LA COMTESSE DE CASTIGLIONE - 1840-1900

Le Roman d'une Favorite, d'après sa correspondance intime inédite et les Lettres des Princes

 

CHAPITRE PREMIER. — L'AUBE JUVÉNILE.

 

 

Sous les ombrages d'une promenade florentine. — Une apparition ravissante. — Son nom ; le secret de son berceau. — Les années enfantines de Virginia Oldoïni, future comtesse de Castiglione. — Des traits du premier âge. — Les grâces naissantes d'une merveilleuse beauté. — Aux environs de sa quinzième année. — Parmi tant d'admirateurs ; les circonstances de son mariage ; curieux récit d'une ambassadrice, de nos oreilles écouté, un demi-siècle plus tard. — Séduisant voyage de noces. — En revenant des îles Borromées. — Présentation à la cour de Sardaigne de la jeune comtesse. — Des succès prometteurs. — Ses ambitions plus hautes. — Mme de Castiglione et le ministre piémontais Cavour. — Une délicate mission. — Comment la divine Nicchia, en sa dix-septième année fut envoyée de Turin à Paris pour charmer politiquement l'Empereur des Français.

 

Par un matin enchanté, dans l'air bleuâtre et doux, Florence, la Ville des Fleurs, respirait, au réveil, toutes les grâces du printemps.

Déjà, sous les feuillages nouveaux des Cascine allaient et venaient paresseusement les promeneurs. De côté et d'autre, entre gens de connaissance, on échangeait des saluts et des sourires lorsque, tout à coup, les regards se quittèrent, pour se tourner, en même temps, vers une charmante apparition.

Descendue d'un équipage qui la suivait au pas, une jeune fille merveilleuse à voir en sa fraîche toilette, dont l'étoffe simple épousait harmonieusement les lignes de son corps, avançait dans la clarté de ce jour radieux.

A sa démarche, à son air de tête, on la sentait déjà tout elle-même, heureuse d'être belle, d'être jeune, d'être riche, fière d'être Italienne et, par-dessus tout, Florentine[1].

D'un pas sûr et léger, elle côtoyait le bord des larges pelouses égayées de leurs bouquets d'arbres.

Un murmure flatteur suivait sa trace.

La grâce et la pureté de ses traits, l'éclat de ses longs yeux bleus, l'exquise délicatesse de son teint, la ravissante expression de son visage et la perfection idéale de sa personne entière faisaient dire : il n'en est pas, ailleurs, d'aussi belle que Nina Oldoïni.

Plus éclatante et non moins séduisante on la reverrait, le soir, en sa loge de la Pergola, avec son regard lumineux, les promesses de sa taille, les fleurs de pourpre semées en sa chevelure aux tons d'or sombre, attirant et forçant l'attention d'une salle emplie d'élégances.

Telle se montrait, à son aurore, celle qu'on appellera la divine Castiglione, — l'amie des rois, la secrète ambassadrice, à la cour des Tuileries, des desseins ambitieux du grand ministre piémontais Cavour et, après la chute de l'empire, l'Égérie insuffisamment écoutée des princes de la maison d'Orléans.

§

Le mystère, avec cette femme célèbre et, pour ainsi dire, inconnue, commence dès la naissance. Des nuages environnèrent son berceau. Elle-même, lorsqu'elle aurait pu le faire, n'aida point à les dissiper ; sans doute lui plaisait-il qu'il en fût ainsi ; car, au delà de sa jeunesse, en des conversations très intimes, dont l'écho nous est revenu et dans certaines de ses lettres à nous envoyées ou transmises, elle en épaississait les ombres, comme par jeu.

Ses versions de l'événement initial variaient, selon les dispositions de son esprit changeant.

Tantôt elle ne permettait pas qu'on insinuât des doutes susceptibles d'altérer le bon renom maternel. Et, alors, elle se raillait de l'excès des suppositions, dont ses origines étaient l'objet. Ne l'avait-on pas fait descendre, tour à tour, des Napoléons de Florence[2], des ducs de Toscane, de la maison de Savoie, voire même d'une Éminence romaine, le cardinal Antonelli ? Pourquoi pas du pape ? ajoutait-elle, sans plus de respect.

Tantôt, elle déclarait, avec un complet désouci des conséquences imaginables de ses allégations, qu'elle ne savait rien de très positif sur les lieux qui eurent l'honneur de l'avoir produite et qu'elle eût été très embarrassée d'affirmer, sur la foi du serment, où et de qui.

Elle parlera souvent du marquis Oldoïni, son père ; et, cependant, en des coins ignorés de son âme, elle réservera le meilleur de ses affections filiales à un cher prince d'origine polonaise et d'extraction royale. Elle aura, sur cet intéressant sujet, des rappels de mémoire, qui sembleront bien précis :

Mars ! Enfin, c'est mon mois, celui de Joseph, dernier roi[3] de Pologne (mon père !), le seul qui m'aima bien et dont je n'ai jamais trahi le secret. Vous n'avez donc jamais remarqué que je devais avoir une partie de sang royal dans les veines, une goutte peut-être ?

