FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810) (suite)

 

CHAPITRE XVII. — LES PREMIÈRES INTRIGUES.

 

 

Un grand complot républicain. — Le préfet de police Dubois. — L'affaire Malet. Le général Malet : ses complices. Le Sénat compromis. — Fouché lui-même est impliqué dans l'affaire. — Dubois ordonne les arrestations. Stupéfaction du ministre de la Police. Il cherche à s'emparer de l'affaire pour l'étouffer. Dubois, inquiet et irrité, dénonce tout à l'Empereur et réclame la convocation de la haute Cour. — Sentiments de Napoléon vis-à-vis de ce complot. Fouché s'acharne à le réduire à rien. Il y a eu conspiration ; le coin-plot Serval'. L'attitude de Fouché alarme l'Empereur. Le ministre persiste dans son attitude dédaigneuse. Il prend vivement la défense du Sénat et accable le préfet de police de ses sarcasmes. Il fait rédiger par Desmarest un contre-rapport. Colère de l'Empereur. Fouché fait faire une contre-enquête qui aboutit à la confusion de Dubois. Napoléon exaspéré. Cambacérès calme l'Empereur. Conséquences assez graves de cette affaire pour Fouché. Elle achève de le brouiller avec le préfet de police et porte une première atteinte à la confiance de Napoléon ; mais elle rapproche Fouché des partis de gauche et du Sénat. — Pourquoi Napoléon garde Fouché. — La campagne de Fouché pour le divorce. Ses mobiles. Démarche audacieuse près de l'Impératrice : refus de Joséphine. Fouché compromis entreprend et poursuit pendant un an une campagne contre l'Impératrice. Attitude fausse de l'Empereur. — La prise de Pigent : il livre les secrets de l'organisation royaliste. Fouché en profite pour entreprendre de la frapper au cœur. Il se saisit de l'agent Guyon-Vaucouleur et guette Armand de Chateaubriand. — Curieuse tentative d'un agent de Fouché à Londres : Fouché s'assure de la bienveillance de Louis XVIII et du cabinet anglais, mais reste couvert du côté de l'Empereur. Tous les partis antidynastiques comptent sur lui. — Dernière tentative du chouannisme : Armand de Chateaubriand débarque en Bretagne, et Henry Larivière tente de réveiller à Paris le zèle royaliste ; échec de cette double tentative. — Cet échec sauve Fouché d'une disgrâce. Nouvelles intrigues du ministre. — Souci que lui cause la campagne de l'Empereur en Espagne. — Son alliance avec Talleyrand. Fouché et Talleyrand : leur rapprochement ouvert. Émoi du monde politique. Inquiétude de l'Empereur. Il revient précipitamment à Paris. Scène terrible à Talleyrand. Campagne contre Fouché. — Il se défend énergiquement. — La guerre d'Autriche le sauve. Relations cordiales avec Metternich et le monde diplomatique. Ces relations font à Fouché une réputation européenne.

 

La capture de l'agent royaliste Prisent sauva sans doute Fouché d'une disgrâce. Elle le fit valoir près de l'Empereur au moment où il en avait besoin : une sotte affaire venait en effet de le compromettre, à tort ou à raison, aux yeux du maître, exploitée avec ardeur par tous les ennemis du ministre. C'était l'affaire Malet.

Au moment où la conspiration royaliste de l'Ouest allait être percée à jour pour la plus grande gloire de Fouché, le ministre fut, un beau jour, le 17 juin 1808, fort surpris d'apprendre que son subordonné, le préfet de police Dubois, jaloux de ses lauriers, venait, en grand mystère et avec des cris d'effroi, de découvrir un immense complot républicain dans lequel se trouvaient compromis d'anciens conventionnels, des généraux, des sénateurs, de hauts fonctionnaires ; sans en rien dire au ministre, ce magistrat avait fait arrêter les principaux conspirateurs, réservant pour un peu plus tard, sans doute, l'exécution des hauts instigateurs, parmi lesquels il n'était pas loin de faire à son ministre lui-même l'honneur de le ranger.

Ce Dubois était un sot et, dans sa situation, un sot dangereux. D'une vanité démesurée et servie par une intelligence fort médiocre, cet ancien procureur au Parlement avait dû à l'active protection de Fouché et de Réal d'être mis à la tête de la magistrature fondée par l'arrêté du 17 ventôse an VIII. Sa reconnaissance s'était alors exaltée en termes où la platitude dépassait toute limite. Sans vous, avait-il écrit à ses protecteurs, sans vous, mes amis, je serais un homme nul et oublié ; je vous dois à tous les deux la considération et l'estime dont je jouis[1]. C'était se juger peu, mais c'était se juger bien. De fait, il n'avait dû cette nomination qu'à sa médiocrité, Fouché ayant craint qu'un préfet de police de grande valeur ne devint un dangereux concurrent. Il avait, du reste, restreint ses fonctions et, n'ayant pu lui retirer en droit certaines attributions politiques, n'avait cessé de le maintenir d'une main ferme dans l'administration des filles, des voleurs et des réverbères[2]. Dubois s'y était à peu près résigné sous le Consulat : l'interrègne de deux ans qui s'était produit au quai Voltaire avait eu, entre autres inconvénients, celui de rendre le préfet fort indépendant et de griser le sot et médiocre Dubois de cette indépendance. Du reste, pas plus que Réal, il n'avait rien découvert ni rien empêché, étonnant tout le monde par sa vanité sans motifs : car cette oisive grandeur l'avait haussé de cent coudées clans sa propre estime, sinon dans celle des autres. C'est dire qu'il avait vu d'assez mauvais œil le rétablissement du ministère de la Police et la rentrée au quai Voltaire de son ancien protecteur. Dubois était un de ces inférieurs auxquels pèse la reconnaissance : cette noble disposition se compliqua vite de vanité blessée. Fouché, effrayé de l'importance qu'avait prise le préfet, à qui par surcroît l'Empereur avait confié une de ses polices personnelles, amusé et agacé tout à la fois de la mégalomanie de son ancienne créature, s'efforçait sans éclat, avec un tranquille dédain, de rabaisser son orgueil exalté, tantôt par de sèches observations, tantôt par de cinglantes plaisanteries. L'entourage du ministre n'était pas tendre, du reste, pour le pauvre homme : Réal le détestait, ayant autant pie Fouché fait l'expérience de sa maladroite ingratitude et de sa notoire incapacité. Au quai Voltaire, dans les bureaux et dans les salons, on traitait volontiers le préfet comme un personnage grotesque et encombrant : les hauts employés descendaient même volontiers à des mystifications plaisantes dont l'infortuné préfet était la victime peu résignée[3]. Il était né chez lui, de toutes ces circonstances, une haine féroce et exaspérée contre le ministre et ses agents. Le parti réacteur n'avait donc pas eu de peine à se faire un instrument de ce fonctionnaire ulcéré, qui, du reste, pour faire pièce à son ministre, était devenu soudain très hostile à la Révolution. De fait ; Dubois pouvait être dangereux, car, par la position où l'Empereur le maintenait malgré son incapacité et uniquement pour faire pièce à Fouché, il était l'homme le mieux placé pour prendre le ministre de la Police en flagrant délit de trahison ou d'intrigue. Du reste, policier défiant et soupçonneux, le préfet voyait partout complots et dangers. Il faisait un rêve, celui de découvrir à lui tout seul une grande conspiration : les contemporains disaient en riant qu'il la demandait chaque matin à Dieu dans sa prière[4]. Pendant qu'il y rêvait, la préfecture de police mal surveillée, et qui, du reste, suivait l'exemple d'un chef d'une probité fort douteuse, devenait une caverne de voleurs, et Paris un coupe-gorge[5]. Fouché s'en plaignait à l'Empereur, qui, à plusieurs reprises, fit à ce sujet au préfet d'assez vertes observations[6]. Dubois exaspéré protesta avec des larmes dans la voix qu'il était fort capable, se défendant contre des calomnies, ajoutant que jamais la capitale n'avait joui d'autant d'ordre, de tranquillité et de sûreté ; il en donnait pour preuves qu'il n'avait sur la conscience pour les quatre premiers mois de 1807 que cinq assassinats et huit cent cinquante-neuf vols[7]. Pour prouver son activité, il envoyait à Fouché rapports sur rapports qui faisaient sourire le ministre ; dans l'un d'eux, par exempte, on voyait le préfet s'attendrir sur les plaintes de marchandes de la halle, habituées dès l'enfance à prendre du café au lait, devant le renchérissement des denrées coloniales[8]. Mais ses rapports étaient surtout fort hostiles aux anarchistes, jacobins, exaltés, exagérés, terroristes, épithètes sous lesquelles cet ancien magistrat de la Terreur désignait les républicains qui n'avaient pu obtenir ou voulu accepter la servitude dorée[9]. S'il retrouvait un peu de son indignation de 1789 contre les suppôts de l'ancien régime, il la réservait précisément aux salons qu'il savait fréquentés par son ministre, comme celui de Mme de Vaudémont ; enfin il montrait une grande défiance contre les sénateurs qu'il connaissait comme les meilleurs amis de Fouché[10]. Celui-ci, du reste, par qui passaient ces rapports, les bannissait généralement des bulletins de la police générale, ainsi que nombre de dénonciations et révélations ridicules venues de la préfecture de police, où des gens qui étaient à Londres, au su du ministre, se trouvaient conspirer en personne à Paris, et où des morts avérés ressuscitaient pour donner de l'inquiétude à Dubois. Nul n'était plus aisément victime des mystificateurs, escrocs et maîtres chanteurs qui, sachant la grande envie qu'avait M. le préfet de réprimer une conspiration, lui en apportaient d'effrayantes. Fouché, en ce cas, arrêtait d'un mot mordant le zèle de son subordonné ou calmait ses transes d'une phrase dédaigneuse[11]. Récemment, en novembre 1807, Dubois avait ainsi mis la ma in sur un grand complot anarchiste dont une effroyable machine infernale, découverte en un grenier, paraissait une preuve convaincante : il avait alors fait arrêter sept coupables. Examen fait, la machine, fort inoffensive, était destinée à effrayer des voleurs, et les sept coupables, pris, du reste, au hasard parmi d'anciens jacobins, moins bien lotis que Dubois, avaient été remis en liberté par ordre de Fouché[12].

Ç'avait été un gros crève-cœur pour le préfet que cette fausse conspiration ; il espérait bien prendre sa revanche. Il faisait surveiller ces idéologues du Sénat, que Napoléon n'aimait pas et que Dubois était d'autant plus disposé à honnir, car il était fort plat devant le souverain. Il les avait jadis dénoncés comme amis de Moreau et instigateurs de l'agitation de 1804, puis les disait liés d'une façon scandaleuse avec La Fayette et Carnot[13] ; s'il avait été sincère, il eût peut-être avoué que ce qu'il leur reprochait surtout, c'étaient leurs amicales relations avec leur collègue, le sénateur Fouché. Or, un beau matin, Dubois eut connaissance d'une grande conspiration, qui non seulement réalisait son rêve de policier, mais compromettait, semblait-il, ses ennemis les anarchistes, les sénateurs opposants et peut-être Fouché lui-même. Cette conspiration, qui, du reste, n'était point entièrement forgée, hâtons-nous de le dire, était le premier complot du général Malet[14].

Ce Malet, républicain ardent, sincère, audacieux jusqu'à la folie, n'était cependant pas l'insensé qu'on croit communément.

C'était un homme. Sa haine du despotisme était immense, elle parut déplacée quand tant de gens illustres, nés pour une autre tâche, encensaient le maître et la tyrannie. Le tort du malheureux Malet fut de croire que, seule, la terreur d'un homme retenait tout ce monde sous le joug doré. Sa dernière parole, qui suffirait à le rendre illustre, exprima sa grande pensée : Avez-vous des complices ? lui demandait le président du conseil de guerre qui l'allait condamner à mort, en 1812, après sa seconde tentative pour renverser l'Empereur. — La France entière et vous, monsieur le président, le premier, si j'avais réussi ! Il fallait avant tout renverser Bonaparte ; l'adhésion de tous viendrait ensuite. Mais il répugnait sans doute à l'assassinat : son rêve était, comme celui de Fauche-Borel à Londres, de grouper les mécontents, non pour rétablir les Bourbons, comme le voulait l'agent royaliste, mais pour restaurer la République. Il y avait des mécontents au Sénat, dans l'armée, dans les hautes administrations et jusque dans les ministères ; les concours lui paraissaient certains le jour où on aurait agi il savait que ces gens à broderies seraient là pour recevoir la révolution commencée de ses mains et la consommer pour en profiter, ou du moins il le croyait, et parmi ceux-là il rangeait Fouché, tout comme le faisait Fauche-I3orel à Londres.

Menacé de disgrâce dès 1804, à la suite de ses manifestations indignées contre l'établissement de l'Empire, et destitué en 1807, le général avait quitté sa division d'Angoulême pour venir à Paris, où il fréquentait une mauvaise société, les anarchistes, comme disait Dubois il se mit bientôt à conspirer réellement. Dès 1807, il avait eu l'idée de profiter d'un Te Deum à Notre-Dame pour se présenter aux autorités réunies, annoncer la mort de l'Empereur, renverser le système aux cris de : Vive la liberté ! A bas le Corse ! et, profitant de la crédulité de ses auditeurs, établir un gouvernement républicain devant lequel l'Empereur se serait trouvé à son retour. L'idée n'avait pu s'exécuter, mais elle continuait à faire son chemin dans l'imagination en ébullition de l'officier révolutionnaire.

Il se trouva réellement, en 1808, en relation avec les derniers débris du parti jacobin intransigeant. Le chef était un ancien agent de Robespierre, Ève Demaillot, qui, dans le but d'un changement de gouvernement, avait formé de son côté un comité auquel d'anciens membres de la Convention comme Ricord et Florent Guyot, l'ex-tribun Jacquemont, chef de bureau au ministère de l'Intérieur, donnaient un caractère assez sérieux. Demaillot rêvait cependant de leur adjoindre des généraux et des sénateurs. Crut-il trouver dans quelques paroles imprudentes du sénateur Garat un encouragement donné au nom des anciens conventionnels du Sénat, ou inventa-t-il ces propos pour exalter ses amis et enrôler les généraux ? Il est encore à l'heure présente assez difficile de savoir sur ce point la vérité, beaucoup de pièces ayant été enlevées du dossier, en 1815, par le duc d'Otrante lui-même[15]. En fait, De-maillot, affectant d'être sûr de Garat, Sieyès, Lanjuinais et autres au Sénat, trouva ses généraux ; Malet lui en procura deux, vieux soldats de la Révolution disgraciés et mécontents, les généraux Guillet et Guillaume. Le plan fut celui-ci : l'Empereur parti pour Bayonne, les armées dispersées partout, Jacquemont devait s'assurer définitivement le concours des sénateurs, notamment de Garat, de Destutt de Tracy, de Lanjuinais et du général Collaud ; Demaillot et ses amis comptaient fabriquer un sénatus-consulte abolissant l'Empire et convoquant les citoyens à élire une Assemblée nationale. En attendant, un gouvernement provisoire devait être installé ; on y verrait La Fayette, Malet, l'amiral Truguet, Moreau, les sénateurs Lambrecht et Lanjuinais. D'aucuns prétendaient que Fouché devait avoir sa place dans ce gouvernement[16]. Le commandement de l'armée de Paris serait confié à Masséna, celui de la garde nationale à La Fayette, naturellement ! Cambacérès, chef officiel du gouvernement en l'absence de l'Empereur, serait arrêté le premier dans son hôtel. Quant au chef réel de ce gouvernement, le ministre de la Police, dont cependant l'activité et l'énergie étaient plus à redouter que l'apathique et nominale omnipotence, de l'archichancelier, on semblait, chose curieuse, ne pas s'en préoccuper. Ce silence était compromettant, semblant impliquer une confiance, justifiée ou non, sinon dans sa complicité, du moins, comme en Brumaire, dans son indulgente neutralité[17].

