LA COMTESSE DE CASTIGLIONE - 1840-1900

Le Roman d'une Favorite, d'après sa correspondance intime inédite et les Lettres des Princes

 

CHAPITRE TROISIÈME. — UN RÊVE INTERROMPU.

 

 

Entre Londres et Paris. — Quelles raisons d'ordre intime la retenaient à Dieppe. — Particularités d'un rendez-vous dans la chambre dite du crime, et le peu qu'il en advint. — Retour dans la capitale. — De l'importance subite qu'avait prise, parmi les conversations du jour, l'état des questions étrangères. — Le rôle secret et actif de Mme de Castiglione dans les négociations franco-italiennes, qui devaient entraîner la guerre avec l'Autriche. — Après la paix de Villafranca, déception patriotique de la comtesse. — Comment elle en exprima le mécontentement si haut qu'on l'obligea de passer la frontière. — Un temps de retraite, aux portes de Florence. — Récit d'une visite pleine d'intérêt à la villa Gloria. — Période de langueur et d'ennui. — Par quelles voies Mme de Castiglione obtint d'être autorisée à revenir en France. — Intervalles de voyages. —  Circonstances dramatiques d'un de ses séjours en Italie ; les Noces tragiques. — Quelques mois de deuil. — Réapparition aux Tuileries.

 

Elle marquait peu d'impatience à quitter Londres. Et, quant elle eut passé la mer, ce fut encore bien doucement, à toutes petites journées, qu'elle s'achemina vers Paris.

C'était l'une des premières de ces disparitions subites dont elle multiplia tant de fois les effets de surprise. Elle avait adopté de vivre à Dieppe, pendant un laps de temps indéterminé, au sein d'une solitude recueillie et seulement distraite par de rares visites. Peu de personnes, parmi les familiers des Tuileries, étaient informées du lieu proche ou distant, qui la retenait captive. Mocquart, le secrétaire de l'empereur, le savait mieux, lui, quand il glissait à Mme Walewska cette question, au coin d'une lettre[1] : Que devient notre belle solitaire de Dieppe ?

On s'étonnait, dans le monde et à la cour, qu'elle mît si peu de hâte à renouer la suite de ses enchantements. Cet astre parisien d'un seul hiver, après avoir irradié son passage d'une lueur fulgurante, allait-il s'effacer, tout à coup, de l'horizon ?

Simplement, il plaisait à la comtesse de Castiglione en instance de séparation conjugale, d'être là, de se faire désirer ailleurs, d'y reprendre une causerie interrompue avec l'hôte de Twickenham, citadin à Dieppe et gentilhomme campagnard, à Baromesnil, enfin, d'entamer sur place par caprice ou passe-temps, un roman d'amour, — qui ne dépassa point le premier chapitre. L'heure en était favorable. C'était le bon temps pour le partenaire d'une conversation sans témoin aussi bien que pour cette victorieuse. Dans la plénitude de ses forces, il n'avait pas à se plaindre, alors, des défections de nature, dont elle lui fera, vingt ou trente ans après, un reproche malin et constant[2]. Il n'était ni sourd aux alliciantes douceurs d'une jolie bouche ni tardif à répondre aux avances de sentiments, dont on lui ménageait l'accès. Quant à elle, convoiteuse de rêves et d'illusions hautes, détachée de l'époux qu'elle n'avait pas jugé en mesure de lui en procurer les sensations fortes, qui, d'ailleurs, avait dissipé, pour elle, en deux ans, les trois quarts de sa fortune et ne souhaitait plus de prolonger l'expérience, elle avait des loisirs d'âme à dépenser.

Ce fut, de l'un à l'autre, une occasion singulière ébauchée, non terminée, qui leur laissa des souvenirs mêlés de regrets. La chambre de Dieppe ! Il est souvent parlé dans la correspondance de Mme de Castiglione de cette pièce intime, que le prince Napoléon connut aussi et qu'il appelait par antiphrase, nous aimons à le croire : la chambre du crime ! Il y avait eu promesse réalisée du seule à seul. Leur entrevue s'annonçait sous les meilleurs apparences : lui, de taille haute, d'aspect robuste, l'œil énergique, les cheveux d'un châtain vif, le teint coloré, la physionomie expressive ; elle, malgré l'air de mélancolie dont se voilait son beau regard, florissante ^de jeunesse et simplement divine. Pas plus qu'il n'était un assembleur de nuages en politique, Estancelin ne se flattait d'être un rêveur en matière de sentiment. Il avait l'instinct passionnel élémentaire et véhément. Avant de se porter, le cœur battant, à ce rendez-vous en chambre close, il n'avait pas songé à se former l'image d'un être synthétique et complexe, comme le voulait être, en toutes choses, la comtesse de Castiglione. Elle aurait quitté, se disait-il, ses airs de déesse marchant sur les nuées ; il la trouverait parée pour les fêtes de l'intimité, accueillante, attractive.

Mais, quelle était son erreur ! Elle lui apparut, comme descendue de l'Olympe, somptueusement belle et resplendissante de bijoux. Des bagues à tous les doigts, des bracelets jusqu'au coude. Aimer une femme : il ne lui semblait pas à lui que ce voluptueux détail dût s'habiller de tant d'éclat et de pompe. Il la vit en son apparat de reine et l'admira si bien qu'il en perdit le désir. Ils ne s'étaient pas compris, cette fois. Tous deux en concevront du dépit, plus tard, comme d'une opération mal conduite[3].

