LA ROME DE NAPOLÉON

LA DOMINATION FRANÇAISE À ROME DE 1809 A 1814

 

INTRODUCTION.

 

 

I

Du 10 juin 1809 au 19 février 1814, Rome fut officiellement une ville française, le chef-lieu d'un des cent trente départements qui, après 1811, allaient constituer l'énorme empire de Napoléon Ier.

L'histoire des événements qui ont préparé et amené l'annexion de Rome à l'Empire français, a été écrite. L'histoire de la domination de Napoléon à Rome ne l'a jamais été.

J'ai, depuis quelques années, fait de Napoléon le principal objet, de mon étude. Peu d'historiens, quelles que soient par ailleurs leurs opinions et leurs sympathies, échappent à la suggestion d'admiration que ce grand homme exerce sur ceux qui l'étudient. Je crois avoir cependant gardé vis-à-vis de lui une indépendance de jugement telle que certains de mes lecteurs me trouveront sans doute un peu sévère. Tous jugeront que cette physionomie et cette époque m'intéressent passionnément.

J'aime plus passionnément Rome et l'Italie. J'ai passé à Rome des années qui m'ont paru trop courtes ; j'y suis revenu toutes les fois que je le pouvais : tout m'y a plu, le passé et le présent. Je m'y suis beaucoup promené ; autant que les matinées passées dans ses archives, les après-midi où j'ai battu ses rues et même sa campagne m'ont — moins que je ne le voudrais encore — pénétré et nourri de son histoire.

Il était naturel que ce chapitre inédit de l'histoire, et de Napoléon, et de Rome, tentât ma curiosité. Il l'a tentée, il y a longtemps déjà, et l'a pleinement satisfaite.

L'excellent Norvins qui, avant de se faire le premier l'historien de Napoléon, avait été un de ses représentants à Rome, revit l'empereur en 1815 ; ce brave homme de Norvins présentait un mélange de rouerie courtisanesque et d'ingénuité grandiloquente : Sire, dit-il à l'empereur, Rome vous attendait avec sa gloire et avec la vôtre. Quelle impression n'eussiez-vous pas ressentie l'une et l'autre, si, enfin, vous vous étiez vus : le tête-à-tête de vos deux immortalités aurait donné au monde un spectacle nouveau !...

Napoléon et Rome, quoi qu'en pensât Norvins, s'étaient un jour trouvés en tête à tête. De loin, la ville des Césars et leur successeur s'affrontèrent. Mais au lieu de se reconnaître, ils se méconnurent. Ce tête-à-tête d'abord tendre — tout au moins du côté de l'empereur — devint assez vite orageux. Deux immortalités, pour parler la langue de Norvins, font rarement bon ménage.

Le tête-à-tête — quoi qu'il en fût advenu — méritait, je crois, d'être étudié pour lui-même.

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En réunissant les éléments de cette étude, j'ai promptement aperçu qu'elle me présentait d'autres motifs d'intérêt qui, pour n'être point si élevés, paraîtront valables aux historiens.

La colonisation de l'Europe par Napoléon — qu'on me permette cette expression qui, pour Rome, se trouvera spécialement justifiée — la francisation, si l'on aime mieux, de l'Europe a été l'objet de quelques travaux. M. Alfred Rambaud l'a étudiée sur les bords du Rhin, M. Georges Servières dans les villes Hanséatiques ; un jeune et savant archiviste, M. Schmidt, vient de nous donner un ouvrage sur le grand duché de Berg sous le premier Empire ; M. P. Pingaud nous fera un jour une histoire de la domination de Napoléon dans la Haute Italie ; MM. Rodocanachi et Marmottan ont été intéressés par l'administration de la grande-duchesse Elisa en Toscane, et, pendant que M. Lumbroso amasse les documents qui lui permettront d'écrire le règne de Murat à Naples, un de mes jeunes camarades de l'Ecole de Rome que son nom oblige, M. Jacques Rambaud, s'apprête à écrire une histoire du règne de Joseph au delà du Garigliano.