Aussi bien, ce beau plan, fruit d'une imagination surchauffée, se heurtant à certaines difficultés, on en ajourna l'exécution. Il était dès lors assez difficile que rien n'en transpirât, surtout si, comme le prétendait un des complices, Lemaire, le projet avait été réellement communiqué à plus de mille personnes.

Le 9 juin, le général Lemoine, sollicité de prêter son concours à la conspiration et initié à ces projets, les dénonça au préfet de police.

Dubois dut en frémir de joie et d'effroi. Quelle conspiration ! Des généraux républicains, d'anciens membres de la Convention, La Fayette, Moreau, des sénateurs amis du ministre de la Police, et, qui sait ? peut-être, en allant au fond des choses, le ministre lui-même ! C'était cette idée de complicité possible du ministre qui inspira à Dubois le désir de frapper avant d'avertir Fouché. Il ne fallait pas recommencer l'aventure Fauche-Borel ; on devait empêcher le ministre de faire taire les prévenus et de saisir les papiers. Très secrètement, le 16 juin, le préfet de police fit arrêter Demaillot, Florent Guyot, Ricord, les généraux Guillaume, Guillet et Malet, Corneille et Jacquemont, et, après des interrogatoires rapides, sommaires et désordonnés, les fit écrouer à la Force[18].

Fouché, averti la nuit suivante, faillit tomber de son haut ou du moins affecta une surprise extrême. Ignorait-il la conspiration ? Cela est probable, quoique dès le 10 un des complices eût déclaré à Dubois que le ministre de la Police avait bien voulu entrer dans le complot[19] ; Fouché, bien vu de l'Empereur, très solide dans son ministère et très puissant, n'était pas homme à compromettre inutilement une pareille situation dans une aventure aussi mal conduite et dont l'issue, J même heureuse, était incertaine. Mais en entendant Dubois, fort surexcité par sa découverte, en parler avec une inconcevable jactance et surtout dénoncer de prime abord la complicité des sénateurs, il lui parut qu'il y avait là, pour ses amis, î pour l'équilibre politique qu'il défendait, un danger réel ; il savait l'Empereur défiant, prêt à s'emporter, surtout contre des hommes qu'il n'aimait pas, vieux révolutionnaires et vieux libéraux. Il pensa pouvoir tout étouffer, au cas où il y aurait réellement quelque chose. En conséquence, il s'empressa de faire dire à Dubois de tout arrêter et d'ajourner toute décision[20]. Dubois prit peur ; on allait lui voler sa conspiration, peut-être l'étouffer[21]. Il n'avait pas plus tôt reçu l'ordre du ministre, que, sans s'en soucier, il prit sa plus belle plume, écrivit fi l'Empereur, sur des interrogatoires fort sommaires, un rapport long et romanesque, lui transmettant, sans passer par Fouché, trente et une pièces justificatives, interrogatoires et lettres[22]. Ce rapport affirmait l'existence d'un vaste complot : on devait rétablir la Constitution de l'an VIII, la République ; douze sénateurs étaient complices, dont le sénateur Carat, plus spécialement, qui avait rédigé des proclamations ; La Fayette était de la bande, etc. Il n'hésitait même pas à se aire l'écho de l'accusation grave du général Guillet contre le ministre de la Police. Dès lors, revêtu de l'autorité de ce nom redouté, le rêve d'un audacieux devenait le plan d'une sérieuse conspiration, les réunions de quelques mécontents de dangereux conciliabules, les bavardages imprudents d'un sénateur l'indice certain de la participation du Sénat aux projets des républicains. Et, au comble de l'exaltation, le préfet de police ne demandait rien moins que la comparution éclatante et rapide des coupables devant la Haute Cour, et l'ouverture d'un grand débat, au cours duquel Dubois espérait sans doute voir les accusés renouveler leurs révélations foudroyantes pour le parti sénatorial, le général La Fayette et peut-être le ministre Fouché[23].

Comment Napoléon put-il attacher à toute cette aventure une pareille importance ? Il avait, nous l'avons dit, le soupçon facile. Il trouvait aussi dans l'affaire des noms qui lui étaient odieux, La Fayette, Lanjuinais, les sénateurs libéraux[24], sans parler de Malet ; peut-être Fouché et Talleyrand étaient-ils de cette affaire. Et puis il prenait Fouché en flagrant délit de négligence, sinon de complicité, en était enchanté, estimant que le ministre jouait trop à l'homme infaillible. Il affecta donc, peut-être plus qu'il ne l'éprouva, un violent mécontentement de l'imprévoyance de son ministre et surtout de la légèreté avec laquelle celui-ci affectait de prendre ce grand complot. Il est certain que Fouché ne fut pas habile en cette circonstance. Il était fort irrité contre Dubois, voulait le mortifier en tournant l'affaire en ridicule ; en cherchant à plaisanter sur cette aventure, à la rapetisser, à l'étouffer, il sembla accréditer le bruit qu'il y était réellement compromis. Or, il avait tort de nier le complot, ce complot existait ; Dubois n'avait fait que l'exagérer démesurément ; il y avait une conspiration, et, d'après l'examen des dossiers, on voit qu'il en avait même existé plusieurs. Au moment même où Malet cherchait des complices, un autre général, un instant célèbre, Servan, le ministre de la Guerre girondin de 1792, complotait également la restauration de la République ; plusieurs des amis de Demaillot avaient même alors lié partie avec lui, et lui aussi avait compté sur le Sénat[25] ; il pensait constituer avec Talleyrand et Fouché un triumvirat républicain[26]. Mais Servan était mort en mars 1808, sans que ses projets eussent été dévoilés à Fouché... ou par Fouché. Quant à Malet, c'était évidemment tin homme dangereux, puisque, entreprise en1812, dans des conditions bien autrement difficiles, la singulière tentative à laquelle il rêvait en 1808, faillit se réaliser. Il était également remarquable que des généraux, d'anciens membres de la Convention avaient comploté la chute de l'Empereur, et la confiance qu'ils mettaient, peut-être sur un faux bruit, dans le peu de loyalisme de certains sénateurs n'était peut-être pas si mal placée, on devait le voir en avril 1814.

Fouché avait donc tort, comme chef de la Police, de prendre vis-à-vis de cette conspiration une attitude narquoise et indifférente. On avait, dès lors, le droit de se demander s'il n'y avait là qu'un effet de son dépit et de son mépris coutre Dubois, et si, réellement, le ministre, ayant trempé peu ou prou dans le coin-plot, ne cherchait pas à l'étouffer sous le ridicule et le dédain.

L'impression que l'Empereur reçut, en lisant les lettres de Fouché, fut extrêmement défavorable au ministre[27]. Il affecta de faire chaudement féliciter Dubois par Cambacérès sur son activité et sa sagacité, l'engagea à lui rendre compte directement de ce qu'il découvrirait, et lui permit de s'affranchir ainsi de l'intermédiaire et du contrôle régulier du ministre de la Police, son supérieur hiérarchique[28]. Napoléon, qui semblait, par cette mesure, afficher vis-à-vis de Fouché une défiance offensante, chargeait en outre Cambacérès, alors fort hostile au ministre, de faire une enquête supplémentaire sur les relations du prévenu Jacquemont avec le Sénat, et le maréchal Clarke d'une autre sur les officiers en réforme[29]. Enfin, le 17 juin, il adressait à Fouché de vifs reproches, affectant d'englober dans cette affaire et dans sa colère tous les débris du parti libéral, parlant avec menace de Benjamin Constant, cette canaille qui sera toujours protégée à Paris — c'était par Fouché qu'il l'était —, de Garat, une tête faible, et de La Fayette. Je sais gré au préfet de police, ajoutait l'Empereur, de suivre cette affaire. Vous me direz que tout cela n'est pas dangereux ; sans doute ; mais dois-je m'attendre à ce que les personnes pour lesquelles j'ai témoigné le plus d'égards soient les premières à ébranler la fidélité que me doit la nation ? Et menaçant presque le ministre : Quels qu'ils soient, ajoutait-il, ils n'y réussiront pas et ils n'entraîneront que leur ruine[30].

Drapé dans son imperturbable dédain, Fouché continuait à lever les épaules : Paris est tranquille comme si rien n'avait agité les têtes, écrivait-il à l'Empereur... L'arrestation de quelques généraux discrédités n'a produit qu'une faible sensation. On n'a pas cru un instant qu'il soit entré dans leur coin-plot un seul homme qui eût la tête saine. Dans quelques jours on ne parlera plus de cette affaire[31]. Cependant, comme la jactance du préfet commençait à l'irriter, il dénonçait le mauvais effet de ses propos inconsidérés ; on ne parlait que de décimer le Sénat qui se froissait, s'irritait, et, en effet, l'Assemblée se crut menacée ; un des membres du groupe, alors compromis, certifiait plus tard que Fouché avait seul, à ce moment, préservé le corps sénatorial d'une épuration[32]. Le ministre lui même, allant au-devant du soupçon, transmettait à l'Empereur des bruits absurdes ou odieux mis en circulation contre lui, Fouché, décidé, disait-on, à se mettre à la tête d'un changement de Gouvernement, etc., etc.[33] Tout cela était, assurait-il, de la faute du préfet de police, qui voudrait faire croire à un grand incendie pour avoir l'air de l'éteindre[34]. La protection dont l'Empereur couvrait son subordonné ne semblait pas en imposer au ministre, qui, le 24 juin, adressait à Dubois une note d'un ton très dur. Estimant vagues et superficielles les déclarations des prévenus, il lui déclarait que ce n'était que par des interrogatoires précis et sensés qu'on parviendrait à découvrir la vérité. Il critiquait en termes amers et méprisants l'instruction menée par le préfet, remettait l'affaire en examen et en confiait la conduite aux trois conseillers d'État attachés au ministère, dont le préfet de police lui-même[35]. Mais avant même que s'ouvrît cette nouvelle instruction, Fouché avait tenu à faire réfuter, par Desmarest, le rapport du préfet. Ce contre-rapport résumait bien l'affaire, dégageait nettement les uns des autres les groupes qui semblaient avoir conspiré et dont la réunion avait paru menaçante à Dubois ; le général Guillaume était à peine instruit du complot, Malet était un fou, Demaillot un bavard sans autorité ; les fameux conspirateurs se connaissaient à peine. Peut-on, concluait le porte-parole du ministre, peut-on donner le nom de conspiration à toutes ces menées, dans lesquelles on ne peut découvrir ni un véritable chef de parti, ni complices, ni moyens d'exécution, ni réunion, ni correspondance ? Des déclarations qui amènent et détruisent l'idée d'un projet imputé tantôt à des sénateurs, tantôt à des militaires, tantôt à des gens mal famés et absolument nuls, ne peuvent être des pièces suffisantes devant un tribunal quelconque. Le rapport exprimait le regret que les propos des conspirateurs n'eussent pas été recueillis avec plus de soin, et blâmait en termes sévères la façon précipitée dont l'instruction avait été menée ; le ministre avait indiqué au préfet des gens qu'il lui avait conseillé d'interroger, de confronter avec les prévenus, sans que Dubois eût jamais tenu compte de ces avis[36].

Fouché accablait donc ce dernier de son dédain, et avec d'autant plus d'audace qu'il savait Réal, un des nouveaux enquêteurs, dans les mêmes sentiments que lui sur le préfet de police et sur les derniers événements. L'Empereur, fort irrité, ne s'y trompa point, car il blâmait, le 29 juin, la constitution de cette commission d'enquête, continuant à affecter une grande confiance dans les dires de Dubois : On le calomnie, écrivait-il à Fouché, lorsqu'on dit qu'il attaque le Sénat... Votre devoir est de soutenir le préfet de police et de ne pas le désavouer en accréditant de fausses rumeurs sur ce magistrat[37]. Sa défiance était telle contre Fouché, qu'il pressait l'archichancelier de mettre en garde les deux conseillers d'État Pelet et Réal contre la pression du ministre, de soutenir Dubois et de lui témoigner son estime : Prévenez bien ses ennemis et ses détracteurs que je lui en donnerai moi-même des preuves d'autant plus éclatantes qu'on voudra plus déprécier son zèle[38]. Cette lettre à Cambacérès semblait dénoter en général chez l'Empereur une réaction violente contre les idées de Fouché et la politique où il l'avait engagé ; il avait trop pardonné aux anarchistes, qui depuis l'an VIII ne cessaient de tramer une conspiration sourde ; le ministre de la Police était sorti de la légalité en confiant une nouvelle instruction aux conseillers d'État, ceux-ci auraient dû s'y refuser, ainsi que Cambacérès[39]. Jamais l'Empereur ne s'était montré si exaspéré contre Fouché.

Celui-ci semblait réellement se préoccuper assez peu de ces violentes sorties. La contre-enquête, menée par Réal, lui donnait raison. Et, espérant profiter de ces circonstances pour se débarrasser de Dubois, il redoublait ses attaques, mettant le préfet en posture odieuse ou ridicule[40]. Les membres du Sénat, écrivait-il[41], continuaient à se plaindre des bavardages du préfet de police ; le ministre avait dû leur donner l'assurance que l'Empereur avait repoussé toute espèce d'insinuation à leur égard. Et cela était vrai ; Fouché, se prévalant des circonstances, devenait le protecteur des sénateurs contre la manie d'un égaré.