L'impulsion ardente ne s'était pas produite. Il avait eu d'autres raisons de se garder en deçà des frontières du grand amour ; ou, du moins, il se donnerait ces raisons-là, plus tard pour se consoler, peut-être, de ce qui aurait dû être et n'avait pas été. Les passions de cervelle, tyranniques et troublantes, inquiétaient l'équilibre de son tempérament. Il était en condition de choisir, sachant bien que, faute d'une, le monde charmant des femmes n'est jamais dépeuplé. L'air était trop agité autour de la personne morale d'une Castiglione. Le genre d'affection tendre, délicieusement complète, où le cœur et les sens trouvent leur contentement doux et facile, n'était pas le trésor espérable auprès d'une femme de sa nature, dont l'exaltation poussait toute chose au diapason extrême. Leur rencontre, néanmoins, s'était traduite par un résultat effectif, inoubliable. Si elle n'avait pas fait éclore en eux l'ardeur d'un sentiment unique, aux effusions débordantes et d'incertaine durée, elle leur avait apporté l'une de ces amitiés sûres et solides, que le temps éprouve sans les altérer et qui sont le lien des âmes fortes.

***

Les échappées dieppoises de la belle Castiglione n'empêchaient point son intelligence de voguer à d'autres souilles ; elles ne lui défendaient pas de songer que des raisons sérieuses la rappelaient, auprès de Napoléon III ; qu'elle n'avait pas achevé sa mission ; que la question italienne se rendait pressante ; que, cependant, l'empereur des Français ne se hâtait guère d'en activer la solution ; qu'elle aurait à mettre en bataille un dernier effort de ses charmes, pour en finir ; et qu'il lui fallait, enfin, reprendre le chemin de Paris.

A son retour, elle trouva les conversations fort occupées des incidences extérieures. Il était beaucoup parlé dans les journaux, dans les cercles et dans les salons, des rivalités internationales, qui prenaient, de jour en jour, plus d'acuité. Si toute discussion était a priori condamnée, fermée, quant à la politique intérieure, soumise sans phrases au bon vouloir du régime absolu, le domaine des questions étrangères n'était pas interdit aux interrogations discrètes, aux commentaires sans violence.

Les femmes aussi, parolaient sur ces matières. Quelques-unes d'entre elles se passionnaient véritablement des informations diplomatiques. Elles s'y poussaient avec ardeur et fièvre. Telle la princesse Lise Troubetskoï ; à la manière des princesses de Ligne et de Lieven, elle affectait d'être toujours lancée dans le tourbillon. Elle avait, quotidiennement, en poche, à ce qu'elle prétendait et à ce que me racontait, longtemps après que se furent apaisées ces agitations de cervelle, la comtesse Walewska, une lettre de Gortschakoff ou de quelque autre grand meneur de la diplomatie européenne. Tenez, disait-elle, puisque nous en causons, j'ai justement reçu une lettre de Gortschakoff, ce matin. Et elle tirait de son corsage une missive plus ou moins neuve, un papier plié en deux ou quatre, qui avait élu, là, domicile, depuis une semaine ou deux, peut-être. Chacune de ces grandes dames en traitait, à sa manière, par genre ou par sentiment. Mme de Castiglione était Italienne et pour toute l'Italie. L'impératrice réservait la chaleur de ses sympathies bien espagnoles pour l'entière sauvegarde des États du Saint-Père[4]. Au contraire, la princesse Mathilde, libre-penseuse et la forte tête du groupe impérial, appelait de tous ses vœux le jour trop attendu où l'Italie serait enfin délivrée du pape et de la cour de Rome. De plus elle se montrait fort entichée de la diplomatie russe et de la Russie. Tout ce qui émanait de Saint-Pétersbourg lui semblait dicté par la voix de la raison. Hélas ! le tzar, son noble parent, n'avait pas encore étendu la main sur Constantinople ! Nul ne parlait d'un verbe plus échauffé que la sœur du prince Napoléon contre la honte qu'il y avait, pour l'Europe, à laisser le barbare Turc, avec sa religion fataliste, gouverner des millions de sujets chrétiens.

Emois d'un instant et que remplaçaient bien vite des préoccupations de femmes et d'Altesse moins impersonnelles ! Chez la plupart de ces belles et illustres dames, de tels propos n'étaient que des intervalles de conversations sérieuses tranchant, de temps à autre, sur les habituelles frivolités des causeries de monde et des médisances de cour.

Il n'en allait pas de même, chez Mme de Castiglione, qui, ne pouvant agir en reine brûlait de faire agir des rois, et dont l'idée de plus grande patrie italienne était le mobile exact de ses coquetteries avec Napoléon, l'objet de sa constante songerie, le fervent désir qui attisait, en elle, le feu sacré.

Les beaux sentiments : amour, abnégation, sacrifice, ne faisaient que glisser sur son âme. Mais de hautes et fières aspirations la hantaient. S'entremettre d'affaires, correspondre sur la politique, à tous les bouts de l'horizon, donner un sens aux oracles de la diplomatie, entretenir, ne fût-ce qu'en imagination, des projets extraordinaires, jouer un rôle, même secret, dans la partie internationale : combien plaisait davantage à sa nature remuante de telles et si passionnantes agitations ! Elle s'y efforçait, se multipliait en visites, expédiait des rapports, distribuait des nouvelles à la finance et brassait de larges desseins.