Cette question d'ordre général m'a toujours très vivement intéressé. Il y a quelques années, des études sur la vie de Fouché m'avaient amené à parcourir les provinces Illyriennes : l'administration autrichienne m'ouvrait libéralement ses archives, et, entre des arrêtés signés des archiducs ou généraux Autrichiens gouverneurs, j'en trouvais parfois, signés Marmont, Bertrand, Junot ou Fouché ; je rencontrais Ch. Nodier, bibliothécaire à Laybach, et de la Carniole à la Dalmatie, en pays allemand, slave et italien, je m'amusais réellement à fureter, en quête d'un arrêt de M. le premier président de la Cour impériale de Laybach, d'un discours de M. le proviseur du lycée à ses jeunes élèves ou d'une circulaire de M. le Conservateur des forêts à ses agents. Un jour M. le gouverneur de Carniole eut la délicate pensée de me-rappeler un mot de l'empereur François II, bien flatteur pour les Français : vers 1820, le Habsbourg vint visiter les provinces Illyriennes rendues à son sceptre par les traités de 1815 ; il s'informait : Beau palais ! qui donc l'a construit ?Ce sont les Français, sire. — Belle route ! qui l'a fait faire ?Ce sont les Français, sire. — Bon collège ! qui donc l'a organisé ?Ce sont les Français, sire. L'empereur d'Autriche promenait son regard sur tant d'autres choses qui restaient à faire, et ne se feraient point, rendues au chaos administratif depuis 1814. Ces diables de Français, dit-il, auraient bien dû rester quelques années de plus. Je vois d'ici l'aimable fonctionnaire autrichien qui me rappelait l'anecdote, après m'avoir montré le banc où le duc d'Otrante venait s'asseoir, à Laybach, pour écouter, avec sa fillette, la musique du régiment français.

Le mot de François II accuse le beau côté de la médaille. Elle eut un revers. Les Français firent certes, en cinq, trois, deux ans parfois, de Hambourg à Naples, d'Amsterdam à Laybach des miracles, dus à une capacité et à une activité administratives qui sont restées sans pareilles ; mais, centralisateurs et césariens, ils apportaient avec eux la détestable théorie de l'uniformisation universelle. Certains d'entre nous combattent, comme une des pires utopies du socialisme international, cette réglementation qui veut soumettre à la même loi des mineurs du pays de Galles et des ouvriers des solfatares siciliens : nous sommes logiquement forcés de trouver non moins absurde une théorie toute pareille qui entendait soumettre aux mêmes lois des bourgeois de Hambourg et des patriciens de Rome, des pandours croates et des citoyens de Bruxelles. Je reviens trop souvent — au cours de cet ouvrage — sur ce trait caractéristique tout à la fois de notre race et de l'époque napoléonienne, pour que j'aie besoin d'y insister ici. En 1798 les Français, maîtres de Rome, s'indignèrent de voir les pendules ne point marquer l'heure à la façon de nos horloges. Ignorant que cette indignation se fût déjà fait jour, Martial Daru, intendant de la couronne à Rome après 1811, écrira que l'horloge du Quirinal marquant l'heure à la Romaine, il est urgent d'y remédier. La mentalité d'une époque et d'une race tient dans ce petit trait. Mes sentiments personnels qui sont à l'opposé — car j'ai la faiblesse de n'aimer les peuples qu'en raison de leur originalité — me contraignent de dire que si le grand rouleau niveleur que les fonctionnaires français rêvaient de promener du Rhin à la Vistule et des Alpes à la Calabre, avait fait la besogne qu'on en attendait, c'eût été la pire aventure qui pût arriver à l'Europe.

Quoi qu'il en soit et quoi qu'on en puisse penser, le fait est patent et amusant. M. de Serre, premier président de la Cour de Hambourg, se baignant dans la Baltique à Travemunde, disait à Puymaigre, son compagnon de bain : J'ai beau faire, je ne puis croire que je me baigne dans des eaux françaises. Ce magistrat était un homme de bon sens, mais, à la vérité, un mauvais fonctionnaire napoléonien. Un décret de réunion signé Napoléon faisait, de la façon la plus indiscutable, de Lubeck ou de Pérouse des villes françaises, au même titre que Poitiers ou Orléans. La plupart des fonctionnaires l'admettaient et se. mettaient, sans hésitations ni défaillances, à franciser l'Europe.

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A Rome, ville essentiellement originale, traditionnelle et infatuée d'elle-même, l'essai de colonisation française est particulièrement piquant. Il l'est pour d'autres raisons. A Hambourg nos fonctionnaires trouvèrent des caves célèbres, les Rathskeller qu'on mit, hélas ! quelque peu au pillage. A Rome l'attrait est d'un ordre singulièrement plus élevé. Les Français allèrent y chercher Romulus, Scipion, César, comme en 1798 ils avaient été y réveiller Cincinnatus, Brutus et Caton. Ils nous donnèrent ainsi le moyen de connaître tout ce que la mentalité romaine créée par Corneille, Montesquieu et Rousseau, comportait d'illusions et devait entraîner de mécomptes.

