JULES CÉSAR EN GAULE

 

DEUXIÈME ÉPOQUE (SUITE).

CHAPITRE SEPTIÈME. — TRACES ANTIQUES DANS L'OPPIDUM MÊME D'ALÉSIA-IZERNORE.

 

 

Sans autre guide que le livre même de César et là considération attentive du territoire de la Gaule, nous venons de suivre, pour ainsi dire pas à pas, la marche des armées, depuis Gergovia et le pays des Arvernes (sur les rives de l’Allier et de la Loire) jusque dans la région des monts Jura (sur la rive droite du haut Rhône), pays des anciens Sébusiens (Sebusiani de César) devenu ensuite notre Bugey et aujourd'hui compris dans le département de l’Ain. C'est là qu'il nous a été démontré, pour le plus grand honneur de Vercingétorix, qu'il a, dans cette région, barré le chemin à l'armée de Jules César, devant l'antique oppidum gaulois d'Alésia, appelé peu après l'oppidum d'Izernore, et auquel, pour plus de clarté dans ce que nous avons à dire, nous conserverons d'ordinaire son double nom d'Alésia-Izernore.

Nous avons pu de cette manière déterminer successivement et avec une précision rigoureuse les lieux des divers événements qui ont marqué cette période mémorable de la lutte de nos ancêtres contre la domination étrangère. Et il nous a suffi pour cela d'étudier avec attention les données qui nous ont été fournies par César lui-même, à savoir : 1° Les grands jalons géographiques et les repères signalés dans son texte, qui nous ont conduit, sans crainte d'erreur, depuis Gergovia jusqu'à l'entrée des monts Jura ; 2° les indications stratégiques et les détails topographiques fournis également par son texte et qui, en nous faisant connaître le théâtre de la grande bataille livrée la veille de l'arrivée, des armées auprès d'Alésia, nous ont en même temps révélé, de la façon la plus certaine, la position et la distance d'Alésia par rapport à ce champ de bataille ; 3° puis, de fait, nous avons reconnu alors sur ce terrain que l'antique oppidum naturel, au milieu duquel on voit aujourd'hui le bourg d'Izernore, correspond de tous points, et par sa position stratégique, et par sa configuration topographique, et par ses dimensions, et par son orientation, et par son entourage, à la description exacte de l'oppidum d'Alésia et à toutes les exigences du récit de César. De sorte qu'il nous semble désormais invinciblement établi que c'est là, à Izernore, et non ailleurs, qu'était l’Alésia où Vercingétorix avait pris position pour barrer de nouveau à César la retraite dans la Province romaine.

Mais, après avoir consulté le livre de César, nous voulons encore, et par surcroît de renseignements, interroger les antiquités locales ; et nous allons voir que leur témoignage, partout en parfait accord avec le sien, nous répondra de manière à dissiper tous les doutes qui pourraient encore subsister, et à donner à notre solution l'autorité d'une vérité démontrée à tous les points de vue.

Les traces locales des événements de guerre sont de plusieurs sortes. On peut rencontrer sur le sol des traces de camps ou de retranchements, ou d'autres travaux militaires signalés ou décrits par Fauteur du récit de la guerre, des ruines de monuments commémoratifs, des inscriptions relatives à cette guerre ; on peut découvrir dans le sol des ossements humains, des armes restées sur les divers champs de bataille, des monnaies ou d'autres objets antiques ; on peut trouver dans la tradition populaire du pays des noms significatifs, des légendes, etc. Eh bien ! nous trouverons des traces de ces diverses sortes sur la plupart des points où il a dû en exister ; et, sur chaque point, la trace sera de la nature voulue par le texte des Commentaires ; ce qui nous démontrera qu'elles remontent bien, dans leur antiquité, à l’époque de cette abominable guerre à laquelle reste attaché le nom de Jules César.

