LA FÊTE IMPÉRIALE

 

PRÉFACE.

 

 

C'était à Biarritz, en la villa Eugénie. Autour des souverains les convives causaient avec animation, tandis que le repas du soir allait à sa fin. Trente années plus tard, l'un de ceux-là — il s'était appelé Mr Bauer — me rapportait, comme si elle eût été de la veille, les détails de cette conversation.

On s'entretenait du Paris moderne, du Paris nouveau, et des conséquences morales que faisaient prévoir ou redouter les métamorphoses extraordinaires par lesquelles on avait vu passer la capitale, tout d'une pièce reconstruite. Quelques minutes auparavant, l'un des invités de la Cour en vacances, un Lovelace vieilli, que ses rhumatismes avaient rendu prudent et sage, s'éplorait sur les périls d'âmes, survenus en foule dans une cité trop neuve, trop belle, trop séduisante et pavée de tentations, à chaque pas. Ses doléances s'étaient tournées contre le mauvais train des mœurs, dont les signes s'aggravaient, de jour en jour, avec l'affluence des viveurs étrangers et des femmes galantes. Loin d'épouser les vues de ce censeur morose, qui n'avait pas toujours été d'opinion ni de vie si continentes, le baron Haussmann, le grand baron, comme on l'appelait, soutenait la cause des plaisirs parisiens attaqués. Il les proclamait nécessaires, et en relevait hautement l'utilité. Se sentant sur ce terrain en parfaite concordance d'idées avec le maître du logis, il énumérait, non sans une secrète complaisance, les bienfaits dont ils étaient la source quotidienne, pour le bon état des affaires, pour la prospérité du commerce, pour le bien-être général. Puis il avait fermé son plaidoyer, brusquement, sur une boutade : Paris vertueux, s'était-il écrié, ne fût-ce que pendant vingt-quatre heures, ce serait un désastre incalculable !

On regardait l'empereur. On l'attendait à dire son avis. Ce désastre-là, je ne le crains pas, prononça-t-il. Et il souriait à sa pensée, en parlant ainsi. Pour en avoir l'esprit tranquille, il n'avait eu qu'à songer au Paris brillant, joyeux, enfiévré, dont la vision de rêve aurait fait croire que du sein de la grande ville s'étaient envolées toute souffrance, toute misère, toute contrainte fâcheuse.

C'était, en effet, le mirage, la caressante illusion des beaux jours de l'Empire. Longtemps en seront séduites les imaginations enclines à n'en considérer que les apparences légères.

Sous ce régime qui, malgré le vice de sa fondation et les fautes énormes qui en provoquèrent le renversement, donna à la France une incontestable grandeur et une très abondante sécurité, il y eut, certes, d'autres réalités que des spectacles à la fois éclatants et frivoles. Le tourbillon mondain, dont nous allons évoquer l'image chatoyante, toute pailletée d'anecdotes, n'empêchait point de se produire et d'agir les luttes fécondes du travail. Si l'on remuait beaucoup d'or, il est certain qu'aussi l'on remuait beaucoup d'idées. Au milieu d'une immense transformation industrielle et économique prirent date, sous le second Empire, les premiers essais des grandes réalisations, que nous appliquons, aujourd'hui, dans le domaine social. Enfin, il serait bien exclusif de supposer que le troisième Napoléon, malgré de longs intervalles de lassitude et de passivité, n'usait le temps qu'à jouer un rôle de parade ou à s'alanguir dans les distractions voluptueuses. Il serait plus juste de constater que tout n'était pas roses pour les gouvernants, qu'ils furent aux prises avec des difficultés redoutables, et que rarement tant de complications, à l'extérieur, se succédèrent avec une rigueur telle, ne laissant aux acteurs de la politique pas un instant de trêve ni de repos.

Mais, comme nous aurons occasion de le redire : le point incontestable est qu'une tendance prononcée incline l'esprit, dès qu'il s'y porte, à se fixer, de prédilection, sur les aspects riants et souriants d'une courte période d'étourdissement général, où se dépensaient en liberté toutes les folies du cœur et des sens.

Au réel, les mœurs n'étaient pas débordées plus qu'à présent ; seulement elles s'évertuaient à la joie avec plus de franchise aimable et d'insouciance. Le vertige de l'argent, quoique fortement surexcité par les ardeurs de la spéculation et de l'agiotage, n'avait pas été poussé jusqu'à ce degré de fureur et d'intensité, pu nous les vîmes atteindre, plusieurs années après la guerre. Le luxe des femmes, leur amour excessif de la parure, pouvaient stimuler la verve des moralistes du moment. Néanmoins, quelle que fût l'ampleur des cerceaux où s'enjuponnaient les beautés d'alors, les modes du second Empire paraîtraient, en de certains détails, plutôt simples et timides à nos contemporaines. Ah ! si l'on nous avait vues en de pareilles toilettes ! soupirait, un jour de 1904 l'ex-impératrice, comme elle était à Monte-Carlo et que, s'arrêtant à considérer cette frénésie d'élégances, elle se remémorait les blâmes dont on avait couvert les femmes de son entourage pour leur frivolité, leur coquetterie, leurs prodigalités !

Les opinions ont dû se réformer sensiblement sur tout cela.

Simplement, les manifestations de la vie extérieure, à la Cour, dans le monde et jusque dans les sentiers perdus du demi-monde, revêtaient un cachet de personnalité, qui en était l'essence et la marque propre, et dont le caractère, à distance, encore exerce une séduction particulière. Il n'y avait pas seulement là, comme il en fut toujours, une société féminine éprise d'une existence factice et surmenée de dissipations. A travers les différentes zones de ce monde passaient et repassaient des femmes, qu'on distinguait autrement qu'à leurs noms. Il en était pour elles, comme pour ceux qui conduisaient le mouvement de la fête : les groupes n'avaient pas effacé les physionomies individuelles. On y trouvait des figures originales et attachantes. De là le charme attractif qui ramène si volontiers la pensée dans cette direction.

Nous venons d'y céder en ajoutant aux pages intimes des Femmes du Second Empire, dont les sympathies françaises et les traductions étrangères avaient signalé la faveur, des études non moins personnelles, mais étendues à un champ plus varié. Des sommets aux derniers échelons de cette société turbulente, des grandes dames aux parvenues du plaisir, les transitions n'iront pas toujours sans quelque embarras ni danger ; de-ci, de-là, perceront des traits légèrement risqués, des anecdotes un peu court-vêtues, et dont il est à craindre que ne s'effarouchent des juges sévères. Pouvions-nous, cependant, laisser se perdre tant de piquants détails, tant de jolies indiscrétions, guère condamnables, en somme, et que nous avaient livrés, en causant, les hommes d'esprit qui les avaient recueillis ou vécus ?

Il nous sera donné peut-être de nous reprendre aux sujets du second Empire, sous des aspects plus graves et d'une manière plus approfondie. Pour cette fois, qu'il nous soit permis de nous en tenir aux spectacles de mœurs d'une époque troublée, mai pleine d'intérêt, où les femmes et l'amour avaient encore un rôle à jouer dans les coulisses de l'histoire.

 

Frédéric LOLIÉE.