NAPOLÉON ET LA PAIX

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Le Directoire et l'alliance prussienne. — Les héritiers du Grand Frédéric. La Cour de Frédéric-Guillaume II. — Un roi dépravé. — Les Rose-Croix. — Les causes de la paix de Bâle. — Hostilité constante de la Prusse à l'égard de la France. — Avènement de Frédéric-Guillaume III. — Les illusions des hommes politiques français et du Premier Consul. — Duroc en mission à Berlin. — Son succès personnel à la Cour. — Son insuccès politique. — Déception de Napoléon. — Les motifs de sa haine contre l'Angleterre. — L'insistance du Premier Consul près de la Cour de Berlin. — Le buste du Grand Frédéric. — Réunir de la Prusse vers la France après Marengo. — Les scrupules de Napoléon. — Réconciliation de la France et de la Russie. — L'enthousiasme de Paul Ier pour le triomphateur de la campagne d'Italie. — Remise des prisonniers russes. — Paul Ier et Napoléon coutre l'Angleterre. — L'expédition des Indes. — Flatteries intéressées de la Prusse envers le Premier Consul. — Les indemnités allemandes. — Générosité et prohibé du gouvernement consulaire. Efforts de Napoléon pour gagner l'esprit d'Alexandre Ier. — Sa confiance dans les souverains légitimes. — Alexandre Ier et l'Angleterre. — Causes du meurtre de Paul Ier. — L'entrevue de Memel. — L'idylle de la reine Louise et d'Alexandre. — Adhésion de la Russie à l'agrandissement de la Prusse. — Félicité de la reine de Prusse.

 

Avant comme après ses conquêtes, Napoléon eut toujours un profond désir de voir la paix rétablie en Europe. Dans ce but, il rechercha passionnément l'alliance prussienne, et, loin de vouloir faire la guerre à la Prusse, ainsi qu'il y fut un jour forcé par un défi en règle de Frédéric-Guillaume III, plus loin encore de vouloir anéantir ce royaume, il n'eut, durant de longues années, d'autre dessein que de le fortifier et de l'agrandir. Ses intentions à cet égard se sont manifestées aussitôt, pour ainsi dire, qu'il joua un rôle politique. A peine revenu de sa première campagne d'Italie, il disait à Sandoz-Rollin, qui résidait à Paris en qualité de chargé d'affaires du cabinet de Berlin : La France doit favoriser la Prusse dans les compensations qui lui seront attribuées au congrès de Rastatt ; c'est son alliée d'amitié et de nature[1].

Le langage du général Bonaparte était conforme à celui de tous les personnages qui avaient gouverné la France depuis l'époque (1795) où la Prusse, abandonnant la cause des grandes monarchies d'Europe, avait consenti à signer un traité de paix avec la République française. Grace à ce nouvel état de choses, la Prusse pouvait devenir, au centre de l'Allemagne, le pivot de la défense des frontières françaises. Sa position lui permettait, à volonté, de servir de tampon aux incursions du nord ou de se rabattre sur des armées venues du sud de l'empire germanique. Cette perspective, si favorable à leur pays, modifia les idées des hommes politiques français qui, dans la fougue des premières effervescences de 1792, n'avaient pas craint de briser tous rapports avec les souverains européens. C'est ainsi que les révolutionnaires, au fur et à mesure qu'ils passèrent au pouvoir, ne manquèrent pas une occasion de se déclarer partisans d'une alliance prussienne et de flatter les ambitions de la maison de Brandebourg.

Dans son rapport au Directoire, le 19 février 1796, Rewbell avait dit : ... Il est de notre intérêt d'établir le roi de Prusse chef de la ligue germanique et de lui procurer tous les avantages honorifiques qui peuvent flatter son ambition et le jeter sans retour dans l'universalité de nos projets... Un point important pour lui est l'espoir de la couronne impériale, qu'il faut lui faire envisager connue suspendue sur sa tête, s'il veut adopter les plans projetés[2]. Trois mois plus tard Carnot, président du Directoire, affirmait à l'ambassadeur prussien les intentions généreuses du gouvernement : Vous dirai-je que le Directoire est attaché au roi de Prusse, qu'il a à cœur d'agrandir sa puissance et de le mettre en état de résister aux deux cours colossales qui l'environnent — Russie et Autriche — ? Ce monarque ne saurait le mettre en doute, vous en êtes le témoin chaque jour... Cent fois et mille fois, et nous ne cesserons de le répéter, notre intérêt politique est d'entretenir la meilleure amitié avec la Prusse et de saisir toutes les occasions d'augmenter sa force et sa puissance[3]. En mars 1797, Rewbell et Carnot renouvellent leurs insistances pour que la Prusse coopère avec la République française à abattre et à réduire la puissance autrichienne[4], et l'ambassadeur berlinois confirme à son gouvernement les laies certaines du parti démocratique, qui l'emporte si souvent par la force du nombre dans les délibérations ; ce parti a le désir d'élever grandement la puissance de la Prusse[5]. — Jamais la République française ne souffrira qu'on attaque le roi de Prusse, dit à son tour Delacroix, ministre des Relations Extérieures ; elle volera à son secours sans engagement, sans traité et sans alliance[6]. De plus le Directoire décide, en séance, que Caillard, notre ministre à Berlin, sera chargé d'annoncer que si la Russie faisait mine de vouloir attaquer la Prusse, les armées de la République seraient à sa disposition. Il sera même autorisé à proposer le rétablissement du royaume de Pologne en faveur d'un prince de la maison de Brandebourg[7].

Ces paroles, tout engageantes qu'elles fussent, n'avaient pas beaucoup de chance d'être entendues à Berlin. Corrompus, livrés aux excès d'une licence effrénée et méconnaissant leurs devoirs envers l'État, les hommes politiques prussiens ménageaient tout le monde sans rien accorder à personne afin de ne pas être troublés dans la jouissance de leurs plaisirs. Comme s'ils s'en étaient donné la tâche, ils ruinaient méthodiquement le magnifique édifice de la puissance prussienne dont ils avaient hérité à la mort de Frédéric le Grand. ri peine avait-il fermé les yeux que le souverain de génie, le créateur d'une armée invincible et des institutions les mieux ordonnées de l'Europe, devint l'objet d'une réprobation générale en Prusse. Il y fut si déprécié qu'on le jugea couramment comme un homme fort ordinaire et presque au-dessous des autres[8]. La réaction qui s'attaquait à sa personne s'étendit à ses idées aussi bien qu'à ses actes, et particulièrement à ses préférences pour les philosophes et les littérateurs français. Avec la haine de tout ce qui était étranger, une sorte d'exclusivisme national s'implanta à Berlin, y constitua le genre distingué et fit naître la conception du type pur allemand.

Mais l'héritier du grand ami de Voltaire, Frédéric-Guillaume II, personnifiait mal le modèle d'idéale pureté qu'il rêvait d'imposer à son peuple. Et ce même prince, qui dès les premiers jours de son règne faisait dénigrer, pourchasser tout ce qui provenait de France, ce roi qui ordonnait, sous prétexte de mœurs douteuses, l'expulsion des comédiennes de Paris, résolvait dans son existence intime, avec l'indulgente complicité des autorités religieuses, le problème de la polygamie légale. Sous le toit royal et conjugal vivaient trois épouses légitimes, sans compter les concubines. L'une de celles-ci, la fameuse Mme Rietz, portait le surnom de maîtresse d'habitude, non pas seulement en raison de son inamovibilité fort ancienne, mais à cause de l'urgente nécessité où se trouvait la Cour d'employer des qualificatifs qui permissent de marquer les degrés et d'éviter la confusion entre les différentes amies du Roi.

Et cette femme Rietz, ancienne marchande de citrons, élevée à la dignité de comtesse de Lichtenau par la grâce de son royal amant, n'avait pas hésité, au déclin de sa beauté, à prendre la direction des amusements d'un roi fort variable dans ses amours, avide de plaisirs jusqu'à la fureur[9]. Elle conserva ainsi un grand empire sur Frédéric-Guillaume II et sur les affaires de Prusse. Dans les plus graves questions dont pouvait dépendre la paix ou la guerre, les diplomates étrangers en étaient réduits à lui offrir de l'argent afin qu'elle disposât le Roi en leur faveur. Le ministre de Hesse, fort au courant de ces pratiques, disait au chargé d'affaires de France : Je suis surpris que le gouvernement français n'ait pas cherché à gagner Mme de Lichtenau ; le Roi ne peut se passer d'elle, il en est entièrement gouverné ; un mot de sa part ferait plus que la volonté unanime du ministère. Quoique riche, elle est toujours avide... Vous pourriez lui offrir une somme de deux millions ou deux millions et demi... En disposant de cette femme, vous disposeriez de la Prusse[10].

Les Cours les plus sévères, celle d'Autriche par exemple, enseignaient aux ambassadeurs les égards qu'ils devaient à la maîtresse d'habitude. Dans un voyage qu'elle fit à Vienne, on lui rendit, de la part de l'Empereur, tous les honneurs possibles[11]. La Cour prussienne devait s'abaisser devant elle. La Reine, le prince Henry, le prince royal et toute la famille du Roi, dit un rapport diplomatique, ont reçu l'ordre d'assister à une fête donnée par cette ancienne maîtresse du Roi[12].

En sortant de son boudoir, tous les brigueurs, tous les quémandeurs du royaume, sans prendre le temps de redresser leur échine, couraient s'incliner devant son mari, Rietz, fils d'un jardinier de Potsdam et qui portait le titre, assez bien approprié, de premier valet de chambre du Roi. L'office délicat qu'il remplissait avec autant de zèle que d'abnégation le faisait bénéficier d'un crédit considérable près de son auguste maître. Aussi vit-on les mieux titrés de cette fière noblesse allemande rechercher l'honneur de s'asseoir à la table du mari complaisant[13].

Le sens moral était perverti à ce point qu'un marché honteux mit d'accord toutes les consciences quand le Roi voulut épouser une autre de ses maîtresses, Mlle de Voss. Les ministres de la religion apaisèrent leurs scrupules en exigeant le consentement de la Reine. Celle-ci, voyant qu'elle ne pourrait empêcher un mariage qu'une passion furieuse rendait inévitable, tira profit de son humiliation : On aura mon consentement, dit-elle, mais on ne l'aura pas pour rien et même il contera très cher. En effet on paya ses dettes, qui passaient cent mille écus[14] ; et c'est ainsi que cette princesse se consola du triomphe public de ses rivales : Mlle de Voss, la comtesse Dœhnof, épousée plus tard également, la Rietz et les héroïnes des caprices momentanés.

Une des premières places dans l'histoire des princes dégénérés revient à Frédéric-Guillaume II, qui joignait à ses vices tous les défauts qu'on peut reprocher à un souverain. Quand la Prusse, État militaire, demandait à être régie par un homme d'action, le Roi, sans volonté, sans direction de gouvernement, laissait chacun se mêler de tout, selon ses goûts et son intérêt : les officiers s'immisçaient aux affaires de l'Église, les théologiens à la politique, les diplomates conseillaient les généraux et les généraux donnaient leur avis sur les relations extérieures. Comment le monarque, incapable de se conduire lui-même, aurait-il guidé et maintenu respectivement les autres dans leurs attributions[15] ? La politique, les devoirs de sa charge manquaient d'attraits pour lui. Paresseux naturellement, il se gardait de toute fatigue cérébrale. Nulle force humaine, dit un contemporain, n'aurait pu le contraindre à lire quarante lignes de suite[16]. Ses seules et rares aspirations intellectuelles le poussaient vers la superstition et la thaumaturgie. Membre fervent de la société des Rose-Croix, dont le but était de fondre la croyance au merveilleux avec la foi religieuse, il choisissait ses ministres parmi les illuminés et les visionnaires de la nouvelle secte. Aux plus belles séances de cet aréopage d'hommes d'État, on évoquait l'ombre de Jules César, dont le profil était dessiné sur le mur par la main du Roi, qui se figurait agir sous l'impulsion d'un fluide mystérieux[17].

A. quelle politique pouvait obéir ce prince mystique et dépravé dont le faible caractère semblait fait pour changer facilement de direction ? Lorsqu'il se détacha de l'Europe coalisée, cc ne fut certes point par entraînement de sympathie pour la France, aux sollicitations de laquelle il paraissait céder. Las de la vie des camps, qui le tenait éloigné de ses plaisirs ordinaires et dont la monotonie fatigante lui devenait insupportable, il avait subi les influences extérieures qui, à ses yeux, le justifiaient d'avoir trahi ses engagements vis-à-vis des souverains. D'une part il sentait son royaume inquiété du côté de la Pologne, oh les Russes se signalaient par de grands progrès, et d'autre part les subsides que lui fournissait l'Angleterre se faisaient de plus en plus rares. Tant que les envois de numéraire étaient arrivés régulièrement de Londres, il était resté attaché au principe de la guerre à outrance[18] ; mais dès qu'ils se firent attendre, il revint à ses goûts de jouissance et d'inertie. En octobre 1793, il avait déjà menacé de lever le siège de Mayence ; l'Angleterre effrayée avait délivré la somme réclamée et signé le traité de la Haye (19 avril 1794)[19]. Plus tard des tiraillements s'étaient produits encore et des discussions, provoquées par le manque d'argent, n'avaient cessé d'éclater entre les généraux prussiens et les délégués anglais[20]. Cette disette pécuniaire ne pouvait convenir à un roi criblé de dettes et qui, ne connaissant pas de frein à ses goûts dispendieux, avait dissipé en quelques années le trésor de réserve prudemment amassé par le Grand Frédéric. Ses exigences ne reçurent pas satisfaction, malgré l'opinion accréditée en Europe que l'Angleterre avancerait les millions que Sa Majesté prussienne demandait pour continuer la guerre[21].

Ce fut après plusieurs réclamations de fonds anglais restées infructueuses qu'il en vint aux négociations avec les Français. Afin de ne pas se compromettre, il fit déléguer un modeste habitant de Creuznach près de Bacher[22], secrétaire de Barthélemy, qui tenait à Bâle une sorte de bureau international de diplomatie française. Sur ces démarches préliminaires, le Roi fit passer le Rhin par ses troupes, le 23 octobre 1794, et, le 5 avril 1795, signa le traité de paix. Cette défection lui valut les huées de l'Europe entière. Le langage des chancelleries prit des formes inusitées pour qualifier sa conduite : Le roi de Prusse est une méchante bête et un grand cochon, s'écriait un diplomate[23].

