LES FEMMES DU SECOND EMPIRE

 

UNE BONAPARTE : Madame de Rute.

 

 

Une incarnation, la plus complète qu'on pût rêver de l'idée d'internationalisme. — Tout ce que fut et voulut être Mme de Rute, née Bonaparte. — Les circonstances singulières de son premier mariage avec le comte de Solms. — Beaucoup de bruit à travers le monde. — Les démêlés de Mme de Solms avec les pouvoirs publics. — Son impérial cousin signe le décret d'expulsion. — En Italie. — Années radieuses. — Une lettre confidentielle sur cette phase de sa vie. — De Milan à Turin. — Une curieuse soirée chez Mme de Solms. — Elle se nommera bientôt Mme de Rattazzi. — Autour de cet hyménée ; propos et anecdotes. — Victor Emmanuel et la femme de son ministre. — Voyage de noces triomphal. — Dix ans après. — Son état de maison à Paris, lorsqu'elle fut devenue Mme de Rute. — Originalités et fantaisies. — Physionomie morale de cette personnalité singulière. — La femme et l'artiste.

 

Peu de femmes eurent une existence aussi mouvementée et jusqu'à la dernière heure aussi remplie de bruit, d'aventures vécues tapageusement, d'influences exercées, de velléités d'œuvres et d'actions entreprises, que Maria Studehlmine Letizia, petite-fille de Lucien Bonaparte, dite comtesse de Solms, dite Mme Urbain Rattazzi, dite Mme de Rute, cousine de Napoléon III et fervente amie du républicain Castelar, femme du monde, femme de lettres, artiste ; tour à tour Française, Italienne, Espagnole au gré de ses alliances successives et de ses volontés changeantes ; internationale, universelle, brûlant du désir d'être partout, de s'assimiler toute chose et n'ayant, au fond, rien de plus cher que le souvenir de sa beauté et des triomphes qu'elle lui valut.

Volontiers, sous l'Empire, on se disait exotique. C'est le ton, à présent, de se déclarer cosmopolite. Mais .si jamais quelqu'un put se flatter d'incarner en soi l'idée d'internationalisme ce fut bien, à coup sûr, Mme de Rute. Elle tenait de la Corse et se sentait Française par la descendance bonapartiste. Pour l'Angleterre, elle était la fille de Thomas Wyse. A l'Italie, qui la reçut et la fêta, elle faisait sonner haut le nom glorieux de Rattazzi. Pour l'Espagne, elle était Rute. Et par ses mille attaches intellectuelles, par le périodique qu'elle dirigeait sous le titre de Nouvelle Revue internationale elle élargissait, autour d'elle, autant qu'il était possible, ce vernis de cosmopolitisme, quitte à se prononcer, dans les grandes occasions, Française de cœur et de sang. Au reste, qu'elle fut à Rome, à Aix-les-Bains, à Paris, à Madrid ou à Lisbonne, elle se montrait, d'excellence et avant tout, mondaine et salonnière.

Dès sa prime jeunesse, elle avait provoqué vivement l'attention sur la précocité de ses connaissances, sur ses qualités de grâce, de réflexion, d'intelligence et de rare décision. Elle avait le sang chaud, l'humeur de la race, dominatrice et agitée, l'imagination fougueuse, le désir capricant et fantasque, les ambitions voyageuses et diverses. Ajoutez à cela l'impatience hardie de vivre et de sentir par toutes les facultés de l'être. Les honneurs qu'on accorde au rang, l'empire dévolu à la beauté, la gloire qui sied d'une si merveilleuse façon aux jeunes talents : n'était-ce pas son bien légitime ? Il lui tardait d'entrer en possession de ces avantages. Quelqu'un se trouva fort à propos pour accélérer sa fortune. Je veux parler du comte de Solms, qui eut la bonne inspiration de lui apporter un million dans sa corbeille de mariage.

Les origines de cette première alliance, sur laquelle on a conté des choses extraordinaires, valent d'être rappelées avec exactitude. Elle avait dix-sept ans et n'était qu'une petite pensionnaire puritaine, — encore bien embarrassée de l'usage qu'elle serait appelée à faire de ses armes de conquête. Certain soir, au sujet d'une toilette de bal, une querelle s'était élevée entre elle et sa mère. A tel point que la main de celle-ci, trop leste, avait effleuré sensiblement son doux visage. Dépitée, courroucée, elle s'était écriée qu'elle ne resterait pas davantage en tutelle ; elle s'affranchirait de cette dépendance sur l'heure, s'il était possible. Le premier homme riche et disponible qu'elle rencontra ayant été le comte Frédéric de Solms, elle l'avait réclamé tout aussitôt. il n'était ni. jeune ni beau, n'importe ; elle avait jeté son dévolu sur celui-là elle n'en accepterait pas d'autre pour mari. Il fallut lui donner vite cet homme ennuyé et blasé, qui fut loin d'être l'époux idéal. De sa déconvenue prompte à se consoler, elle se jeta avec une telle ardeur dans les plaisirs du monde qu'elle eut à peine le temps de s'en souvenir. Une brillante société prit l'habitude de fréquenter chez elle, rue Caumartin, puis rue de Milan. Le comte Alexis de Pommereu l'aidait, en l'absence et même en la présence de M. de Solms, à faire les honneurs de ces réunions. Petit-fils du marquis d'Aligre, ancien pair de France et autrefois attaché à la personne de la reine Hortense en qualité de chambellan, c'était un personnage non négligeable et, d'ailleurs, plein de zèle. Il avait été le parrain du premier enfant. Il était le familier de tous les jours, participait aux munificences présentes et voulut les accroître dans l'avenir en léguant à Mme de Solms un héritage fabuleux, qui suscita, après sa mort, d'interminables procès.