Napoléon s'exaspérait à le voir agir ; il se sentait lui-même en une position fausse. En effet, après enquête, Réal et Pelet avaient dû reconnaître que le complot n'avait pas de consistance, et se rallier aux conclusions de Desmarest et de Fouché. Le pire était que Dubois humilié, furieux, avait dû cependant signer avec les autres l'aveu de sa bévue. Ainsi, l'Empereur mal éclairé. trop loin pour se faire une opinion, n'avait plus que le choix entre deux rôles également fâcheux ; il avait été dupe de la bévue du préfet, ou il l'était de l'astuce de Fouché. Napoléon, humilié de cette situation, s'acharnait à soutenir, contre Dubois même, que Dubois avait eu raison ; il ne lui plaisait pas, à lui, d'avoir eu tort, encore moins d'abandonner l'espoir d'écraser les républicains, les libéraux, les La Fayette, les B. Constant et le groupe hostile du Sénat. Les allures vindicatives, les airs triomphants de Fouché, ses plaintes, ses récriminations l'exaspéraient. Sa lettre du 13 juillet dénotait une extrême irritation. Je reçois votre lettre du 9 juillet, écrivait-il au ministre[42] ; je ne conçois plus rien à votre tête ! Est-ce qu'il fait trop chaud cette année à Paris ? Je mande à l'archichancelier de m'expliquer tous ces logogriphes. Tout ce que j'en vois est pitoyable : soyez donc ministre de la Police, réprimez les brouillons et ne le soyez pas. Tranquillisez l'opinion, au lieu d'y jeter des brandons de discorde. Soyez le supérieur et non le rival de vos subordonnés. En deux mots, ne me donnez pas à vous seul autant d'occupation que toute la police de l'Empire. Imitez tous vos collègues qui m'aident, au lieu de me fatiguer, et qui font marcher le gouvernement, bien loin de le gêner de leurs passions privées. Le même jour, l'Empereur, vaguement inquiet de l'attitude mécontente de Fouché, mandait à l'archichancelier de calmer le ministre, de le réconcilier avec Dubois. A qui en veut-il (Fouché) ? écrivait-il[43]. Personne ne l'attaque ; personne n'attaque le Sénat... Je commence à ne plus rien comprendre à la conduite de ce ministre... Sa jalousie contre le préfet de police peut-elle le porter à de pareils excès ? L'inquiétude de l'Empereur perçait dans ces lignes ; elle devint bientôt si extrême que l'idée d'une trahison effleura son esprit. Il avait certainement présente à l'esprit l'affaire Fauche-Borel ; en mai 1807, Mme de Chevreuse, exilée par l'Empereur, avait été, de la part du ministre, l'objet de si courtoises prévenances que sa popularité au faubourg Saint-Germain en avait singulièrement grandi. Et maintenant l'Empereur voyait son ministre profiter des circonstances pour se faire le champion du Sénat, du parti libéral. Soudain, il prit peur. Le 17 juillet, ce sentiment se faisait jour dans une nouvelle lettre à Cambacérès : J'ai cru longtemps que c'était la rivalité contre le préfet de police qui portait M. Fouché à se conduire ainsi. Je commence à craindre que Fouché ait la tête gâtée, ne favorise les brouillons dont il espère se servir et ne veuille point décourager les gens qui prévoient des circonstances de mort ou des événements extraordinaires, puisqu'il songe lui-même tant à l'avenir, témoin ses démarches pour le divorce. — Nous expliquerons sous peu à quoi l'Empereur faisait allusion —... Ces conclusions — celles du rapport Fouché — sont trop absurdes. Je n'y vois pas que Malet, Florent Guyot, même Jacquemont soient compromis ; c'est le préfet de police qui a conspiré. M. Fouché me prend pour trop imbécile...[44] Et Napoléon continuait à se répandre, dans deux pages, en récriminations amères et violentes, demandant à l'archichancelier de contrôler la conduite du ministre tout à fait suspect. On voit à quel diapason était montée l'animosité du maitre contre son ministre.

Cambacérès dut écrire pour le calmer. L'Empereur faisait fausse route. A Paris, l'opinion était pour Fouché. La posture de Dubois qui avait tout signé, capitulé, désavoué ses dires, était piteuse. Pour lui donner une satisfaction très minime, on avait maintenu en prison Malet, Jacquemont, Florent Guyot[45] ; Fouché préserva les autres, de l'aveu même de ceux d'entre eux qui lui restèrent hostiles[46]. L'Empereur avait, du reste, nous le verrons tout à l'heure, ses raisons pour laisser Fouché à sa place, et, ne pouvant le destituer, il lui semblait utile de ne pas le pousser à bout. Il affecta de croire à la seconde enquête. Le jour où il revit pour la première fois Réal, il le prit par l'oreille : Vous êtes bien fiers, messieurs, bien contents, n'est-ce pas ? Vous vous êtes bien amusés en faisant signer à ce pauvre Dubois qu'il n'est qu'un sot. — Sire, c'est lui qui l'a dit et écrit. Nous ne lui avons pas conduit la main. — Est-ce vous qui me l'avez donné ?Oui, Sire, pour surveiller les voleurs, les filles et les lanternes, emploi auquel il est éminemment propre ; mais je me serais bien gardé de le proposer à Votre Majesté pour toute autre chose ![47]

Le préfet fut cependant maintenu, l'Empereur ayant eu tort avec lui.

Mais ce fut dès lors un irréconciliable ennemi que Fouché eut à la préfecture de police. La lutte sourde, venimeuse, ne devait prendre fin qu'à la chute du ministre, bientôt suivie de celle du préfet. Car Dubois n'eut plus de raison d'être, aux yeux de l'Empereur, édifié de sa sottise, que dans cette inimitié avec le ministre, qui en fit pendant deux ans un surveillant et un ennemi incommode[48]. Fouché en resta plus vulnérable.

Ce ne fut pas la seule conséquence grave qu'eut pour le ministre cette conspiration Malet, sur laquelle nous avons cru, pour cette raison, devoir insister. La défiance de l'Empereur resta éveillée sur cette affaire et en général sur la conduite de Fouché. On le vit bien le jour où, Savary étant installé à peine depuis quelques jours au ministère de la Police, Napoléon lui donna l'ordre inattendu, deux ans après l'événement, de revoir le dossier Malet et de lui en faire un nouveau rapport, qui, du reste, ne signala rien que de connu[49]. De fait, Fouché, à notre sens, n'avait à aucun degré trempé dans le complot Malet ; mais les circonstances avaient une fois de plus prouvé que tout parti hostile à l'Empire plaçait en lui sa confiance. D'autre part, les incidents de juin et juillet 1808 lui avaient permis de couvrir et d'obliger tous ceux qui, à mi titre quelconque, étaient odieux à l'Empereur ou dangereux à l'Empire. Les amis républicains de Malet, sauvés plus eu moins par lui, ne cachèrent pas leur reconnaissance, Florent Guyot lui-même, qui, quoique frappé, traitait, en 1810, le ministre sur un ton de cordialité et de camaraderie à peine respectueuse[50]. Malet lui-même savait que Fouché n'avait pas peu contribué à le sauver en 1808 du peloton d'exécution ; à tout hasard, tout en le surveillant d'assez près, Fouché lui continuait, jusqu'en 1810, son active protection, le préservant des rigueurs que pouvait attirer au général la dénonciation portée contre lui par un compagnon de captivité[51]. En dehors de Malet et de ses vrais complices, nombre de gens avaient dû, ou croyaient devoir à Fouché d'avoir été préservés des fâcheux effets de la colère impériale : La Fayette, qui le reconnait, malgré son antipathie pour le personnage[52] ; Benjamin Constant, les sénateurs Garat, Lanjuinais, Destutt de Tracy et autres[53]. Nul d'entre eux ne l'ignora : Fouché tirait, des entreprises dirigées contre lui, un profit tel qu'il en imposait, par son crédit, à l'Empereur, tout en baissant singulièrement dans sa confiance.

***

Dès cette époque, Napoléon avait, du reste, sur son ministre des projets qui en faisaient encore un homme fort précieux.

Fouché, en effet, venait de se charger, très spontanément, d'un rôle nouveau : il s'était révélé le champion déterminé du divorce impérial. C'est certainement à ce titre qu'il dut de voir, en 1808, prolonger de deux ans son existence ministérielle. Nous avons déjà eu l'occasion de dire par quelle politique générale Fouché était logiquement amené à se faire, lui, l'ami personnel de Joséphine, le fauteur des premières propositions de divorce[54]. Le divorce devenait nécessaire à la perpétration de la race impériale, celle-ci indispensable à la durée de ce régime impérial, qui, au dire de Fouché, pouvait seul protéger contre la réaction, avec les principes de 1789, les hommes de 1793. Fouché se croyait encore, en dépit de certaines apparences, compromis parmi ces derniers. C'était prévoir de loin et voir de haut. Certes, l'intérêt immédiat n'imposait pas à Fouché une semblable attitude. L'heure était arrivée où il devait sacrifier un intérêt très visible, très immédiat, l'amitié de l'Impératrice et de ses partisans, à des vues plus larges et de réalisation hasardeuse. Il était, parmi les ministres de l'Empereur, le seul ami personnel de Joséphine : la femme de Bonaparte avait été une alliée, fidèle encore que peu désintéressée. A la veille de Brumaire, elle avait été son meilleur agent d'information, l'était restée aux Tuileries : en nivôse elle l'avait presque seule soutenu, protégé contre une disgrâce imminente, et, lorsqu'en l'an X cette disgrâce l'avait atteint, elle n'avait pas caché ses regrets et sa désapprobation. Elle avait contribué plus que personne à le faire rappeler en 1804. Lui, du reste, n'ignorait pas l'origine de cette grande amitié. Sans parler des cadeaux, des secours que, sous main, il faisait passer à la pauvre femme, toujours endettée, il savait l'intérêt que, sous le Consulat, la femme du Premier Consul attachait à sa présence dans les conseils de Bonaparte. Il avait, contre les frères de Bonaparte, combattu de 1799 à 1802 le divorce, contraire aux vues particulières du ministre républicain. Il fallait bien cet intérêt commun pour expliquer cette singulière liaison de Joséphine, la représentante près de l'Empereur des sociétés royalistes et de Fouché, l'homme des jacobins, disait-on.

L'Empire rétabli avec l'approbation, presque sur l'initiative de Fouché, celui-ci, esprit logique et froid, s'est mis en face de la situation ; c'est dans ses habitudes. Il a examiné les diverses faces du problème, presque immédiatement résolu contre Joséphine. S'il faut en croire le confident de Bourrienne, il aurait, dès 1805, exposé au secrétaire de Napoléon ses idées sur ce point avec une terrible netteté. Il serait à souhaiter que l'Impératrice vînt à mourir, cela lèverait bien des difficultés. Tôt ou tard, il faudra qu'il prenne une femme qui fasse des enfants. Car, tant qu'il n'aura pas d'héritiers directs, il est à craindre que sa mort ne soit le signal de dissolution. Ses frères sont d'une incapacité révoltante, et l'on verrait surgir un nouveau parti en faveur des Bourbons, et c'est ce qu'il faut prévenir[55]. Que cette confidence ait été réellement faite ou non à Bourrienne, elle résume fort bien, à notre sens, les idées de Fouché sur ce point. La Valette corrobore ce témoignage. A sa connaissance, le principal argument employé par Fouché en faveur du divorce était qu'il fallait ôter aux Bourbons toute espérance de retour[56]. Fouché, à en croire certains bulletins de police, voyait dans l'instabilité du pouvoir, résultant de l'absence d'héritiers directs, un obstacle à la paix générale, but de ses efforts. Les Anglais, écrivait-il à Napoléon, étaient encouragés dans leurs entreprises contre l'Empereur, comme dans leur refus de faire la paix, par la seule pensée qu'étant sans enfant, et par conséquent sans successeur, l'Empereur entraînerait dans sa mort, toujours possible, le gouvernement tout entier[57]. Il pensait donc au divorce constamment, encore que jusqu'en 1807 cette pensée ne se fût pas fait jour. La bonne Joséphine, ignorante et confiante, continuait à envoyer à son bon ami Fouché les cadeaux qui, dit-on, entretiennent l'amitié[58].

Pourquoi cette date de 1807 ? Fouché avait sans doute jusque-là hésité par une considération qui avait son poids. II était clair qu'aussitôt divorcé, l'Empereur solliciterait la main d'une princesse appartenant à l'une des familles régnantes. Or, le choix de cette princesse pouvait avoir, sur la politique générale de l'Empire et partant sur l'existence ministérielle de Fouché, une considérable influence. Les Romanoff, en hostilité ouverte de 1805 à 1807, étaient impossibles à ce moment deux cours seules paraissaient sur les rangs en 1806 et 1807, Saxe et Autriche, l'une alliée de l'Empereur, l'autre réconciliée avec lui. Mais précisément Fouché ne voulait ni Saxe ni Autriche ; les deux maisons passaient pour les plus anciens régimes de l'Europe ; le roi de Saxe était, par dix alliances, cousin proche du comte de Lille ; l'Empereur d'Autriche avait été neveu de Louis XVI. L'entrée d'une princesse de Saxe ou d'Autriche aux Tuileries eût été, sinon le signal de la réaction, du moins un singulier encouragement pour ceux qui la prônaient ; on le vit bien en 1810. La paix de Tilsit, entre la Russie, la Prusse et lu France, mettait sur les rangs deux nouvelles familles, les Hohenzollern et les Romanoff. Mais avec la Russie ce n'était pas seulement la paix, c'était une alliance étroite, intime, éclatante, faite d'intérêts et de sympathies ; en 1810, Fouché devait prôner de toutes ses forces le mariage russe ; il est clair qu'il en conçut le dessein au lendemain de Tilsit ; cette dynastie des Romanoff, sans alliance avec les Bourbons ni l'ancien régime, sans principes politiques très arrêtés, représentée par ce souple et libéral Alexandre, préservée enfin de l'influence catholique par son hétérodoxie, lui parut désignée pour fournir au nouvel Empire la souveraine sans rancunes et sans préjugés, dont l'entrée aux Tuileries ne pourrait être une menace ni pour les hommes de 1789, ni même pour les votants de 1793. Dès lors, dans l'esprit de Fouché, Joséphine était irrévocablement condamnée. La campagne commença au lendemain de Tilsit.

Le rusé ministre devait d'autant moins hésiter à agir qu'il ne lui avait pas fallu beaucoup de perspicacité pour s'apercevoir que, sous couleur de vouloir forcer la main à l'Empereur pour le bien de l'Empire et la satisfaction de ses sujets, il allait au-devant des désirs de Napoléon. Un ami personnel de Joséphine, parlant au nom de l'opinion qu'il affectait de servir mieux que l'Empereur, pouvait au gré de celui-ci préparer mieux que personne le terrain où, dès cette époque, Napoléon songeait incontestablement à s'avancer. Fouché avait certainement pénétré ce sentiment, et il agit.

