FOUCHÉ (1759-1820)

PREMIÈRE PARTIE. — FOUCHÉ DE NANTES (1759-1799)

 

CHAPITRE VIII. — UN DIPLOMATE DU DIRECTOIRE.

 

 

Réapparition de Fouché. Trois ans de misères. Mission sur les frontières d'Espagne. — Fouché et la conspiration de Babeuf. — Le taudis de la rue Saint-Honoré.  — Les aumônes de Barras. — Exil de Fouché dans la vallée de Montmorency. Découragement et plaintes du malheureux. — Ses relations continuent avec Barras. Celui-ci obtient pour Fouché les fournitures de l'armée d'Angleterre. — Fouché se lance dans les affaires ; ses relations avec les financiers Hinguerlot et Walkiers ; la Société de Saint-Ouen. Naissance d'un nouveau fils. — Réaction royaliste : le parti a la majorité aux Cinq-Cents. — Fouché offre ses services au parti royaliste, qui les repousse. Il pousse alors au coup d'État de fructidor. — Fouché reparait ouvertement. Il est nommé ministre près la République cisalpine.
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Situation de la Cisalpine. Politique de la France en Lombardie. Anarchie des pouvoirs. Plaintes des diplomates. — Les coups d'État. — Trouvé favorise le parti réacteur. Instructions données à Fouché. Il quitte Paris. Émoi général que provoque à Milan cette nomination. — A peine arrivé, Fouché assiste les bras croisés à un coup d'État accompli par le général Brune en faveur du parti démocratique. — Il proteste faiblement. — Il a été en réalité complice du coup d'Etat ; répercussion à Milan des luttes intérieures du Directoire. — Réception solennelle du nouveau ministre. — Déchaînement démagogique à Milan. Fouché réagit. Arrivée du général Joubert : projets de Fouché sur lui. — Invasion menaçante des Autrichiens. Activité de Fouché. — Il est destitué : son successeur Rivaud a mandat de le faire arrêter. — Fouché se retire à Turin avec la caisse de l'ambassade, et reprend le chemin de Paris. — Il le prend de haut avec le Directoire. — Il complote en faveur du général Joubert. Il arrache au gouvernement sa nomination en Hollande. — Situation de la République batave. But de cette mission ; conférences avec Daendels et Brune ; il fait décerner à celui-ci le commandement en chef de l'armée batave. Activité avec laquelle il prépare la résistance à l'invasion anglo-russe. — Il est nommé ministre de la police générale et reprend sans tarder le chemin de France.

 

Le citoyen Trouvé, ministre plénipotentiaire à Milan, est remplacé par le citoyen Fouché (de Nantes), lisait-on dans le Moniteur du 15 vendémiaire an VII (6 octobre 1798). L'étonnement fut Grand à Paris, puis à Milan, et aussi l'effroi à la réapparition soudaine de ce nom qu'on jugeait sinistre. Qu'était devenu ce revenant depuis le jour où il avait sombré dans l'oubli ? Il avait vécu misérablement, péniblement, de raccrocs, de pitiés habilement exploitées, avait politiqué humblement, beaucoup spéculé, et soudain, par un de ces coups dont sa vie devait être pleine, revenait au jour, ambassadeur de la République.

Au lendemain de Vendémiaire an IV, il s'était littéralement enseveli dans l'oubli ; il ne lui restait de Vendémiaire, de Thermidor, qu'une amitié précieuse, celle de Barras. Exclu du nouveau Corps législatif, il se montra dans les antichambres du directeur, alors au pinacle, sollicitant une place qui lui donnât le moyen de ne pas mourir de faim[1]. Un jour, il disparut de la rue de la Convention, où il avait élu domicile. Où était-il ? On l'ignorait ; aussi bien on s'en occupait peu : Une mission aux Pyrénées dont on n'a jamais connu le motif, écrit Fabre de l'Aude, l'avait éloigné de Paris.

Il avait en effet reçu une double mission. La guerre continuait avec l'Europe : mais depuis que les représentants en mission n'étaient plus là, le pays ne fournissait qu'avec difficulté et parcimonie hommes et argent, munitions et approvisionnements. Il fallut envoyer des agents militaires, hommes fermes, dit Barras, exercés à rencontrer les difficultés et à ne pas les craindre. Barras jeta son dévolu sur l'homme de Lyon et lui fit donner l'agence des 10e et 11e divisions[2]. Il dut partir dans l'hiver de 1795 ; le 19 frimaire an IV, il était encore à Paris, dont il datait une lettre. L'ex-représentant fit de Narbonne le centre de ses opérations : là, peu désireux encore d'enrayer, car il ne pouvait être cordialement du parti des satisfaits, il fréquenta assidument les jacobins du lieu[3]. Il s'était cependant fait attribuer par le ministère des relations extérieures une autre mission. Dès le 13 frimaire, il avait sollicité et obtenu de coopérer à la délimitation des frontières entre la France et l'Espagne. Il faisait, à cette occasion, valoir qu'ayant été professeur de sciences, il serait le commissaire idéal dans un pays dont la flore n'a presque pas été visitée (sic). Il avait soumis au Directoire un rapport sur la démarcation des frontières, plein encore de déclamations démocratiques[4].

Cette double mission ne parut pas avoir réussi au gré du Directoire. A peine revenu, ce jacobin impénitent fut prié de ne pas séjourner à Paris, exilé dans la vallée de Montmorency[5]. Carnot et Barras connaissaient cet esprit dangereux, remuant, tout prêt à pousser aux entreprises : on avait honte de l'employer, mais on le craignait inoccupé, mécontent et sans espérance, d'autant qu'on frappait alors les babouvistes, dont il avait été le conseiller le plus écouté et dont il pouvait encore inspirer les complots et la résistance[6].

Depuis quelques mois cependant, Fouché s'était éloigné de la société du Panthéon : Babeuf avait, le 23 germinal, répudié lui-même les conventionnels, ajoutant a qu'il fallait des hommes neufs[7]. Fouché subit donc vraisemblablement, une fois de plus, injustement peut-être, le contre-coup de l'échec subi en la personne de Babeuf, par l'idée jacobine, et alla expier, dans une nouvelle disgrâce, une amitié compromettante, quoique déjà répudiée. Peut-être aussi Barras voulut-il tout bonnement se débarrasser d'un solliciteur importun, car c'est dans cette attitude humiliée que nous le présente l'ex-directeur, quémandant une placette pour subvenir à ses besoins[8]. Cette affirmation paraît démentie par une lettre fort digne de prairial an V où il protestait qu'il ne demandait, et n'avait jamais rien demandé au gouvernement directorial[9]. Il y avait quelque mérite, car le malheureux était réduit à une véritable gêne. Dès 1792, le soulèvement des noirs l'avait privé des propriétés de Saint-Domingue ; la créance sur les biens perdus dont il entretenait sa sœur, le 30 pluviôse an VII, ne rapportait plus dès ce moment que des espérances[10]. Quant aux biens du Pellerin, Fouché constatait à la même époque que les désastres de Vendée les avaient mis en fort mauvais état[11]. On prétendait à Nantes que dès septembre 1792, le nouveau député avait dû, pour faire figure, se faire habiller de pied en cap à crédit chez un marchand de drap qui ne fut payé que fort longtemps après[12]. Les missions n'avaient pas dû l'enrichir, car le 27 floréal an III il se déclarait, malgré son vif désir, incapable d'acheter à bas prix des biens nationaux qu'il convoitait, n'avant que le nécessaire[13]. Il s'était, au dire de Barras, au retour de sa mission, réfugié dans un véritable grenier avec sa femme, dont le rancunier directeur nous fait à cette occasion un peu séduisant portrait, et l'unique enfant qui restât au ménage, non moins roux que ce couple hideux, ajoute Barras, albinos véritable, mais qui n'en était pas, comme de raison, moins cher à ses parents. Il aurait encore, toujours au dire de l'ancien directeur, essayé du commerce des porcs pour nourrir son marcassin, ce qui donna lieu avec un associé, un ancien collègue de la Convention, à un procès que Barras étouffa par un arbitrage. En réalité, le futur duc d'Otrante vivait, semble-t-il, des aumônes du Directoire, pour le compte duquel il taisait une police secrète dont Barras nous fournit en ses Mémoires quelques curieux rapports[14].

