LES FEMMES DU SECOND EMPIRE

 

AUTOUR DE L'IMPÉRATRICE.

 

 

Recommencement d'histoire. — Un pronostic de Stendhal. — Les Montijo à Paris. — Aux chasses de Fontainebleau. — L'empereur se décide. — Une historiette inconnue : chez le duc de Morny. — Déclarations officielles. — Dix années d'enivrements. — Portrait de l'impératrice, au physique et au moral. — Dans son intimité. — Les petites révélations de ses dames du Palais. — Le caractère d'Eugénie opposé à celui de Clotilde. — Des anecdotes. — Vertueuse et charmeuse. — Velléités de flirtation sentimentale. — Un épisode romanesque ignoré. — Comment l'impératrice se laissa gagner au goût de la politique. — Elle commence à intervenir dans les conseils des ministres. — Accroissement de son influence. — Contestations avec l'empereur. — Un incident de lèse-majesté. — Le rôle agissant de l'impératrice, dans les dernières années du règne, et ses conséquences. — Après. — Ce que promettent les révélations de l'avenir.

 

C'était en février 1905. De philosophiques réflexions avaient gagné les esprits, à la suite du contraste saisissant, que présentait, en des circonstances solennelles et tristes, le rapprochement de deux femmes d'un grand âge et d'un grand nom.

Toutes deux avaient occupé, sur la scène du monde, un rôle au plus haut point envié, surtout celle qui demeurait, survivant à ses deuils de puissance, de gloire, de fortune souveraine. L'une achevait de vivre sa journée suprême et se nommait la princesse Mathilde ; l'autre, qui se penchait sur le chevet du lit et prononçait l'adieu sans retour, était l'impératrice Eugénie.

Et voilà que refluèrent les souvenirs en abondance autour de cette dernière personnalité de femme, objet de sentiments si contraires d'adulation et de haine, tant exaltée aux heures de ses jeunes triomphes, puis si longtemps enveloppée d'oubli, d'indifférence ou de pitié, et dont l'Histoire recommençait à se préoccuper.

Vers 1834, Stendhal faisait sauter sur ses genoux une enfant fort jolie, née sous le ciel de Grenade, et dont la grâce espiègle plaisait à son regard. Et, avec ce pli d'amertume qui tourmentait son sourire, le sceptique penseur lui disait : Vous, quand vous serez grande, vous épouserez M. le marquis de Santa-Cruz et moi je ne me soucierai plus de vous.

Certainement elle pouvait prétendre à ce marquisat éloigné, Mlle Eugénie de Guzman, seconde fille du duc Cypriano, comte de Teba, marquis d'Ardalès, grand d'Espagne, et de Maria Manuela de Kirpatrick y Grivegnée, comtesse de Teba et plus tard de Montijo. Des souvenirs illustres glorifiaient la maison d'où elle était issue ; on lui avait appris, avec l'alphabet, que, parmi ses ancêtres, levèrent leur front Alphonse Perez de Guzman, un héros dont les paysans d'Andalousie redisent encore les exploits ; et Gonzalès de Cordoue, surnommé le grand capitaine, et Antoine de Leve, le plus habile des généraux de Charles-Quint.

Cependant, la señorita ne devait pas s'appeler de Santa-Cruz. Des destinées plus étonnantes lui étaient réservées. Le jour où elle entrait dans l'humaine existence, mêlant son faible cri au tonnerre d'un cataclysme, qui soulevait le sol de Grenade et faisait trembler au loin la terre, un mystérieux signe avait annoncé au-dessus de sa tête qu'il n'était pas besoin d'être née princesse pour devenir plus que reine.

L'enfant avait grandi, depuis que Stendhal et Mérimée, assidus chez sa mère, Mérimée surtout, un ami très loin poussé dans la faveur de la maîtresse du logis, charmaient son attention et celle de sa sœur aînée Pacca, une future duchesse d'Albe, par les récits et les contes où se jouait leur imagination. Elle avait voyagé aussi et commencé sur divers points d'Europe l'épreuve de ses armes de conquête.

La famille des Montijo, dont la généalogie[1] se complique d'un triple blason entremêlé sur terre d'Espagne, d'Angleterre et de France, conservait à Paris des souvenirs et des liens. Un degré de cousinage l'alliait à la famille des Lesseps. On ne l'ignorait point dans les salons royalistes, quand elles s'installèrent en la cité parisienne. Les habitués du duc de La Rochefoucauld devaient se rappeler longuement qu'ils avaient vu plusieurs fois la belle Espagnole aux fêtes champêtres, que donnait ce grand seigneur, en son domaine de la Vallée-aux-Loups.

Mesdames de Montijo n'eurent pas besoin de beaucoup de temps pour marquer dans un monde où leur qualité d'étrangères et leurs façons d'être un peu voyantes ajoutaient une attraction de singularité au désir de les connaître. La comtesse, qui ne traversa point Page des passions sans y produire quelque tumulte[2] avait transmis à ses deux filles la beauté régulière de ses traits. On la disait attirante et possédant au naturel l'aménité, qui sied aux femmes de son pays[3]. Mais un charme très personnel avait distingué, de prime abord, partout où on l'accueillait et la nommait, Eugénie de Montijo. Le timbre de sa voix, ses façons, son allure particulière où passait un grain d'étrangeté, tout la désignait aux regards. Il en fut bruit en haut lieu.

Les yeux connaisseurs de Louis-Napoléon en avaient été frappés, la première fois, dans une réunion, chez sa belle cousine. Mathilde, qu'est-ce donc ? demanda-t-il en apercevant cette inconnue, qu'entourait un cercle si animé. — Une nouvelle venue, une jeune personne de famille andalouse, Mlle de Montijo. — Mais, comment donc ! il faut me la présenter. Au dîner, il s'occupa beaucoup d'elle, et la chronique insinue que, peu de temps ensuite, il alla lui rendre visite, en l'appartement rien moins que luxueux qu'elle occupait avec sa mère, au n° 12 de la place Vendôme, qu'il fut jeune et pressant, et qu'on lui répondit : Prince, après le mariage. Mais que valent ces racontars ?

Mme de Montijo, invitée aux chasses de Fontainebleau, fut l'objet visible des attentions du prince-président, bientôt Napoléon III. Il en devint éperdument amoureux, lorsqu'il la vit monter à cheval avec toute la grâce qu'elle y apportait et qu'une secrète intention de plaire rendait encore plus sensible. Les indiscrétions de l'histoire nous ont appris que bien des favorites et reines de la main gauche furent plus d'une fois redevables de leur élévation aux circonstances propices des parties de chasse, qui les avaient portées, amazones légères et provocantes, tout à leur avantage sous les yeux du seigneur. Gracieuses apparitions, chevauchées hardies, allées et venues sous la feuillée... ne sont-ce pas là autant de concours merveilleux à l'impression de la grâce et de la beauté, qui subjuguent ?

Ainsi Mme de Pompadour s'était jetée victorieuse à la rencontre du roi, dans la forêt de Sénart, rendez-vous des chasses royales, s'exposant à sa curiosité, la tentant à l'aide du plus coquet costume, agitant à ses yeux cet éventail sur lequel, dit-on, un émule de Massé avait peint Henri IV aux pieds de Gabrielle. Elle passait et repassait au milieu des chevaux, des chiens de l'escorte du roi, comme une Diane charmeresse, tantôt vêtue d'azur dans un phaéton couleur de roses tantôt vêtue de rose dans un phaéton couleur d'azur. Et, comme elle le prémédita, le roi l'avait aperçue, remarquée, puis choisie.