Les journaux commencèrent alors à hasarder de timides allusions au divorce possible ; les salons du ministre de la Police entendirent à ce sujet d'étranges propos. Le ministre en prit texte pour adresser à l'Empereur un mémoire qui, étant confidentiel, fut répandu partout[59]. Et soudain, avec cette stupéfiante audace qui le faisait parfois renoncer aux détours, où d'ordinaire il semblait se complaire, il parut vouloir aller droit au but. Il tenta cette démarche inouïe qui jeta dans la stupéfaction et la perplexité le monde des Tuileries, un entretien avec Joséphine, qui devait amener purement et simplement l'Impératrice à accepter de but en blanc, et même à solliciter le divorce. La scène a été racontée par tous les Mémoires contemporains[60] ; M. de Metternich, ambassadeur d'Autriche à Paris, en rendait compte le 30 novembre 1807 à son cabinet, mais l'événement remontait au mois de juillet précédent. L'Impératrice étant à Fontainebleau, le ministre de la Police sollicita une audience et, après un court préambule, déclara que le bien public, que la consolidation surtout de la dynastie actuelle, exigeant que l'Empereur eût des enfants, elle devrait bien adresser des vœux au Sénat afin qu'il se réunit à elle pour appuyer près de son époux la demande du plus pénible sacrifice pour son cœur. Joséphine resta atterrée ; elle fit d'abord bonne figure, demanda si la démarche lui avait été ordonnée par l'Empereur, et sur la réponse négative du ministre, déclara avec une violence mal contenue qu'elle n'obéirait sur ce point qu'aux ordres de l'Empereur. Fouché, cependant, crut devoir insister quelques jours après dans une lettre à l'Impératrice, qui dut être communiquée à plus d'un courtisan, puisque Metternich affirmait qu'on disait cette lettre un chef-d'œuvre d'éloquence et de force de raisonnement[61]. L'Impératrice, alarmée au delà de tout ce qu'on peut dire, indignée et humiliée, adressa à l'Empereur des plaintes amères. Napoléon joua la froideur, puis l'étonnement, alla même jusqu'à l'indignation[62]. Au fond, malgré les protestations de Savary et de Maret[63], personne, Joséphine la première, rie se laissa prendre à cette grande colère. Parquier affirme que, si la démarche n'était pas combinée avec l'Empereur, elle devait lui être agréable[64] ; Metternich, en novembre 1807, allait plus loin : Aucun ministre, écrivait-il, n'ose faire ici ce que ne lui ordonne pas l'Empereur ; aucun d'eux surtout ne risquerait la récidive[65]. Avec Fouché cela n'était pas sûr ; il n'était pas un Maret ou un Savary. Mais ses audaces n'étaient pas folles. Il accepta probablement avec un respectueux silence, sans doute un sourire au coin de la lèvre, la verte admonestation de Napoléon, puis pivota sur les talons et s'en alla préparer quelques petits papiers bien hostiles à l'Impératrice, dont il ne pouvait attendre rien de bon désormais, car le bruit courait dès lors que Madame Bonaparte, qui soutenait autrefois Fouché, ne lui pardonnait pas d'avoir conseillé le divorce et voulait le faire disgracier[66].

Pendant tout l'hiver de 1807 et le printemps de 1808, c'est une des tâches de Fouché que de préparer au divorce tantôt l'opinion publique en lui persuadant que c'est le désir de l'Empereur, tantôt le souverain en se faisant l'écho du vœu général. Napoléon, lui, continue sa comédie, tance Fouché, le prie de ne se mêler ni directement ni indirectement d'une chose qui ne saurait le regarder en aucune manière[67].

Le 17 novembre, une semaine après ce dur avertissement, le ministre transmet complaisamment à Napoléon les bruits qui couraient, accueillis avec faveur, du divorce de l'Empereur et de son mariage avec une sœur du Tsar. On voit que Fouché prenait déjà ses précautions. Cette nouvelle, ajoutait-il, est devenue l'entretien de toutes les classes de Paris, et la vérité est qu'il n'y en a pas une seule qui ne l'ait accueillie comme une garantie d'une paix prochaine et de la durée du repos de l'État[68]. La campagne était, d'autre part, menée avec une rare habileté pour irriter le maître. L'Impératrice, disait ailleurs le ministre, se croyait le talisman de l'Empereur, on le disait autour d'elle, on l'entraînait à la résistance. Mais lui, fidèle serviteur de l'Empire, devait constater que les vrais amis de Napoléon regardaient la dissolution comme une chose que l'établissement de l'Empire devait nécessairement amener. Dans les cercles de Paris il n'y avait pas deux opinions : seuls des enfants de l'Empereur assureraient la durée du régime[69], etc., etc. Ce rapport attira au ministre une nouvelle et très rude réponse datée de Venise le 30 novembre : Je vous ai déjà fait connaître mon opinion sur la folie de la démarche que vous avez faite à Fontainebleau relativement à mes affaires intérieures. Après avoir lu votre bulletin du 19, et bien instruit des propos que vous tenez à Paris, je ne puis que vous réitérer que votre devoir est de suivre mon opinion, et non de marcher selon votre caprice. En vous conduisant différemment, vous égarez l'opinion et vous sortez du chemin dans lequel tout honnête homme doit se tenir[70]. Le ministre sourit sans doute et prend de nouveau sa plus belle plume, et voici une pluie de notes acérées, empoisonnées, contre l'Impératrice. Le ministre sait les bavardages de Joséphine et de ses amis odieux à Napoléon ; il s'en fait l'écho : Les amies de l'Impératrice, dit-il, se disent parfaitement instruites de ce que tel ou tel jour l'Empereur a dit à l'Impératrice, de leurs conversations avant et après le couronnement, des démêlés de la famille Bonaparte, des intrigues qu'on ourdit contre elle et des intrigants qui s'en rendent coupables[71]. Si l'Empereur reste insensible aux indiscrétions de sa femme, restera-t-il indifférent à ce coup droit ? Les amis de l'Impératrice prétendent savoir que la stérilité de l'Impératrice ne provient pas de sa faute, que l'Empereur n'a jamais eu d'enfants, que les liaisons que Sa Majesté a eues avec plusieurs femmes n'ont jamais eu de résultats, tandis que ces femmes, à peine mariées, sont devenues enceintes...[72] Fouché peut se figurer Napoléon bondissant, furieux à lire cet écho.

Le ministre a rompu avec la souveraine et ses amis ; il les terrifie, fait de rudes observations à la confidente de Joséphine, Mme Hamelin, menacée de la Salpêtrière pour avoir mal parlé du ministre[73].

Quand, sur les observations que lui fait faire l'Empereur par Maret[74], il se décide à interrompre ses attaques, il couvre sa retraite par ces mots perfides : On ne parle plus du divorce non seulement par respect, mais parce qu'on croit la chose résolue[75].

En réalité, Napoléon ne trouvait pas l'affaire nitre ; il avait fait dire à Fouché qu'il allait être contraint de le sacrifier à l'Impératrice. Le ministre se tut durant un mois. En janvier 1808, il recommençait. On parle peu aujourd'hui du divorce, écrivait-il à Napoléon, mais on y pense depuis qu'on croit avoir la certitude que l'impératrice ne peut plus avoir d'enfants[76]. Et les allusions au divorce émaillent les bulletins ; un jour c'est l'Angleterre qui défie et raille ce gouvernement sans espérances ; une autre fois c'est le petit Achille Murat qui, salué avec enthousiasme à la promenade, arrache des soupirs. Si c'était le fils de l'Empereur, on lui embrasserait les bottes ![77] Puis derechef le ministre aborde de front la question : Toutes nos prospérités actuelles ne sont pas des garanties ; on en acquerrait la conviction si par malheur l'Empereur avait une maladie qui le fort à rester au lit pendant quelques jours. A la seule nouvelle de son départ pour l'Espagne, les effets publics baissent ; ils tomberont encore à son entrée en Espagne. En France et à l'étranger, à Paris et à Londres, les calculs sont les mêmes, avec des sentiments différents[78]. C'est frapper juste et parler d'or. Et quelle femme s'agit-il de sacrifier ? C'est là que réellement le rôle de Fouché, qui jusqu'ici n'est que celui d'un ministre clairvoyant, devient odieux. Cette femme dont il a été l'ami, le confident, il la trahit, révélant à l'Empereur les dépenses folles, les dettes dont elle lui cache la plus grande partie[79]. Il faut, il est vrai, frapper sans relâche, car Napoléon, comédie ou réelle hésitation, continue à rappeler à l'ordre le ministre indiscret. Le 21 mai, il déclare encore que la police doit arrêter et non protéger les bruits de divorce[80]. Ce à quoi Fouché répond par ces paroles très nettes : Il n'y a plus un individu en France qui ne soit convaincu que la durée et, la prospérité de la dynastie sont attachées à la fécondité du mariage de l'Empereur[81]. Le salon du ministre est bien en effet devenu le foyer d'une véritable agitation en faveur du divorce[82]. Napoléon priait Cambacérès de faire à ce sujet de nouvelles observations[83], affectant devant Savary la plus violente irritation, faisant ainsi croire aux ennemis du ministre que, plus même que l'affaire Malet, la question du divorce allait attirer sur Fouché les foudres impériales[84]. C'était se laisser duper par Napoléon ; le ministre de la Police fut moins surpris qu'aucun autre de ne pas être disgracié en juin 1808. L'Empereur, résolu au divorce malgré tant de feintes, attendait au contraire beaucoup du ministre pour y préparer l'opinion. Jamais Fouché n'avait été si précieux. Il songeait peut-être à restreindre son pouvoir, puisqu'en août 1808 il voulait lui faire retirer par le conseil d'État la censure avec l'administration de l'imprimerie[85], mais jamais il n'avait moins pensé à le disgracier.

Il avait, du reste, pour le conserver d'autres motifs. La capture de Prigent avait causé au maitre une vive satisfaction ; elle avait beaucoup fait pour atténuer l'effet de l'affaire Malet, si défavorable au ministre. Malgré sa foi en Dubois, l'Empereur n'hésitait pas à écrire que ces complots anarchiques n'étaient rien auprès de la prise de Prejean (sic)[86]. Il espérait obtenir du malheureux de grandes révélations sur le parti anglo-royaliste, et parvenir, grâce à ses précieuses indications, à faire une rafle définitive des agents des princes n Paris et dans l'Ouest[87]. Fouché, qui, en pleine affaire Malet, avait besoin d'une diversion, flattait des espérances qu'il partageait du reste. Prigent avait été arrêté le 5 juin ; dès le 10 il était expédié de Bennes à Paris sans débrider, sur l'ordre du ministre. Devant l'œil perspicace de Desmarest, le prisonnier se démonta, promit tontes les révélations. De fut, le misérable, encouragé par des promesses de grâce, livra tout, dit tout, le vrai et le faux. Par lui on connut au quai Voltaire l'organisation du comité royaliste de Londres, de l'agence de Jersey, la situation des princes, de leur cour, et leur gouvernement in partibus ; le traître signala les points de débarquement possibles pour les agents de Jersey, indiqua les moyens de créer une contre-agence dans l'île, offrit même de s'en charger. Enfin il dénonça toutes les personnes qui, en Bretagne, avaient servi à la correspondance du comte de Puisaye. Il alla plus loin, exagéra, parla d'une descente prochaine des Anglais et des princes[88]. Ces grandes révélations plaisaient fort à l'Empereur ; Fouché, lui, songeait surtout à désorganiser à tout jamais l'agence de Jersey[89]. La prise de Prigent et de Bouchard la privait de ses plus audacieux émissaires, mais il fallait encore au ministre les deux autres agents, Goyon-Vaucouleurs et Chateaubriand. On y employa Bouchard ; celui-ci, retournant à Jersey, y dissimula sa captivité, se fit livrer par le gouverneur papiers et journaux anglais, et attira en Bretagne Goyon-Vaucouleurs, qui fut en quelque sorte cueilli sur la côte par les gendarmes apostés ; on espérait bien surprendre sous peu Chateaubriand qui allait suivre, en quête des autres[90]. Fouché adressa alors à l'Empereur un rapport fort habile où la prise de Prigent était singulièrement mise en relief ; elle faisait échouer un nouveau plan d'insurrection, organisée par Puisaye, et purgeait la Bretagne non seulement des agents qui y circulaient, mais de leurs complices, matelots, logeurs, commissionnaires, qui, englobés dans le procès, furent jetés en prison ou mis en surveillance[91]. Cela fait, la bande fut traduite devant le conseil de guerre ; sur trente-cinq prévenus, sept furent condamnés à mort, y compris Prigent et Bouchard qui tombèrent sous les balles le 11 octobre 1808[92].

Fouché, désireux d'exploiter jusqu'au bout. les révélations de Prigent, offrit même à l'Empereur d'en tirer profit pour tenter de brouiller royalistes et Anglais, car il songeait dès lors à les diviser ; les princes, les royalistes de l'Ouest étaient dupes des promesses du cabinet anglais, cela ressortait des révélations de Prigent ; le ministre offrait de les publier[93]. Le moment lui semblait bien choisi ; il savait par ses agents de Londres qu'une certaine aigreur commençait à se manifester dans les rapports entre le cabinet anglais et la cour d'Hartwel. Si celle-ci pouvait espérer quelque chose d'une autre solution que de l'alliance anglaise, peut-être se déciderait-elle à y renoncer. On pouvait essayer de leurrer Louis XVIII de vains espoirs, continuer la mystification de Fauche-Borel... et, par la même occasion, savoir sans doute où en étaient les sentiments du roy et des royalistes vis-à-vis de Fouché.

La correspondance de Fauche-Bord avec son faux complice de Paris s'était continuée ; Fouché s'était simplement substitué à Dubois pour suivre et diriger la marche de cette plaisante intrigue. C'est avec les instructions de Fouché que partit en juillet 1808 pour Londres un certain Bourlac, qui, émissaire de la police, était censé celui de ce fameux comité royal ; il devait voir et entretenir les ministres anglais, les agents de Louis XVIII et, s'il le pouvait, le roy lui-même. Bourlac vit en effet Canning et Hawkesbury d'une part, et d'autre part le factotum de Louis XVIII, le comte d'Avaray ; celui-ci l'introduisit même chez le roy. L'agent réédita devant celui-ci la fable du comité royal recruté parmi de hauts fonctionnaires et des officiers généraux ; toute une révolution était préparée ; le Sénat, profitant d'une absence de l'Empereur, se déclarerait en permanence, nommerait une commission, ferait préparer par celle-ci un rapport concluant au rappel du roi, nommerait une régence provisoire qui enverrait en province des proclamations et ferait aux puissances de l'Europe des ouvertures en vue d'un congrès. Le plus curieux est que Bourlac devait essayer de ramener à Fouché la confiance des amis de Fauche un peu ébranlée par l'exécution (le Vuitel et par les réponses de Perlet, inspiré lui-même par Dubois. C'était une audace incroyable de la part du ministre de profiter ainsi d'une mission avouée à l'Empereur et qu'il lui représentait comme un piège tendu aux royalistes, pour regagner la confiance de Louis XVIII et de son entourage. Bourlac déclara donc au ci roy p que Fouché était secrètement avec lui, i‘ énumérant toutes les mesures que lui, Bourlac, avait prises pour s'assurer des bonnes dispositions de ce personnage important. Louis XVIII écouta le messager avec la plus grande attention, ne l'interrompant que pour donner des marques de satisfaction : il déclara désirer et espérer le concours de Macdonald, de Berthier et de Moreau, qu'il voulait faire venir en Angleterre ; mais il sembla aussi accueillir favorablement celui du ministre régicide. Avec la sérénité tranquille d'une belle âme, Fouché se gardait d'omettre ce trait dans un rapport à l'Empereur ; c'était fort habile : d'avance il détruisait l'effet de toute dénonciation de complot avec le prétendant qui semblerait toujours la suite et le développement de cette mystification ; comment, d'autre part, l'Empereur ne sentirait-il pas redoubler son estime et sa crainte — la confiance était déjà loin — pour un homme qui n'était plus sa créature et qui, accepté d'avance comme gouvernant par les républicains Servan et Malet, l'était déjà comme agent, peut-être comme ministre, par le frère de Louis XVI ? Que l'agent se vantât et exagérât, qu'importait ? L'effet était produit sur l'Empereur. Dans tous les cas, la mission de Bourlac marchait au gré de Fouché, puisque, le 23 juillet, il lui faisait accorder une nouvelle somme. L'agent revint en France à la fin de juillet, ayant revu d'Avaray et entretenu d'autre part Dutheil, l'homme de confiance du comte d'Artois, dont il avait obtenu les mêmes encouragements que du roi[94]. Napoléon fut instruit de toute cette mission et put à sa guise en tirer toutes les conclusions.