\roulant ressusciter César, ils détrônaient Pierre ou — pour nous mettre dans l'état d'esprit de Napoléon — disons Grégoire VII. Sauf les tentatives républicaines d'un Arnauld de Brescia ou d'un Cola di Rienzi, la possession de Rome n'avait point été sérieusement contestée aux Papes, maîtres de l'Etat romain depuis le principat de Charlemagne. La Question romaine était cependant en germe dans les débats de l'Europe à la fin du dix-huitième siècle. Les convoitises menaçaient Rome : les Napolitains couvaient de l'œil la vallée du Tibre, Venise les Légations et peut-être les Marches. Après T'aventure de la République romaine de 1798, qui avait tourné à l'honneur et au profit du Saint-Siège, la question ne semblait plus se poser. Napoléon la résolut cependant, en occupant, puis en annexant Rome. Murat entendit en hériter, essaya, en 1815, de donner à son tour une solution au problème en proclamant l'union de Rome avec Naples. Au congrès de Vienne, Metternich n'eût demandé qu'un partage — s'il eût osé en formuler l'idée.

Depuis, la Question romaine resta posée. Le dix-neuvième siècle en fit un de ces problèmes qui, de 1815 à 1870, hantèrent les songes de nos hommes d'Etat. Elle paraît de nouveau résolue. Une dynastie de princes séculiers règne sur une Rome au gouvernement laïcisé. A maints égards, Napoléon fut à Rome le précurseur des nouveaux maîtres. Ils sont loin d'avoir réalisé tous ses plans qui étaient faits à sa seule taille, mais ils y ont consommé l'œuvre politique qu'il y avait entreprise. De la Question romaine, un chapitre restait inconnu, celui que remplissent ces cinq années 1809-1814. Quel gouvernement fut alors imposé aux Romains ? Comment l'acceptèrent-ils ? Quelle fut l'attitude du clergé, du patriciat, du peuple ? Quelle part le Pape tenu captif eut-il à une résistance qui surprit les vainqueurs ? Par quel travail secret cette magnifique administration, si méritante souvent, parfois si féconde, se trouva-t-elle paralysée et stérilisée ? Grégoire VII qui semblait terrassé par son terrible ennemi posthume, le 10 juin 1809, fut-il réellement le vaincu de cette querelle ? Et enfin, la débâcle arrivée, que resta-t-il à Rome, traces matérielles et morales, de ce gouvernement qui, en cinq ans, travailla plus que d'autres en cent ans ? Autant de questions auxquelles il m'a paru intéressant de répondre, pour combler une lacune, que je n'étais certes pas seul à regretter, dans l'histoire séculaire de la Question romaine.

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Rome, seconde ville de l'empire ! Tel était le titre qu'inscrivait au fronton du Capitole le Sénatus-consulte du 17 février 1810. Napoléon voulut en faire autre chose. Il destinait à un second fils à naître le royaume d'Italie, des Alpes au détroit de Messine ; Rome en eût été la capitale un jour. Ce rêve heurtait, brisait le détenteur du royaume de Naples, l'entreprenant Joachim Napoléon Murat. La Question romaine fut, à mon très modeste sens, un des plus violents ferments qui, dès 1809, troublaient fatalement, inévitablement, les relations des deux beaux-frères. D'autres l'ont d'ailleurs pensé et dit. J'ai cherché dans les menus faits de cette chronique, sans y parvenir toujours, avec la trace de l'intrigue napolitaine à Rome, l'évidente preuve de l'ambition de Murat, constamment réprimée et un instant triomphante. Et ainsi, dans ce qui n'était primitivement dans mon esprit qu'une étude des sentiments réciproques de Napoléon le Grand et de Rome la Grande, je me suis trouvé absorber, peut-être par leur petit côté, et l'histoire de la colonisation de l'Europe par Napoléon, et celle d'une phase de la Question romaine, et celle des relations de l'empereur avec ce remuant beau-frère dont la défection fut assurément un des incidents les plus graves en l'universelle débâcle de 1814.