Alors on dit pu croire que, toutes choses étant réglées par l'acte de Bâle, la France et la Prusse allaient vivre en une sorte d'amitié. Il en fut bien autrement. Dès les premiers jours de janvier 1796, notre chargé d'affaires à Berlin signalait que le Roi était en grande liaison avec les ministres d'Angleterre, de Russie, d'Autriche et toutes les personnes connues pour leur hostilité envers la France[24]. L'année suivante, le même diplomate disait encore : Pour peu que la Russie paraisse se radoucir envers la Prusse, je m'attends à voir la cour de Berlin s'occuper par-dessus tout du soin de renouveler son alliance avec la Russie, quelles que puissent être les dispositions de Paul Ier à notre égard. Et ces dispositions n'étaient rien moins qu'amicales alors, Au reste, en pactisant avec les ennemis de la France, la Prusse ne faisait que rentrer dans sa tradition, car depuis la Révolution elle avait rarement laissé passer une occasion de contrarier les vues du gouvernement français. Déjà sous Louis XII, Frédéric-Guillaume II prescrivait à son ambassadeur à Paris de se mettre en rapport avec les meneurs de l'Assemblée de 1789, et plus tard il subventionnait les terroristes par l'entremise d'Ephraïm, espèce de courtier louche qu'il entretenait à Paris[25]. Enfin, sous le Directoire, il encourageait les menées des émigrés, de sorte que la Cour de Berlin devint un des centres les plus actifs d'opposition à la République française[26].

Ce fut donc une véritable illusion de la part des hommes politiques français que d'espérer une alliance avec la Prusse tant que régna Frédéric-Guillaume II. La mort de ce prince ne modifia pas sensiblement l'état de choses, et le Directoire, qui n'abandonna jamais cette idée d'alliance prussienne, se heurta constamment, de l'autre côté du Rhin, à la même indifférence.

Dès son avènement, en novembre 1797, le nouveau roi, Frédéric-Guillaume III, de mœurs austères et pures, se prononça énergiquement contre les licences de la Cour. L'un de ses premiers actes ordonna d'arrêter la comtesse de Lichtenau et de la dépouiller de sa fortune scandaleuse[27]. Mais, si les mœurs furent révisées de fond en comble, les sentiments antifrançais demeurèrent à la mode. Le changement de règne venait à peine de s'opérer qu'un diplomate russe écrivait à son gouvernement : L'horreur qu'inspirent au roi actuel les principes suivis par les républicains français ne lui permettra jamais de prêter l'oreille à leurs propositions et de favoriser leurs projets[28].

Six mois après son accession au trône, Frédéric-Guillaume III donnait la mesure de sa répugnance pour le gouvernement de Paris. Il s'opposait à ce que Sieyès, accrédité par le Directoire, — par les cinq sires, ainsi qu'on disait alors sur les bords de la Sprée, — vint à Berlin avec le titre d'ambassadeur. Et non seulement le représentant de la France dut se contenter du titre d'envoyé extraordinaire[29], mais, durant son séjour dans la capitale prussienne, il se vit tenir à l'écart, au point que le monde officiel refusait de lui faire des visites[30], tandis que les agents de la coalition contre la France, M. Grenville pour l'Angleterre, le comte Panifie ou M. de Krüdner pour la Russie, étaient l'objet des plus affables égards.

Qu'ils connussent on non l'hostilité de Frédéric-Guillaume III, les politiciens français n'en continuèrent pas moins — et avec un infatigable empressement — à renouveler les propositions qu'ils avaient faites au père du nouveau roi pour l'agrandissement de la Prusse et la solide union entre les deux pays. Le 28 mars 1798, Sandoz-Rollin mandait au gouvernement de Berlin : Le sieur Talleyrand et le général Bonaparte m'ont dit que rien n'assurerait mieux le repos de l'Allemagne et n'affermirait la paix du monde qu'une alliance entre Votre Majesté et la République française[31]. D'autre part, le 10 mai 1798, Caillant, ambassadeur de France à Berlin, formulait au cabinet du Roi la demande d'une alliance positive : En ce moment décisif pour la paix ou la guerre, si la Prusse prend enfin son essor, si elle choisit justement cet instant pour former son alliance avec la République, il est évident que la guerre devient impossible... L'alliance avec la République, réalisée dans le moment actuel, est un moyeu infaillible d'empêcher absolument le renouvellement de la guerre. Notre proposition n'a donc pour but que la paix, rien autre que la paix[32]. Sieyès, avant son départ de Paris, avait dit : De tout temps je n'ai vu qu'une liaison et une alliance naturelle pour la France : c'est celle avec le roi de Prusse. Je vois de même aujourd'hui et je serais très flatté si je parvenais à l'établir et à la cimenter[33] ; et Rewbell, membre du Directoire, désireux de prouver que ce n'est pas uniquement un sentiment personnel que Sieyès a exprimé, dit à Sandoz-Rollin : L'abbé Sieyès a été chargé de répéter formellement combien l'attachement du Directoire pour la Prusse est franc, loyal et sincère, et il ne tiendra qu'à elle d'en ressentir les effets[34] ; enfin Barras déclarait le 14 juin au même diplomate : Si la Prusse ne veut pas la guerre, ainsi qu'elle nous en a donné l'assurance à différentes reprises, elle devrait intervenir pour conjurer l'orage prêt à bouleverser l'Europe ; le Directoire ne sera pas éloigné de faire quelques concessions. — Le sieur Treilhard, ajoute Sandoz-Rollin, a tenu le même langage[35]. Malgré l'accueil réservé que leurs ouvertures rencontrent à Berlin, tous persistent à exprimer leur sollicitude pour la Prusse. En janvier 1799, c'est Larévellière-Lépeaux qui dit à l'envoyé prussien : Votre nation voudrait-elle toujours laisser à la maison d'Autriche le rang de première puissance et la dignité impériale ? Ne serait-il pas bientôt temps que le roi de Prusse s'occupa de donner un plus vaste essor à sa puissance et de terminer ce que son aïeul a commencé si glorieusement ?[36] Du reste la correspondance de l'ambassadeur prussien, Sandoz-Rollin, enregistre journellement les témoignages de bienveillance manifestés à l'égard de la Prusse par des personnages jouissant à Paris d'influence et de considération.

Napoléon, revenu d'Égypte, ne trouva donc rien de changé dans la politique extérieure de la France vis-à-vis de la Prusse. Il s'empressa de reprendre sa place parmi les zélateurs de l'alliance prussienne. Quinze jours environ avant le 18 Brumaire, il louait devant Sandoz-Rollin les qualités de Frédéric-Guillaume III : Rien n'atteste milieux la vérité des grands  éloges que l'on donne an roi de Prusse que sa conduite politique dans celte guerre. Il conserve sa puissance, tandis que d'autres la perdent ; il sait rendre ses peuples heureux et il servira de ralliement, au besoin, pour le retour de l'ordre et de la paix. Quelques jours plus lard, Bonaparte n'hésitera pas, devant le même interlocuteur, à qualifier Frédéric-Guillaume III de digne successeur de Frédéric le Grand[37], compliment dont l'exagération fait suspecter la sincérité, car pouvait-il songer sérieusement à mettre en parallèle le chef d'État incomparable, organisateur à la main de fer, audacieux capitaine, politique résolu, qu'avait été Frédéric II, et le prince lymphatique, débonnaire, timide, qui régnait actuellement en Prusse ?

Mais, s'étant assigné la tache de réussir quand même, Napoléon, voulant faire plus et mieux que ses devanciers, ne dédaigna pas les procédés classiques, hommages publics, flatteries indirectes, par lesquels on obtient la faveur des souverains. Et l'un de ses tout premiers actes, dès qu'il eut en main le gouvernement, fut l'envoi de la lettre suivante à Frédéric-Guillaume III : Grand et cher ami, une de nos premières démarches, en prenant les rênes du gouvernement français, est de faire connaitre à Votre Majesté l'intention où nous sommes d'exécuter religieusement les traités existants.

Nous ne doutons pas que vous fassiez de votre côté ce qui dépendra de Mous pour resserrer de plus en plus les liens qui unissent les deux États. Nous en avons pour garant le caractère de loyauté qui distingue les actions de Votre Majesté.

Elle a devant elle une grande carrière et un long règne à parcourir. Elle trouvera, dans toutes les circonstances et spécialement lors de la paix générale, dans les Consuls de la République, des sentiments d'amitié qui seront d'autant plus efficaces que Votre Majesté continuera à se déclarer franchement de sou côté l'amie de notre République.

Nous formons des vœux sincères pour la prospérité et la gloire de Cotre Majesté. — Les Consuls de la République : BONAPARTE, SIEYÈS, ROGER-DUCOS[38].

Cette déclaration n'était pas simplement l'acte de courtoisie ordinaire par lequel on informe une puissance étrangère d'un changement de gouvernement ; elle tendait à obtenir ce qui avait été si souvent réclamé : une promesse franche et publique d'amitié envers la République française. Cette promesse, dans l'esprit des Consuls et particulièrement de Bonaparte, devait avoir pour résultat d'assurer la paix de l'Europe. Pour atteindre ce but, rien n'est ménagé ; ou proclame d'abord le respect des traités, puis on évoque la grande carrière qui s'ouvre devant le Roi.

Les traités, cela veut dire les articles secrets du traité de Hale, par lesquels la France, le jour de la pacification générale, assurait à la Prusse un agrandissement important en dédommagement des provinces rhénanes cédées. La grande carrière, n'est-elle pas une allusion nouvelle à l'offre de la couronne impériale formulée déjà en 1796 par le Directoire ? Telle était si bien la pensée du gouvernement consulaire, qu'on la trouvera explicitement répétée, à la fin de 1803, en ces termes : Par un article secret au traité d'alliance, les deux parties devront désormais exercer leur influence pour diriger les esprits des Électeurs, afin qu'à la vacance du trône impérial que l'état valétudinaire de l'empereur François pourrait rendre prochaine, cette couronne allai se placer sur la tête du roi de Prusse[39].

Désireux de montrer que la lettre des Consuls exprimait bien ses propres sentiments et qu'il était personnellement partisan de l'alliance franco-prussienne, Napoléon — affirmant déjà sa prépondérance sur ses collègues — chargea sou premier aide de camp, le colonel Duroc, de porter la missive consulaire et de la remettre aux mains du Roi.

C'était une heureuse idée. Rien ne pouvait mieux plaire à la Cour de Berlin, que de voir la France revenir en quelque sorte aux usages monarchiques. Fu souverain, eu effet, eût de même notifié son avènement par l'envoi d'un dignitaire de son entourage immédiat.

Le choix du jeune colonel figé de vingt-sept ans seulement n'était pas moins heureux. Élève de l'École militaire de Pont-à-Mousson, Duroc fut officier en 1793. Ses capacités dans l'arme de l'artillerie l'avaient fait remarquer au siège de Toulon par Bonaparte, qui, bientôt après, l'attacha à son état-major[40]. Au passage de l'Izonzo, en Frioul, il accomplit une action d'éclat que, dix ans plus tard, l'Empereur immortalisa par le titre de duc de Frioul, décerné au fidèle serviteur qui était resté son aide de camp. Au cours de la campagne d'Égypte, les échos d'Europe avaient retenti de sa bravoure. On savait qu'il était entré le premier dans Jaffa et qu'il avait été grièvement blessé à Saint-Jean-d'Acre. Ce qui le rendait plus intéressant encore, c'est qu'il était revenu presque seul des aides de camp du général eu chef, quatre ayant été tués.

Intrépide jusqu'à la témérité devant les périls de la guerre, mais doué dans la vie privée d'une grande douceur de caractère, mesuré dans ses paroles et dans ses actes, dissimulant sous une modestie pleine de dignité ses mérites et ses talents, Duroc se présentait à merveille pour relever aux yeux des étrangers la réputation des soldats de la République, considérés comme un ramassis d'aventuriers grossiers et insociables. Brillant capitaine et messager courtois, il devait faire honneur à celui qu'il représentait auprès d'une Cour aristocratique où figuraient encore les glorieux compagnons de Frédéric II. Aussi fut-ce avec une sympathique surprise que l'on vit, dit un ministre prussien, débarquer cet officier possédant réellement un ton poli et des formes aimables, choses très rares alors chez ceux qui étaient chargés des relations diplomatiques de la France[41].

Arrivé à Berlin le 28 novembre 1799, Duroc, impatient d'accomplir sa mission, se rendit dès le lendemain chez M. de Haugwitz, mais il fut assez interloqué quand aux premiers mots ce ministre des Affaires Étrangères lui témoigna son étonnement de n'avoir pas reçu, selon les lois du protocole, communication préalable de la lettre que l'envoyé des Consuls devait remettre à Sa Majesté. Peu familier avec les formalités des chancelleries, il ne sut que répondre et courut en référer à M. Otto, notre chargé d'affaires.

M. Otto était un homme de carrière, et de carrière ininterrompue depuis plus de vingt années. Entré dans les légations en 1777, il avait, comme bon nombre des fonctionnaires du département des Relations Extérieures, continué son service sous la Révolution[42]. Le Comité de Salut public l'avait rappelé d'Amérique pour le placer à la tête de la première division politique du ministère ; et, par un singulier hasard, ce diplomate de la Royauté, de la Révolution, du Comité de Salut public, du Directoire, du Consulat et de l'Empire, était destiné à jouer un rôle dans les premiers et dans les derniers rapports de Napoléon avec les puissances européennes. A Berlin, où il était demeuré après y avoir été le collaborateur de Sieyès, il prêta l'autorité de son expérience à l'aide de camp du général Bonaparte ; sous le régime impérial, il remplit divers postes importants, négocia fort habilement Je mariage avec Marie-Louise, et enfin fut chargé, en 1815, de la démarche suprême faite en faveur de l'Empereur auprès des autorités anglaises, an moment de l'embarquement pour Sainte-Hélène.

Otto rassura Duroc et s'occupa d'apaiser la susceptibilité de Haugwitz, à qui il exposa que la secrétairerie du nouveau Consulat n'avait sans doute pas encore eu le temps d'étudier les principes de la bienséance requise par l'étiquette monarchique[43]. Le ministre prussien daigna passer outre en annonçant à Sa Majesté la présence, à Berlin, de l'Envoyé extraordinaire des Consuls.