Nous procéderons à la recherche de ces traces antiques : 1° dans l'oppidum même d'Alésia-Izernore ; 2° autour de l’oppidum ; 3° dans le pays environnant où, avant le blocus, existaient ces malheureux Mandubiens qui eurent à subir un sort si affreux. Puis, quand nous aurons constaté ces traces antiques les unes après les autres, et que nous aurons mis en lumière les conclusions qu'on en doit tirer, nous rechercherons ce qu'était jadis la ville gauloise d'Alésia, ce qu'a été ensuite dans cette même position la ville gallo-romaine d'Izarnodore qui fut appelée un peu plus tard Izernore, et quelle a pu être la signification historique de l'antique monument élevé au milieu du plateau où l'une et l'autre ont existé : monument dont la forme primitive est encore aujourd'hui parfaitement reconnaissable d’après ce qu'il en reste debout à cette place même sur le sol de l’antique oppidum.

 

§ I. — Des divers noms donnés jadis à l’oppidum d'Alésia où Vercingétorix se dévoue d'une manière si simple et si admirable pour la liberté commune des cités de la vieille Gaule.

 

Rappelons tout d'abord que le nom du célèbre oppidum gaulois, mentionné dans les Commentaires, s'y présente sous deux formes : Alexia et Alésia ; car le nom de l'oppidum qui fut le théâtre de la lutte suprême de Vercingétorix pour la liberté de la Gaule, étant un indice pour reconnaître aujourd'hui l'emplacement de ce même lieu historique sur lequel les savants ne sont point encore d'accord, il importe de conserver les deux anciennes formes de ce nom. Or, on le trouve écrit de ces deux manières dans les divers manuscrits des Commentaires.

D'après le travail du duc d'Aumale sur ce sujet, c'est la forme Alexia que présente l'œuvre de César dans l'édition princeps sortie des presses du Vatican dès l'année 1469, et provenant des manuscrits les plus précieux. C'est Alexia dans la deuxième édition publiée en 1471 par un imprimeur français établi à Venise, Nicolas Jenson. C'est encore Alexia dans nombre d'éditions fort estimées, parmi lesquelles nous pouvons citer celle des Aides (Venise, 1513) ; les éditions imprimées à Bâle ; l'édition d,Hotman ; la dernière édition des Aldes, collationnée sur un très-ancien manuscrit de Carrare et sur des éditions de choix imprimées à Lyon, à Paris, à Florence. C'est encore Alexia dans l’Épitomé de Tite-Live et dans l’Histoire romaine de Florus.

La forme Alésia se rencontre aussi dans d'importants manuscrits des Commentaires, soit latins, soit grecs. Elle a été admise dans les dernières éditions des Elzevirs, et généralement depuis lors dans toutes les éditions modernes des Commentaires. Sous cette dernière forme, le nom de l’oppidum gaulois se rapproche davantage du nom d'Alise ; c'est peut-être ce qui l'a fait adopter exclusivement dans les éditions les plus récentes. Mais l'identité de l'emplacement à'Alise-Sainte-Reine avec celui de l'oppidum dont parle César ayant été mise en question dans ces derniers temps, et non sans motifs, il est bon de conserveries deux formes du nom de l'oppidum d'Alésia ; car nous allons bientôt nous-même en retrouver la première forme dans le voisinage d'Izernore.

Quant au nom d'Izernore substitué à celui d'Alexia ou d'Alésia sur le lieu même où fut jadis le célèbre oppidum gaulois, nous aimons à nous persuader qu'il n'aura, pour aucun de ceux qui ont étudié avec quelque attention notre histoire ancienne, la valeur d'une objection sérieuse, et voici pourquoi : c'est que partout où nous savons qu'une population gauloise a été complètement détruite, ou vendue par César pour être emmenée en esclavage, le nom primitif du lieu qu'elle habitait a disparu du pays. Ainsi, César a exterminé les Éburons : le nom des Éburons et celui de leur fort d'Aduatuca ont disparu ; César a fait massacrer toute la population d'Avaricum : le nom d'Avaricum a disparu... Or, César a forcé la population Mandubienne à mourir de faim parmi ses lignes de blocus établies devant l’oppidum : donc le nom des Mandubiens et celui de leur oppidum d'Alésia doivent avoir disparu de ce pays. En effet, la similitude des trois événements étant incontestable, il nous semble qu'on ne peut se refuser à admettre comme légitime cette conclusion : que très-probablement dès lors le lieu où fut jadis l’Alésia des Mandubiens n'a plus porté ce même nom. Ainsi, déjà Izernore peut aussi bien avoir été Alésia, que Bourges a pu être Avaricum ; ce que personne ne conteste aujourd'hui.

