NOUVELLES RECHERCHES SUR LE CALENDRIER DES ANCIENS ÉGYPTIENS

 

PREMIER MÉMOIRE. — DE L'ANNÉE VAGUE EN ÉGYPTE ET DU LEVER HÉLIAQUE DE SIRIUS.

 

 

§ I. — BASES PRINCIPALES DE LA THÉORIE DE BAINBRIDGE.

Je vais exposer d'abord les bases sur lesquelles, dans la théorie de Bainbridge, reposent et l'année vague des Égyptiens, et son rapport avec le lever héliaque de Sirius. Je discuterai ensuite la valeur des objections qui ont été élevées contre l'influence attribuée à ce phénomène astronomique sur le calendrier égyptien. Je confirmerai enfin la doctrine de Bainbridge par de nouvelles preuves historiques.

La nature de l'année vague égyptienne, sous les Ptolémées, est clairement exposée par Géminus, auteur d'un traité d'astronomie.qui a dû être écrit vers l'année 70 avant notre ère. C'est la plus ancienne autorité historique qu'on puisse alléguer.

Cet auteur dit, au chapitre des mois[1] : Les Égyptiens suivent une méthode qui est le contraire de celle des Grecs. Ils ne règlent [-10-] ni les années sur le soleil, ni les mois et les jours sur la lune.

Ils veulent que les sacrifices aux dieux, au lieu d'être célébrés toujours à la même époque de l'année, parcourent toutes les saisons ; en sorte que la même fête, qui a été célébrée en été, le soit tour à tour en hiver, en automne et au printemps. Aussi, ils font l'année de 365 jours, puisqu'ils la composent de 12 mois de 30 jours chacun, auxquels ils ajoutent 5 jours ; mais ils n'ajoutent point en sus le quart de jour, pour la raison qui vient d'être dite, c'est-à-dire pour que les fêtes rétrogradent. Car, en quatre ans, elles retardent d'un jour par rapport au soleil ; en quarante ans de dix jours, et il s'en faut d'autant de jours que les fêtes arrivent dans les mêmes saisons de l'année ; en 120 ans, la différence est d'un mois entier..... En 1460 ans, chaque fête parcourt toutes les saisons pour revenir à la même.

Ce passage classique indique très-nettement le vrai caractère de l'année égyptienne vague, dans laquelle on croyait que le 1er thoth fait le tour du ciel en 1460 ans de 365 jours ¼. Dans la suite du passage, qui sera examinée en son lieu, on voit qu'Ératosthène, sous le règne de Ptolémée Philadelphe, avait parlé de cette même année vague et de ses propriétés dans son traité de l'octaétéride.

Ce que dit Géminus du motif que les Égyptiens eux-mêmes donnaient à l'emploi de l'année vague est d'accord avec un autre passage célèbre, celui du scholiaste de Germanicus, qui atteste que : les rois égyptiens, en montant sur le trône, étaient forcés de venir dans le temple d'Isis jurer de maintenir la forme de l'année en n'intercalant ni un mois, ni un jour, afin que les fêtes passassent dans les 365 jours, comme [-11-] cela a été établi par les anciens[2] ; d'où il résulte que le déplacement des fêtes, comme l'a déjà dit Géminus, tenait à un principe religieux, devenu comme une loi de l'État, dans les anciens temps (ut institutum est ab antiquis). Ce n'était pas là une institution nouvelle.

On n'a pas remarqué cette particularité du temple d'Isis, où les rois venaient prêter serment de respecter la forme du calendrier. Pourquoi prendre Isis à témoin du serment plutôt que tout autre dieu ou déesse ? C'est que le calendrier était sous la protection spéciale de cette divinité ; et cela, par la raison que l'étoile du Chien ou Sothis, qui lui fut consacrée dans tous les temps, était l'astre régulateur de l'année.

Ce fait du serment prêté par les rois n'est pas indiqué par Géminus ; son texte prouve seulement que la restitution du 1er thoth au même point de l'année se faisait en 1461 années vagues ; mais il ne nous apprend nullement ni quel était, dans l'ordre des temps, le point où s'opérait cette restitution, ni si le renouvellement était rattaché à quelque phénomène céleste.

Ces deux autres faits sont mis hors de doute par une suite de renseignements qui concordent entre eux de la manière la plus frappante. Le premier est fourni par le célèbre passage de Censorin, auteur qui écrivait dans la première moitié du IIIe siècle de notre ère. Cet auteur nous présente en peu de mots toute l'économie du calendrier égyptien, dont Géminus ne nous a donné qu'un seul trait. D'abord il s'exprime sur l'année vague des Égyptiens comme l'a fait Géminus : Leur année civile n'a que 365 jours, sans aucune intercalation ; c'est pourquoi, chez eux, un espace de quatre ans est moindre d'environ un jour que le même espace dans l'année naturelle [-12-] ; d'où il résulte qu'à la 1461e année le commencement revient au même point[3].

Ce même point initial, il l'indique non moins clairement en disant que cette période de 1461 années est appelée en latin annus caniculani, en grec κυνικός ένιαυτός, parce que son commencement a lieu quand, au premier du mois que les Égyptiens appellent thoth, l'étoile de la canicule se lève[4].