Duroc dut attendre cinq jours le bon vouloir royal. Il en ressentit quelque dépit et, pour masquer le peu d'empressement qu'on mettait à le recevoir, il écrivit au Premier Consul, dont il savait l'amour-propre toujours en éveil, qu'il avait été reçu par le Roi le surlendemain de son arrivée. Admis à une audience particulière, le 3 décembre[44], il fut présenté sans plus de cérémonial par l'aide de camp de service. J'ai remis, dit-il, la lettre des Consuls ; le Roi m'a reçu et répondu avec beaucoup d'honnêteté.

Il produisit une impression des plus favorables sur Frédéric-Guillaume III, qui l'invita à dîner avec la Reine, plusieurs généraux et les ministres. Les deux souverains m'ont beaucoup questionné sur l'Égypte, écrit-il à Bonaparte ; tout le monde ici est enthousiasmé de cette expédition ; chacun voudrait l'avoir faite et en demande des détails avec intérêt. Pendant le dîner on posa les questions les plus singulières à cet homme qui venait de si loin. Avez-vous vu beaucoup de crocodiles ? interrogea la Reine[45]. Déconcerté d'abord devant cette demande imprévue, sortie d'une bouche auguste, quelque humilié qu'il se trouvât de laisser paraître par un détail topique qu'il n'était peut-être pas le grand héros que l'on supposait, Duroc avoua bonnement qu'il n'avait jamais aperçu un seul de ces amphibies. Alors, devant un sourire approbatif de la Reine, les convives, en bons courtisans, rivalisèrent d'exubérance dans leurs témoignages d'admiration. Ce fut un concert bruant d'exclamations élogieuses à l'adresse de ce prestigieux officier qui pouvait facilement s'attribuer les aventures lointaines les plus extraordinaires et se contentait, avec une simple franchise, d'affirmer la réalité des faits. Dès lors militaires et civils se disputèrent l'honneur d'approcher le jeune colonel si distingué, si réservé, le compagnon inséparable des gloires du général Bonaparte, fameux déjà dans toute l'Europe. Les dames elles-mêmes s'empressaient pour lui parler. Aucune d'elles n'étant connue de lui, elles se présentaient l'une l'autre, toutes fières d'échanger quelques paroles avec le premier aide de camp du célèbre héros Bonaparte. L'ambassadeur autrichien, qui rapporte ces détails, dit aussi que Duroc, désireux de ne pas afficher des sentiments trop démocratiques, refusa d'assister au banquet que se proposaient de lui offrir un groupe de commerçants et de journalistes[46]. Cette circonspection d'un officier républicain plut infiniment à la Cour et accrut l'estime qu'il avait su gagner.

Pendant ce temps les journaux français, qui n'imprimaient presque rien sans l'approbation du gouvernement, se plaisaient à raconter, en l'exagérant, le chaleureux accueil fait par la Cour berlinoise à l'envoyé de la République française. La Prusse était à la mode. Le mot d'ordre de la garnison parisienne fut, un jour, Frédéric II et Dugommier. — La réunion de ces deux noms, dit le Journal de Paris[47], donne la note juste de nos liaisons avec la Prusse ; depuis le 18 Brumaire, les liens d'une étroite amitié se resserrent de plus en plus.

Duroc avait pour mission, s'il ne pouvait obtenir une alliance ferme, de décider la Prusse à opérer une médiation énergique en faveur de la pacification générale. Mais, pas plus qu'auparavant, le terrain sur lequel il se trouvait n'était propice aux combinaisons gouvernement français. Certes, depuis 1789, aucun représentant de la France n'avait été reçu avec autant de considération que Duroc ; toutefois cet effort de politesse doit être attribué à la curiosité des uns, à la fraternité professionnelle des autres, et nullement à la sympathie réciproque de deux nations préoccupées d'intérêts communs. A part de très rares exceptions, parmi lesquelles se rangeaient le prince Henri dont l'influence était plutôt négative, il n'existait chez personne, dans les sphères gouvernementales de Berlin, la moindre bienveillance pour la France. On y entretenait, avec une hypocrisie constante, une haine virulente.

Un document nous a conservé la note des sentiments que tout près du Roi on portait à la France, un an à peine avant l'arrivée de l'aide de camp de Bonaparte. Pressé par les puissances de se joindre à la deuxième coalition, un moment triomphante, Frédéric-Guillaume III avait demandé à ses conseillers de lui donner leurs opinions par écrit ; voici celle de son secrétaire intime : Une haine mortelle est certainement tout ce qu'on doit aux Français, et si, en prenant les armes, on pouvait calculer leur ruine, on ne pourrait trop tôt y recourir... De toutes ces considérations il ne surnage qu'une vérité bien claire : horreur du nom français et besoin de l'écraser tôt ou tard[48]. Si Frédéric-Guillaume ne suivit pas les conseils belliqueux et impatients de son plus proche entourage, c'est uniquement parce qu'il trouva plus sage, on pourrait dire moins fatigant, moins périlleux, de garder la neutralité avec l'espoir de se faire adjuger quelque bon morceau au moment du partage des dépouilles du vaincu.

L'état des esprits n'avait pas varié quand Duroc vint séjourner dans la capitale prussienne. Il s'y trompa sur place, comme tout le monde se trompait à Paris depuis cinq ans. A peine aperçut-il une certaine hostilité dans la haute noblesse[49]. Il rentra à Paris, grisé des marques de cordialité qu'il avait reçues, satisfait de la famille royale, des ministres, de tout le monde. Il était porteur de la réponse du Roi à la lettre des Consuls. Cette réponse ne contenait que les félicitations banales et les civilités onctueuses qui sont le canevas des épîtres royales. On y lisait entre autres cette phrase : Mes vœux sincères pour le bonheur de la France ont été manifestés à chaque occasion qui s'en est offerte[50].

Bonaparte ne se dissimula point que la lettre du Roi était un échec pour la politique personnelle qu'il voulait inaugurer. Il n'avait, en fin de compte, rien obtenu de plus que les belles assurances toujours platoniques, toujours les mêmes, que la Prusse ne se lassait de donner depuis cinq ans. Il n'en continua pas moins tous ses efforts pour transformer en amitié réelle une neutralité qu'on pouvait croire sympathique. Il pensait, comme ses devanciers, qu'à l'aide de l'alliance prussienne l'Angleterre serait facilement amenée à faire la paix, car celte alliance permettrait : 1° de contrebalancer la puissance de l'Autriche, salariée ouvertement par l'Angleterre ; 2° d'avoir la possibilité d'occuper ou de faire occuper le Hanovre, seul point vulnérable de l'Angleterre sur le continent ; 3° de fermer les ports du nord au pavillon anglais.

Aucune de ces idées n'est de l'invention de Bonaparte. Au Comité de Salut public, à la Convention, depuis le député Kersaint jusqu'à Brissot, Danton, Barrère, d'autres et les membres du Directoire, tons ont réclamé avec énergie la descente en Angleterre, la prise du Hanovre, déjà indiquée sous Louis XV par M. d'Argenson ; tous aussi avaient proclamé le blocus continental comme suprême moyen de forcer l'Angleterre à rendre la paix à l'Europe[51]. Contraindre l'Angleterre à cesser le commerce de subsides qu'elle exerçait depuis huit ans, faisant des marchés, tant par homme, tant par cheval, pour armer l'Europe contre la France ; réduire le cabinet de Londres à signer une paix honorable, ne voir que le but, ne pas s'arrêter une minute pour l'atteindre, mépriser les obstacles sur la route qu'il n'avait pas choisie et qu'il se croyait forcé de suivre, ce fut l'obsession de Napoléon, peut-être sa folie ; mais n'était-ce pas une noble folie que de se refuser à laisser la France tomber au rang de puissance secondaire, que de ne pas se reconnaître le droit d'abandonner les frontières arrosées du sang de milliers d'enfants de France ? Par fidélité à ce programme, devenu pour lui immuable et sacré, Napoléon aura, durant de longues années, les yeux fixés sur la Prusse, et, quand il ne pourra trouver en elle l'alliée effective, il voudra toujours douter de son hostilité plus ou moins habilement dissimulée, mais pourtant réelle ; il suppliera le Cabinet de Berlin de prendre l'initiative d'une médiation des Cours du nord en faveur de la paix.

L'Autriche, ayant reconstitué ses forces pendant l'hiver 1799, se préparait à reprendre les armes ; la guerre était imminente. Avant de se mettre à la tête des troupes et de les conduire sur le chemin glorieux qu'il allait tracer d'une extrémité à l'antre de l'Europe, le Premier Consul fit un nouvel appel à l'intervention de la Prusse. Quel parti, mande-t-il à Talleyrand, le 21 janvier 1800, quel parti serait-il possible de tirer de la Prusse pour accélérer la paix générale continentale ou partielle, avec quelqu'une des puissances belligérantes ? Quelle espèce de notification pourrait-on lui faire pour l'engager de plus en plus en notre faveur ?[52] Cette note tendait à obtenir de la Prusse, l'ante de mieux, qu'elle voulût bien s'employer à la réconciliation de la Russie et de la France, qui, depuis le règne de Catherine II, avaient vécu en une sorte d'état de guerre permanent. Des communications à cet égard avaient déjà été faites par Talleyrand à la fin de l'année précédente, mais n'avaient été accueillies à Berlin que par de vagues réponses. Au lieu d'intervenir près de l'empereur Paul Ier, on se bornait à transmettre froidement à M. de Krüdner, l'ambassadeur russe, les désirs du Premier Consul, auquel on demandait en même temps de spécifier tout d'un coup quelles seraient les prétentions que la France apporterait au moment de conclure la paix. Napoléon ne pouvait se conformer à celte exigence sous peine de commettre une maladresse ; car, ce qu'il voulait, c'était que les puissances se réunissent, non pour statuer sur un ultimatum émanant de lui, mais pour examiner de concert les justes demandes des uns et réduire les revendications excessives des autres. C'est à maintes reprises que Talleyrand dit à Sandoz-Rollin, l'ambassadeur prussien : Nous n'avons point d'ambition politique, et ce mot dit beaucoup pour votre Cour, qui saura l'entendre. Tout cc qui a fait des difficultés à Rastatt n'en fera plus aujourd'hui. Et, quand son interlocuteur insiste pour obtenir une déclaration précise sur tel ou tel point de la ligne du Rhin, Talleyrand réplique : Affirmer comme nous le faisons que nous n'avons point d'ambition, c'est disposer les puissances belligérantes à traiter[53].

Quelques jours plus tard, le Premier Consul lui-même dit à l'ambassadeur prussien : ... Le roi de Prusse voudrait-il opérer une réconciliation utile entre la France et la Russie ? Je m'engagerais alors à ne faire la paix avec l'Autriche que sous les conditions qui seront jugées les plus convenables au maintien de l'équilibre général... En Allemagne, je tiens à la ligne du Rhin dans le sens déterminé par le traité de Campo-Formio, mettant de côté tout ce qui a été dérogé par l'ancien Directoire... Je laisserai encore au roi de Prusse le choix de rentrer, à la paix, en possession de ses provinces transrhénanes, s'il préférait de les conserver à les échanger...[54]

Pensant probablement amener plus de bon vouloir de la part de Frédéric-Guillaume III eu se montrant personnellement aimable, Napoléon, au cours de ces pourparlers, chargea le général Beurnonville, notre ambassadeur, de demander au Roi un buste du Grand Frédéric pour les galeries du Louvre. Cette requête, flatteuse pour l'amour-propre prussien, ne revit pas l'accueil enthousiaste qu'en attendait Napoléon : Je suis on ne peut plus sensible, répondit le Roi, à cette preuve particulière de l'estime du Premier Consul pour le Grand Frédéric. Je vous prie de lui en témoigner toute ma gratitude. J'ai le regret de n'avoir ni buste, ni statue de Frédéric II, mais je me ferai un plaisir de vous faciliter les moyens de vous en procurer. — Vous savez, ajoute Beurnonville dans sa dépêche, qu'on est essentiellement économe dans cette Cour... Je crois donc devoir m'attendre à acheter ce buste, lorsqu'on l'aura trouvé[55].

On finit par aller chercher ce buste à Berlin même. Un ordre de l'Empereur, du 5 novembre 1806, porte : Le général Sanson est autorisé à faire enlever le buste en marbre de Frédéric II, qui est dans la salle de mes aides de camp, pour être transporté à Paris, au Dépôt général de la Guerre. Le général Sanson fera mettre une inscription qui rappellera l'époque où ce buste a été pris et donné en dépôt par l'Empereur.

En 1814, les Prussiens pénétrèrent au ministère de la Guerre à Paris, avec ordre de reprendre le portrait en marbre du Grand Frédéric. Leurs recherches furent vaines, attendu qu'à l'approche de l'invasion on l'avait enterré dans les caves du Dépôt. Les officiers prussiens se consolèrent en faisant main basse sur des collections de cartes géographiques et d'albums d'uniformes anciens très précieux[56].

Plus on insistait de Paris afin d'obtenir vis-à-vis de la Russie les bons offices de la Prusse, plus celle-ci s'obstinait à vouloir connaitre les bases sur lesquelles la France désirait fonder la paix générale. Au dire du Cabinet, c'était chose essentielle, exigée en quelque sorte par la Russie. Or la chancellerie russe ne se souciait nullement alors des prétentions françaises. On était là-dessus parfaitement renseigné à Berlin ; ou y avait appris depuis longtemps par n. de Krüdner, que Paul Ier ne voulait absolument entendre aucune proposition de celui qu'il appelait l'usurpateur corse[57]. (30 janvier 1800.)

Sans attribuer a la Prusse une mauvaise volonté décidée, Napoléon fut bien obligé de s'avouer qu'elle n'était pas pressée de contribuer à la conclusion de la paix générale. Si telle n'eût pas été l'intention secrète du Cabinet de Berlin, pourquoi n'aurait-il pas provoqué cette réunion des puissances que la France demandait avec persistance ? Le Premier Consul sentit parfaitement que la politique berlinoise avait pour but de l'enchaîner par des déclarations préalables, discutées, modifiées, agréées par la Prusse. Celle-ci, qui en matière d'agrandissement territorial avait un appétit insatiable qu'elle montra trois ans plus tard, au moment du partage des indemnités allemandes, n'aurait sans doute pas été fichée de noyer ses revendications exagérées dans un plan général, présenté comme étant de la conception personnelle de Bonaparte. De cette manière on ne compromettait que la France ; on pouvait même, le cas échéant, faire chorus avec ceux qui auraient trouvé que le Premier Consul refondait arbitrairement la géographie de l'Europe. Est-il besoin de faire remarquer que la voie oh la Prusse voulait pousser le gouvernement français était absolument nuisible à la cause de la paix : apporter un programme rédigé d'avance par une seule des parties appelées à délibérer, n'était-ce pas rendre le Congrès impossible, en limitant d'avance ses droits et son champ d'opérations ?

