FRANCE ET ROME

 

LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ.

 

 

Le 29 mai 1790 une grande effervescence régnait dans la salle du Manège — rarement calme, à la vérité — où siégeait l'Assemblée nationale constituante. Martineau, rapporteur du Comité ecclésiastique de l'Assemblée — nous dirions la Commission des affaires religieuses — allait monter à la tribune pour s'y faire l'interprète des conclusions auxquelles, après quelques semaines de discussions passionnées, avaient abouti ses collègues. Ces conclusions enfermées dans des propositions très précises devaient aboutir à la Constitution civile du clergé et, par un juste pressentiment, chacun des partis en présence avait bien conscience qu'une grande partie s'allait jouer où le sort même de la Révolution pouvait bien être l'enjeu. Aussi bien, ce n'était pas seulement l'avenir qui se débattait, c'était tout un passé qui se liquidait ; car la querelle qui dressait contre le catholicisme romain une partie des Constituants remontait bien haut, ainsi qu'il va être expliqué.

Si on s'en tenait en effet aux événements qui s'étaient déroulés depuis 1789, on ne parviendrait pas à comprendre pourquoi, en ce printemps de 1790, l'Église catholique était si brusquement attaquée dans sa constitution par la Révolution. Car l'Église française ni même la Curie romaine n'avaient jusque-là gêné le mouvement et on pouvait dire qu'une grosse partie du clergé français y avait singulièrement aidé.

La Révolution avait surpris ce clergé dans un état de décadence dont un historien, peu suspect d'anticléricalisme, M. Pierre de la Gorce, a très loyalement et fort diligemment analysé les causes et décrit les phénomènes. Je renvoie au tableau tout à la fois si piquant et si large qu'il nous a tracé de l'Église privilégiée[1]. Le lecteur y verra que cette Église donnait, au moins autant que les autres corps d'Ancien Régime, le spectacle d'une singulière anarchie matérielle et morale. Dans l'Épiscopat même, l'inégalité était extrême : 130 évêques administraient des diocèses fort disproportionnés — 1.388 paroisses dans celui de Rouen et 19 dans celui d'Agde — et de revenus plus disproportionnés encore, tel diocèse rapportant 400.000 livres par an à son titulaire et tels autres ne valant que 7.000 livres à leurs chefs, les évêques crottés. Sous des évêques dont une grosse partie se composait de très grands seigneurs millionnaires, — les Rohan qui se succédaient d'oncle à neveu dans le palais épiscopal de Strasbourg jetaient l'or par les fenêtres, — une plèbe de 60.000 curés vivait fort misérablement ; il faut lire ce qu'écrivait de cette situation l'abbé Mathieu dans son livre sur l'Ancien Régime en Lorraine : 700 livres à un curé, 300 à un vicaire. Et cela n'allait pas sans exciter dans les rangs de ce prolétariat ecclésiastique une très vive aigreur. Les ecclésiastiques cependant, hauts évêques et humbles prêtres, passaient pour privilégiés et l'étaient, car ils ne payaient pas l'impôt, sauf le don gratuit que votaient les assemblées du clergé et qu'elles pouvaient refuser, et par contre, en prélevaient un, la dîme, extrêmement odieuse au peuple des campagnes — comme tout impôt d'ailleurs. La dîme rapportait au clergé environ 80 millions et elle paraissait d'autant moins se justifier — aux yeux de ceux qui la payaient que l'Église passait pour posséder une fortune considérable. On l'exagérait, mais elle n'en était pas moins importante, montant, d'après les calculs forcément approximatifs de M. de la Gorce — que j'ai pu contrôler et auxquels je me rallie — à 2 milliards 992 millions et demi environ.

Cette fortune venait des dons et legs séculaires presque tous faits à une fin très précise : prières pour les défunts, assistance aux vivants. L'Église, même en décadence, remplissait en partie ces objets. Frais du culte, de l'enseignement et de l'assistance absorbaient la grosse partie des revenus fixes ; mais trop souvent cependant et depuis trop longtemps, le haut clergé avait paru oublier ou méconnaître les charges qui grevaient les bénéfices. La décadence de cette Église se résume, pour M. de la Gorce, dans la séparation de deux choses : à savoir les biens accumulés par la libéralité des fidèles et les obligations pieuses qui ont été la charge de ces dons. Que de bénéficiaires perdaient de vue le caractère de cette fortune qui ne leur était que confiée, et avaient fini par la regarder comme une fortune personnelle !

Telle situation rendait cette fortune peu justifiable et moins justifiables encore les immunités jadis parfaitement explicables dont elle jouissait.

La situation matérielle de l'Église, qu'il s'agît de l'inégalité des conditions au sein même du clergé ou de sa situation dans la nation, appelait donc une réforme à laquelle le clergé lui-même ne se refusait pas en 1789.

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Sa situation morale était telle, d'autre part, qu'il lui était assez difficile de se défendre : car ce clergé français était, à la veille de 1789, compromis par les abus d'en haut et les révoltes d'en bas.

L'Église n'a pas besoin de grands noms, mais de grandes vertus ! C'est Massillon qui, au début du siècle, avait jeté cet avertissement au pouvoir. Il n'avait pas été entendu : trop souvent les grandes vertus avaient été, sur la feuille des bénéfices, sacrifiées aux grands noms.

Certes, il y avait, en 1789, des prélats à tous égards édifiants et je regrette de ne pouvoir, après MM. de la Gorce et Sicard, les proposer nommément à notre estime. S'il y avait, par ailleurs, des prélats fort scandaleux, la masse était simplement médiocre d'âme ou d'esprit. Fort souvent, en effet, il y avait divorce entre l'âme et l'esprit. Louis XVI, qui vient de nommer Bonnal à Clermont et Boutteville à Saint-Flour, dit en souriant : Je viens d'envoyer le Saint-Esprit en Auvergne, le Saint à Clermont, et l'Esprit à Saint-Flour.

Classe médiocre, ai-je dit. Il est humiliant pour l'Église de 1789 que, sur cent trente prélats, M. l'abbé Sicard[2], dans son attachant tableau, en soit réduit à nous montrer, d'un geste réhabiliteur, une quinzaine d'évêques vertueux. Et il faut bien — car il est d'une remarquable impartialité — qu'il flétrisse sans réserve les Rohan, les Loménie de Brienne, les Jarente, les Talleyrand et autres drôles. Et la plupart des hauts abbés ne valaient pas mieux, avec cette excuse que la plupart, étant commendataires, au moins n'étaient pas prêtres.

Le bas clergé regardait avec dépit, scandale, jalousie, ces chefs peu respectables. Depuis des années, ces curés, fils du peuple, dotés en immense majorité d'une foi robuste, ne s'en ouvraient pas moins à l'esprit démocratique, parce qu'ils étaient imbus, eux aussi, dans une certaine mesure, de l'esprit philosophique.

