FRÈRE D'EMPEREUR : LE DUC DE MORNY

ET LA SOCIÉTÉ DU SECOND EMPIRE

 

CHAPITRE NEUVIÈME. — RETOUR À LA POLITIQUE.

 

 

Une douce présidence. — Le premier état du Corps Législatif, sous l'Empire, et les attributions calmes de M. de Morny. — Les signes d'une évolution prochaine. — Un intermède : voyage de l'Empereur en Auvergne ; les fêtes de Riom et de Clermont-Ferrand, à l'issue desquelles Morny sera créé duc. — Des vacances bien employées. — Sur les bords de la mer ; Morny créateur de Deauville. — De la Manche à la Méditerranée américaine. — Quelle fut la participation réelle de Morny à l'aventure du Mexique. — Retour aux spectacles de la politique intérieure. — Le libéralisme d'État. — Napoléon, Morny, Émile Ollivier. Ce qu'eût voulu faire et devenir le duc de Morny, si la pie lui eût laissé le temps de réaliser ses ambitions agrandies.

 

Depuis l'année 1854, Morny occupait, avec cette autorité consciente d'elle-même, qui crée l'ascendant, la présidence du Corps Législatif.

Rôle de décorum plutôt que de direction politique et morale, tant qu'il eut à s'exercer au sein d'une Chambre soumise, où l'éloquence était devenue par la volonté comprimante du pouvoir presque uniquement délibérative, c'est-à-dire occupée des seules questions administratives ou financières. Des signes extérieurs de pompe et d'éclat en relevaient les attributions tranquilles. On en était averti, tout d'abord, à la solennité du cortège. Lorsque le haut personnage allait prendre possession de son fauteuil, des soldats formaient une double haie, depuis la salle des séances jusqu'à la galerie de la Présidence, ouverte sur le vestibule ; et les tambours battaient aux champs. En tète marchaient deux huissiers vêtus de noir, la chaîne au col, le claque sous le bras, l'épée au côté. Puis, venait le président, qu'escortaient deux officiers et les secrétaires du bureau, ainsi que le secrétaire général. Environné de ce cérémonial imposant, il avait le caractère et jouissait des honneurs d'un prince de l'Empire.

A l'aurore de ses fonctions présidentielles, Morny avait connu véritablement une période de merveilleuse sérénité. Comme était aisée, coulante, aimable, cette manière de gouvernement ! Les députés, bercés au sein d'une quiétude parfaite, s'étaient arrangé une sieste de six années sur l'oreiller du scrutin muet. Ils somnolaient heureux en cette langueur. Devait-on les en tirer, passagèrement, pour la formalité d'un vote d'ensemble à prononcer, il n'y fallait qu'un mot, un signe. Ils approuvaient et suivaient. On ne discutait pas, on applaudissait. Pour n'avoir pas à remettre en question d'anciens débats : liberté de la presse et liberté des opinions, on les avait tout bonnement supprimés. Il n'était besoin que de deux qualités moyennes : du tact et du sens, à celui qui était chargé de maintenir dans la bonne ligne les élus de la France. On en usait si commodément avec eux ! C'était pour le bien de l'empire, c'était pour le bien de la nation : ils votaient d'enthousiasme tout ce qu'on leur proposait. Les conversations parlementaires dont le 'Président avait pour mission d'entretenir la bonne harmonie ressemblaient à un ramage d'oiseaux en leur volière. A peine si, dans leur coin d'extrême gauche, les Cinq, c'est-à-dire les mandataires de l'Opposition parisienne, essayaient de faire entendre-un vague murmure aussitôt couvert parle chœur en masse des voix officielles.

Quand s'élevaient, pour être examinées d'une plus sérieuse attention, des discussions d'affaires, Morny suivait les débats avec une attention soutenue, s'y mêlant, parfois, sous la forme d'une remarque appropriée, d'un avis judicieux, ou de ce conseil préalable : Soyez sobres, qu'il réitérait, assez souvent, parce qu'il n'aimait point les longues tirades, mais qui, d'ordinaire, restait sans effet parce que parler sobriété à un orateur-lecteur c'était prêcher la tempérance à un affamé[1]. Son état d'arbitre et de guide supérieur ne lui permettait pas les discours étendus. Circonstance, dont il n'avait qu'à se louer de tous points, pour son personnel avantage. Il n'était pas né orateur. Peut-être le serait-il devenu par la formation d'un long usage. En réalité, l'aisance et l'élocution lui manquaient en public. Bien qu'il se fût élevé dans un discours écrit, à l'ouverture d'une des sessions du Corps Législatif, contre les discours écrits, parce qu'ils ouvrent une écluse trop large aux bavardages[2], la phrase oratoire, chez lui, n'avait pas le caractère d'un jaillissement spontané. Il éprouvait de l'hésitation à l'obtenir quoiqu'il y parvînt, au prix d'un certain effort.

Une boutade adroitement lancée, un impromptu peut-être médité à loisir, une repartie spirituelle, une réflexion opportunément jetée du bout des lèvres, lui réussissaient beaucoup mieux. Tel de ses mots d'auteur, souligné par la complaisance générale de ceux qui l'entendirent ; eut un succès énorme sur les bancs de la majorité. Lorsqu'il eut dit, en pleine assemblée, que si Paris était la tête de la France ; la province en était le cœur, et qu'il eut ajouté en guise de conclusion : ce qui prouve que notre pays a mauvaise tête et bon cœur, les députés applaudirent avec fracas. Il est vrai que toute médaille ayant son revers et tout effet de louange son contre-effet de critique, un polémiste célèbre, qui ne fut pas de ses amis, jugea la maxime détestable et prétendit qu'elle n'était rien moins qu'un outrage à la volonté nationale et au suffrage universel ! Morny avait l'esprit de circonstance et s'en servait prestement. De son fauteuil il apaisa plus d'une effervescence par la grâce d'un mot bien venu, qui ramenait le sourire dans la docile assemblée. Il était beaucoup moins sûr de son ascendant, lorsqu'il devait parler.