Aussi, quand il vit que par suite des lenteurs intéressées de la Prusse il n'aboutirait à rien, quand il jugea que l'heure des espoirs pacifiques était passée, Napoléon, qui avait résolu de prendre le commandement de Farinée d'Italie, déclara à l'ambassadeur prussien qu'il déclinait pour le moment la médiation du Roi, naguère tant désirée, et il ajouta : Je ferai donc la guerre, puisqu'on m'y force. On s'est abusé, à Vienne et en Europe, sur mes offres pressantes de paix ; on les a attribuées à des sentiments de crainte, à la pénurie de nos ressources et à l'instabilité du gouvernement actuel ; erreur funeste dont on ne lardera pas à être détrompé[58].

Ce langage, tenu en avril par le Premier Consul, ne fit pas grande impression sur la Prusse. Aimant à escompter le succès de nos ennemis, elle élaborait tranquillement, eu mai, une convention secrète avec la Russie contre la République française[59]. C'était la continuation de l'attitude qu'elle avait prise dans la partie engagée entre la France et les coalitions : à l'ouverture d'une campagne, elle plaçait éventuellement son enjeu sur les cartes de nos ennemis.

Cette combinaison fut traversée, en juin, par la nouvelle foudroyante de la magnifique et complète victoire de Marengo. Alors, sans perdre une minute, le Cabinet prussien, abandonnant ses partenaires de la veille, s'empresse de revenir vers Napoléon et lui offre obséquieusement ses services de médiation générale ou de réconciliation avec la Russie. Le Premier Consul, que l'ou verra presque toujours dédaigneux, trop dédaigneux des finesses diplomatiques, répondit, avec son simple bous sens, que ce n'est pas après Marengo, mais avant, qu'il l'allait se décider à agir, attendu qu'à présent il n'avait plus besoin de personne pour traiter avec l'Autriche abattue[60]. Sans se décourager, la Prusse cherche alors à s'attribuer le mérite d'une situation qui s'est créée contre son gré. Elle se prévaut de la reconnaissance qui lui serait due pour des services imaginaires, tels par exemple que d'avoir ouvert les yeux de Paul Ier sur le despotisme maritime de l'Angleterre et d'avoir ainsi organisé la ligue des Neutres[61]. Ce ne fut jamais en vain qu'on se posa devant Napoléon en adversaire de l'Angleterre. Il redonna une attention bienveillante aux discours du Cabinet de Berlin et finit par accepter de nouveau ses offices, à l'effet d'inciter Paul Ier, l'allié le plus cher de la Prusse, disait M. de Haugwitz, à être le médiateur de la pacification générale[62]. Avec juste raison le Premier Consul pensait que, devant le concert de la Russie, de la Prusse et de la France, l'Autriche étant rendue à merci, il faudrait bien que l'Angleterre cédât.

Lorsque Napoléon agréa encore une fois le concours de la Prusse, cette nation était devenue l'objet d'une grande méfiance à Paris. Déjà notre ambassadeur, le général Beurnonville, avait écrit à maintes reprises : La Cour de Berlin est plutôt disposée à susciter des embarras à la République qu'à lui en épargner[63]. Talleyrand de son côté, dans un rapport à Bonaparte, dévoilait clairement le plan de la Prusse : Il ne faut pas se le dissimuler, depuis cinq ans, cette intervention — près de la Russie — est inutilement réclamée ; depuis cinq ans et à des époques très décisives, le gouvernement français a fait présenter au Cabinet de Berlin la proposition d'une alliance et toujours elle a été éludée... la politique de la Cour de Prusse est tout entière en ceci, qu'elle voit avec plaisir la continuation d'une guerre dont elle se tient à l'écart, et qu'elle préfère aux avantages qui auraient pu résulter pour elle de sa participation l'avantage plus lent mais plus sûr qu'elle se promet de l'épuisement réciproque des grandes puissances qui l'environnent... Que pourrait-on attendre de sa médiation quand il est reconnu que, malgré les protestations qui en émanent, la continuation de la guerre est plus désirée à Berlin qu'à Vienne, à Londres, à Pétersbourg même ?[64] Plus énergiquement encore le Premier Consul exprimait les mêmes pensées dans une note qu'il faisait passer à Talleyrand, le 26 juillet 1800 : ... Depuis la mission de Duroc, nous voulions marcher avec la Prusse et suivre le même système quoique, tout en disant oui, la Prusse a toujours marché dans le sens contraire.

Alors pourquoi donc acceptait-il derechef les services de la Prusse ? A cette question il faut répondre par l'une des deux hypothèses suivantes : ou, sachant que le Roi se jouait de la France, il mettait encore un scrupule à le blesser par un refus ; ou, ne voulant croire qu'à la duplicité des ministres, il conservait en la parole royale une foi sincère, peut-être meule un peu fanatique. L'une de ces conclusions s'impose à la lecture du dernier paragraphe de la note à Talleyrand, paragraphe ainsi conçu : ... Cela n'avait pas empêché le Premier Consul, qui compte toujours sur le caractère personnel de Sa Majesté, de continuer à mettre sa confiance en lui, l'ayant spécialement priée d'interposer ses bons offices envers l'empereur de Russie pour rétablir la bonne harmonie entre lui et la République. Depuis quatre ou cinq mois que cette affaire est commencée, ou n'a pas encore obtenu la première réponse[65]. Frédéric-Guillaume se soucia fort peu des espérances qu'il avait laissé entrevoir au gouvernement français. A la vérité il négociait avec la Russie, mais c'était pour son propre compte, sans que dans les pourparlers il l'Ut seulement question de la France. au moment meule oui il donnait à Paris les plus sérieuses assurances, il signait avec la Russie, à l'insu du Premier Consul, un traité d'alliance offensive et défensive, rédigé de façon que ce traité ne procurât aucun avantage à Paul Ier, mais assurât à la Prusse le concours illimité de la Russie[66].

Pendant qu'à Berlin, sans préoccupation des intérêts français, on argumentait avec les plénipotentiaires russes, le gouvernement consulaire s'impatientait de la nonchalance calculée du Cabinet prussien. Par une heureuse inspiration, le Premier Consul tenta de se passer du roi de Prusse pour s'introduire lui-même dans les bonnes grâces de Paul Ier. Il savait que ce monarque fantasque, impulsif, était prompt à changer radicalement d'idées ou de principes. C'est ainsi que, par un revirement subit de sa haine contre l'usurpateur corse, l'Empereur russe, ennemi jusqu'au délire de toutes les transformations réalisées en France depuis la Révolution, fut saisi d'une admiration sans bornes pour la campagne qui venait de se terminer si glorieusement à Marengo. Le caractère épique du passage des Alpes, cette manœuvre hardie à travers les neiges et les glaces du mont Cenis, frappèrent l'imagination du Tsar.

Dans son enthousiasme, il préparait un ukase par lequel il ordonnait de faire immédiatement, sur la campagne des Français en Italie, un ouvrage dont l'étude deviendrait obligatoire dans les écoles militaires, où nul ne pourrait être admis au grade d'officier s'il ne le savait par cœur[67]. Paul Ier, passant la mesure en ceci comme en toutes choses, ne parlait, dans son intimité, que de Bonaparte, de sa gloire, de ses hauts faits, de sa témérité géniale ; il disait son affection pour lui et sollicitait quiconque était à même de lui donner les moindres détails à son sujet[68].

Cette inclination violente, remplaçant spontanément un mépris grossier, était due, assure-t-on, pour une bonne partie, aux suggestions aimables de Mme Chevalier, actrice parisienne, pensionnaire du théâtre de Saint-Pétersbourg. Cette jolie femme, honorée des faveurs particulières du Tsar, était, parait-il, un auxiliaire précieux de la police française. Jouissant d'un crédit considérable à la Cour, elle se voyait recherchée des plus hauts personnages, et n'oubliant pas les siens, elle avait réussi à faire nommer son mari successivement directeur du Théâtre français, major honoraire de la garde, conseiller de collège, enfin chevalier de Malte, ordre dont Paul Ier était le Grand Maitre[69].

Informé des bonnes dispositions de l'Empereur à son égard, le Premier Consul prit une détermination bien propre à le rehausser considérablement dans l'esprit du Tsar, en !m'one temps qu'elle nuirait à nos ennemis, l'Angleterre et l'Autriche. Ces deux puissances avaient jusqu'alors refusé d'accepter, en échange de prisonniers français, les lusses pris dans les précédentes campagnes des coalitions. Ces soldats russes, qui séjournaient en France depuis quinze mois, étaient au nombre de sept mille et se trouvaient naturellement dans un étal de misère complète. Le Premier Consul décida de leur faire collectionner des uniformes entièrement neufs, de leur rendre leurs armes, leurs drapeaux, et de les renvoyer ainsi équipés à leur empereur sans rançon, sans échange, sans compensation d'aucune sorte[70].

On eut grand mal à faire connaître au Tsar les intentions généreuses de Napoléon. Il avait jadis enjoint à tons ses agents en Europe de refuser toute communication qui viendrait de France, ci la consigne, par oubli, n'ayant pas été levée, on ne trouva personne qui voulût se charger de transmettre la lettre de Talleyrand à la chancellerie russe. Les ordres impériaux inspiraient une telle terreur qu'on ne put rencontrer, mate parmi la domesticité des agents russes, un homme qui osât recevoir un billet des mains d'un Français. En vain essaya-t-on de se servir d'un commerçant de Hambourg ou d'Altona, qui eût envoyé la missive à l'un de ses correspondants de Pétersbourg ; on se buta partout à la même résistance parce que dans le public on ignorait que le Tsar fit devenu sympathique au gouvernement consulaire. Personne, dans la capitale russe, dit un rapport à Talleyrand, n'aurait le courage de faire parvenir la lettre à destination, car, d'après les nouvelles les plus récentes, tout tremble autour de Paul Ier, et l'apparence de la plus légère connivence avec ses ennemis suffirait pour le faire entrer en fureur[71].

Il fallut en quelque sorte se chuchoter de l'un à l'autre la nouvelle, jusqu'à ce qu'elle pénétrât dans les hautes sphères de Saint-Pétersbourg. Déjà passionné pour le vainqueur de Marengo, touché profondément de tant de grandeur d'âme, Paul Ier accepta avec de vives démonstrations de joie l'offre magnifique du Premier Consul. Aussitôt un général, le baron de Sprengtporten, fut dirigé sur Paris. Par ordre des Consuls le général Clarke l'attendit à Bruxelles, où il lui fit rendre de grands honneurs. L'envoyé russe arriva, le 17 décembre 1800, à l'hôtel de la Grange-Batelière, retenu et préparé pour lui et sa suite. Reçu avec des égards spéciaux par les membres du gouvernement, il fut l'objet de toutes les prévenances et de toutes les amabilités de Napoléon, qui l'invita fréquemment à diner avec lui à Malmaison. La remise officielle des prisonniers fut faite au général de Sprengtporten, le 21 mars 1801, par un acte portant que ces troupes étaient rendues par le Premier Consul en gage de son estime et de sa considération pour Sa Majesté impériale l'empereur de Russie. Afin de se concentrer à Cologne, les soldats russes se mirent en marche de divers points du territoire[72], le jour même où allait être assassiné leur souverain, qui se réjouissait tant de les revoir. Ce fut son successeur, alors peu ami de la France, qui reçut le cadeau magnifique du Premier Consul.

Paul Ier s'était empressé aussi de nommer un ambassadeur, le comte de Kolitscheff, pour qui l'on prépara dès la frontière une réception solennelle. Le comte de Kolitscheff, mande le préfet du Bas-Rhin, a paru très sensible à l'accueil qu'on lui a fait ; la joie, l'affluence du peuple qui s'est porté sur son passage, la bonne tenue des troupes de ligne et de la garde nationale, tout a excité chez lui cette espèce d'étonnement qu'éprouve un homme qui aperçoit un bâtiment régulier là où il s'attendait à ne voir que ruines et destruction[73]. Arrivé à Paris le Ier mars, Kolitscheff, dont la mission consistait d'abord à renseigner son maitre sur ce qui se passait en France, écrivait dès le 6, à Paul Ier : Le Premier Consul est véritablement un grand homme ; il fait le bonheur de la France. Tout le monde commence à respirer[74].

A partir de ce moment, Paul Ier s'ingénia avec une ardeur excessive à complaire à Napoléon ; il se mit à la tête de la ligue du Nord contre l'Angleterre ; il alla même jusqu'à chasser brutalement Louis XVIII de Mitau, oui il avait offert un refuge à ce prince, qu'il appelait naguère encore son ami malheureux[75]. Avec une inconscience cruelle il ordonna que Louis XVIII et sa suite quittassent sans délai la Russie. Et l'on vit, spectacle lamentable, pour Miter leur fuite impérativement ordonnée, le frère et la fille de Louis XVI se frayer à pied leur chemin par des sentiers détournés[76]. Les princes et leurs fidèles gentilshommes se distinguaient à peine les uns les autres, parmi les tourmentes furieuses de neige que poussait une bise cinglante et glaciale.

L'expulsion du prétendant était certainement une attention fort appréciable aux yeux du gouvernement français ; mais ce qui attacha de suite et plus efficacement Napoléon à Paul Ier, ce fut la haine farouche et soudaine que ce souverain voua publiquement à l'Angleterre. Là ils se trouvèrent en parfaite communion de sentiments. L'inimitié mortelle de l'un se compléta par l'aversion impétueuse de l'autre. En compagnons bien décidés à ruiner, à abattre leur rivale, ils s'exaltaient mutuellement par la rédaction de projets aussi grandioses que chimériques pour l'époque. Afin d'anéantir le commerce anglais, le Premier Consul voit un excellent moyen, réunir les mers de l'Inde à la Méditerranée : Le canal de Suez, écrit-il au Tsar, est déjà tracé ; c'est un travail facile et de peu de temps qui peut produire des avantages incalculables au commerce russe. Votre Majesté peut attacher son nom à cette grande entreprise qui aura tant d'influence sur la situation future du continent[77].