Mais regardons à cinq kilomètres d'Izernore, dans la direction de l'est, sur la branche de la voie qui mène de Lons-le-Saulnier à La Cluse, en se dirigeant par Moirans et Oyonnax.

Voilà ce nom gaulois que nous cherchons et qui fut consacré par tant de souffrances et de dévouement, aujourd'hui Alex, en latin Alexia ou Alésia ! Il s'offre à nous pour désigner là un pauvre petit hameau situé au pied des montagnes d'Apremont, montagnes très-élevées et couvertes de sombres sapinières. La syllabe finale du nom d'Alex est prononcée dans le pays indifféremment de deux manières : les uns la prononcent comme la dernière syllabe du mot accès, et les autres, comme la première syllabe du mot exemple ; de sorte que nous retrouvons ici même les deux variantes des auteurs anciens : Alexia et Alésia.

Comment ce nom gaulois a-t-il pu être transféré à ce lieu ?

Nous ne voyons qu'une seule explication ; c'est au lecteur qu'il appartient de l'apprécier.

La langue grecque a laissé dans ce pays-là des traces non douteuses. On a découvert à Izernore et on peut y voir, dans la collection des objets provenant des fouilles récentes exécutées aux frais du département, un fragment de vase antique, en verre, sur lequel sont gravées à la pointe les lettres grecques :

Λ Υ Μ

Ο Η

Nous indiquerons plus loin d'autres traces de la même langue.

Alex est un nom d'étymologie grecque (Alexis, Alexandre). Le radical du mot Alésia parait même indiquer un lieu où l’on se rassemble, un lieu l'on est protégé : signification analogue à celle du mot latin oppidum. Or, il est très-naturel que, à l'arrivée de César et à la vue des travaux d'investissement que les Romains commençaient à exécuter, une partie des Mandubiens qui habitaient ce pays, au lieu de se réfugier dans l'oppidum ainsi que les autres, aient songé à s'enfuir au loin, avec leurs objets les plus précieux, dans quelque retraite absolument inaccessible à l'ennemi. Les montagnes d'Apremont, avec leurs épaisses forêts de sapins étaient là dans le voisinage ; c'était pour eux la sécurité. Le hameau d'Alex est situé à l'entrée de ces forêts, et au point le plus rapproché pour s'y réfugier à partir de l’oppidum d'Izernore. Une voie naturelle y mène directement (par Tignat, Ceissiat, la Grange de Charrion et Nerciat). Si donc quelques Mandubiens se sont enfuis de l’oppidum d'Alésia-Izernore, au début du blocus, c'est bien du côté des montagnes d'Apremont qu'ils ont dû se diriger, et au point d'Alex qu'ils ont dû se jeter dans les forêts de sapins. Aucun doute ne peut subsister à cet égard pour qui connaît le pays ou qui veut l'examiner. Et dès lors, qu'y aurait-il d'étonnant que le nom d'Alex soit resté à ce lieu de refuge, comme un souvenir de l'ancien nom du grand oppidum des Mandubiens ?