Quant à la date, rien n'était moins assuré que son propre témoignage. Elle ouvrit les yeux en 1840, d'après d'Ideville, en 1843 suivant elle, et, le 22 mars 1835, suivant les actes de l'état civil[4]. Elle était femme, et rien ne lui coûtait moins que de toujours se rajeunir ; elle avait adopté fermement cette date de 1843, inadmissible, si l'on pense qu'elle se maria à quatorze ans, que ses justes noces eurent lieu en 1855, et que si l'on acceptait ce chiffre, elle n'aurait eu, en épousant le comte de Castiglione que l'âge d'une communiante : onze à douze. Mais, quand elle tablait, comptait ou racontait, elle n'en était point à quelques inexactitudes près.

En l'ordre régulier des choses, elle appartenait effectivement à une famille de la Spezia, d'antique noblesse génoise ; elle était la fille portant le nom du marquis Filippo Oldoïni, le premier député de la Spezia, en 1848, au Parlement du royaume de Sardaigne, plus tard ambassadeur d'Italie à Lisbonne ; et ses premiers pas, elle les fit dans un palais très authentique.

Sa mère, une Lamporecchi, avait vu le jour dans la ville élégante et païenne surnommée la fille de Rome. Mollement inclinée au tempérament de la race, qui est de faire les choses avec langueur et sans règle, au demeurant d'une santé fragile, la marquise Oldoïni n'avait pas le devoir très actif, quant à l'économie générale de sa maison et aux soins particuliers de l'éducation familiale.

Il fallait à ses goûts une existence unie sans responsabilités et sans charges. Possédant de nature le charme, la grâce, l'élégance, sous des aspects tranquilles, elle aimait, autour d'elle, les agréments du monde et de la bonne compagnie, qui furent, de tout temps, une des séductions de la vie florentine. En quel endroit de la terre, fût-ce à Venise ou à Paris, sut-on mieux se plaire qu'en la cité des Médicis, dans l'art d'aimablement vivre, au sein d'une société choisie, et de mettre à l'aise, de toutes façons délicates, des sens affinés et connaisseurs ?

Le marquis voyageait beaucoup pour ses affaires diplomatiques et pour ses personnelles distractions. La marquise se partageait entre les sollicitudes que réclamaient, au jour le jour, ses malaises physiques et les plaisirs du monde, comme elle les goûtait, sans agitation, sans fièvre.

D'une culture superficielle, somnolente aux réflexions suivies, peu capable d'attention sérieuse et soutenue, elle voyait avec quelque intérêt te produire, chez sa fille, dès la prime enfance, les signes d'une intelligence rare, mais elle n'éprouvait que faiblement le besoin d'y aider par une stimulation personnelle ou d'en régler : les capricieux mouvements.

Aussi bien, pourquoi se fut-elle mise en peine ? Rien ne l'y forçait, ni ses propres dispositions ni les usages d'alentour, la coutume n'étant pas, à Florence, de s'inquiéter outre-mesure des enfants et de leur intime voisinage. Depuis si longtemps s'épanouissait, sur les bords de l'Arno, cette belle insouciance épicurienne, qui donne à la vie pour but essentiel, autant qu'on en possède les moyens ou les loisirs, la douce occupation d'orner et de délasser ses jours !

L'éducation de Virginicchia[5] Oldoïni se ressentit, naturellement, de l'insouciance avec laquelle on l'élevait dans la satisfaction prompte et complète de tous ses désirs. La direction n'en fut pas de beaucoup changée, quand on eut confié à son grand-père, le célèbre avocat et jurisconsulte Lamporecchi la mission peu commode d'en remplir les soins. Dans l'une comme dans l'autre maison, elle grandissait très adulée, malgré qu'elle ait dit, longtemps plus tard, n'avoir gardé qu'un souvenir mélancolique de ses premiers ans passés entre les murs sombres du palais Oldoïni[6].