Est-ce pour couper court à tout cet espionnage, qui peut-être s'exerçait aux dépens des collègues de Barras lui-même, ou pour les raisons que nous avons énoncées plus haut, que Fouché se trouva soudain, au comble de la disgrâce, exilé à Montmorency ? Il s'y achemina le 10 nivôse, dans les pensées les plus amères[15]. Le misérable subit là une des rares crises de désespérance que nous offre cette vie d'ambitieux tenace. Réellement, il semblait en une impasse : la haine de ses adversaires de la Convention, les accusations des départements, la réaction violente qui l'avait un instant menacé de la déportation, l'avaient, sans doute, moins consterné que cette indifférence hostile, cette méfiance sans remède, et par-dessus tout, ce complet oubli. On ne le croyait même plus digne de l'injure : dans ses lettres de Paris, écrites en 1795, Peltier, le publiciste royaliste, ne le nommait qu'une fois sous le nom de Fouquet de Nantes, pour le flétrir, mais perdu dans la tourbe des gens sans valeur[16] ; on parlait encore de Le Cointre, de Legendre ou de Bourdon, on ignorait déjà Fouché. On n'en parlait du moins que pour l'accabler : à Nantes, on prétendait qu'il avait odieusement pêché en eau trouble et qu'il était fort riche. Lui s'exaspérait à cette accusation injuste. Les misérables ! écrivait-il à sa sœur le 13 nivôse an V, si je leur ressemblais, j'aurais en effet beaucoup de richesses. A ma place, ils auraient fait une fortune immense. Comment concevoir que j'ai tout sacrifié à la patrie, et qu'il ne me reste que mon travail et mes talents ?... Dites à ceux qui croient les contes qu'ils débitent, que je fais la remise à qui voudra des châteaux et de tout ce que j'ai acheté depuis la Révolution, je lègue tout sans réserve[17]. Pour comble, cet homme, si bon père, était cruellement éprouvé. Il perdait son second enfant, son louveteau, comme disait Barras. Je suis proscrit, écrivait-il désespéré au Directeur le 9 thermidor an IV, et je viens de perdre le seul enfant qui me restait pour me consoler des injustices et des méchancetés des hommes. Il est donc dit, ajoutait-il avec découragement, que je sois destiné à pleurer éternellement. Et faisant sur cet anniversaire, qu'il célébrait si tristement, un retour mélancolique, il laisse déborder sa haine et sa rancune. Jurons une haine profonde à toutes les factions ; elles sont la cause de tant de désordres, de crimes, de malheurs et de destructions, Adieu, salut et amitié solide[18].

De Montmorency, on le voit, ses relations continuaient avec Barras : le 28 thermidor, en effet, il lui écrivait encore, et, toujours entêté dans son jacobinisme irréductible, le mettait en garde contre ses collègues réacteurs, à propos des destitutions dont on frappait les fonctionnaires républicains. Ah ! mon ami, défiez-vous de la perfidie qui vous entoure. On s'attache à vous comme le serpent autour du corps qu'il veut déchirer[19].

Le directeur se laissa toucher ; à la fin de 1796, Fouché reparut à Paris : Barras commençait-il à s'effrayer des progrès rapides de la réaction royaliste, qui allait aboutir aux élections de mai 1797, et pensait-il déjà à s'appuyer sur les éléments jacobins, ou tout au moins à les ménager ? Quoi qu'il en soit, ne pouvant employer Fouché officiellement — les directeurs s'y opposaient —, il lui avait fait obtenir du général Schérer les fournitures de l'armée d'Angleterre, riche proie qui pouvait mener Fouché à la fortune[20]. Il avait vu la misère de trop près, pour ne pas désirer dès lors passionnément la richesse, à défaut du pouvoir, ou comme moyen d'y parvenir. Là encore, il se montrait d'ailleurs l'homme des circonstances. Il n'avait qu'à regarder autour de lui, pour constater qu'à l'âge des grands principes, des luttes héroïques et des sanglantes répressions succédait, comme toujours, celui des grandes affaires et des spéculations profitables. Maximilien l'avait prévue et prédite, cette heure néfaste où feraient souche les Rovère et les Tallien. Peut-être n'allait-il pas jusqu'à prévoir les Ouvrard et les Hainguerlot, protégés des Barras et des Talleyrand. Ces financiers du Perron avaient soudain pris le haut du pavé, et tout le monde à leur suite jouait, spéculait, achetait, vendait ; terres d'émigrés, châteaux abandonnés, dépouilles de sacristies, biens nationaux à bas prix, fournitures des armées, entreprises de contrebande, tout donnait lieu à spéculations, coups de bourse et coups de dé. Hainguerlot et Ouvrard étaient les rois du jour ; Fouché s'attacha au premier, plus tard au second ; il consulta le financier, s'associa à lui, le récompensa fort plus tard par une constante protection ; Hainguerlot était alors poursuivi devant le tribunal de Melun pour affaires véreuses ; Gaillard, l'ex-professeur d'Arras et de Juilly, présidait ce tribunal. Fouché spécula de son amitié, recommanda le financier. Celui-ci associa le précieux personnage à l'affaire, le poussa, le conseilla, l'aidant, non seulement à fonder sa colossale fortune, mais à se créer dans ce milieu financier, toujours influent, d'utiles relations qu'il continuera à cultiver toute sa vie. Dès lors, il commençait à y fréquenter fort, car nous le voyons s'associer encore à un autre financier, le banquier Walkiers, de Bruxelles, qui, lui, tripotait dans les affaires de la contrebande et dans la fourniture des armées[21]. D'autres affaires l'associèrent à Réal, encore une compagnie de subsistance militaire, la Société de Saint-Ouen. Les bureaux étaient rue Thrane[22]. Fouché en ht son quartier général, d'autant plus décidé à forcer la fortune qu'un fils venait de lui naître, le 7 germinal an V (27 mars 97), Joseph-Liberté Fouché, nouveau stimulant pour ce père passionné dans son opiniâtre lutte contre le destin contraire.

Il entendait que cette lutte se portât sur tous les terrains, car ces spéculations financières de tout ordre ne l'absorbaient pas assez, pour qu'il ne continuât à suivre d'un œil sagace les choses et les gens de la politique. A entendre Barras, celui-ci parait avoir décidément fait en cette année 1797 de l'ex-représentant un agent actif et quotidien de sa police secrète[23]. Cette honorable fonction lui permettait de suivre, pour son propre compte aussi, les mouvements de l'opinion. Les royalistes l'emportaient aux élections de mai 1797 ; les Cinq-Cents, en majorité réacteurs, portaient au Directoire leur coreligionnaire, le royaliste Barthélemy. Jamais Louis XVIII ne parut plus près du trône. Cette situation semble avoir ému Fouché, s'il faut en croire un contemporain qui se dit instruit personnellement de toute cette affaire. Ses principes républicains ne pesaient déjà plus guère alors et Barras le connaissait bien quand, en dépit du rôle de jacobin tenace que jouait son policier, il disait à un ami : Vous connaissez mal Fouché : il n'y a pas de conventionnel mieux revenu de son délire. II n'en est aucun surtout de plus convaincu de l'impossibilité de l'existence de la République. Fouché aurait justifié, au dire de Fabre de l'Aude, cette opinion arrêtée ; il aurait tenté hardiment d'entrer en relation avec les chefs royalistes, en vue de faire contribuer les anciens révolutionnaires à la Restauration, sûr moyen de la désarmer. Il parut sans doute alors personnage trop mince ou trop odieux ; l'abbé de Montesquiou, l'agent de Louis XVIII en France, repoussa dédaigneusement, avec un étonnement scandalisé et une grande dureté de termes, les offres de services de Fouché[24]. Rapprochement curieux, c'est ce même abbé Montesquiou qui, en mars 1815, devait pousser Louis XVIII, menacé par Bonaparte, à prendre pour ministre le régicide, qu'en 1796 on refusait même comme agent inférieur. En messidor an V, on croyait la Restauration assurée par les moyens légaux ; ni Barras, ni à plus forte raison Fouché ne semblaient nécessaires.

Et cependant il eût été prudent peut-être de s'assurer de pareils concours. Il était dangereux de rejeter ces habiles du parti jacobin, aux abois et décidés à tout, dans le camp de la République menacée.

Les refus mêmes qui furent opposés à l'odieux régicide, si le fait est vrai, durent singulièrement le confirmer dans ses craintes de représailles, et par conséquent dans son hostilité à toute Restauration. Fouché poussa délibérément Barras à Fructidor[25]. D'après une des victimes du coup d'État, ce fut l'ex-proconsul de Lyon qui, dans des conciliabules tenus à la veille de Fructidor, entre les directeurs, Barras, Larévellière, Rewbell d'une part, Sieyès, Merlin et Fouché d'autre part, se fit le défenseur du coup d'État pur et simple contre la majorité du Corps législatif, faisant écarter toutes idées de procès et de jugement : Où trouver des preuves et des juges ? aurait-il dit cyniquement. D'accusés, ils deviendront bientôt accusateurs ; l'esprit public est trop mauvais pour courir une chance aussi périlleuse. La force est pour nous en ce moment, profitons-en pour anéantir d'aussi redoutables ennemis des patriotes[26].

Il n'était pas bon d'être parmi les ennemis de Fouché : Thermidor et Vendémiaire l'avaient déjà prouvé ; le 18 fructidor, le sabre d'Augereau compléta pour la fortune de Fouché ce qu'au 13 vendémiaire avait commencé le canon de Bonaparte. Thermidor l'avait sauvé de l'échafaud, Vendémiaire de la proscription ; Fructidor le sauva de l'obscurité et de l'oubli. Les deux directeurs Barthélemy et Carnot arrêtés, les Conseils décimés, le parti royaliste écrasé, un fort coup de barre était donné à gauche. Il était naturel que les républicains, restés en apparence fidèles à l'idée jacobine, reparussent dès lors, réclamant les dépouilles du parti vaincu. On vit donc Fouché de Nantes, sinon employé officiellement, du moins ouvertement reçu chez Barras[27]. Celui-ci se faisait, dès lors, son protecteur plus actif, le recommandant tous les jours à l'attention des directeurs, lui épargnant même les contre-coups du 22 floréal, si fatal aux jacobins extrêmes, le défendant d'être un terroriste, et finalement enlevant sa nomination à la légation de Milan, le 14 vendémiaire an VII[28].