Du fait qu'il n'eut aucunement le don de l'improvisation nous fournirons un seul exemple. On s'en apercevra, de reste, quelques années plus tard, quand il voudra répondre en personne à une sortie de Jules Favre contre l'empereur de Russie. Ayant cédé le fauteuil à l'un des vice-présidents, on le verra monter les degrés de la tribune, toute la Chambre ayant les regards fixés sur lui et se tenant prête à l'écouter. Animé d'intentions louables, il tendra de tout son effort à prouver qu'Alexandre II, émancipateur des serfs, fut, à l'égard des populations russes, un souverain libéral. Il saura rappeler qu'il pouvait, en connaissance de cause, lui Morny, justifier de la droiture de son caractère, ayant approché si intimement le tzar, à l'occasion des fêtes de son couronnement. Tout cela paraîtra bien pensé et peut-être bien exprimé, mais l'effet du discours sera rendu presque nul par l'embarras de la diction.

Lorsqu'il occupa le ministère de l'Intérieur, s'il eût dû quotidiennement, en présence des Chambres, comme un Clemenceau républicain, braver le feu croisé des interpellations, rendre aux adversaires coup pour coup, se tenir sur la brèche incessamment et toujours en armes, toujours prêt, un tel rôle eût paru trop incommode à son autorité flegmatique ; il lui eût été presque insoutenable sous un régime de liberté, à moins que par la force de volonté dont il était capable et grâce au don d'assimilation dont il donna tant de preuves, il n'eût fini par se rendre maître d'une naturelle infériorité.

Il lui aurait fallu, répétons-nous, dans une Chambre libre une autre voix que sa voix. Mais il excellait à sa mission dans celle-ci. Il s'y surpassait même, à la manière calme et ferme dont il dirigeait les mouvements de son assemblée. Si, au cours d'une délibération, se produisaient des incidents plus sérieux qu'à l'ordinaire, il prescrivait qu'on lui portât, le soir, les feuillets de la sténographie. L'un de ses secrétaires, par exemple Gustave Claudin, lui en donnait lecture dans sa chambre ou dans son cabinet de toilette. Pendant ce temps, il s'habillait, passait son habit noir, mettait sa cravate blanche pour s'en aller dans le monde. Mais, le lendemain, il se souvenait, sans un manque, des points dont on lui avait rafraîchi la mémoire, et il en faisait son profit, à l'ouverture de la séance nouvelle. Le règlement, alors, était plus simple que de nos jours, mieux ordonné et plus suivi. Une discipline plus rigoureuse s'imposait aux méthodes de travail du Corps Législatif. On n'y voyait pas surgir, à tout bout de champ, de ces interversions brusques de l'ordre du jour, qui en bouleversent l'économie, ni de ces amendements de la dernière heure qui, jetés sans effet pratique, au travers de résolutions presque adoptées, obligent à des recommencements stériles, ni tant d'autres pratiques étranges dont se sont encombrés, chemin faisant, nos usages parlementaires. Morny, pour son bonheur, eut à suivre une ligne de direction moins accidentée qu'un Léon Bourgeois ou un Henri Brisson. Selon, l'expression d'un de ceux qui le virent à l'œuvre, M. de Boissieu, il était passé maître dans l'art de lâcher et de rassembler les rênes. Il possédait au mieux le sens délicat des convenances, qui permet de rendre à chacun ce qui lui revient dans la mesure de ses actes ou de ses discours, et n'était pas moins habile à ménager son pouvoir en usant d'une tolérance, qui faisait naître, autour de lui, l'illusion de la liberté. Les manuscrits revenaient intacts de sa censure ; il laissait à peu près tout dire — dans les bornes qu'on ne dépassait pas encore —, sachant bien que des paroles s'envolant sans obstacle seraient oubliées plus vite qu'une mesure de rigueur. Conciliateur aimable, il invitait à se réunir chez lui, en d'autres moments, le soir, toutes les nuances d'opinions, les attirant et les fondant, en quelque sorte, dans les sympathies attachées à sa personne et maintenant l'équilibre.

Il a été remarqué que Morny eut le goût de se créer, à la façon romaine, une clientèle d'amis, qu'il fortifiait de son influence et qui, par leur action personnelle, ajoutaient à la sienne. Déjà sous le gouvernement de Juillet, il en avait expérimenté la méthode, s'étant composé et ayant enchaîné dans sa sphère d'action parlementaire plusieurs de ses collègues, tels que ceux du-Puy-de-Dôme : Rouher et Parieu, dont il avait pressenti l'avenir politique : Sous l'Empire, il s'était constitué un groupe d'environ douze députés, au concours intelligent et fidèle. A un moment donné, quand il fallait décider une opinion hésitante, ceux-là parcouraient silencieusement les bancs et y faisaient prévaloir sa pensée. La manœuvre était d'un effet éprouvé, et assurait son autorité sur l'ensemble du Corps Législatif.