Rien ne vaut un petit fait ; citons, d'après M. de la Gorce, celui-ci : la découverte en Périgord de deux listes de souscription à l'Encyclopédie qui, sur quarante noms, contiennent ceux de vingt-quatre curés. Pourquoi les curés du Périgord eussent-ils plus souscrit à l'Encyclopédie que ceux de vingt autres provinces ? Ici la généralisation n'est point téméraire et l'on ne saurait s'étonner de voir le bon abbé Barbotin, dont M. Aulard vient de publier les lettres, faire sa lecture de Mably. Rousseau lui-même ne les froissait pas tous : quelques-uns eussent accepté volontiers pour vicaire le vicaire savoyard.

Le régime ne les arrangeait guère : évêques et moines trop riches en face de curés réduits à la portion congrue ; comme par surcroît — le cardinal Mathieu nous en cite plus d'un exemple en Lorraine —, les prélats, si aimables et souvent si généreux, étaient parfois fort durs avec leur clergé diocésain, les bas curés s'étaient, en 1789, montrés extrêmement disposés à se jeter dans un mouvement auquel les préparaient à la fois leur origine, leurs lectures et leurs rancunes.

Les élections de janvier-mars 1789 avaient révélé à quel point ils étaient excités contre les évêques. Ce sont ces b... de curés qui nous perdront, avait dit d'Antraigues en mai 1789. Et c'est en effet l'adhésion des curés entraînant maints prélats qui avait permis au Tiers État de triompher à Versailles. Pendant les premiers mois qui avaient suivi cette victoire, le clergé n'avait cessé de donner des gages éclatants de son civisme. C'est l'archevêque de Paris Juigné qui, le lendemain du 14 Juillet, avait proposé d'aller à Notre-Dame chanter le Te Deum ; c'est l'archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, qui s'était fait le rapporteur enthousiaste de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; c'est l'évêque de Nancy, La Fare, qui était venu, dans la nuit du 4 Août, associer le clergé aux sacrifices assurément généreux, mais, par certains côtés, inconsidérés de la noblesse. Et au nom du clergé tout entier, l'archevêque de Paris encore était monté à la tribune pour renoncer spontanément à la dîme qui avait été, par la suite, presque sans opposition, abolie. Les églises de France, cependant, retentissaient des Te Deum et il semblait vraiment que rien ne pût détacher le clergé catholique de la Révolution de la liberté — gros appoint moral que Condorcet lui-même regrettait, quelques années après qu'on se fut aliéné à plaisir.

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La première mesure qui avait compromis l'alliance et desserré les liens avait été la nationalisation des biens du clergé et il faut nous y arrêter un instant, car c'est de l'événement que sortit très indiscutablement cette constitution civile, boîte de Pandore d'où devaient par ailleurs sortir tant de maux.

Les rois, lit-on dans les Mémoires de Louis XIV, sont seigneurs absolus... de tous les biens tant des séculiers que des ecclésiastiques pour en user comme sages économies, c'est-à-dire selon les besoins de l'État. Les circonstances amenaient la Constituante à penser comme Louis XIV.

La fortune de l'Église était considérable ; elle avait, depuis un siècle, tenté tous les hommes d'État besogneux. Des théoriciens complaisants s'étaient trouvés pour faire tomber leurs scrupules. Constituée par la volonté des mourants, cette fortune n'était qu'un dépôt entre les mains de l'Église : L'Église est la collection des fidèles, dira un orateur : ce ne sont point les prêtres seuls. Or les fidèles, ce sont les citoyens. Tout cela sent fort le sophisme. En réalité, on avait alors grand besoin d'argent.

Par ailleurs un groupe, moins préoccupé des coffres de l'État, poussait à la mesure. C'était le groupe anticatholique. On n'y était pas fâché de brouiller le clergé avec la Révolution et, en ruinant l'Église, de détruire le corps ecclésiastique. Le pasteur Rabaut Saint-Étienne trahira une joie singulière au lendemain du vote. Il (le clergé) n'est plus un ordre ! Il n'est plus un corps, il n'est plus une république dans l'empire... Les prêtres pourront marcher à la cadence de l'État. Il ne reste plus qu'à les marier. Ce petit groupe, que nous verrons agir puissamment dans l'affaire de la Constitution civile, se sert de ceux qui, comme Duquesnoy, répondent simplement à toute objection : Avec quoi veulent-ils qu'on paye les dettes ?

On avait supprimé les dîmes : le clergé y avait consenti. On espéra de lui la même complaisance. Peut-être eût-il été habile, de sa part, de prendre les devants et, pour gagner ceux que le seul déficit préoccupait, de faire, en offrant de cautionner un emprunt, la part du feu. Deux mois après, Boisgelin, le plus intelligent des prélats députés, regrettait que l'offre ne se fût pas opportunément produite ; mais, dit-il, mes respectables confrères ne sont pas sortis de la salle des Augustins — lieu des anciennes assemblées du clergé. Une avance de 400 millions peut-être eût tout sauvé. Mais les privilégiés, depuis huit mois, ne savaient ni se défendre ni manœuvrer.

Par surcroît, la sympathie très sincère du clergé pour la Révolution l'aveuglait. S'il ne prévoyait aucune manœuvre de guerre, c'est qu'il ne croyait pas à la guerre. Il s'assourdissait de ses Te Deum. Il ne pouvait se résigner à penser qu'on l'en allait payer en le dépouillant.

C'est d'ailleurs l'un des siens qui mit le feu à la mine depuis longtemps préparée. Le 10 octobre, l'évêque d'Autun, Talleyrand, se glissait à la tribune. Il n'était pas tapageur : il insinua sa proposition très doucement en fin de séance : mise à la disposition de l'État des biens ecclésiastiques. Elle fut, dès le lendemain, appuyée par Mirabeau. Ce fut une des discussions les plus passionnées.

Le clergé en effet défendit avec vivacité son patrimoine : il avait abandonné les dîmes, qui valaient 80 millions par an : il refusait de livrer les biens, d'un revenu inférieur cependant, parce que c'était pour lui une déchéance, l'acheminement à la servitude, et par surcroît, ajoutait-il, un abus de confiance : libre à l'évêque d'Autun de livrer les biens des morts. Maury combattit là contre avec passion, Sieyès avec fermeté ; Boisgelin fit, avec raison, remarquer que les biens n'avaient pas été donnés à l'Eglise, mais à diverses institutions, abbayes, cures, hôpitaux, collèges, pour des objets précis : le 31 octobre, il jeta du lest, offrit d'avancer 400 millions. Il eût mieux valu accepter : la Nation allait faire une mauvaise affaire ; La Fare en effet observait que le pays assumerait de lourdes charges, œuvres d'enseignement et d'assistance qu'alimentaient les biens menacés. Le Chapelier répondit que le clergé n'exerçait qu'une stérile et dangereuse charité propre à entretenir l'oisiveté et le fanatisme. — La Nation, au contraire, établira dans ces maisons de prière et de repos des ateliers utiles à l'État où le pauvre trouvera sa subsistance avec le travail ; il n'y aura plus de misérables que ceux qui voudront l'être. Rappelons-nous que cette parole était prononcée il y a cent vingt ans.

Ce Le Chapelier laissa, par ailleurs, percer l'idée qui guidait tout un groupe : certes le déficit l'occupait, mais, au reste, il était impolitique que les grands corps eussent des propriétés. Ce fut cependant Mirabeau qui enleva le vote.