Chose remarquable à ce point de vue : la sombre forêt de sapins au bord de laquelle est situé le hameau à'Alea : — comme si, après le blocus, les fugitifs, en sortant de cette forêt, n'avaient point osé s'en dégager complètement —, cette forêt, que nous supposerions avoir caché quelques Mandubiens échappés d'Alésia-Izernore, s'appelle traditionnellement la forêt de Niermes. D'autres que nous ont déjà vu dans ce nom de Niermes ou Nihermes un élément grec (hermès) le nom de Mercure cacheur. D'où nous avons tiré nos expressions françaises fermer ou enfermer hermétiquement. Du reste. César lui-même nous apprend que le dieu Mercure était en grand honneur chez les Gaulois, comme dieu à triple puissance (Trismégiste).

Ajoutons qu'on a trouvé, en 1790, à deux ou trois kilomètres d'Izernore, tout proche de la voie qui mène directement à Alex, une paire de grands anneaux de bronze élastiques, lesquels — dans l'opinion de notre savant compatriote, Thomas Riboud, qui les a vus lui-même, et les a décrits dans un mémoire sur les antiquités d'Izernore publié à cette époque —, ont dû être destinés à transporter des fardeaux. En 1797, on trouva encore, sur ce même parcours d'Izernore à Alex, plusieurs petits anneaux de cuivre et divers autres objets de même métal, d'une forme telle qu'on ne pût en deviner l’usage. Tous ces objets avaient été enfouis dans un immense tas de pierrailles.

A quelques kilomètres au nord d'Alex, près de Bouvent, on a trouvé une élégante statuette de Flore-Chloris, et encore une belle statuette de cinq ou six pouces de hauteur, représentant un guerrier, le corps nu, la tête couverte d’un casque grec : guerrier au sujet duquel on a hésité entre Ares ou Ulysse[1]. Ces sujets auraient-ils été perdus par les anciens habitants du pays s'enfuyant avec terreur devant les Romains ?

Dans les bois de Sappey qui couvrent le versant occidental de la vallée de l’Ognin, à neuf kilomètres plus haut que l’oppidum d'Izernore, on a trouvé un sceau et un anneau en cuivre, portant, l’un et l’autre, une inscription grecque.

Du reste, tous les savants qui se sont occupés des antiquités du Bugey, et notamment, parmi les savants du département de l’Ain, MM. de Saint-Didier[2], de Lateyssonnière d'Avèze[3], Puvis[4], s'accordent à y reconnaître des vestiges de la langue grecque. Et l’on s'en rend facilement compte en se rappelant, à ce sujet, soit les rapports commerciaux qui se sont établis jadis entre ces contrées et la colonie grecque de Marseille, dont les médailles antiques se rencontrent fréquemment dans le sol du département de l’Ain, soit les expéditions lointaines que les Gaulois exécutèrent jadis en Grèce et jusqu'en Asie Mineure, même longtemps avant l'époque de César.

Ainsi, déjà nous pouvons dire qu’après avoir été amené par la discussion des Commentaires — en regard de la géographie et de la topographie du territoire de la Gaule — à reconnaître que l'antique oppidum à'Alésia était cet oppidum au milieu duquel on voit aujourd'hui le village appelé Izernore, et les ruines d'un splendide monument antique d'origine ignorée jusqu'à ce jour, nous avons aussi reconnu : 1° que, d'après d'autres exemples tirés des Commentaires, le nom primitif de l'oppidum d'Alésia a dû disparaître de ce lieu avec la population mandubienne qui l'habitait et qui a été détruite dans le blocus ; 2° que ce même nom Alex ou Alexia, avec la variante prononcée Alès ou Alésia, comme dans les manuscrits des Commentaires, nous est représenté aujourd'hui encore par un petit hameau, situé à moins de cinq kilomètres de l'oppidum d'Izernore, et à l'entrée des sombres sapinières des montagnes d'Apremont ; 3° que du reste ce nom primitif, Alexia ou Alésia, qui présente manifestement une physionomie grecque, était bien placé dans cette région méridionale des monts Jura, où l’on trouve de nombreux indices d'anciennes relations avec les Grecs, par où, suivant Plutarque, d'après M. Quicherat, on traversait d’ordinaire la chaîne de ces monts, où les Helvètes passèrent eux-mêmes — Helvetii jam per angustias et fines Sequanorum suas copias transduxerant —, el où tant de peuples passagers ont pu laisser ainsi jadis quelques-uns des leurs.