Toute petite, elle eut des élans pieux, qui ne durèrent pas. Aux jours de fêtes religieuses, ses délices étaient d'assister, des hautes fenêtres du palazzo, au déroulement des processions. Ces jours-là, on apportait dans les chambres des mannes remplies de fleurs des champs. Elle y plongeait les bras, ravie de bonheur, et avec des cris de joie, elle en jetait des poignées à la foule. Elle se rappellera qu'un matin de Fête-Dieu, transportée d'enthousiasme, elle avait lancé sur le dais respecté de la Madone une pluie si abondante de marguerites et de boutons d'or, qu'elle en avait compromis l'arrangement et répandu une sorte de panique dans les rangs du cortège. On feignit, autour d'elle, d'être sérieusement fâché d'une aussi grave étourderie. Pour la forcer d'être immobile, quelques secondes au moins, on lui tint les bras attachés à sa petite chaise d'enfant. Elle ne pleura pas de cette gêne imposée, pendant un court instant, à sa turbulence ; mais, oubliant, à la minute, son menu chagrin, l'incident même et sa famille, elle se vit seule, riant au soleil, à l'azur du ciel, à la tombée des fleurs. Toutefois, revenue de son extase enfantine, elle fut moins heureuse d'apprendre qu'elle serait, le soir, condamnée au pain et à l'eau, pour la punir d'avoir dérangé la marche du bon Dieu !

Tels les premiers martyrs : elle souffrit un jour dans sa vie, pour la violence et la sincérité de sa foi.

Elle fut, de très bonne heure, en contact avec la société florentine et étrangère.

Son grand-père et les Oldoïni avaient de nombreuses connaissances, des mieux titrées, en ville et hors de la ville, en ces alentours urbains parsemés de villas coquettes et verdoyantes, dont l'aspect aura charmé les yeux de tous les visiteurs de Florence.

Une partie de la famille des Bonaparte en exil habitait le palais de son aïeul Lamporecchi. Les plus âgés la faisaient sauter sur leurs genoux et l'appelaient de son plus petit nom : Ni ni. Dans les mêmes conditions d'enfantillage, elle avait vu, lors de ses rares et furtives apparitions, le prince Louis, depuis Napoléon III, et dont Lamporecchi avait été le tuteur. Avec une affectueuse tendresse, il la levait dans ses bras et la disait la plus ravissante petite fille du monde. Ce fut encore le prince de Joinville qui, plusieurs fois, honora de sa présence, la maison de ses parents, et qui prenait plaisir à caresser ses boucles dorées.

Lord Holland, pendant son séjour diplomatique à Florence, et lady Holland aussi la connurent bien jeune enfant, la chérissant à l'extrême et l'appelant leur Dearling beauty. Ils avaient été émerveillés de ses aptitudes, qui tenaient du miracle, à s'assimiler les langues étrangères, et ne devaient plus oublier le charme qu'ils avaient ressenti à l'entendre parler anglais, avec une pureté presque irréprochable, au bout de quelques semaines seulement d'études auprès d'eux, et prononcé d'une si jolie bouche !

Ce fut, en effet, l'instinct de son intelligence et le privilège de sa mémoire : grande voyageuse à travers le continent, pendant la période active de sa vie, elle saura traduire ses pensées, chaque fois et facilement, dans l'idiome du pays où elle arrêtera ses pas.

Elle étudiait sans méthode et dispersait ses lectures sans direction précise. Aux jeux des garçons et des filles de son âge elle préférait les calmes jouissances des lectures romanesques et les méditations précoces. Le hasard des impressions spontanées, telles qu'on les ressent, alors, si vives, si pénétrantes, voulut qu'un récit de légende, au simple titre : Ildegonda, produisit sur sa jeunesse une émotion extraordinaire[7]. C'était l'aventure tragique d'une religieuse, consumée d'une flamme terrestre plus puissante en elle que les élans de l'amour divin. Cédant à l'irrésistible attrait, elle s'était enfuie du couvent. Mais le ciel implacable, ou plutôt des adorateurs de Dieu trop inhumains veillaient sur la transfuge. Au moment où elle allait se jeter contre le sein de son amant, chercher auprès de lui secours et protection, une force mystérieuse la cloua sur place, comme aussitôt paralysée. Des mains cruelles se saisirent de la malheureuse et la livrèrent au bûcher, pour le bon exemple. Il y avait là de l'amour, de la foi, du surnaturel et de l'horreur, en un mot tout ce qui était capable d'éprendre et de surexciter une jeune imagination.

Cependant, la croissance de son être physique avait été aussi rapide que le développement précoce de sa nature morale. A douze ans, elle était grande et belle autant qu'elle le fut à vingt. Les grâces de son corsage fleurissaient déjà ; et l'instinct de la coquetterie n'avait pas attendu. De très bonne heure, on s'occupa beaucoup d'elle. Une cour d'admirateurs passionnés lui faisait cortège ; et la petite marquise, une adolescente, à peine, excitait déjà l'envie de ses compatriotes les plus fêtées.