Grégoire et une vingtaine de curés se prononcèrent pour la motion de Talleyrand : malgré quoi, tant on voyait avec peine, dit un des votants, que la propriété des biens appartînt à l'État, la motion mettant à la disposition de la Nation la propriété ecclésiastique ne fut votée que par 368 voix contre 346, quarante députés s'étant abstenus et près de trois cents étant absents, presque tous de la Droite et du Centre.

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Trois milliards à peu près étaient ainsi mis entre les mains de l'État. Necker, encore pour quelque temps ministre des finances, en était presque encombré. Sa conscience répugnait à cette mesure, et d'autre part la liquidation de cette fortune, en immense majorité foncière, lui paraissait très difficile. On allait jeter sur le marché une masse de biens, à l'improviste, dans un moment d'insécurité. Cela n'entraînerait-il pas une formidable dépréciation de la propriété ? Pour gagner du temps le Genevois tomba malade.

Le clergé ne désespérait pas. Peut-être lui laisserait-on la propriété des biens, sur lesquels on se contenterait de faire les prélèvements nécessités par les besoins du Trésor.

Cet espoir lui devait être enlevé le 10 avril 1790. A cette date, Prieur de la Marne demandait que les biens ecclésiastiques fussent déclarés nationaux. C'est au cours de ce débat que Boisgelin fit un dernier effort de conciliation. Il proposa que la fortune ecclésiastique servît simplement de gage à un emprunt. Mais déjà les sentiments de la majorité étaient devenus plus hostiles au clergé lui-même : menacé, celui-ci montrait à la Révolution des dispositions moins favorables qu'en 1789 ; on prévoyait une rupture. Et lorsque dom Gerle, moine démocrate qui avait voté la confiscation, vint naïvement proposer à l'Assemblée la célèbre motion proclamant le catholicisme religion d'État, il souleva un tolle d'indignation sur les bancs de la Gauche où il siégeait. C'est à cette occasion que Mirabeau parla pour la première fois du balcon d'où Charles IX avait arquebusé les huguenots — ce qui constituait une attaque contre les catholiques tenus pour fanatiques. La motion fut repoussée par 495 voix contre 400, et, le 16 avril, l'Assemblée votait la nationalisation. Elle avait comme contre-partie l'établissement d'un budget des cultes. Dernier coup porté au clergé, écrit avec raison un député de la Gauche. La mesure en effet faisait singulièrement déchoir, au point de vue moral, les successeurs de Bossuet et de Fénelon. En outre, elle les faisait complètement dépendants de l'État ; celui-ci se croira promptement le droit de punir, par la privation de traitement, le mauvais curé ou le mauvais évêque — s'entend celui qui ne voudra rendre à César que ce qui est dû à César.

Le clergé accepta assez mal la mesure. La dissolution des ordres religieux exaspéra, quelques semaines après, ses rancœurs. Et pour la première fois depuis 1789, on vit des évêques — comme celui de Tréguier — passer du style du Te Deum à celui de Jérémie et appeler sur les hommes pervers qui s'étaient emparés de la Révolution les malédictions du Très Haut.

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C'était bien ce qu'avaient espéré certains meneurs. Plus d'un voyaient d'un œil chagrin le clergé s'acharner à aimer la Révolution et à s'y associer.

Tout un groupe ou plutôt plusieurs groupes entendaient bien profiter du mouvement révolutionnaire pour arracher la France au joug de Rome, eussent dit les uns, au catholicisme même, eussent (peut-être) avoué les autres. Les uns, c'étaient les jansénistes, les autres les protestants. Quelques-uns, les amis des philosophes, eussent même vu sans peine dans la décatholicisation un acheminement à la déchristianisation.

Un illustre penseur a, dans un livre célèbre, montré combien par la bouche des vivants les morts parlaient souvent et irrésistiblement. Jamais peut-être pareille vérité ne trouve, plus qu'en ces événements, sa justification. Lorsque Camus, hier avocat du clergé, attaque avec passion le régime ecclésiastique et, par-dessus la tête des évêques catholiques, entend atteindre Rome, Camus, janséniste très âpre, ne tend à rien moins qu'à la revanche de la bulle Unigenitus : un de ses collègues l'aperçoit clairement lorsqu'il écrit que la Révolution a été faite avec trois mots latins : Deficit, Veto et Unigenitus. Et si certains curés accueillent favorablement les théories de Camus, c'est que, chez un Grégoire par exemple, brûle une passion janséniste ardente à venger les saints jadis persécutés. Les morts de Port-Royal parlant chez un Camus, chez un Grégoire, ce sont d'autres morts qui poussent à la tribune un Rabaut Saint-Étienne, député de Nîmes : ce sont, après Calvin proscrit au seizième siècle, les huguenots massacrés à la Saint-Barthélemy, les gens de la R. P. R. expulsés sous Louis XIV, les pasteurs du désert hier encore sous la menace de l'exécution capitale, pourchassés et traqués. Quelle naïveté il y a dès lors à se demander pourquoi, voulant réorganiser et réformer l'Église de France, l'Assemblée ne chercha pas, tout d'abord, à sonder Rome ! Pour un Camus, pour un Rabaut, la grande affaire est précisément de chasser Rome des affaires de France. Pour ce, on flatte l'esprit autoritaire de l'Assemblée : Nous avons, s'écrie Camus, le pouvoir de changer la religion. Cette Assemblée qui, en grande majorité, croit aller à l'avenir, est conduite à la pire faute par la coalition de toutes les haines conscientes ou non du passé.

Même après la nationalisation et les incidents qui avaient suivi, le clergé ne gênait guère en effet la Révolution. Certes l'enthousiasme de 89 baissait sensiblement dans les rangs les plus humbles. Ce n'est cependant que le 3 octobre 1790 que l'évêque d'Embrun écrira au vieux cardinal de Bernis, alors ambassadeur à Rome : Les curés... commencent à s'apercevoir qu'ils ont été dupes. A cette époque la Constitution civile aura été votée. A l'Assemblée les prélats mêmes applaudissent et suivent plus volontiers l'opportuniste Boisgelin que le fougueux abbé Maury : or Boisgelin ne veut pas qu'on dise tant de mal de l'Assemblée. L'évêque d'Agen qui, le premier des évêques, viendra un an après, à la tribune, refuser le serment à la Constitution civile, se félicite encore, le 29 décembre 1789, du grand bien qui résulterait de ce que faisait l'Assemblée, et le curé Fournetz qui, le premier des curés, refusera le serment, montre, dans une lettre du 4 janvier 1790, la plus grande bienveillance pour les réformes accomplies. Des Te Deum se chantent encore : menacés par la Constitution civile votée de la veille (12 juillet), les évêques en chanteront encore le 14 juillet 1790 ; si Talleyrand montant à l'autel du Champ-de-Mars enrubanné de tricolore ne peut peser, que pèsent à nos yeux le très noble évêque Nicolaï officiant à Béziers et Conzié pontifiant à Arras, Conzié que la persécution va jeter dans le camp et les conseils des princes émigrés ?