Pour une victoire plus légitime et plus complète, avec moins d'artifices, Eugénie de Montijo tira prompt avantage de la mise en scène très favorable à sa beauté des grandes chasses de Fontainebleau et de Compiègne.

L'Empereur, visiblement, courtisait la brillante amazone. Autour de lui, parmi les gens de sa suite, et à travers les caquetages de salon, la question brûlante était de savoir si Mie de Montijo céderait à un caprice amoureux ou si, mieux avertie de ses intérêts à venir, plus adroitement stylée, elle saurait opposer une belle résistance, vertueuse et politique. Rarement espionnage de cour et jalousie de femmes eurent si belle occasion de s'exercer.

Louis-Napoléon ne songeait pas à l'épouser. Les circonstances l'y conduisirent[4].

A plusieurs reprises, il avait caressé l'idée flatteuse à son amour-propre d'une alliance royale. La diplomatie française s'était fort agitée auprès des chancelleries de Vienne, de Munich et d'autres lieux, en quête d'une princesse du sang. On avait accueilli ses ouvertures froidement, alors même qu'en dernière chance on s'était rabattu sur un projet d'union avec la fille d'un prince sans couronne et sans sujets, le prince \Vasa, c'est-à-dire l'héritier dépossédé du trône de Suède, sorte de monarque en exil errant par les chemins et les hôtelleries de l'Europe. De toutes les campagnes mystérieuses où l'on s'était aventuré il n'était revenu que des excuses polies. Les familles régnantes semblaient s'être accordées à jeter sur le nouvel Empereur une espèce d'interdit matrimonial.

Irrité de ces dédains vaguement enveloppés de formules de cour et de ces hostilités déguisées, déçu dans ses calculs et, d'ailleurs, amoureux, Napoléon se décida. Un nom avait circulé, soudainement, qui provoqua forte surprise. Un mariage d'amour, à cet étage de la puissance ! Cela pouvait donc se voir ailleurs que dans les féeries et les contes bleus !

On avait peine à s'en convaincre, je dirais presque à en prendre son parti. Témoin ce fait ignoré, que nous raconterons en passant. Peu de jours avant que le désir de l'Empereur fût proclamé hautement, publiquement, on avait préparé, sur son ordre, au palais de l'Elysée, un appartement pour y recevoir les dames de Montijo. Les causeries se donnèrent champ là-dessus, comme on pense ; mais on restait dans le vague et l'on n'avait que des conjectures, où mordaient à faux les médisants discours. Morny, qui connaissait les intentions formelles de l'Empereur, son frère et maitre, voulut devancer les événements et fêter, chez lui, dans un dîner qu'il donna en son honneur, la future souveraine.

Toutes les femmes du monde étaient là. Mme Walewska, dont le mari, ambassadeur à Londres, avait été chargé de pressentir, au dehors, une alliance princière, que paraissaient désigner les circonstances, se trouvait parmi les invités, mais instruite, renseignée des premières du prochain coup de théâtre. On n'en savait pas tant chez la plupart de ces belles darnes, qui prenaient des airs pincés, en apprenant qu'on n'attendait plus que Mlle de Montijo et sa mère. En effet, celles-ci ne tardèrent pas à entrer dans le salon. Morny s'était porté à leur rencontre avec un empressement, dont on s'étonnait sous l'éventail. Mme Fortoul, entre autres, la femme du ministre de l'Instruction publique, en paraissait toute choquée, auprès de Mme Ducos, la femme du ministre de la Marine, — Mme Ducos, qui devait solliciter si instamment plus tard l'honneur d'être la nourrice du prince impérial. Mais Eugénie avait fait son apparition, sous une toilette charmante et avec une, grâce, un naturel, une aisance irréprochables. Pendant que Mme Walewska, qui n'était pas en vain la femme, d'un diplomate, allait à son approche, lui glissant ces mots à l'oreille : Je vous félicite, Madame, de la destinée qui vous attend, d'autres restaient immobiles, dévisageant l'étrangère avec un air de surprise offusquée. C'était une jolie comédie pour ceux qui en avaient le secret.

A défaut de l'infante, qu'on ne lui avait pas donnée, Mue de Montijo fut la jeune fille, que Napoléon III prit par la main et revêtit, du manteau de pourpre. Le 30 mai 1855, il épousait à Notre-Dame la descendante des Guzman, avec cette pompe religieuse, ce déploiement de bannières et toute cette splendeur, que permet le faste monarchique éblouissant les foules.

Dès qu'à la suite des réceptions officielles et des apparitions en public on eut pu tomber d'accord par l'expérience de mille et mille yeux, sur le choix de beauté qu'avait fait l'empereur, il fallut se rendre à l'évidence et reconnaître que son goût ne l'avait pas trompé. Sans être en la fleur de la prime jeunesse, Eugénie de Montijo en avait l'éclat et la fraîcheur. L'harmonie délicate et distinguée des proportions de sa personne ne prêtait guère à la critique, si mal intentionnée qu'elle pût être. Il fallait admirer sous la finesse d'expression de son profil de camée, que n'altérait pas encore légèrement, au bas du visage, la rondeur un peu trop accusée des joues[5], des détails exquis dans l'ensemble des traits, des yeux bleus pleins de lumière, et qui ne laissaient pas encore deviner qu'ils pouvaient avoir aussi l'expression dure, une bouche charmante et fort petite avec des contours enveloppés de grâce, un épiderme délicat jusqu'à la transparence, un teint brillant, des cheveux ni blonds, ni roux, ni auburn, mais dont la teinte, — aidée d'un mystérieux artifice — n'était qu'à elle, tout ce qu'on voyait enfin. A peine osait-on remarquer que la beauté de son buste paraissait diminuée par le raccourci de la taille, comme chez la plupart des Espagnoles. Encore ne voulait-on pas s'en apercevoir, pour ne connaître que la perfection des bras et des épaules. Tous les regards allant vers elle étaient chargés d'une complaisante admiration.

Elle eut à vivre une période incomparable. Les fêtes succédaient aux fêtes. C'était une suite sans fin d'apothéoses. Son voyage dans les provinces de l'Ouest avait été triomphal. Elle paraissait à tous si avenante et si belle dans sa robe en tulle bleu pâle semée de légers fils d'argent ! Elle avait si gracieuse façon de saluer à la ronde, d'envelopper de son regard lumineux et doux, les foules empressées ! Le 13 juillet 1859, l'impératrice et le prince impérial se rendaient du château des Tuileries à Notre-Dame pour le Te Deum de Solferino. Leur voiture, remplie de bouquets offerts par la garde nationale et par les troupes, n'avançait que sur des fleurs. L'ovation du retour dépassa celle de l'arrivée.

N'avait-elle pas su, de la manière la plus heureuse, se rendre presque populaire ? On disait partout sa générosité. On exaltait le sacrifice qu'elle avait fait, au lendemain de son mariage, lorsque la ville de Paris lui offrant un merveilleux collier elle en avait abandonné la valeur et le prix à la population pauvre de la capitale, — sacrifice facile et opportun, qui ne l'empêcha pas de recevoir de l'empereur, un peu plus tard, l'ana. loque bijou, valeur un million de francs ! — La presse officielle ne tarissait pas d'éloges sur l'active sollicitude avec laquelle on la voyait s'appliquer sans cesse à la création de nouvelles œuvres philanthropiques, sur le zèle que déployait l'auguste souveraine à multiplier les crèches, les asiles, les ouvroirs, les sociétés d'assistance, les maisons de convalescence, les asiles de tous genres, dirigeant, inspectant elle-même toute cette grande organisation de charité sociale et poussant chacun à l'imiter autour d'elle.