J'ai le plus souvent posé des questions : je n'ai point la prétention de les avoir résolues. J'apporte des éléments, quelques documents neufs, une poignée de faits. Un autre viendra qui fera la synthèse et jugera, avec plus de sécurité et d'autorité que je ne saurais le faire, des hommes et des événements. Ce livre reste une simple monographie, modeste pierre à l'édifice. Mais rien n'est isolé dans l'histoire et aucune question ne vaut par elle-même : les chapitres s'enchevêtrant, il m'a fallu parfois sortir de Rome, de Spoleto ou de Pérouse pour aller chercher à Naples, à Milan, à Savone, à Fontainebleau, à Vienne, à Saint-Cloud les faits qui expliquent ceux que me livre la simple chronique des Etats romains de 1808 à 1814. Le lecteur me pardonnera ces digressions : elles étaient nécessaires : elles constitueront peut-être pour certains le seul intérêt de cette étude, par ailleurs très particulière et je dirai très locale.

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A l'ordinaire, en effet, nous resterons à Rome ou pour être plus vrai dans les Etats romains, car ce serait être inexact, parce qu'incomplet, que de n'étudier qu'à Rome cette administration française. Il y avait un préfet français à Spoleto, des sous-préfets à Pérouse, à Foligno, d'autres à Velletri, Tivoli, Viterbe, des commissaires français à Civita Vecchia et Terracine. Et avouerai-je ma faiblesse ? Le décor m'intéressant ici presque autant que le drame, il m'a été infiniment agréable de suivre, des sauvages monts Volsques à la douce Ombrie, nos représentants et nos agents. Certes j'éprouvais un plaisir incomparable à voir le baron de Tournon déterrer ce Forum, devenu si familier aux hôtes de Rome, et dessiner, au flanc de la colline, les jardins du Pincio dont si souvent nous avons gravi les allées avec tant d'aimables amis. Ce m'était un amusement de pénétrer dans les salons où Miollis, Tournon ou Daru faisaient danser les grands-parents de ceux que j'ai moi-même un peu connus. Mais ce m'était une joie plus grande encore de m'en aller fuori mura, d'accompagner le fringant préfet de Rome dans ces pittoresques tournées de révision dont on connaîtra les incidents ou dans ses visites aux villas hospitalières des monts Albains ou Sabins, d'aller me rafraîchir avec le général de Miollis aux gorges où l'Anio précipite ses eaux sous le temple de la Sybille Tiburtine, de regarder le sévère Rœderer promener de Citta della Pieve à Pérouse son regard de maître, et, revivant ces excursions faites avec de si joyeux camarades des sources du Tibre aux Marais Pontins, de me croire à mon tour un instant le missionnaire de la France chargé de faire aimer mon pays, ainsi qu'un Tournon y prétendait, de cet autre pays auquel j'ai laissé un peu de mon cœur.

J'ai écrit cette étude avec plaisir : je crois l'avoir écrite avec sérénité. J'ai pour Napoléon les sentiments que j'ai dits : je l'admire profondément et sur bien des points je vais à son égard jusqu'à la sympathie : je l'ai prouvé, lorsque la vérité me paraissait s'imposer, qui le justifiait et le grandissait. J'étais d'autant plus libre pour dire où fut ici l'erreur, peut-être la faute, où est aussi le mérite et peut-être la gloire. J'éprouve pour Pie VII une affection apitoyée ; je n'ai point d'hostilité pour la Curie romaine ; j'ai dit en quoi ce pays avait besoin d'un réformateur ; j'ai dit aussi à quel point il y aspirait peu. J'ai gardé du contact des hauts fonctionnaires qui représentèrent là-bas la France et l'Empire, une estime qui n'exclut pas toujours la critique, mais la prime assurément. Je suis convaincu que, de cette étude écrite sans passions, il sortira une très juste idée des services rendus aux Romains, en dépit de leur sourde résistance, par la France et l'empereur. C'est ce qui m'encourage à la livrer, tout imparfaite qu'elle soit, au public.

 

II

Ce qui m'y encourage plus encore, c'est que, grâce à l'obligeance de tous, j'ai pu l'écrire presque exclusivement sur des documents manuscrits restés inédits. Je ne dresse point ici de bibliographie : beaucoup de livres m'ont fourni d'utiles renseignements, 'presque tous très menus. Il n'y a point de livres sur l'Etat romain avant 1809, point de biographies consacrées aux hommes dont il va être question, de Murat à Miollis. Je renvoie aux références de ce volume le lecteur qui se voudra, renseigner sur les ouvrages auxquels on a parfois puisé.