Censorin complète cette importante donnée dans un autre passage, où il dit : Un renouvellement de la période a eu lieu sous le deuxième consulat d'Antoninus Pius, et sous celui de Bruttius Præsens, le 12 des calendes d'août, jour auquel la canicule opère habituellement son lever en Égypte[5]. D'après ces autorités réunies, on voit que l'année vague égyptienne roulait dans une période de 1460 ans de 365 jours ¼, et, de plus, que cette période s'est renouvelée l'an 139 de notre ère ; donc elle avait commencé l'an 1322 avant cette ère. L'on peut immédiatement contrôler ce résultat historique. Car, s'il est juste, il faut : 1° que les concordances juliennes de l'année vague tirées des auteurs soient conformes à ce qui résulte du texte de Censorin ; 2° que le 20 juillet, en 139 et en 1322, ait été marqué par un lever de Sirius. Or ces deux faits sont clairement établis par la double autorité de l'histoire et du calcul.

[-13-]Quant à la concordance. Théon d'Alexandrie nous apprend que le calendrier fixe établi par ses compatriotes l'a été l'an V d'Auguste, qui correspond à l'an 25 avant notre ère. Cette année fixe a conservé entièrement la forme de l'ancienne, excepté qu'on a ajouté, tous les quatre ans, un jour de plus à la suite des cinq épagomènes. Ce fut donc la même année que l'année julienne, établie vingt ans auparavant, à la seule différence de la place du jour intercalaire.

Or un texte du même Théon et un autre d'Héraclius établissent que l'année fixe commençait le 29 août julien dans les années communes, et le 30 dans les années intercalaires. D'où vient cette bizarre concordance ? Uniquement de ce que, lors de l'établissement de l'année fixe, le 1er thoth, par le roulement de l'année vague, était fortuitement le 29 août.

Maintenant, si l'on part du passage de Censorin, qui fixait le 1er thoth au 20 juillet julien, l'an 139 de notre ère, et que l'on dresse une table de concordance pour les années antérieures jusqu'à l'an v d'Auguste, 164 ans auparavant, on trouve qu'en effet, dans cette année, le 1er thoth vague est tombé le 29 août, et cette même table de concordance répond à toutes les dates des observations astronomiques données dans l'Almageste en dates égyptiennes. L'évidence est complète.

Quant au lever héliaque. Il reste encore à vérifier l'autre donnée importante de Censorin, à savoir que la période de 1461 ans était bien, comme il le dit, une période caniculaire ou sothiaque, c'est-à-dire que son renouvellement coïncidait avec le retour du i er thoth au lever héliaque de Sirius, qui eut lieu le 20 juillet de l'an 139 de notre ère. Ce fait historique est vérifié et confirmé par tous les calculs. Censorin dit que ce lever héliaque eut lieu le 20 juillet de l'an 139 de notre ère (ut solet), expression qui montre que ce lever avait lieu habituellement [-14-] à cette époque. Greaves et le père Petau ont les premiers vérifié ce témoignage. Ils ont trouvé par le calcul, non-seulement que le lever héliaque a eu lieu le 20 juillet 139, mais encore qu'au renouvellement de la période, en 1322 avant J. C., le lever héliaque eut aussi lieu le 20 juillet (admirabiliter contigit)[6]. De ces calculs résultait déjà la preuve que le lever héliaque de cette étoile revient après une période qui diffère extrêmement peu de 365 jours ¼[7], ou de la durée de l'année julienne.

Depuis, au moyen de calculs fondés sur les tables les plus exactes, de savants astronomes, MM. Ideler, Fourier et Biot[8], ont constaté la justesse de cette coïncidence, non-seulement pour l'année 1322, mais encore pour le point initial de la période sothiaque antérieure, en 2782, époque à laquelle le lever héliaque eut également lieu le 20 juillet. Il a même été reconnu que la coïncidence existe pour les six ou sept siècles qui ont précédé cette époque[9]. Plus anciennement, elle n'avait pas lieu avec la même exactitude ; mais le phénomène s'écartait fort peu du 20 juillet. Il en a été de même après l'an 139 ; le lever héliaque s'est encore rencontré avec le 20 juillet pendant plusieurs siècles ; puis, il s'en est graduellement éloigné, mais avec une extrême lenteur, car, en 1599 de notre ère, époque d'un renouvellement de la période sothiaque, il eut lieu le 22 juillet, à Memphis, selon les calculs de M. Ideler[10].

Ainsi, pendant plus de quatre mille ans, depuis trois mille cinq cents ans avant notre ère jusqu'à plusieurs siècles après, le lever héliaque de Sirius eut lieu en Égypte, comme le dit [-15-] Censorin, constamment le 20 juillet. Le témoignage de Censorin se trouve donc établi par deux faits distincts dont la coïncidence est frappante : l'un, historique, est le point initial de l'année Alexandrine, au 29 août de l'an V d'Auguste ; l'autre, astronomique, est fondé sur un phénomène local, dont la constance presque invariable, comme les textes anciens l'affirment, a réglé le calendrier du pays.

Telles sont les bases générales du système de Bainbridge. Il y a là une si heureuse concordance dans les éléments de tout genre, textes et calculs astronomiques, qu'il est impossible que ce système ne soit pas la vérité. On ne s'étonne pas que des esprits aussi distingués que l'étaient Bainbridge, Petau, Fréret, Fourier et Ideler, s'y soient fortement attachés, malgré les objections qu'on pouvait y opposer et la difficulté d'y faire entrer un assez grand nombre de détails.