Pour prouver, sans doute, que dans le Nord ou n'a pas moins d'imagination qu'ailleurs, Paul P' riposta par la proposition d'une invasion des Indes. Cette conception mirifique, au moins hasardeuse, n'avait rien qui put déplaire à l'ennemi acharné de la puissance anglaise, au héros aventureux et glorieux de la campagne d'Égypte. Napoléon était tout préparé à accepter le projet d'invasion de la grande colonie britannique. C'était en quelque sorte une tradition française. Brissot n'avait-il pas dit à la tribune sept ans auparavant, en 1793 : Pour ruiner l'Angleterre les Français se présenteront en Asie, non pour remplacer les Anglais en les chassant, mais pour rendre l'Inde à son indépendance[78].

Le plan de cette expédition aux Indes a été écrit de la main de Paul Ier : la France devait fournir trente-cinq mille hommes, qui, d'après des calculs précis, seraient rendus en quatre-vingts jours à. Astrakan, où les attendraient soixante-quinze mille Russes, dont cinquante mille cosaques. A cet effet plusieurs rescrits avaient été adressés, en janvier et février 1801, par Paul Ier à l'ataman des troupes du Don, Orloff-Denisoff. L'armée combinée, sous le commandement supérieur de Masséna, désigné expressément par le Tsar, aurait mis, en traversant la Perse, cinquante jours pour arriver aux Indes[79].

Quelques mois après le meurtre de Paul Ier, Napoléon, recevant Morkoff, le nouvel ambassadeur russe, lui parla de ces vastes et nobles conceptions de l'empereur Paul Ier, qui entraient si parfaitement dans les vues de la France que lui, le Premier Consul, n'aurait pas hésité pour les accomplir de se faire le lieutenant du Tsar[80].

Ainsi s'étaient rétablies, dans la plus large mesure et sans le concours de la Prusse, les relations interrompues depuis dix ans entre la France et la Russie. Ce dénouement, préparé par l'habileté de Napoléon, faussait singulièrement les calculs du Cabinet de Berlin, qui se trouva, dès l'automne de 1800, loin du rôle prédominant qu'il avait ambitionné de jouer pour le règlement de la paix. La Prusse n'avait pas de place marquée aux conférences, où seuls les plénipotentiaires des nations belligérantes pouvaient figurer[81], ainsi que Talleyrand l'avait signifié à l'ambassadeur berlinois. Or le Cabinet prussien s'était bien promis de soutenir ses intérêts aux délibérations de Lunéville tout en y veillant à ce que l'Autriche ne sortit pas de là trop forte ou trop réconciliée avec la France. Et n'y pas assister, de plus voir la Russie disposée à seconder les vues de la politique française, c'était un effondrement complet des espérances qu'on avait caressées à Berlin. Sans perdre un instant on s'empressa d'envoyer à Paris le marquis de Lucchesini à titre d'ambassadeur. Les instructions données à ce diplomate révèlent les préoccupations qui agitent l'esprit du Roi. Le but ostensible de la mission importante de Lucchesini sera de s'entendre avec le gouvernement français sur les objets d'un intérêt commun qui fondent les rapports actuels et préparent les liaisons futures entre la Prusse et la France... Mais l'objet essentiel et secret, pour la France même, que le Roi se propose consiste — est-il bien spécifié — à surveiller du plus près possible les relations qui commencent à se préparer entre le gouvernement français et l'Autriche... et à diriger l'influence du premier... d'une manière conforme aux intérêts majeurs de la Prusse.

A cette fin, Lucchesini ne devra épargner aucun moyen ; il tâchera de gagner la confiance personnelle du Premier Consul ; il dira que le Roi forme des vœux sincères pour que le général Bonaparte puisse rétablir en France un gouvernement solide, sous telle forme qui lui paraîtra la plus convenable ; il ne manquera pas de lui faire sentir combien l'avantage de la France et celui de la Prusse exigent qu'une confiance réciproque s'établisse et se consolide entre les deux gouvernements... et combien il est nécessaire, au maintien même de cette confiance, que l'opinion s'en établisse de plus en plus dans le public[82].

Par opposition à la netteté invariable de la politique française allant toujours droit à son unique but, l'alliance prussienne, on peut remarquer dès à présent la souplesse opportuniste de la Prusse, qui, selon les traditions classiques de la diplomatie, n'hésite pas pour en tirer certains bénéfices à faire briller des espérances qu'elle est bien résolue à ne pas réaliser. Le discours tenu par la Prusse, ne l'avons-nous déjà pas entendu plusieurs fois ? N'est-ce pas à ce langage dont elle fait aujourd'hui parade qu'elle fut sourde si longtemps ? Ne sont-ce pas, retournées à la France, les paroles des Rewbell, des Carnot, des Larévellière-Lépeaux, des Barras, des Bonaparte ? Rien n'y manque, pas même la demande de déclaration publique d'amitié, pas même l'offre de la dignité impériale au chef du gouvernement, si son ambition va jusque-là. Voyant reparaître la possibilité d'une entente et flatté probablement aussi des avances d'un roi, Napoléon ne marchanda pas ses bonnes grâces. Il reçut Lucchesini avec des attentions très remarquées, et celui-ci a constaté comme un premier triomphe qu'au dîner offert au corps diplomatique il était placé à la droite du général Bonaparte[83].

Vers cette époque, croyant tenir enfin la réalisation de son rêve franco-prussien, le Premier Consul cherchait à provoquer une occasion qui lui permit de faire la connaissance personnelle de Frédéric-Guillaume III[84]. Tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la Cour de Berlin était comblé d'égards, de prévenances. Venait-il à Paris un officier prussien, le capitaine von Schack par exemple, on lui donnait une place d'honneur à la revue passée le jour de l'anniversaire de la bataille de Marengo ? Il était invité à dîner par Napoléon, qui le faisait venir à côté de lui, ne savait quelles marques particulières de confiance lui témoigner et lui exprimait son estime pour l'armée prussienne[85].

Il convient de dire qu'en ce temps la Prusse avait procuré de grandes satisfactions au Premier Consul, d'abord en signant la ligne de neutralité maritime dirigée contre l'Angleterre[86], puis, le 20 mars 1801, en ordonnant à ses troupes d'envahir le Hanovre[87]. Cependant ces deux actes n'avaient été nullement accomplis dans l'intention directe de favoriser la politique française. Le premier ne fut signé que sur l'injonction réitérée de la Russie ; le second fut exécuté sur un ordre également formel, car le Tsar mettait alors furieusement en œuvre son animosité contre le Cabinet de Londres. Le 11 mars, il avait expédié par courrier deux rescrits signés de sa propre main : 1° au baron de Krüdner, pour lui ordonner d'insister auprès de la Cour de Prusse afin qu'elle se décidât, dans l'espace de vingt-quatre heures, à faire occuper par ses troupes l'Électorat de Hanovre ; en cas d'une réponse négative, l'ambassadeur aurait dû quitter Berlin ; — 2° à M. de Kolitscheff, pour lui enjoindre d'inviter le Premier Consul à faire entrer les troupes républicaines dans l'Électorat de Hanovre, au cas oh la Cour de Berlin eût hésité à y faire entrer les siennes[88]. Dans cette alternative d'occuper le Hanovre pour ne pas s'attirer le ressentiment du Tsar, ou de le voir envahir par les Français sans pour cela éviter une rupture avec la Russie, la Cour de Berlin, se résignant à contrarier l'Angleterre, fit entrer ses troupes dans l'Électoral, mais non toutefois sans avoir d'abord pris quelques ménagements envers le Cabinet britannique. Un ministre prussien affirme, dans ses Mémoires, que l'occupation du Hanovre n'aurait eu lieu qu'après entente favorable avec l'Angleterre[89]. Cette assertion a été confirmée par les ministres anglais à Otto, agent de la République française à Londres[90] ; elle a été aussi corroborée par l'empressement extraordinaire que mit, quelques mois plus tard, la Prusse à rendre le Hanovre aux Anglais. Frédéric-Guillaume en eût été le gardien pour le compte de l'Angleterre, qu'il n'eût pas agi différemment : la restitution eut lieu, sans assentiment ni consultation de personne, à l'instant exact où fut connue la signature des préliminaires de paix entre la France et l'Angleterre (1er octobre 1801)[91].

Ces machinations occultes de la Prusse ne l'empêchaient pas de se montrer fort amie du gouvernement français. Elle dorait ses flatteries en proportion des services qu'elle attendait du Premier Consul, dont le concours était indispensable à ses projets d'agrandissement au moment où le remaniement de la carte de l'Empire germanique se préparait. Il se laissa gagner assez facilement et sa confiance se traduisit par l'offre presque candide de l'annexion du Hanovre à la couronne prussienne[92].

Fut-il tout à fait dupe de la Prusse ? Ne connut-il rien du double jeu qu'elle mena si longtemps et sans retenue ? Une telle supposition semble inadmissible, car il ne pouvait s'abuser à cc point qu'il prît pour des marques réelles d'amitié les flagorneries calculées sous lesquelles perçaient les motifs qui les dictaient. Lisant toutes les correspondances, il ne devait guère s'illusionner ; mais par sa bienveillance ouverte, si différente de la réserve qu'on lui opposait, il espérait sans doute vaincre les dernières résistances auxquelles il attribuait des arrière-pensées d'intérêt. Duroc, qui allait à Saint-Pétersbourg porter les compliments du gouvernement français à Alexandre Ier, proclamé empereur après le meurtre de Paul Ier, avait écrit de Berlin : J'ai reçu mille affabilités de la famille royale ; j'ai été invité à la table du Roi, qui m'a comblé de prévenances et m'a montré beaucoup d'attachement pour votre personne. Il espère que c'est vous qui ferez la paix générale et que vous n'oublierez pas vos amis[93]. Et c'était là le véritable sens des témoignages de cordialité que la Prusse multipliait. De Berlin était envoyé à Paris le prince de Nassau, qui venait plaider sa cause personnelle, sous prétexte d'apporter les assurances de la sincère affection du Roi[94]. Le 'général Hédouville, de passage dans la capitale prussienne, mandait : Le Roi m'a assuré qu'il attachait le plus grand prix à l'amitié du Premier Consul et qu'il saisirait les occasions de resserrer les liens qui conviennent aux deux nations. Sa Majesté m'a invité à dîner, m'a fait placer vis-à-vis d'elle et a saisi tontes les occasions de m'adresser la parole. Après le dîner, Leurs Majestés m'ont encore dit les choses les plus obligeantes. Je n'entre dans ces détails que parce que tout ce que j'ai éprouvé de flatteur dans cette réception tient à l'admiration et à la confiance qu'inspire le Premier Consul[95]. Rien n'était négligé dans les entourages du Roi ; son secrétaire intime, Lombard, demandait comme une insigne faveur d'offrir au Premier Consul un exemplaire de sa traduction eu vers français du quatrième livre de l'Enéide[96]. Et, de son côté, Napoléon renchérissait sur ces bons procédés qu'il aimait malgré tout à regarder comme des progrès accomplis par lui dans l'estime du gouvernement prussien. C'est ainsi que, dans la répartition des indemnités allemandes, il accorda à la Prusse un accroissement si considérable que le ministère berlinois ne put s'empêcher de dire : Un patriote prussien, libre de ses vœux, n'eût pu mieux le calculer... L'idée seule est un titre à la reconnaissance[97].

Comme s'il ne pensait pas s'être montré assez généreux pour la nation amie, Napoléon faisait dire à Berlin que, s'il n'avait écouté que sou penchant, il aurait volontiers donné à la Prusse la totalité de ses demandes, mais qu'il se trouvait en face de la Russie et de l'Autriche, qui voulaient réduire les exigences prussiennes. Les mêmes idées sont exposées également par Talleyrand, qui écrit, le 18 mai, à Beurnonville, notre ambassadeur à Berlin : Le Premier Consul n'a pu se dissimuler que l'Autriche et la Russie considéraient d'un œil tout différent la question de l'indemnité prussienne, et que ces deux puissances se montraient parfaitement d'accord, tant pour déprimer la valeur des pertes de la Prusse, que pour réduire son dédommagement au réel équivalent de ses pertes[98]. Cette assertion est rigoureusement confirmée par la correspondance d'Alexandre Ier, qui mandait, le 20 février 1802, à son ambassadeur à Paris : Il serait utile que le ministère français eût la même conviction que moi, à savoir que les prétentions de la Prusse sont démesurées[99].

C'était une chose curieuse, écrit Talleyrand au général Hédouville, ambassadeur à Saint-Pétersbourg[100], de voir la France réduite à plaider contre le ministre russe en faveur des amis et des alliés de l'empereur Alexandre, et le ministre russe, qui devait concilier les intérêts de son pays avec les nôtres, n'ouvrir la bouche que pour préconiser l'Autriche et repousser les avantages que nous demandions pour nos amis communs. Ces paroles de Talleyrand se trouvent répétées presque mot pour mot par le Premier Consul disant, l'année suivante, à l'ambassadeur de la Cour de Berlin : J'eusse voulu que la Prusse obtint un million d'âmes de plus, mais vos amis les Russes et vos rivaux les Autrichiens s'y opposaient, et je m'entendais répéter de toutes parts qu'il ne nous convenait pas trop de nous faire le Don Quichotte pour une puissance sur laquelle on ne peut guère compter en cas de besoin[101].

Toujours enclin à une sorte de surérogation quand il s'était tracé nue ligne de conduite bienveillante à l'égard de quelqu'un, Napoléon se plut à aider par tons les moyens possibles le roi de Prusse, qui avait à vaincre l'opposition de l'empereur de Russie. Ayant appris que dans le commencement de juin Frédéric-Guillaume III se rencontrerait avec Alexandre Ier à Memel, il rompit l'ordre des travaux de ce qu'on a appelé le recès de 1803, et s'empressa de délimiter les territoires qui devaient être attribués à la Prusse. Il fallait avoir l'immense désir de rendre service au roi de Prusse pour toucher, avant l'accord final, à la répartition des indemnités qui étaient une vraie mer à boire, un chaos, selon l'expression du chancelier russe, qui ajoute : Les Cabinets ou ces sortes d'affaires sont le plus familières n'y comprennent rien, et c'est, des princes d'Allemagne, à qui nous enverra le plus de cartes bien enluminées, des tableaux statistiques et des documents sur les péages, les droits de suzeraineté, etc. Aussi, je voue à Pluton les savants allemands, la constitution, les princes... et si je pouvais donner quelques terres à moi pour satisfaire ces rois et princes arpenteurs, j'en ferais bien volontiers le sacrifice[102].