Soit que les Oldoïni habitassent Florence ou résidassent en leur maison de la Spezia, les visiteurs affluaient chez eux, attirés par l'extraordinaire beauté de Nicchia. Des officiers de marine de différentes nationalités y fréquentaient, particulièrement, quand on était à la Spezia. Singulière en tous temps, Virginie Oldoïni se plaisait à orner ses charmes des colorations chaudes mais sévères du violet. Il y avait, de certains soirs, cercle pressé d'admirateurs autour de sa robe améthyste ou couleur de lavande. Plus heureux, chacun de ceux-là, si l'occasion rare s'offrait de lui faire leur cour, isolément ! Ces hommes de mer avaient le compliment expressif sur les séductions de la jeune fille et les attraits de sa toilette, harmonieusement composée. Ils paraissaient à l'un et à l'autre détails s'intéresser très fort. Ils ne se contentaient point de le dire ; ils voulaient s'approcher, considérer, presque toucher[8]. L'intervention maternelle suspendait leurs empressements. La marquise, dont les yeux s'étaient voilés bien avant l'âge, était avertie de leurs galants manèges par ce regard intérieur, que chacun porte en soi :

Ne touchez pas à la comtesse, leur disait-elle, je n'y vois rien, mais je sens clair, quand elle est en violet. Vous y incendieriez vos galons, messieurs les aspirants, les soupirants et les hors-combats.

Car, elle désignait de cette façon originale les jeunes lieutenants, les mûrs commandants et les vieux amiraux qui, tous se fondaient en doux propos, à l'intention de l'Unique. En réalité, la marquise Oldoïni croyait à l'action des couleurs sur les sentiments, comme elle croyait à l'influence heureuse ou néfaste de certains bijoux offerts avant les noces ou le lendemain du mariage. La jettatura n'avait pas d'adepte plus fervente ni plus qu'elle frémissante ; et elle eût mérité que le troublant maléfice ne fût pas une chimère, elle l'eût mérité pour le seul bénéfice de ses messes blanches, pour la justification des sacrifices propitiatoires, dont elle était si prodigue afin de conjurer le mauvais sort. Ses tendances superstitieuses ne s'affirmeront que trop clairement, pendant les fiançailles de sa fille, lorsque, attribuant à une croix de diamants — le premier des cadeaux reçus — et à un collier de perles grosses comme des noisettes une influence fatale aux destinées de sa Nina, elle n'hésitera pas à jeter ces précieux objets à la mer et voudra faire suivre le même chemin à un superbe livre de messe relié d'ivoire, parce qu'il avait été donné, un mauvais jour.

Virginie Oldoïni n'était pas sortie de l'adolescence que, dès lors — nous venons d'en avoir l'impression —, elle était très répandue, très admirée, très désirée. Elle avait conservé de son enfance l'habitude de tout regarder en face, sans croire qu'elle dût continuellement baisser les cils, à la mode des jeunes filles de son âge. De ses yeux limpides et grands ouverts elle suivait, parmi les groupes juvéniles, l'éveil des tendres sentiments et les préludes des mariages, qui se formaient, l'invitant à prendre la même direction vers le bonheur, avant qu'elle eût quinze ans. Cette langue de l'amour elle la Sentait glisser à son oreille, elle l'entendait dans les chuchotements des promenades, dans la tiède atmosphère des réunions élégantes. Qui la lui parlerait, à elle, pour la première fois ? Le comte de Castiglione s'offrit à la lui apprendre, muni de l'assentiment maternel.

C'était un jeune homme aux formes dégagées, content des noms qu'il portait[9], heureux de son état et qui, jusqu'alors, n'avait eu guère à se débattre contre les difficultés de la vie. Déjà veuf à vingt-six ans, il avait été distrait de ce deuil prématuré par les plaisirs des Cours, à Turin et à Londres, en attendant qu'il pût arrêter son cœur et ses goûts dans les douceurs d'une seconde union toute d'amour. Porté d'un penchant assez vif vers les femmes, il pensait à prendre le bon parti, qui était d'en avoir une à soi, de nouveau, et qui lui plût.

A la suite de quelles circonstances lui fut accordée la main de Virginie Oldoïni, nous eûmes occasion de raconter la chose en notre précédente galerie des Femmes du Second Empire ; et nous ne pouvons qu'en rappeler le détail, exactement comme nous le reçûmes de la bouche même de Mme Walewska, causant avec nous, ce soir-là, de l'autrefois, remuant les cendres d'un aimable passé, au hasard de ses souvenirs.

C'était à Londres, pendant l'hiver de 1854. Il y avait réception chez la duchesse d'Inverness, parente de la reine. Le comte Walewski, ambassadeur de Napoléon III, s'y trouvait au premier plan, ainsi que le ministre italien Emmanuel d'Azeglio. Près d'eux on remarquait, entre les habits noirs, un étranger de bonne mine et d'agréable prestance, le comte de Castiglione. On venait de danser. Et parmi tant de femmes réunies, épaules et gorges nues, le regard du gentilhomme turinois errait complaisamment. Il se tourna vers le comte Walewski, ayant une confidence à lui faire :

Vous ne savez pas, lui dit-il à mi-voix, le motif, le vrai motif qui m'amène ici. Je suis venu à Londres pour me marier.