Il faudrait, en effet, que ces objections fussent bien sérieuses pour détruire un système dont les bases sont si solidement établies. A priori, on sera disposé à croire que les faits qu'on y oppose, ou manquent d'autorité, ou n'ont pas été bien entendus.

C'est ce qui résultera de l'examen que je vais faire de ces objections.

§ II. — OBJECTIONS FAITES AU SYSTÈME DE BAINBRIDGE ET RÉPONSE À CES OBJECTIONS.

Première objection tirée de la difficulté d'observer le phénomène.

On s'est appuyé, à cet égard, du témoignage de Nouet, astronome de l'expédition d'Égypte. Il déclare, en effet, que l'horizon de l'Égypte est constamment entouré d'une couche de [-16-] vapeur si épaisse, que les étoiles de deuxième et de troisième grandeur ont peine à la percer[11]. On en a conclu que l'étoile de Sirius ne pouvait être visible, lors de son lever héliaque, que quand elle s'était élevée de plusieurs degrés au-dessus de l'horizon, ce qui n'est point contestable. On dit qu'il n'est pas vraisemblable qu'un peuple ait pris pour point de départ un phénomène dont le véritable instant est si difficile à déterminer.

A mon avis cette difficulté n'en est pas une, bien loin de pouvoir être mise en balance avec les preuves de fait qui ont été indiquées plus haut.

Ce lever avait lieu tous les quatre ans, ou le 1461e jour, à la même heure, avec des circonstances atmosphériques qui, vu la constance du climat de l'Égypte, devaient être à peu près les mêmes, et parfaitement comparables. Ainsi, bien que l'astre ne fût visible que lorsqu'il était à quelques degrés au-dessus de l'horizon, la différence aurait été à très-peu près la même dans tous les levers héliaques, et la période de 365 jours ¼ en résultait nécessairement.

Ce phénomène céleste n'exigeait que des yeux attentifs. Sans doute, ce n'est pas après une ou deux tétraétérides qu'on pouvait en connaitre la durée régulière ; mais, que l'observation eût été répétée pendant un siècle ou deux, pendant vingt-cinq ou cinquante tétraétérides, c'était plus qu'il n'en fallait pour s'assurer que le lever héliaque revenait régulièrement après 365 jours ¼, puisqu'il retardait d'un jour entier après quatre ans de 365 jours[12].

[-17-] Je le répète, il y aurait, dans cette observation, une difficulté, même sérieuse, qu'il faudrait bien passer outre, et admettre que les Égyptiens l'avaient surmontée, puisqu'il est constant qu'à une époque quelconque ils ont parfaitement su que le lever héliaque revenait après 365 jours ¼. C'est là un fait matériel qu'on ne peut nier, à moins qu'il ne soit impossible ; or, bien loin de là, il est de l'ordre de ceux dont il est facile de se mettre en possession par l'observation la plus simple, pourvu qu'elle soit attentive et quelque temps répétée.

Que cette observation soit un fait primitif ou secondaire ; qu'il ait amené la détermination de l'année solaire à 365 jours ¼, ou que la connaissance de cette année ait amené celle de la période du retour héliaque de Sirius, c'est là ce qu'il importe peu de rechercher en ce moment. Ce point sera décidé plus tard ; je prends ici la période en elle-même.

Seconde objection, tirée de la différence d'époque du lever de Sirius pour les différents lieux.

La seconde objection parait, au premier abord, plus sérieuse ; aussi la réponse exigera-t-elle un peu plus de développement. Censorin, comme on vient de le voir, dit, en général, que le lever héliaque de Sirius arrive en Égypte (in Ægypto) le 20 juillet ; il ne dit pas sous quel parallèle. Pourtant il semble que cette indication serait bien nécessaire.

En effet, le moment du lever héliaque de l'astre varie nécessairement avec la latitude ; il retarde à mesure qu'elle augmente ; et, dans une vallée étroite et longue comme l'Égypte, qui occupe plus de 7° en latitude, la différence doit être considérable.

Ptolémée, dans son livre des Apparitions des fixes, donne le 21 épiphi, ou le 15 juillet, pour le moment du lever héliaque à Syène, et le 27 épiphi, ou 21 juillet, pour l'époque de ce [-18-] lever à Alexandrie ; ce qui établit sept jours de distance entre les deux points[13], conséquemment environ 1° de latitude pour chaque jour, en terme moyen. Sans le secours du calcul direct, on voit déjà que le lever de Sirius devait avoir lieu à Thèbes vers le 16 juillet, à Héliopolis ou à Memphis vers le 20.

C'est sur de telles différences que se fonde la seconde objection dont j'ai parlé ; on a trouvé fort difficile d'admettre que les Égyptiens eussent pris pour le point initial d'une année commune à toute l'Égypte un phénomène qui varie de six à sept jours dans l'étendue du pays[14].