Les vraies sources sont ailleurs. Les Archives Nationales m'en ont ouvert d'innombrables. Mon ami Georges Daumet y a été pour moi plus qu'un guide, un véritable collaborateur. Les cartons de la police m'ont livré la correspondance politique de Tournon, Olivetti, Norvins, Miollis même, dans les séries F7 8887 à 8904, F7 9783 et 9784, F7 6520 à 6523, F7 4435, F7 4376-4377, sans parler des dossiers individuels. Les bulletins de police, étudiés jour par jour pour la période 1808-1814, m'ont fourni une foule de traits et de bien intéressants renseignements, soit dans la série AF IV (1502 à 1534), soit dans la série F7, lorsque des lacunes se produisaient dans les cartons de la secrétairerie d'Etat.

Les cartons de la secrétairerie d'Etat m'ont donné, avec les procès-verbaux manuscrits de la Consulta, toute la correspondance entre l'empereur et ses agents, une partie de celle de Murat, des notes envoyées à l'empereur de Rome par certains missi dominici, avant comme après l'annexion, Pellene, Hédouville, Pastoret, Gérando, etc. (AF IV 1043, 1684, 1695, 1715.)

La série des cartons de l'administration départementale F1e, trop peu utilisée jusqu'ici, est nécessairement la plus précieuse de toutes, puisqu'elle nous initie à tout le travail préfectoral de Tournon et Rœderer : administration des communes, enseignement public, fêtes, travaux publics, assistance, beaux-arts, toutes choses relevant alors du ministère de l'intérieur. (Départements de Rome et du Trasimène, F1e 93-201.) Ces cartons se complètent par ceux qui portent les cotes F1b II Rome et Trasimène, F1c III Rome et Trasimène, F1c V Rome et Trasimène — correspondance administrative des deux préfets, tableaux électoraux et procès-verbaux des conseils généraux.

Les dossiers de la série F10 (1023) qui traitent des cultes, empruntent à la situation particulière du clergé romain une importance qui n'est pas moins grande, on le comprendra facilement.

Et, pour ne concerner que l'administration des biens de la couronne, la série 02 (1066-1083) ne figurera pas moins souvent au bas de nos pages : ces registres ou dossiers de Martial Daru, traitant particulièrement de la restauration du Quirinal, deviennent bientôt des documents fort importants pour l'histoire des Beaux-Arts à Rome de 1810 à 1814, les musées, écoles d'art, chapelles de musique relevant de l'aimable intendant qui eut sous ses ordres un Canova et un Zingarelli.

Les dossiers F12 1568 et 1646, déjà utilisés de très intéressante façon par M. A. Coulon, donnaient la marche de la plus grande partie des entreprises de reconstruction et de travaux publics.

On juge par ce court exposé ce que je dois aux Archives nationales et à celui qui m'y a guidé.

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Aux archives des affaires étrangères, c'était sur les événements antérieurs à 1809 que je devais surtout me renseigner. Sans médire de l'ouvrage, par certains côtés si intéressant et si utile, du feu comte d'Haussonville, je n'avancerai rien qui ne soit connu, en écrivant qu'il n'eut point. pour écrire l'histoire des relations de Rome et de Paris, de 1805 à 1809, les documents capitaux que constituent les lettres de nos représentants à Rome, Fesch, Alquier, Lefebvre. La communication lui en ayant été refusée, ce qu'il fut le premier à déplorer, nous ne saurions un instant songer à lui en faire un reproche. Je m'en suis expliqué ailleurs. Il fallait cependant, pour l'intelligence de ce récit, refaire l'histoire de ces prodromes de l'occupation et de l'annexion. Les volumes Rome 938-943 me donnaient sur ce point des lumières, auxquelles d'autres documents, plus bas mentionnés, ont encore ajouté.

Logiquement, les Archives du quai d'Orsay n'eussent dû me rendre que ce service. Mais, Lefebvre, notre dernier représentant, parti, il resta dans Rome annexée l'ancien consul Ortoli qui, pour certaines raisons qu'il serait oiseux d'expliquer ici, demeura un an en correspondance avec son ministre, le duc de Cadore. Sa correspondance (Rome 943 et 944, 1809-1810) est d'autant plus intéressante que ce Corse critiquait fort l'administration — éternelle concurrence des départements ministériels ! — et ne dit point amen à toutes mesures. Les volumes Rome 945 et 946 (1814), nous initiant aux premières reprises des relations de Rome avec la France, nous livraient, d'autre part, quelques faits d'un intérêt rétrospectif ; Rome, supplément 24 (1808-1829) en donnait, qui complétaient par définition ceux de l'autre série. Et enfin, la question Murat étant intimement liée, je l'ai dit, à la question Rome, les volumes Naples 134-139 (1808-1814) devaient jouer un rôle, à dire vrai, secondaire en toute cette documentation.

