LA RÉVOLUTION

DEUXIÈME PARTIE. — L'ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

 

CHAPITRE XXII. — VALMY.

 

 

La Législative dans les ruines. Sa fin. Les Thermopyles de la France. Le tertre de Valmy. Les soldats de la Nation font reculer les soldats de Rosbach. Ère nouvelle.

 

L'Assemblée restait accablée sous les débris de la Constitution qu'elle avait renversée, écrit un de ses membres. En réalité, elle restait accablée sous le poids des massacres qu'elle n'avait pas empêchés. Elle ne faisait presque plus rien, écrivait Couthon le 8 septembre. Elle agonisait dans le mépris général. Le coup d'œil de l'Assemblée ne m'a pas ébloui, avoue un provincial au maire de Brest. Je n'y ai rien trouvé de majestueux.

Elle avait semé de ruines le sol de la patrie et, chose peut-être plus misérable encore, de ruines involontaires. Héritière de la Constituante et en apparence fidèle à sa doctrine pacifiste, elle avait — sciemment ou non — jeté la France dans une guerre mal préparée : le 19 septembre au soir, veille de sa dissolution, elle pouvait apprendre que les passages d'Argonne étaient forcés. Constitutionnelle, elle avait déchiré la Constitution et, sans avoir souhaité la République, elle avait laissé choir la Monarchie. Composée en majorité de modérés, elle avait, par sa faiblesse, livré aux massacreurs les citoyens que ses décrets avaient jetés dans les prisons, et Paris — contre elle cependant et pour l'en souffleter — élisait députés à la Convention quelques-uns des massacreurs.

Comme si, toutefois, elle ne fût pas contente d'avoir ainsi — par pur amour de la phrase ou par peur des violents — ruiné la paix, la monarchie, la liberté, la justice, la Constitution dont elle avait la garde — et sa propre cause, la Gironde entendit, in extremis, ajouter une ruine à tant d'autres. Dans sa dernière séance, le 20, l'Assemblée vota le décret qui établissait le divorce et de telle façon que le foyer, pierre d'angle de ce pays de France, en allait être, pour de longues années — nous le constaterons dès 1795 —, terriblement ébranlé.

Et elle attendit, dans les ruines qu'elle avait faites l'Assemblée qui, quelques mois après, forte des phrases prononcées à la tribune de la Législative, allait envoyer à l'accusateur public l'état-major girondin qui l'avait conduite.

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Mais la France, menacée de toute part, ne périssait pas : à l'heure où, sous un ciel très sombre — il plut beaucoup en ce mois de septembre —, les politiciens de l'Assemblée se déclaraient dissous, de petits soldats en sabots et en carmagnoles bleues, mouillés jusqu'aux os, mais l'âme en fête, escaladaient, aux cris de Vive la Nation ! les pentes occidentales de l'Argonne un instant perdue. C'était en ce jour du 20 septembre, à 11 heures, que Kellermann, mettant au bout de son épée son chapeau au panache tricolore, devant le moulin de Valmy, battu par les boulets prussiens, criait : Vive la France ! Et la France allait vivre.

Dumouriez avait refait à peu près son armée. puis l'avait remontée. Allons, de la gaieté, écrivait-il. Et avec ces soldats retrempés et alertes, il avait juré de défendre l'Argonne, ces Thermopyles de la France. Brunswick eût pu les forcer le lendemain de la prise de Verdun, mais il hésitait toujours entre ses idées et ses devoirs, entre ses projets et ceux du roi son maitre. Il perdit du temps. Et pendant ce temps, son armée, d'ailleurs minée par la dysenterie — cette fameuse courée prussienne dont on devait si longtemps plaisanter dans nos pays meusiens — se démoralisait étrangement. La courée y était pour beaucoup, mais aussi l'attitude des Lorrains : les officiers prussiens qui, sur la foi des émigrés, avaient cru rencontrer un pays prêt à se livrer, ne voyaient que des gens fort décidés à garder leur Révolution. Le diable soit de cette guerre, écrivait un officier prussien, pourquoi nous sommes-nous mêlés de ces querelles qui ne nous regardaient pas ! Telle disposition rendait de plus en plus aigres les rapports entre émigrés et Allemands : par surcroît, les Prussiens, qui voyaient les Autrichiens assiéger des places fortes en Flandre, se persuadaient tous les jours davantage que Vienne, toujours détestée, faisait tirer au roi de Prusse les marrons du feu. Crottée comme des porcs, mouillée, les entrailles en déroute et le moral abattu, la redoutable infanterie prussienne ne marchait plus d'un pas assuré et l'état-major discutait : Brunswick n'y voyait qu'une raison de plus de ne se hâter que lentement. 