Prise en dehors de toute autorité historique, l'objection paraît grave. Mais, comme il s'agit d'un fait attesté par un témoignage positif, que le calcul astronomique confirme, on peut encore se contenter de répondre à l'objection par le fait même, à moins qu'il ne soit d'une impossibilité complète. Mais l'on ne saurait y reconnaître ce motif d'exclusion, car on conçoit que, dès le moment que les Égyptiens, frappés de la régularité du phénomène, ont voulu y rapporter la marche de leur année vague, ils ont dû, de toute nécessité, convenir qu'ils choisiraient un seul des sept jours auxquels le lever héliaque arrive dans toute l'étendue de l'Égypte, c'est-à-dire qu'ils ont dû s'arrêter à une latitude constante, à celle, par exemple, de la capitale, ou de la ville principale du pays à l'époque quelconque de l'établissement du calendrier. C'est ainsi que, comme tous les méridiens terrestres peuvent être pris également pour point de départ de la longitude, il a fallu convenir de choisir un méridien entre tous.

[-19-] Il n'y a donc ici, au fond, ni invraisemblance ni difficulté. Au reste, l'idée de cette convention n'est pas une simple conjecture ; elle résulte naturellement de faits clairement établis, et c'est l'exposé de ces faits qui forme l'objet principal de ce premier mémoire.

Tous les calculs astronomiques prouvent que, pour les trois époques, en 139 après notre ère, en 1322 et 2782 avant cette ère, qui embrassent un intervalle de près de trois mille ans, le lever héliaque de Sirius a eu lieu constamment le 20 juillet, pour le même parallèle de 30 degrés, qui est celui de Memphis ou d'Héliopolis. Or cette uniformité dans les trois résultats ne peut être un effet du hasard. Elle lève déjà toute incertitude, car elle démontre que, pour les trois époques, le lever a toujours été rapporté à un seul et même parallèle, ce qui ne peut avoir eu lieu que par l'effet d'une convention.

On sait donc maintenant pourquoi Censorin, au lieu d'indiquer à quelle latitude précise se rapportait le lever de Sirius du 20 juillet, s'est contenté de la désignation vague in Ægypto ; or ce lever ne pouvait être rapporté au même jour que pour un même lieu, et en vertu d'une convention civile ou religieuse, consacrée par le temps, et reçue dans tout le pays (in Ægypto). Qu'il en fût réellement ainsi, le fait n'est point douteux ; car, dans toute l'Égypte, à Alexandrie comme à Memphis, à Thèbes comme à Syène, on se servait de la même année vague, partant du même point, ayant partout même concordance. Mais, à coup sûr, on savait parfaitement, dans chacune de ces villes, que ce lever, placé uniformément au 20 juillet, d'après l'année vague admise dans tout le pays, n'était qu'un lever fictif, le lever réel étant plus ou moins différent pour chacune de ces villes ; car c'était là un fait de simple observation qui ne pouvait échapper à personne. Le calcul direct, [-20-] d'accord avec les deux termes indiqués par Ptolémée, le montre clairement.

A Alexandrie, le lever héliaque tombe le 21 juillet[15], à Memphis ou Héliopolis le 20, à Thèbes le 16, à Syène le 15. Ainsi la date du 20 juillet ne convient absolument qu'au parallèle de Memphis ou d'Héliopolis.

Il est démontré, dès à présent, que le parallèle de ces deux villes était, pour la détermination du lever héliaque et le calendrier fondé sur ce phénomène, ce qu'est le premier méridien à l'égard des longitudes terrestres, c'est-à-dire un point convenu entre tous les autres.

Pour achever la démonstration historique du fait, j'entre maintenant dans un ordre de renseignements, jusqu'ici négligés, qui confirment le précédent résultat.

§ III. — QUE LA DATE CONVENTIONNELLE ADOPTÉE PAR LES ÉGYPTIENS POUR LE LEVER DE SIRIUS ÉTAIT EMPLOYÉE HORS DE L'ÉGYPTE.

Le témoignage de Censorin, si précis, vérifié par tant de preuves, n'est pas un renseignement isolé, comme on l'a cru. Le fait capital qu'il nous a conservé se retrouve sous diverses formes dans sept autres textes, qui embrassent un intervalle de plus de huit cents ans. On va voir que la date fictive ou conventionnelle du 19 au 20 juillet est à peu près la seule qui ait été employée, dans les livres d'astronomie, d'astrologie et de météorologie de l'époque grecque et romaine, comme dans le calendrier égyptien.

Texte de Géminus. C'est le premier en date et l'un des [-21-] plus importants, quoiqu'on n'en ait fait aucun usage dans cette discussion. Ce texte est tiré du calendrier ou parapegme qui termine l'opuscule de Géminus intitulé : Introduction aux phénomènes (célestes). Cet auteur florissait vers 60 à 70 avant Jésus-Christ ; mais le fait dont il s'agit remonte bien plus haut, puisque Géminus lui donne pour garant l'astronome Dosithée, qui observait dans l'Attique environ deux cent cinquante ans avant Jésus-Christ.

Pour qu'on apprécie au juste la portée de ce texte, il faut s'arrêter un instant sur une observation préliminaire.