Dans le but de bonifier sa part, on allait en consultation à Saint-Pétersbourg ; mais, à Paris, où le jugement devait être rendu, on était autrement obséquieux. Là, les petites Cours dépossédées poussaient des cris d'écorchés, exhibaient les bilans menteurs, enflaient la valeur de ce qu'on leur prenait, décriaient les revenus de ce qu'on leur allouait en retour. Afin d'obtenir davantage elles se multipliaient en intrigues, serments, offres de dévouement éternel ; enfin elles répandaient l'or à profusion pour gagner des appuis[103]. D'après l'ambassadeur prussien, Mme Grant, la maîtresse de Talleyrand, semblait encourager les gens timides, en étalant à leurs yeux les cadeaux offerts de tous côtés[104]. C'est en faisant allusion à ces honteux trafics que Napoléon se contenta de dire brièvement à un prince plus favorisé que les autres : Combien Talleyrand vous a-t-il coûté ?[105]

Le Premier Consul, par égard pour le roi de Prusse, le mit hors de cause, le dispensant ainsi de participer à ces bassesses, à ces marchandages, à ces compétitions ardentes qui ne devaient prendre fin qu'un an plus tard. Il établit de sa propre autorité le lot prussien, ainsi que celui du prince de Nassau-Orange, beau-frère de Frédéric-Guillaume III. Voici en quels termes il fit part à ce dernier de ses intentions : Les affaires qui intéressent Votre Majesté sont sur le point d'être signées et je regarderai toujours comme politique pour la France et extrêmement doux pour moi de faire quelque chose qui puisse accroître la puissance et les forces de son royaume et de réunir par des liens plus étroits la Prusse et la France[106].

Enfin, se demandant comment il pourrait le mieux aider Frédéric-Guillaume à obtenir l'adhésion d'Alexandre Ier au système spoliateur de la Prusse[107], ainsi qu'on disait alors en Russie, il trouva que le meilleur moyen était sans doute de placer le Tsar en face d'un arrangement déjà consenti par la France. Alors il mit en route le capitaine Dumoutier, de la garde consulaire[108], muni de l'acte de cession bien en règle. Cet officier avait ordre de joindre à Kœnigsberg le Roi, qui devait traverser cette ville pour gagner Memel. Il semblait prudent eu effet de devancer les décisions et de forcer la bonne volonté des puissances que risquaient d'indisposer les concessions faites à la Prusse. En échange de quelques parcelles de territoire, soit deux mille sept cent cinquante kilomètres et douze mille cinq cents âmes, la Prusse recevait douze mille kilomètres carrés et plus de cinquante initie âmes. Sa domination, grâce à ce remaniement de l'Empire, se trouvait affermie sur l'Allemagne centrale[109], et ses revenus s'augmentaient de deux millions quatre cent mille florins[110]. Frédéric-Guillaume, qui regardait cette répartition comme un événement dont la Prusse ne savait trop s'applaudir, ne fut plus maitre de sa joie ; tout en lui et autour de lui respirait le plus parfait des contentements[111]. Parcimonieux d'ordinaire, il devint subitement généreux, presque prodigue ; d'un coup, il donna cent vingt mille thalers à son ministre Haugwitz[112]. Craignant que tant de bonheur ne lui échappât ou ne fût contesté par quelque rival, il avait recommandé à ses ministres de ne mettre personne dans le secret de l'heureuse nouvelle, puis il s'était inquiété des moyens les plus propres à bien disposer l'empereur de Russie en faveur de cette solution inespérée.

En arrondissant ainsi la Prusse au delà même des ambitions des patriotes de ce pays, Napoléon restait fidèle à ses promesses réitérées comme aux aspirations anciennes de la politique française. Et, pour bien établir la probité du gouvernement français, nous ne saurions trop insister sur ce fait que les promesses formulées à l'époque on la France avait à combattre l'Europe entière étaient réalisées loyalement et généreusement, quand la France plus grande que jamais n'avait rien à redouter de personne. L'Italie était reconquise ; la paix avait été signée avec l'Autriche, le 9 février 1801 ; avec la Russie, le 8 octobre 1801 ; avec l'Angleterre, le 25 mars 1802.

Quelque plausibles que paraissent être les raisonnements par lesquels on entend démontrer que Napoléon ne rêva jamais que campagnes, batailles et conquêtes, il faudra bien convenir qu'en cette heure de 1802, tous ses actes avaient pour but de consolider la paix générale. Qu'au moment où l'on était menacé d'une formidable coalition on eût songé à combler la mesure de l'ambition de la Prusse, avec la pensée d'en faire une alliée ou seulement une spectatrice inerte, cela n'eût pas impliqué une volonté formelle de mettre fin aux guerres européennes. Mais alors que tous les ennemis ont déposé les armes, donner à son voisin immédiat une puissance plus forte qu'il n'avait osé la rêver tout en demandant davantage, c'est bien sans conteste l'acte d'un homme désireux de s'attirer la sympathie des souverains et non de provoquer leur hostilité.

Que Napoléon ait mis en plus une certaine coquetterie à se montrer empressé et chevaleresque, afin d'engager le roi de Prusse à le servir dans l'esprit d'Alexandre, cela n'est guère douteux. Il souhaitait vivement de voir rétablies les relations à peu près cordiales qui avaient été nouées si difficilement autrefois avec Paul Ier. De fait Alexandre avait signé la paix six mois après son avènement, mais cela ne voulait nullement dire qu'il eût la moindre sympathie pour la France ; s'il s'était décidé à négocier, c'était seulement le jour où, par suite de la constitution d'un ministère anglais favorable à la pacification générale, une sorte de détente s'était opérée entre Paris et Londres ; le jour aussi où, dans le partage des indemnités allemandes, la fortune de son oncle et de son beau-frère, l'un duc de Wurtemberg, l'autre Électeur de Bade, dépendait principalement du bon plaisir consulaire. Les intérêts des deux parents du Tsar furent réglés directement par les articles secrets annexés[113] à la convention officielle signée par la France et la Russie. Dans son ardente passion de vivre en excellents termes avec cette dernière puissance, le Premier Consul se fit l'esclave de tous les désirs et même il se plaça presque sous la tutelle d'Alexandre en l'appelant à sanctionner les affaires d'Allemagne et d'Italie.

Le Premier Consul avait lieu d'espérer que son désintéressement, accompagné d'une sorte de déférence envers la majesté impériale, serait payé plus tard par des facilités d'entente sur d'autres sujets. Son illusion ne fut pas de longue durée. Le nouvel empereur russe continua de marquer sou antipathie et de repousser sans examen toute idée de concession sérieuse pouvant être faite à la France. Ses mauvaises dispositions se manifestèrent clairement, en 1802, dans une lettre qu'il écrivit à Morkoff, son ambassadeur : Vous tiendrez compte, dans vos entretiens avec le Premier Consul... que les expressions générales dans nia lettre à Bonaparte, que le commerce français aura ici une protection, ne peuvent signifier qu'on arrivera à la conclusion d'un traité de commerce[114]. Des actes, tels que ce veto préalable, expliquent pourquoi Napoléon recherchait un parrain capable d'influencer favorablement le Tsar et de le faire revenir de préventions — plus instinctives que fondées contre les Français en général, et contre leur chef en particulier. Le Premier Consul pouvait croire arriver à son but, car la Prusse en ce temps, dit un ministre prussien dans ses Mémoires, flattait la France d'une alliance intime et confédérative à laquelle s'unirait la Russie[115]. Par sa courtoisie envers le roi de Prusse, Napoléon pensait donc se ménager auprès d'Alexandre un avocat d'autant plus chaleureux qu'il l'avait nanti d'honoraires considérables.

Dans l'oubli des suspicions contre la France, dans le relèvement de son prestige personnel, le chef du gouvernement français s'imaginait trouver le moyen d'assurer la paix européenne.

Ses intentions pacifiques, qu'il avait communiquées à la Prusse, sont consignées dans un mémoire remis par le ministre prussien au Roi, an moment où celui-ci partait pour Memel : Sans doute, les deux souverains, dit Haugwitz, se confieront, dans l'intimité de leurs entretiens particuliers, leur manière d'envisager la proposition du Premier Consul. Cette proposition consiste dans une réunion de vues, de principes et de moyens concertés entre la Russie, la Prusse et la France, dans le but de conserver la paix en Europe... Il ne peut rien arriver de plus heureux pour le maintien de la paix et du repos général[116].

Les procédés de Napoléon, dans cette circonstance, confirment, sans l'ombre d'un doute, la sincérité de ses paroles. Rien n'avait été négligé par lui pour obtenir la réalisation de la triple alliance, dont les bases, pensait-il, allaient être posées à Memel. Ses combinaisons, cela sera remarqué plus d'une fois encore, étaient dénuées de ce sens pratique des affaires qui recommande de ne rien livrer avant d'avoir reçu. Revêtues de toutes les apparences d'une belle grandeur d'aine, elles auraient pu être couronnées de succès, si la noblesse des sentiments, la probité du caractère, avaient été, comme se le figurait Napoléon, les vertus naturelles des souverains, des hommes nés sur le trône, ainsi qu'il les nommait souvent.

Pendant presque toute sa vie, il mit en eux une sorte de confiance respectueuse, où la superstition avait sans doute autant de part que le regret constant de sou obscure extraction. Il n'était pas éloigné de croire que les rois héréditaires appartenaient à une humanité supérieure. On doit, au début de cette étude, attacher une réelle importance à cette tendance, indéniable selon nous, de son caractère. Ses préjugés sur la valeur morale, sur la loyauté des monarques légitimes, seront de très grande influence sur toute sa carrière et aussi, il faut bien l'avouer, sur l'avenir de la France. Persuadé que les qualités de franchise, de droiture, qu'il leur supposait, étaient innées en eux, il croyait se rehausser dans leur esprit, se rendre digne de leur estime en conformant toujours, et sans la moindre arrière-pensée, ses actes à ses paroles. À ce jeu, il sera naturellement et presque toujours dupe des machiavélismes de la diplomatie. Pour lui dessiller les yeux, il lui faudra de nombreuses et pénibles vicissitudes, corrigées heureusement par sou merveilleux génie d'homme d'action. Et il ira jusqu'en 1814 pour s'écrier un jour : Ces gens-là — les souverains — ne veulent pas traiter... Ils ont mis en oubli ma conduite envers eux, quand je pouvais les écraser... Ma clémence a été de la niaiserie... Un écolier eût été plus habile que moi[117]. Le prestige exercé sur lui par les souverains dynastiques a toujours été considérable, et cela semble ressortir de la satisfaction d'amour-propre qu'il laisse apercevoir dans ses lettres chaque fois qu'il parle d'une entrevue avec un empereur, un roi ou un prince héréditaire. Ceux-ci, même quand ils devront leur sceptre à son unique volonté, seront attirés avec orgueil à sa Cour, recherchés, imposés pour les alliances de sa famille. Enfin lui-même se croira à l'apogée des ambitions humaines quand il aura contracté mariage avec une archiduchesse d'Autriche, quand il pourra se dire le gendre d'un César germanique. Son premier désenchantement lui vint en 1802 des espérances qu'il avait placées dans la gratitude du roi de Prusse.

Depuis qu'il avait eu l'imprudence de tout accorder sans condition et qu'on n'avait plus rien à attendre de lui, il se trouvait au dernier rang des préoccupations de Frédéric-Guillaume III, dont le seul objectif n'était maintenant que d'obtenir l'adhésion du Tsar à l'agrandissement de l'État prussien. Ce n'était pas chose facile, car la Prusse était sujette à caution aux yeux de l'Europe, qui n'oubliait pas qu'en 1795 elle avait fait volte-face à ses alliés de la bonne cause. On se servait d'elle quand on ne pouvait agir autrement ; mais, au fond, elle était en quelque sorte au ban de la famille monarchique européenne, exaspérée contre les révolutionnaires avec lesquels elle avait pactisé. Toutes les insultes, toutes les infamies adressées à la France sur le thème quotidiennement fourni par les discussions du Parlement anglais retombaient comme autant d'injures sur la Cour de Berlin. Entretenant des rapports réguliers avec la République, elle pouvait se sentir touchée quand, par exemple, on disait à Londres qu'il serait honteux de former quelques relations avec un peuple qui tendait à la destruction de toute moralité, qui érigeait la proscription, la confiscation, le vol, le pillage et le meurtre en système de gouvernement.

En proposant à Alexandre Ier de souscrire à l'augmentation de la puissance prussienne, Frédéric-Guillaume III se demandait sans doute comment il serait accueilli. Or il arriva que ses bonnes relations avec la France, qui, dans sa pensée, devaient lui nuire, allaient au contraire le servir près du Tsar. Celui-ci, en vertu de son traité avec la France, était à peu près certain d'obtenir dans les indemnités allemandes cc qu'il désirait pour ses parents. Il n'avait rien à redouter du Premier Consul, qui persistait à rechercher une alliance plus étroite, malgré la froideur qu'il lui avait témoignée. Cependant l'amitié imposait encore à l'empereur de Russie un devoir très délicat. Il devait sauvegarder près de Napoléon les intérêts de l'Angleterre, qui, par la possession du Hanovre, était intéressée à ce qui se passait en Allemagne. Ce qui me préoccupe surtout dans l'affaire des indemnités, écrivait en ce temps Kotchoubey, le chancelier d'État russe, ce sont les réclamations de l'Angleterre[118].

C'était en effet un sujet assez épineux. On savait parfaitement que cette question du Hanovre était celle qu'il fallait aborder avec le plus de précautions, car le Premier Consul avait fort peu de tendances à consolider la position des Anglais sur le continent. Certes on ne demandait pas mieux que d'accepter des avantages dus à la bonne grâce de Napoléon, mais les solliciter et par là même s'incliner devant le parvenu qui dirigeait la politique française, c'était ce que l'Angleterre jugeait incompatible avec sa dignité. Cet orgueil singulier, qui se réduisait simplement à s'affranchir de toute reconnaissance envers un bienfaiteur, suggéra l'idée que la Prusse pourrait être chargée par Alexandre de la défense des intérêts britanniques.