Il ne reste donc plus qu'à s'expliquer comment, après l'époque de César, le nom d'Izernore a pu être donné à ce même oppidum, et substitué à son nom primitif, Alexia.

Ce nom d'Izernore a varié dans sa forme à diverses époques, et suivant qu'on le retrouve dans les écrits ou sur les monnaies. Car on a battu monnaie dans ce lieu, sous les Gaulois, comme sous les Romains, à l’époque gallo-romaine ; le fait est constaté et admis comme indubitable par tous les numismates et les antiquaires les plus autorisés[5].

On sait que Surins, chartreux de Lubeck, a recueilli et publié, vers le milieu du XVIe siècle, une collection de vies de saints où l'on trouve de précieuses indications traditionnelles concernant l'histoire[6]. Il y est dit, au sujet de la vie de saint Eugende ou saint Oyen (en latin Eugendus), qui naquit près d'Izernore vers l'an 430, et qui fut abbé de Condat (Saint-Claude) : Il naquit non loin d'un bourg auquel les anciens païens, à cause delà célébrité et de la fermeture très-forte d'un temple qui était l'objet de toutes leurs superstitions, donnèrent en langue gauloise le nom d'Isarndore, c'est-à-dire le nom de porte de fer. — Ortusnamque est haud longe a vico cui vetusta paganitas, ob celebritatem clausuramque fortissimam superstitiosissimi templi, Gallica lingua Isarndori, id est ferrei ostii, indidit nomen.

En effet, d'après Borel[7], porte de fer se traduit en flamand par iser-deure ; en allemand, par eiserne-thor ; en anglais, par iron-door. Isarn-dor, dans les capitulaires de Charlemagne, a le même sens. Pelloutier, dans son Histoires des Celtes, dit que les mots Isartiador, Eisemdor, signifient porte de fer.

Le célèbre numismate Bouterone a décrit quatre sous d'or, ou tiers de sous d'Izernore, qu'il rapporte au règne de Gontran.

D'autres monnaies, frappées à Izernore, sont connues des antiquaires. Ce nom y présente plusieurs variantes : Isarnobero, Isarnodero, Isernobero, Izernodero, Isarno, Isaribora, Aribora...

Enfin, à l'époque de la carte de Cassini, le nom était Isarnore, et aujourd'hui il est devenu Izernore.

La forme fondamentale serait donc, avec une terminaison latine, Isarnodorus, ou Isarndorus, ou Isarnodoro, forme sous laquelle il offre une analogie frappante avec le nom du bourg des Véragres, appelé Octodurus dans les Commentaires, Octodorus dans l’Itinéraire d’Antonin, et qui n'est pas très-éloigné de l’oppidum d'Isarnodorus. Or, le bourg d'Octodorus (aujourd'hui Martigny en Valais) était incontestablement la porte du passage des Alpes pennines ; c'est même pour cette raison que César, la troisième année de la guerre de Gaule, chargea son lieutenant Galba d'aller s'emparer du lieu avec une légion.

La signification de porte de fer attribuée de temps immémorial au nom d'Isarnodorus parait donc bien justifiée, à la fois, et par le témoignage traditionnel de l'auteur ancien qui a écrit la vie de saint Eugende, et par les éléments celtiques de ce nom interprétés par de nombreux savants, et enfin par l'analogie qu'on remarque dans la composition partielle de ce même nom et de celui d’Octodorus, bourg des Véragres, qui est bien certainement la porte du passage des Alpes pennines.