Fouché se trouvait ainsi, en septembre 1808, après d'assez rudes alarmes, dans une situation fort brillante. L'affaire Malet, que ses ennemis avaient essayé de tourner contre lui, l'avait au contraire grandi : car si la conspiration était fausse et nulle, l'ineptie de Dubois en ces circonstances faisait éclater la perspicacité et la tranquille modération du ministre ; si elle avait eu réellement pour but le renversement de l'Empereur et le rétablissement de la République avec la connivence du ministre, celui-ci devenait redoutable à son maitre, mais d'autant plus respectable ; quoi qu'il en soit des deux hypothèses, le résultat de l'opération avait été de redoubler pour Fouché l'attachement des partis de gauche. Comme d'autres circonstances fortifiaient pour ce singulier personnage la paradoxale sympathie du faubourg Saint-Germain[95], que Louis XVIII et ses agents semblaient le tenir en haute estime, ainsi que les cabinets étrangers, Fouché devait apparaitre au maitre comme une personnalité fort supérieure à celles qu'il employait, pliait et cassait à son service. L'opinion publique, indépendante des partis, s'habituait à voir dans cet homme d'allures si libres, ami des opposants, partisan de la paix, une sorte (le défenseur attitré des intérêts de la nation, et une réelle popularité parmi les meilleurs serviteurs de l'Empire s'ajoutait maintenant au crédit dont jouissait le ministre dans les partis irréconciliables.

Redoutable, grâce à cette singulière situation qu'à chacun de ses retours à Paris, l'Empereur trouvait fortifiée, le ministre restait d'ailleurs précieux : on comptait sur lui pour parachever la pacification de l'Ouest et l'œuvre du divorce. C'était, du reste, ses intrigues mises à part, un ministre qui, par sa fermeté et sa dextérité, méritait toute confiance : il venait d'étouffer dans des circonstances difficiles une grève qui eût pu entraîner de graves désordres[96], et il avait su organiser rapidement, à la grande satisfaction de l'Empereur, la surveillance des princes espagnols que Napoléon venait de faire interner à Valençay ; grosse affaire que cette surveillance au moment ou l'Espagne se soulevant réclamait son prince, et où l'Angleterre méditait de le faire enlever et transporter à Cadix[97]. Enfin, quelques mois à peine après la rupture avec l'Église romaine, signal d'un soulèvement certain contre l'Empereur dans cette partie du clergé que l'Empereur n'avait pu domestiquer, il eût semblé peu à propos de se priver des services d'un ministre qui avait toujours agi vis-à-vis du clergé avec une fermeté allant parfois jusqu'à la raideur, sans st départir d'une habile courtoisie personnelle qui rendait cette sévérité plus efficace encore et plus précieuse. Pour tous ces motifs, Fouché attendait sans effroi le retour de Napoléon.

L'Empereur, revenu à Paris le 18 août, fit en effet à son ministre un accueil infiniment plus favorable que les Savary et les Fiévée ne l'eussent voulu : en vain ce dernier essaya-t-il d'un nouveau réquisitoire contre l'ancien conventionnel, qu'il disait le prisonnier des jacobins, qu'il accusait de nourrir comme tous les anciens révolutionnaires convertis des sympathies pour les insurgés espagnols[98], et qu'il incriminait enfin au sujet des bruits de divorce[99]. Fouché, dans une explication avec l'Empereur, se disculpa de certains reproches, et parvint même à obtenir gain de cause dans la plupart de ses conflits avec ses collègues du ministère[100]. Le ministre de la Police parut dès lors plus que jamais tout-puissant. L'Empereur allait partir pour l'Espagne, rendant à la police sa régence, et Fouché envisageait l'avenir avec une certaine confiance.

De jour en jour, il parvenait à parfaire son œuvre principale, la pacification complète des provinces de l'Ouest. Lahaie Saint-Hilaire avait succombé et avec lui le banditisme actif, comme avec Le Chevalier le chouannisme politique, avec Prigent l'influence des comités de Londres, avec Goyon-Vaucouleurs l'action de l'agence de Jersey. Restait une dernière exécution à faire, celle de l'agent Chateaubriand : Puisaye, infatigable à dépenser la vie d'autrui, voulait envoyer cette nouvelle victime au Minotaure, dans l'espoir que les embarras soulevés par l'insurrection espagnole pourraient favoriser une nouvelle tentative de soulèvement dans l'Ouest ou de coup d'État à Paris : on s'était, à Londres, acquis le concours d'un homme qui avait eu son heure de notoriété, Henry Larivière, un ancien conventionnel que Fructidor avait jeté définitivement dans la réaction par la proscription. Peut-être cet ancien représentant parviendrait-il par d'anciennes relations à nouer à Paris une nouvelle intrigue : il confia des lettres à Chateaubriand, dernière ressource de l'agence de Jersey, qui partit en septembre 1808 pour la Bretagne : il y fit la conquête d'un petit nombre de nobles, dont un jeune de Boisé-Lucas, qui consentit à venir à Paris porteur des lettres de Larivière : Chateaubriand, pendant son absence, chargeait un autre ami, un ancien officier de marine, Goyon-Vaurouault, d'une enquête sur la possibilité qu'il y avait de s'emparer du port de Brest pour s'en servir comme de base à l'insurrection projetée. Boisé-Lucas trouva visage de bois à Paris, et Vaurouault ne put que fournir des renseignements circonstanciés d'espion, mais pas de moyens d'exécution. Chateaubriand voulut alors repartir pour Londres avec ces renseignements. Cette fois la tempête servit la police ; Chateaubriand fut rejeté sur la côte, et sa présence signalée à la suite de certains incidents. Ce fut une histoire étrange, presque romanesque, que celle de ce malheureux, errant deux mois le long des côtes à la recherche d'un bateau. Il en trouva un, s'embarqua, et finalement fut rejeté de nouveau à la fatale côte ; par une fatalité ses papiers, jetés en paquet à la mer, venaient s'échouer un peu avant lui sur le rivage, formidables pièces à conviction qu'on put recueillir. Arrêté, reconnu malgré le faux nom dont il s'affubla, le malheureux fut expédié à Paris : il fut interrogé au quai Voltaire, convaincu, confessé. On arrêta ses complices, qui, le 20 février 1809, furent traduits devant une commission militaire, condamnés à mort et, malgré une tentative du vicomte René de Chateaubriand, cousin du malheureux aventurier, passés tous par les armes. Cette exécution suivant de quelques mois celles des Lahaie Saint-Hilaire, des Le Chevalier, des Prigent, des Goyou-Vaucouleurs et de cent de leurs complices, lieutenants et agents, semblait mettre un terme à la sourde, constante et dangereuse conspiration que, depuis la mort de Georges, les comités de Londres entretenaient dans l'Ouest, du Calvados à la Garonne et du Morbihan à la Mayenne. Il sembla au commencement de 1808 que l'hydre était frappée à toutes ses têtes. Fouché se vantait de ce succès, qui lui valait, du reste, de l'Empereur des félicitations sincères et méritées[101].

C'était vraiment pour le ministre un grand bonheur que cette arrière-chouannerie qui, lorsqu'elle était en activité, après l'avoir rendu nécessaire, lui valait, toutes les fois qu'elle était étouffée, compliments et indulgence. C'était l'étouffement du complot normand, qui, en juillet 1807, avait fait pardonner à Fouché ses intrigues au sujet de la paix, c'était la prise de Prigent qui avait peut-être empêché, en juin 1808, l'Empereur de faire payer cher à Fouché son attitude dans l'affaire Malet ; ce fut encore en janvier 1809 l'arrestation de Chateaubriand, signal pour les chouans, disait Fouché, de la complète déconfiture, qui, une fois de plus, le sauva du mauvais cas où l'avaient placé de nouvelles et plus graves intrigues.

***

L'Empereur était parti le 29 octobre 1808 pour l'Espagne ; il voulait écraser le pays soulevé contre son autorité, trop mal cachée derrière celle du roi Joseph. Or, jamais départ de l'Empereur ne souleva plus de commentaires passionnés. Jamais guerre aussi n'avait été vue de plus mauvais œil. A entendre les pessimistes, l'Empereur courait à un désastre. Baylen était là, toute récente et honteuse défaite des meilleurs soldats de l'Empire : ceux qui avaient dans le génie de l'Empereur une plus grande confiance n'en concevaient pas moins de soucis. Napoléon s'aventurait dans un pays soulevé par toutes les passions, surexcité jusqu'à la robe feu un patriotisme aux abois doublé d'un rare et redoutable fanatisme religieux. Dans cette aventure, ce n'étaient pas seulement les obus, la mitraille, les canons et les fusils de l'ennemi en bataille rangée qui pouvaient, par un coup de la fortune, abattre en un instant le chef de l'Empire. On savait que partout les balles se fondaient, les poignards s'aiguisaient contre le tyran, l'oppresseur du peuple espagnol. La balle du guérillero hantait les songes de plus d'un homme d'État de la France, de l'Europe. Et plus encore qu'a la veille d'Austerlitz et d'Eylau la redoutable question s'imposait à l'attention, à l'inquiétude de tous. Fouché y songeait. Réellement l'Empereur devenait fou : l'expédition d'Espagne, déconseillée cependant par les meilleurs serviteurs — Fouché était du nombre —, ouvrait une nouvelle phase de guerres, et des plus dangereuses : les guerres nationales. On abaisse, on abat, on supprime un roi, on n'humilie pas impunément, on n'opprime pas, on n'écrase pas aussi facilement un peuple[102]. Le souci était général à Paris, beaucoup de conscrits allaient rester là-bas avant que le pays fût dompté : l'opinion publique était cette fois nettement défavorable à cette guerre, plus perspicace, plus clairvoyante que Napoléon. Par surcroît, cette lutte contre un peuple allait exaspérer le goût de l'Empereur pour le despotisme, sa haine contre la Révolution, la démocratie, la liberté. Fouché devait y songer, lui le défenseur auprès de l'Empereur des souvenirs révolutionnaires, et il y pensait. Un autre souci s'ajoutait à ceux-là : la question du divorce semblait enterrée, et l'on disait autour de Napoléon que, dans tous les cas, celui-ci, divorcé et remarié, donnerait à ceux qui accusaient la seule stérilité de Joséphine un éclatant démenti ; ces bruits d'alcôve et d'antichambre pesaient fort sur la politique de Fouché.

Le plus pressé était de trouver un successeur éventuel à l'Empereur.

Les frères de Napoléon ne pouvaient lui succéder : Fouché ne songeait pas à Joseph, quoi qu'on en ait dit : Louis était en bons termes avec le ministre ; mais, d'humeur sombre, il rie ' plaisait pas et n'était pas sûr ; Jérôme n'était qu'iui enfant mal élevé dont le ministre avait eu souvent à réprimer les écarts. La République paraissait impossible à Fouché : il avait gardé contre elle une sorte d'antipathie dédaigneuse. Quant aux Bourbons, même si Fauche-Borel avait raison, même si Bouille avait dit vrai, Fouché ne s'y résignait pas, les craignait encore. Un des maréchaux de l'Empire, prestigieux, brillant soldat de la Révolution, capable d'accepter la direction de Fouché, pouvait être substitué à l'Empereur au lieu et place de Joseph. Mais ces soldats étaient en général assez soumis, de gré ou de force, à Napoléon, ou défiants de Fouché. Deux se présentaient à son esprit : Murat et Bernadotte. Celui-ci, aimable, populaire, se signalait vis-à-vis du maitre par un certain esprit d'indépendance allant jusqu'à l'indiscipline ; mais Fouché ne s'était pas encore lié avec lui de cette amitié étroite qu'on vit naître quelques mois après. Bernadotte, du reste, était en Allemagne, guerroyant contre la Suède, tout en s'en faisant bien venir ; il pouvait difficilement quitter son poste. Murat, à qui son titre de beau-frère de l'Empereur donnait une sorte de légitimité, et sa situation de roi de Naples plus de liberté d'action, décoratif et superbe, était, quoique bien revenu du temps où il se voulait faire passer pour le cousin de Marat, un soldat de la Révolution. Il était, du reste, si faible d'esprit au fond, sous ses dehors brillants, qu'il devait laisser gouverner sa femme, Caroline Bonaparte, une amie de Fouché, et Fouché lui-même, qui fut en tant de circonstances le conseiller écouté et le confident consulté du roi de Naples. Ce souverain d'hippodrome le changerait de Bonaparte. Mais à Murat il fallait faire un parti. Qu'il se soit agi de le substituer à l'Empereur ou, ce qui est plus probable, d'en préparer l'avènement en cas de malheur, Fouché ne se reconnaissait pas encore assez puissant pour agir seul. L'hostilité de ses collègues le jetait dans les bras du seul homme qui pût lui être précieux dans la circonstance, c'était le prince de Bénévent.