A la vérité ce ne sont pas ces prélats qu'on veut atteindre, mais Rome, Rome, l'unique objet de mes ressentiments, eût dit Rabaut, s'il s'était loyalement confessé.

Rome, il est vrai, ne se prêtait guère aux calculs de ses ennemis de France. Un pape violent eût anathématisé et rompu depuis de longs mois, un pape habile eût peut-être essayé de négocier et de faire, quand il en eût été temps encore, la part du feu. Pie VI n'était ni un violent ni un habile. La fin cruelle de Pie VI autant que ses mœurs parfaitement honnêtes nous imposent le respect, mais comment ne pas reconnaître qu'il était médiocre ? Tout à l'heure Pie VII, par un hardi coup de barre, relèvera très haut la barque de Pierre Pie VI la dirigeait en 1789 à travers mille écueils d'une main assez incertaine. Ses déboires, ses échecs en Europe l'avaient rendu craintif. Seule des nations catholiques, la France, seul des souverains catholiques, Louis XVI s'étaient jusque-là montrés de relations faciles. Et voilà que la Révolution forçait le Roi Très Chrétien à sanctionner l'une après l'autre des réformes dont le Pape se sentait offensé et alarmé. Celui-ci n'était pas de ces hommes de génie qui regardent en face une situation terrible et discernent, dans le bouleversement les motifs d'espérer : quiconque lui eût dit que de cet orage la Papauté sortirait plus puissante l'eût étonné, et scandalisé évidemment la vision de son successeur couronnant à Notre-Dame le soldat héritier de la Révolution. Mais qui, en Europe, fut plus clairvoyant ? Quoi qu'il en soit, Pie VI était des moins aptes à comprendre la Révolution ; mais il était en outre des moins armés pour la combattre.

C'est pourquoi, directement frappé par l'abolition des Annates, droits payés par l'épiscopat à la Curie, il se contenta de montrer au cardinal de Bernis quelque tristesse. Le 13 septembre 1789, il avait simplement exhorté Louis XVI à veiller sur le dépôt de la foi, à ne pas permettre que l'erreur s'emparât du sanctuaire. C'était se cantonner très prudemment sur le terrain spirituel où il ne pouvait penser que l'adversaire le viendrait chercher.

Le 26 octobre, on apprit à Rome la sécularisation des biens du clergé ; le Sacré-Collège se plaignit ; le Pape se tut encore. Montmorin, ministre des affaires étrangères, lui envoyait des assurances rassurantes : Louis XVI restait un fils dévot, mais il fallait bien, lui qui était aux Tuileries et non au Quirinal, qu'il s'inclinât devant le monstre ; n'avait-il pas, au surplus, dans son conseil deux excellents prélats, Cicé et Pompignan ? Pie VI comptait sur eux pour arrêter toute entreprise nettement contraire à la discipline de l'Église.

En mars 1790, nouvelle blessure ; on connut à Rome la loi abolissant les vœux monastiques et supprimant les ordres religieux, Le Pape en resta suffoqué, voulut protester. Bernis arrêta le geste qui s'esquissait ; Pie VI se contenta, dans un consistoire secret, le 29 mars, de faire entendre de sévères paroles devant les seuls cardinaux.

En France, cependant, il faut avouer que telle attitude, loin de les désarmer, encourageait les ennemis de Rome ; ils y voyaient une preuve non de générosité, mais de pusillanimité. Cette pusillanimité, à dire vrai, les contrariait. Somme toute, ni du côté de l'épiscopat, ni du côté de Rome on ne donnait aux amis de Camus et de Rabaut l'occasion de se déchaîner. De sincères amis de la Révolution s'en fussent réjouis. Celle-ci était étrangement favorisée : tout le inonde s'inclinait devant ses décrets. Il eût fallu s'arrêter là, mais cela ne faisait pas l'affaire de ceux qui avaient tant de gens à venger, de l'amiral de Coligny à la Mère Angélique, de Port-Royal. La Constitution civile fut l'instrument des vengeances.

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En apparence, c'était une réforme évangélique : à entendre certains de ses promoteurs, il fallait revenir aux temps apostoliques où le peuple élisait ses pasteurs. Ces temps, à la vérité, étaient mal connus, — et les conditions où se faisaient de telles élections. En tout cas, le peuple chrétien primitif n'existait plus ; comment le reconstituer ? Il eût fallu bannir, au préalable, de la Cité qui allait voter, les protestants et les juifs qu'on venait précisément d'y faire entrer — et le groupe indéterminable des libres penseurs. Argument méprisable, il est vrai, pour un homme qu'anime le vrai esprit de l'Évangile !

Réforme administrative aussi, et des moins condamnables, il faut le dire, si elle restait modérée. Nous voyons, dira le rapporteur, des diocèses qui ne comprennent pas plus de quatre-vingts, soixante, cinquante, quarante, vingt et même dix-sept paroisses, tandis que d'autres en renferment cinq cents, six cents, huit cents et même quatorze cents. L'esprit géométrique des Constituants était froissé. Tout ne devait-il pas d'ailleurs être ramené au cadre rigide (et artificiel) du département ? Pour qui réfléchit il y a — avouons-le — quelque chose d'un peu comique à voir se mêler à cette réforme évangélique cette considération si parfaitement césarienne : plier un diocèse à une circonscription civile. On voulait ramener l'Église aux Catacombes, mais à des catacombes tirées au cordeau par Dioclétien.

Réforme politique enfin ! Le Concordat serait aboli, concordat profane et scandaleux, s'écriera le vertueux Mirabeau, conclu, entre un pape immoral et un despote, à l'insu de l'Église et de l'Empire, pour partager entre deux usurpateurs les droits et l'or des Français. Il y aurait beaucoup à dire sur ce jugement — au moins sommaire — de l'œuvre de 1516. Mais le fait est qu'elle était devenue odieuse[3] !

Le 29 mai 1790, les débats s'étaient ouverts sur la proposition de constitution civile rapportée par Martineau. Six semaines, ces débats s'étaient déroulés, sans cesse coupés par d'autres discussions. Ils avaient pris fin, le 12 juillet, par le vote de la loi.

L'intérêt se concentre sur la discussion générale qui avait duré trois jours. Martineau avait résumé la réforme : les anciennes circonscriptions abolies ; un évêque par département, dix départements formant un arrondissement sous un métropolitain ; des vicaires épiscopaux sans le consentement desquels l'évêque ne saurait faire acte de juridiction ; les chapitres supprimés sans phrases ; les paroisses soumises à une nouvelle délimitation ; évêques, Vicaires épiscopaux, curés élus par le corps électoral du département ou de la commune ; l'institution canonique conférée aux curés par les évêques, aux évêques par le métropolitain. De Rome, pas un mot. Telle était la conception à la fois évangélique, géométrique et canonique, issue des délibérations du comité ecclésiastique de l'Assemblée et que rapportait Martineau.