En ce cas, mon cher Castiglione, lui répondit le diplomate français, vous n'auriez pas dû quitter la belle Italie. Croyez-moi, retournez à Florence ou bien allez à la Spezia. Présentez-vous chez la marquise Oldoïni, sous les auspices de votre éminent ami Cavour, faites-vous agréer par sa fille, épousez-la et vous aurez la plus jolie femme de l'Europe.

Cette alliance, au reste, présentait des avantages de situation — du moins en espérance — qui n'étaient pas dédaignables : elle pouvait amener au comte, qui jouissait déjà d'une situation assez favorisée auprès du roi, l'appui d'une belle parenté. IL se présenta donc.

Son frais visage, sa fine moustache et cet air ravi que portent avec eux, ordinairement, les Italiens heureux de se sentir vivre et d'aimer, ne produisirent pas l'impression qu'il en attendait. Si l'accord des noms et de l'apparentage allait à souhait, l'entente sentimentale laissait à désirer, comme il put s'en apercevoir, aussitôt, à la froideur de la jeune comtesse. François Verasis de Castiglione avait les qualités et les dehors d'un parfait galant homme. Il se montrait, envers elle, doux, prévenant et animé d'un grand élan d'affection. Seulement, il n'avait pas, au regard de celle dont il avait demandé la main, l'attrait supérieur que les femmes intelligentes aspirent à trouver chez un mari, pour l'aimer comme un amant. Il lui manquait l'énergie de caractère, l'esprit de volonté, l'initiative entreprenante, qu'elle aurait désirés chez l'homme de son choix, de manière à devenir elle-même la digne associée d'une existence ambitieuse et agissante ; car, elle y pensait dès lors. Ce n'était pas lui qui aurait dû venir, c'était l'autre, l'inconnu. Elle l'en avait aussitôt prévenu, dans un langage sans détour. Il avait égaré ses vues, en les portant de son côté. Leurs deux natures étaient trop différentes r pour se fondre ; il s'exposerait à des désabusements profonds ; elle n'avait pour lui aucun penchant, à peine une vague sympathie ; elle le priait d'aimer ailleurs. Mais l'espérance d'éveiller un sentiment plus complet, avec l'aide du temps. en cette âme rebelle qui, main tenant, par caprice ou coquetterie, peut-être, se refusait à lui, soutenait cet espoir, renforçait son désir et l'induisait à ne pas abandonner son rêve. Il ne se laissa pas décourager. Quelles qu'en fussent les suites il serait toujours certain d'avoir, en l'épousant, la perle de l'Italie et de posséder la plus belle femme de son temps.

Il le fallait donc ! On la mariait sans lui laisser le temps de chercher à connaître l'amour dans le mariage. Elle céda. Indolente, elle permit qu'on la traînât au sacrifice en équipage et costume de gala.

La cérémonie nuptiale fut magnifique. On n'en prononça que des louanges, sauf qu'on eut beaucoup d'étonnement à n'y pas voir le marquis Oldoïni. Le père s'était abstenu de s'y rendre, comme si, trop instruit de certaines médisances, il n'eût pas eu la certitude assez complète qu'il mariait sa propre fille. Il n'avait pas quitté le Portugal.

Le comte installa sa jeune femme dans un château, près de Turin, dont il avait fait les frais, à grand luxe. Elle aurait eu lieu, certes, d'être heureuse et fière, lorsqu'elle franchit, pour la première fois, le seuil de ses appartements spacieux, décorés avec le goût le plus raffiné.

Le palais qu'elle allait habiter, on ne l'avait pas construit avec des matériaux imaginaires. C'était, à l'intérieur, l'intimité luxueuse des longs tapis d'Ispahan aux dessins brodés dans les jardins du rêve, des rideaux à la soie brillante et déliée, des tentures en damas de Gênes, des meubles exquis. Un lit digne d'une favorite était prêt à recevoir tant de jeune beauté. Des marbres florentins, des verreries de Venise transparentes et irisées, des modèles précieux de l'art oriental, et, de toutes parts, pour charmer sa vue, des gerbes de fleurs, montant légères au-dessus des vases élégants : elle avait, autour d'elle, les plus belles choses, et quelqu'un était là, pour lui répéter, vingt fois à la journée, qu'elle les embellissait encore. Il y avait eu des moments difficiles en la maison de son père. Maintenant, elle nageait dans une atmosphère d'opulence éphémère peut-être, mais vraiment créée pour elle.

Il lui restera de ce luxe nuptial, après bien des ans écoulés, après la séparation, après la mort accidentelle de son mari, il lui en restera tout particulièrement un lit d'or et de pourpre conservé jusqu'à la fin comme une amoureuse relique, en son palais inhabité de la Spezia. Quarante années plus tard, elle en reparlera dans ses lettres, mais en quelles circonstances moins radieuses ! Des hommes de justice la menaceront de vendre le cher objet — en compagnie de maints autres — et ce sera, pendant une de ces phases critiques où nous la verrons se débattre, aux jours assombris de son déclin[10].