Ils ne s'aimaient pas. Sous le Consulat, ils s'étaient trouvés en concurrence d'influence et en opposition d'idées : il s'était, dès lors, révélé entre eux une antipathie que tout justifiait. Sans entrer dans l'éternel parallèle entre ces deux hommes, qui est le lieu commun des historiens de l'Empire, on peut dire que cette antipathie s'expliquait assez. Leurs caractères avaient plus d'un trait commun, absence de sens moral en matière politique, grand mépris des hommes, tranquille et narquois dédain des emportements de Bonaparte. Mais, dans la vie privée, ces deux anciens hommes d'Église réalisaient précisément l'opposition qui, à la veille de la révolution, coupait en deux le clergé : Talleyrand, grand seigneur, paresseux, hautain, insolent, ami du plaisir, coureur de femmes, amateur de bonne chère et de belles parties, fastueux et corrompu, était le pire des abbés et prélats de cour, le type accusé et exagéré de ce clergé en face duquel, jadis, k cardinal de Bérulle avait fondé son austère et pieuse congrégation. D'origine très bourgeoise, de solide instruction, homme d'étude laborieux et appliqué, se faisant petit au besoin et effacé, avec des mœurs austères transportées des collèges de l'Oratoire au patriarcal foyer de famille, Fouché était du Tiers en face de celui qui resta toute sa vie du Premier Ordre, et, malgré tout, de l'Oratoire, vis-à-vis de ce prélat insolent et méprisable. Il en résultait un mépris réciproque de l'évêque grand seigneur pour le petit professeur ecclésiastique, de vie et de mœurs étroites, et de l'honnête homme en sa vie privée qu'était Fouché pour l'indolent et dissolu personnage que resta Maurice de Talleyrand. Cette mutuelle antipathie résista à tous les rapprochements : ils ne le dissimulaient guère, et l'opposition de ces deux caractères amusait la galerie et tranquillisait l'Empereur. Il avait tort : ils étaient tous deux trop sceptiques pour laisser parler leurs antipathies plus haut que leurs intérêts. Mais précisément des intérêts opposés les avaient jusque-là divisés : Talleyrand, représenté à tort ou à raison, dès 1800, comme l'un des chefs de la coterie réactionnaire, partisan du ralliement de l'aristocratie qui couvrait le sien et le remettait en bonne compagnie, du Concordat qui avait pour conséquence le règlement définitif de sa pénible situation d'évêque renégat, du Consulat à vie qui en imposait à l'Europe et allait favoriser le retour aux bonnes manières, avait, en outre, affiché un dédain, une haine, une rancune difficiles à fléchir contre ces misérables jacobins, gens de mauvaise compagnie et de petite naissance, sentant le sang, et avec cela tombés si bas. Fouché était du nombre et le plus maltraité, car il était, pour Talleyrand, le plus à craindre. Fouché et Talleyrand étaient incontestablement, après 1800, les deux seuls hommes d'État du gouvernement consulaire, puis impérial : Cambacérès n'était qu'un jurisconsulte, Maret un commis, Champagny un homme bien élevé. Dès lors, les hommes se devaient combattre. Il en était résulté un constant échange de mauvais services ; leur haine avait compliqué de mille traquenards leurs relations ministérielles, et leur avait inspiré une foule de plaisanteries satiriques et de mordantes ripostes dont les Mémoires de l'époque se font l'écho. Nous en avons déjà cité : M. Fouché méprise les hommes, disait-on devant Talleyrand. — Sans doute, cet homme s'est beaucoup étudié. Fouché eût pu répondre qu'il avait aussi beaucoup observé son collègue des Relations extérieures. Celui-ci, indolent et superbe, souriait de l'activité et des usurpations du ministre : Un ministre de la Police, c'est celui qui s'occupe d'abord de ce qui le regarde et ensuite de ce qui ne le regarde pas. Fouché, dit-on, n'avait point pardonné ce mot. Il se vengeait par des épigrammes, des rapports, des traits satiriques sur la vie privée du prince. On lui prêtait un jeu de mots brutal sur l'ancien ministre des Relations extérieures, nommé vice-grand électeur : Il ne lui manquait que ce vice-là. Dans le nombre il y paraîtra peu[103]. L'ex-évêque n'ignorait rien des propos de ce genre, souriait et s'aigrissait. En 1807, on les disait au plus mal, encore que la demi-disgrâce qui avait frappé le prince de Bénévent parût. devoir diminuer la jalousie de Fouché[104]. Mais le public, qu'amusait celte rivalité, cette opposition d'origine, d'habitudes, de tempérament, de politique et d'allures se plaisait l'exagérer.

Quel ne fut donc pas l'étonnement de la société réunie, un soir de décembre 1808, chez Talleyrand, quand on vit le ministre de la Police, qui depuis longtemps n'avait pas passé le seuil de cet hôtel, apparaître au bras du martre de céans, affectant avec lui un air de cordiale bonhomie auquel le prince gracieux et empressé répondait familièrement ! L'entrée de ces deux parfaits acteurs fut excellente. Personne ne pouvait en croire ses yeux, écrit un témoin de la scène, et cette longue promenade dans les salons de la rue Saint-Florentin apparut tous, amis et ennemis de l'Empire, comme la plus grave des manifestations politiques qui se fût vue depuis longtemps[105]. Le rapprochement cependant datait de plusieurs semaines. Il était l'œuvre des circonstances, conseillères toujours écoutées des deux hommes d'État. Metternich, en faisant part à sa cour le 4 décembre, ne s'en étonnait pas : Deux hommes tiennent en France le premier rang dans l'opinion et dans l'influence du moment, MM. de Talleyrand et Fouché. Jadis opposés de vues et d'intérêts, ils ont été rapprochés par des circonstances indépendantes d'eux-mêmes. Et examinant cette communauté de politique, il la trouvait, du reste, conforme aux vœux d'une nation fatiguée à l'excès[106]. Les deux hommes avaient cherché un salon ami : il n'en manquait pas ; la princesse de Vaudémont les reçut à Suresnes, Mme de Rémusat en son hôtel[107] ; mais le véritable lien avait été le comte d'Hauterive. Cet ancien oratorien, devenu le bras droit de Talleyrand, avait, d'autre part, gardé du passé certaines relations cordiales avec l'ex-confrère Fouché. Plus, peut-être, que Fouché, Talleyrand savait sacrifier ses rancunes à ses intérêts : il était, du reste, éloigné des affaires ; il lui fallait, pour écarter l'Empereur, un homme encore puissant, actif et ambitieux. Il sollicita d'Hauterive de le réunir à Fouché. Celui-ci, à son tour convié, hésita, craignant d'être joué, affectant la rancune : d'Hauterive disculpa Talleyrand ; on avait travesti, envenimé ses propos sur le ministre de la Police. Fouché avait, lui aussi, besoin du prince : il accepta l'entrevue. Elle eut lieu à Bagneux chez d'Hauterive. Talleyrand tendit le premier la main au ministre, qui la prit, et les cieux hommes d'État eurent là un fort long entretien où furent débattues, dit-on, les plus hautes questions avec une finesse d'appréciation qui parait peu douteuse[108]. Quelles furent les vues qu'échangèrent, en ce mois d'octobre 1808, ceux que Metternich ne craignait pas d'appeler les deux conjurés ? Le diplomate autrichien assurait, d'après les on dit, qu'elles n'avaient rien en soi de séditieux ni de révolutionnaire. On voulait, au contraire, consolider le nouvel état de choses, reporter les regards de l'Empereur sur l'intérieur, travailler à une pacification générale[109]. C'était fort beau : mais ce haut loyalisme parait peu vraisemblable. Projeta-t-on une révolution contre l'Empereur ? Rien n'est moins certain d'autre part. Mais rien aussi ne paraît plus probable qu'une sorte d'alliance éventuelle en vue de la mort possible de Bonaparte[110]. Le bruit avait couru qu'ils avaient rêvé de s'imposer à Joseph. Le comte de Maistre, alors à Pétersbourg, se faisait l'écho de ce bruit[111]. Il est plus probable que Murat fut l'élu : là-dessus aucun renseignement certain, mais les on dit de Paris. Le bruit courut, au dire de Fouché lui-même, que le ministre avait organisé, entre Naples et Paris, une série de relais nouveaux pour faire arriver promptement le roi aux Tuileries[112]. Quelques semaines après, le ministre de la Police protestait contre ces on dit, ajoutant, d'autre part, sur sa prétendue intimité avec le prince de Bénévent, que des gens d'esprit devinaient bien qu'un rapprochement de ce genre n'avait pu être formé que pour l'inféra des deux faubourgs ; qu'il n'avait pu exister une confiance absolue entre deux hommes si différents par leurs opinions, par leur caractère et par leur position ; qu'il n'avaient pu se réunir que pour l'intérêt réel et évident de la dynastie Bonaparte[113], protestation qui, à certains égards, était un aveu.

L'entente dans tous les cas n'était pas niable. Les deux hommes lui avaient donné, au dire de Pasquier, un éclat que leur prudence aurait dû éviter, se croyant évidemment très forts par cette union ou assurés de la perte de l'Empereur[114]. Le même Pasquier crut ou sut comme tout le monde que Murat était l'élu de ces nouveaux Warwick. Il tenait de Savary et de La Valette que, dès février 1808, des ouvertures avaient été faites au grand-duc de Berg, commandant en chef de l'armée d'Espagne. Celui-ci espérait alors la couronne de Charles-Quint ; il avait repoussé les ouvertures. Il s'était trompé : Joseph était maintenant à Madrid ; Murat, profondément blessé à Naples ; Caroline, aigrie, était prête à tout contre l'Empereur. Mille froissements s'étaient depuis longtemps accumulés. Caro-hue, plus ambitieuse et plus capable que son mari, les avait fortement ressentis[115] : son amitié pour Fouché était réelle, sa liaison avec lui connue. Pasquier croit que la reine de Naples, alors à Paris, connut le fameux complot Fouché-Talleyrand à défaut de Murat. On en avertit le roi de Naples. Eugène intercepta la lettre, l'envoya à l'Empereur, assure Pasquier[116]. Savary, de son côté, affirme que l'Empereur reçut à plusieurs reprises, au cours de la guerre d'Espagne, des avis qui l'assombrirent[117]. Le comte Murat nous donne une version qu'il tire des papiers du fidèle ministre de Joachim, le comte Agar de Mosbourg. Peu de jours après la soirée où, au milieu d'une significative stupéfaction, on vit les deux antagonistes réconciliés se promener aux bras l'un de l'autre, Fouché reparut dans les salons de la rue Saint-Florentin. Pour enlever au dîner tout caractère de conspiration, on y avait convié Clarke. alors ministre de la Guerre, fort dévoué à l'Empereur. Mais après le départ du maréchal, les deux conjurés s'entretinrent fort longtemps à voix basse avec beaucoup de vivacité. Le secrétaire général de la police Saulnier, dès lors fort hostile à son patron, attablé à un jeu avec Jay, entendit Fouché prononcer assez haut quelques paroles violentes : Il faut en finir, etc. Saulnier avait alors adressé un rapport secret à Madame mère, qui aurait fait avertir l'Empereur[118]. D'après les rapports de police, il semble que ce fut Joséphine elle-même qui aurait paru prendre ombrage des entretiens suspects chez d'Hauterive, chez le comte de Rémusat[119], chez la princesse de Vaudémont et chez le prince de Bénévent, et les aurait dénoncés à l'Empereur[120]. La coterie de l'Impératrice espérait bien que Fouché y sauterait.

On le crut lorsqu'on apprit l'arrivée subite et inattendue de Napoléon. Celui-ci était à Valladolid le 17 janvier, rien n'indiquant que la campagne d'Espagne fût terminée. Il était depuis plusieurs jours très préoccupé, d'une extrême irritabilité, quand un courrier de Paris parut mettre le comble à son agitation. Il annonça aussitôt qu'il allait rentrer à Paris. Le 18 il était à Burgos, le 19 à Bayonne, car il brûlait les relais, et le 22 il s'installait aux Tuileries, sans avoir même averti Cambacérès. L'archichancelier, mandé en toute hâte, trouva l'Empereur exaspéré, fulminant[121]. Talleyrand et Fouché étaient deux traîtres que les plus mauvaises intentions avaient pu seules réunir ; il parut cependant à Cambacérès que l'Empereur attachait une assez médiocre importance au complot lui-même, qui lui paraissait puéril — au fond rien ne prouvait que l'exécution n'en fût pas subordonnée à sa mort, et l'Empereur, très personnel, se souciait assez peu de savoir si Joseph ou Murat le remplacerait — ; en revanche, il paraissait exaspéré des propos que Talleyrand avait tenus sur la campagne d'Espagne. Devant l'archichancelier muet et indécis, il s'exprima en termes très durs sur le prince de Bénévent, et, dès ce jour, Cambacérès put prévoir qu'il allait faire de celui-ci le bouc émissaire des péchés d'Israël[122]. C'est ce qui arriva en effet. Ce fut le lendemain 23 qu'eut lieu cette scène mémorable et en quelque sorte décisive qui fit de Talleyrand l'ennemi irréconciliable et mortel de l'Empereur. On connaît cet incident. Devant tous les grands officiers, ministres et courtisans assemblés, Napoléon s'emporta d'abord en vagues, mais violentes récriminations sur la façon dont on avait laissé s'égarer l'opinion publique, paroles qui semblaient viser avant tout le ministre de la Police ; puis, après des allusions acérées à ceux qui voulaient vendre la peau de l'ours, il se tourna brusquement vers Talleyrand immobile et adossé à la cheminée ; il marcha vers lui avec précipitation, et, toutes ses rancœurs, toutes ses rancunes contre le prince se faisant jour, rappela dans un flot de termes violents et presque grossiers le rôle odieux que jouait l'évêque apostat, le misérable, qui avait conseillé l'exécution du duc d'Enghien tout en s'en lavant les mains en public, le traître qui avait poussé à la guerre d'Espagne qu'il exploitait maintenant contre son maître, le malheureux qui avait spéculé sur ses fonctions, car il alla jusqu'à faire des allusions sanglantes à l'improbité, du reste notoire, du prince. Puis l'Empereur se retira, laissant les membres du gouvernement terrifiés... et probablement Fouché fort étonné. On prétend que c'est après cette scène, qui avait littéralement glacé d'épouvante les courtisans, que Talleyrand, pâle, mais souriant, prononça ces seuls mots qui vengeaient le grand seigneur du soldat brutal : Quel dommage qu'un si grand homme soit si mal élevé ! C'était un calme affecté ; aussitôt rentré, Talleyrand, malade d'émotion, s'alita ; quelques heures après, il était destitué de son titre de grand chambellan, et dans l'esprit du prince de Bénévent l'Empire avait vécu.

Fouché devait être fort ému ; si l'orage avait soudain fondu sur son complice, il en avait reçu de fortes éclaboussures : Apprenez, avait dit l'Empereur en enveloppant d'un seul coup d'œil les deux conspirateurs, que s'il survient une révolution nouvelle, quelque part que vous y eussiez prise, elle vous écraserait les premiers[123].