Aussi, Morny s'était-il fortement attaché à l'exercice de ses hautes fonctions ; sauf la mission diplomatique acceptée par lui, en 1857, avec le plus vif empressement pour toutes les joies d'amour-propre qu'elle devait lui procurer, il n'avait pas tenté jusqu'alors de les -échanger contre un portefeuille ou contre une ambassade. A plusieurs reprises, on s'était attendu à voir Morny réintégrer les fonctions actives. En 1859, on aura presque la certitude qu'il reviendra au ministère de l'Intérieur. Des changements avaient été annoncés dans la répartition des portefeuilles. Il fut pressenti dans ce sens, avant que le mouvement fût rendu définitif. Des considérations personnelles : l'appréhension de jeter le désarroi dans son dilettantisme. en y introduisant des occupations absorbantes et des responsabilités lourdes, la comparaison des avantages respectifs qu'offraient l'une ou l'autre charge et la certitude que la balance penchait de beaucoup en faveur de la Présidence ; toutes ces raisons lui firent repousser un poste de combat, et simplement il demeura où il se trouvait le mieux.

Quelques-uns lui en firent un blâme violent. On déplore, disait l'auteur des Cahiers noirs, la faiblesse de l'empereur ; on est furieux contre l'égoïsme de Morny. Il laissait causer et continuait de trouver très confortable son logement au Corps Législatif.

Tout alla de ce pas tranquille et sage, pendant quelques années au bout desquelles Morny eut à s'apercevoir que son rôle s'était soudainement compliqué.

***

La politique, à l'égal de la mer, a des lois de flux et de reflux, des alternatives d'action et de réaction. Le régime exclusivement. autoritaire qui avait paru, à la suite du 2 décembre et jusqu'aux environs de 1860, une nécessité des temps, commençait à faire place à une forme nouvelle où le contrôle reprenait ses droits, où le pays allait intervenir d'une façon plus directe et plus prépondérante. L'heure historique approchait où les idées se seront transformées, à l'appel de l'empereur, dans son entourage comme dans le peuple, où Morny lui-même revendiquera l'honneur d'adapter sa part d'initiative au déplacement des questions et des luttes. Mais, entre l'une et l'autre périodes de sa carrière politique s'était glissé un intermède tout agréable pour sa propre convenance. Ce fut en 1862, quand il reçut le titre de duc.

Profitant des vacances législatives, il était allé visiter ses fidèles électeurs du Puy-de-Dôme. L'empereur avait choisi le même moment pour accomplir un voyage, plusieurs fois remis, en Auvergne. Il en avait arrêté le dessein, d'avance : dans cette solennelle occasion il aurait à se souvenir de longs et grands services rendus, à la connaissance de tous, avec éclat et succès ; il aurait à se rappeler une ambition ancienne et qui restait à satisfaire. Il partit, ayant en poche le brevet ducal du comte de Morny.

Le train impérial s'était mis en marche dans la direction du Cantal et du Puy-de-Dôme. Le 10 juillet, à deux heures dix minutes, le train entrait en gare de Riom. Rouher, ministre des Travaux publics ; le maréchal de Castellane, commandant l'armée de Lyon, et le comte de Pressac, préfet du département, s'étaient portés au-devant de l'empereur et de l'impératrice, tandis que le sous-préfet, le maire et son conseil municipal les attendaient à la gare. Après la présentation des clefs de la. ville, le principal magistrat de cette vieille cité, l'ancienne capitale du duché d'Auvergne, prononça le discours d'usage, jetant à pleine voix les fleurs du discours et protestant avec la chaleur requise en pareil cas des plus nobles sentiments d'amour, de reconnaissance et de fidélité.

Au nom de la magistrature, le président du Tribunal témoignera d'une ferveur égale ; appelant à son aide les métaphores bien nourries de la louange officielle, il n'en arrêtera l'expression qu'aux limites dernières du langage inventé pour caresser l'oreille des puissants. Tel l'archevêque de Rouen, naguère, ayant à haranguer l'empereur et l'impératrice déclarait au premier qu'il était l'élu de Dieu et comparait la seconde aux Clotilde et aux Blanche de Castille. Une foule considérable, sans les avoir clairement entendues, a salué de ses applaudissements les belles paroles du magistrat. La ville de Riom s'est mise en frais de grands préparatifs pour recevoir ses hôtes illustres. Au milieu du boulevard, une pierre gigantesque tirée des carrières de Volvic figure une sorte d'obélisque, sur le passage de Leurs Majestés. Sous les arcs de triomphe, sous les guirlandes fleuries reliant les mats surmontés d'oriflammes défile un long cortège : aides de camp, officiers d'ordonnance, chambellans, que l'empereur a emmenés à sa suite. Ils passent en cérémonie, MM. de Clermont-Tonnerre, de Varaigne, de Bourgoing, de Noireterre, de La verrière et autres. Une curiosité joyeuse se lit dans les regards de ces populations simples, d'où se détachent, en des notes vives, les costumes, pittoresques de la Limagne.

La cérémonie aura suivi son habituel programme : la présentation des corps constitués, la visite des monuments et la distribution des récompenses, — quelques croix épinglées sur des poitrines de fonctionnaires. Enfin les derniers vivats, l'immense acclamation de la foule : on a vu s'ébranler le train impérial quittant la gare de Riom pour s'arrêter bientôt à Clermont-Ferrand. C'est là que le comte de Morny, président du Conseil général, entouré des principaux de la ville se tient prêt à recevoir les souverains.