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C'était donc grâce à cette haute protection que, soudain, Fouché reparaissait sur la scène politique avec un titre officiel qui avait pour Barras et le Directoire le double avantage de le satisfaire et de l'éloigner. Cette mission exigeait un esprit délié et au besoin une main ferme, car elle jetait l'ex-représentant dans un imbroglio particulièrement difficile.

Cette malheureuse République cisalpine, établie depuis quelques mois, vivait dans une continuelle anarchie, fruit d'une situation réellement intolérable. La France l'avait, à sa naissance, grisée des mots capiteux d'indépendance et de liberté. Mais, sous prétexte que la jeune République italienne, dotée d'un gouvernement national, avait cependant besoin, dans ses premiers pas, de tuteurs et de précepteurs, sa grande sœur lui en avait donné d'assez rudes dans la personne de ses agents et de ses généraux[29]. La République cisalpine, écrivait le 6 floréal an VI le citoyen David, secrétaire de la légation à Milan, a deux législations : les ordres de nos généraux et les décrets de ses représentants ; elle a deux gouvernements : les états-majors français et son Directoire ; elle voit s'élever des lois contre des lois : l'action des uns détruit celle des autres, et le peuple, fatigué de tant de contradictions, ne sachant pas auxquels obéir, se dégoûte du gouvernement républicain. Le pire était qu'il n'y avait pas deux, mais trois, mais souvent quatre pouvoirs. Car la République française, non contente de donner à sa jeune sœur un tuteur galonné, lui en fournissait deux autres : le ministre et l'agent financier. Devant les yeux du peuple italien stupéfait et du Directoire cisalpin atterré, ces agents français entraient en conflit et se disputaient l'influence. Le rude et brutal Brune commandait alors le corps d'occupation. Aux représentations du diplomate David, il avait récemment répondu par des paroles hautaines, encore qu'empreintes d'une certaine vérité : Il faut cette sévérité pour contenir les Italiens ; tant que nous la conservons, ils sont à nos genoux. Si nous y renonçons un moment, ils se relèvent et deviennent insolents et dangereux ; du reste, le gouvernement regarde l'Italie comme un pays conquis ; il veut qu'on la traite de la sorte, qu'on en retire tout le parti possible, et tant que je commanderai l'armée, je ferai craindre et respecter le nom français. Et comme sanction de ce soldatesque langage, il s'était, par un arrêté du 4 germinal, attribué un pouvoir proconsulaire. Alors que doit faire l'ambassadeur de France ? écrivait David. S'il obéit à la puissance militaire, il compromet la dignité de son caractère ; il renverse tous les principes de la hiérarchie et de la séparation des pouvoirs, et dans l'un comme dans l'autre cas son rôle a quelque chose de très inconvenant : il invite, quand les généraux ordonnent ; s'il agit par lui-même, il se trouve en contradiction avec une autorité plus forte que la sienne ; il semble, par ses discours, reconnaître l'indépendance d'un gouvernement auquel d'autres gens prouvent en même temps par leurs actes que cette indépendance est chimérique, et qu'il n'en conserve pas même l'apparence[30]. Cette protestation résumait bien les griefs du diplomate contre le soldat, que soutenait généralement l'agent financier, autre tyran, exacteur patenté, recueillant, en deniers comptants, les fruits de la terreur que semait le général. Mais parfois aussi certains conflits personnels jetaient l'agent financier dans le camp de l'ambassadeur, et enfin les trois hommes se trouvaient réunis fort souvent pour terroriser, et au besoin bouleverser le gouvernement légal du pays.

On en avait eu un exemple récent. Le ministre Trouvé, que Fouché allait remplacer, avait entretenu de fort mauvais rapports avec le général Brune et, soutenu par l'agent financier Faypoult, affiché une violente hostilité au Directoire de tendances jacobines que le général lui-même, par un coup d'État, avait installé au pouvoir en prairial an VI. Puis le général Brune, s'étant laissé persuader par le diplomate, avait consenti à détruire son propre ouvrage, et d'accord les trois agents avaient préparé un nouveau coup d'État, cette fois au bénéfice du parti aristocratique. Le 15 fructidor an VI, Trouvé avait, avec la complicité ou tout au moins la neutralité du général, modifié le Directoire, épuré les conseils, et imposé une nouvelle constitution aux cisalpins[31]. Le parti démocratique, poussé peut-être par Brune lui-même, protesta avec énergie, se plaignit à Paris, tant et si bien que le Directoire sembla lui donner satisfaction, en rappelant Trouvé, envoyé à Stuttgard, et en le remplaçant par ce pur démocrate, le trop fameux Fouché de Nantes[32].

Le Directoire entendait cependant s'en tenir, vis-à-vis des adversaires de Trouvé, à cette seule satisfaction. Les instructions conférées le 12 vendémiaire à Fouché lui enjoignaient de laisser les choses dans le statu quo. Le gouvernement français prit soin d'en avertir le général Brune qu'on savait capable de revenir sur le coup d'État du 15 fructidor. Le citoyen Fouché est chargé expressément, écrivait le Directoire au général, de maintenir, de perfectionner l'organisation actuelle de la Cisalpine et d'employer tous les moyens pour empêcher qu'en voulant revenir sur ce qui a été fait, on ne porte atteinte à la tranquillité publique. Et dans une lettre, écrite après le départ de Fouché, le 15 vendémiaire, le Directoire insistait sur le caractère conservateur de la mission de Fouché. Celui-ci, d'autre part, était chargé d'empêcher entre la jeune République et ses voisins tout conflit qui pût l'exposer de la part du Piémont, de la Toscane et de l'Autriche à de fâcheuses représailles[33].

Muni de ses instructions et de ses lettres de créance, le nouveau ministre avait quitté Paris le 13 avec sa femme ; le 16, il atteignait Chambéry, et, repris de l'activité fébrile et parfois exagérée qu'on lui avait connue à Nevers et à Lyon, il promettait d'inaugurer ses fonctions en dissipant des rassemblements formés dans le val d'Aoste. Le 21 vendémiaire, il arrivait à Milan[34].

Sa nomination y avait causé le plus grand émoi. Si le Diario de Minola se contente de signaler, à cette date, l'arrivée de l'ex-proconsul, ce n'est pas sans trembler que Marelli rappelle, dans le sien, que le nouveau ministre, le fameux Fouché de Nantes, s'est fort distingué dans la Révolution française. Vincenzo Monti essayait vainement de se rassurer, déclarant, dans une lettre du 26 vendémiaire, qu'on jugerait l'homme à l'œuvre ; mais il ne se dissimulait pas les vilains bruits qui couraient. Si l'on doit croire, écrivait le poète italien, le bruit qui court, il a été un des commissaires à Lyon quand on mettait en œuvre la mitraille pour suppléer à la guillotine. Sa physionomie, ajoutait Monti, ne présage rien de mal cependant : c'est un homme de quarante-cinq ans. Il a été prêtre, et a actuellement une femme, mais fort laide (ma brutta)[35]. Trouvé, très mécontent de son éloignement, renchérissait, écrivant au Directoire que la nomination de Fouché avait inspiré le plus vif effroi, et à son cousin, le général Leclerc, que la réputation de l'ancien ministre causait une si grande frayeur que, à peine instruites de son arrivée prochaine, nombre de familles se disposaient à fuir[36].

Le redouté ministre arriva très fatigué ; sa santé, réellement débile, s'accommodait mal des longs voyages ; le passage des Alpes l'avait éprouvé. Au surplus, le prétexte était excellent pour couvrir l'opération qu'il avait fort probablement préparée, mais dont il entendait ne pas endosser la responsabilité ; se sentant, disait-il, trop las pour entrer en fonction au débotté, il pria Trouvé de conserver deux jours encore la gestion de la légation ; il l'assura, du reste, dans une entrevue extrêmement cordiale, qu'il entendait suivre les instructions du Directoire, respecter la nouvelle constitution et le nouveau gouvernement cisalpin, auquel il adressait le jour même sa demande d'audience solennelle[37]. En attendant, écrivait le nouveau ministre le 24, je ne néglige rien pour sonder les dispositions des esprits et connaitre le véritable état des choses, afin de les diriger, ou de les ramener promptement dans le véritable sens de vos instructions générales et particulières. Il avait vu le terrible Brune, et, à l'en croire, celui-ci avait paru agréer le caractère conservateur de sa mission[38].