Elle jouissait, déjà d'une sorte de réputation universelle. Il n'était bruit que de son esprit étincelant et incisif. Elle passait pour une excellente musicienne, chantait art agréablement et jouait en actrice les comédies dont elle était l'auteur. Ses mérites ne s'arrêtaient pas là Elle le disputait à Mme de Mirbel en l'art délicat de la miniature, et il n'eût tenu qu'à elle, prétendaient ses adulateurs, d'être l'émule d'un Meissonier dans la peinture de genre. Quant à l'éclat de sa personne, quant à la dignité dont elle accompagnait son port et sa démarche, on regrettait seulement qu'il n'y eût pas un trône vacant à lui offrir.

On parlait beaucoup de Mme de Solms. Trop même au gré du Prince-Président. Ma jolie cousine, disait Napoléon, est une perfection de vertus. Elle les a toutes, les bonnes et les mauvaises. Il ajoutait malicieusement, qu'elle jouait de l'éventail à ravir, mais que, par malheur, elle jouait aussi de la plume... à tort et à travers, qu'elle commettait des vers, ce qui était pardonnable, mais faisait beaucoup de brait, ce qui était phis inquiétant.

Mnn de' Solms avait inauguré chez elle un salon à la fois politique et littéraire, dont le caractère frondeur déplaisait en haut lieu. Elle y recevait sans mystère nombre d'ennemis assez affichés du nouveau régime. Le ministre de la police, M. de Maupas, estima prudent d'y mettre bon ordre, et lui fit parvenir une invitation, formelle comme un ordre, d'avoir à se présenter à son cabinet. En dépit des déviations de la ligne, elle avait hérité de famille un fond de caractère peu flexible et des instincts militants. Saisie de colère qu'un Maupas eût pris cette liberté envers la petite-nièce d'un Napoléon, elle lui répondit de sa plume la mieux taillée que la princesse de Solms n'avait nulle envie de lier connaissance avec lui. Le ministre eut le mauvais goût d'insister. Et la petite-fille de Lucien Bonaparte eut l'imprudence de riposter par de nouvelles bravades. Un ordre d'expulsion arrive, exécutoire dans cinq jours. Elle en appelle. Son cousin impérial signe le décret. Son mari lui donne tort. Son irritation s'en accroit. Elle refuse de quitter sa chambre et son lit. Il a fallu que des agents interviennent et menacent d'user de la force pour donner gain de cause à l'autorité. On la mena hors frontière. Peu de jours après, Mme de Solms intentait un procès au ministre, avec Berryer pour défenseur, faisait feu de toutes pièces 'et, condamnée sans recours possible, se proclamait une victime de la persécution.

A la suite de ses démêlés avec la police impériale elle adressait des lettres aux journaux ; elle écrivait sur le ton d'une ingénuité modeste, dont l'expression parait fort curieuse à distance, qu'elle ne s'était jamais produite, que l'obscurité lui semblait le seul lot enviable des femmes... Heureuse dans son intérieur entre son enfant et l'étude, elle, n'aurait ambitionné qu'une chose : conserver ses nombreux amis, garder le sceptre d'un salon distingué et vivre oubliée d'une famille qu'elle n'aimait point, à force de la mésestimer... Les honneurs d'une triste célébrité étaient venus la chercher, malgré elle. Hélas !... Elle s'y accoutuma, pourtant, et si bien qu'on alla dire, — des envieux sans doute, — que le goût de faire parler d'elle était devenu un besoin de son existence journalière.

Jusqu'à la paix de Villafranca, qui lui permit de revenir à Paris, parce qu'elle se considéra comme annexée à l'Empire ainsi que la Savoie elle-même, Mme de Solms passa les jours en sa villa d'Aix-les-Bains, radieusement, à la façon des grandes dames de la Renaissance, dans une atmosphère de luxe, de plaisir alterné de travail, de ferveur spirituelle et d'enchantement physique, qui l'enveloppait d'adoration.