Une réforme était certes nécessaire ; elle s'imposait, même aux catholiques les plus intransigeants ; l'Assemblée eût pu en préciser certains points ; les diocèses étaient absurdement inégaux, les évêques y résidaient trop rarement, certains chapitres étaient inutiles, les paroisses pouvaient être sans dommage délimitées à nouveau. On eût pu accorder aux fidèles ou au clergé quelque participation au choix de leurs pasteurs et, pour ce, réviser le Concordat. Sur cette base le Roi eût négocié avec Rome. Cette Église catholique qu'on entendait remanier, l'Assemblée lui avait à maintes reprises accordé son autre qualificatif, église romaine. Quelle étrange prétention : réformer sans Rome l'Eglise romaine !

A la vérité, une autre solution s'offrait : séparer l'Église de l'État. L'État n'eût rien su de l'Église qui se fût administrée suivant le statut venu de Rome et constituée en une sorte de corporation privée, telle qu'elle existe aujourd'hui en Amérique. Mais précisément ce mot de corporation qui est aujourd'hui, au delà de l'Océan, la sauvegarde de l'Église catholique, il est odieux aux Constituants dont on connaît l'état d'esprit exagérément individualiste. Au fond ces libéraux de 1789, ce sont des césariens qui s'ignorent encore. Voltaire les inspire, qui, en 1768, écrivit à Schouvalof : Il n'y a que votre illustre souveraine qui sache régner : elle paye les prêtres ; elle leur ouvre la bouche et la ferme ; ils sont à ses ordres et tout est tranquille. Martineau qui veut qu'on dénonce le Concordat est au fond le précurseur d'un Bonaparte qui en refera un pour tenir les prêtres. D'ailleurs, et nous revenons à la nationalisation des biens, on vient de s'engager solennellement à entretenir le culte : ne faudra-t-il pas, si l'on sépare l'Église de l'État, rendre l'argent dont cette promesse était la rançon ?

Non, mieux vaut de toutes pièces créer une Église d'État qui d'ailleurs sera indépendante de Rome, et pour ce, ne rien savoir de Rome.

Treilhard et Camus proclamèrent, avant toutes choses, le droit de la nation à réformer la religion j'ai cité le mot de Camus ; Treilhard dit : Quand un souverain croit une réforme nécessaire, rien ne s'y peut opposer. Un Etat peut admettre ou ne pas admettre une religion. Napoléon n'ira jamais si loin que son futur conseiller d'État.

Le clergé fut assez médiocre dans cette controverse. D'une part, il y avait trop d'abus et le Concordat était vermoulu ; certes un régime qui avait donné un Bossuet ou un Massillon à l'Église ne pouvait être tout à fait mauvais ; mais il en était sorti plus de Dubois que de Bossuet. D'autre part, le clergé n'était pas — nous le savons — irréprochable : certains évêques — et quelques-uns siégeaient à l'Assemblée — étaient des abus vivants. Enfin le clergé était gallican dans le meilleur sens du mot ; il n'aimait pas la Curie ; c'était le clergé de la Déclaration de 1682 : jusqu'au bout le Comité des évêques, que domine Boisgelin, restera, au grand scandale de l'agent romain Salamon, préoccupé des libertés de l'Église gallicane. Cela le désarme quelque peu, lorsqu'il s'agit de défendre les droits de Rome. Il ne peut que dire aux réformateurs : Vous allez trop loin ! faible argument en face des discours tranchants d'un Camus, d'un Treilhard.

Sur tous les points, Boisgelin fit des concessions ; très raisonnablement, cependant, il objecta que les élections par le peuple nouveau ne seraient, à aucun égard, comparables aux anciennes élections canoniques. Mais, surtout, il n'admettait pas que tant de réformes fussent faites dans l'Église sans l'intervention de l'Église elle-même. Il songeait — sinon à la Curie — du moins à une assemblée du clergé de France qui ferait accepter au chef de l'Église quelques nouveautés.

Mais Camus n'admettait pas même la primauté. Qu'est-ce que le Pape ? Un évêque ministre de Jésus-Christ comme les autres, dont les fonctions sont circonscrites dans le diocèse de Rome... Il est temps que l'Église de France, toujours jalouse de ses libertés, soit délivrée de cette servitude. Lanjuinais ne parlait de Pie VI qu'en l'appelant évêque de Rome.

M. Mathiez, analysant de très remarquable façon le débat, admet qu'il n'y avait là que paroles en l'air[4] : au fond le comité ecclésiastique eût désiré une entente avec Rome, et l'Assemblée peut-être. Le Roi sera supplié de prendre toutes les mesures qui seront jugées nécessaires pour assurer la pleine et entière exécution du décret. Voilà la pensée du comité ecclésiastique, dit M. Mathiez. Durand de Maillane l'affirme, mais il ajoute : Les patriotes s'alarment de ce dernier article qui semblait en effet mettre la nation comme à la merci du Pape et des évêques. De fait, Camus fit repousser l'article et il est vraiment paradoxal d'admettre, comme la preuve d'un réel esprit de conciliation, la motion Gobel du 21 juin qui, pour assurer la paix aux consciences timorées, indiquait très vaguement la possibilité de confier au Roi le soin de faire accepter la loi à Rome. La motion fut d'ailleurs repoussée à une grosse majorité. Depuis des semaines, les évêques s'étaient retirés de l'Assemblée après l'échec des propositions Boisgelin.

Si l'Assemblée voulait entrer en pourparlers avec Rome, elle n'avait qu'à le dire. Il y a quelque ironie à dire que la Constituante se montrait conciliante parce que quelques-uns de ses membres n'eussent peut-être pas trouvé trop mauvais que l'évêque de Rome saisi par le Roi, en vertu de sa primauté, accordât son consentement que d'ailleurs on tenait pour parfaitement inutile, sans délai d'ailleurs et sans réserve, à la loi qui bouleversait sans lui et contre lui toute une partie de l'Église romaine.

La loi fut votée le 12 juillet et soumise le jour même à la sanction royale.

***

Louis XVI, dont on sait assez le caractère indécis, l'âme scrupuleuse et les sentiments profondément chrétiens, était dans d'affreuses angoisses : son médecin Vicq d'Azyr constatait chez lui une fièvre grave, dont la cause ne lui pouvait échapper. Le Roi prévoyait que la loi serait votée ; il en avait averti le nonce Dugnani, mais pour supplier la Curie d'être prudente. Le vote acquis, Louis XVI écrivit directement' à Pie VI dans le même sens. Celui-ci répondit, le 18 août, qu'il allait examiner.

Mais le Comité ecclésiastique exigeait impérieusement du Roi la sanction de la loi. Les ministres — et parmi eux deux évêques — déconseillaient à Louis XVI l'emploi du veto. Celui-ci brusquement promulgua la loi ; Montmorin écrivit à Rome : Sa Majesté a fait ce que sa religion lui a inspiré. La Curie offensée se tut ; mais le 22 octobre, Pie VI ne dissimula pas à Bernis qu'il ne pourrait certainement pas accepter les décrets tels qu'ils étaient. Le Roi, bourrelé de remords, brûlait de fièvre.