Enfin les Archives des affaires étrangères m'ont ouvert une autre source d'informations, dont je dois la connaissance à la science toujours si sûre de M. Frédéric Masson et à l'obligeance de M. Farges : au moment où je préparais cette étude, M. Farges a acquis, pour les Archives qu'il dirige, un lot de registres qui constituent la copie-lettre du baron Janet, intendant du Trésor à Rome de 1809 à 1814, et le recueil des lettres que lui adressèrent les ministres des Finances et du Trésor. Toute l'histoire financière de Rome est écrite dans ces quatre volumes — Copie lettres de Janet, deux registres, 29 juillet 1810-29 juin 1811, 17 septembre 1811-17 janvier 1814 ; Correspondance ministérielle, deux registres, 1er février 1812-31 mai 1813, 2 juin-12 novembre 1813 —. Les Archives venaient de recevoir ces volumes de M. Justin Godard au moment même où je les ai consultés. Ils ne sont encore ni catalogués ni cotés. Il a fallu, pour en avoir la communication, faire, je le répète, appel à l'obligeance de M. Farges que je tiens à remercier ici, ainsi que mon ami Espinas, archiviste aux affaires étrangères.

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On pense que le dépôt de la guerre ne m'a pas été d'un moindre secours. La correspondance de Miollis et des généraux placés sous ses ordres, Lasalcette, Heyligers, Radet, etc., contient par surcroît des copies de lettres de Tournon et Norvins : je l'ai trouvée aux Archives historiques : Armée d'Italie, correspondance, huit cartons, 1809-1814, cotés 8, 15-22. La correspondance de Murat remplit les cartons de l'armée de Naples : je les ai vus pour la période 1808 à 1813 (12 cartons). Enfin au même ministère, les Archives administratives m'ont donné les dossiers individuels de Miollis, La Vauguyon et Lasalcette.

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Rome où, dès 1897, j'avais commencé mes recherches et où, grâce à une subvention du ministère de l'instruction publique dont je tiens à remercier ici M. Liard, j'ai pu les poursuivre au cours de l'année 1901, m'a fourni cependant moins de documents que Paris.

Aux Archives du Vatican je ne demandais que de me livrer les instructions que Pie VII avait peut-être fait parvenir en secret au clergé romain. J'en ai trouvé quelques-unes, grâce à l'obligeante amitié de Mgr Wenzel, préfet des archives, pli avait eu l'excellente idée de faire, sous le titre : Appendice Napoleonico, un inventaire analytique des pièces concernant le régime impérial et ses rapports avec Rome. Les deux volumes Francia et Italia m'ont beaucoup servi.

Les pièces qui subsistent à Rome de l'administration française sont au dépôt qualifié Archivio di Stato. Ce sont des documents relatifs aux conseils de guerre et commissions militaires, à la police judiciaire, au brigandage et aux cultes : 1° Commissione militare, anni 1809-1814, 3 volumes ; 2° Atti et carteggio di polizia giudiziale, 1809-1814, Rome et départements, 23 dossiers ; 3° Tribunali civili, 2 volumes ; Enquêtes sur les paroisses ; carnet de rapports du commissaire Domenico Pepe du 5° Rione, etc.

Les manuscrits de la bibliothèque Victor-EmmanuelFondo Lorenzo in Lucina 23,1011 ; Fondo Gesuitico, 1357, n. 1, 1459, n. 2 ; Fondo Risorgimento, 17.12, 17.45, 7.47, 17.31, 18.32, 17.29, 1.7.49, 7.45, 5.86. — contiennent des documents relatifs à la police des cultes, à la déportation des prêtres et à quelques épisodes particuliers.

La Biblioteca Vallicellana nous livrait des documents de la même famille : ils sont contenus dans une collection de pièces manuscrites ou imprimées rares, la collection du chanoine Falzacappa : nous en avons particulièrement, utilisé les tomes XIII, XIV, XV, XVI.

Enfin le fonds latin de la Bibliothèque Vaticane m'a fourni un document auquel j'ai souvent recours pour les petits détails de cette histoire. C'est le Diario ou journal quotidien de Fr. Fortunati (manuscrits latins 101 73) dont j'ai particulièrement utilisé la deuxième partie du folio 620 au folio 678.