La Cour, l'Empereur et la tribu serrée des Bonapartes supportaient mal qu'elle s'entêtât à porter le nom dynastique. On lui déniait ses droits au titre de princesse ; il eût été plus difficile de lui contester soie patriciat de beauté. Ponsard rappelait la magicienne ; et il était des mieux fondés à la qualifier ainsi, dit-on ; car le poète de Lucrèce était descendu dans les jardins d'Armide et s'était endormi sous les roses comme le héros du Tasse. Victor Hugo n'avait de fleurs assez parfumées ni de métaphores assez étincelantes lorsqu'il la comblait de sa correspondance lyrique. Suivant ce qu'en protestait le poète, inutiles étaient pour elle le titre, le rang, tes honneurs : n'avait-elle pas déjà le rang de la fleur et le titre de l'étoile ? N'était-elle pas esprit, âme, flamme, rayon ? Elle, de la famille de l'Empereur : voilà grand'chose, quand on est de la parenté du soleil ! Et Eugène Sue s'écriait : Oui, celle-ci, c'est bien la vraie Princesse !

Elle était donc, à bon droit, fort satisfaite de son sort et de sa vie, non moires contente de sa personne et de ses qualités. Elle n'avait pas encore franchi le cap de la trentaine. Un long espace de liberté s'ouvrait aux chevauchées de sa fantaisie. C'était le temps heureux où elle pouvait, ayant la plume en main, se dépeindre elle-même, en pied, complaisante à son miroir, et sous la forme de cette curieuse lettre, adressée à un jeune ami français, comme elle de passage à Milan :

Milan, mars 1860.

J'ai été très touchée, mon cher d'Ideville, de votre bon et affectueux souvenir. Je croyais qu'à peine arrivé à Turin, avec l'insouciance qui m'a paru quelquefois vous caractériser, vous m'auriez déjà oubliée. Je vous avoue que cela m'affligeait bien un peu. Merci donc pour la surprise que vous me ménagiez, et croyez que je vous suis très reconnaissante du commencement d'amitié que vous voulez bien avoir pour moi. Je ne suis pas aussi difficile à connaître que vous vous l'imaginez. J'ai beaucoup de cœur et assez d'esprit, une très mauvaise tête et une grande maladresse en toutes choses. Je suis franche surtout parce que cela m'ennuierait de me donner la peine d'être hypocrite, loyale par orgueil, ferme dans ma conduite et mes amitiés, par égoïsme. Je suis bonne, parce que, jusqu'à un certain point, c'est une grâce chez une femme, et que je tiens à rester femme, malgré mes bas bleus, le plus possible ; je ne suis pas inoffensive, car ce serait une duperie, et je ne suis pas assez religieuse pour pardonner, ni même oublier les offenses. Somme toute, j'ai- de grandes qualités et de grands défauts ; je crois cependant que, modestie à part, les premières l'emportent sur les derniers ; je compte parmi mes qualités la volonté bien arrêtée de ne pas être et surtout de ne pas paraître parfaite. Je n'ai pas du tout de bon sens, litais j'ai un caractère très sûr ; je n'ai aucune prétention, aussi suis-je incapable de supporter l'affectation chez les autres. Pour en finir avec ma biographie d'après moi, je suis le meilleur ami qu'on puisse trouver, un honnête homme, mais une femme impossible, que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi ; vous voyez que je suis sincère. C'est beau, n'est-ce pas ? A présent que je suis un sujet épuisé, pour le présent et pour l'avenir, parlons un peu de vous. Je me suis fait montrer Mlle ***. Elle est jolie comme ces filles-là ont seules le droit de l'être. Sa vertu me parait beaucoup plus contestable que sa beauté. On dit, avec beaucoup de probabilité, je dois le confesser, que votre ami *** a dû convenablement vérifier l'une et l'autre, pendant, son séjour à Milan. Ah ! le vilain homme, c'était donc pour cela qu'il n'est pas venu au veglione ! Ne m'en parlez jamais, je crois bien qu'il avait envie de dormir : votre rêve idéal lui servait, d'oreiller. Mais j'oubliais deux choses : 1° que je ne veux pas me moquer de vous ; 2° que j'oublie sans cesse la recommandation que m'avait faite ma belle-mère, une femme d'esprit, le jour de mon mariage. Soyez sage, mon enfant, si vous pouvez, me dit-elle à voix basse, mais surtout, quoi qu'il arrive, mettez des verrous à vos portes et n'écrivez jamais. J'ai toujours fait tout le contraire. La défiance m'est impossible et le calcul m'est odieux ; puis, en définitive, je me trouve assez grande dame et assez intelligente, pour me faire pardonner, quand j'aurai quarante ans, ou lorsque cela me plaira, par le bon Dieu et par les hommes, toutes les excentricités de ma jeunesse et les incartades de mon esprit. N'est-ce pas votre avis, mon nouvel ami ? Mais voici une bien longue lettre et qui tourne, décidément, à la profession de foi. Je me dépêche bien vite de vous quitter, en vous priant de passer tout ce galimatias, pour ne vous arrêter qu'à la dernière ligne, qui contient mes meilleures sympathies.