Le calendrier de Géminus est analogue au traité de Ptolémée sur les Apparitions des fixes ; tous deux contiennent l'époque du lever et du coucher des astres principaux avec les prédictions météorologiques tirées des écrits des anciens astronomes. Dans celui de Géminus, les astronomes cités sont au nombre de six : Méton, Euctémon, Démocrite, Eudoxe, Callippe et Dosithée. C'est Eudoxe qui a fourni le plus d'indications, car il y est cité cinquante-sept fois ; viennent ensuite Euctémon, cité quarante-quatre fois ; Callippe, vingt-huit ; Démocrite, dix ; Dosithée, trois, et Méton une seule fois. Les parapegmes d'Euctémon et d'Eudoxe sont donc évidemment les deux sources principales de ce calendrier.

Il diffère de celui de Ptolémée en plusieurs points essentiels.

En premier lieu, dans le calendrier de Ptolémée, les noms des astronomes ne servent de garant qu'aux prédictions météorologiques, tandis que les époques des levers et des couchers des astres y sont indiquées sans la garantie d'aucun nom. Par exemple : le 27 athyr, à 14 h. ½, Antarès se lève, le Chien se couche le matin..... Vents fréquents du midi, selon les Égyptiens et Hipparque ; mauvais temps, selon Eudoxe et Conon, le reste de même. Dans Géminus, au contraire, les [-22-] noms des astronomes servent d'autorité, tantôt aux phénomènes astronomiques, tantôt aux prédictions météorologiques, tantôt enfin aux deux genres d'indications à la fois. Par exemple : le cinquième jour du Scorpion, suivant Euctémon, Arcturus se couche le soir, et de grands vents soufflent.

En second lieu, les époques des phénomènes astronomiques sont rapportées, dans Ptolémée, en même temps, aux cinq climats de demi-heure depuis Syène jusqu'à la côte nord du Pont-Euxin, et aux jours des mois de l'année fixe alexandrine.

Mais Géminus n'indique point la latitude des observations. Son calendrier a été rédigé pour la Grèce et l'Asie Mineure ; la latitude résulte seulement du nom de l'astronome cité. Tout le monde savait que Méton, Euctémon et Dosithée avaient observé dans l'Attique ; Callippe, près de l'Hellespont ; Eudoxe, à Cnide et à Rhodes[16].

La principale différence qui distingue ce calendrier de celui de Ptolémée consiste en ce que les phénomènes y sont rapportés non pas aux jours d'aucun calendrier civil en particulier, mais aux jours que le soleil emploie à parcourir chaque signe zodiacal, en partant du solstice d'été, placé au premier jour du Cancer.

Le nombre de jours attribué à chaque signe est conforme à la théorie d'Hipparque sur l'inégalité du soleil ; c'est-à-dire que Géminus donne, comme cet astronome, 94 jours au printemps, 92 ½ à l'été, 88 1/8 à l'automne, 90 1/8 à l'hiver[17].

Après cette observation préliminaire, j'arrive au texte de [-23-] Géminus, dont il sera facile à présent de comprendre toute la valeur. A l'article du signe du Cancer, on lit : Le vingt-troisième jour, selon Dosithée, le Chien devient visible en Égypte. (Έν τή Κγ', Δοσιθέω, έν Αίγύπιω κυών έκφανής γίνεταί.) Ce passage est remarquable à plus d'un titre.

En premier lieu, le pays auquel se rapporte le lever héliaque du Chien, le vingt-troisième jour du Cancer, n'est indiqué que d'une manière vague, absolument comme il l'est dans Censorin. Dosithée avait dit Έν Αίγύπιω, justement comme Censorin in Ægypto, et certainement par la même raison, c'est-à dire, parce qu'il s'agissait du lever conventionnel, reconnu le même dans toute l'Égypte.

Et la preuve qu'il en est ainsi, c'est que le vingt-troisième jour du Cancer, pour un observateur athénien, répond justement au 20 juillet : En effet nous savons que Méton et Euctémon ont observé le solstice d'été le 27 juin proleptique de l'an 432[18]. Quoique cette détermination ne fût pas parfaitement exacte, puisqu'elle était en erreur d'un jour selon Cassini[19], d'un jour et demi selon M. Ideler[20], elle joua un certain rôle dans l'astronomie avant Hipparque, et Ptolémée lui-même en fit usage dans son calcul de l'année[21]. Nul doute qu'elle ne fût admise par Dosithée, qui observait à Colone en Attique, environ un siècle avant Hipparque. Or, si au 27 juin on ajoute vingt-trois jours, on tombe sur le 20 juillet ; ainsi Dosithée mettait le lever héliaque, en Égypte, au même jour que Censorin. Il n'indique [-24-] pas plus que lui le parallèle auquel ce lever convenait ; c'est qu'il était bien entendu que, dans toute l'Égypte, on ne reconnaissait d'autre époque de lever que celle du 20 juillet.

Ce passage de Géminus est également considérable sous un autre rapport. J'ai dit tout à l'heure que le nom du pays auquel se rapportent les levers des étoiles n'est indiqué qu'une seule fois dans le calendrier de Géminus ; et c'est justement en cette circonstance où il s'agit du lever héliaque de Sirius. N'est-il pas bien extraordinaire, en effet, que, dans un calendrier dressé évidemment pour la Grèce dans le IIIe siècle avant notre ère, on ait inséré, par une exception unique, la date du lever du Chien en Égypte ? Dosithée ne peut y avoir été conduit que par l'extrême intérêt que les Grecs eux-mêmes portaient à l'apparition du phénomène, le jour où il se produisait en Égypte. A quoi tenait cet intérêt ? C'est ce que les rapprochements suivants feront connaître.