C'était la rançon populaire de son luxe d'impératrice, des bals et des réjouissances qu'elle donnait à ses yeux, l'année entière.

En ses heures les plus radieuses, elle aimait à s'entourer de jolis visages comme d'une fraîche parure seyant à ses toilettes de cour. L'indéfinissable de sa grâce personnelle — on pouvait ne pas l'aimer, on n'avait pas à lui refuser cela — gagnait aux contrastes de cet assemblage harmonisé, reflet multiple de son élégance, de sa jeunesse épanouie, de son prestige. Qu'avait-elle à craindre de la comparaison ? En elle, les grâces du visage ne laissaient rien à désirer ; la charmante mobilité d'expression des yeux allongés, d'habitude baignés de langueur, la beauté classique du cou, du buste, des épaules, se dégageant des flots de tulle ou de mousseline comme d'un nuage, la souplesse de la démarche, réunissaient tous les suffrages, surtout lorsque, à l'aurore de sa fortune, doutant un peu d'elle-même, elle triomphait encore avec modestie.

Elle était avenante à souhait pour tous ceux qu'il lui plaisait de distinguer dans ses soirées ; et quand c'était aux réceptions de Compiègne, l'une de ses attentions très heureuses était d'avoir pris à l'avance — pareillement en agissait l'empereur — des informations diverses et précises sur le genre de personnalité, la caractéristique du talent ou les titres à la réputation de ceux de ses invités le plus nouvellement admis en sa présence. Parfois elle embrouillait les œuvres et les ouvrages. Il en résulta même de plaisants quiproquos[6]. L'académicien Opperi, remémorant les détails de son séjour à Compiègne, m'en citait, au hasard de sa merveilleuse mémoire, des exemples typiques. Mais d'ordinaire, elle s'en acquittait avec beaucoup d'adresse et de courtoise amabilité. Elle avait une certaine grâce à conter, à parler d'art.

Ce n'était point qu'elle brillât par la spontanéité ni qu'elle eût l'intelligence féconde en saillies. Par moments même, elle avait des absences où l'on ne savait plus ce qu'elle avait fait de son esprit. Une dame Florentine, la marquise de Piccolelli me signalait un trait de ce genre, dont je lui abandonne toute la responsabilité. Eugénie, étant venue à Naples, afin d'y soigner un mal de gorge, qui lui rendait la voix presque atone, était descendue en la magnifique villa du Pausilippe, où, l'hospitalité lui était offerte. Pour distraire l'illustre visiteuse, on avait lancé des invitations, organisé des soirées de jeu et de conversation. Dans la société napolitaine, grande était la curiosité d'approcher la belle souveraine, de la contempler, de recueillir avidement les paroles spirituelles qui ne manqueraient pas d'abonder sur ses lèvres. Une après-midi, le temps s'était brouillé, la pluie attristait la ville et voilait l'horizon de la magnifique baie. Je voudrais bien, dit tout à coup l'impératrice semblant sortir d'un songe, qu'on m'expliquât pourquoi lorsqu'il pleut sur terre il pleut aussi sur mer. On s'entre-regarda, surpris de la simplicité du propos. Mais nous l'avons fait observer, ce ne pouvait être qu'une distraction. Elle se trouvait en veine plus heureuse, quand meilleures étaient sa voix et sa santé. Que dis-je ? Il ne lui messayait point de hasarder de certains mots alertes, à l'occasion. J'en relèverai seulement un, qui servira de réparation à l'ingénuité de tout à l'heure.

Les façons attirantes, la vivacité spirituelle, l'enjouement aisé du prince Henri de Reuss avaient gagné toutes les sympathies des salons à cet envoyé intérimaire de la Prusse et l'avaient porté à l'état de grand favori chez l'impératrice et l'empereur. Une après-midi, Leurs Majestés avaient honoré de leur visite cet aimable représentant de la chancellerie prussienne. Eugénie manifesta le désir de visiter les appartements. L'ambassadeur se mit à ses ordres, la conduisit à travers les salons, les pièces décoratives et officielles, et comme on traversait la chambre à coucher, il voulut passer vite ; mais elle, s'arrêtant en face du lit : Ah ! c'est ici la place d'armes ! dit-elle avec un sourire.

Elle avait l'humeur diverse, comme elle avait l'esprit variable. A l'égard des femmes de sa Cour, les sentiments qu'elle éprouvait ou montrait n'étaient pas exempts de caprice et contradiction. Des accès de jalousie, fort explicables, d'ailleurs, traversaient brusquement son intimité. Elle ne pouvait supporter celle-ci ou celle-là, que désignait trop visiblement une préférence momentanée de l'empereur. Elle choya beaucoup de jolies femmes, que la malignité des salons représentaient comme des rivales, Mme de La Bédoyère, de Cadore, Walewska, sur qui tous les yeux étaient portés.

Pour les personnes de son entourage habituel, pour les darnes du Palais[7], qui, sous la conduite de la grande maîtresse et princesse d'Essling, renouvelaient, à tour de rôle, leur aimable service quotidien, elle avait, comme nous en témoignait personnellement l'une d'elles restée très attachée au souvenir de l'impératrice, la comtesse de la Poëze, un agrément de franchise, qui leur rendait ces rapports journaliers faciles. Croyait-elle avoir à se plaindre d'une omission, d'un détail qu'on lui avait rapporté de travers : Vous n'auriez pas dû dire ou faire telle chose, exprimait-elle. On répondait à son observation de façon nette. On s'expliquait. Et la chose éclaircie, il n'en était plus question. En cela l'impératrice se montrait tout à fait l'opposée de la froide et un peu rechigneuse princesse Clotilde, si renfermée d'habitude. En pareil cas, celle-ci ne haussait pas la voix d'un quart de ton ; mais elle baissait les paupières, plissait les lèvres et ne parlait plus. Ce qui était, me certifiait l'une de ses dames d'honneur, la chose la plus insupportable du monde. Et pendant des heures, elle ne se déridait point, mais demeurait enfoncée dans cette bouderie silencieuse. Elle pouvait, se rencogner obstinément, dans sa voiture, au trot lent de ses chevaux, et n'adresser ni un mot ni un regard à la personne qu'elle honorait de sa société. Mme de Clermont-Tonnerre se morfondit plus d'une fois auprès de la pauvre princesse, pendant que celle-ci continuait à dérouler les grains de son chapelet, sans peut-être prier intérieurement, mais par un vouloir bien arrêté de s'abstraire de sa compagnie. Soit dit en passant, on a beaucoup reproché au prince Napoléon les légèretés de sa conduite et le délaissement très évident dans lequel il laissait languir la princesse Clotilde. Mais vraiment la société de la sage, prudente, circonspecte et dévote Italienne devait lui sembler pauvre d'agréments en comparaison de ce qu'il trouvait auprès de la charmante comtesse de Canizy.

C'était à décourager de la vertu s'écriait, en nous racontant ces historiettes une dame du palais de l'impératrice, qui, avec son humeur enjouée et son caractère vif, se fût sentie malheureuse à périr dans l'atmosphère de glace dont s'enveloppait la princesse Clotilde, si janséniste d'atours et de discours !