Marie BONAPARTE-WYSE DE SOLMS.

 

L'année suivante, le jeune secrétaire d'ambassade auquel la petite-fille de Lucien Bonaparte avait versé les confidences, que nous venons de lire, eut la satisfaction de retrouver l'aimable princesse à Turin. Et il enferma dans un piquant récit, que nous allons suivre de près, les détails de sa visite, ornés des impressions qu'il en garda.

Un petit mot de la comtesse de Solms lui était parvenu, le priant de passer chez elle, vers neuf heure du soir. Elle était descendue à l'hôtel Feder. Il y vint après le dîner. On l'introduisit. Mme de Solms avait un déshabillé coquet, lui seyant au mieux, avec des côtés négligés de sa personne, où se trahissait l'indolence italienne :

J'arrive de Paris, commença-telle à dire, tout est terminé et arrangé entre l'empereur et moi. Il s'est conduit d'une façon très généreuse et en vrai parent. Ainsi, désormais, vous pouvez me voir sans danger ; je ne suis plus une ennemie de votre gouvernement, comme jadis à Milan. Je ne suis plus défendue ! Aussi, sans retard, je me suis mise en route pour savoir où en sont les choses et prendre de nouveaux renseignements sur mon futur beau-frère, mon ancien ami le générai Turr. Ce mariage ne me convient pas parfaitement ; mais, enfin !

La causerie durait depuis quelques minutes, lorsqu'on frappa à la porte. Et l'on vit entrer le comte Cibrario, grand-chancelier des ordres des Saint-Maurice et Saint-Lazare, ancien ministre, sénateur, un savant, en outre, adonné aux lettres, à la philosophie, au madrigal, galantin par habitude, et qui parut fort troublé de ne pas trouver la dame du logis seule. Etre de tiers, passe encore ; il commençait se remettre de son désappointement, lorsque l'y replongea l'Introduction d'un nouvel arrivant, et quel arrivant ! le fougueux mandataire de la gauche piémontaise, le célèbre député, orateur, poète, Brofferio, qui, s'apercevant aussitôt de l'embarras que sa présence causait au vieil homme d'Etat, débuta par le plaisanter agréablement sur l'heureuse fortune qui les réunissait chez une lettrée française. Il allait abréger ce jeu d'esprit et se retirer, quand de légers coups frappés d'une main discrète et accoutumée annoncèrent un quatrième visiteur. Mme de Solms n'avait pas entendu. Entrez, cria Brofferio de sa voix puissante. Et la mince silhouette de Rattazzi se glissa dans la pièce. Décidément la chance n'était à personne, ce jour-là et moins encore au commandeur Urbain, qui, en gravissant l'escalier de l'hôtel Feder, savourait les douceurs entrevues d'une causerie en tête-à-tête, et qui tombait tout à coup au milieu d'une conversation très animée. Le plaisir qu'il en éprouvait était peint sur sa figure penaude. Tandis que Cibrario s'esquivait légèrement, le malicieux Brofferio s'installa plus à l'aise dans son fauteuil, posa sur un meuble le chapeau qu'il tenait à la main, et, avec un sourire où passait infiniment d'espièglerie :

Je ne veux pas, dit-il, faire à mon président l'injure ou le plaisir de me retirer, quand il entre, et je vais rester quelques instants encore, si vous le permettez, comtesse. Il y a longtemps que nous n'avons causé-ensemble, M. Rattazzi et moi autrement que du fauteuil à la tribune ; et, Dieu le sait, mon président ne m'adresse jamais la parole que pour me rappeler à l'ordre. Chez vous, chère madame, nous sommes égaux, et sur un terrain neutre, n'est-il pas vrai, monsieur le président ?

Cette petite allocution railleuse n'était pas pour consoler Rattazzi de sa déconvenue. Il eût voulu battre eu retraite, si une force plus grande ne l'avait attiré vers la maîtresse de la maison. Il soupira, s'assit et, se tournant vers le secrétaire de la légation de irone, il engagea les propos sur les affaires intérieures et extérieures du pays voisin. On parla de Benedetti, qui venait d'arriver comme ambassadeur. Rattazzi annonça son intention de rendre une visite prochaine au nouveau ministre français. Ah ! voilà notre président, répliqua le député de l'opposition, qui va faire sa cour à la France. Ici, ce soir, je le comprends, ajouta-t-il, en glissant un coup d'œil galant dans la direction de Mme de Solms ; mais, ailleurs, du moins, je le désapprouve. Rattazzi, pourtant, soit dit entre parenthèses, n'était pas un si mauvais politique ; car c'est à Benedetti qu'il dut, quelques mois après cet entretien, le portefeuille dont la possession lui fut enlevée, au lendemain d'Aspromonte.