Selon le témoignage de Pline, Eudoxe croyait que les vicissitudes de température revenaient les mêmes après quatre ans révolus (quadriennio exacto). Cette période quadriennale était appelée, chez les Romains, le lustrum d'Eudoxe. Ce lustrum se renouvelait dans une année intercalaire, au lever de la canicule (Et est principium lustri ejus [Eudoxi], semper intercalari anno, canicula ortu)[22]. Ce passage sera joint, dans la section suivante, à plusieurs autres qui attestent l'existence, dans l'ancienne Égypte, d'une année fixe analogue à l'année julienne. Ici je ne considère que la période météorologique, dont le retour était marqué par le lever héliaque de Sirius.

Cette période, introduite en Grèce par Eudoxe, avait été adoptée, selon Columelle[23], par les personnes qui s'occupaient [-25-] d'astronomie. Elle était censée ramener les mêmes phénomènes dans un espace de 1461 jours (ou de quatre années de 365 jours ¼), quadriennio exacto, comme a dit Pline. Après cet intervalle, le soleil revenait aux mêmes points du zodiaque ; ce qui indique clairement une année de 365 jours, avec intercalation d'un jour tous les quatre ans. Cette restitution est appelée par Columelle άποκατάσιασις, qui est, en effet, le mot propre pour désigner en grec le renouvellement d'une période quelconque. Son identité avec le lustrum d'Eudoxe est évidente.

Pline, dans un autre passage, parle encore de cette période de quatre ans, qui ramenait, disait-on, les mêmes circonstances atmosphériques : Indicandum et illud, tempestates ipsas ardores suos habere quadrimis annis[24].

L'influence météorologique qu'on attribuait à Sirius est encore prouvée par l'auteur du traité des hiéroglyphes, publié sous le nom d'Horapollon. Il y est dit que cet astre passe pour dominer tous les autres, parce qu'il parait à son lever tantôt plus grand, tantôt moindre, tantôt plus brillant, tantôt plus terne, et qu'on en tire alors des pronostics relativement à tout ce qui doit arriver dans l'année[25]. On trouve à peu près la même chose dans les fragments astrologiques du Thébain Héphestion. Lorsqu'à son lever, dit-il, Sirius est couleur d'or, c'est un pronostic heureux de tout point ; il annonce que toutes les productions viendront en abondance, que la crue des eaux, que leur retraite se feront convenablement, en temps utile, etc.[26] On en tirait aussi des prédictions astrologiques, άποτελέσματα. Ce mélange d'astrologie judiciaire est, à coup sûr, d'une époque plus récente que le temps d'Eudoxe et de Dosithée. Du moins, dans le passage de Pline, rien ne [-26-] montre que la période fût employée à autre chose qu'à des prédictions météorologiques, qui, en tout temps, ont obtenu une grande importance dans l'astronomie et l'agriculture des Grecs.

Cette tétraétéride, tout égyptienne, n'a rien de commun avec d'autres superstitions dont Sirius a pu être l'objet en d'autres pays. Cet astre, par son éclat extraordinaire, a de tout temps attiré l'attention des hommes ; son apparition, qui concourt avec la venue des grandes chaleurs, a dû être souvent et en divers lieux comptée au nombre des phénomènes célestes les plus significatifs. Au dire du poète Manilius, lorsque l'époque du lever de l'astre approchait, les peuples des environs du Taurus montaient sur les sommets les plus élevés pour l'apercevoir plus tôt, comme faisaient les Juifs, comme font encore les mahométans, qui montent sur les hauteurs à l'approche de la nouvelle lune. C'est à qui en apercevra le premier le croissant. Les circonstances diverses de l'apparition de Sirius donnaient lieu de prédire l'abondance ou la disette, la température, les maladies, les alliances et les guerres[27]. Cette même étoile était l'objet d'un culte particulier dans l'île de Céos. Au témoignage d'Héraclide de Pont, les habitants épiaient le moment du lever de cette étoile, et, selon qu'elle se montrait plus ou moins éclatante ou voilée, dans un ciel pur ou chargé de vapeurs, ils en concluaient que l'année serait bonne ou mauvaise[28]. Ils sacrifiaient à cet astre[29], qui tenait une grande place dans leurs traditions locales, et particulièrement dans le mythe d'Aristée[30] ; de là l'image de Sirius [-27-] ou du Chien radié qui se voit sur les médailles de Céos et de ses trois villes, Julis, Carthœa et Coressia[31].

Ce sont là les seuls indices qui subsistent maintenant d'un rôle particulier assigné à l'astre de Sirius dans les usages religieux de la Grèce. Peut-être d'autres villes ou d'autres peuples n'y restèrent-ils pas étrangers ; mais, en me bornant aux seuls faits qui me soient connus, on voit que ce rôle n'a rien de commun avec celui qu'on assignait à Sirius dans la tétraétéride égyptienne, puisque cet astre n'avait là aucun caractère mythique ou religieux, et n'était absolument qu'un phénomène céleste éclatant, servant de point de départ à une période météorologique.