Il affecta donc la plus violente surprise quand, le 28 au matin, on vint lui apprendre que, dans la nuit, le général avait opéré une nouvelle révolution au profit du parti démocratique : cinquante-huit députés étaient chassés des conseils, et remplacés par des jacobins ; les directeurs Luosi et Adelasio avaient été contraints de signer leur démission ; un troisième, Sopransi, l'avait opiniâtrement refusée, et annonçait l'intention de ne quitter que par la force le palais directorial[39]. A en croire la lettre de Fouché au Directoire, il avait alors couru chez Brune, qui lui avait mis sous les yeux une lettre du Directoire, l'autorisant à faire les changements qu'il croirait convenables[40]. Le ministre semblait fort irrité de n'avoir pas même été préalablement consulté, et il ajoutait sur un ton froissé : J'espère qu'à dater de ce jour, il n'arrivera plus aucun changement sans ma participation. Cette intervention réitérée du pouvoir militaire là où réside l'ambassadeur de la République française ne pourrait se concilier avec la dignité de mon caractère : il est, au contraire, dans l'ordre des choses comme dans la volonté du gouvernement que l'ambassadeur français soit constamment auprès de la République cisalpine le seul organe de toutes les relations et négociations politiques. Cela est nécessaire si l'on veut laisser croire au gouvernement cisalpin qu'il est indépendant, et surtout si l'on veut que les puissances étrangères croient à son indépendance. Il ajoutait, du reste brièvement, que ces événements n'altéraient point les sentiments d'amitié et d'union qui existaient entre le général Brune et lui[41].

Cette lettre, où l'ambassadeur se drapait dans une souveraine dignité, sauvait les apparences. Qu'y avait-il de vrai dans l'indignation qu'affectait Fouché en face du coup d'État du 27 vendémiaire ? Comment expliquer, s'il y était si hostile, la bonne volonté avec laquelle cet homme si plein de sa dignité admet cette lettre du Directoire à Brune, l'autorisant assez vaguement à faire les changements qui lui paraissaient propres ? Comment expliquer sa persistance, sa croissante amitié avec le général Brune, puis le général Joubert, après ce prétendu affront si profondément ressenti par le diplomate de la part de l'autorité militaire ? Comment expliquer encore sa conduite, si favorable au nouveau Directoire, que lorsque le gouvernement français voudra provoquer un coup d'État qui doit détruire l'œuvre de Brune, il se croira obligé de destituer, de faire expulser d'Italie son ministre devenu l'ami des démocrates milanais ? Comment expliquer tout cela, sinon par une neutralité feinte, couvrant une réelle bienveillance pour les jacobins de Milan ou le général Brune ? Les hypothèses sont permises. Il y avait alors au Luxembourg deux partis tranchés qui prônaient une politique différente : d'un côté, Barras et Sieyès — encore qu'ils se détestassent — ; de l'autre, Merlin, Larévellière et Treilhard. Fouché se rattachait au premier parti : Barras était son protecteur, et il convoitait l'amitié de Sieyès. A l'âcreté avec laquelle Larévellière avait défendu Trouvé et son œuvre, on peut supposer que Barras et Sieyès n'avaient pas peu contribué à en désirer l'anéantissement. C'étaient eux qui avaient demandé et obtenu l'envoi de Fouché après le rappel de Trouvé. Peut-être les conseils secrets des deux hommes à leur protégé n'étaient-ils pas parfaitement d'accord avec les instructions officielles que le gouvernement avait confiées à son ambassadeur. Au reste, Fouché, resté jacobin, nous l'avons vu, encore qu'à la veille de cesser de l'être, ne couvait répugner à un coup d'État fait dl] profit du parti démocratique de Milan contre les aristocrates ; enfin le fait même que Brune l'avait voulu lui paraissait assurément une raison déterminante à l'accepter. Fouché, comme Sieyès, avait certainement, dès cette époque, bon idée de derrière la tête : la Révolution était en mal de dictature depuis que Bonaparte avait canonné Saint-Roch, et Augereau sabré le Corps législatif. Un général comme Brune, capable d'exécuter si prestement trois coups d'État en cinq mois, semblait homme à ménager, peut-être à adopter pour l'avenir. Ces considérations nous portent à croire que Fouché fut, sinon le complice actif, du moins le complaisant témoin du coup d'État qui s'accomplit au lendemain de son arrivée[42].

Il parut, du reste, vouloir lui donner, tout au moins, la sanction de son silence, s'étant mis une fois pour toutes en garde, par sa lettre du 28, contre les récriminations qu'il prévoyait de Larévellière-Lépeaux et de ses amis.

Lorsque, menacé d'être expulsé manu militari par Brune, Sopransi adressa à Fouché une protestation, du reste très digne, il trouva l'oreille d'un sourd. Même aventure arrivait aux députés expulsés, qui, allant de Trouvé à Fouché, de Fouché à Trouvé, recevaient de l'un la réponse qu'il n'était plus ministre, de l'autre que sa santé ne lui permettait pas de l'être encore[43].

Au surplus, vis-à-vis du personnel même de la légation, fort hostile, comme son ancien chef Trouvé, au nouveau coup d'État, Fouché croyait dégager sa responsabilité, en affirmant qu'il pouvait, en toute conscience, se laver les mains de ce qui se passait : il avait reçu, expliquait cet habile casuiste à son premier secrétaire David, la mission de reconnaître le fait accompli : il arrivait que le fait accompli se trouvait autre, peu devait lui importer. C'était au Directoire, être moral, qu'il devait se présenter, sans s'inquiéter des individus qui le composaient, ni de la manière dont on les y avait placés, démontrait-il à David, peu séduit par cette politique de Ponce-Pilate[44].

Ce qui alarmait les amis de Trouvé et du Directoire renversé, c'est qu'en effet le ministre français allait donner une sanction officielle au coup d'État, en se présentant au nouveau gouvernement. L'ancien Directoire avait donné rendez-vous pour le 30 vendémiaire au nouveau ministre : le 18, on lui avait changé son personnel ; l'étrange ambassadeur affecta de ne s'en point apercevoir.

Il fut clone reçu le 30 par le Directoire, au milieu d'un grand déploiement de pompe, en présence du général en chef, de son état-major, du corps diplomatique et d'un immense concours de citoyens fort curieux de contempler le fameux Fouché de Nantes, ou d'étudier son attitude en ces singulières circonstances. Naturellement le ministre des relations extérieures du nouveau gouvernement — jacobin, on s'en souvient — n'eut garde d'oublier, en présentant l'ancien proconsul au Directoire, la ferme énergie que le citoyen Fouché avait jadis déployée pour assurer le triomphe de la liberté, affirmant qu'il trouverait à Milan de constants compagnons de lutte. Mais ce qui excitait au plus haut point la curiosité, c'était la harangue qu'allait prononcer l'ex-proconsul. Il fut vague, pompeux et creux. Après un éloge, en style magnifique, de la République et de la Révolution française, il délaya, pendant une demi-heure, la pensée qu'il fallait former la Cisalpine à l'image de son ainée, faire des âmes de ses habitants, des âmes républicaines, et cela surtout par le spectacle fréquent des fêtes civiques. Il ne sortit de cette phraséologie que pour affirmer, le besoin s'en faisant sentir, l'absolue indépendance où la République cisalpine était placée vis-à-vis du gouvernement de Paris, et, pour le corps diplomatique, s'indigner du délire de l'Europe refusant de croire aux intentions glorieusement pacifiques de la République française. Le président du directoire cisalpin salua le grand pays à qui était dû, en Italie, le réveil des idées de patrie, de liberté et d'indépendance, ajoutant : Quant à vous, citoyen ambassadeur, c'est avec un transport de joie que le Directoire exécutif vous voit vous installer près de nous, comme l'organe le plus désigné qui puisse être choisi par vos vertus républicaines et votre caractère franc, des sentiments d'attachement loyal et de reconnaissance qui lient la République cisalpine à la République française[45].

Pendant que Fouché s'installait ainsi officiellement à la tête de sa légation, Milan était le théâtre d'une forte réaction jacobine. Le cercle constitutionnel (Cercle jacobin), fermé par les amis de Trouvé, fut rouvert, et le 3 brumaire le Termometro politico dégageait bien le sens du coup d'État du 27, en se réjouissant du nouveau bienfait de la France envers la République cisalpine : la chute de l'oligarchie réactionnaire[46]. Des députations jacobines venaient remercier le général en chef et le nouveau ministre, regardé dès lors comme le fauteur du coup d'État jacobin.

La presse soudain dotée de la liberté illimitée et les clubs rouverts ne tarissaient pas en propositions d'un démagogisme extravagant, reportant Fouché à cinq ans en arrière, aux beaux jours de Nevers et de Lyon. Des législateurs cisalpins, ses émules, demandaient que l'on fixât à 30.000 livres le maximum des fortunes, que l'on s'emparât du surplus. Un autre, le député Scazza, trouvait inutile tout système financier autre que celui des miles chez les riches. L'alarme fut bientôt générale : agriculteurs et propriétaires, négociants, industriels, artisans se montraient inquiets : le crédit baissait, à mesure que pleuvaient les propositions extravagantes.

Ce n'est pas tout : les assemblées primaires, ayant été convoquées pour votez la constitution, donnèrent le spectacle de scènes scandaleuses de basse démagogie. Sous les voûtes gothiques du Dôme de Milan, comme jadis sous celles de la cathédrale de Nevers, les mesures les plus extrêmes furent prônées en chaire. Des querelles s'ensuivirent, violentes, des bagarres qui menaçaient de devenir sanglantes[47].