Pour le moment, l'amoureux président était au supplice. Enfin, Brofferio se leva et sortit. D'Ideville allait en faire autant. Il était déjà près de la porte. Le visage de l'homme d'Etat italien s'éclairait. Courte satisfaction ! Mme de Solms, cruelle et coquette, avait fait signe dès yeux an visiteur français de rester ; et, malgré qu'il en eût, celui-ci s'était vu investi du rôle de surveillant, destiné par ordre à troubler le tête-à-tête du voisin. Une demi-heure s'écoule. D'Ideville fait mine à nouveau de prendre congé. D'un nouveau signe, la capricieuse personne lui impose de rester.

Rattazzi assis sur un canapé, auprès de Mme de Solms, raconte-t-il, la regardait silencieusement ; un guéridon nous séparait. Pour rompre le silence, je me mis à lire à haute voix l'article d'un journal français, que la belle voyageuse avait apporté de Paris. Chaque fois que j'abaissais la feuille, j'apercevais dans l'ombre, près de l'épaule de la comtesse une main et un bras, qui disparaissaient furtivement, aussitôt que j'interrompais ma lecture. A plusieurs reprises, je me donnai le plaisir de constater le trouble d'Urbain Rattazzi et sa promptitude à dissimuler un geste trop familier tenté avec une maladresse naïve et pleine de charme pour l'observateur.

Et la soirée se prolongeait languissante. Et la causerie traînaillait, ne sachant plus à quelle branche se raccrocher. D'Ideville se donnait une peine extrême à ranimer la conversation qui se mourait, et n'y parvenait point, lorsqu'il songea qu'il avait précisément sur lui un album questionnaire ; sur lequel il 'avait l'habitude de noter les réponses de ses amis et des personnes de sa 'connaissance. On 'posait, comme on le fait encore maintenant, une série de questions sur les goûts préférés de celui ou de celle qu'on soumettait à ce genre de confession ; les réponses s'inscrivaient en vis-à-vis sur la même ligne ; on les commentait entre soi, et le temps passait à ce jeu. Il présenta donc son livret à la femme d'esprit et à l'homme supérieur, dont il avait bien innocemment gêné l'entretien ; et le hasard voulut que l'un et l'autre consignassent sur un feuillet d'album des traits de leur caractère, en trahissant leurs inclinations. Mais, pourquoi ne pas relever cet interrogatoire d'espèce rare, puisqu'il provoqua, pour une fois des aveux presque sincères ? Le voici dans sa fidélité.

RÉPONSES

QUESTIONS

DE MME DE SOLMS

DE M. RATTAZZI

Quel poète préférez-vous ?

Hugo.

Quel prosateur ?

George Sand.

Thiers.

Quel peintre ?

Titien, Delacroix.

Raphael.

Quelle occupation ?

Écrire.

Ne rien faire.

Quel plaisir ?

Jouer la comédie.

Quelle passion ?

En inspirer.

Quel pays ?

La France.

Ma nation.

Quel gouvernement ?

La République.

Constitutionnel sincère.

Quel caractère ?

Passionné.

Doux.

Quelle sensation ?

L'aveu.

Quelle vertu ?

L'héroïsme.

Quel vice antipathique ?

L'hypocrisie.

L'hypocrisie.

Quel personnage sympathique ?

César, Garibaldi.

Napoléon.

Quel livre ?

La Nouvelle Héloïse.

Quels souhaits ?

Me toujours bien porter,
Pouvoir toujours aimer, sans être fatiguée, ne jamais vieillir.

L'étrange soirée prit fin là-dessus. Elle avait été mal chanceuse pour le commandeur Urbain, qui, depuis quelque temps, avait déclaré sa flamme à l'intraitable comtesse née princesse, et qui adorait en elle triplement la femme d'intelligence et de beauté, la personnalité libérale et la petite cousine de Napoléon III. Sa persévérance connut de meilleurs lendemains. Lorsque, peu de mois ensuite, Rattazzi devint ministre des Affaires étrangères ; continue d'Ideville, ce fut aux pieds de Mme de Solms qu'il vint déposer son portefeuille. Il la consultait, lui l'homme d'Etat lucide, avisé, et, dans l'illusion de sa tendresse, il s'imaginait sincèrement qu'en recevant les confidences de la turbulente princesse, il pénétrait du même coup les secrets les plus intimes du cabinet des Tuileries !

Le temps a marché. Elle n'est plus Mme de Solms. Comme elle voyageait aux pays d'azur, en quête d'impressions inédites, elle avait brusquement changé de nom et de patrie pour épouser le plus grand homme d'Etat de l'Italie moderne, après Cavour : Urbain Rattazzi. La chose s'était passée, disons-nous, avec une diligence extrême. Le pauvre M. de Solms, qu'on tenait pour un personnage fabuleux et dont quelques personnes allaient jusqu'à nier l'existence, était venu bien à propos s'éteindre à : Turin. Il avait eu le temps juste de passer cinq à six semaines auprès de son épouse, comme pour justifier dès liens sociaux qui les unissaient ; puis, il s'en était allé de ce monde, discrètement. Quinze jours après son décès, l'impétueuse princesse avait reçu la bénédiction nuptiale, dans l'église de Saint-Philippe, à minuit, en présence d'un petit nombre d'assistants ; et, pour informer le reste de la ville, des photographies furent répandues chez les marchands de nouveautés, représentant Rattazzi, recouvert de tous ses ordres, en habit noir et :cravate blanche, ayant au bras conjugalement penchée vers lui la veuve de M. de Solms, vêtue de blanc et là tête abritée sous un long voile.