Kellermann en profitait pour gagner, lui aussi, l'Argonne ; de Metz, il s'y acheminait sur le flanc gauche des armées ennemies, par Bar-le-Duc. Et il arriva, le 18, derrière les Thermopyles. Il était temps : les Allemands les avaient forcés sur deux points, et Dumouriez comptait sur l'armée de Metz pour rétablir ses affaires. C'est lui qui força Kellermann, d'abord récalcitrant, à occuper le plateau de Valmy, contrefort champenois de la chaîne, pour couper la route de Paris aux Prussiens. 

C'est sur ce petit plateau que, le 20 septembre, par une pluie fine, Kellermann déploya sa petite armée, face au plateau de la Lune où Massenbach avait installé ses batteries prussiennes. Celles-ci étaient entourées de brouillard : lorsqu'il se dissipa, les Allemands aperçurent, pour la première fois, claquant au vent les drapeaux tricolores au-dessus d'une armée qui faisait une admirable contenance. 

Brunswick en fut ému : il ajourna la bataille, essaya d'une simple canonnade qui ne sembla nullement ébranler les gens de la Nation, puis consentit à faire donner l'infanterie qui s'ébranla. Les troupes françaises chantaient le Ça Ira et la Marseillaise, agitaient leurs chapeaux, criaient : Vive la Nation ! Et le canon français se mit à faire à son tour pleuvoir ses boulets sur les Allemands. Le désarroi se mit dans les rangs prussiens. On y était au comble de la surprise. Ces tailleurs et savetiers en carmagnoles pointaient et tiraient bien, et puis ils impressionnaient par leur enthousiasme. Brusquement, Brunswick aborda le roi de Prusse et demanda qu'on cessât le combat. La pluie devenait furieuse : il en prit prétexte. Frédéric-Guillaume céda. Les Prussiens s'avouaient vaincus — au moins moralement.

Les Français, de ce fait, étaient les vainqueurs. La contenance des troupes de la Nation avait été telle que les dernières illusions des Prussiens étaient tombées. Ces va-nu-pieds avaient tenu en respect les soldats du grand Frédéric. Brunswick, qui avait déconseillé la marche en avant, les officiers qui plus généralement avaient blâmé l'alliance avec l'Autriche et détestaient les émigrés, les soldats qu'éreintait la maladie, le roi enfin convaincu d'avoir imposé, avec la marche sur Paris, une fausse manœuvre, tous, du haut en bas, se sentirent décidément rejetés en arrière. Le pays était peu sûr, le soldat Français solide, les émigrés avaient menti et, pendant que des Prussiens s'allaient engager imprudemment sur la route de Paris, peut-être pour s'y faire écraser, l'Autriche menaçant, bombardant des places fortes du Nord, arrondirait son domaine de Flandre. Toutes les méfiances, toutes les rancunes se réveillaient. La Prusse allait brusquement reculer. Elle avait cru à un succès facile : elle passait, ainsi qu'il arrive, d'une trop grande présomption à un découragement très exagéré.

Mais nos soldais, exaltés de ce demi-succès, en faisaient comme Gœthe chez les Allemands — le point de départ d'une ère nouvelle. Plus n'était besoin que Dumouriez les incitât à une joyeuse confiance : ils étaient maintenant sûrs d'eux ; la Grande Nation s'élançait du tertre de Valmy, capable de conquérir un Monde.

Et la Convention entrait en séance, qui allait, au milieu d'épouvantables orages, créer avec ces soldats, exaltés et bientôt aguerris, le noyau magnifique des quatorze armées de la République.

 

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SOURCES. Œuvres déjà citées de Mme Roland (Mémoires, Lettres). Buzot Barbaroux, Dumas, Couthon, les Fédérés bretons. Aulard (Jacobins, IV). Aulard (Actes, I) — Carnot, Correspondance (publiée par Charavay,) I, 1892.

OUVRAGES déjà cités de Cahen, Charavay, Chuquet, Albert Sorel, Chassin et Hennet. Les Volontaires Nationaux, 1899-1906. Picard, Valmy (Revue de Paris, 1908).