Ce fut, au vrai, le grand moment d'activité politique de la comtesse de Castiglione, sous le Second Empire. En relations suivies avec le roi de Piémont, par l'entremise de son mari[5], que ses fonctions auprès de Victor-Emmanuel, intimes et journalières, rendaient d'un secours fort utile, elle était l'intermédiaire toujours en mouvement des dépêches secrètes échangées entre Napoléon et la cour de Sardaigne.

***

Depuis l'arrivée en France de la comtesse, l'illustre Turinois, qui lui avait donné mission de s'y rendre et dont elle admirait avec tant de chaleur et de foi la vive intelligence, l'énergie créatrice, le génie ferme et lucide, Cavour, le subtil Cavour n'avait pas perdu son temps.

Très jeune, il avait eu ce rêve qu'il se réveillerait ministre dirigeant du royaume d'Italie[6] ; mais, le matin, en rouvrant les yeux, il s'était bien moqué de lui-même et de sa folle ambition. Depuis lors, cependant, quel chemin parcouru ! Et comme il avait donné promptement un corps palpable, une enveloppe solide à sa chimère !

Il avait englobé dans son cercle d'action la plupart des ministères constituant le gouvernement piémontais ; asservi son roi à la supériorité de ses vues ; et dans ce personnage prépondérant d'un État de faible étendue on voyait s'élever le maître prochain d'une grande nation. Soit qu'il s'appliquât à façonner l'opinion européenne, au moyen de documents émanés de son cabinet et propagés par ses amis, soit qu'il usât des ressources d'une diplomatie adroite et persévérante ou qu'il tournât au profit de sa politique jusqu'aux agissements des conspirateurs étrangers, il ne laissait sans emploi aucune force collective ou individuelle, dont il pût disposer pour l'avancement de la cause italienne. Il sentait approcher son heure.

Autant il avait su se garder prudent jusqu'à paraître presque timide, derrière les mille complications et les détours dé ses intrigues savantes, autant il se découvrait, à présent, ferme en son langage, assuré du lendemain, conscient de sa force, audacieux jusqu'à sembler téméraire. Il démasquait ses plans avec une fermeté hardie, qui découvrait à tous les yeux attentifs qu'on allait entrer dans la période d'agression directe[7]. La France tendait à en retarder les effets et l'Autriche à s'en préserver. L'une ne marquait aucune impatience de voir aller si tôt à ses fins le duumvirat piémontais ; l'autre, réservée et prudente, feignait de n'être pas avertie de ce qu'on disposait contre elle. Ah ! si seulement Napoléon, plus complaisant aux appels réitérés de Cavour et aux insinuations tendres de Mme de Castiglione, se fût décidé à brusquer l'entreprise ! Mais l'entraînement du carbonaro d'antan avait faibli, depuis que ce conspirateur était devenu chef d'État.

Il faut attendre, avait-il objecté, en 1853, au marquis de Villamarina, il faut attendre qu'en Europe éclate une grande guerre ou qu'un événement quelconque, par exemple une menace de l'Autriche à l'indépendance du Piémont, fournisse une occasion favorable.

Cette occasion que, par tant de moyens, Cavour s'était appliqué à faire surgir, n'éclatait pas aussi promptement qu'il l'aurait souhaitée. De vrai, la maison de Savoie n'avait obtenu jusqu'alors de l'empereur des Français que des promesses verbales[8] et des gages incertains. Tout en ayant adopté, dès qu'il fut monté sur le trône, comme base de sa politique extérieure, ce principe des nationalités, équitable, logique, en ses fins, mais d'un maniement trop dangereux pour le gouvernement français, parce qu'en accroissant, de gaîté de cœur et par théorie, les forces de ses voisins il ne pouvait qu'affaiblir les siennes, Napoléon n'était pas sans en appréhender les contre-effets lointains. Il hésitait à se lancer dans l'aventure. Les réalités du pouvoir tenaient en suspens l'élan de son imagination idéaliste. De plus, tout en se prêtant avec une complaisance extrême, sans en avertir sa diplomatie officielle, aux offres successives du ministre piémontais, tout en se disant avec lui d'accord sur ces trois points fondamentaux : mariage[9], guerre à l'Autriche et royaume de la Haute-Italie, il tenait à ce que la guerre pût être justifiable aux yeux des peuples. Il estimait nécessaire que le motif en parût mieux que plausible, mais fondé. Si assiégé qu'il fût de prières, de propositions ou de menaces détournées, il ne se résolvait pas à provoquer le conflit.