Sa Galante Majesté le roi Victor-Emmanuel, qui se targuait d'avoir pris l'avance sur son ministre dans les bonnes grâces de Mme de Solms, n'avait eu garde d'apporter aucun empêchement à ces justes noces. Généreusement, il offrit son tribut à la corbeille et préleva sur les diamants de la Couronne un bijou digne d'une reine.

Les circonstances de cet hyménée firent causer, comme on pense. Il y a quelques années, Mme Walewska me contait à moi-même, sur le mariage de Mme de Solms avec Urbain Rattazzi, les détails d'une conversation piquante, qu'elle avait eue avec le roi Victor-Emmanuel.

C'était à Florence. Le souverain avait accepté, non sans un peu de résistance — car il se refusait autant qu'il le pouvait, aux réceptions, dîners et autres cérémonies plus ou moins représentatives —, il avait accepté, disons-nous, d'assister à un grand bal serai-officiel. Mme Walewska était assise à la gauche du roi, au moment du souper. Elle remarquait qu'il ne touchait guère.aux plats qu'on posait devant lui :

Sire, observa-t-elle, vous n'êtes que de bien petit appétit, ce soir.

Cela m'arrive, en effet, répond-il, et ces dîners d'apparat n'aident pas à le stimuler. Mais, je vous prie, comtesse, ne faites pas attention.

Tout de même, car en voyant Sire, que vous ne goûtez qu'à peine aux choses, je sens aussi l'appétit me quitter.

Oh ! ce n'est pas un exemple à suivre. Laissez faire à vos jolies dents blanches, sans vous préoccuper d'un voisin maussade.

La conversation entamée sur ces propos de bouche s'étendit à de plus importants sujets. Tout un nouveau ministère, avec Rattazzi pour président, était en ligne de l'autre côté de la table. Ils étaient nommés de la veille. La comtesse Walewska, que la chose intéressait parce que son parent, le baron Ricasoli, cousin de sa mère, la marquise de Ricci, avait dû quitter la place :

Vous avez donc jugé bien opportun, Sire, de vous séparer de votre ancien conseil des ministres ?

En effet. Et je le regrette pour votre cousin. Mais il faut avouer que ni les uns ni les autres ne sont des aigles. Je sais bien qu'on appelle Ricasoli un homme de fer. Ce qui ne veut pas dire qu'il soit un homme aussi perspicace que résolu et qu'il ait le caractère d'initiative nécessaire aux circonstances. Voilà des ministres, ceux-là qui, chaque jour, m'entretenaient d'une difficulté nouvelle, me signalaient un péril et ne trouvaient rien pour y parer ; ils ne voyaient que le mal à me faire connaître et jamais je remède. Alors, à quoi bon avoir des ministres ? Je suis, maintenant, aux mains des libéraux et de Rattazzi.

A propos, on parle encore de son mariage ; on en parle même beaucoup, dedans Florence. Je n'ose vous interroger, Sire, à cet égard. Vous auriez peut-être des raisons particulières de discrétion, à cause de Mme Rattazzi.

Ah ! oui, une fameuse femme, celle-là ! Et son mari, un étrange homme ! Croiriez-vous qu'il était venu me demander mon avis à moi sur celle qu'il allait épouser ? Des bruits circulaient, me disait-il, qui lui donnaient de l'inquiétude. Il voulait connaître mes sentiments. En vérité, lui avais-je répondu, je ne suis pas informé, je ne sais rien de tout cela ; et donner un jugement sur un point qu'on ignore fut toujours trop périlleux. — Sans doute, mais c'est qu'on parle aussi de vous-même Sire, et l'on insinue... — Ah ! je n'ai pas la mémoire fraîche là-dessus. Sincèrement, mon cher Rattazzi, je n'en ai aucun souvenir. Mais voyez-vous cet homme, ce mari, qui tenait absolument à me faire convenir que sa femme aurait pu être ma maîtresse !...

Et le roi se prit à rire, pendant qu'en face de lui, Urbain Rattazzi souriait, de cette gaffe subite de son souverain, sans se douter vraiment qu'il en était la cause et l'objet.