Le nouvel empereur de Russie avait toutes les qualités requises pour ce rôle d'intermédiaire anglais. Ses goûts, son éducation, sa fierté hautaine, le prédisposaient à servir l'Angleterre dans la grande lutte qui jetait l'Europe contre la France et dont le Cabinet de Londres dirigeait et stipendiait les attaques. Lors de l'avènement d'Alexandre Ier, un contemporain disait : Entouré d'Anglais et d'Anglaises dès l'enfance, il a pour cette nation une prédilection marquée ; l'homme qui a le plus d'influence sur lui est son confesseur, qui a passé une partie de sa vie à Londres et est marié avec une Anglaise[119]. Son premier acte, quand il monta sur le trône, fut de briser l'accord conclu entre son père et le Premier Consul contre l'hégémonie anglaise. Il y a même lieu de supposer que l'Angleterre ne fut pas tout à fait étrangère à la perpétration du complot qui aboutit au meurtre de Paul Ier et au couronnement prématuré d'Alexandre.

D'abord on ne peut s'empêcher de remarquer que l'heure de la mort tragique du Tsar coïncide étrangement avec les mesures vigoureuses qu'il prenait, qu'il imposait même aux autres puissances, pour combattre la tyrannie maritime de l'Angleterre : L'Empereur de Russie, rapporte un journal du temps[120], a vivement témoigné sa satisfaction de la réponse ferma du gouvernement prussien à la note britannique ; il a envoyé le grand cordon de Saint-André au jeune prince royal de Prusse, ainsi qu'au ministre d'État, le comte de Haugwitz. Paul Ier a chargé en crème temps le baron de Krüdner, son ambassadeur à celte Cour, de faire agréer à S. M. la Reine le grand ordre de Catherine. Pour répondre à ces témoignages d'amitié et de bonne intelligence, le roi de Prusse a donné le grand cordon de l'Aigle rouge au baron de Krüdner. On voit par là que l'union entre les Cours du Nord est loin de s'affaiblir, comme le publiaient quelques journaux anglais. Ces informations, venues de Berlin, portent la date du 15 mars. Le 11 du même mois, le Tsar avait enjoint à la Prusse d'envahir le Hanovre, et c'est le 23 que Paul succombait sous les coups de ses assassins.

Les présomptions s'appuient également sur cet autre fait que lord Whitworth, ambassadeur britannique à Saint-Pétersbourg, fréquentait assidûment, sur le pied d'une intimité quelque peu compromettante, Mme de Grebow[121], sœur des Zouboff, les ennemis acharnés de Paul Ier. Ces intrigues du ministre anglais ne paraissent pas avoir échappé aux soupçons de l'empereur russe qui, sous l'influence d'une sorte de pressentiment, exigea son rappel, en février 1800, dans les ternies suivants : Ayant lieu depuis longtemps d'âtre mécontent de la conduite du chevalier Whitworth... Pour éviter les conséquences désagréables qui peuvent résulter du séjour à ma Cour de ministres menteurs, je désire que le chevalier Whitworth soit rappelé...[122]

C'est dans la maison de la grande amie de l'ambassadeur anglais qu'après le départ de celui-ci fut réglée la mise en scène de la tragédie du Palais d'Hiver. L'assassinat de Paul Ier, dit un écrivain prussien, a été commis par le parti russe qui ne voulait pas rompre avec l'Angleterre[123].

Le Tsar avait été averti, par des rapports de contre-police, du péril qui le menaçait. Il fit mander le comte Pahlen, gouverneur de Saint-Pétersbourg, chef supérieur de la police. Celui-ci, principal organisateur de la conjuration, ne se décontenança nullement devant les questions de son souverain. Il eut même un mot d'une audace inouïe qui mérite d'être rapporté :

Il se forme un complot contre moi, dit Paul, l'ambassadeur d'Angleterre en est le premier moteur. Les conciliabules ont lieu chez Mme de Grebow. Le prince Zouboff en est un des plus ardents acteurs. — Je le crois, répondit le comte Pahlen. — Mon fils Alexandre est d'accord avec les conjurés, continua Paul Ier. — Je le crois, répondit encore laconiquement et avec le même calme le comte Pahlen. — Mais vous-même, vous en êtes ? — Si je n'en étais pas, dit en l'interrompant le comte Pahlen, comment pourrais-je en épier la marche et vous sauver ?...[124] Ce sang-froid imperturbable en imposa au malheureux Paul Ier. Sortant du palais, le comte Pahlen courut prévenir le prince Zouboff, le comte Orloff et le général Beningsen du danger imminent qui planait sur leurs têtes. Tous quatre se rendirent aussitôt chez le grand-duc Alexandre, où fut résolue une action immédiate.

La scène du crime a été racontée de façon assez pittoresque dans les Mémoires de Joseph de Maistre, qui avait connu à Saint-Pétersbourg les principaux conjurés : Beningsen, rapporte-t-il[125], a dit à une personne que je connais particulièrement, et dans le temps où les acteurs se faisaient une gloire de parler de l'affaire : La déposition et la réclusion étaient indispensables, mais la mort est une cochonnerie. C'est fort bien dit ; cependant il fut un des sept cochons qui entrèrent dans la triste chambre que j'ai pu examiner tout à mon aise, avant qu'un ordre tardif Petit fermée aux curieux. Lorsque Nicolas Zouboff ouvrit les rideaux et dit : Il n'y est pas, nous sommes perdus, Bennigsen, qui est extrêmement grand, l'ayant aperçu par dessus un paravent, tapi dans l'âtre d'une cheminée, s'écria : Le voilà ! et la scène commença. Il est, de plus, parfaitement constaté que l'effroi et peut-être le remords conduisant un des opérateurs vers la porte, Bennigsen la ferma en lui disant : Monsieur, quand on fait tant que d'entrer ici, on n'en sort pas avant que tout soit fini. Ce qui est parfaitement vrai, conclut de Maistre, et c'est une preuve qu'il ne faut pas entrer.

On n'a guère pu nier la participation d'Alexandre au sinistre complot, mais on s'est efforcé de marquer la limite fixée par lui aux exécuteurs du plan qu'on lui avait soumis[126]. Cette limite, au dire de ses amis, devait être l'abdication, comme s'il était permis à un homme doué seulement d'une lueur de raison d'ignorer qu'après avoir signifié un tel ultimatum à un autocrate connu pour son irascibilité, les conjurés pouvaient avoir d'autre ressource que de sauver leurs vies en sacrifiant celle du monarque récalcitrant. Ce qui du reste, aux yeux de l'histoire, accuse Alexandre plus que l'analyse subtile de ses sentiments, c'est son attitude envers les assassins avérés de son père : Beningsen, qui donna le coup de grâce, devint le commandant en chef des armées russes ; Pollen et Zouboff, les promoteurs de l'attentat, furent les ministres du nouveau règne[127]. Quand on sait qu'ils étaient fort attachés à l'Angleterre, on n'est pas éloigné de dire avec Napoléon, apprenant la fin terrible de Paul Ier : L'empereur de Russie a été assassiné le 23 mars ; la flotte anglaise a passé le Sund le 30 : l'histoire dira le rapport qui existe entre ces deux faits[128].

L'histoire a déjà pu affirmer qu'Alexandre se montra plein de tendresse pour la politique de Londres. Appelé en 1801 à la chancellerie russe, le prince Kotchoubey écrit dans une lettre confidentielle : Quant à ce qui regarde les principes de l'Empereur, ils sont tout à fait d'une nature satisfaisante pour l'Angleterre. Il veut sincèrement maintenir tous les liens qui existent entre les deux pays et qu'il trouve d'une utilité réciproque. Pour ce qui est de nos relations à Paris, il ne peut rien y entrer de contraire aux intérêts de L'Angleterre[129].

Dès son avènement, Alexandre mit toute sa confiance dans son ambassadeur à Londres, le comte Worontzoff, auquel, dit un éminent historien russe, il était impossible de ne pas reconnaître la vérité du reproche qu'on lui faisait d'être plus Anglais que Russe... L'Empereur se soumit complètement à son influence... Il lui refusait rarement quoi que ce ait Il lui sacrifia même des gens qui étaient dévoués au trône de toute leur âme et qui n'étaient ni moins honnêtes, ni moins capables que le comte S. R. Worontzoff[130]. C'est sous l'ardente pression de ce diplomate que, le 17 juin 1801, Alexandre reconnaissait à l'Angleterre le droit de visite sur les bâtiments même convoyés, droit inique combattu dès 1780 par la Russie.

Comme s'il existait quelque forfait entre lui et l'Angleterre, Alexandre, anglais au début de son règne, le fut toute sa vie, même aux beaux jours de ses démonstrations affectueuses pour Napoléon. Ainsi, de Tilsit, où les deux empereurs de France et de Russie, dans une union pour ainsi dire fraternelle, juraient la guerre aux Anglais, un officier russe était dépêché à Londres afin de rassurer le Cabinet de Saint-James et lui témoigner l'admiration d'Alexandre Ier. Aussi, quand les vaisseaux de guerre russes chargés du blocus de Lisbonne furent pris, l'Amirauté les conserva et bientôt après les rendit au Tsar[131].

Pour combattre les opinions préconçues de cet homme si dévoué à l'Angleterre, Napoléon, eu 1802, ne pouvait compter que sur la reconnaissance de la Prusse. Hélas ! nous l'avons dit, celle-ci, gorgée au delà de ses espérances, n'avait plus d'autre objectif que de gagner sa propre cause auprès d'Alexandre ; aussi rien, au prix de ce but suprême, ne lui devait moins peser que le fardeau de la gratitude envers le gouvernement français. Renier l'amitié d'un général, magistrat républicain dont les bienfaits mente les plus profitables restaient encore humiliants pour les princes de droit divin, c'était un effort qui ne coûtait guère au dédain royalement ingrat du monarque prussien. On allait donc à Memel, roi et reine de Prusse, dans l'intention de s'attirer toutes les sympathies d'Alexandre. Les deux époux avaient dû étudier leurs rôles à cet égard, se faire les recommandations les plus minutieuses.

Il advint qu'à ce jeu le premier séduit ne fut pas l'empereur de Russie, mais la reine de Prusse. Ce résultat inattendu eut les plus déplorables conséquences pour la politique de Napoléon, qui ne voyait dans l'entrevue de Memel qu'un événement d'heureux augure pour la réalisation de la triple alliance et la pacification de l'Europe. Non seulement sa position dans le concert monarchique ne fut pas améliorée, mais la rencontre du jeune Empereur et de la belle reine Louise marqua dans la politique prussienne le point d'une orientation fixe vers la Russie.

Alexandre Ier ne fut pas insensible aux charmes de la reine Louise, qu'il voyait pour la première fois et dont la beauté célèbre en Europe était égalée par des grâces infinies dans l'art de plaire. D'autre part un souvenir ineffaçable demeura dans Pâme de la reine de Prusse, dont les aspirations romanesques, les préférences aristocratiques se tournèrent désormais du côté de la Russie. Amener une alliance de la Prusse et de la Russie contre la France devint le but unique de son patriotisme.

Suggérée par une conviction profonde et raisonnée, une telle ambition n'aurait rien que de légitime. Mais combien, dans ce penchant d'une princesse jolie et coquette, il est difficile de déterminer où s'arrête le patriotisme pur et où commence l'espoir, toujours flatteur pour une femme, de dominer par ses attraits personnels le cœur d'un jeune et puissant empereur, et par là de diriger la diplomatie européenne. Cette idylle politique inspira à la Reine l'adresse et la patience qui devaient circonvenir assez facilement un roi peu clairvoyant et fort amoureux de sa femme. Sous cette influence un grand parti se forma à la Cour, pénétra dans les conseils du gouvernement et fut — après les scènes théâtrales et sentimentales de 1805 — la cause directe des décisions fatales et irréparables de 1806.

Depuis longtemps Alexandre Ier avait conçu le désir de faire ta connaissance de la famille royale de Prusse. Sa sœur, la grande-duchesse Hélène, princesse de Mecklembourg, ayant séjourné à Berlin en 1800, lui avait vanté au retour les agréments de cette Cour, la remarquable beauté de la Reine et la simplicité honnête du Roi[132]. L'Empereur était donc tout disposé pour beaucoup de raisons à accepter l'invitation qu'il reçut à la fin de mai 1802.

Dans les premiers jours de juin, on réunit à Memel quelques régiments dont les manœuvres devaient servir de prétexte à la visite du Tsar. Le 10 juin, le Roi se porta à quelques kilomètres de la ville à la rencontre de son hôte impérial, qui lit une entrée solennelle à cheval, escorté par des détachements de hussards et de dragons, à travers les haies formées par l'infanterie[133]. La Reine attendait l'Empereur en haut de l'escalier de la demeure royale, où étaient aménagés les appartements des trois souverains. La première impression que se firent réciproquement Alexandre et la reine Louise fut des plus favorables. Si l'on en croit sa dame d'honneur, la Reine avait déployé tous ses moyens de séduction. Elle était plus belle que jamais. L'Empereur, ajoute Mme de Voss, est un très bel homme, blond, d'une physionomie frappante, infiniment affable et gracieux, l'homme le plus aimable qu'on puisse imaginer.

On vécut à Memel pendant une semaine dans la plus agréable intimité. Le Roi partait seul de bonne heure aux manœuvres. Dans le courant de la matinée la Reine, chevauchant aux côtés d'Alexandre, allait rejoindre son mari. Pour quiconque a vu au musée des Hohenzollern, à Berlin, le portrait de la Reine en amazone, il est facile de se rendre compte de l'effet captivant que cette merveilleuse jeune femme dut produire sur un homme d'une trentaine d'années, préparé d'avance à s'extasier devant les charmes de sa royale hôtesse. On se plaisait dans l'entourage de la Reine à s'exagérer la puissance irrésistible de ses attraits ; on ne craignait pas d'affirmer que l'Empereur était follement épris : Le malheureux, disait Mme de Voss, est absolument enthousiasmé et ensorcelé par la Reine. Vous concevez, écrivait un diplomate prussien, que l'enchanteresse n'a pas peu contribué à resserrer les liens qui unissent actuellement les deux princes. C'est une fée qui soumet tout au pouvoir de ses enchantements[134].