Et c'est ce qui nous explique l'importance que les auteurs de calendriers ou de parapegmes, comme Dosithée, attachaient, en Grèce même, au lever héliaque, le jour où il se produisait en Égypte, c'est-à-dire le 20 juillet. De même que, dans toute l'étendue de ce pays, on s'arrêtait à l'époque du lever sous le parallèle de Memphis, ainsi, en Grèce, comme en Italie, pour le point initial de la tétraétéride météorologique empruntée à l'Égypte, on prenait le jour auquel ce phénomène était censé arriver dans ce pays. C'était également, pour ces contrées, un lever fictif, non réel.

Cette conséquence, que je tire du passage de Géminus, pourra paraître exagérée, invraisemblable même, comme elle me l'a paru d'abord. Mais les faits suivants ont dissipé mes doutes. Ils m'ont prouvé qu'encore ici l'invraisemblable est vrai.

[-28-]Texte de Pline. — Je viens de montrer que la fixation du lever héliaque de Sirius, 23 jours après le  solstice, donne la date égyptienne rapportée au solstice que Méton et Euctémon ont observé le 27 juin 432.

Je retrouve cette même date dans Pline, qui l'avait tirée certainement de quelque parapegme grec ; mais, selon son usage, il confond des données différentes sans paraître se douter qu'elles sont contradictoires.

Ainsi il place le solstice d'été le VIII des calendes de juillet, ou le 24 juin, conformément au calendrier de Jules César[32], ce qui ne l'empêche pas de compter, comme Dosithée, 23 jours seulement pour l'intervalle entre le solstice et le lever héliaque de Sirius, sans faire mention de l'Égypte. Cette date, d'après l'époque solsticiale qu'il adoptait, tomberait le 16 juillet, ou 4 jours trop tôt pour l'Égypte moyenne. Pline ne voit pas que cet intervalle de 23 jours n'est exact que pour un autre temps que le sien et pour une autre contrée que l'Italie.

Ailleurs il fixe l'époque du phénomène au xv des calendes d'août, ou le 18 juillet, par suite de la même erreur ; et il ajoute qu'à ce jour le soleil occupe le 1er degré du Lion[33], ce qui est vrai dans le calendrier de Jules César qu'il suivait. César[34], comme on sait, et par une raison que l'on ne connaît pas bien encore, plaçait les solstices et les équinoxes au 8e degré des signes[35]. En partant du 8e degré du Cancer, le 23e jour répond en effet au 1er degré du Lion.

Pline est si loin de penser que cet intervalle de 23 jours se [-29-] rapporte à l'Égypte, que, deux lignes après, il met le lever de Sirius, en Égypte, le IV des nones de juillet, ou le 4 de ce mois[36] ; c'est 16 jours trop tôt ; et celui de cet astre en Italie, le 16 des calendes d'août, c'est-à-dire le 17 juillet, ce qui est également 16 jours trop tôt.

Les Latins, qui n'étaient point observateurs, ont bien souvent mêlé ou mal compris les données contenues dans les anciens parapegmes grecs. C'est ainsi qu'Ovide[37] a pris pour une étoile le Milan (Milvius, Ίκτΐνος), dont l'apparition, dans les parapegmes d'Euctémon, d'Eudoxe et de Callippe, était marquée 8 jours ou 1 jour seulement avant l'équinoxe[38]. Ovide a souvent confondu les divers levers des astres, et même il lui est arrivé de prendre l'époque de leur lever pour celle de leur coucher[39].

C'est par cette confusion des lieux et des temps qu'on explique toutes les différences qui se trouvent dans les autres indications des auteurs latins, relativement au lever héliaque de Sirius. Par exemple, Columelle le place le vu des calendes d'août[40], c'est-à-dire le 26 juillet, environ 30 jours après le solstice. Cette indication semblerait se rapporter à l'Italie, d'après les paroles de Columelle ; mais elle se rapporte réellement à l'île de Rhodes et aux côtes méridionales de la Grèce et de l'Asie Mineure[41] ; car, indépendamment du calcul, le témoignage de Géminus établit que, pour l'île de Rhodes, dans laquelle tout indique qu'il écrivait, Sirius se levait héliaquement [-30-] 30 jours après le solstice[42]. Dans le reste de la Grèce, l'astre se levait le 28 ou le 29 juillet, c'est-à-dire lorsque le soleil occupait le 1er degré du Lion, le colure du solstice étant supposé au 1er degré du Cancer, selon l'astronomie d'Hipparque. Aussi, dans le parapegme de Géminus, nous voyons qu'Euctémon, qui observait en Attique, faisait correspondre le lever héliaque de Sirius avec l'entrée du soleil dans le Lion, ce qui donne le 31e jour après le solstice[43].

Pour les Grecs comme pour les Romains, la correspondance du lever de Sirius avec le commencement du signe du Lion était, en général, exacte. Aussi la trouvons-nous indiquée dans un grand nombre d'auteurs, tels que Manilius[44], Sénèque le tragique[45], Solin[46], Julius Firmicus Maternus[47].

Mais, pour les Égyptiens, ce lever, tombant au 20 juillet, avait toujours lieu lorsque le soleil occupait les derniers degrés de la dodécatémorie du Cancer.

Cette observation, sur laquelle j'aurai à revenir plus tard, mènera tout naturellement à l'explication de plusieurs passages qu'on n'a pu comprendre.