Mais on n'était encore qu'en 1855.

Après les noces, il y eut des projets de voyages à remplir et des visites à rendre. On commença par s'acquitter de celles-ci, dans leur ordre : les volontaires, les courtoises et les obligatoires. Au nombre de ces dernières lui fallut-il compter une certaine visite, qu'elle aurait dû faire, depuis des semaines, à sa belle-mère : la comtesse Verasis-Castiglione et qu'elle se serait arrangée à ne pas faire, au moyen d'un subterfuge inventé en cours de route ? Une plaisante histoire fut contée là-dessus, dont une plume féminine française eut la primeur, qu'on accepta et répéta partout sans examen, et qui, par aventure, se trouvait être radicalement fausse, ayant été de tous points fabriquée. Hélas ! la mère du comte n'eut pas lieu de forcer sa belle-fille à lui venir rendre des devoirs ; car, elle était allée de vie à trépas, avant le second mariage de son fils. De sorte qu'il ne demeure rien d'entier, dans cette belle anecdote, ni les finesses du mari pour décider sa femme à le suivre, ni la muette obstination de Virginicchia à s'y soustraire, ni le piquant détail des fines chaussures jetées dans le fleuve, par la portière de la voiture, pendant la traversée du pont, ni la raison de ce geste indocile commis, disait-on, afin qu'on ne l'obligeât point à monter les marches d'un logis, où il ne lui plaisait pas d'entrer. Des imaginations pures, tout cela, et dont Mme de Castiglione se plaindra, quelque jour, fort amèrement[11].

De l'amertume, de l'aigreur, elle n'en éprouvait pas, alors : le voyage de noce savait commencé son itinéraire et du mieux qu'il pût s'ouvrir, sur le sol même de l'Italie.

Le comte de Castiglione n'y ménageait rien, — pas assez même, puisqu'il y compromit sa fortune, — afin d'en rendre les impressions aussi diverses, aussi séduisantes que possible à la froide déité, dont il menait les pas en triomphant époux. On fut dans les cités d'art et les villes de délices. D'une allure languissante et d'un air distrait, elle parcourait ces longues galeries, où palpitent d'une éternelle beauté les merveilles de la forme et de la couleur. A Venise, elle eut son palazzo sur le Grand-Canal, assez de temps pour en jouir, pas assez pour y craindre de la monotonie. Sous l'abri de toile, qui couvrait le pont du bateau, glissant sur le silence des eaux sans ondes et comme endormies, elle eut aussi son rêve de Venise, — quand c'était encore la vraie Venise. Aux heures du crépuscule où sonne, dans l'air léger, le tintement des cloches se renvoyant les unes aux autres, comme en un concert lointain, leurs notes heureuses, elle écoutait l'écho de sa pensée l'entretenant d'un rêve, qui ne finirait pas. Plus tard, dans l'arrière-saison, lorsque l'automne prodigue aux lacs italiens toutes ses magnificences, le comte de Castiglione n'oublia pas de la conduire autour de cette anse incomparable du lac Majeur[12], où se mirent Pallanza, Streza, les Borromées, en ces climats de langueur, où baignent dans un ravissement continuel les impressions les plus subtiles dès sens. La comtesse avait reçu de ses parents, en dot, une villa pas très grande, mais des mieux exposées, parmi l'échelonnement radieux des terrasses d'Isola Bella[13]. Verasis-Castiglione voulut gravir avec elle et l'ayant à son bras ces étages fleuris, disposés autour du lac par la main de la nature et la science des hommes avec un tel charme de volupté pittoresque.

Tout accoutumée qu'elle fût, de naissance, aux suavités du climat italien, elle se laissait captiver à la magie de ces paysages ; tel, le flot changeant des visiteurs accourant de tous les points du monde, afin d'en goûter l'ardente ou molle séduction. Courts sommeils de l'âme, qui ne la rendaient que plus séduisante et plus désirable aux yeux d'un époux trop occupé d'elle pour céder au charme des choses. A l'élan de sa passion elle répondait avec un air d'absence et de lassitude, qu'il ne voulait pas voir, parce qu'il l'aimait éperdument et du cœur et des sens. Il s'efforçait de lui créer, chaque jour, de nouveaux enchantements. A ces jeux de grand seigneur il se ruina plus qu'à demi. Le prix de ses joies était trop élevé. Mais ce gentilhomme ne se plaignait point d'avoir acheté, fût-ce de son dernier ducat, le contentement plus rare de posséder, promener, parer comme il aimait à le redire, la perle des beautés italiennes.