Cependant la Constitution civile se publiait dans les départements. Affichée à Nantes en septembre, elle le fut le 2 octobre à Lyon ; les procureurs-syndics firent signifier aux prélats les décrets modifiant leur juridiction ; la plupart protestèrent, les uns avec virulence, les autres avec sécheresse, déclarant presque tous attendre l'avis du Saint-Père. Le 30 octobre, les évêques de l'Assemblée publièrent une réfutation de la loi : quatre-vingt-treize évêques y adhérèrent. Tous, jusqu'à nouvel ordre, tinrent la loi en pratique pour nulle et non avenue et continuèrent à gérer leurs diocèses comme devant. Les administrateurs départementaux étaient fort embarrassés ; très modérés, quelques-uns tout à fait conservateurs, ils eussent fermé les yeux ; mais les Sociétés populaires protestèrent bruyamment et dénoncèrent à Paris, avec l'audace des prêtres, la tiédeur des administrateurs.

Ceux-ci durent marcher ; il fallait dissoudre les chapitres : pour leur fermer le chœur, on fut obligé en maints endroits de fermer l'église ; le peuple s'ameuta pour la faire rouvrir, à Laon, par exemple, et à Soissons. Les évêques étaient de ce fait fort encouragés. Les administrateurs qui pressaient les sociétés s'aigrirent, déclarèrent que la loi ne les armait pas. Il faut aviser, écrit l'un d'eux, aux moyens de réduire le mauvais vouloir des évêques. Il faudrait également réduire celui des métropolitains ; car l'abbé Expilly ayant été, le 28 octobre, élu à l'évêché de Quimper devenu sur ces entrefaites vacant, l'évêque de Rennes, son métropolitain, refusa formellement en l'instituant d'usurper sur le Saint-Siège. La situation était extrêmement embarrassante pour l'Assemblée.

Elle était acculée aux mesures coercitives. On ne voulait pas — à toute force — négocier avec Rome, s'exposer comme disait Pétion, à un veto ultramontain. Le Comité ecclésiastique résolut de museler le clergé — le mot est de Mirabeau. Dès le 5, Duquesnoy, Merlin et La-vie apportèrent à la tribune leurs violentes réclamations. Il fallait faire rentrer dans la soumission ces fonctionnaires rebelles et au besoin leur couper les vivres en supprimant les traitements aux révoltés. La presse jacobine appuya sur la note : Deux ou trois de ces messieurs traduits au tribunal du peuple et jugés sommairement par lui auraient rendu les autres plus circonspects, écrit un journaliste. Les Sociétés populaires dénonçaient les factieux. Spontanément l'administration du Var imposa, le 22 novembre, le serment aux prêtres dans les quinze jours.

L'idée s'en accréditait : le 26 novembre, Voidel lisait un rapport concluant à l'obligation du serment. Après une apologie de la Constitution civile, il s'indignait. Quand la volonté publique s'est exprimée, les individus n'ont qu'à obéir. Il fallait que les prêtres fonctionnaires publics prêtassent serment à l'issue de la grand'messe, un dimanche, dans les huit jours qui suivraient la promulgation du décret proposé, sauf les évêques et curés membres de l'Assemblée, qui le prêteraient à la tribune même : un refus équivaudrait à une démission ; une opposition violente exposerait à des poursuites.

Les passions étaient très surexcitées : lorsque l'évêque de Clermont, Bonnal, voulut revendiquer pour l'Église de France le droit de s'assembler en concile pour délibérer de la Constitution civile, son discours, haché d'interruptions, fut à peine entendu. Le débat était d'ailleurs confus, troublé par les violences. Des Tuileries, le Roi le suivait la mort dans l'âme : si le décret était voté, c'était la lutte religieuse nettement, cruellement engagée : faudrait-il donc que lui, prince pieux et fidèle, sanctionnât cette nouvelle loi indiscutablement oppressive ? Mirabeau crut le secourir. Le député d'Aix essayait alors d'enrayer la Révolution, mais par le procédé qu'il avait toujours préconisé : faire croire qu'il était à l'avant-garde pour engager l'armée dans la voie où soudain on la pourrait immobiliser et paralyser. En dépit des bruits de trahison répandus ; la Gauche l'écoutait avec faveur : la Droite, en revanche, mal instruite des relations de Mirabeau avec la Cour ou se méfiant de sa loyauté, continuait à le combattre et, lorsque la passion l'emportait, à l'insulter jusqu'à le faire rugir. D'ailleurs, il soutenait des motions, en apparence si violentes que les deux côtés de l'Assemblée se pouvaient vraiment tromper. Le 26 novembre, il ne vit qu'un moyen de faire pièce au décret, c'était une contre-proposition édictant contre les prêtres réfractaires au serment les pires rigueurs, mais — là était l'artifice — omettant simplement de fixer une date au serment. Votée, la motion eût permis au clergé de se dérober et à Louis XVI de voir venir. Il avait espéré, en parlant un langage violemment anticlérical, leurrer la Gauche : il exaspéra la Droite. Il fut d'une violence inouïe contre les évêques. Il en est plusieurs qui auraient trop à rougir de voir se dévoiler au grand jour les obscures et indécentes intrigues qui ont déterminé leur vocation à l'épiscopat... Je ne veux pas remuer cette source impure qui a si longtemps infecté l'Église de France. L'orateur emporté allait au delà de son but ; le matin il avait écrit au confident de la Reine : Ce n'est qu'en se tenant à une certaine gamme qu'on peut, au milieu de cette tumultueuse Assemblée, se donner le droit d'être raisonnable... Peu importe le discours, ce qui reste en dernière analyse, c'est le décret. Or le discours resta et le décret proposé par lui ne fut pas voté. La Gauche, en effet, fut remuée, enlevée, exaltée par le discours : mais la Droite, blessée, se souleva. Le 27, Maury, porté par elle à la tribune, se crut le droit d'exaspérer la Gauche : Mirabeau avait à ce point passionné le débat que les modérés des deux côtés ne se pouvaient plus faire entendre ; jamais l'abbé ne fut plus âpre : le pis est que, ne s'en tenant pas au serment, il déchira la Constitution civile, œuvre de la majorité, trop récente pour que celle-ci pût pardonner à qui y touchait : Prenez garde, conclut-il, il n'est pas bon de faire des martyrs. La Gauche entière se massa derrière le Comité qui, tout en applaudissant le discours de Mirabeau, écartait — ce n'étaient point des sots — son illusoire contre-proposition. Le décret proposé par le Comité fut voté le 27 novembre : il coupait les ponts, suivant l'expression de Montlosier.

Le Roi se retrouvait en face de sa conscience : nul ne refusera de le plaindre ; sa sœur le suppliait de rejeter la loi ; dans son conseil, il ne trouvait aucun recours : l'archevêque de Bordeaux en était sorti, celui de Vienne se mourait ; Louis XVI eut recours à Boisgelin. Celui-ci était consterné peut-être autant du discours de Maury — cette fois encore le violent avait détruit les combinaisons du sage — que de l'issue du débat ; il était très pessimiste. On se fait des illusions, à Rome, écrit-il au Roi : on espère l'opposition unanime du clergé... Il y a quarante mille curés : quelle sera la faible proportion de ceux qui ne seront pas retenus par la crainte ? Si un prélat de droite était aussi ébranlé, on pense si, la gauche d'avance triomphait : un curé révolutionnaire, Lindet, demain évêque constitutionnel, écrit : Bien des gens sont assez fous pour croire que le clergé refusera le serment. Il est certain que quelques-uns refuseront, mais le nombre sera petit. L'évêque de droite et le curé de gauche concluaient de même : Il faudra que le Pape s'incline.