L'ancien proconsul de Nevers regardait, pensif, son ilote ivre. De haut, tout ce remous démagogique lui paraissait extrêmement répugnant, et, qui pis est, dangereux. Dès le 8 brumaire, il avait consulté David, son premier secrétaire, sur les moyens d'arriver à un gouvernement plus raisonnable. Ne pouvant, ni ne voulant revenir sur les mesures prises, il s'efforçait d'enrayer, au grand mécontentement de certains agents.

Ce qui les irritait plus encore, c'était l'intention hautement affirmée de mettre fin à l'état d'anarchie scandaleuse que leur rivalité entretenait. Le réel sens gouvernemental dont Fouché allait, sous peu, donner de si éclatantes preuves, se révoltait devant cette situation lamentable. En arrivant de Milan, écrivait-il, j'ai trouvé les affaires de la République dans une véritable anarchie. Des généraux, des commissaires de finances, des agents spéciaux du Directoire, agissaient de leur propre autorité, faisaient des négociations, et traitaient directement avec le gouvernement cisalpin..... J'ai résolu de terminer cette espèce de lutte, et d'extirper des abus aussi préjudiciables aux intérêts des deux peuples. J'ai pensé que l'ambassadeur était le seul organe du gouvernement français auprès du gouvernement cisalpin..... Je crois que hors de ce système il n'y a que confusion, désordre, contradictions dans nos démarches, avilissement du gouvernement cisalpin, et dilapidation de ses ressources[48]. Le 9 frimaire, il adressait au directoire cisalpin un message dans ce sens[49]. Mais dès le 23, ses efforts, à l'entendre, étaient couronnés de succès, puisque, à cette date, il écrivait qu'il avait recouvré toute l'autorité qui convenait à l'ambassadeur français[50].

Il avait immédiatement usé de cette autorité pour prendre une attitude qui stupéfia ses amis de la veille, les jacobins des clubs, fit imposer silence aux journaux qui croyaient lui plaire en insultant Trouvé, protecteur de Sopransi, intervint pour forcer le ministre de la justice à poursuivre l'auteur d'une brochure outrageante pour le ministre de Naples, et essaya de réduire à rien l'influence du cercle constitutionnel[51].

Cette volte-face s'expliquait assez naturellement par le départ du général Brune. Ce brave soldat, appelé à l'armée des Pays-Bas, venait de quitter Milan, exprimant, avec une franchise toute militaire, sa satisfaction de s'être vengé avant de partir[52], ce qui donnait une haute idée de son tact gouvernemental. Son successeur, le séduisant général Joubert, parut soudain à Fouché, plus que ce brutal soudard, l'homme de la Destinée. Des relations courtoises s'établirent[53], bientôt transformées en solide amitié qui Rit devenue une utile amitié, si la mort n'eût fauché, à la fleur de l'âge, celui que Fouché destinait au rôle de Bonaparte[54]. Joubert venait préparer la guerre : pour en faciliter les apprêts, il rendit à Fouché un premier service, il le réconcilia, pour un instant, avec l'agent financier Amelot[55]. De très grandes préoccupations assaillaient toute cette petite colonie de représentants français. L'Autriche allait rompre la paix de Campo-Formio, entrainant avec elle une partie de l'Europe. La malheureuse Cisalpine, vassale de la France, allait être la première menacée, les troupes autrichiennes de la Vénétie et du Trentin n'étant pas à cinq journées de marche de Milan. Paralysée par ses dissensions et par les brusques changements survenus, en cinq mois, dans son personnel gouvernemental, la République italienne restait inactive. Fouché entendait cependant qu'elle ne fût pas seulement le champ clos où Joubert allait se heurter aux généraux autrichiens : il fallait que la république alliée pourvût ou tout au moins contribuât à sa défense[56]. Il était, nous le verrons maintes fois, l'homme de ces crises : actif, accommodant, industrieux, et sachant surtout réveiller, exciter, faire marcher chacun. Dès le 9 frimaire, il sembla le porte-parole autorisé, le collaborateur le plus actif du général. C'est en son nom qu'il adressait, à cette date, de sévères observations au directoire cisalpin, sur le mauvais esprit du peuple des frontières, l'inertie du gouvernement au milieu d'un pays dont l'indépendance, la liberté, l'existence étaient l'enjeu de cette guerre[57]. Il organisait un vaste système d'espionnage, embauchant sans hésitation les émigrés français qui passaient d'un camp dans l'autre, s'entourant sans scrupule d'un monde taré, mais précieux[58]. Le général Joubert l'encourageait, le soutenait, le prisant fort.

C'est au milieu de ses préparatifs qu'il apprit soudain qu'il était menacé de disgrâce. Le parti Larévellière l'emportait au Directoire ; l'agent Amelot, froissé de l'omnipotence du ministre, envoyait à Paris plainte sur plainte. On parlait de se débarrasser d'un représentant gênant, intrigant ; on craignait son amitié même avec Joubert, redouté d'une partie du Directoire.

Fouché eut vent des rapports envoyés contre lui. Le 13 frimaire, il adressait à Talleyrand, ministre des relations extérieures, une lettre justificative : il faisait ressortir la sagesse et la fermeté de sa politique, sacrifiant, du reste, Brune jugé compromettant, mais affirmant de nouveau qu'il n'avait été ni son complice, ni sa dupe ; qu'il avait refusé de partager ses petites passions, qu'il n'avait servi que la patrie. C'est pour la servir qu'il n'avait pu ni voulu exécuter tous les ordres du Directoire, car il en était dont l'exécution en Italie pouvait favoriser les plans des ministres étrangers et de leurs cours. Il avait dénoncé leurs complots avant qu'ils éclatassent. L'ouverture de la guerre ne justifiait que trop, malheureusement, ses prédictions[59].

Cette lettre, très digne, très pondérée, assez exacte, partait trop tard. Dès le 5 frimaire, Fouché était disgracié : Rivaud, nommé à sa place, devait accomplir la tâche à laquelle se refusait Fouché, en face d'une invasion imminente : désorganiser, pour un nouveau coup d'État, le gouvernement cisalpin, arracher le pouvoir aux démocrates, fâcheux gouvernants peut-être, mais déjà initiés aux affaires de l'heure présente, pour le restituer aux amis de Trouvé. La défiance contre l'ex-proconsul était même si grande, on le savait si tenace dans ses plans, si décidé à se cramponner à cette place, qu'on confiait à son successeur non seulement l'arrêté rappelant le ministre disgracié, mais encore un mandat d'arrêt destiné à être utilisé au cas où l'opiniâtre politicien refuserait de quitter l'ambassade, Milan et l'Italie[60].

Le 26 frimaire, le nouvel ambassadeur arrivait à Milan, et presque immédiatement par un nouveau coup d'État — le quatrième en six mois — remettait au pouvoir le parti aristocratique[61]. Fouché n'avait pas attendu cet événement si contraire à sa politique et aux intérêts de la France. Il avait quitté, le 26, Milan, ulcéré, mais raflant, au dire de Larévellière, comme souvenir de son éphémère pouvoir, la voiture, les chevaux, le linge, et quantité d'objets appartenant à l'hôtel de l'ambassade[62]. Par surcroît ce bon père de famille n'ayant touché naturellement, en trois mois, crue le quart du traitement attaché à sa charge, enleva le reste, et s'enfuit ainsi avec la conscience de n'avoir pas du moins travaillé pour l'honneur[63].

Du reste, il gardait moins l'attitude d'un agent disgracié que celle d'un prince détrôné faisant ses conditions. Il s'était réfugié à Turin, près du général Joubert, qui, suivant l'expression de Barras, donnait raison à Fouché envers et contre tous : il semblait disposé à y attendre, au besoin à provoquer de là un revirement nouveau qui le ramenât à Milan. Rivaud, inquiet, s'exaspérait d'une pareille attitude[64]. Il se décida à recourir aux grands moyens ; le 30 frimaire, il signifiait au commandant de la gendarmerie l'ordre d'arrêter et d'expulser par la force son tenace prédécesseur. Fouché n'attendit pas la garde. Il abandonna Turin dans les premiers jours de nivôse[65] et rentra à Paris le 20 (9 janvier 1799)[66].