Les agitateurs et les révolutionnaires italiens commençaient à s'irriter de ces lenteurs. Puisqu'il ne voulait point se souvenir, puisqu'il se dérobait à la foi jurée, dont sa propre vie devait répondre, aux termes de ses engagements de jeunesse, on ne compterait plus que sur l'appel aux moyens hardis, violents, pour qu'ils lui fussent un avertissement sommaire ou une sanction. Il y eut une série d'attentats italiens, réitérés comme des leçons directes et qui risquèrent d'être mortels. Entre les plus exaltés, vers 1858, il était fortement question de se débarrasser de l'empereur par la balle ou le poignard. Napoléon III n'ignorait pas à quels périls l'avaient exposé ses connivences ou ses pactes d'autrefois avec les sociétés secrètes italiennes, et qu'il était comme ce jeune homme mineur ayant souscrit une lettre de change, dont on lui réclame le règlement, quand, majeur, il a hérité. Plusieurs tentatives dirigées contre lui, les unes connues, les autres ignorées, ne l'en avaient que trop clairement instruit. On se serait imaginé qu'elles auraient dû le décourager de ses sympathies pour l'Italie. Ce fut le contraire qui se produisit. Si les manifestations extérieures de la diplomatie française donnaient à croire que les projets en faveur de l'émancipation italienne avaient changé de nature, des esprits mieux informés de ses contre-correspondances et de ses personnels sentiments, savaient qu'il ne manquerait pas d'exécuter ce qu'on a appelé : le Testament d'Orsini. Les bombes lancées contre Napoléon III, le 14 janvier 1858, ainsi qu'une sommation à lui faite par des engins de mort et de destruction d'entamer enfin la grande affaire de son règne ; puis, à l'arrière-plan, les instigations persistantes de la belle Castiglione ; les influences réunies de la crainte et de l'amour, les espoirs échangés, des eux côtés des Alpes, et les compensations promises ; enfin, un geste de colère de l'Autriche, assumant, après tant de longanimité prudente et réfléchie, la responsabilité de la provocation : toutes ces causes, ensemble, précipitèrent le coup de foudre, si longtemps suspendu. Quelques mois plus tard, une même phrase courait sur toutes les lèvres, d'un bout à l'autre de la péninsule : l'Italie est la fille de Napoléon III.

Mme de Castiglione criait sa joie. Des nouvelles lui arrivaient, jour par jour, de Turin, et quelles nouvelles ! Le 23 avril 1859, à l'issue d'une séance parlementaire où s'étaient exhalés les accents du plus chaleureux patriotisme, Cavour avait prononcé ces paroles inoubliables : Je quitte la dernière assemblée de la Chambre piémontaise. La prochaine réunion sera celle de la Chambre italienne.

Hélas ! la paix imposée de Villafranca allait refroidir ces enthousiasmes. Le Piémont, Victor-Emmanuel, Cavour et Mme de Castiglione eurent un réveil malencontreux. On leur avait promis l'Italie entière jusqu'à l'Adriatique. Mais, à peine Napoléon avait-il ébranlé ses armées, et cueilli les lauriers de ses premières victoires — qui furent bien près d'aboutir à des défaites —, à peine le libérateur avait-il réalisé les prémices de son œuvre, que, trompé par la Prusse, menacé par toute l'Allemagne, il avait tourné court sur cette voie de triomphe, malgré les protestations de Cavour et les éclats de colère de l'Italie. De gré ou de force, par sentiment ou par obligation, il avait déposé les armes ; et déposé après avoir épuisé pour ses alliés une grande partie de ses ressources matérielles, fortement diminué l'hégémonie de sa puissance en Europe, après s'être engagé dans cette guerre sans nécessité, il avait encouru le discrédit qui s'attache à ceux qui s'arrêtent en chemin[10].

La paix signée, les plaines lombardes rendues à la couronne d'Italie, la Savoie et Nice ajoutées à l'empire, pour le prix de l'alliance française, Napoléon n'avait plus eu qu'à reprendre le chemin de sa capitale, en emportant, hélas ! la certitude qu'on le voyait partir avec autant de satisfaction qu'il en éprouvait lui-même à quitter le territoire italien. Victor-Emmanuel, suivi d'une escorte nombreuse, l'avait accompagné jusqu'à Suze, limite extrême de la voie ferrée. Quand il eut de ses yeux bien regardé l'empereur et son cortège s'éloignant dans les berlines de voyage, qui avaient à gagner le Mont-Cenis pour redescendre vers Saint-Jean-de-Maurienne, il avait exhalé son soulagement : le chaleureux allié de l'avant-veille s'était écrié :

Enfin ! il est dehors !

La déconvenue fut amère à ceux qui avaient trop demandé, trop espéré. La comtesse de Castiglione était du nombre. On aurait retenu la foudre dans le nuage plutôt que d'empêcher sa mauvaise humeur d'éclater. Laissa-t-elle parler sa plainte d'une voix trop haute ? On en eut l'impression aux Tuileries. Visiblement son prestige avait baissé. Les attentions personnelles de Napoléon ne se manifestaient plus envers elle, avec leur première vivacité. On s'en était aperçu, dans l'entourage, d'une manière assez prompte. L'air du Château se rendait moins hospitalier à ses tumultueuses apparitions. Tout récemment, l'impératrice, mécontente d'une rivalité de coiffures dont s'était avisée l'audacieuse Italienne, pour lui faire pièce, en pleine réception officielle, venait d'ordonner qu'on descendît des appartements de l'empereur, où elle le jugeait déplacé, le portrait de la comtesse de Castiglione. Un portrait sans signature, d'un dessin incorrect et d'une couleur timide, mais qui frappait le regard par son expression de femme ardemment amoureuse. N'était-ce pas assez, n'était-ce pas trop, avait-elle dit, qu'il figurât au rez-de-chaussée, dans les salons du chambellan Bacciochi ?[11]...