Tout le monde crut à la disgrâce de Fouché[124] ; ses ennemis se déchainaient en propos violents et tendancieux. La conspiration se trouva soudain commentée, exagérée, poussée au noir. Dans son propre salon, l'archichancelier répandait sur le ministre des bruits fort désagréables qui étaient colportés, accueillis avec faveur dans certains cercles des Tuileries[125]. Savary, Mme de Genlis, le gouverneur de la Banque Jaubert, Fontanes, organe de la coterie cléricale, le préfet de police Dubois triomphaient, s'indignaient ou raillaient[126] ; Fouché restait fort calme, parfois narquois, confiant dans la protection de l'Empereur. Tous ces bavardages, écrivait-il le 30 janvier, prouvent que les choses les plus utiles peuvent être empoisonnées, et que la situation du ministre de la Police est délicate, et deviendrait dangereuse si ce ministre n'avait une garantie dans le cœur de l'Empereur[127]. Il se défendait bien : son entente avec Murat était le fait d'imaginations en délire, son alliance avec Talleyrand toute de loyalisme[128]. Puis prenant corps à corps chaque adversaire, il en répétait les propos à l'Empereur avec un dédain affecté. On dit que l'Empereur a demandé le portefeuille du ministre de la Police. Le général Savary assure que l'Empereur est mécontent de son ministre, qu'il a manifesté son mécontentement à Valladolid sur ce qu'il avait des liaisons avec le prince de Bénévent et avec le faubourg Saint-Germain. On ne retrouve plus, a ajouté ce général, dans le ministre de la Police le caractère qu'il a développé au 3 nivôse. Ce général a changé d'opinion sur l'époque du 3 nivôse ; il en changera certainement sur celle d'aujourd'hui[129]. Habile évocation de cette affaire de nivôse restée l'Austerlitz de Fouché. La campagne contre lui continuait. Les alentours de M. l'archichancelier ont tellement accrédité ce bruit (la révocation), écrit Fouché, qu'il est en ce moment un sujet d'entretien pour tous les employés du ministère[130]. M. Jaubert, confident de Cambacérès, se fait partout l'écho de ces bruits[131], et M. de Fontanes s'exprime là-dessus avec beaucoup de gravité. Toutes les démarches de Fouché sont surveillées, commentées. Il a, dit-on, brûlé beaucoup de papiers à l'arrivée de l'Empereur ; Fouché répond qu'il en brûle sans cesse, le ministère en serait encombré[132]. Le ministre ne peut plus dîner en ville, recevoir ses amis, changer de secrétaire sans que tous ces actes ne soient interprétés de la façon la plus défavorable[133]. Il se défend, du reste, et lutte pour le portefeuille, ayant bec et ongles. Sa grande ressource était cette curieuse chronique qu'à partir de cette date et pendant dix-huit mois, il va joindre quotidiennement au bulletin officiel de la police. Cette chronique, dont il amuse l'Empereur, émane toujours de lui : Desmarest, rédacteur ordinaire du Bulletin, devenu suspect à Fouché, l'ignore ; parfois elle est écrite de l'écriture fine et pointue du ministre. Et, sous forme de rapports sur les dits, c'est un merveilleux plaidoyer. Fouché y rappelle ses services, ses preuves de dévouement à l'Empereur, y fait ressortir l'indiscipline que sèment partout les bruits propagés contre le ministre de la Police, l'inconvenance qu'il y a vis-à-vis de l'Empereur à préjuger de son avis ou à peser sur ses décisions ; le plus souvent il passe de la défensive à l'offensive, et c'est alors un massacre ; dans ces quelques mois, tous ses ennemis y passent, depuis l'archichancelier Cambacérès jusqu'à l'opiniâtre Fiévée, depuis le pédant M. de Fontanes jusqu'au sot préfet de police Dubois, depuis Savary jusqu'à l'abbé de Boulogne ; les Jaubert, les Hulin, les Bourrienne, les Decrès, les Clarke, les Fesch, bien d'autres encore sont attaqués, persiflés, minés, compromis, parfois de la façon la plus venimeuse, au sujet de leur passé, de leur conduite politique, de leur vie privée, de leurs actes de fonctionnaires et jusque de leurs aventures galantes et de leurs infortunes conjugales[134]. Nous aurons lieu d'y revenir. Ce jeu de massacre commence dès janvier 1809.

Fouché n'avait pas besoin de tant d'efforts. Napoléon ne voulait pas la mort du pécheur. Nous l'avons dit, il n'avait pas cru à la conspiration, ou, dirigée en somme contre ses légitimes héritiers plus que contre lui-même, elle l'avait peu préoccupé. Comment admettre qu'il eût, sans ces considérations, gardé dix-huit mois encore au ministère de la Police, gratifié du litre de duc d'Otrante et doté d'un nouveau trillion un homme qui, à en croire certains de ses conseillers, s'était rendu coupable du crime de trahison, complot et lèse-majesté ? À défaut de sa confiance, Fouché gardait son estime. Bien plus, Napoléon en avait peur, en arrivait à le ménager, chose rare. On le voit, dans une lettre du 27 janvier, biffer une phrase jugée vraiment trop blessante[135]. A part quelques ennemis, des jaloux, Fouché est réellement en excellentes relations avec tous, aristocrates et démocrates, sénateurs et conseillers d'État, évêques et généraux, financiers et avocats, ambassadeurs et princes de la maison impériale. Napoléon a assez d'un ennemi mortel dans Talleyrand. Il est inutile de donner un autre chef, plus actif que l'indolent prince de Bénévent, à l'opposition, et voilà l'Empereur qui la sent s'organiser, cette opposition ; la Bourse hostile s'obstine à baisser, vengeant Ouvrard et Hinguerlot, des amis de Fouché frappés par l'Empereur ; au Corps législatif, cette opposition s'est révélée très forte, forçant le gouvernement à retirer un projet de loi, et, le 30 janvier, Fouché peut se faire un mérite aux yeux de l'Empereur de n'avoir pas cherché des alliés dans cette assemblée, ce qui est dire qu'il en eût trouvé assez facilement[136]. Enfin, la guerre avec l'Autriche est imminente ; éternel rocher de Sisyphe, cette guerre perpétuelle pèse sur les décisions de l'Empereur : comment, à la veille d'une guerre redoutable, peut-être longue, désorganiser la police en la privant de son chef[137] ? Et Napoléon a beau regarder autour de lui, pas un homme n'est capable de prendre les rênes des mains souples et fermes de l'ancien proconsul. Savary est un séide sans finesse, ne peut rien, n'ose rien en l'absence de l'Empereur ; autant prendre Roustan ; Dubois est un sot, Napoléon est édifié à ce sujet, ne le maintient à la préfecture que contre Fouché ; Réal est maintenant la doublure de celui-ci, resterait sous son influence ou ne ferait rien. Le pire est que le nouveau ministre trouverait contre lui l'ancien, bien vu de tout le inonde, persuadé qu'il reviendrait et le persuadant aux autres, gardant des intelligences au quai Voltaire, allant siéger au Luxembourg et y intriguant ; somme toute, un ennemi dangereux. Car l'Empereur en est là : garder Fouché comme ministre presque dirigeant ou le laisser chef habile et redoutable d'une opposition gênante, cela en son absence, et peut-être en pleine crise. Fouché comprend si bien la situation, que lui, ie pacifique, cette fois pousse à la guerre qui le sauve.

II avait, à cet égard, changé de politique, ayant tout d'abord essayé de lier partie avec Metternich[138]. En 1808 il l'avait beaucoup fréquenté, s'était fort attaché l'ambassadeur autrichien, qui plus tard devait le servir, l'avait aidé à étouffer les bruits de guerre. II avait, du reste, à cette occasion, affirmé derechef son désir de paix, sa politique pacifique. Il s'était même exprimé en termes fort vifs sur la manie guerrière de son maître, désireux qu'il était de passer, aux yeux du corps diplomatique, pour le seul homme qui sût parler paix à ce gouvernement. Je trouve, avait-il déclaré, que la guerre avec vous ne serait pas seulement comme toute guerre un malheur, elle aurait le caractère particulier de jeter l'univers dans le vague, car où se trouveraient les bornes de ce fléau ? Quand on vous aura fait la guerre, il restera la Russie et puis la Chine. Enfin je déteste la guerre... Il avait même profité de la circonstance pour démolir, aux yeux de Metternich et du corps diplomatique, son collègue des Relations extérieures, Champagny : celui-ci n'avait pas de politique, simple secrétaire de l'Empereur et son porte-parole, si bien que lui, Fouché, devait apparaître aux cabinets européens comme le seul homme d'État de ce gouvernement de commis et de valets, et peut-être l'allié secret de l'Europe aux Tuileries. Cela se passait en juin 1808[139]. Il était resté dans ces relations avec Metternich en attendant qu'il entrât en rapports personnels avec le cabinet anglais et lord Wellesley. Metternich le goûtait, le consultait, le peignant à sa cour sous des couleurs favorables. Lui se grisait de ces entretiens diplomatiques et des rapports de ses agents à l'étranger qui le faisaient parfois mieux informé que Champagny. Il se croyait déjà aux Relations extérieures, sa grande ambition. L'Empereur essayait de le remettre, d'un mot dur, au quai Voltaire. Vos bulletins de police ne sont que des bulletins... de relations extérieures, devait-il lui écrire le 20 mai 1809[140]. De fait, les cabinets européens l'eussent vu probablement sans déplaisir à la place de Champagny ; il passait pour partisan à outrance de la paix.

Si donc, le 13 mars 1809, il poussait l'Empereur à cette guerre indispensable et politique[141], c'est qu'il avait ses motifs. Nous avons dit le principal. La guerre coupait court aux racontars, à la campagne d'antichambre et de salon dirigée contre lui, aux bruits et aux probabilités de disgrâce. Peut-être prévoyait-il réellement un désastre : la balle de Ratisbonne, l'échec d'Essling, le poignard de Frédéric Staps. Ne pourrait-on reprendre alors les projets brusquement interrompus en janvier ? Ne songeait-il pas aussi au divorce toujours et encore, et, après le divorce, au mariage ? Creuser un nouveau fossé entre la France et l'Autriche, entre la dynastie Bonaparte et le neveu de Marie-Antoinette, n'était-ce pas écarter tout projet d'alliance autrichienne et de réaction ? Il poussait donc à la guerre, mais s'en défendait près de Metternich. Car il lui semblait précieux, en vue d'une crise, de rester l'homme agréable au cabinet de Vienne. On le vit bien quand Metternich, qui ne se pressait pas de quitter Paris, la guerre déclarée, se trouva tout à coup l'objet des colères impériales[142]. Fouché, chargé de faire conduire le ministre autrichien à la frontière entre deux gendarmes, sut être gracieux, même en cette pénible circonstance et transforma les deux gardiens en un aimable officier capable de concilier avec la sévérité de sa mission les égards qui étaient encore dus au caractère dont M. de Metternich était revêtu[143]. Quand Metternich se mit en route le 26 mai, confiant à la garde du ministre de la Police sa famille qu'il laissait à Paris, le futur chancelier partait avec une grande estime pour celui qu'il devait maintenant si souvent rencontrer en face de lui[144].

Au moment où l'Empereur s'éloignait, laissant Fouché ministre tout-puissant, celui-ci n'était donc déjà plus l'homme d'État qu'on avait vu, de 1804 à 1808, s'appliquer simplement à faire triompher la Révolution dans l'Empire et l'ordre dans le pays. Le ministre de la Police s'est élevé à la situation beaucoup plus haute d'un véritable ministre de l'Intérieur, dans l'acception la plus large du mot. Et déjà son esprit, moins absorbé par les exploits des chouans de l'Ouest et des agents royalistes, plane au-dessus des petites besognes policières, s'élevant aux larges conceptions de la haute politique, rêvant de gouvernement intérieur avec Talleyrand, de politique européenne avec Metternich, et à tous, du faubourg Saint-Germain aux presbytères de campagne, des salons de Talleyrand à ceux de Cambacérès, des conciliabules du Sénat impérial à ceux des ministres du comte de Lille, des cabinets de Saint-James et de Vienne, enfin aux consistoires du Vatican, faisant reconnaître, à côté de la politique de Napoléon, la politique de Monsieur Fouché.

 

 

 



[1] Dubois à Réal et à Fouché, 18 floréal an X. A. N., collection d'autographes, n° 301.

[2] MUSNIER-DESCLOZEAUX, I, 219-227.

[3] MUSNIER-DESCLOZEAUX, I, 219-229.

[4] MUSNIER-DESCLOZEAUX, I, 219.

[5] FAURIEL, 225. — Mém. de Fouché. — MOLÉ, Mém. — PASQUIER, etc. Sauf la duchesse d'Abrantès, amie personnelle du préfet de police, les contemporains sont unanimes sur la sottise, l'improbité et l'incapacité de ce malheureux. Lorsque Pasquier fut, en 1810, nominé préfet de police, on disait qu'il allait avoir à nettoyer les écuries d'Augias.

[6] Napoléon à Fouché, 1er mai 1807. Corr., XV, 12499.

[7] Dubois à Napoléon, Dubois à Fouché, 15 mai 1807. A. N., AFIV, 1500.

[8] Rapport du préfet de police. Bulletin du 2 juin 1808. F7, 3715.

[9] Rapports de la préfecture. Passim, F7, 3832-3833.

[10] Rapports de la préfecture, F7, 3832-3833.

[11] GAILLARD, Papiers inédits. — Note de Fouché au bulletin du 3 fructidor an XIII, réfutant seulement une assertion de Dubois. A. N., F7, 3708.

[12] Bulletins de police, 6, 9 novembre 1897. A. N., F7, 3714.

[13] Rapports de la préfecture, ans XII et XIII, F7, 3832-3843.

[14] Sur cette première affaire Malet, cf. MUSNIER-DESCLOZEAUX, I, 219-227 (très important comme écho de Réal). DESMAREST (chef de la sûreté), Témoignages (nouv. éd., p. 242). LAFON, Malet. LEMAIRE, Malet. LIÉBAUD, Quelques mots sur deux ex-ministres. LA FAYETTE, Mém., V, 298. Mém. de Fouché. Comte DE CORNET, Souvenirs, 19. D'A. MALET. DURUY, Malet. P. GROUSSET, la Conspiration du général Malet. E. DANIEL, Hist. des deux conspirations du général Malet. Corr. de Napoléon, t. XVII. Lettres publiées par Lecestre, I, 200-219. Bulletins de police, juin, juillet, F7, 3715, et AFIV, 1503. Dossiers Malet, F7, 6499-6501. Nous ne renvoyons pas toujours à ces sources au cours de ce chapitre. Les détails sans références y sont empruntés.

[15] Une lettre du fils du général insérée aux dossiers existants en fait foi. F7, 6499.

[16] Il était en assez bons termes avec certains des amis de Demaillot, avait proposé, en 1806, Florent Guyot pour le poste de commissaire général de police. AFIV, 1245.

[17] LEMARRE, p. 17.

[18] Sources citées plus haut.

[19] Contre-rapport, F7, 6499.

[20] On sent déjà un grand désir de réduire à rien cette affaire dans le bulletin du 10, où l'on trouve noyée dans un flot de notes sur Puisaye, Prigent et les agents royalistes cette courte mention : Le général Malet, prévenu de manœuvres et d'intrigues contre l'État, et qui s'était soustrait, a été arrêté ce matin, ainsi que son épouse. Bulletin du 10 juin, F7, 3715.