Il avait de nouveau mordu au pouvoir, puis avait dû lâcher prise, mais il n'était pas découragé[67]. Les événements lui donnaient raison en Italie ; il reparut avec une assurance étonnante après sa résistance opiniâtre aux ordres du Directoire, 'chez Talleyrand, chez Barras, chez Sieyès, au Luxembourg. Il parlait de l'Italie avec compétence et importance. L'envoi de Rivaud était une chose absurde, le rétablissement du gouvernement oligarchique, dévoué aux Autrichiens, leur ouvrait les portes de Milan, et aussi sûrement du reste les inévitables dissentiments du nouveau ministre avec le général Joubert. Il triomphait des défaites en Italie pendant le printemps de l'an VII, si persuadé que lui seul pourrait tout sauver qu'il parlait de reprendre incontinent le chemin des Alpes pour présenter la Révolution elle-même en la personne d'un régicide aux despotes coalisés qui la voulaient détruire, de la leur opposer comme la tête de Méduse[68]. Pour le moment, c'était bien au gouvernement lui-même qu'il produisait l'effet de la tête de Méduse. Il ne se contraignait guère, faisait entendre à l'égard du Directoire qui ne l'employait pas d'étranges menaces ; l'armée d'Italie était mécontente... il croyait devoir avertir les directeurs qu'une armée irritée pouvait devenir funeste à des usurpateurs. — Le Directoire s'inquiéta, s'irrita, essaya de le supprimer, donna ordre de l'arrêter. Fouché disparut, se cacha, puis, l'orage passé, reparut plus audacieux que jamais ; il avait calmé Barras, conquis Sieyès. Bien des gens croient apercevoir, écrivait le ministre de Prusse rendant compte de ces incidents[69], dans ces faits et dans ceux de Joubert un germe de désordres et de troubles entre le Directoire et l'armée. On associait en effet déjà Joubert et Fouché : cette hypothèse faisait trembler le Directoire ; et quand on se décida à éloigner par une nouvelle mission le gênant politicien, les directeurs écartèrent de prime abord la légation de Milan, jugeant inutile, dit Barras, de le réunir de nouveau à l'apprenti dictateur[70].

Le fait est que Fouché s'employait fort en faveur du jeune général, poussait Sieyès à le faire nommer gouverneur de Paris. Lui-même, décidé à rentrer à tout prix dans la carrière, intriguait autant qu'il le pouvait. L'auteur des Mémoires assure que, rencontrant un obstacle irréductible en Larévellière el Merlin, il contribua plus que personne au coup d'État de prairial art VII (18 juin 1799), qui, en expulsant du pouvoir les directeurs qui lui étaient hostiles, assura à ses protecteurs Barras et Sieyès la prépondérance au Luxembourg[71]. Ce nouveau coup, dans tous les cas, le tirait de sa laborieuse oisiveté : s'il n'en fut pas réellement l'inspirateur, il en fut le premier bénéficiaire ; le 30 prairial, les trois directeurs, ses ennemis, tombaient : le 16 messidor, moins de trois semailles après, on lui remettait le pied à l'étrier, en l'expédiant, non aux Alpes, mais au Rhin, en Hollande[72].

Ce pays semblait aussi sûrement menacé que la Lombardie d'une prochaine invasion, celle des Anglais, et là aussi on pouvait craindre que les dissensions civiles ne livrassent, comme une proie facile, à l'ennemi une des marches de la République, un des États vassaux de la France. La Hollande, depuis 1795 république protégée par la Franco, était réellement partagée entre la peur de l'Anglais et celle du Français : la faction aristocrate des Stathoudériens, partisans de la maison d'Orange, longtemps opprimée par le parti patriote, se remuait et semblait près de prendre sur ce Directoire très modéré une influence qui exaspérait les jacobins. Ceux-ci, dès lors, accusaient le gouvernement de trahison, voulaient entrainer les représentants de la France à un coup d'État analogue à celui de Milan, pour s'installer à la place des suspects[73]. L'ambassadeur, le citoyen Lombard (de Langres), avait quelque peu encouragé, chez les gens avancés, ces factieuses espérances[74]. Cela n'avait pas peu contribué à éloigner de la France le directoire batave menacé, qui ne trahissait pas, mais montrait une certaine tiédeur pour la grande République sœur, une morne apathie dans la préparation de la résistance, et une réelle défiance du général Brune, commandant en chef des troupes de Batavie[75]. Le gouvernement français estimait qu'on ne pourrait opposer aux Anglais une résistance sérieuse qu'en réunissant dans la même main le commandement des troupes françaises et bataves. Les Bataves, de leur côté, effrayés sans doute surtout par la personnalité du général français, craignaient, écrivait le premier secrétaire de la légation Desmaziers le 19 messidor, it que l'autorité du général français ainsi établie ne devint une sorte de droit positif, sur lequel il ne leur serait pas possible de revenir[76]. Dans tous les cas, Lombard avait complètement échoué dans cette négociation.

Il fallait le remplacer par un homme habile autant qu'actif. Barras poussa Fouché, le fit accepter. Le 16 messidor (4 juillet 1709), un décret directorial nommait le citoyen Fouché de Nantes ministre plénipotentiaire près la République batave.

Le nouveau ministre plénipotentiaire dut se rendre, sur l'heure, chez Talleyrand, qui lui donna ses instructions, et reçut ordre de partir le lendemain matin[77]. Détail typique, il dut retarder ce départ de quarante-huit heures, le gouvernement n'ayant pas trouvé dans ses caisses de quoi défrayer le nouveau diplomate de ses frais de voyage[78]. Il partit enfin le 19. Le programme que lui avait communiqué Talleyrand était simple : il devait s'assurer l'amitié du général Daendels, alors tout-puissant en Hollande, et obtenir avec son appui la remise entre les mains de Brune du haut commandement ; subsidiairement, rassurer les Bataves sur l'avenir de leur indépendance, s'ils restaient fidèles à la France, les exciter à la défense contre l'Anglais, et veiller, au besoin, à ce qu'une organisation sérieuse fût donnée-à cette défense, en un mot secouer ce que le successeur de Fouché. devait appeler la lenteur hollandaise.

Jamais mission ne fut remplie avec plus.de rapidité et d'habileté. Le 19 messidor (7 juillet 1799), Fourché de Nantes quittait Paris, muni, outre ses lettres de créance, de missives pour les généraux Daendels et Brune[79], la fortune associant une fois de phis le souple professeur au rude soldat. Le 23, Fouché arrivait à La Haye, es faisant part à Talleyrand[80]. Le jour même, l'actif agent voyait Daendels, qu'il pressa, écrivait-il, avec tant de franchise, tant d'abandon, tant de chaleur d'idées et de patriotisme, que les deux interlocuteurs se trouvèrent bientôt dans cette intimité qui ouvre les âmes, et qui en laisse échapper les secrets. Daendels ne laissa pas seulement échapper ses secrets : séduit, il prit immédiatement des engagements tels, que l'ambassadeur se croyait autorisé à répondre de lui à Talleyrand. Quelques heures après cette entrevue, Brunie, averti, arrivait à la légation, et conférait longuement avec Fouché, sur les moyens de défense tant matériels que moraux à mettre en jeu[81]. Enfin le ministre engageait immédiatement avec le gouvernement batave la négociation principale. Quatre jours suffirent pour la mener à bien. Le résultat fut excellent : tout en sauvegardant les droits du gouvernement et de l'armée hollandaise, en en ménageant la juste susceptibilité, le protocole assurait l'unité dans le commandement. Il se traduisit par un décret du 27 messidor du directoire batave, mettant les troupes de la république sous le commandement du général français[82].

Le jour où il remportait cet éclatant et prompt succès, Fouché était reçu solennellement par le gouvernement batave. Il avait désiré l'être le 14 juillet, anniversaire cher à son cœur[83]. Amené en grand cérémonial au sein du directoire, et assis dans un fauteuil vis-à-vis du corps directorial, le nouvel ambassadeur prononça un discours fort habile. Il ne niait pas les défaites passagères qui éprouvaient la patrie — Jourdan avait été battu à Stokach, en mars ; Scherer à Magnano ; Moreau à Cassano, en avril ; Masséna avait évacué Zurich, au commencement de juin ; Milan, puis Turin étaient tombés entre les mains de Sovarov, et la république cisalpine avait disparu dans la tourmente, ce qui créait à Fouché une situation assez fausse au sein de l'autre république protégée — ; mais ces défaites, ajoutait-il, allaient redonner à la patrie, ainsi qu'à ses alliés, une vigueur nouvelle. La lutte était de nouveau engagée entre le crime et la vertu, l'ignorance et la lumière. La France, balancée sur l'abîme où l'on voulait la précipiter, allait sentir que l'activité et l'audace sont aujourd'hui les conseils de la sagesse. Une nécessité s'imposait à tous ; il fallait se défendre. La France comptait sur la République batave. Le président Hœth répondit par d'aimables banalités sur l'amour où la Hollande tenait la République française. Il était convaincu que le citoyen Fouché écarterait tous les ferments de malentendus. Les Bataves, ajoutait le président en réponse aux soupçons de Lombard de Langres, ne sont ni aristocratiques, ni anglomanes (sic)[84].