L'Italie acclama la femme de son premier ministre et joncha de fleurs le chemin de leur voyage de noces. Quand Mme Rattazzi traversa Naples en 1867, elle put, un instant, se croise transportée dans un royaume de féerie. Au théâtre Royal, lorsqu'elle apparaissait dans sa loge, l'empressement à la voir était si grand qu'il fallait interrompre le spectacle. L'élite de la société napolitaine lui offrit un banquet, où elle répondit en italien aux toasteurs enthousiastes. Un soir, sa montée au Vésuve eut des couleurs d'apothéose. La population s'était massée sur son passage. On avait, en outre, disposé les choses de telle sorte que des paysans échelonnés du haut en bas de la montagne éclairaient sa route avec des torches enflammées et donnaient au Vésuve un aspect d'illumination générale, pendant que grondaient, à l'intérieur, les orages volcaniques.

Elle était, alors au zénith. Ce fut le moment de splendeur de sa vie.

Dix ans après. L'amour espagnol a remplacé dans son cœur la flamme italienne. Elle a épousé M. Louis. de Rute, ancien secrétaire d'Etat et député aux Cortés.. Elle a continué de vivre, de se répandre et de recevoir sismale par le passé. Seulement on remarque que l'éclectisme, qui avait toujours régné dans son salon, est allé s'élargissant jusqu'à l'extrême des concessions. Il suffisait autrefois, pour accéder chez elle, de justifier d'un nom, d'un talent reconnu. Un moment vint où il fut à peine nécessaire d'en produire le témoignage. Par lassitude, par distraction ou par manque de prévoyance, elle avait laissé s'amoindrir le caractère et la qualité de ses relations. Un grain d'excentricité s'y mêla, qui défrayait copieusement la malignité de la chronique. Elle n'était plus sous le rayon, comme, nous disions tout à l'heure, de la comtesse de Castiglione. Son ascendant avait baissé.

Fut-il rien de plus singulier, par exemple, que le cadre et le cérémonial de ses dîners privés, quand elle habitait rue Logelbach ?

Elle connaissait trop de monde pour se souvenir toujours exactement de ceux qu'elle avait choisis. La maison était hospitalière, ouverte à un chacun. Qu'imputait le nombre des inscrits ? On devait être trente. Il survenait cinquante convives. Les cartons posés sur le cristal des verres risquaient, chaque fois, d'être confondus bizarrement, et les menus d'être courts. Il fallait trouver place, cependant. Et dans quelles conditions d'espace étrangement délimitées ! Je m'en souviens comme d'hier. Mme de Rute avait eu la fantaisie de transporter sa salle à manger en plein salon, de sorte que les dîneurs vissent arriver les invités de la seconde série, et que les soiristes pussent contempler les dîneurs. Elle s'était avisée, dis-je, de faire installer, au centre de son grand salon, une sorte de vitrine à quatre faces, un large enclos tout entier composé de plaques de verre, avec quatre ouvertures sur les côtés. Au dedans étaient la table et les privilégiés de la fourchette. Au dehors, à l'entour, se tenaient les invités du deuxième ban ; et le dîner, généralement ayant commencé tard et se prolongeant au delà de l'heure normale, ces derniers étaient admis au plaisir creux de voir manger les autres et d'assister aux conversations sans y prendre part.

Avec le temps la confusion ne fit que s'accuser davantage dans ses habitudes de maison et dans le classement de ses amitiés. Son état de fortune devenait irrégulier et paraissait instable. Après la mort de M. de Rute, elle s'était ressaisie dans la volonté ferme d'être à elle-même son propre intendant et de réagir contre les gaspillages de la livrée par une âpre défense de ses-intérêts. Puis l'insouciance habituelle de sa nature avait repris le dessus. Le flot recommençait à couler : le programme et la forme de ses réceptions s'en ressentirent. Avec son prestige avait diminué le respect. On épiloguait ironiquement autour de la princesse fantasque, qui de cela, d'ailleurs, n'était pas avertie, qui ne voyait, n'entendait et gardait en ses yeux de myope la sérénité des jours brillants.

M. de Rute n'avait pas su ou n'avait pas voulu vieillir. Ses dernières années, que ternirent d'équivoques histoires et de fâcheux procès, ont été le reflet bien artificiel de sa période brillante.

On la voyait, — les portes de son salon du boulevard Poissonnière ouvertes à deux battants, — accueillant ses hôtes, souriante, toute parée de ses diamants, de ses camées, ayant aux joues le rose et le blanc virginal, que l'art a découverts pour suppléer aux défections de la nature, les cheveux ouverts et flottants, avec une rose pourpre dans leur soie neigeuse. Elle était restée fidèle jusqu'à la fin à l'ambition la plus constante de son âme d'Italienne, qui fut de représenter en soi tout ce que le rôle de la femme peut comporter d'éclat, dans un ensemble de beauté, d'esprit et de faste apparent. Elle fit montre d'une vaillante résistance à la marche fatale du temps. Elle était de toutes les premières, de tous les vernissages, de toutes- les réunions d'apparat où l'on se reconnaît et se nomme. Elle ne désarma que devant l'inexorable.