La capitale de l'Auvergne égayé ses teintes sombres d'une parure de fête. De longs mâts, à la pointe desquels flottent des banderoles aux couleurs diverses, sont les marques indicatrices du parcours officiel. A vingt pas de la barrière se dresse un arc de triomphe monumental. Avec un ingénieux savoir-faire les industries locales ont multiplié, de place en place, leurs figurations symboliques. Le soleil brille. Le canon tonne. Les airs retentissent d'acclamations. Un concours immense afflue sur le passage du cortège .impérial composé de cinq voitures attelées à la daumont et escortées par un magnifique détachement de cent-gardes et un escadron du 1er hussards. L'empereur porte l'uniforme de lieutenant-général ; le grand-cordon de la Légion d'honneur barre sa poitrine. La toilette de l'impératrice charme tous les yeux : une robe couleur de pensée, un chapeau blanc, orné d'une passe de la même nuance que la robe, la composent. De la gare, on s'est rendu à la cathédrale, où l'évêque, à la tête de son clergé, prodiguera aux souverains, sous la forme d'un long discours, des bénédictions chaleureuses pour les services qu'ils ont rendus l'un et l'autre à l'Église, et des appels pressants pour ceux qu'elle attend encore de leur générosité, de leur puissance[3].

Mais on a quitté la maison de Dieu ; il semble à Napoléon et sa compagne qu'ils ont été portés à la Préfecture sur les ailes de l'enthousiasme populaire. L'Auvergne n'a qu'un cœur, qu'une voix, pour acclamer le sauveur de la France[4]. Ici, le comte de Morny occupe l'estrade et tient la parole. En présentant à Napoléon III les membres du Conseil, général de son département, il a fait passer dans son discours, en même temps que des parfums de myrrhe et d'encens, comme pour la glorification d'un César divinisé, des mots heureux proclamant la dévotion napoléonienne dont l'Auvergne entière est pénétrée jusqu'à donner à ses sentiments politiques la force et les proportions d'un culte[5].

La réponse de l'Empereur était attendue comme l'événement de la journée. Il aurait souhaité, prononça-t-il, pouvoir offrir à chacun une marque de sa reconnaissance pour tant de loyalisme et de dévouement : il le fera en s'occupant des intérêts de tous ; mais il commencera par en donner un témoignage au Conseil général, dans la personne de son président. Alors, il déclara qu'il avait voulu que celui qui, depuis vingt ans représentait cette contrée laborieuse et fidèle, celui qui s'était associé si courageusement au grand acte du Deux-Décembre ; qui, depuis huit ans, présidait le Corps Législatif, reçût, à la faveur de ces inoubliables circonstances, un titre nouveau, comme une marque accrue de son estime et de son amitié ; et qu'il le créait duc.

C'était donc chose faite. Le frère de Sa Majesté, tout aussitôt, se sentit moins éloigné de cette hiérarchie d'Altesses où il avait tant désiré prendre une place de famille hautement établie.

Quand il fut de retour, à Paris, peu de jours après l'empereur et l'impératrice, son blason neuf était constitué, ses armoiries en ordre[6] et sa condition ducale bien affirmée.

***

A peu de temps de là le nouveau duc éprouvait un autre genre de satisfaction vive. Il était allé passer la saison chaude au bord de la mer, à Deauville. Et c'est avec une joie bien légitime qu'il avait pu considérer la prompte croissance d'une ville tout à l'heure inexistante, et dont il fut le vrai créateur, l'essor d'un pays sans histoire et dont les développements si rapides étaient son œuvre. Qu'était-ce, Deauville, avant Morny, avant qu'il eût engagé dans son orbite d'activité un groupe social, qui jeta, là de l'or et des maisons ? Une vague annexe de Trouville, un modeste village bâti au sommet d'une colline et par elle abrité contre les sables de la plage. Soudaine métamorphose d'ores et déjà s'y dressaient des hôtels somptueux, comme ceux du boulevard des Italiens ou des Capucines, et, chose plus surprenante, ils n'avaient pas attendu leur clientèle. Depuis quelques années les médecins rivalisaient d'ardeur à préconiser les bains de mer. On les avait écoutés, on les avait suivis. Trouville, où n'existaient encore, sous la précédente monarchie, que des huttes de pêcheurs, s'était édifiée, peuplée, avec une célérité merveilleuse. Il était question déjà de déverser sur d'autres points du littoral le trop plein de Trouville !

Un ami et l'un des médecins de Morny, le docteur Oliffe, eut l'idée qu'une station limitrophe pourrait s'établir avantageusement ; et il avait aussitôt envisagé les chances de Deauville. Il en avait parlé à Morny, qui s'empressa de visiter cette bourgade inconnue du Calvados, en eut le regard épris, et ne tarda pas à concevoir sur son' avenir possible de vastes projets. Dès 1859, il avait pris en main les destinées de Deauville. Il y fit arriver le chemin de fer, relier Trouville à Deauville, creuser un bassin, fonder un hippodrome — initiative tout explicable chez le créateur du grand prix de Paris — et construire, en 1860, la magnifique terrasse, longue d'une demi-lieue, que nous admirons, aujourd'hui, avec sa bordure élégante de villas perdues dans la verdure[7]. Donnant toujours du large à ses visées, il n'avait pas borné là ses ambitions pour Deauville. Il n'y voyait rien moins qu'une grande ville, en germe ; il eût voulu en faire la tête de ligne d'un chemin de fer allant de Trouville à Bordeaux, sans passer, par Paris, et qui eût porté, d'après ses plans, un coup sensible au cabotage anglais. Seulement les administrateurs chargés des intérêts de la Compagnie du Nord, craignant pour-leurs dividendes, s'étaient élevés, contre l'entreprise et l'empêchèrent dé prendre 'corps.

Cependant, Deauville grandissait et se développait sous un patronage illustre, dont- le nom ou l'image se retrouvait partout et qu'une statue, œuvre dû ciseau d'Iselin, rappelait à tous les yeux. Devant la cité naissante s'étendait la vaste mer ; l'industrie était à ses portes ; le commerce y creusait un port ; la finance y fondait le crédit ; la mode même y appelait les visiteurs, les touristes et les malades ; un Brighton français s'était fondé sur les bords de la Toucques.