On revint à Turin, pour les réceptions d'hiver. Le comte avait sa place gardée dans la maison du roi. De plus, Victor-Emmanuel conservait une douce tendresse à la fille des Oldoïni, qu'il traitait comme une de ses enfants. On l'accueillit en reine. Le duc de Gênes venait de se marier ; la comtesse n'eut pas de peine à éclipser la belle-sœur du roi. Au Piémont, comme en sa ville natale, elle attirait à soi les hommages et l'admiration de tous. Les princesses royales la gracieusaient de leurs plus délicates attentions. Les dames de Turin s'étaient soumises à l'évidence de son éclatante supériorité. Enfin l'assentiment général des hommes l'avait mise hors de pair.

Malgré que les démonstrations des fêtes mondaines fussent bien réduites autour de Victor-Emmanuel, qu'il ne les favorisât qu'avec tiédeur et que ce roi galant homme aux moustaches de brigand, peu raffiné dans sa conversation, dissolu dans ses mœurs, excentrique en ses manières, ressemblât plutôt, selon le mot de sir Gréville[14], à quelque chef des Hérules ou des anciens Lombards qu'à un prince italien moderne ; malgré qu'il détestât l'étiquette au point de s'enfuir dans les montagnes, afin de s'y soustraire et qu'il préférât de beaucoup à ces frivolités les manœuvres du militarisme ou les fortes émotions de la chasse ; malgré que la cour de Turin offrît, en un mot, si peu de facilités à la révélation de son charme vainqueur, Mme de Castiglione y trouva des occasions encore fréquentes de justifier le bruit de sa rare perfection.

Toutefois, avec son intelligence très ouverte, très assimilatrice, elle tendait à conquérir des succès moins restreints, moins passagers. Des aspirations ardentes travaillaient l'âme italienne : si jeune qu'elle fût, elle en revendiquait sa part. De trop près voyait-elle Victor-Emmanuel et son ministre pour ignorer les hautes visées qu'ils poursuivaient, tous deux, d'un incessant effort. Elle avait la notion bien précise que d'organiser des bals ou des festicciole était le moindre de leurs soucis et que son cousin Camillo Cavour préparait un concert, dont la musique aurait de tout autres accords.

La Jeune-Italie faisait beaucoup parler d'elle, au dedans et au dehors. De généreux espoirs se levaient sous la plume de ses nouveaux apôtres. A leurs accents se réchauffaient les tirades refroidies de Gioberti, le prophète de l'Idée. L'agitateur Mazzini, sur le ton inspiré, prédisait qu'à des orages violents, nécessaires et prochains succéderait une ère féconde d'apaisement, de force reconquise et de liberté. Toutes les formes de la pensée en traduisaient l'impatient désir.

L'Italie n'était encore que l'ombre fractionnée d'une nation. On distinguait plusieurs États dans la péninsule vivant de leur vie propre et séparée : le royaume de Sardaigne, les duchés de Modène et de Parme, le grand-duché de Toscane, les États de l'Église et le royaume des Deux-Siciles ; mais on n'y voyait pas de vraie patrie italienne unie, compacte, puissante. La Lombardie et la Vénétie gémissaient sous le joug de la Maison d'Autriche. Le royaume de Sardaigne, composé de l'île de Sardaigne proprement dite, de l'ancienne république de Gênes, de Nice, de la Savoie, du Piémont n'était qu'une expression politique[15]. Cependant, toutes ces divisions d'un seul peuple, arbitrairement tronçonnées, n'aspiraient qu'à se rejoindre. Qu'une aide spontanée, énergique, s'annonçât de l'extérieur et le rêve, jamais abandonné, de l'unité italienne, enfin s'accomplirait.

C'est ce concours efficace et agissant qu'il importait d'obtenir. Alors, Cavour eut l'idée d'un ingénieux dérivatif pour accroître les chances de ses négociations secrètes. Il s'avisa de mettre au jeu une carte inattendue : la beauté de la femme servant, à la fois, d'attrait et de stimulant, la beauté d'une femme d'esprit pouvant plaider, à propos, dans l'intime, les arguments d'une grande cause, servant la politique de toutes les forces de l'amour inspiré par ses charmes, en un mot intervenant de toute sa personne auprès d'un monarque qu'on savait sensible et sensuel. Apparenté aux familles Oldoïni-Castiglione, il avait apprécié, chez la séduisante comtesse, une intelligence souple et dominatrice en même temps ; il entrevit qu'elle lui serait une auxiliaire excellente pour les succès de sa diplomatie. Il la chargea d'aller en France, de briller à la cour de Napoléon, de s'y établir avec adresse, de s'y maintenir avec persévérance et de pousser l'empereur aux résolutions décisives, qu'on espérait de lui. Tel serait son rôle, elle aurait à en choisir les moyens[16].