C'était un commencement de disgrâce, qui ne tarda pas à s'aggraver. Des méfiances s'étaient éveillées sur son compte. On insinuait que la belle Florentine recevait chez elle des réfugiés italiens d'un caractère douteux. On alla plus loin. Le bruit fut répandu qu'un complot criminel s'était formé chez la dangereuse sirène, dans le dessein d'assassiner l'empereur, sous l'ombre d'un rendez-vous. Un agent secret de Napoléon, le Corse Griscelli, l'homme des vendettas, qui se flattait d'avoir pressenti qu'il se passerait quelque chose de grave, ce soir-là, en la maison de Passy, y avait accompagné, sur sa demande expresse, son souverain et le général Fleury. Il raconta l'aventure, à sa manière, avec des gestes emphatiques et comme s'il eût trempé la pointe de son stylet dans le flot noir du mélodrame. Mais, quelle aventure ! On avait gravi les marches du perron lentement, sans bruit. Attention, général, murmura Griscelli, nous sommes chez une Italienne. Guet-apens, coup de poignard, drame nocturne, un cadavre : ce fut une terrifiante histoire.

La vérité plus simple, c'est que Mme de Castiglione était sous l'œil des surveillances policières. On l'accusait d'entretenir des rapports suspects avec des mazziniens et des réfugiés politiques d'outre-monts, aussi mal vus, à Paris, qu'ils étaient mal en cour, dans la capitale de la péninsule. Le souvenir était encore trop récent des gens du même bord qui, en 1851, émissaires de la révolution cosmopolite, avaient fait le coup de feu avec les émeutiers des départements. Enfin, des soupçons d'espionnage la visèrent en personne. On la reconduisit aux frontières italiennes, pleine de colère et fulminant de dépit contre l'ingratitude de Napoléon.

Depuis trois ou quatre ans, Florence avec son ciel charmant, ses promenades verdoyantes et ses collines dorées, ne lui était plus qu'une souvenance en quelque sorte lointaine. L'imprévu des circonstances, la force des choses et un attrait nouveau l'y ramenèrent, — pour y méditer dans le calme, sur les revers de la Destinée et l'injustice des hommes, dont elle faisait l'épreuve, n'ayant encore que vingt ans. Elle s'était retirée aux portes de la ville, dans une maison de campagne isolée, afin de s'y consacrer uniquement à l'éducation de son fils. La villa, qu'elle habitait, dominait un magnifique panorama. Elle y goûta des impressions d'apaisement. Elle avait voulu voler trop haut, porter trop loin le terme de ses vœux hâtifs. Une grande amertume lui était restée du déclin si rapide de ses ambitions. Il lui semblait, en ces lieux tranquilles, que son amour d'une vaine gloire n'avait été qu'un mauvais rêve. Elle s'en était détachée ; elle en avait pris la résolution sincère, veux-je dire, jusqu'à ce que, ressaisie d'un nouvel emportement, elle donnât le vol à d'autres désirs plus ou moins chimériques d'influence et de domination. C'est dans ce doux et mélancolique effacement qu'elle apparut, un jour, aux yeux fascinés d'un jeune diplomate français ; et le visiteur en avait rapporté une impression si rare, il l'avait entrevue dans un cadre et sous des traits si particuliers qu'il en fit le sujet de pages vraiment captivantes. Ce pénétrant récit d'Ideville nous l'analysâmes une fois déjà, au hasard d'un précédent ouvrage[12] où la comtesse de Castiglione, n'était pour ainsi dire, qu'une passante ; nous nous permettrons de l'y reprendre, afin de n'en perdre point l'intérêt, dans un livre dont elle est toute l'âme.

Il fallait gravir une côte assez rapide avant d'arriver à la villa Gloria. Une grille de bois indiquait l'entrée de cette demeure modeste et un peu triste. On y accédait par les allées d'un jardin d'aspect riant en la belle saison, quand la nature est en fête, mais qui n'avait, non plus que tous les autres, le privilège d'égayer la vue, aux heures moroses où les arbres sont dépouillés de leur parure et quand la neige couvre les chemins. On parvenait directement à la porte du vestibule. Un domestique vêtu de noir ouvrait, et avec quelque mystère, introduisait les visiteurs au premier étage, où se tenait, de préférence, la comtesse, seule ou ayant son enfant, qui jouait auprès d'elle, un enfant de six années, son fils, doux et beau comme une fille, avec des cheveux blonds bouclés autour du front, ses bras et ses épaules nus, de grands yeux limpides et étonnés.

Mme de Castiglione apparaissait froide, silencieuse, et n'échangeait que le nécessaire des paroles. Sa porte était fermée à presque tous ses compatriotes de Turin, de Florence ou de Gênes. Elle ne l'ouvrait qu'à de rares étrangers, à des Français. La première impression éprouvée en sa présence ne pouvait être que d'admiration, mais une admiration des yeux, dénuée de chaleur et sans élan. Son air de visage était plus imposant qu'aimable. On y voyait cette expression hautaine, que prennent souvent les femmes auxquelles on a trop chanté l'hymne d'adoration plastique.