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Les dépôts d'archives publics, si riches soient-ils, suffisent rarement à éclairer tout un problème historique. Certes on y trouve, avec certaines notes de police particulièrement ingénieuses, avec des lettres où parfois — c'est le cas de Norvins, lorsqu'il écrit à Savary, et de Tournon, lorsqu'il écrit à son ami Anglès — le correspondant s'abandonne, et sort du style officiel, avec les lettres interceptées dont une douzaine m'ont été ainsi livrées, des propos sincères qu'il faut précieusement recueillir. Les pièces officielles toutefois permettent de bâtir une histoire, rarement de l'animer : or, ce n'est point d'architecture qu'il s'agit ici, mais de vie toute chaude.

A cet égard je dois une très grande gratitude à M. le comte Alexandre de Miollis et à M. le comte de Tournon ; l'un et l'autre ont bien voulu me communiquer un lot de papiers considérables où tous les genres de documents se retrouvent, documents administratifs, lettres privées et mémoires manuscrits.

M. de Miollis m'a fait remettre tout ce qui lui reste des papiers de son grand-oncle, et lorsqu'on aura vu le rôle prépondérant que joua le général, véritable gouverneur des Etats romains de 1809 à 1814, on comprendra assez quel intérêt présentait pour moi cette communication et quelle reconnaissance je peux concevoir envers celui qui m'a confié de tels documents durant de longs mois. Ce dépôt comprenait :

1° Une liasse de lettres autographes adressées au général ;

2° Une autre liasse contenue dans un agenda ;

Ces lettres sont de Fouché, Norvins, le premier président Cavalli, Lasalcette, La Vauguyon, etc. — pour ne parler que de celles qui intéressent la présente étude.

Le copie-lettres du général de Miollis du 9 janvier 1811 au 5 juin 1814, contenant des lettres dont je n'ai guère retrouvé par ailleurs aux Archives de la guerre ou auxArchives Nationales que la moitié ;

4° Un gros registre : Journal militaire du siège du château Saint-Ange du 19 janvier au 18 mars 1814, qui m'a presque exclusivement fourni la matière d'un de mes chapitres ;

5° Une brochure imprimée à Rome, 1814 : Indicazione delle sculture e della galleria de quadri esistenti nella villa Miollis al Quirinale ;

6° Trois manuscrits des Mémoires inédits du général de Miollis qui trahissent chez l'auteur une âme aussi belle que son écriture était mauvaise.

M. de Tournon, fils de l'ancien préfet de Napoléon à Rome, a bien voulu m'ouvrir ses archives. Je ne saurais trop l'en remercier : mes lecteurs apprendront vite quelle place ont tenue dans ma documentation les papiers qu'il a bien voulu me laisser entre les mains. Le baron de Tournon a été l'un des agents les plus actifs et les plus méritants de Napoléon à Rome. Il avait trente ans et, enthousiaste de Rome et, de la vie qu'il était amené à y vivre, écrivait à ses parents, de 1809 à 1814, des lettres pleines d'abandon, de charme, de verve où mille détails curieux se révèlent :

1° Cette correspondance privée constitue naturellement car toute ma préférence reste acquise à ce genre de documents — une source de tout premier ordre.

Les lettres autographes adressées à Tournon forment un second dossier. Il en est de Talleyrand, Montalivet, Barante, des cardinaux, etc.

3° Je trouve encore une dissertation sur l'état des arts à Rome, n° 96 de la collection de M. de Tournon ;

4° Une étude très intéressante : Quelques pensées sur Rome française et le département du Tibre (n. 94, 20 pages), inspirée par le préfet ;

5° Des Observations sur l'état politique, administratif et économique du département de Rome à l'époque du mois d'août 1811.

6° Enfin le troisième cahier des Mémoires manuscrits de M. de Tournon est entièrement consacré à son séjour à Rome 1809-1814. C'est en dire l'intérêt. Ces mémoires sont ceux d'un homme extrêmement modéré, mais chez qui la courtoisie ne nuisait jamais à l'esprit. Le ton général de cette œuvre, rédigée probablement vers 1830, inspire une confiance plus grande que la plupart des récits contemporains : la verve de l'auteur rend par surcroît charmants des souvenirs qui paraissent très précis, et des détails que d'autres documents, sa correspondance privée et sa correspondance officielle, viennent toujours confirmer.