C'est le lendemain de cette réception officielle que le directoire batave communiqua à Fouché le décret qui, en nommant Brune généralissime, comblait les vœux du gouvernement français. Fouché y répondit en engageant chacun à l'activité et au patriotisme sous ce chef valeureux[85]. Sous son inspiration, le directoire batave venait, en effet, de lancer une vigoureuse proclamation, appelant les Hollandais à défendre les institutions républicaines contre l'aristocratie et les Anglais, forçant ainsi le gouvernement, accusé de trahison par les jacobins, à rompre ouvertement avec l'adversaire[86]. Les places étaient enfin mises en état de défense[87]. De concert avec Brune, Fouché surveillait les préparatifs, déployant la fermeté hautaine d'un commissaire aux armées : cette activité s'expliquait du reste, car on apprenait à la fin de messidor qu'une flotte russe, partie de Cronstadt, et portant dix mille Anglais et Russes, était destinée à les débarquer en Hollande, tandis qu'une autre expédition s'organisait dans la Tamise[88]. Le 3 thermidor, le ministre, toujours très satisfait de lui-même, écrivait : Le Directoire, en comparant ce qui existait avant mon arrivée et tout ce qui s'est fait, pourra juger si j'ai bien employé mon temps... Dans quelques jours, cette république sera dans un état de défense respectable, elle sera étonnée elle-même de tout ce qui se prépare et s'achève à son insu[89]. Son activité se doublait de prudence ; il résistait aux sollicitations du parti avancé qui avait espéré trouver, chez le successeur de Lombard, ce fameux Fouché de Nantes, tout au moins la même complaisance que chez son prédécesseur[90]. Fouché n'était plus pour les révolutions démagogiques. Il était ambassadeur, allait soudain monter plus haut.

Il était en train de préparer avec Brune la campagne qui devait aboutir deux mois après aux brillantes victoires de Bergen et de Kastrikum, quand il reçut de Paris une nouvelle bien faite pour le payer amplement de cette active et fructueuse mission. Le 2 thermidor, le Directoire l'avait nommé ministre de la Police générale de la République.

Ministre ! c'était une nouvelle carrière qui s'ouvrait inopinément devant lui, un avenir d'homme d'État à celui qui n'avait été jusque-là qu'un aventurier politique. Il partit, sans perdre un jour, pour Paris[91]. Il prit auparavant cependant congé du directoire batave, qui lui prodigua les témoignages les plus flatteurs de confiance, de reconnaissance et d'attachement : Les membres les plus influents, écrivait le premier secrétaire Desmaziers le 7 thermidor, paraissaient pénétrés de la force des motifs que le citoyen Fouché n'a cessé de leur mettre sous les yeux, pour leur prouver la nécessité de prendre les mesures défensives les plus respectables contre l'attaque dont le pays est menacé[92].

Accompagné de la sympathie des Hollandais, de cette popularité à laquelle il fut toujours sensible, fier et fort d'une mission rapidement et heureusement remplie pour le bien des deux pays, l'esprit rempli de projets et le cœur plein d'espoir, Fouché courait à cette heure en malle-poste sur la route de Paris ; c'était enfin la fortune, la puissance, le grand jour, attendus pendant six interminables années dans les transes et les disgrâces, dans les traverses, parfois dans la misère des jours noirs ; c'était surtout, ce ministère de la Police générale, le piédestal sur lequel il allait pouvoir ériger une puissance formidable et une immense fortune. Et pendant qu'il crevait les chevaux entre La Haye et Paris, un autre, le général Bonaparte, regardait, sans doute, la vague qui l'allait pouvoir sous peu déposer au rivage de France.

 

 

 



[1] BARRAS, II, 16, 17.

[2] BARRAS, II, 16, 17 ; DE BARANTE, III, 462. Il réclamait, en qualité de commissaire, des cartes au dépôt de la Guerre. Fouché à la Guerre, 6 pluviôse an IV. Vente Lalande, 29 avril 1850.

[3] Fouché à Barras, 28 thermidor an IV ; gracieusement communiquée par M. Charavay.

[4] Fouché et Ferri au ministre des rel. ext., 13 frimaire an IV, et Rapport au Directoire, arch. des Aff. étr., Espagne, suppl. 17, 328, 329 ; le 6 frimaire il écrivait que cette mission le mettrait à portée d'en suivre une autre conforme à ses connaissances et qui est très importante à la République. Fouché au ministre de la guerre, 6 frimaire an IV, Vente Laverdet, 16 mai 1845.

[5] Note au Moniteur du 23 fructidor an VII.

[6] BARRAS, II, 16, 17.

[7] ROBIQUET, Babeuf et Barras, Revue de Paris, 1er mars 1898.

[8] BARRAS, II, 16, 17.

[9] Fouché aux directeurs, 8 prairial an V ; gracieusement communiqué par M. Charavay.

[10] Fouché à sa sœur, 30 pluviôse an VII ; CAILLÉ, p. 10, lettre IV.

[11] Fouché à sa sœur, 30 pluviôse an VII ; CAILLÉ, p. 10, lettre IV.

[12] TALBOT (de Nantes). Article sur Fouché dans la Biographie bretonne, de Levot.

[13] Fouché à sa sœur, 27 floréal au III, CAILLÉ, p. 8, Lettre II.

[14] BARRAS, III, 73, 74, 272

[15] Il écrivait le 10 nivôse an IV à Barras qu'il partait pour l'exil, protestant que partout où il se trouverait, il servirait son pays avec cette même ardeur, cette mente pureté qui lui avaient attiré tant de persécutions, tant d'injustices, Fouché à Barras, 10 nivôse an IV. Bull. d'autogr., décembre 1897, n° 283. Il se relira à Saint-Leu : ses lettres sont datées tantôt de Saint-Leu, tantôt de la vallée de Montmorency.

[16] PELTIER, Lettres sur Paris, Londres, 1795.

[17] Fouché à sa sœur, Saint-Leu, 13 nivôse an V ; CAILLÉ, lettre III, p. 9.

[18] Fouché à Barras, 9 thermidor an IV ; gracieusement communiqué par M. Charavay.

[19] Fouché à Barras, 28 thermidor au 1V (même provenance).

[20] BARRAS, III, 73, 74.

[21] Mém. de Fouché, I, 32 ; BARRAS, III, p. 79. Il garda avec Walkiers des relations dont témoigne une lettre adressée au banquier le 9 prairial an VIII. Revue des autogr., septembre 1898.

[22] Mme DE CHATENAY, Mém., I, 337.

[23] BARRAS, III, 11, 12, donne in extenso certaines notes de police de Fouché en 1797.

[24] FABRE de l'Aude, IV, 66. Quoi qu'il faille croire du curieux épisode raconté par Fabre, il se trouve corroboré par un bruit qui courut, d'après lequel certains conventionnels tels que Barras et Fouché, avaient, dès 1797, sollicité de Louis XVIII des lettres de rémission. Si nous n'avions que le témoignage de MONTGAILLARD, il compterait peu ; mais le comte Joseph de Maistre écrivait le 27 juillet 1815 que, résidant en Suisse en 1797, il avait appris que quatre ou cinq votants avaient demandé grâce pour la mort du roi, et qu'il avait su que Fouché était du nombre. Mais, d'après lui, le pardon avait été accordé. (De Maistre à sa Cour, 27 juillet 1815. Correspondance diplomatique, II, 96.) Fouché espérait-il mieux ?

[25] Mém. de Fouché, I, 37 ; DE LARUE, Hist. du 18 fructidor.

[26] DE LARUE, déjà cité.

[27] BARRAS, III, 73, 74.

[28] BARRAS, III, 74.

[29] DE BARANTE, Histoire du Directoire ; BIGNON, Du système suivi par le Directoire relativement à la République cisalpine, Paris, 1799 ; CANTU, Correspondance ; TROUVÉ, Quelques éclaircissements sur la République cisalpine ; LARÉVELLIÈRE-LÉPEAUX, Mém. ; BARRAS, Mém. ; FOUCHÉ, Mém. ; MONTI, Lettres, etc. Diarii manuscrits de Minola et Marelli ; aux Affaires étrangères, Corresp. des ministres français, diplomates, commissaires, etc., à Milan, 56. Aux Archives nationales, Correspondance des mêmes avec le Directoire ; A F III, 71. Dossiers 288-290.

[30] David au ministre des relations extérieures, 6 floréal an VI ; A. A. E, Milan, 56. Toute la correspondance de David est fort intéressante ; on n'en peut citer ici que des extraits, mais c'est de l'ensemble de ses lettres que ressort l'étrange cacophonie qui résultait de cette bizarre situation. Cf. aussi : Correspondance des commissaires Faypoult et Amelot, an VII ; A. N., A F III, 71, dossier 290.

[31] Cf. les ouvrages cités plus haut, et particulièrement MINOLA, Diario, t. XV (Manuscrits de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan).

[32] Le Directoire à Trouvé. 11 vendémiaire an VII ; A. A. D., Milan, 56 ; le Moniteur du 15 vendémiaire publiait ce double arrêté.

[33] Lettres de créance, A. A. E, Milan, 56, 284, et Lettres du Directoire au général Brune, A. A. E., Milan, 56, 287 et 288.

[34] Fouché au Directoire, 16, 24 et 28 vendémiaire an VII, A. A. E., Milan, 56, 293, 300, 306.

[35] MINOLA, Diario, XII, et MARELLI, Compendio (Ms. de la Bibi. Ambrosienne), Monti à Costabili, 17 octobre 1798 (Ms. de la Bibl. de Florence).

[36] Trouvé au Directoire, 28 et 30 vendémiaire ; au général Leclerc, 30 vendémiaire ; Mém. de Larévellière-Lépeaux, III ; même note dans la Lettre du commissaire Amelot, 24 vendémiaire ; A. N., A FIII, 71, 290.