Or, on a jusqu'à ce jour pris au sens propre cette signification du nom d'Izernore ; on a supposé que ce nom provenait d’une porte de fer réelle, laquelle aurait jadis fermé le temple de ce bourg antique ; mais jamais une telle porte de fer ne parait avoir été signalée populairement comme ayant servi à fermer ce temple, et, si l'on veut bien se rappeler que le métal employé dans les temples des anciens était généralement le bronze (et nous possédons un magnifique débris de celui d'Izernore), et si l'on réfléchit que le nom du bourg a du préexister à l'établissement de son temple et au nom qu'où lui a donné, l’acception de ce nom d'Izernore, porte de fer au sens propre, paraîtra sans doute peu admissible.

Tandis que, en prenant cette même signification d’Izernore au sens figuré, ce qui n'est pas rare dans les traditions populaires, nous avons justement dans ce nom, Porte de fer, l'expression la plus énergique que les Celtes, nos ancêtres, aient pu employer pour conserver en ce lieu d'Alésia, où ils avaient effectivement barré le chemin à César et à ses légions, le souvenir de cet événement mémorable. Ce nom d'Izernore prendrait ainsi le caractère d'un témoignage populaire de l'histoire, d'une attestation commune du fait historique survenu dans cette contrée, sinon d'une protestation des Gaulois après la conquête de la Gaule.

Ajoutons que, dans la partie de l'ancien pays des Séquanes que Vercingétorix dut franchir le soir de la grande bataille de cavalerie livrée à l'entrée des monts Jura pour se rendre sans perdre un instant à Alésia-Izernore, la tradition populaire est de dire, par exemple : Je vais à l’Izernore, comme on dirait : Je vais à la porte de fer, et non pas : Je vais à Izernore, ou : Je vais à Porte de fer ; de même que, dans ces mêmes montagnes du Bugey, on dit encore : Je vais au pont d'Ain, et non pas : Je vais à Pont-d'Ain.

Sans doute, à l'époque gallo-romaine, les envahisseurs n'employaient pas volontiers ce nom si naturellement gaulois d'Izernore, ou de Porte-de-fer, qui a persisté sur place avec la race nationale. Si les Romains, par opposition, en employaient un autre, ce troisième nom a dû disparaître avec eux. Peut-être en apercevons-nous comme l’ombre à travers les ténèbres du moyen âge, grâce à une légende importante qui est parvenue jusqu’à nous et que nous citerons dans l’occasion.

Rapprochons ici de ce nom d'Izernore, qui signifiait porte de fer dans la langue des Celtes, le nom latin du point stratégique voisin et si important, la Cluse, la porte, la barrière du défilé qui menait, du temps de César, dans la province romaine. Les Romains, comme les Gaulois, ont donc bien laissé dans la région de l’oppidum d’Izernore un souvenir de passage barré, un souvenir d'Alésia-Izernore, ces Thermopyles de la Gaule, resté là de temps immémorial après la guerre soutenue par nos ancêtres pour la liberté de la Gaule.

 

 

 



[1] Cette précieuse statuette est aujourd'hui, croyons-nous, entre les mains de M. Vingtrinier, imprimeur à Lyon.

[2] Itinéraire pittoresque du Bugey.

[3] Sixième lettre sur le Bugey, dans le Journal d'agriculture et des arts, du département de l'Ain, Bourg, 1er juin 1813.

[4] Note statistique sur le département de l’Ain, 1828, p. 113, Recherches sur les origines celtiques....

[5] Dans les champs de Ceissiat, village situé à 2 kilomètres est de l'oppidum d'Izernore, on a trouvé, il y a trois ou quatre ans, une monnaie macédonienne (statère d'or), un philippus d'or dont les journaux de l'Ain ont parlé.

[6] Cologne, 1570 et 1618, 6 vol. in-folio.

[7] Antiquités gauloises et fr. (Nous empruntons quelques-uns de ces détails explicatifs à de Lateyssonnière.) Paris, 1741, t. I, p. 164. Monnaies, p. 268.