Le baron de Tournon a laissé deux volumes imprimés : Etudes statistiques sur Rome, 1840, où sa modération se traduit par une impartialité presque excessive : la connaissance que j'en avais — c'est un des rares ouvrages publiés auxquels j'aie beaucoup emprunté — m'avait préparé à mieux apprécier ses mémoires et ses lettres.

D'autres mémoires inédits m'ont été communiqués d'un tout autre côté : ce sont les Mémoires du comte Patrizzi sur son arrestation à Rome et son internement au château d'If. Le comte fut, nous le verrons, une des victimes de la domination impériale à Rome. Son cahier de mémoires ne raconte qu'un épisode évidemment assez secondaire, mais qui m'a paru très caractéristique. D'autre part, le ton de l'ouvrage et les traits que j'y trouve, concernant Miollis, Tournon, Norvins, m'ont semblé donner quelque intérêt d'ordre plus général à des mémoires qui nous permettent d'entendre le son de cloche romain. Je prie la famille Patrizzi et, S. E. le cardinal Mathieu, qui en cette circonstance a servi d'aimable intermédiaire, d'agréer l'expression de ma vive gratitude.

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Le son de cloche romain, ai-je dit, et je crois qu'il était nécessaire qu'on l'entendit. Car il reste à déterminer brièvement, somme toute, ce que chaque parti apporte de témoignages à cette enquête. Du côté français, ce sont principalement les lettres officielles ou privées de Miollis, Olivetti, Tournon, Janet, Rœderer, Gerando, Daru, Norvins, les mémoires inédits de Miollis et de Tournon, un petit fragment du mémorial publié de Norvins — le seul qui soit hélas ! resté de son sixième cahier tout entier consacré à Rome —, l'autobiographie de Balbo, les mémoires du baron Radet auxquels il ne se faut pas trop fier ; mais Miollis, Tournon et Balbo, gens fort modérés, sont très favorables aux Romains. Du côté napolitain, les lettres d'Ortoli à Champagny restées aux affaires étrangères, une au ministre De Gallo (aux Archives nationales) et celles mêmes de Murat. Du côté italien napoléonien, une correspondance de premier ordre : La Corrispondenza di diplomatici della Reppublica e del regno d'Italia 1796-1814. Milan, 1885, publiée par Cantu et qui, de la page 337 à la page 463, nous livre les lettres très vivantes, et presque quotidiennes des agents de Milan restés à Rome. Enfin du côté Romain, nous avons, outre les lettres interceptées qu'on retrouve dans les dossiers de la police et qui ne ménagent guère les Français, les Mémoires de Patrizzi, le Diario manuscrit de Fortunati, journal quotidien (Bibliothèque vaticane), et enfin ce Diario de l'abbé Benedetti dont David Silvagni a donné des fragments entiers dans son livre La Corte e la Societa Romana et au sujet duquel M. Umberto Silvagni a eu, par une lettre du 24 février 1904, l'obligeance de me fournir les explications les plus édifiantes. Il faudrait encore citer Pacca, Consalvi, la comtesse d'Albany, les lettres de Mme Pecci citées par M. Boyer d'Agen, les Mémoires de ce Romain rallié, le professeur Orioli, publiés par M. A. Lumbroso, ceux du gentilhomme italien dans la Revue Britannique, les lettres de Canova, et, du côté des Français mécontents, les lettres ou mémoires de Barras, Lamartine, Mme Récamier, etc., enfin les impressions de Stendhal.

C'est en effet dans la Rome qu'ont connue tant d'illustres gens que nous allons pénétrer. Plus elle paraît parfois étrange et presque fantaisiste, plus il m'a paru nécessaire d'initier préalablement le lecteur aux documents dont, aussi bien, il retrouvera souvent l'indication au bas de ces pages et sur lesquelles est fondée cette modeste étude.

Ayant à remercier beaucoup d'aimables collaborateurs, je l'ai fait, lorsque l'occasion s'en présentait, avec le plus grand plaisir. Mes maîtres ès sciences napoléoniennes ont droit à une égale reconnaissance : MM. H. Houssaye, Albert Sorel et Albert Vandal, ont encouragé cette étude avec une bienveillance que je ne trouve jamais en défaut ; M. Frédéric Masson m'a fourni tant de précieuses indications et de bons conseils, qu'il voudra bien ne trouver ici qu'une très faible expression de la gratitude qu'il a si largement méritée.

C'est aux aimables Romains qui m'ont accueilli jadis que je dédie ce livre sur Rome.

 

Raon-l'Etape, 1er août 1905