Nous parlons de vertu... C'était à l'impératrice nécessité d'état d'en suivre la ligne rigide. Le devoir lui en était aisé, par nature. Comment le savait-on ? N'importe ! Le fait était connu qu'elle n'eut jamais à soutenir de brûlants combats avec elle-même. Ajouterons-nous qu'elle se voyait trop exposée aux regards, dans son palais, une maison de verre où rien n'échappait de ses moindres mouvements, de ses plus menues attentions et marques de préférence, et qu'elle aurait eu trop à risquer, trop à perdre, en ne restant point ce qu'elle fut., comme l'attestèrent ensuite les femmes qui vécurent auprès d'elle : impeccable ? Elle ne donna jamais lieu par sa conduite à une justification ou, si l'on veut, à une excuse des fredaines galantes de l'empereur.

Pour être impératrice on n'en est pas moins femme. Or, toute créature féminine, selon le mot d'un poète, a trouvé  dans son berceau l'éventail de Célimène. Eugénie ne pouvait être que l'une des plus honnêtes grandes dames de la cour ; mais d'être une charmeuse, d'allumer les âmes au passage, c'était un plaisir, une sensation, qu'elle ne se défendait point d'interroger. Hasard, caprice, fantaisie d'une heure, elle en effleura, tout au moins, le léger frisson. Elle s'y aventura même, certaines fois, jusqu'à l'imprudence. Il se passa à Fontainebleau, au printemps de 1860, une aventure dont on parla toute une semaine à mots couverts. L'impératrice avait eu l'idée de se rendre déguisée à une fêle de village ; et des gens de sa suite, aussi déguisés, avaient fait un mauvais parti à un galant trop démonstratif auprès de l'anonyme Majesté. On critiqua cette équipée. Il n'était ni sage ni convenable, se disait-on, que l'impératrice jouât au calife des Mille et une Nuits. En son monde, elle n'avait pas à craindre de pareilles mésaventures, sous le masque, dans les bals travestis. Il lui plaisait alors d'oublier sa couronne, et les charges de l'étiquette en ces brillantes mêlées, et d'amuser son imagination aux délicates familiarités du flirt. Elle en rapportait, la journée finie, de ces impressions douces et sans périls auxquelles on repense ensuite ; c'était une agréable réminiscence, presque un secret à partager avec un autre, sans qu'il le sût peut-être. Mais il me fut narré directement une jolie anecdote là-dessus, ressemblant par les détails et la couleur à un épisode romanesque.

Le domino ne dissimulait qu'imparfaitement aux yeux des habitués des Tuileries, qui la reconnaissaient à la démarche, à des traits particuliers, la personnalité de l'impératrice, non plus que celle de l'empereur. Mais le bal n'avait pas lieu cette fois, en la résidence des souverains. Il se donnait chez le duc de Morny. Parmi les invités du président de la Chambre se trouvait un gentilhomme, ami particulier du duc, et à qui ses opinions légitimistes ne permettaient point de rechercher les invitations de la Cour. Ce qui ne l'empêchait point au reste d'être des meneurs à la mode de la fête parisienne et mondaine. Il avait marqué sa place très en évidence dans le cercle, où s'évertuait la fine fleur des lions et des lionnes. Les femmes lui tenaient compte d'un physique heureux, qu'avantageait moins la régularité des traits que le caractère expressif de la physionomie ; elles lui savaient gré de ses attentions opportunément discrètes, empressées, galantes, de ses manières tour à tour soumises et dominatrices, soit au dehors, soit dans l'intime, avec des contrastes de douceur et de brusquerie, de faiblesse aimante et d'audace ou d'emportement. Il méritait auprès d'elles encore par son esprit alerte, par l'entrain, la souplesse qu'il dépensait à les distraire. Dans les bals, les soirées, il s'était acquis le renom d'un entraîneur, qualité précieuse et qui ne pouvait que disposer en sa faveur aux plus agréables retours. Il possédait en perfection l'art d'intriguer.

Donc, il en déployait, ce soir-là, toutes les ressources auprès d'une très séduisante femme, dont les lignes exquises, les mouvements pleins de grâce et de noblesse avaient au plus haut captivé son attention. Il prévoyait, à tenter l'aventure, quelque chose d'imprévu et de piquant où s'obstinait son ardeur. Il ne voulait plus séparer ses pas des siens. On l'écoutait. Il devenait pressant, jouait du sentiment, de la passion et s'animait à un tel point que l'impératrice en concevait de la gêne, presque de l'inquiétude. Elle s'échappe. Il la perd de vue ; mais aussitôt se met à la recherche de la mystérieuse. En pénétrant dans un petit salon retiré, il la retrouve, assise auprès de la duchesse de Bassano.

Il se glisse vers elle et lui murmure à l'oreille : Je ne te quitte plus ; s'il ne m'est pas permis de connaître, ce soir, le joli visage qui se dérobe sous ce velours délesté, je veux savoir, au moins, ton nom. Et il ranime le feu des propos avec plus de vivacité que tout à l'heure. Elle se joue de sa curiosité, élude ses questions. Qui est-elle ? Pourquoi se refuse-t-elle au désir qu'il lui exprime si ardemment de savoir qui elle est ? Tu n'y consens pas. C'est bien. Je le saurai, cependant. Bientôt on appellera ta voilure. Je serai là ; et si je n'ai pas entendu le mot que j'espère, je volerai aussi vite que les chevaux pour être en même temps à ta porte. Il ne me sera plus difficile, après, de connaître le mystérieux nom. Mal à l'aise, sous cette insistance, et, néanmoins, intéressée, l'impératrice réfléchit, un instant : Si ton cœur n'est pas sincère en ses déclarations, je n'ai pas à m'en préoccuper. Suis ton caprice. Si, au contraire, je dois croire aux sentiments qu'il atteste, je te demanderai de ne pas chercher à trahir mon secret. En échange de ta parole, je te promets de répondre au désir que tu me manifesteras, si ce désir est raisonnable. — Que puis-je souhaiter, si ce n'est pas un rendez-vous ? — Un rendez-vous ! Ah ! la chose n'est pas simple. Tu l'auras, cependant, mais ce ne sera pas chez moi. Vois ce domino, là-bas, qui me fait signe d'abréger la conversation ; c'est mon mari, qui s'impatiente et me presse de revenir... Adieu... Tu pourras me voir, demain, l'après-midi, à trois heures, au Bois de Boulogne, près du lac. Je serai dans un landau découvert ; je passerai deux fois le mouchoir sur mes lèvres, et tu sauras que c'est moi.

A l'heure indiquée, le marquis de C*** foulait le sable de l'avenue, le cœur battant d'espoir. Tandis qu'il songeait à son inconnue et, dans son âme, édifiait un roman d'amour, un mouvement se produisit. Les promeneurs s'arrêtent. Des piqueurs se sont annoncés, devançant l'attelage de la souveraine des Français. Aussitôt il se découvre devant l'impératrice, devant la femme qui passe à l'allure ralentie de ses chevaux. Mais, où va sa pensée ? Quelle surprise est la sienne, en voyant, que doucement et à deux reprises, elle a passé le mouchoir sur sa bouche, comme il avait été dit la veille ! C'était donc l'impératrice !

Quelques minutes s'écoulent. Il n'est pas encore revenu de sa stupéfaction, quand l'écuyer de service, qui était, ce jour-là, le baron de Bourgoing, se détache du cortège et vient à lui.