Le jeune diplomate avait satisfait son regard à considérer la pureté, l'harmonie parfaite de formes d'une créature surprenante. Puis, il était redescendu, le cœur tranquille et le cerveau calme, dans la plaine, avec son ami et collègue le baron de Chollet, qui l'avait accompagné.

Une seconde visite, puis une troisième se succédèrent. Son sentiment ne s'était guère modifié. Il se rappelait, alors, les jugements peu favorables qu'il avait entendu porter, bien des fois, autour de lui, sur cette femme singulière.

Elle est trop belle, disaient les mondaines, et fort heureusement, elle n'est que belle.

Elle est profondément égoïste, avaient ajouté quelques-uns de ceux qui l'entouraient au milieu de ses plus éclatants triomphes parisiens ; elle est capricieuse, incapable d'éprouver une affection, et, avec ses miraculeux avantages, incapable aussi d'inspirer un amour vrai, une passion sérieuse. Il s'en fallait de peu qu'on ne lui déniât toute valeur d'esprit. D'Ideville avait entendu ces généreuses appréciations. Il était retourné, cinq ou six fois, à la villa Gloria, sans avoir pu se fonder une opinion personnelle et certaine.

Il avait peine à croire, cependant, que, sous l'enveloppe de la déesse ne brillât aucunement l'étincelle divine. L'exil volontaire auquel paraissait s'être condamnée celle dont l'apparition à Paris et à Londres avait eu l'importance d'un événement, sa vie retirée, son éloignement systématique, les habitudes singulières, dont elle commençait à pratiquer l'expérience intermittente, bien longtemps avant l'heure où elle s'y plongerait à jamais, l'indifférence absolue de cette jeune tête à l'égard des circonstances du dehors, susceptibles de rompre et d'animer la monotonie de ses jours : tout cela excitait étrangement sa curiosité. Sans doute, elle devait recéler en soi des ressources d'âme et d'intelligence ignorées du commun. Et, pour s'en convaincre, il continua de monter la colline.

Il commençait à perdre l'espoir de pénétrer l'énigme, lorsque, après avoir arrêté le dessein de n'y plus songer, il se trouva, certain jour encore, sur le chemin de la Gloria. Le hasard voulut qu'il se vit seul avec elle, sans témoins. Et ce fut une révélation. Les lèvres de Mme de Castiglione s'étaient décidées à énoncer d'autres paroles que des mots de politesse et des formules de banalité. La conversation prit un tour intéressant. Des pensées originales jaillirent, découvrant une nature élevée, qu'il ne soupçonnait point, une largeur d'esprit, qu'il avait à peine, jusque-là, pressentie.

Qui donc la lui avait figurée à la fois si riche et si dénuée, en un mot si incomplète ? Il n'avait eu qu'à l'écouter pour reconnaître qu'elle avait sur beaucoup de femmes une supériorité de raison et de caractère, ne le cédant en rien à la supériorité que chacune était obligée de lui abandonner, au physique. Cette mélancolie qu'elle ressentait, ce dédain dont elle ne se défendait pas assez à l'égard du reste de l'humanité, lui venait du renversement trop prompt de ses songes ambitieux :

A peine ai-je traversé la vie, disait-elle, et mon rôle est déjà fini.

Il s'en retourna pensif et réfléchissant à tout ce qu'il avait entendu. Le charme s'était produit. Les entrevues suivirent, plus prolongées. Elle se rendait confiante. Elle devenait expansive, presque ; et il demeurait sous le pouvoir d'une causerie pleine de nouveauté. D'Ideville apprit bientôt une partie de sa vie ; il s'aperçut qu'elle était sincèrement heureuse d'avoir, tout proche d'elle, un confident capable de la comprendre. Elle et lui firent ensemble des promenades en barque ; elle égrenait ses souvenirs au fil de l'eau et se confiait avec naïveté. Il ne put se défendre de fixer sur le papier la suite de ses impressions et d'en donner lecture à celle qui les avait provoquées.

***

Cependant, la comtesse de Castiglione supportait mal cette diminution de vie, qu'elle sentait en elle et autour d'elle, depuis qu'on l'avait contrainte à quitter la France. Les heures qu'elle employait à instruire son enfant dans le premier usage des langues étrangères ne suffisaient point à en remplir le vide. Elle avait trop de jeunesse et trop de feu pour se résigner déjà aux langueurs de l'isolement. On l'avait rendue victime d'imputations évidemment fausses. Elle demanda à s'en disculper. Pour le mieux faire, elle courut à Turin et pria vivement le comte d'Arese, un ancien ami de Louis-Napoléon, d'intervenir en sa faveur. Usant, tour à tour, de prières ou d'insinuations qui ressemblaient ; à de vagues menaces, elle fit comprendre qu'elle avait en main de véritables secrets d'État, dont la divulgation serait, pour le moins, fâcheuse en ses suites ; qu'une nature moins discrète qu'elle-même serait tentée d'en abuser, mais qu'on jugerait préférable, sans doute, de ne pas l'y exposer en continuant à lui tenir injustement rigueur. Cette dernière raison, jointe à la force des anciens souvenirs produisit son effet. On leva l'interdiction ; et peu de temps après, elle inaugura son retour à Paris en donnant une grande fête.