Le 3 décembre, le Roi expédia à Rome un courrier sollicitant l'assentiment du Pape aux deux lois. Mais Rome était moins que jamais décidée à céder : la protestation des évêques de l'Assemblée, appuyée par quatre-vingt-treize adhésions épiscopales, y avait fortifié les résolutions de résistance sans réserve : le Pape — n'eût-il eu que ce motif — ne pouvait donner un démenti aux évêques — peut-être ceux-ci eussent-ils été moins intransigeants — ; c'est ce que Pie VI répondit à Bernis, le 14 décembre. Il encourrait la désapprobation non seulement de l'Église universelle, mais de l'Église gallicane. Et comme toujours, il conclut en promettant simplement d'ajourner sa décision.

Or, en France, les événements se précipitaient : on pourvoyait par l'élection aux sièges nouveaux que créait la nouvelle Constitution ; le 20 novembre, un évêque était élu par les Ardennes, le 12 décembre, un dans la Mayenne : les départements, cependant, prenaient contre les prélats rebelles des mesures rigoureuses, supprimaient des traitements, poursuivaient des mandements ; des curés de gauche — au nombre de vingt-sept — se déclaraient prêts à jurer.

Louis XVI était aux abois : dès le 23, l'Assemblée, sur la motion du terrible Camus, sommait le Roi de promulguer le décret du serment. Louis XVI, n'osant avouer qu'il négociait avec le Quirinal, se dérobait avec de misérables excuses qui ne trompaient personne : Camus n'y répondait-il pas : Quels décrets pourrions-nous rendre si nous devions toujours attendre la décision du Souverain Pontife ?

Le 25, Louis XVI fit un nouvel appel désespéré à Boisgelin : celui-ci qui allait refuser le serment n'osa, devant la responsabilité qu'un conseil de refus lui faisait encourir, être conséquent : le Roi pouvait, devait sanctionner à condition que cette acceptation parût être forcée ; le vieil ami du Roi, hier son ministre, Saint-Priest, conseilla aussi de se soumettre. Le Roi, le cœur déchiré, la conscience bourrelée, sanctionna, le 26, le décret du serment. Le 26 au soir, au milieu d'une émotion générale, le président lisait à l'Assemblée la lettre par laquelle le Roi annonçait son adhésion au décret. La Gauche exultait. Voilà une octave de saint Étienne, écrit le curé Lindet, qui pourrait faire pleuvoir des pierres : il ne disait que trop vrai.

***

On s'attend à ce que la grande majorité du clergé obéira, écrit le comte de Lamarck à Mercy, le 30 décembre. Tout le monde le croyait. Les évêques dont on redoutait la résistance étaient attaqués ; c'étaient des traîtres à la cause gallicane qui, jadis si fiers en face de Rome, disait le canoniste gallican Durand (de Maillane), s'unissaient aujourd'hui à elle contre la nation.

Dès le 27, Grégoire — le premier de tous — était monté à la tribune et y avait prêté serment ; cinquante et un curés firent de même, trois ou quatre professeurs, puis quelques prêtres ou fonctionnaires que nul n'obligeait à jurer. Le 28, au matin, les bancs étant encore dégarnis, Talleyrand se glissa à la tribune, claudicant, et, en souriant discrètement, prêta serment : du 28 décembre au 1er janvier, quatorze autres ecclésiastiques, le 2 janvier Gobel, coadjuteur de Bâle, et quatre curés, puis le 3, vingt-deux encore. Mais l'évêque de Clermont ayant voulu expliquer son refus, on étouffa sa voix.

La séance du 4 était celle où le reste du clergé devait être mis en demeure de jurer. Grégoire conjura ses confrères de le faire en termes pathétiques et cordiaux ; la foule, dehors, ameutée, suivant le programme désormais consacré des grandes journées, hurlait contre ceux qui refusaient le serment ; tribunes houlaient, attendant l'appel nominal avec une curiosité malveillante, la Gauche prête à les huer. L'évêque d'Agen, appelé le premier, refusa le serment, puis l'un de ses curés, Fornetz, qui — six mois avant — exaltait l'Assemblée, mais lorsqu'un autre curé, Leclerc, eut — troisième — refusé, la majorité énervée fit interrompre l'appel : il était clair que, puisque ces gens-là ne s'étaient pas laissé intimider, la journée allait être une série d'échecs ; on décida qu'on n'appellerait à la tribune que ceux qui voudraient prêter serment. Ne se présente-t-il plus personne pour prêter le serment ? dit le président après un long silence. L'évêque de Poitiers gagna la tribune, mais pour protester contre le serment. A cinq heures du soir, le président adressait une dernière sommation aux récalcitrants : elle fut sans effet. On inscrivit comme réfractaires quarante-sept évêques sur quarante-neuf — seuls Talleyrand et Gobel avaient juré —. Cent neuf prêtres avaient juré dont une vingtaine se devaient rétracter, mais les deux tiers du clergé avaient tenu bon.

Ce sera la même proportion dans le pays. C'est le dimanche 9 janvier que les évêques et curés, nos députés, sont appelés au serment. Dans certaines églises de Paris, à Saint-Sulpice, par exemple, l'émeute gronda. Sur cinquante curés parisiens, vingt-trois jurèrent, vingt-sept refusèrent. En province, le clergé rural oscilla : ces curés, braves gens, en majorité hostiles à l'ancien régime, étaient désolés ; ils gardaient de la gratitude à la Révolution, mais ils étaient bons prêtres catholiques et désireux de ne se point séparer de Rome. Beaucoup, qui prêtèrent le serment, se devaient rétracter lorsque, dans l'été de 1791, Pie VI condamnera définitivement la Constitution civile : d'autres usèrent de formules équivoques que les administrateurs, fort désireux de ne pas s'attirer d'affaires, tinrent pour formelles adhésions. Il y a des prêtres, écrit-on, qui ont si bien entortillé leurs serments qu'il ne sera possible de les juger que par leur rapprochement ou leur éloignement du nouvel évêque. Les statistiques sont suspectes et d'ailleurs incomplètes. Il semble qu'aux premiers jours une petite majorité se prononça pour le serment dans les conditions que je viens de dire. Mais les rétractations furent si nombreuses en mai et juin 1791 que, dans certains districts, presque tous les jureurs lâchèrent pied. Deux mois après le bref du Pape, on peut admettre que les prêtres réfractaires ou rétractants formaient, au contraire, une petite majorité, 52 à 55 pour 100.

Les prévisions de l'Assemblée s'étaient donc trouvées fausses et, en dépit de l'intimidation, le clergé était coupé en deux et la guerre religieuse allumée. La fermentation est grande, écrit l'abbé Morellet à lord Shelburne dès le 18 janvier. Elle allait grandir.