Monsieur, prononce-t-il, Sa Majesté vous fait demander quel jour il vous serait agréable d'être invité aux Tuileries.

L'honneur que me fait Sa Majesté et sa gracieuse intention me comblent de gratitude. Je me permettrai de l'en remercier par une lettre, qui lui parviendra demain.

Oh ! les lettres ne vont pas si vite ni si facilement aux mains de l'Impératrice. Il serait préférable que je pusse rapporter votre réponse et la lui transmettre de vive voix.

Souffrez que je maintienne ce que je viens de dire, et veuillez avoir la bonté de présenter à Sa Majesté mes hommages.

Le marquis de C*** savait que son amie Mme de Sancy Parabère serait de service, le lendemain, aux Tuileries, comme dame du Palais. Il écrivit donc la lettre annoncée ; il la remit entre les mains de Mme de Sancy en l'assurant qu'elle était attendue. Elle parvint sans détour à l'impératrice. En se rendant à une invitation aussi séduisante, écrivait-il, il eût contenté le plus cher désir de ses yeux ; mais, d'y obéir, c'était, en même temps démériter auprès d'elle-même, c'était donner un démenti ne caractère inviolable des principes qu'elle lui connaissait. Il la priait d'admettre qu'il en déclinât la tentation... La bienveillance personnelle de l'impératrice n'en fut point suspendue. Elle agréa de reprendre l'intime causerie, en d'autres occasions de fêles, encore chez le duc de Morny. Elle fit davantage. Elle ne craignait point de favoriser d'une sorte d'entretien public l'homme du monde, l'homme de société, qui avait su parler, un moment, à son Cime ou à son caprice. C'était aux courses de Fontainebleau. Laissant sa cour en arrière, elle avança de plusieurs pas et demeura quelques moments à causer seule à seul avec le féal et intransigeant monarchiste. Ce fut une sorte de scandale politique dans le cortège impérial. Descendre de sa tribune pour aller presque au-devant d'un gentilhomme de lettres, qu'on ne voyait Os aux Tuileries, n'était-ce pas outrepasser les bornes de la fantaisie ? Les ralliés non plus n'en revenaient pas de surprise. Pourquoi ? Qu'était-il ? Qu'avait-il fait ? On ne s'expliquait point les raisons d'une sympathie, dont la cause véritable échappait à celui-là même qui en fut l'objet, à plusieurs reprises et sous différentes formes.

Mais laissons tout cet anecdotage et revenons à des considérations plus sérieuses.

Il y avait une dizaine d'années que brillait l'astre impérial sans ombres apparentes. C'était l'âge d'or du Second Empire, à l'apogée de sa prospérité, la lune de miel de la spéculation financière, le temps fortuné par excellence pour tous ceux et toutes celles qui pouvaient jouir de succès continus, vivre tranquillement et gaîment. Les étrangers affluaient, apportant leurs écus en échange de nos jouissances. Ils passaient éblouis au travers de cette belle existence parisienne où tout paraissait n'être que féerie, décor, volupté, attirance des yeux et séduisants mensonges. Et l'impératrice était plus que jamais comblée d'hommages et d'adulations.

Cependant, on commençait à s'apercevoir qu'elle-même se laissait gagner au vertige de cette faveur extraordinaire du sort. Son humeur primesautière s'en ressentait jusqu'à se montrer incohérente et versatile. Sa naturelle mobilité l'entraînant, d'un moment à. l'autre, aux extrêmes des idées et des sentiments, se rendait de plus en plus sensible à ceux qui l'approchaient. On notait malignement de l'inconséquence dans certaines de ses paroles. Elle avait éveillé la critique[8].

Elle était omnipotente aux Tuileries et le faisait apercevoir. De complexion nerveuse et de caractère vif, peu accessible au raisonnement, tout impulsive et par cela prête aux intempérances les moins justifiées comme aux plus nobles élans de l'âme, elle inquiétait son entourage et en premier lieu son flegmatique époux, qui craignait fort les explosions soudaines de ce zèle gouvernant.

Une ingérence aussi tumultueuse n'avait pas éclaté d'un seul coup. Pendant plusieurs années, par un reste de timidité féminine, Eugénie s'était tenue totalement en dehors du terrain brûlant de la politique. L'empereur s'était bien donné de garde de l'y introduire, et elle ne l'en avait point prié. Mais des causes diverses et d'ordre personnel, l'envie mal déguisée de la plupart des membres de la famille Bonaparte, des dissentiments plus pénibles avec l'empereur, dont les écarts conjugaux se trahissaient jusque sous ses yeux, dans les fêtes de la cour comme aux réceptions ministérielles et une perception différente des réalités de la situation, lui avaient découvert le vide de son existence intime. Elle s'était promis d'en prendre tout au moins une sorte de revanche morale en prouvant qu'elle pouvait sortir des détails de la toilette et du gynécée, prendre sa part des choses sérieuses, conseiller, diriger, intriguer politiquement. Et elle en avait si bien pris l'habitude qu'elle ne voulut plus s'en détacher.

Elle était parvenue à exercer au gré d'une humeur turbulente, et que d'aucuns jugeaient brouillonne, une réelle influence politique, qu'avait beaucoup accrue sa régence de 1865. Elle intervenait, sinon dans les conseils, du moins dans la connaissance des questions qui s'y traitaient. Les ministres prenaient l'habitude d'aller chez elle. On l'instruisait des affaires du jour. Elle objurguait et prononçait. Ses idées personnelles se formaient sur les confidences qui lui étaient faites, et se compliquaient de préjugés ou de partis pris avec lesquels l'empereur eut à lutter.

La plus chaude de ces alertes extra-officielles eut lieu vers la fin de 1867 et vaut d'être racontée. C'était, disons nous, dans les dernières années de l'Empire. L'Exposition avait fermé ses portes et les souverains étrangers leurs malles[9]. De vagues inquiétudes commençaient à se faire jour, et des alarmes s'éveillaient et des bruits se répandaient, avant-coureurs d'événements graves, au dedans et au dehors. Les partis extrêmes s'agitaient. Par des signes qui ne trompent point les esprits à longue portée la scène politique s'annonçait prête pour des transformations prochaines et de nouveaux acteurs. L'empereur était malade, indécis, flottant entre des résolutions généreuses et des retours à l'arbitraire sans fermeté. L'impératrice, moins occupée des dissipations mondaines, où s'était répandue fiévreusement la jeunesse de son règne, s'immisçait de plus en plus dans les questions d'Etat. Elle en traitait avec les ministres, elle en discutait avec l'empereur et faisait connaître, sinon prévaloir, des désirs, des volontés, qui n'étaient souvent que des impulsions.

A ce moment l'Italie, très impatiente de rentrer en possession de Rome encore soumise à la domination temporelle du pape, réclamait le retrait des troupes françaises, chargées de garantir la souveraineté des pontifes. Au contraire, l'impératrice, très dévouée à l'Eglise et ne souhaitant rien autant que de voir son époux justifier la qualification de Majesté Très Chrétienne, Eugénie appuyait le maintien du détachement français, pour la protection des Etats romains. Deux auxiliaires puissants : Metternich et l'ambassadrice secondaient ses vues et n'hésitaient pas à les soutenir auprès du cabinet français[10]. Il fallait aviser sur la conduite à tenir et prendre une décision. Napoléon III réunit le conseil des ministres, afin d'en délibérer ; et, redoutant non sans cause que l'impératrice ne songeât à influencer de sa présence l'examen de la question, il défendit qu'on la prévînt de cette assemblée secrète.