***

De Deauville à Mexico la distance est appréciable. Pourtant, le duc de Morny, avait rejoint d'un coup les deux villes dans le cercle de son activité remuante. L'intervention de la France au Mexique, préparée par la politique du ministre plénipotentiaire de Gabriac, puis par son successeur Dubois de Saligny, qui devait sa place à la protection de Morny, venait d'être décidée. Napoléon III avait roulé dans sa tête le projet ambitieux d'y fonder, à la suite des troubles qui s'y étaient produits et des revendications financières que la France était en droit' d'y, faire valoir, un véritable empire latin capable d'arrêter la marche envahissante des États-Unis. L'impératrice en avait adopté le rêve avec un enthousiasme romanesque. Quant à Morny, du jour où il avait pu constater que la chose- était bien résolue, décidément entamée et sans recul possible, il s'y était associé nettement pour des motifs moins illusoires[8]. N'avait-il pas des intérêts dans cette affaire ?... Sans, aucun doute, on en aurait fini très vite avec les bandes de Juarès. Une révolution de plus ou de moins n'était pas à considérer dans un pays tel que le Mexique où, de 1825 à 1862, on changea trente-deux fois de gouvernement. En retour, on aurait là des chances énormes d'exploitation à poursuivre, un pays immense à renouveler, des emprunts à prévoir au-dehors, avec de grasses commissions pour des intermédiaires puissants, enfin des millions à ramener en France, par le canal des Bons Jecker. Pour toutes ces bonnes raisons, Morny, qui ne cessa jamais de vaquer aux œuvres de la spéculation, Morny, qui mena toujours de front, et à grandes guides, la politique et les affaires, dût-il en résulter pour lui, pour sa considération, des risques de plus d'une sorte[9], avait apporté sa participation directe, effective, à l'expédition du Mexique. Que dis-je ! Il faillit y encourir des responsabilités plus directes et plus lourdes ; peu s'en fallut qu'il n'y engageât son nom, sa personne et sa vie. Tout au moins, si nous en devons croire la parole de Persigny.

Un instant donc, il aurait caressé cette espérance de dormir dans un lit impérial, tout comme Louis-Napoléon, son frère. Il aurait régné là-bas, à la place de Maximilien ; et il eût eu, sans doute, assez d'habileté, d'énergie et de chance, pour ne pas finir, comme l'archiduc, dans les champs ensoleillés de Queretaro.

Naguère, le duc de Morny s'était rangé à l'avis de Walewski, conseillant la retraite des troupes françaises. Mais à la suite d'un dissentiment sur une question privée — affaire de théâtre, incident de loge d'Opéra — les rapports s'étaient brouillés entre les deux princes du sang. Et Morny avait adopté une manière de voir toute différente pour faire pièce à Walewski. Il s'était rendu le partisan très décidé de la continuation de la campagne.

Au même moment, don Gutierrez de Estada débarquait en Europe, à la tête d'une députation de notables mexicains. Ces représentants du parti conservateur venaient offrir à Maximilien la couronne du Mexique ; et ce dernier avait consenti à délaisser les doux ombrages de Miramar, pour courir l'aventure d'un trône instable, mais à deux conditions : l'une, que la France enverrait vingt mille hommes de troupes, capables de l'y maintenir ; l'autre, qu'on lui accorderait une avance de trois millions, nécessaires aux premières difficultés de son établissement. Le Conseil des ministres repoussa l'une et l'autre exigences.

C'était un samedi — disait, huit années plus tard le duc de Persigny à un diplomate anglais, qui ne garda pas secrète la confidence. Chacun regardait la solution comme définitive lorsque, le lundi matin, le Conseil fut convoqué en si grande hâte aux Tuileries que Walewski, qui venait de loin[10], n'y parvint que plus d'une heure après l'ouverture de la séance.

Qu'était-il arrivé ? Tout simplement ceci : Don Gutierrez, informé de la décision du Conseil, l'avait communiquée télégraphiquement à Maximilien, qui, le dimanche matin, répondait, aussi par dépêche, à l'envoyé mexicain, lui signifiant que, sauf l'acceptation totale de ses conditions, il déclinait l'honneur de la souveraineté. Don Gutierrez, bien décidé à ne pas repartir sans' emmener un monarque, se précipita alors chez Morny et lui offrit la couronne. Celui-ci n'y apporta pas tant d'hésitations, mais accepta immédiatement, pour le cas où Maximilien persisterait dans son refus. La fureur de l'Empereur ne connut point de bornes, mais rien ne put ébranler Morny. Un seul homme possédait sur lui quelque influence, c'était l'autre prince du sang ; car, pour Morny, les Bonaparte légitimes ne comptaient pas. On appela Walewski par dépêche, dès la première heure ; à son entrée au Conseil, on discutait les moyens de contracter un emprunt. L'Impératrice le mit au courant de ce qui se passait et le supplia de dissuader Morny. Walewski refusa de faire une nouvelle avance en lui adressant la parole, le premier. Quel effet aurait produit en Europe, sinon même en France, l'élévation de Morny au trône du Mexique ?... Plutôt que d'en courir la chance, on se procura l'argent nécessaire, on expédia Bazaine et le malheureux Maximilien alla au-devant de la mort la plus tragique.

Mais, à l'heure dont nous parlons, on n'en était qu'aux débuts de l'aventure. On avait, en France, la foi mexicaine. Et, Morny, en attendant qu'éclatât le premier coup de canon, avait pu s'embarquer de confiance dans cette campagne, envisagée comme le prélude d'une colossale entreprise industrielle. Qu'il eût voulu davantage, qu'il eût entrevu réellement ou non, comme le dernier acte de sa destinée, la montée royale, toutes les illusions paraissaient permises à cet homme, dans une phase de sa vie où tout était pour lui jouissance et réussite.