Fut-elle réellement un caractère, ainsi que se plaisait à la qualifier en son admiration attendrie et dévouée un journaliste, qui lui touchait de près par les liens d'une parenté adoptive ? On ne saurait l'avancer que sous condition et réserve, — mobile, inconstante, toujours portée d'une extrême à l'autre, comme elle était et se montrait dans ses actes ou ses impulsions. Des bizarreries inexplicables, des échappées d'excentricité se mêlèrent aux inspirations les plus heureuses de sa conduite. Que d'anecdotes ou peut-être aussi de médisances on alignerait aisément, de ce fait, sur le compte de celle qu'Alphonse Karr appelait, pour son amour du bruit et ses soudains caprices, la princesse Brouhaha ! Elle était toute de primesaut, excessive en ses amitiés comme en ses antipathies, en ces dernières surtout. On sait à quels éclats se portèrent certaines de ses inimitiés féminines, ou telles de ses brouilles retentissantes. Au. fond, elle était éminemment bonne et serviable. Elle avait chaleureux et vif te sentiment par excellence de l'admiration. Elle porta haut la gloire de ceux qui excitèrent en son âme d'artiste les élans de l'enthousiasme. Sensible à l'éloge, dédaigneuse du blâme, elle s'en alla dans la vie, — la vie de parade et de tumulte qu'elle avait choisie, — consciente de ses longs succès et de son talent véritable, quelquefois.

L'oublier serait injuste : sa passion mondanisante n'empêcha jamais qu'elle n'eût aussi la fièvre du travail, sous les formes de littérature et d'art qui concourent à de mêmes effets extérieurs de bruit, de réputation[1].

Mme de Rute a laissé près de cinquante volumes. La poésie, le roman, l'histoire, la politique, le récit de voyages, le théâtre, des traductions, des fragments d'autobiographie occupèrent diversement sa plume.

Poète, son effort lyrique n'excéda point la hauteur moyenne de l'horizon. Nouvelliste ou romancière, elle eut des éclairs de sensibilité frémissante. Elle traça d'aimables narrations de ses fantaisies voyageuses, de ses courses ou promenades en Italie, en Espagne, en Portugal, en Hollande, sans y révéler, toutefois, ce pittoresque de description, cette finesse ou cette profondeur de pensées et ce charme imprévu de sentiment, qui sont des qualités de maitre. En critique, sa Muse était de noble essence et s'appelait enthousiasme. Élie eut des ferveurs indiscrètes, cependant, et, vanta comme des chefs-d'œuvre des pauvretés d'invention, qu'illuminait à ses yeux la flamme de l'amitié.

Le goût, en un mot, ne présidait pas toujours à la toilette de sa Pensée, de même gaie, sur le déclin de ses charmes, trop souvent lui faussait compagnie ce discernement délicat, dans le rajeunissement factice de ses parures. Tant de pages brouillées d'une main hâtive n'auront joui que d'une réputation viagère, et encore sans beaucoup d'étendue.

On fera peut-être un sort plus durable à ses mémoires, pour l'intérêt de ses rapports suivis avec tant de personnages éminents, et, en ce qui la concerne, pour la curiosité de l'y chercher elle-même ; car elle dut se bien connaître, si l'on en préjuge d'après le soin extrême et la longue attention qu'elle prit à se regarder penser, agir, aimer, et à porter dans le relief le plus évident sa personne, ses travaux, ses intérêts, ses attachements, par-devant le public, qui ne fut pas toujours obligé de la croire sur parole.

De tout cela que demeurera-t-il ? Le souvenir d'une belle activité d'esprit.

En somme, Mme de Rute n'aura pas été la seconde Mme de Staël, que ses premiers admirateurs avaient annoncée. Elle aura passé dans le monde très remuante, très agissante, toujours en vue, facilement oubliée. On se souviendra que sa maison fut longtemps le rendez-vous de l'élite des élégances et des talents. Les historiens de la société garderont une place, dans leur galerie, à la silhouette originale et pittoresque de cette grande curieuse de la vie.

 

 

 



[1] Mme Rattazzi, en effet, s'occupait de beaucoup de choses, de trop de choses même, au dire des malveillants et des sceptiques. Les mauvaises langues ne se privaient pas d'insinuer que des aides variées coopéraient au succès de ses multiples ambitions de femme auteur, compositeur et statuaire.

L'orientaliste Jules Oppert remarquant, à l'une de ses soirées, une enfant très jeune, demanda à qui appartenait cette aimable et puérile créature, qui n'était pas encore couchée. Mais à Mme Rattazzi, lui fut-il répondu. Il resta un instant, surpris, calculant et comparant. Puis se penchant à mon oreille : Après tout, c'est croyable ; elle fait faire ses partitions, ses statuettes, ses articles par d'autres ; il se peut qu'elle fasse faire aussi ses enfants par une autre. Les gens d'esprit sont terribles. De fait, Mme de Rute avait donné la preuve la moins douteuse de sa tendre et tardive maternité en allaitant elle-même la dernière née.