Mais ce qu'on lui cachait elle l'avait su ; et, comme les impressions étaient vives en son âme d'Espagnole, sous le coup de cette nouvelle, aussitôt bouillonnante de colère, elle vola plutôt qu'elle ne marcha vers la salle de délibération. Un cent-garde était planté devant la porte et chargé d'en interdire l'accès à quiconque. Il s'oppose au passage de l'impétueuse souveraine.

Je veux entrer, retirez-vous ! crie-t-elle avec emportement.

Plein de trouble en cette alternative ou de faillir aux ordres qu'il avait reçus ou de faire injure à son impératrice, galant envers la femme autant que fidèle à sa consigne, le cent-garde tombe aux genoux d'Eugénie, en étendant la baïonnette au travers de la porte :

Majesté, on ne passe pas, ordre de l'Empereur.

C'est ce que nous allons voir !...

Et cavalièrement elle saute par-dessus la baïonnette du soldat de parade, enfonce la porte et se précipite au milieu de la salle avec la violence d'un ouragan. L'empereur présidait grave, imperturbable, ayant seul la tête couverte au milieu de ses ministres respectueux et attentifs. Mais le souverain n'en impose point à l'épouse irritée, qui ne voit en lui que l'homme, le mari, et le prouve. Elle va droit à lui, d'un revers de main jette à terre son chapeau, et, sans dire un mot, ressort comme elle était entrée, laissant les ministres stupéfaits et consternés. Connaissant la faiblesse intime de Napoléon, elle ne s'en tient pas là, et veut aussi faire son coup d'Etat... conjugal. Elle remonte avec précipitation dans son appartement, ordonne des préparatifs de départ et s'enfuit du palais, en voiture, un simple fiacre, sans autre compagnie qu'une dame d'honneur. Elle partait en Angleterre espérant bien qu'on l'y viendrait requérir et que, pour obtenir son retour, on lui céderait de tous points.

Qu'allait-il se passer ? Comment expliquer à l'opinion publique cette étrange équipée ? Aussitôt de prendre des mesures. On choisit, parmi l'entourage habituel d'Eugénie, une femme ayant avec l'impératrice quelque ressemblance de figure et d'allure ; on l'embarque en grand apparat dans une voiture de la Cour, pour la gare du Nord et le bruit est semé fort ingénieusement que la souveraine des Français est allée rendre visite à sa chère amie Victoria. Du même train un diplomate s'était rendu auprès de l'impératrice pour lui représenter les suites possibles d'une telle aventure. Elle avait eu déjà le temps de réfléchir. La correcte Majesté britannique n'avait pas approuvé la fugue, au contraire, et connaissant la cause de ce voyage intempestif, avait reçu froidement la souveraine à laquelle, d'ordinaire, elle prodiguait, de loin ou de près, les marques d'une réelle affection ; et la belle princesse en fuite n'eut à faire que de reprendre discrètement le chemin des Tuileries et de l'appartement conjugal. L'histoire ne dit point de quels gages fut scellée la réconciliation.

Quoi qu'il en fût, les désaccords qui se produisirent, d'aventure, entre l'empereur et, l'impératrice provenaient rarement d'une cause politique. Des motifs plus directs la forçaient à élever la voix et à se plaindre. Elle ne supportait pds sans colère l'humeur volage de son époux et la dispersion de ses fantaisies galantes. Napoléon, qui était ondoyant devant les hommes et faible avec les femmes, et qui aimait sincèrement, au fond de son cœur, la compagne qu'il avait choisie par amour, faute d'avoir épousé celle qu'il aurait élue par ambition ; Napoléon, qui était un tendre dans l'intimité et dont la façon populaire de prononcer le petit nom de l'impératrice, sans dire la première lettre ravissait les dames d'honneur en général et Mme Carette en particulier ; Napoléon, qui chérissait sa femme et aussi la tranquillité, n'appréhendait rien tant que les accès de jalousie, ou de dignité offensée, auxquels il donnait si souvent prise. Un familier du château le disait à un conteur d'histoires :

L'empereur, voyez-vous, a tellement peur du bruit dans sa maison qu'il serait capable de mettre le feu aux quatre coins de l'Europe pour se soustraire à l'une des scènes de ménage, dont il fournissait les raisons par ses infidélités.

Mettre le feu aux quatre coins de l'Europe ! quel excellent dérivatif aux tracas domestiques d'un porte-couronne, excellent surtout pour les peuples, qui ont à en supporter les risques et les frais !

Ces crises, ces traverses, n'empêchaient point de persister un réel attachement, surtout du côté de l'empereur. Les heures revenaient fréquentes de tendre intimité et d'affection réciproque. On les voyait quelquefois l'un et l'autre se promener conjugalement dans quelque allée solitaire du Bois de Boulogne, souriant à leurs pensées. à leurs souvenirs, à leur présente quiétude.

Fâcheusement, à mesure que déclinait la santé de l'empereur et que le mal, en affaiblissant le corps, diminuait aussi la vigueur morale, l'ascendant de l'impératrice grandissait, entreprenant, aventureux. Il y avait, dans le conseil, deux partis : celui de l'empereur et celui de l'impératrice, l'un prudent et circonspect, l'autre agressif et belliqueux. Il est hors de doute qu'Eugénie poussa aux résolutions extrêmes, qui rendirent irréparable le choc de la France et de l'Allemagne[11]. Elle voyait avec anxiété le moment où le prince impérial succéderait à son père dans des conditions de force et de stabilité très amoindries. A l'intérieur, l'Empire devenu parlementaire trahissait dans ses décisions une longanimité, qui étonnait les ennemis mêmes du gouvernement. Les mains qui tenaient le pouvoir défaillaient. Une guerre heureuse et qu'elle s'imaginait, n'écoutant que son désir, devoir être aussi glorieuse que la campagne de Crimée, aussi courte que celle menée contre l'Autriche, cette guerre pouvait être le salut de la dynastie. Elle ne la provoqua point, mais son ardeur et ses élans ne servirent pas à l'empêcher. Au contraire. Et les idées de l'impératrice prédominèrent. Son pouvoir fut assez grand même pour amener le changement des dispositions primitives résolues, en cas de guerre, sur le rôle de Napoléon III et la répartition des corps d'armée.

On ne suspend point le cours de l'inévitable. Quelques mois à peine s'étaient écoulés, depuis que l'Empire autoritaire avait fait place à l'Empire libéral. On en croyait les promesses de longue durée. Et cette seconde monarchie napoléonienne, issue d'un coup de force et qu'on espérait légitimer par l'illusion d'une hérédité, s'écroulait sous le poids d'un désastre inouï, léguant à la troisième République, avec les fléaux de l'occupation étrangère, les funestes perspectives de la ruine et du démembrement de la patrie.

Depuis la fatale journée du 15 juillet, depuis la déclaration de la guerre, la France n'avait subi qu'une série de défaites. Le souffle révolutionnaire emporta ce qui restait du régime impérial. Au matin du 4 septembre, le prince de Metternich et le chevalier Nigra décidaient l'impératrice à quitter Paris. Et quel départ ! Elle dut fuir presque seule, au bras d'un dentiste. Dans la nuit du 3, des fidèles avaient pris la précaution de mettre à l'abri les souvenirs les plus précieux de la souveraine, une partie tout au moins[12], et de confier à de sûrs émissaires la cassette aux bijoux. Superbes écrins de perles et de diamants qu'elle ne devait pas garder, mais laisser vendre pour devenir, au delà de l'Océan, l'étincelante parure non de reines ni de princesses, mais d'Américaines jouissant d'un pouvoir plus incontesté : la souveraineté des millions.