***

Il y a, effet, comme le disait un penseur, dans la vie de tous les humains, une heure d'or, une cime lumineuse où ce qu'ils peuvent espérer de prospérités, de joies, de triomphes, les attend et leur est donné. Le duc de Morny avait touché ce point culminant. Tableaux en renom, femmes à la mode, succès d'argent et de pouvoir, rien ne lui manquait de tout cela. Il disposait d'une influence très étendue. On l'écoutait dans les Conseils du gouvernement. Il régnait à la Chambre. Son ascendant ne fut jamais mieux établi.

Mais c'est ici que le vent changea.

Tout en continuant à lui sourire, la Fortune allait le mettre aux prises avec des éléments plus agités.

Les idées politiques reprenaient possession des cerveaux engourdis. L'empereur lui-même avait décidé qu'on desserrerait les entraves de la parole et de la pensée. L'imagination de Napoléon III s'était complue dans la beauté du geste de cet abandon volontaire d'une partie de son autorité. N'était-il pas l'historien couronné de Jules César ? N'avait-il pas un bel exemple à reprendre ? Il aimait à se souvenir historiquement, à comparer. Il serait beau, songeait-il, de réaliser ce qu'avait tenté le plus grand des Romains, lorsqu'il espéra ménager une transition opportune entre le pouvoir et la liberté, non pas la liberté sans direction et sans règle, mais une liberté sage, mesurée, compatible avec l'exercice de l'autorité.

Et Morny avait tourné sa voile dans le sens de la direction donnée. Ses idées, au fond, avaient peu varié depuis 1852. Par les sentiments dans lesquels il avait été élevé, sinon par tradition de famille — car il ne connaissait qu'à demi sa famille —, il s'était senti, bien avant cette date, aussitôt qu'il put réfléchir, l'instinct monarchique. Le libéralisme n'implanta jamais en son âme et conscience des racines bien profondes. Il eut toujours au cœur une grande aversion pour la démocratie. Mais il s'était tenu ce raisonnement : puisque la route, maintenant, tournait du côté de la liberté, il ne s'obstinerait point à marcher du côté opposé.

D'autre part, l'antagonisme continuel des conseillers de l'empereur, qui, dévorés de jalousie, songeaient beaucoup moins à prendre en main l'intérêt public qu'à se supplanter mutuellement auprès de leur commun maître, le spectacle de ces rivalités incessantes (il en sut des détails navrants, qu'il ne parvint pas toujours à taire), l'auraient engagé, faute d'une meilleure raison, à s'engager sous la loi des idées nouvelles, alors même que la logique des circonstances ne l'y eût pas amené.

Déjà sous la monarchie de Juillet, il avait compris que le moyen le plus sûr pour un gouvernement de dominer l'opposition, c'était encore de la devancer dans ce qui paraît utile et juste, de manière à n'en pas abandonner le bénéfice aux adversaires. Il ne se refusa pas à soutenir une évolution, qu'il n'aurait pu, d'ailleurs, empêcher d'aller à ses fins, une autorité supérieure à la sienne l'ayant mise en mouvement. Il n'était pas sans en appréhender les périls, sachant, comme des vérités d'expérience, qu'il est aussi difficile de s'arrêter sur la pente de la liberté que sur celle de l'arbitraire ; que les concessions accordées en font toujours souhaiter de nouvelles, plus larges, plus complètes ; et qu'il en résulte inévitablement des luttes, des chocs, des oppositions. L'expérience, à peine commencée, menaçait de donner raison, une fois de plus, à cet axiome politique que le premier usage qu'un peuple fait de sa liberté reconquise, c'est d'en abuser. Les langues se délièrent et ce ne fut point pour chanter d'abord des hymnes de reconnaissance. Des descendants de la liberté, posteri libertatis, qu'on croyait disparus ou perdus, recommencèrent à faire parler d'eux. Pour les combattre avec leurs propres armes, Morny s'avisa d'une tactique aussi habile qu'imprévue : ce fut d'aller conquérir ;  des alliés dans l'intérieur même de leur camp. L'un de ses premiers succès fut de détacher de l'opposition libérale le plus autorisé de ses chefs : Émile Ollivier. Morny disait en parlant de cet orateur qu'il entrait dans les questions tumultueusement comme un bœuf dans la boutique d'un faïencier, sans s'inquiéter des éclats. Il espéra discipliner cette fougue en la ramenant dans les voies gouvernementales. Le décret du 24 novembre 1860, né d'un conseil de Walewski et des bonnes dispositions de l'empereur, venait d'être publié. Morny, prompt à prendre la direction du vent, en avait paru très satisfait. Rencontrant Ollivier devant la grille du Corps Législatif, il l'aborda par ces mots :

 Eh bien ! je suppose que vous êtes content ?

 Oui, je suis content, répliqua celui qu'il avait interrogé. Seulement, si vous désirez connaître mon opinion, permettez-moi d'ajouter ceci : de ce jour vous êtes fondés ou perdus.

 Comment cela ?

 Vous êtes fondés, si ce n'est qu'un commencement ; vous êtes perdus, si c'est une fin.

 La réponse n'était qu'a demi rassurante. Morny garda le silence et rentra au palais, l'esprit songeur. Les entrevues se rendirent plus fréquentés. Tous deux, Morny et Ollivier, s'entretenaient abondamment des questions à l'ordre du jour. Ou bien, ils échangeaient leurs vues sur l'état de la politique extérieure, contents de reconnaître que sur ce terrain l'accord de leurs idées était complet ; car, l'un et l'autre voulaient l'unité de l'Italie, la réforme de la papauté (ce qui ne plaisait guère à l'impératrice), la paix avec ses deux fondements nécessaires : le respect de la non-intervention, et l'amitié anglaise n'empêchant pas l'union franco-russe.