[21] FOUCHÉ (Mém., I, 327) dit que Dubois l'accusa d'avoir averti Masséna de certaines charges qui pesaient contre lui.

[22] Note ministérielle. Bulletin du 24 juin 1808, AFIV, 1503.

[23] Nous ne possédons pas ce rapport, mais il fut renvoyé à Fouché, qui en fit faire la réfutation en même temps que l'examen, paragraphe par paragraphe, par Desmarest, ce qui nous a permis d'en connaître les allégations. Cette réfutation se trouve au dossier Malet, F7, 6501, et au Bulletin du 24 juin, sous forme d'observations ministérielles. AFIV, 1503.

[24] LA FAYETTE, V, 298, écrit : C'est à cette occasion que Bonaparte crut pouvoir m'envelopper avec quelques amis dans une accusation capitale, et l'ex-sénateur comte DE CORNET (p. 19) dit que Napoléon vit un instant dans l'affaire Malet une occasion de frapper le groupe libéral, dont il faisait partie. C'est, ajoute-t-il, Fouché qui détourna le coup de leurs têtes.

[25] Tout cela ressort d'un document fort intéressant contenu au dossier Malet, F7, 6501. Florent Guyot révéla ce complot au moment où il fut arrêté pour avoir pris part à la conspiration de Malet.

[26] Duchesse D'ABRANTÈS, IX, ch. III.

[27] Napoléon à Fouché, 10 juin 1808. Lettres, I, 199.

[28] Napoléon à Fouché, à Cambacérès, 17 juin 1808. Lettres, I, 204, 205. Napoléon à Dubois, 21 juin, I, 207.

[29] Napoléon à Clarke, 13 juin 1808. Lettres, I, 200.

[30] Napoléon à Fouché, 17 juin 1808. Lettres, I, 205.

[31] Note ministérielle, 16 juin 1808, AFIV, 1503.

[32] DE CORNET, p. 19. DESMAREST (nouv. éd., 242).

[33] Note ministérielle, 22 juin 1808, AFIV, 1503.

[34] Note ministérielle du 16 juin, AFIV, 1503.

[35] Note ministérielle, 24 juin, AFIV, 1503.

[36] Observations ministérielles, Bulletin du 24 juin, AFIV, 1503, et contre-rapport de Desmarest, F7, 6501.

[37] Napoléon à Fouché, 29 juin 1898. Lettres, I, 212.

[38] Napoléon à Cambacérès, 29 juin 1808. Lettres, I, 212.

[39] Napoléon à Cambacérès, 29 juin 1808.

[40] DE CORNET, p. 19.

[41] Note ministérielle du 14 juillet 1808, AFIV, 1503.

[42] Napoléon à Fouché, 13 juillet 1808. Corr., XVII, 14190.

[43] Le même à Cambacérès, 13 juillet 1808. Lettres, I, 215.

[44] Napoléon à Cambacérès, 17 juillet 1808. Lettres, I, 219.

[45] S'il faut en croire GAILLARD (Papiers inédits), Fouché ne cacha pas qu'il désapprouvait ces détentions.

[46] LIÉBAUT (du Jura), Quelques mots sur deux ex-ministres, 1815, p. 13.

[47] MUSNIER-DESCLOZEAUX, I, 222.

[48] Nous avons une preuve que le préfet continua à faire parvenir directement, et seulement à l'Empereur, des bulletins secrets. Le Bulletin d'autographes, de novembre 1897, n° 282, en publie un.

[49] Rapport du duc de Rovigo, 21 juillet 1810. Dossier Malet, F7, 6501.

[50] Florent Guyot au ministre de la Police, 1er janvier et 4 juin 1810, F7, 6501.

[51] LAFON, la Conspiration Malet (Lafon fut, on le sait, le compagnon de captivité de Malet). — Dossiers Sorbi, F7, 6465, 6519, 6526.

[52] LA FAYETTE, V, 298.

[53] DE CORNET, p. 19. Fouché semble admettre aussi qu'il sauva Masséna de tout dommage (I, 327).

[54] Cf. chapitre XIV.

[55] BOURRIENNE, V, 280, 297.

[56] LA VALETTE, II, 39.

[57] Note ministérielle, 16 octobre 1807. AFIV, 1501.

[58] MASSON, Joséphine, 349.

[59] MARCO SAINT-HILAIRE, Souvenirs. D'après les Mémoires de Fouché, qui parlent aussi de ce mémoire, Napoléon l'aurait lu et aurait montré à son auteur une certaine hésitation à y donner suite.

[60] SAVARY, III, 228. MARET, 581, dans Ernouf, 268. PASQUIER, I, 369. LA VALETTE, 39. Mém. de Fouché, I, 382, etc.

[61] Metternich à Stadion, 30 novembre, 6 décembre 1807 (METTERNICH, Mém., t. II, 140), et Mémoires cités.

[62] Napoléon à Fouché, 5 novembre 1807. Corresp., XVI, 13329. Elle est en somme sur un ton assez doux. Maret cependant affirmait que Fouché avait été réellement menacé par Napoléon de disgrâce si les bruits de divorce ne cessaient pas (ERNOUF, Maret, 268), et Savary crut cette disgrâce imminente (III, 228).

[63] SAVARY, III, 228.

[64] PASQUIER, I, 369.

[65] METTERNICH, II, 140. LA VALETTE (II, 39), cousin et confident de Joséphine, croit aussi que la démarche fut inspirée par l'Empereur ou tout au moins vue sans mécontentement.

[66] Fauche-Borel à lord Grenville, 1808 (FAUCHE-BOREL, Mém., III, 254). FOUCHÉ (Mém., I, 382) dit aussi que Joséphine demandait qu'il fût chassé.

[67] Napoléon à Fouché, 5 novembre 1807. Correspondance, XVI, 13329.

[68] Note ministérielle, 17 novembre 1807. AFIV, 1501.

[69] Note ministérielle, 17 novembre 1807. AFIV, 1501.

[70] Napoléon à Fouché, 30 novembre 1807. Correspondance, XVI, 13373.

[71] Note ministérielle, 4 décembre 1807. AFIV, 1501.

[72] Note ministérielle, 4 décembre 1807. AFIV, 1501.

[73] Note ministérielle, 4 décembre 1807. AFIV, 1501.

[74] Napoléon à Maret, 6 décembre 1807. Correspondance, XVI.

[75] Note ministérielle, 15 janvier 1808. AFIV, 1502.

[76] Note ministérielle, 29 janvier 1808. AFIV, 1502.

[77] Note ministérielle, 14 mars 1808. AFIV, 1502.

[78] Note ministérielle, 22 mars 1808. AFIV, 1502.

[79] Note ministérielle, 6 avril 1808. AFIV, 1502. Il devait aller plus loin encore, rappeler le 6 janvier 1810 (AFIV, 1519) à l'Empereur, à propos d'un incident sans gravité, que Joséphine avait eu jadis une intrigue avec le général Hoche.

[80] Napoléon à Fouché, 21 mai 1808. Lettres, I, 294.

[81] Note ministérielle, 24 mai 1808. AFIV, 1502.

[82] Ibid., 22 juin 1808. AFIV, 1502.

[83] Napoléon à Cambacérès, 7 juin 1808. Correspondance, XVII, 14110.

[84] SAVARY, III, 228.

[85] Sur le conseil de Fiévée. — WELSCHINGER, La censure sous le premier Empire.

[86] Napoléon à Fouché, 13 juin 1808. Lettres, I, 200.

[87] Napoléon à Fouché, 11 juin 1803. Lettres, I, 199.

[88] Bulletins des 8, 9, 10, 15, 16, 17 juin 1803. F7, 3715, et dossier Prigent-Puisaye, F7, 6480-6482. E. DAUDET, 289, 329.

[89] Il frappait à la même époque un autre agent actif, Hyde de Neuville, revenu d'Amérique, le faisait arrêter le juillet 1808 et mettre au château d'If. Dossier Hyde de Neuville, F7, 6251.

[90] Bulletins de police, 22, 24, 25, 27 juin, 8 juillet, 2, 5, 17 août 1808. F7, 3715-3716, et dossier Prigent, Goyon-Vaucouleurs, F7, 6432. Notamment l'envoi de Bouchard à Jersey. Cf. E. DAUDET, 289, 329.

[91] Rapport de Fouché à l'Empereur. Dossier F7, 6480.

[92] Bulletins des 7, 8, 9, 12 octobre 1808. F7, 3716. Dossier F7, 6480, pièces diverses.

[93] Note ministérielle, 1er août 1808. AFIV, 1503.

[94] Les notes ministérielles de juillet 1808 nous mettent au courant de toute cette curieuse mission. Bulletins des 27, 30 juillet 1808. AFIV, 1503.

[95] Il essayait à cette époque de conquérir la très inaccessible amitié de Chateaubriand, à propos de la publication des Martyrs que l'Empereur entendait empêcher. Mme DE CHÂTENAY, II, 78.

[96] Bulletin de juin 1808. F7, 3725.

[97] On est initié d'une façon bien intéressante à cette étroite surveillance par les Bulletins des huit derniers mois de t808. On avait été jusqu'à désarmer tous les villages voisins (Bulletin du 28 mai), et, pendant que les abords de Valençay étaient sévèrement espionnés, on suivait consciencieusement à Paris dans leurs moindres démarches des amis de Ferdinand, le chanoine Escoïquiz et le duc de San Carlos. (Bulletins 1808-1809. F7, 3715-3718.)

[98] Fouché avait en effet déconseillé l'expédition d'Espagne. Mém., I, 364, 366.

[99] Fiévée à l'Empereur, août 1808, II, 354. Quelques semaines avant, Fiévée avait essayé d'exciter pour d'autres motifs l'Empereur contre Fouché. Il se plaignait que grâce à celui-ci l'esprit de la Révolution reprit de l'ascendant, ajoutant, qu'on répandait le bruit que quelques sénateurs ayant été compromis, fussent-ils coupables, ils seraient jugés par le Sénat seul.

[100] Napoléon à Fouché, 14 mai 1808. Correspondance, XVII, 13882.

[101] Sur toute cette affaire Chateaubriand : Bulletins de décembre 1808 à février 1809. F7, 3717. Dossier Chateaubriand, F7, 6484. — R. DE CHÂTEAUBRIAND, Mémoires d'outre-tombe. — DAUDET, 303-322.

[102] Mém. de Fouché, 364-366. Sur les sentiments de Fouché à cette époque au sujet de l'avenir de l'Empereur, cf. Mém., 375-377.

[103] GORSAS, Mémoire sur Talleyrand.

[104] Bulletin du 27 juillet, F7, 3713.

[105] PASQUIER, I, 353.

[106] METTERNICH, Mémoire rédigé à Vienne le 4 décembre 1808. (Mém., II, 140.)

[107] PASQUIER, I, 353. — Mme DE RÉMUSAT, I, 43. — ARTAUD, le Comte d'Hauterive, p. 265. — Note ministérielle du 30 janvier 1800. AFIV, 1505.

[108] ARTAUD, D'Hauterive, 266. PASQUIER, I, 353. MOLLIEN, III, 7.

[109] METTERNICH, Mém. rédigé à Vienne, 4 décembre 1808. (Mém., II, 240.)

[110] MOLLIEN, III, 7, croyait, quoique hostile aux deux complices, à une conspiration aux dépens, non seulement de l'Empereur, mais de ses successeurs légitimes.

[111] Le comte J. de Maistre à son gouvernement, décembre 1509. Correspondance, 227.

[112] Note ministérielle, 9 février 1809. AFIV, 1505.

[113] Note ministérielle, 1er février 1809. AFIV, 1505.

[114] PASQUIER, I, 353.

[115] Mme DE RÉMUSAT (Mém., ch. VI) rapporte une anecdote bien significative à ce sujet.

[116] PASQUIER, I, 354-360. Il dit aussi que La Valette avait averti l'Empereur de la fameuse soirée où Fouché avait paru à l'hôtel de Talleyrand.

[117] SAVARY, IV, 37-41.

[118] Le comte MURAT, Murat en 1808, d'après les papiers du comte Agar DE MOSBOURG. Note empruntée in extenso à ces papiers.

[119] PASQUIER, I, 353.

[120] Note ministérielle, 30 janvier 1809. AFIV, 1505.

[121] MOLLIEN, III, 7, dit que l'Empereur affirmait hautement avoir eu connaissance d'un plan consenti entre Talleyrand et Fouché pour détacher de lui l'opinion publique.

[122] THIERS, écho ici des Mémoires inédits de l'archichancelier, et précieux à consulter (Histoire de l'Empire). Le comte Agar de Mosbourg dit que Fouché fut mandé incontinent aux Tuileries ; l'Empereur l'accabla de reproches, en rappelant le lieu et le jour de chacune de ses entrevues avec Talleyrand, et en citant au milieu de plusieurs autres propos ceux qu'on lui avait rapportés ou qu'il supposait, les paroles que Saulnier avait entendues. Fouché se disculpa habilement. Comte MURAT, Murat en 1808.

[123] MOLLIEN, III, 7.

[124] Note ministérielle du 3 février 1809, AFIV, 1505 ; MOLLIEN, III, 7.

[125] Note ministérielle du 30 janvier, AFIV, 1505, et Bulletin du 7 février 1309, F7, 3713.

[126] Notes de janvier et février 1800, AFIV, 1505.

[127] Note autographe de Fouché au Bulletin du 30 janvier 1809, AFIV, 1505.

[128] Note au Bulletin du 30 janvier 1809, AFIV, 1505.

[129] Note ministérielle du 3 février 1809, AFIV, 1505.

[130] Note ministérielle du 7 février 1809, AFIV, 1505.

[131] Note ministérielle du 9 février 1809, AFIV, 1505.

[132] Note ministérielle du 13 mars 1809, AFIV, 1505.

[133] Notes ministérielles du 3 avril 1809, du 18 avril 1809, AFIV, 1505.

[134] Note aux Bulletins, janvier 1809-juin 1810 (AFIV, 1505-1510).

[135] LECESTRE, lettre du 27 janvier (Lettres, I, 279).

[136] Note ministérielle du 30 janvier 1809, AFIV, 1505.

[137] PASQUIER, I, 356, dit que l'imminence de la guerre d'Autriche sauva cette fois le ministre de la Police.

[138] SAVARY, IV, 43.

[139] Metternich à Stadion, 23 juin 1803 (Mém., II, 173).

[140] Napoléon à Fouché, 20 mai 1809 (Lettres, I, 312).

[141] Bulletin du 13 mars 1809, AFIV, 1505.

[142] Napoléon à Champagny, 27 avril 1809 (Correspondance, XVIII, 15132).

[143] Fouché à Champagny, 18 avril 1809 ; Metternich à Champagny, 20 avril 1809 ; Champagny à Fouché, 7 mai 1809 ; d'Hauterive à Fouché, 23 mai 1809 (Arch. Aff. étr., Vienne, 382-383).

[144] ARTAUD, D'Hauterive ; METTERNICH, Mém., I, 72.