Depuis lors alternèrent ses allées et venues entre la France et l'Italie, ses départs mystérieux et ses brusques retours. Quand elle réapparut, aux Tuileries, en 1862, la question italienne languissait d'intérêt. On n'était occupé que de la guerre de Chine et de répartir entre les dépouilles du Palais d'été. Deux ans plus tard, elle repartait pour Turin, s'y montrait, revenait à Paris, faisait, ensuite, quelques voyages en divers lieux ; et, en 1867, se retrouvait passagèrement en Italie, tandis que se célébrait le mariage du prince Amédée, duc d'Aoste, avec la princesse Marie del Pozzo della Cisterna. Des noces, qui la rendirent veuve, elle, la comtesse de Castiglione, des noces tragiques, qui se consommèrent au milieu des circonstances les plus imprévues, les plus douloureuses, et dont elle ne se rappela jamais sans fièvre la sombre et fantastique vision.

Les fleurs y furent éclaboussées de sang. La mort, à coups redoublés, frappa sur ces gens en habits de fête, comme s'ils eussent servi de jouets sinistres à quelque invisible ennemi, aux décisions brusques et fatales. Elle frappa, dis-je, avec un tel génie des coïncidences, avec une telle régularité malfaisante, que l'émotion ressentie est suspendue dans l'âme parle doute. Fut-ce vraiment possible ? La comtesse de Castiglione, poussée aux extrêmes, comme elle l'était de nature et d'imagination, n'en avait-elle point forcé les couleurs, le soir où elle écrivait la lettre étrange, que nous avons sous les yeux et qui va nous diriger à travers cette incroyable série d'accidents, tous mortels[13] ?

Le trajet était court du palais royal de Turin à l'église. Cependant, trajet, contrat, mariage religieux, tout eut sa part de tristesse en ce drame aux apparences si joyeuses. Le malheur initial, qui, à lui seul, eût suffi pour en ternir le décor brillant, avait été le suicide de la première dame d'atours. Par quel funeste mobile ? On la trouva pendue dans la garde-robe tenant entre ses doigts crispés le corsage virginal où elle avait attaché la guirlande fleurie. La princesse épouvantée refusa de s'en servir. On avait gardé le silence sur cette pénible aventure.

A l'heure dite, l'escorte s'était formée dans la cour. On n'attendait plus que le colonel chargé d'en prendre la tête. Il était long à venir. De l'impatience gagnait les esprits. Tout à coup la nouvelle arrive qu'une insolation l'a renversé, à quelque trois cents mètres du palais, de son cheval sur le pavé. Il faut partir sans lui. Le cortège s'ébranle dans la confusion. On veut franchir les grilles du château royal ; par une négligence inexplicable, le gardien a omis de les ouvrir. On se met à sa recherche ; on déclôt les portes, et l'escorte passe. Le malheureux serviteur, terrorisé par sa faute, aura-t-il eu le geste de désespoir d'un Vatel ? On l'a retrouvé baigné dans son sang. Et les morts succèdent aux morts, sans qu'on puisse en concevoir l'enchaînement inouï. Brusquement on verra l'officier ministériel, qui avait rédigé le contrat, se renverser en arrière, les traits bleuis, contractés, et s'affaisser inerte contre les coussins de la voiture, victime d'une apoplexie foudroyante. On n'aura pas eu le temps de se dégager de cette impression cruelle s'ajoutant aux autres qu'un coup de feu retentit, lointain. C'est le premier témoin qui venait de se faire sauter la cervelle. Les jeunes époux consternés, veulent fuir ces lieux maudits. Au milieu des vivats de la foule, parmi les accords de la musique, les équipages et l'escorte traversent en hâte l'avenue bordée d'arbres qui conduit au chemin de fer. Le cortège princier a mis pied à terre ; et il gagne le quai désigné, pour la direction de Stupinigi. Plein de sollicitude, le chef de gare en a pris la tête ; au moment où il s'expose sur la voie ferrée pour atteindre l'autre bord, débouche à toute vapeur le train nuptial, qui le renverse et l'écrase !

Alors, Victor-Emmanuel, qui ne peut en supporter davantage, du ton d'un chef d'armée lançant le commandement de : Cessez le feu ! s'écrie : Assez de morts ! Castion[14], en chaise de poste ! Nous reviendrons ensemble, car j'ai peur. Le cortège quitte cette voie funeste, et remonte en carrosse, pour se rendre à Stupinigi. Le comte de Castiglione, serré dans son uniforme rouge de chevalier de Malte, caracole à la portière droite de la voiture des jeunes mariés. Subitement on s'aperçoit qu'il chancelle. Il roule à bas de son cheval sous les roues du carrosse, qui sursaute. On arrête. Le prince Humbert et son frère Amédée se précipitent. La jeune femme s'évanouit. On relève le comte. Une roue lui a fracassé la poitrine, enfonçant dans ses chairs son collier de l'ordre et ses décorations, cadeaux du jour[15]. Inutiles sont les soins qu'on lui prodigue. Castion a été terrassé par une congestion cérébrale. Cependant, la voiture du roi avait pris les devants ; elle était arrivée, la première, à Stupinigi. Descendu de son équipage, Victor-Emmanuel attend la suite du cortège. Il n'y aperçoit point son aide de camp : Où est Castion ? interroge-t-il. Mort, répond laconiquement Humbert, qui, depuis cette journée, prendra en une horreur invincible les cérémonies de mariage officielles.