Elle était arrivée sans trop d'encombres en Angleterre, et descendue à Camden-Place, en cette propriété de Chislehurst, qu'avait préparée de longue main pour les hôtes attendus du malheur un Anglais original, un nommé Shode, lorsqu'il en prévoyait l'utilité, bien avant la catastrophe.

L'empereur Napoléon, disait-il alors d'un ton convaincu, et en dépit de toutes les apparences, sera détrôné un jour ou se trouvera fatigué de régner en France. Il se rendra, ce jour-là, en Angleterre, et c'est ici qu'il résidera.

De Camden-Place, elle entretenait une correspondance active, suivant les péripéties du drame engagé, jugeant les événements, se préoccupant de l'état des esprits, notant les chances de retour et de réinstallation, témoignant., d'ailleurs, une sincère affliction des malheurs de la nation française... Si j'étais aux Tuileries, insinuait-elle au travers de ses lettres, je ferais ceci, je ferais cela...[13] Mais elle n'était plus aux Tuileries.

L'idée d'une restauration impériale l'avait ressaisie tout entière, après quelques heures de prostration. Un vague complot bonapartiste se dessina. Le vote de déchéance par l'Assemblée nationale et l'arrivée de Thiers au pouvoir le renfoncèrent dans le néant.

Nous glisserons sur ce qui se passa, à la suite de la mort de Napoléon III : ouverture anticipée du testament, pénibles désaccords de famille, récriminations amères du prince Jérôme et mainmise absolue de l'impératrice sur les conditions de vie matérielles et morales du prince héritier.

Le sens autoritaire, qui lui faisait regretter si haut, au moment de l'établissement de l'Empire libéral, la Constitution oppressive de 1852, ne l'avait pas abandonnée dans l'exil, chez elle, autour d'elle. Comme épouse, elle n'avait pas dissimulé ses tendances dominatrices. Comme mère, tutrice[14] et conseillère, elle gouverna jusqu'à la contrainte, et avec de la sécheresse de cœur[15], le caractère enthousiaste, indépendant du prince. Et ce fut l'une des raisons principales, qui le déterminèrent à partir pour le Zoulouland. Car il y avait eu autre chose dans la décision funeste qui l'y porta, qu'une turbulente envie de se distinguer par des actions d'éclat au milieu des brousses africaines. Assujetti à une tutelle trop lourde et, à de certains égards, impolitique, aurait-on supposé qu'il dût aller chercher de l'air et de la liberté jusqu'en ces régions nigritiennes où la sagaie d'un Zoulou borna son rêve[16] ?

Such is fate ! tel est le sort. La mort du prince brisa les derniers ressorts d'énergie de l'impératrice. Son rôle était bien achevé.

On l'aura vue, plusieurs fois, dans les dernières années, tout enveloppée de ses voiles de deuil, tenter quelques visites discrètes et furtives à ce Paris, que ses équipages traversaient autrefois dans un vent de fêtes, de revues, d'acclamations. Elle y passait par circonstance ; elle s'y attardait volontiers à remuer tant de souvenirs, comme elle remuait la poussière du bout de la canne à béquille d'écaille sur laquelle elle soutenait sa démarche alourdie.

Obsession bien caractéristique : chaque fois elle a voulu choisir le même abri pour ses séjours temporaires, et je dirais aussi le même centre d'observation. Elle s'est toujours complu à loger en face de ce jardin des Tuileries, qui fut le sien, pour, au moins, le revoir et pour promener ses pas sur le sable des allées, où se dressait en perspective le palais qu'elle anima de son luxe et dont les ruines ont disparu, comme les traces de sa beauté, détruite par le temps et par les larmes. Mais, hélas ! ces promenades n'allaient pas sans quelque déboire. Un jour de printemps, l'ex-impératrice, perdue au milieu de la foule, errait parmi ces plates-bandes toutes fleuries, que dominait jadis la résidence monarchique. Quelles pensées, quels nostalgiques souvenirs ne devaient pas hanter la pauvre Majesté déchue ? Et, soudain, celle qui avait régné en ces lieux par la grâce et par la puissance, se baissa et cueillit une humble fleurette dans les plates-bandes municipales. Aussitôt, moustachu et barbu de blanc, portant sur sa poitrine la médaille de Crimée, un vieux gardien de s'élancer et d'un ton bourru : On ne cueille pas de fleurs, ici !

Que les temps étaient changés !

Le respect qu'on doit à l'âge et aux grandes infortunes aura rehaussé, cependant, d'un reflet de majesté les lueurs mourantes de cette vieillesse impériale au delà de laquelle tant de pièces importantes, tant de documents notoires jalousement réservés deviendront, à l'heure du jugement historique, des éléments d'apologies ou de réquisitoires, de défenses ou d'exécutions individuelles d'une étrange force[17].

 

 

 



[1] L'impératrice Eugénie fit toujours grand état de ses généalogies espagnoles.

[2] En 1852, une note de Viel-Castel : Mlle de Montijo, jeune, blonde, Espagnole de la plus grande naissance, est, depuis le voyage de Fontainebleau, le but des attentions du prince... qu'en dira mon frère Louis, qui a été l'amant de sa mère, et qui est resté son ami !

[3] Le rang souverain, auquel la plus merveilleuse des aventures exhaussera sa fille, n'apportera aucun changement dans ses manières ; on lui saura gré de n'en être ni plus fière ni plus hautaine... Qu'elle le préférât ainsi, ou que l'empereur, sciemment et â dessein, eût éloigné d'elle les occasions d'étendre son influence ou de grandir son rôle, la comtesse de Montijo n'occupa jamais à la Cour la situation â laquelle on pouvait croire qu'elle était en état de prétendre... On en cherchait la cause dans son inclination maternelle beaucoup plus accusée envers la duchesse d'Albe, sa fille aînée, qu'envers l'impératrice.

[4] La diplomatie secrète du chef de l'État, qui n'était encore que le prince-président, avait tourné ses premiers regards vers l'Espagne. Le duc de Rianzarès, qui entretenait des relations suivies avec la nouvel hôte des Tuileries, entreprit de négocier le mariage de Louis-Napoléon avec l'infante Marie-Christine, sixième enfant et quatrième fille de don François de Paule et conséquemment la sœur du mari de la reine Isabelle II. A peine âgée de dix-sept ans, on la disait peu jolie et médiocrement riche. Aucune demande officielle ne fut faite et l'Espagne n'eut pas à se prononcer pour ou contre.

[5] L'ovale de la figure n'était pas absolument parfait et n'allait pas en s'adoucissant vers la partie inférieure du visage d'une façon aussi sure qu'on l'aurait désiré : le profil était irréprochable.

[6] C'est ce qui arriva pour Sainte-Beuve, dans l'unique occasion qu'il avait eue de causer en tête-à-tête avec Napoléon III. Je vous lis toujours dans le Moniteur, lui affirma le souverain, avec la meilleure intention de lui être agréable. Seulement, il y avait deux ou trois ans que les Nouveaux Lundis paraissaient dans le Constitutionnel.