Que le Tsar l'eût trouvée jolie, ce n'est pas douteux. Il ne pouvait la juger autrement. Qu'il lui eût prodigué les hommages les plus flatteurs, peut-être les plus tendres, c'est fort probable. Mais il n'était cependant pas arrivé à cet état de frénésie qu'on aurait désiré lui voir. Un témoin oculaire estime que l'exaltation se produisit seulement du côté de la Reine. Ainsi pense le prince Czartoryski, à qui il faut emprunter, pour le rapporter sans commentaires, le récit des petites intrigues dont le Tsar était environné : Ce fut à cette première entrevue de Memel que commença la coquetterie platonique établie entre l'empereur de Russie et la reine de Prusse, genre de relations qui plaisait particulièrement à Alexandre et auquel il était toujours prêt à sacrifier beaucoup de temps. Il était bien rare que la vertu des dames dont ce prince était occupé se trouvât réellement en danger. La Reine était toujours accompagnée de sa sœur favorite, la princesse de Salm, dont la chronique scandaleuse parlait beaucoup. Elle rendait l'étiquette moins sévère, égayait la conversation, répandait plus de familiarité dans la société intime. Elle était une confidente parfaite des secrètes pensées de sa sœur ; elle l'eût été même de ses actions, si on l'avait voulu. A la suite de l'une des entrevues avec la Cour de Prusse, l'Empereur, qui alors était fort épris autre part, me raconta qu'il avait été sérieusement alarmé par l'arrangement des chambres qui communiquaient avec la sienne et que pendant la nuit il s'enfermait à double tour pour que l'on ne vint pas le surprendre et l'induire à des tentations trop dangereuses qu'il voulait éviter. Ille déclara même tout bonnement aux deux princesses avec plus de franchise que de galanterie et de courtoisie[135].

Après avoir donné galamment son adhésion aux agrandissements de la Prusse, Alexandre quitta Memel le 16 juin. Il avait différé son départ sur les instances les plus pressantes du roi et surtout de la reine de Prusse : Il n'y a, dit le comte Kotchoubey, ministre des Affaires Étrangères de Russie, qui accompagnait son maitre, il n'y a sortes d'attentions, de complaisances, de courtoisies, dont ou ne se soit servi pour lui plaire, et cela n'a pas été en vain[136].

Les échos de ces instants heureux se retrouvent également dans une lettre de la reine Louise à son frère, à qui elle dit : L'entrevue de Memel a été divinegöttlich. Puis, affirmant dès ce moment ses préférences politiques et son ingérence dans les affaires, elle ajoute : Tout, à Memel, allait et marchait à souhait et ira toujours ainsi[137].

Hélas ! pour la pauvre Reine, il ne devait pas toujours en aller ainsi. Le sort des empires et des royautés est plus difficile encore à fixer que le cœur d'un jeune souverain. Quatre années à peine se seront écoulées que de ce rêve enchanteur de la grandeur prussienne, rendue indestructible par l'alliance russe, il ne restera que la misère d'une fuite affolée sous la poursuite des Français victorieux. Rejetée par l'ouragan de la défaite dans cette même et obscure bourgade de Memel, la Cour de la belle princesse ne sera qu'un foyer de pauvreté où, chaque soir, on se demandera quelle partie de la vaisselle d'argenterie il faudra vendre pour vivre le lendemain. De la splendeur entrevue dans le rêve évoqué par les agrandissements de puissance, il ne restera presque pour tout royaume que cette morne Allée des Tilleuls de Memel, où la reine Louise chevauchait naguère triomphalement aux côtés du jeune et puissant monarque subjugué par ses invincibles charmes.

 

 

 



[1] Archives royales prussiennes, publiées par Paul BAILLEU, secrétaire des Archives royales. Prusse et France, I, 168.

[2] Archives nationales, A. F. III, 230.

[3] Archives royales prussiennes, etc., I, 72.

[4] Archives royales prussiennes, etc., I, 120.

[5] Archives royales prussiennes, etc., I, 121.

[6] Archives royales prussiennes, etc., I, 124.

[7] Mémoires de Barras, II, 372.

[8] MIRABEAU, Histoire secrète de la Cour de Berlin, I, 217.

[9] MIRABEAU, Histoire secrète, etc., I, 237 ; II, 134.

[10] Archives nationales, A. F., III, 76.

[11] Archives nationales, A. F., III, 76.

[12] Archives nationales, A. F., III, 76. Lettre de Parandier.

[13] Vertraute Briefe über die innern verhöltuisse am prenssischen Hofe seit dem Tode Friedrichs II, I, 69.

[14] MIRABEAU, Histoire secrète, II, 229 ; Mémoires de la comtesse de Lichtenau, p. 175.

[15] H. DE SYBEL, Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, I, 466.

[16] MIRABEAU, Histoire secrète, I, 256.

[17] Vertraute Briefe, etc., I, 94-96 ; Mémoires de la comtesse de Lichtenau, 177-179.

[18] Archives royales prussiennes, etc., II, 614.

[19] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, V, 233.

[20] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, V, 284.

[21] Société impériale d'histoire russe, t. XLIV ; Lettres de Grimm à Catherine II, P. 547.

[22] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, V, 285.

[23] VIVENOT, Thugut, Clerfayt und Wurmser, Wien, 1869 ; Archives impériales russes, LXX ; TRATCHEWSKI, Russie et France à l'époque de Napoléon Ier, 631.

[24] Archives du ministère des Affaires étrangères. Correspondance de Caillard.

[25] Albert SOREL, l'Europe et la Révolution française, II, 26 et 156.

[26] Archives du ministère des Affaires Etrangères, rapports de Caillard ; A.-H. DAMPMARTIN, maréchal de camp, Mémoires sur divers événements de la Révolution et de l'émigration, passim.

[27] Archives du prince Worontzoff, XI, 7 ; DAMPMARTIN, op. cit., p. 374-394.

[28] Archives du prince Worontzoff, XI, 5.

[29] Archives du prince Worontzoff, XI, 21.

[30] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. VI, 143.

[31] Archives royales prussiennes, etc., I, 182.

[32] Archives royales prussiennes, etc., I, 195-196.

[33] Archives royales prussiennes, etc., I, 208.

[34] Archives royales prussiennes, etc., I, 211.

[35] Archives royales prussiennes, etc., I, 218.

[36] Archives royales prussiennes, etc., I, 263.

[37] Archives royales prussiennes, etc., I, 350.

[38] Archives royales prussiennes, etc., I, 347.

[39] Archives royales prussiennes, etc., II, 228.

[40] Mémorial de Sainte-Hélène, I, 53.

[41] Mémoires d'un homme d'État, etc., VIII, 18.

[42] Voyez : Albert SOREL, l'Europe et la Révolution ; Frédéric MASSON, le Département des Affaires étrangères pendant la Révolution.

[43] Archives nationales, A. F., IV, 1690 ; Archives royales prussiennes, etc., I, 351.

[44] Archives royales prussiennes, etc., I, 351.

[45] Archives du ministère des Affaires étrangères, Prusse, 226, 184. Rapport de Bignon.

[46] Archives royales prussiennes, etc., I, 352.

[47] Journal de Paris du 8 nivôse an VIII.

[48] Archives royales prussiennes, etc., I, 288-289.

[49] Archives nationales, A. F., IV, 1690.

[50] Archives royales prussiennes, etc., I, 353.

[51] Albert SOREL, l'Europe et la Révolution, I, 339 ; III, 244, 245, 261, 344, 367, 473, 476 ; Archives royales prussiennes, etc., I, 172-174.

[52] Correspondance de Napoléon Ier, VI, 101.

[53] Archives royales prussiennes, etc., I, 366.

[54] Archives royales prussiennes, etc., I, 370.

[55] Archives du ministère des Affaires Étrangères, Prusse, 191.

[56] Archives du ministère de la Guerre.

[57] F. DE MARTENS, Recueil des traités et conventions conclus par la Russie, VI ; Allemagne, p. 268.

[58] Archives royales prussiennes, etc., I, 375.

[59] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, etc., VI ; Allemagne, p. 284.

[60] Archives royales prussiennes, etc., I, 388.

[61] Archives royales prussiennes, etc., I, 382.

[62] Archives royales prussiennes, etc., I, 383-383.

[63] Archives du ministère des Affaires étrangères. Correspondance de Bournonville.

[64] Archives du ministère des Affaires Étrangères. Correspondance Bournonville.

[65] Archives de la Guerre. (Cette pièce y figure sous la date du 7 thermidor au VIII.)

[66] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, etc., VI ; Allemagne, p. 269.

[67] Journal de Paris du 30 germinal an IX.

[68] Archives impériales russes, publiées par la Société impériale d'histoire russe, LXX, 161 ; TRATCHEWSKI, Russie et France.

[69] E. DAUDET, les Bourbons et la Russie pendant la Révolution, p. 215, etc. ; Mémoires d'un homme d'État, VII, 439 ; J.-B. SALGUE, Mémoires pour servir à l'histoire de France, III, 505.

[70] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, V, 279 ; Journal de Paris des 11, 21 et 27 frimaire an IX.

[71] Archives du ministère des Affaires Étrangères. Correspondance de Bourgoing.

[72] Archives de la Guerre.

[73] Archives du ministère des Affaires Étrangères, le préfet du Bas-Rhin an ministre des Relations Extérieures, Strasbourg, 10 ventôse an IX.

[74] Journal de la maison de Kolitscheff, 363 ; comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VI, 280 ; Journal de Paris du 27 frimaire an IX ; TRATCHEWSKI, France et Russie, I, 670.

[75] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 76.

[76] Alex. DE BAUCHAMP, Mémoires secrets, t. II, 184.

[77] Correspondance de Napoléon Ier, VII, 50.

[78] Albert SOREL, l'Europe et la Révolution, III, 261.

[79] TRATCHEWSKI, France et Russie, I, 676 ; Mémoires d'un homme d'État, VII, 458, 479 ; VIII, 62, 74 ; Mémorial de Sainte-Hélène, O'MÉARA, 382.

[80] Serge TATISTCHEFF, Alexandre Ier et Napoléon, 16.

[81] Archives royales prussiennes, etc., I, 392.

[82] Archives royales prussiennes, etc., II, 3, 4, 5.

[83] Archives royales prussiennes, etc., II, 11.

[84] MASSENBICH, Historische Denkwürdigkeiten, I, 25.

[85] COLMAR VON DER GOLTZ, Rosbach et Iéna, 323.

[86] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, VI ; Allemagne, 295.

[87] BIGNON, Histoire de France depuis le 18 Brumaire jusqu'au traité de Tilsitt, I, 417.

[88] Archives impériales russes, etc., LXX, 672.

[89] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 126.

[90] Archives royales prussiennes, etc., II, 44.

[91] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 199-200.

[92] Archives royales prussiennes, etc., II, 40.

[93] Archives nationales, A. F., IV, 1690.

[94] Correspondance de Napoléon Ier, VIII, 474.

[95] Archives du ministère des Affaires Étrangères, III ; Hédouville à Talleyrand.

[96] Archives royales prussiennes, etc., II, 78.

[97] Archives royales prussiennes, etc., II, 68.

[98] Archives royales prussiennes, etc., II, 82.

[99] Archives impériales russes, etc., LXX, 347.

[100] Archives du ministère des Affaires Étrangères ; Talleyrand à Hédouville, 4 juin 1802 ; S. TATISTCHEFF, Alexandre Ier et Napoléon, p. 3.

[101] Archives royales prussiennes, etc., II, 219.

[102] Archives du prince Worontzoff, VIII, 258-269.

[103] Armand LEFEBVRE, Histoire des cabinets de l'Europe pendant le Consulat et l'Empire, I, 222, 223 ; BIGNON, II, 309, 311.

[104] Archives royales prussiennes, etc., II, 71

[105] PICHOT, Souvenirs intimes sur Talleyrand, 166.

[106] Correspondance de Napoléon Ier, VII, 474.

[107] Archives du prince Worontzoff, XVIII, 257.

[108] Archives du ministère des Affaires Etrangères, 141 ; Talleyrand à Hédouville.

[109] HIMLY, Formation territoriale de l'Europe centrale, II, 90-91.

[110] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VII, 266.

[111] Archives royales prussiennes, etc., II, 97 à 111.

[112] RANKE, Eigenhündige Memoiren des Staats Kanzlers Fürsten von Hardenberg, II, 30.

[113] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, VI, 287.

[114] Archives impériales russes, etc., LXX, 382.

[115] Mémoires d'un homme d'État, VIII, 239.

[116] Archives royales prussiennes, etc., II, 93 à 95.

[117] Souvenirs du duc de Vicence, I, 182.

[118] Archives impériales russes, etc., LXX, 443.

[119] Archives impériales russes, etc., LXX, 679.

[120] Journal de Paris du 8 germinal an IX.

[121] BIGNON, I, 433 et suivantes ; Armand LEFEBVRE, I, 133.

[122] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, XI ; Angleterre, 6.

[123] Vertraute Briefe, etc., I, 147.

[124] MONTHOLON, Récits de la captivité, II, 31.

[125] Joseph DE MAISTRE, Mémoires, 271.

[126] Mémoires du prince Adam Czartoryski, I, 253 et suivantes.

[127] CZARTORYSKI, Mémoires, I, 259 et suivantes ; Armand LEFEBVRE, I, 35 à 38.

[128] DESMAREST, Témoignages historiques, p. 75 ; J.-B. SALGUE, Mémoires pour servir à l'histoire de France, IV, 85.

[129] Archives du prince Worontzoff, XVIII, 246.

[130] F. DE MARTENS, Recueil des traités de la Russie, XI ; Angleterre, 23 et 24.

[131] Comte DE GARDEN, Histoire des traités de paix, X, 214.

[132] Archives du prince Worontzoff, XVIII, 278.

[133] Comtesse DE VOSS, Neunundsechszig Jahre am preussischen Hofe, 242 ; ADAMI, Luise Königin von Preussen, 119.

[134] Archives royales prussiennes, etc., II, 104.

[135] Mémoires du prince Adam CZARTORYSKI, I, 203-296.

[136] Archives du prince Worontzoff, XVIII, 275.

[137] HORN, Das Buch von der Königin Luise, 110.