C'était le point délicat sur lequel ni le ministre ni le roi n'avaient jugé bon de consulter M. de Castiglione. Elle-même, avant de se décider au voyage en France, n'avait pas estimé qu'il fût besoin d'assujettir à cette démarche conjugale sa naturelle indépendance. Simplement elle s'était dit qu'elle emmènerait celui dont elle avait accepté le nom, à la légère, s'il lui plaisait de la suivre. Depuis quelque temps, d'ailleurs, les rapports entre les époux s'étaient bien refroidis. La comtesse traitait son mari avec une désespérante hauteur. Il l'accompagnerait encore, pendant un hiver à Paris et une saison à Londres ; puis, ce serait la fin. Des médisances à lui revenues, qui n'étaient pas toutes des calomnies, des soupçons, de sourdes querelles, achèveraient de rompre les liens d'une union mal assortie.

Des raisons qui n'étaient pas sans force, eussent été susceptibles de retenir à Turin l'élue de Cavour. De plus chers souvenirs ramenaient sa pensée vers la Ville des Fleurs. Pour les hasards d'une entreprise, aux déterminations trop incertaines, devrait-elle ne plus revoir de longtemps la noble et gracieuse cité, où s'étaient ouverts ses premiers regards, sous l'azur tendre du ciel, où la douceur de vivre a des moyens de se rendre si parfaite que les étrangers, en y renonçant, se demandent à eux-mêmes comment y ayant passé les jours d'hiver au soleil, les jours d'été dans les jardins, à l'ombre, et le regard caressé de tout ce qu'offrent de meilleur les harmonies de l'art et de la nature, comment ils ont pu quitter Florence ?

Mais ces hésitations n'avaient eu que la durée d'un rêve sentimental. Elle se sentait étrangement curieuse de voir et d'être vue. On avait annoncé son arrivée à Paris comme un événement. Des triomphes lui étaient promis, assurés, sur cette scène des Tuileries sans pareille entre les Cours européennes. Elle alla droit à son but avec une hardiesse et une confiance superbes.

 

 

 



[1] A la vérité, la marchezina Virginia n'était née à Florence que par hasard solo per caso, comme nous l'écrivait M. Ubaldo Mazzini, sa famille habitant alors la Spezia.

[2] C'est-à-dire des Napoléons habitant Florence, à cette époque.

[3] Un roi qui ne régna point. Il s'agit évidemment de Joseph Poniatowski, attaché à la cour du grand-duc de Toscane, qui l'avait nommé prince de Monte-Rotundo.

[4] La fatalité m'a fait naître, au moment où une étoile filante passait sur mon berceau. On le vend aux enchères, ce berceau maudit et, en même temps, feu mon village, où je ne suis d'ailleurs pas née (non en 1840, mais 1843), mais autre part, en secret, je ne sais où ni trop de qui. Mon acte de naissance n'a jamais été produit, pas même pour mon mariage. (Lettres privées, CCLXVII).

[5] Tout enfant on l'appelait, par diminutif Nicchia, et elle en garda le petit nom, sa vie entière.

[6] Dès mon enfance, je fus sans bonheur, en ce sombre palais prédestiné. (Comtesse de Castiglione, Lettres privées, XXXIV.)

[7] Correspondance privée inédite de la comtesse de Castiglione. Lettre CLXXX.

[8] Tous rivalisaient auprès de cette couleur chaude, difficile à supporter pour les teints jeunes, mais qui sied encore à mon vieux teint, qui réussit encore à passionner les fous et les sages de la maison. (Correspondance privée de la comtesse de Castiglione, XCI.)

[9] Francesco Verasis, conte di Castiglione di Castigliole d'Asti.

[10] Des gens de loi, des huissiers, devaient vendre, aujourd'hui, mes meubles de famille, mon berceau et jusqu'à mon lit nuptial d'or et de pourpre. (Correspondance de Mme de Castiglione, lettre CCXXII.)

[11] Méchamment aussi : Où a-t-elle vu, cette écrivaine, que je jetai mes souliers par la portière ? Elle mériterait que je dise d'elle ce que vous n'avez pas dit : qu'elle jetait son bonnet de nuit par-dessus les toits impériaux. Mais je ne veux pas en infliger la peine à l'impératrice éplorée, que je revois, chaque année, aux Tuileries. (Id., XXVII.)

[12] Que Dieu est bon, écrivait de sa villa Canero, où il se reposait dans la joie tranquille de n'être plus ministre, le chevalier Massimo d'Azeglio, que Dieu est bon d'avoir fait le lac Majeur !

[13] Nous en avons trouvé le détail dans une de ses plus intéressantes lettres relatives à ses propriétés italiennes.

[14] The Greville Memoirs, III, p. 308.

[15] Louis Teste.

[16] Réussissez, ma cousine, par les moyens qu'il vous plaira, mais réussissez. (Cavour, à Mme de Castiglione, Correspondance inédite, lettre de Mme de Castiglione, CCXL.)