalogué les médailles. Un tableau de tous ces objets est annexé au rapport officiel sur les fouilles de 1863, inséré dans le Mémorial administratif du département de l’Ain, pour 1866-67, Bourg-en-Bresse, Dufour, 1866.

[4] Nous en possédons nous-même plusieurs beaux spécimens sur l’un desquels on voit des hamadryades alternant avec des dryades qui font danser des biches, dressées debout en face d'elles, avec des médaillons intermédiaires, où se voient des sphinx.

[5] Nous possédons deux de ces pierres gravées qui ont été trouvées à Izernore, l’une voilà huit ou dix ans, et l'autre un an plus tard. La première est un jaspe tigré, d'un travail exquis, de l'époque d'Auguste, suivant l'opinion formelle de M. de Longperrier, dont on connaît la compétence à ce sujet.

[6] Les Romains inscrivaient aussi sur leurs monnaies le mot votis, dont les lettres en question, VI, se rapprochent encore davantage. Ainsi nous avons nous-même sous les yeux une médaille de Crispus (fils de Constantin le Grand, et qui, on le sait, joua en réalité et même d'une manière plus affreuse le rôle tragique d'Hippolyte, fils de Thésée), Julius Crispus nobilis Cæsar, consul en 318, médaille qui a été trouvée à Izernore et dont le revers présente un autel où est inscrit le mot VOTIS.

[7] L'inscription CONOB, qu'on lit au revers de ce tiers de sol d’or de Valentinien III, n'offre aucun sens comme mot, et on a dû lui en chercher un en le considérant comme un assemblage de lettres initiales de certains mots.

Bouterone dit à ce sujet (p. 218) : CONOB doit être expliqué, suivant la pensée de Cedrenus (moine et historien grec du XIe siècle), par Civitates Omnes Nostræ Obediant Benerationi (pour Venerationi).

Le Blanc dit (p. 25) : L'on commence à trouver ces lettres sur les monnaies des empereurs romains dès le temps du grand Constantin. Le plus grand nombre des antiquaires prétendent que la monnaie a été marquée à Constantinople CONstantinopoli, OBsignata... Je me contenterai de dire que ces lettres mystérieuses CONOB se trouvent aussi sur deux monnaies de Théodebert, sur une de Childebert et sur une autre de Childéric.