Avec le comte de Castiglione, le nombre de ces victimes d'un mauvais sort ou de la fatalité s'élevait à sept ; et l'on n'y comptait point un certain Prim, attaché, à la maison du roi, qui fut assassiné, peu après, ni la vieille nourrice d'un des fils du roi, qui, le même jour, à la Spezia, mourut ébouillantée, par suite de l'explosion d'une chaudière.

Tels furent, d'après un récit secret de la comtesse, les préludes et l'épilogue de ces noces de princes, suivies de neuf morts, dont un assassinat, un suicide et sept accidents mortels, donnant lieu à neuf enterrements.

Elle prit le deuil, pour quelques mois, du père de son fils[16], et revint à Paris, en son appartement de l'Alma[17], où elle allait voir passer les deux dernières années d'existence réservées à l'Empire.

 

 

 



[1] Une question inspirée de haut, sans doute. En 1912, Mme Walewska nous montrait encore cette lettre.

[2] Comme vous en parliez ! Quel langage était le vôtre. Mais c'était avant la surdité. (Lettre XXIII.) Tant pis pour les oreilles sourdes ! (Lettre LIII.) Venez, ouvrez les yeux, écoutez, si vous pouvez encore entendre. (Lettre CCVIII.) Etc.

[3] Et dire que vous avez manqué le coche deux fois, à Dieppe, il y a dix ans, et à présent !... Au revoir, à Paris, sans bracelets. (Lettre de Mme de Castiglione à Estancelin, CCXXV.)

A en croire des ressouvenirs épistolaires assez fréquents, ces fameux bracelets avaient produit une grande gêne. Plusieurs lustres se seront succédé, depuis lors. Quand la comtesse de Castiglione voudra engager -Bon vieil ami à la venir voir promptement, pour causer d'une question intéressant les princes, ou par badinage, afin d'être plus certaine qu'il ne lui manquera pas de parole, elle s'empressera de lui faire savoir qu'elle sera simple, sans bracelets.

[4] Après Villafranca, elle eût voulu une sorte de confédération laissant Victor-Emmanuel au nord de l'Italie, le roi de Naples au sud, le Souverain Pontife au centre.

[5] Quoique séparés, leurs rapports de lettres n'avaient pas cessé, sur les questions d'intérêts personnels et de politique. V. notre Conclusion.

[6] Cavour, Lettere edite ed inedite, à la marquise Barolo.

[7] Nous forcerons le cabinet de Vienne à nous déclarer la guerre, avait-il signifié, en propres termes, au diplomate anglais O. de Russel.

[8] Ne vous troublez pas, avait-il fait espérer, en 1852, à l'ambassadeur piémontais de Villamarina, le temps n'est pas loin où les deux pays de France et de Piémont se trouveront compagnons d'armes pour la noble cause de l'Italie. Dépêche de Villamarina, février 1853, ap. Bianchi, Storia documentata, t. III, p. 229.

[9] Le mariage du prince Jérôme et de la princesse Clotilde.

[10] Pierre de la Gorce, Histoire du Second Empire, t. II, p. 308.

[11] Ce tableau fut transporté au musée d'Ajaccio, avec l'ensemble de la collection léguée par Bacciochi à sa ville natale.

[12] Cf. Frédéric Loliée, Les Femmes du Second Empire, p. 23-25.

[13] En réalité, cette avalanche de malheurs ne fut pas uniquement attachée au premier mariage du duc d'Aoste. La jettatura avait étendu sa pernicieuse influence aux secondes noces du prince Amédée, en 1888, avec sa nièce, la princesse Laetizia, fille de Jérôme Napoléon, comme l'indique le passage ci-contre de la même lettre :

L'avocat, premier témoin, qui unit la Française à l'Italien, se brûla la cervelle et le sang rejaillit sur le mur !

[14] Diminutif amical de Castiglione. Castion est le petit nom d'intimité que la casa de Savoie donna toujours à la casa di Castigliole. (Lettre CLXXIII.)

[15] J'en conserve encore l'épée de gala traînante, les décorations et le grand collier. J'en garde encore les 3 fr. 40 c., qu'il avait en poche. (Correspondance privée, CLXXIII.)

[16] Et voilà comment je restai veuve, à dix-sept ans, avec un enfant à élever, à l'étranger, sans le sou, pour le voir mourir, lui aussi, à dix-sept ans, dès ses premières armes à la cour, porteur de la lettre de l'ancien roi d'Espagne au nouveau roi, mort aussi et dans le même uniforme, au dîner des cent-un couverts. (Correspondance privée, CLXXIII.)

Étranges circonstances encore, mais inexactement rapportées. De volonté ou de fait, la comtesse, toute sa vie, brouilla les dates. Elle n'avait pas dix-sept ans, mais bien vingt-sept, lorsqu'elle perdit son époux, depuis une dizaine d'années séparé d'elle ; son fils, dont la disparition lui coûta tant de larmes, n'avait pas été la victime d'un empoisonnement comme elle l'insinua dans plusieurs de ses lettres, mais il fut emporté par une maladie indépendante du mauvais vouloir des humains, par la variole.

[17] C'est-à-dire, rue Volney, en l'hôtel de l'Alma.