[7] La comtesse de La Tour-Maubourg, la vicomtesse Aguado, la huronne de Malaret, Mme de Sancy-Parabère, les comtesses Lezay-Marnésia, de la Poëze.

[8] Et quel genre de critique acerbe, de la part des malveillants ! En 1860 l'un de ceux-là croyait interpréter l'opinion de bien des gens lorsqu'il écrivait :

J'ai peine à analyser le caractère de cette femme, et je découvre encore moins où elle veut en venir. Son affection pour l'empereur est affaire d'ambition ; son amour maternel me parait très problématique ; et elle n'agit dans aucune circonstance de manière à se concilier l'affection des Français.

[9] Douze empereurs et rois, six princes régnants, un vice rai, neuf héritiers présomptifs, sans compter toute une série d'altesses avaient été les hôtes de Paris, depuis le printemps. Cette statistique exaltait de joie et d'orgueil les panégyristes du trône.

[10] Le prince Richard de Metternich écrivait, dans l'automne de 1862, à un familier des Tuileries, cette lettre intéressante, qui ne laisse aucun doute sur le fond de ses opinions, de partage avec celles de l'impératrice :

Château de Kœnigswart,

27 septembre 1862.

Mon cher ami,

Un de mes amis m'écrit que vous semblez inquiet des efforts, que fait le parti extrême pour amener de nouvelles concessions dans la question romaine. Je vous assure qu'après ma dernière entrevue avec l'empereur et l'impératrice, à Saint-Cloud, je ne puis croire que ce parti ait la moindre chance de réussir. Les paroles que j'ai recueillies de la bouche de l'empereur étaient si explicites et si dignes que j'ai emporté la conviction (des faits seuls pourraient me la faire abandonner) que le statu quo sera maintenu à Rome tant que l'armée française ne pourra quitter honorablement la ville éternelle. Vous savez combien je me félicite de pouvoir proclamer hautement la fermeté avec laquelle l'empereur a toujours tenu les promesses qu'il m'a faites et maintenu les assurances qu'il m'a données. Aussi suis-je persuadé que l'empereur, tout en ménageant ses intérêts en Italie, ne cédera pas l'essentiel de la question. Telle était la conviction de Celle qui, pour moi et pour beaucoup de monde, personnifie la dignité du la France et la loyauté dynastique.

Veuillez, aussi vous ne m'oubliez pas, me rappeler au souvenir de LL. MM.

METTERNICH.

[11] Je suis bien forcé de reconnaître que l'impératrice a été, sinon l'unique, au moins le principal auteur de la guerre, en 1870... Elle comprenait quelle faute elle avait commise, en 1866, en empêchant l'empereur d'accepter par une initiative hardie, les offres que M. de Bismarck était venu lui apporter é. Biarritz. Et cette faute, elle voulait la réparer... Elle poussait donc désespérément à la guerre, et son influence était considérable. Elle avait sur l'empereur un pouvoir à peu près sans limites. Elle le dominait moins encore par ses charmes que par le soutenir des circonstances trop nombreuses où il les avait méconnus.

(Souvenirs du général du Barrail.)

[12] Voir l'étude sur Mme de Pourtalès.

[13] Ainsi, dans la lettre suivante, écrite et signée de sa main :

9 novembre 1870,

Camden-Place.

Hélas ! chaque jour apporte un chagrin de plus ; aussi je suis presque découragée en ne voyant rien à l'horizon pour notre pauvre pays. Aujourd'hui, on dit que les négociations pour l'armistice sont rompues ; j'avoue que je le regrette vivement, quoique, pour nous, la réunion d'une Assemblée ne puisse être que la ruine de nos espérances, car elle voterait certainement, dans les circonstances actuelles, la déchéance !

Mais le désir de voir le pays faire la paix, qui lui est indispensable, même au point de vue de l'avenir, domine tout chez moi. Je reçois des lettres de différents côtés, qui me disent toutes que le gâchis et .le désordre sont à leur comble. Je crains aussi que les conditions de paix ne deviennent de plus en plus dures et en rapport avec leurs efforts ! Mais que faire et que penser, quand on voit un système de tromperie vis-à-vis du pays, qui sert à l'illusionner et à. le perdre ? Je suis bien triste et j'ai à peine le courage d'espérer ! Le général Changarnier s'est admirablement conduit à Metz, et il n'y a qu'une voix sur son compte.

Si j'étais aux Tuileries, je n'hésiterais pas à. lui écrire pour lui dire combien son attitude a eu de la grandeur à mes yeux. Mais, dans les circonstances actuelles, je n'ose le faire, car je craindrais qu'on interprétât mal ma démarche.

Si vous voyez !..., tâchez de lui faire comprendre combien il serait habile à l'Allemagne de ne pas insister sur la cession de territoire, qui ne peut qu'engendrer guerre sur guerre. Du reste, je crois qu'ils doivent penser qu'ils ont entrepris une tâche difficile, mais les conquérants ne s'arrêtent jamais ; c'est ce qui les perd.

EUGÉNIE.

[14] L'ex-impératrice n'abandonnait jamais qu'au prix de grandes résistances l'argent dont avait besoin, au dehors, pour ses dépenses personnelles, le jeune Louis-Napoléon. Ibrahim, fils d'Ibrahim-Pacha, qui suivait, en même temps que le prince Impérial, les cours de l'école de Woolwich, où se trouvaient ensemble les jeunes gens de la plus haute aristocratie britannique, racontait à une dame du monde, une marquise italienne, qui m'en répétait le détail, que l'héritier des Napoléons, se privait d'assister aux fêtes et aux banquets, qu'organisaient entre eux ses condisciples, faute d'être en mesure de participer à la dépense commune.

[15] L'impératrice, qui était instruite de l'attachement qu'avait eu son fils, en Angleterre, pour une jeune fille du peuple, et des suites qu'avaient eues ces amours, se refusa longtemps à voir et à protéger l'enfant.

[16] Quels contrastes saisissants de noms, de circonstances, d'événements ! Celui qu'on espérait appeler Napoléon IV s'était embarqué, ce jour-là, à Southampton, pour le cap de Bonne-Espérance, une colonie dont l'Angleterre, qui emprisonna son grand-oncle, avait dépossédé son grand-père Louis, lorsqu'il était roi de Hollande. Sous l'uniforme anglais il allait combattre et réduire à l'obéissance envers l'Angleterre ce petit pays des Zoulous, dont la liberté et le bonheur, a remarqué l'un de ses biographes, avaient été confiés à l'un des biens !

[17] Il fut question, un moment, que l'impératrice écrivait ses mémoires. Il n'en exista que la supposition. Mais il était certain que les papiers les plus significatifs, concernant les personnages du second empire étaient entre ses mains, et qu'elle laisserait des documents en abondance pour tenir lieu de cette autobiographie. Elle avait toujours eu la curiosité des pièces originales, des petits papiers, qu'on épingle au jour le jour et auxquels le temps met un prix infini. Des plumes diligentes se trouveront pour interpréter, en sa place, ce qu'elle n'avait pu écrire, et ce qu'affirment ou dénient, au lieu d'elle, des témoignages importants. Il y aura des textes pour éclairer les circonstances de son mariage, des documents politiques en abondance, des références particulières sur la folle expédition du Mexique, et combien, hélas ! cataloguées par la veuve du vaincu de Sedan, sous le lourd dossier de la guerre de 1870, dont elle aura voulu, mais vainement, rejeter sur d'autres qu'elle-même les cruelles responsabilités.