 On s'étonnait, autour de Morny, qu'il montrât tant de complaisance à faciliter ce genre de rencontres. L'un de ses amis lui disait, un soir, à l'Opéra :

 Ollivier prétend que vous le compromettez.

 Croit-il donc qu'il ne me compromette pas aussi ? Mais, nous ne nous compromettrons ni l'un ni l'autre ; nous nous illustrerons ensemble.

 Les atténuations au régime autoritaire étaient à peine en voie d'accomplissement que les plaintes des absolutistes commençaient à monter. Les catholiques s'inquiétaient. La presse n'est pas surveillée, gémissait Monseigneur de Bonnechose, qui réclamait la suspension de plusieurs journaux, pour avoir médit du bienheureux Labre. Les droitiers — l'impératrice en tête — voyaient d'un très mauvais œil le duc de Morny se faire ainsi, dans un but de popularité, le zélateur de ces réformes, suivant eux détestables, et qui devaient infailliblement mener l'empire — ils disaient la France — à sa perte. Un Maupas, un Rouher, un Jérôme David, lui imputeront avec amertume, après sa disparition, après les événements de 1870, d'avoir été le principal complice d'Émile Ollivier, clans cette campagne funeste, qui devait aboutir à la liberté mal réglée[11] de la presse et à la loi sur les réunions publiques.

De fait, Morny avait reçu le mot d'ordre de l'empereur et marchait dans ses voies. Des nuages entre eux avaient pu se former à plusieurs reprises. Esclave de sa reconnaissance et comme fatigué de cette charge, Napoléon III avait pu dire un jour : Je traîne mes deux boulets, Morny et Persigny, et regretter cela, le lendemain, peut-être. Par la force des choses beaucoup plus que par les droits de l'affection, Morny avait repris pied dans sa confiance et son estime. Une secrète dissonance fraternelle subsistait entre Louis et Auguste. Morny n'en était pas moins redevenu le confident le plus écouté de Napoléon.

A la fin de la session de 1864, les projets du duc de Morny étaient mûrs. Il adhérait nettement à la nécessité de permettre aux ministres de rester députés et à la résolution d'établir la liberté de la presse. Au mois de décembre étaient tombées ses dernières hésitations. Il le déclarait sans équivoque de termes à Ollivier :

Je suis décidé. Il y a mieux ; je me suis entendu avec Roulier. L'empereur est surtout arrêté par des raisons d'opportunité ; nous le convaincrons dans quelque temps, peut-être demain. Il s'agit d'être prêts, rédigez un programme ; et, si nous nous mettons d'accord, vous entrerez aux affaires, avec Rouher et moi.

Il avait l'impatient désir, maintenant, de retremper sa réputation d'homme politique dans un flot épuré. Car, le motif péremptoire, l'explication véritable des avances qu'il prodiguait au libéralisme d'État, c'est qu'il espérait en faire, pour lui-même, le point de départ d'une sorte de renaissance. On avait pu voir, à la première expérience, qu'il n'aima que fort peu les dépendances d'une haute situation ministérielle. Passer la majeure partie des jours à traiter gravement des vétilles d'administration, à recevoir des solliciteurs, à donner des signatures : était-ce là de quoi séduire une imagination entreprenante ? Mais, au fond, le regret lui était resté de l'éclat du pouvoir. Il aspirait à s'en ressaisir pour susciter, décréter, mener à bien des réformes utiles, qui consacreraient la trace de son passage aux affaires. Il se voyait au fort de la place inspirant, discutant, agissant sous l'œil approbateur du chef de l'État. Les postes les plus éminents auraient été confiés aux plus capables. L'opinion serait frappée surtout de ce qu'il y aurait de magnanime dans ce spectacle des vaincus et des vainqueurs de Décembre se donnant la main pour fonder, sous les auspices d'une sage réconciliation, cette liberté dont la haine n'avait fait que retarder l'avènement. Il souriait à son rêve d'un renouveau de calme et de prospérité pour le pays, d'ordre sans tyrannie comme sans faiblesse pour l'empire. L'épuisement prématuré de ses forces, la maladie et les conséquences mortelles, qu'elle devait avoir, ne lui laissèrent pas le temps d'éprouver s'il était possible qu'un si beau rêve se réalisât.

Tandis que se préparaient, dans la situation intérieure et extérieure, étrangère surtout, des complications grosses de difficultés et de périls, il allait quitter la scène, à une heure encore propice pour sa réputation de joueur toujours heureux.

 

 

 



[1] Louis de Cormenin, Journal du Loiret, 8 février 1863.

[2] Les discours écrits semblent définitivement condamnés par l'ennui qu'ils provoquent. Malgré le secours de leur manuscrit, les récitateurs ânonnent, mangent leurs paroles ou dorment sur leur papier (Journal du Loiret, 8 février 1863).

[3] Voici, d'ailleurs, un passage significatif de la pieuse allocution :

Sans-doute, les grandes épreuves du vicaire Jésus-Christ, au mi lieu des malheureuses complications de la révolution italienne, ne pouvaient laisser indifférents les cœurs catholiques et nous en avons été douloureusement émus ; mais, en priant avec un dévouement inaltérable pour le Père commun des fidèles, nous n'avons jamais cessé de prier aussi pour le puissant monarque, qui nous gouverne dans l'ordre temporel et dont les vaillants soldats, par leur présence, à Rome, continuent.de protéger les droits du Saint-Siège.