Les évêques avaient refusé le serment, sauf quatre : Talleyrand d'Autun, Jarente d'Orléans, Savine et Loménie de Brienne, archevêque de Sens. Celui-ci était cardinal, et, d'ailleurs, des moins recommandables. Louis XVI, encore qu'il en eût fait son premier ministre en une heure de folie, lui avait refusé le siège de Paris, donnant comme raison qu'il fallait que l'archevêque de Paris crût au moins à Dieu. Savine n'étant qu'un excentrique dont les frasques amusaient ou scandalisaient depuis vingt ans la galerie, Talleyrand et Jarente étaient les pires produits de la feuille des bénéfices. Franchement, le nouveau régime ecclésiastique, retour aux temps apostoliques, commençait avec d'étranges parrains : les austères en rougissaient. Lindet espérait bien qu'on n'allait pas élire évêque de Paris Talleyrand, dont on n'avait plus besoin, et regrettait que quelques paroissiens parlassent de mettre sur le chandelier un prince de l'Église romaine — Loménie de Brienne — qu'ils voulaient brûler il y a deux ans. Il est vrai qu'on avait deux évêques in partibus, celui de Lydda Gobel, celui de Babylone Mirandot — in partibus infidelium.

On avait cependant déclaré déchus les évêques réfractaires : on élut — de février à mai soixante-dix-neuf évêques constitutionnels, dont dix-neuf appartenaient à l'Assemblée. Il les fallut sacrer : Brienne, Jarente et Savine se dérobant, Talleyrand consentit à se faire décidément le père de cette Église nouvelle, paradoxale et funambulesque situation. Mais il fallait trois consécrateurs : Lydda et Babylone assistèrent Autun. Celui-ci, plus tard, écrivait qu'il consentit à sacrer des évêques pour empêcher une Église purement presbytérienne de s'établir. Le prétexte vaut le geste et complète la mystification. Quoi qu'il en soit, le 20 février 1791, les trois évêques imposèrent les mains aux nouveaux élus de Quimper et Soissons dans l'église de l'Oratoire. Babylone avait eu très peur. On dut relever son courage et le tenir en surveillance à l'Oratoire même, la nuit précédente. Les nouveaux évêques se rendirent à l'Assemblée avec leur croix sur la poitrine et furent acclamés. Gobel allait devenir — en récompense — évêque de Paris, en attendant l'heure de l'apostasie définitive, puis celle de la sanglante expiation. Lindet, qui allait être élu évêque de l'Eure, écrit le 14 mai 1791, ces paroles singulières et qui prêtent à faciles ironies : Enfin, ceux qui étaient assis à table se sont levés et ceux qui étaient debout et qui jeûnaient se sont assis et vont manger.

Maigre, triste, amer festin : de quels affronts se vont nourrir ces prélats fictifs, à quelle coupe d'amertume boiront-ils jusqu'à l'heure où — dans dix ans — ils seront chassés de la table où ils s'étaient indûment assis ! Tous ne sont point de simples ambitieux : quelques-uns, très sincèrement, croient restaurer une Église évangélique ; quelques-uns braveront avec courage, en 1793 et 1794, la crosse usurpée à la main, les persécutions de ceux mêmes qui la leur avaient imposée ; beaucoup la déposeront, en 1801, avec un soupir de soulagement, entre les mains de Pie VIL En masse, ils constituent cependant l'assez médiocre état-major d'une armée sans solidité. En tout cas, jamais, nous aurons l'occasion de le constater, ils ne formeront une Église nationale : la vertu d'un Grégoire n'effacera pas la tache originelle qu'un Talleyrand leur a infligée. Aussi bien, l'œuvre était artificielle et la tentative insensée. L'Assemblée constituante connut là, dès les premières années, son plus sensible échec.

Dès la fin de janvier, on prévoyait à Paris que le Pape n'élèverait la voix que pour condamner. Vous apercevrez, écrivait un député de la Gauche, que les cardinaux ne pouvaient accepter la Constitution civile sans opérer à Rome une véritable révolution dont ils auraient été les premiers objets. Le refus du Pape ne faisait doute pour personne. Dans les brefs de mars et avril 1791, Pie VII condamna en effet comme schismatique la Constitution civile. De ce jour, Louis XVI — catholique plus que roi — se tint pour un pécheur ; il n'avait donné sa sanction qu'à son corps défendant : à mesure que les incidents viendront lui rappeler plus cruellement sa faute ou l'aggraver, il se sentira plus disposé à rompre le joug ; il avait toléré que ce joug abaissât sa dignité de roi ; il ne pouvait admettre qu'il enchaînât sa conscience de chrétien.

C'est du jour où la Constitution civile avait été imposée au Roi que la Révolution fut menacée en haut et c'est à l'heure où elle vient de heurter l'un des sentiments populaires les plus ancrés en bas : le sentiment catholique.

En étudiant le Concordat réparateur de 1801, j'aurai l'occasion de dire en quelques mots dans quelle impasse la Constitution civile avait jeté la Révolution, à quel piteux échec avait abouti l'essai d'Église constitutionnelle, comment la Convention avait achevé de la ruiner en séparant l'Église de l'État et à quel point elle avait mal rempli finalement les intentions de ses auteurs en contraignant l'État français à aller demander à Rome le remède à tant de maux.

Mais si l'on considère que la Constitution civile seule détermina le Roi à faire à l'Europe l'appel qu'il se refusait énergiquement jusque-là à lui adresser, que de cet appel devait sortir la guerre, de la guerre le renversement du trône et de la Constitution de 1791, le vote régicide, le gouvernement du Salut public et la Terreur, la guerre civile, la perversion de la Révolution et la dictature d'un homme, on peut estimer, avec les historiens les moins défavorables à la Révolution, que la Constitution civile fut la faute capitale de la Constituante et l'un des événements les plus funestes de l'histoire.

 

 

 



[1] Pierre DE LA GORGE, Histoire religieuse de la Révolution, t. Ier. Les lecteurs de ce beau et solide volume retrouveront dans notre étude bien des traits empruntés au tome premier de l'ouvrage. Au moment où il paraissait, je venais d'étudier une partie des documents dont il s'est servi, et j'ai pu ainsi me rendre un compte parfaitement exact de la science et de l'impartialité dont M. de la Gorce a fait preuve et dont il est d'ailleurs coutumier.

[2] Abbé Augustin SICARD, l'Ancien Clergé de France (1 vol.) — M. l'abbé Sicard vient de donner une nouvelle édition refondue et très augmentée de ses trois volumes si nourris et si attachants : le Clergé de France pendant la Révolution, dont je m'inspire souvent et avec la plus grande confiance, en ayant maintes fois constaté la parfaite véracité.

[3] Les Cahiers s'étaient montrés fort sévères pour le Concordat de 1516. En maints cahiers, le clergé lui-même s'était élevé, après deux siècles et demi d'une épreuve désastreuse, contre l'œuvre du chancelier Du Prat, devenu le bouc émissaire de tous les péchés du régime ecclésiastique.

[4] MATHIEZ, La Constituante et Rome, 1911.