[37] TROUVÉ, Quelques éclaircissements, p. 26.

[38] Fouché au Directoire, 24 vendémiaire, A. A. E., Milan, 56 ; Fouché au Directoire, Dépêche, 24 vendémiaire an VI ; A. N., A F III 71, 290.

[39] Cf. les ouvrages déjà cités.

[40] David à Talleyrand, 10 brumaire an VII ; A. A. E., Milan, 56, 328.

[41] Fouché au Directoire, 28 vendémiaire an VII ; A. A. E., Milan, 56, pièce 304.

[42] TIVARONI, L'Italia durante il dominio francese, 144, n'hésite pas à attribuer à Fouché pel quarto d'ora democratico l'initiative et la responsabilité de la révolution du 15 octobre ; BIGNON, ex-secrétaire de la légation, semble croire que Fouché l'est contenté de reconnaître les changements opérés par Brune. Mais Fouché lui-même avoue, Mém., I, 45, qu'il avait la clef du coup d'État, ajoutant simplement (I, 51) qu'il était censé n'avoir prit aucune part directe à l'affaire. Fouché cependant en avait imposé, car Monti semblait croire (Lettre du 3 brumaire) que le coup avait été fait sans la connivence de Fouché. Cf. aussi Lettre du Cre Amelot au Directoire, 29 vendémiaire an VII ; A. N., AF III 71, 288, 290.

[43] TROUVÉ, Quelques éclaircissements, p. 26 ; David à Talleyrand, 10 brumaire an VII ; A. A. E., Milan, 56, 328.

[44] David à son ami Derché, 6 brumaire an VII ; A. A. E., Milan, 56, 322.

[45] Fouché au Directoire, 30 vendémiaire an VII ; A. A. E., Milan, 56, 340 ; Compendio, VI Ms. de la Bibl. ambrosienne ; Il Censore, 1er brumaire ; Effemeride republicane, Gazetta nazionale, Quadro politico, Termometro politico, 1er-2 brumaire.

[46] Termometro politico, 3 brumaire an VII.

[47] David à Talleyrand, 10 brumaire an VII ; A. A. E., Milan, 56, 325 ; Milan, 56, 328 ; Censore, Effemeride, Gazetta Nazionale, Quadro, Termometro de brumaire an VII, et ouvrages déjà cités.

[48] Fouché à Talleyrand, 10 brumaire an VII ; A. A. E., 56, 329.

[49] Fouché au directoire cisalpin, 9 frimaire ; A. A. E., 56, 330.

[50] Fouché au Directoire, 20 brumaire an VII ; A. N., A. FIII 71, 290. Fouché au Directoire, 21 brumaire-23 brumaire ; A. FIII 71, 290. Lettres de David et de Fouché, brumaire an VII.

[51] A la même époque, le ministre délibérait avec David, très hostile, on le sait, au nouveau régime, s'il n'allait pas rétablir l'ancien gouvernement aristocratique (A. A. E., Milan, 56, 327).

[52] Monti à Costabili, 3 brumaire an VII. (Corresp. d. c.)

[53] Amelot se plaignait amèrement de ce que l'ambassade eût circonvenu le nouveau commandant en chef ; 24 frimaire an VII ; A. FIII 71, 290.

[54] CHEVRIER, Le général Joubert ; cf. aussi plus loin, les idées de Fouché et de Sieyès sur Joubert.

[55] Sur les dissentiments violents de Fouché et des commissaires : Fouché au Directoire, 8 brumaire ; Amelot au Directoire, 27 brumaire ; sur leur réconciliation momentanée : Fouché au Directoire, 13 brumaire an VII ; A. FIII, 71, 290.

[56] Fouché au Directoire, 20 brumaire au VII ; A. M. ; A. FIII 71, 290. Dans une lettre du 8 brumaire an VII au Directoire (A. A. E. 56, 327), Fouché annonçait dé.0 qu'il avait obtenu du gouvernement cisalpin l'exemption de droits d'entrée pour l'approvisionnement de l'armée.

[57] Termometro politico, 15 Frimaire an VII ; Moniteur du 29 frimaire an VII.

[58] Amelot au directeur Treilhard, 2 frimaire an VII, A. FIII 71, 200.

[59] Fouché à Talleyrand, 14 frimaire an VII, A. A. E., Milan, 56, 355.

[60] Le Directoire à Rivaud, 5 frimaire ; A. A. E., Milan, 56, 353.

[61] Faypoult au Directoire, 26 frimaire, A. A. E., Milan, 56, 360 ; MINOLA, Diario, t. XII, 152 (Bibl. Ambr.) ; Moniteur du 3 nivôse an VII.

[62] LARÉVELLIÈRE-LÉPEAUX, II, 313.

[63] Amelot au Directoire, 26 frimaire, A. N., A, FII, 71, 200.

[64] Rivaud au Directoire, 26, 30 frimaire an VII ; A. N., A. FIII, 71, 200.

[65] MIRELLI (Compendio) signale le 5 nivôse le départ de Milan d'une troupe de gendarmes destinés à arrêter Fouché de Nantes à Turin, puis annonce qu'on ne l'y a pas trouvé. Il s'était, au dire des Mém. de Fouché, I, 57, prévenu par le général Joubert, réfugié dans une campagne près de Monza ; de là il gagna les Alpes et la France.

[66] Le Moniteur du 21 nivôse, signalait sa réapparition, ainsi que le ministre de Prusse Sandoz Rollin (Sandoz Rollin à sa cour, 13 janvier 1799).

[67] De fait, il revenait avec une meilleure réputation. FABRE, de l'Aude, si hostile à Fouché, loue fort (IV, 223) la façon dont il avait en dernier lieu réprimé les excès du jacobinisme à Milan, et déclare que son départ fut un deuil pour la Cisalpine.

[68] BARRAS, Mém., III, 379.

[69] Sandoz Rollin, ambassadeur de Prusse, à sa cour, 15 janvier 1799 (24 nivôse an VII) ; BAILLEU, Preussen und Frankreich, I, 265, d'après les Arch. de Berlin.

[70] BARRAS, Mém., III, 379.

[71] Fouché s'étend fort longuement (Mém.) sur les préparatifs, les phases et les résultats de ce coup d'État, auquel il est fort vraisemblable qu'ait collaboré ce politicien sans emploi.

[72] Séance du Directoire du 16 messidor ; A. N., Procès-verbaux, AF IVIII, 16.

[73] Cf. La Révolution Française en Hollande, 1894, p. 211 et suivantes, et la correspondance des agents français en Hollande ; LOMBARD, DESMAZIERS, etc. ; A. A. E., Hollande, 601 et 602.

[74] Le ministre des relations extérieures de la République batave au citoyen Fouché de Nantes, 2 thermidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 51.

[75] Desmaziers, secrétaire da la légation, au Directoire, 15 messidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 4.

[76] Desmaziers au Directoire, 19 messidor ; A. A. E., Hollande, 602, 9.

[77] Ordre du Directoire à Talleyrand, 17 messidor ; A. A. E., Hollande, 602, 8.

[78] LOMBARD de Langres, Mém., I, 313.

[79] Talleyrand à Daendels, 18 messidor an VII ; Talleyrand à Brune, 23 messidor an VII, A. A. E., 602, 10 et 23.

[80] Fouché à Talleyrand, 23 messidor an VII ; A. A. E., Hollande 602, 23.

[81] Fouché à Talleyrand, 23 messidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 24, Florent Guiot, successeur de Fouché à la Haye, écrivait le 17 thermidor que c'était bien grâce à Daendels, conquis par Fouché, que Brune avait dû s'être mis à la tête des troupes bataves.

[82] Arrêté du 27 messidor transmis par Fouché ; A. A. E., Hollande, 602, 37, Fouché à Talleyrand, 28 messidor ; A. A. F., Hollande, 602, 37.

[83] Fouché à Talleyrand, 27 messidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 35.

[84] Extraits des registres des résolutions du Directoire de la République batave ; Réception du citoyen Fouché ; A. A. E., Holl. 602, 32.

[85] Fouché à Talleyrand, 28 messidor an V11 ; A. A. E., Hollande, 602, 37 ; Fouché au Directoire, 29 messidor an VII ; A. N. A. FIII 70, 4e dossier.

[86] Fouché à Talleyrand, 29 messidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 40.

[87] Fouché à Talleyrand, 1er thermidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 50.

[88] Talleyrand à Fouché, 2 thermidor an VII : A. A. E., Hollande, 602, 55.

[89] Fouché au Directoire, 3 thermidor an VII ; A. A. E., Hollande, 602, 56.

[90] FLORENT GUIOT, successeur de Fouché, écrivait en thermidor que le parti exagéré avait compté dans les premiers jours sur l'ancien proconsul jacobin, mais que celui-ci l'avait soutenu beaucoup moins que son prédécesseur Lombard de Langres.

[91] BARRAS, III, 422.

[92] Desmaziers à Talleyrand, 7 thermidor ; A. A. E., Hollande, 602, 65.