Oui, Sire, nos prières s'élèvent, chaque jour, vers le Ciel, à votre intention, afin que, assisté du secours d'en haut, vous puissiez assurer et le bonheur de la France et la paix de l'Église.

Ces vœux, Sire, ne sont pas inspirés par la religion seulement, mais aussi par la reconnaissance et, tandis que le nom de Votre Majesté retentit solennellement sous des voûtes de notre antique cathédrale, la mémoire du cœur nous rappelle vos bienfaits en même temps qu'elle nous enhardit à en espérer de nouveaux clans l'intérêt de la mère église du diocèse, restée depuis longtemps inachevée et tout à fait insuffisante aux besoins du culte, au milieu d'une population nombreuse et qui s'est toujours distinguée par son excellent esprit.

[4] Moniteur du Puy-de-Dôme, 12 juillet 1862.

[5] Sire,

L'arrivée de Votre Majesté dans le Puy-de-Dôme n'est pas seulement la visite d'un souverain aimé et respecté ; l'enthousiasme qui vous accueille prend encore sa source dans d'autres causes. Parmi ces populations labo, rieuses, vivant paisibles au cœur de la France ; le sentiment napoléonien n'est pas aune opinion c'est un culte ; la foi politique y revêt presque le caractère de la superstition. Depuis vingt-cinq ans, j'ai été bien souvent le confident de cette adoration légendaire.

Sous ces collines nombreuses, couvertes de vignes, le sol est traversé par des souterrains, immenses chais, qui, la plupart datent de l'époque gauloise. Ces voutes sombres, qui ont peut-être servi à organiser la résistance contre le César romain, ont abrité, depuis cinquante ans, le fanatisme pour le César moderne. Sous tous les régimes, ces rudes enfants arvernes s'y réunissaient ; et, comme s'il se fût agi des pratiques d'un culte persécuté, ils fêtaient mystérieusement l'anniversaire de la Saint-Napoléon, sans vouloir admettre que ce héros fût mortel. Aussi, avec quelle ardeur et quelle unanimité le département du Puy-de-Dôme a-t-il porté le nom de Napoléon dans l'urne électorale ! Vous pouvez donc juger-, Sire, de l'enivrement que ces populations éprouvent, aujourd'hui, en vous voyant au milieu d'elles, lorsque dans leur cœur se trouvent confondues la religion politique et la reconnaissance pour les services que vous leur avez rendus. Elles vous doivent la gloire, qui élève l'âme et la sécurité, qui assure le travail ; et enfin, pour n'excepter aucun sentiment populaire, elles saluent avec attendrissement l'Impératrice, qui a fait monter la grâce sur le trône et en fait descendre, chaque jour, la charité.

[6] Les armoiries de duc, concédées en 1862, au comte de Morny, le reconnaissent pour fils du comte de Flahaut ; car, elles portent l'écu de cette famille (d'argent à trois merlettes de sable) brisé d'une bordure componée de l'empire français et des dauphins d'Auvergne.

[7] Il manque, pourtant, quelque chose à Deauville, écrivait au ministre de l'Intérieur, le 22 décembre 1864, un publiciste de l'endroit. Deauville n'a pas de journal. Et il lui demandait l'autorisation d'y fonder une feuille, qui pût être l'expression même de sa vie politique, industrielle et commerciale. (Pièces manuscrites, Bureau de la Presse, n° 7086. Signée Léon Loiseau.)

[8] Dans une conversation matinale, M. le duc A. de Morny voulut bien nous dire que son père avait été fort opposé à l'expédition du Mexique, qu'il l'avait considérée comme néfaste inévitablement, et qu'il, encavait ressenti du mécontentement contre les instigations de l'impératrice Eugénie. Cependant, la réalité des faits subsiste ; elle est attestée d'une manière irréfutable par cet extrait d'une lettre écrite, après la mort de l'homme d'État, à Conti, secrétaire de l'empereur, par le banquier Jecker

Paris, 8 décembre, 1869.

Monsieur,

Ne trouvez-vous pas étrange que je -m'adresse -à vous de préférence, ayant à vous entretenir d'une affaire qui regarde principalement l'Empereur ?

Vous aurez assez entendu parler de mon affaire des Bons pour la connaître un peu. Eh bien ! je trouve que le Gouvernement la considère avec trop d'indifférence, et que, s'il n'y fait pas attention, elle pourrait amener des suites fâcheuses pour l'Empereur.

Vous ignorez sans doute que j'avais pour associé dans cette affaire M. le duc de Morny qui s'était engagé, moyennant 30 % des bénéfices de cette affaire, à la faire respecter et payer par le gouvernement mexicain, comme elle avait été faite dès le principe. Il y a là-dessus une correspondance volumineuse d'échangée avec son agent M. de .harpon.

En juillet 1861, on est venu me trouver de la part de ces messieurs, pour traiter de cette affaire.

Cet arrangement s'est fait lorsque ma maison se trouvait déjà en liquidation, de sorte que tout ce qui la regarde appartient exclusivement à celle-ci.

..... M. le duc de Morny vint à mourir, de sorte que la protection éclatante que le gouvernement français m'avait accordée cessa complètement.

[9] Substitut à la première Chambre du Tribunal de la Seine, j'entendis bien souvent son nom, quand on appelait les placets au début de l'audience. M. Mathieu, que je devais retrouver, plus tard, au Corps législatif et au barreau, était son avocat et je lui dis, un jour, en sortant du Palais : Quand on est M. de Morny, on ne doit ni perdre ni gagner de procès ; on devrait n'en point avoir. (PINARD, Mon Journal, t. I.)

[10] De sa propriété d'Étiole.

[11] On n'ignore point la signification qu'attachaient à ces mots les amis exagérés de l'ordre et les préfets à poigne.