Texte de Diophane. Un troisième exemple de cette fixation m'est fourni par un passage de Diophane de Nicée. Cet auteur fit un abrégé en six livres du prolixe traité d'agriculture du Carthaginois Magon, que Cassius Dionysius avait traduit du punique en grec[48]. Varron, qui cite déjà cet ouvrage[49], nous apprend que son auteur le dédia au roi Déjotarus, très-probablement Déjotarus le père ; d'où il suit que Diophane florissait de 80 à 100 ans avant notre ère. Au reste, il parait que [-31-] son abrégé fut encore trouvé beaucoup trop long, puisque Asinius Pollion de Tralles jugea nécessaire de le réduire en deux livres[50].

Dans un précieux fragment de ce traité, peut-être tiré de l'extrait d'Asinius Pollion[51], on lit l'énumération de divers pronostics qui se tirent du lever de Sirius, selon le signe zodiacal où se trouve la lune au moment de ce lever ; en voici un échantillon : Si le lever du Chien a lieu lorsque la lune  est  dans le Lion, il y aura abondance de blé, d'huile, de vin et bas prix de toutes les autres denrées ; il y aura trouble, meurtres, apparition d'un roi, douceur de la température, attaque d'un peuple contre un autre, tremblements de terre et inondations. Tout le reste est dans le même goût ; on voit que les prophéties de Matthieu Laensberg datent de loin. Une remarque curieuse, que je consigne en passant, c'est quel le zodiaque de Diophane commence par le Lion et finit par le Cancer, justement comme ceux de Dendera et des momies de la famille Sosor, sous Trajan.

Le chapitre tiré de Diophane commence par ces mots : Le lever héliaque du Chien a lieu lorsque l'aube du 20 juillet parait[52]. Tous les pronostics sont établis sur cette date, est celle du lever de l'astre à la latitude moyenne de l'Égypte. Cette date n'avait donc pas moins d'importance pour Diophane que pour Dosithée, et cependant l'un et l'autre ont écrit pour la Grèce et l'Asie Mineure, où l'astre de Sirius se levait beaucoup plus tard. Il est clair que Diophane, qui écrivait cinquante ans avant l'établissement de l'année julienne, n'a pas pu donner la date sous cette forme ; il l'aura exprimée [-32-] d'après le calendrier athénien, macédonien ou égyptien vague, selon l'usage des astronomes d'Alexandrie ; son abréviateur, Asinius Pollion, ou les compilateurs des Géoponiques, qui nous ont conservé le passage, l'auront réduite en une date julienne.

Quoi qu'il en soit, l'expression qu'emploie Diophane est à remarquer. Elle rend fort bien le moment du lever héliaque, qui, sous un arc de vision de 11 à 12°, devait avoir lieu constamment ¾ d'heure avant le lever du soleil, par conséquent à l'aube du jour (διαφαινούσης ήμέρας), car c'est le sens de cette expression grecque[53], par conséquent un peu avant le 20 juillet, qui commençait au lever du soleil. C'est ce moment que le scholiaste d'Aratus exprime en disant que Sirius se lève à la 11e heure (de la nuit) κατά τήν ένδεκάτην ώραν[54], ce qui veut dire dans l'heure qui précède le lever du soleil, car la nuit se divisait en 12 heures comme le jour.

Cette circonstance explique les autres passages qui suivent, où le lever de Sirius est marqué, non le 20 juillet, comme dans Censorin, mais le 19.

Texte d'Héphestion. — Cet astrologue de Thèbes, en Égypte, écrivit au plus tôt sous Constantin[55]. Dans un fragment de son traité sur les pronostics, έπισημασίαι, il parle de Sirius et des prédictions qui se fondaient sur les circonstances du lever de cet astre : il dit[56] que Sirius se lève le 25 épiphi, ce qui répond, dans le calendrier fixe alexandrin, au 19 juillet. La différence du 19 au 20 tient sans doute à la manière de commencer le jour. Pour Censorin et Diophane, qui suivaient, l'un l'usage romain, de compter le jour de minuit, et l'autre l'usage grec, de le compter du coucher du soleil, la [-33-] 11e heure de la nuit, époque du lever de Sirius, appartenait également au 20 juillet. Les Égyptiens, au contraire, quoi qu'en aient dit par erreur Pline[57] et Lydus[58], commençaient le jour au matin, ainsi que l'a démontré M. Ideler[59] ; la 11e heure de la nuit appartenait donc encore au 19, comme l'a marqué le Thébain Héphestion[60].

Texte du faux Zoroastre. — La même date est assignée au lever héliaque de Sirius dans un autre fragment inséré parmi les Géoponiques, et attribué à Zoroastre. Ce nom illustre a partagé, avec ceux d'Hermès Trismégiste, d'Asclépius, de Manéthon, la prédilection des astrologues et agronomes des [-34-] premiers siècles de l'ère vulgaire. Ici, selon la remarque de Needham, ce nom cache un astrologue chrétien d'Alexandrie[61]. On lit dans ce fragment : Le lever héliaque du Chien a lieu le 19 juillet[62].

J'ai dit que cette date, liée à l'astrologie météorologique des anciens, était reçue non-seulement dans toute l'Égypte, quoiqu'elle ne convint qu'à une seule latitude, mais encore dans d'autres contrées où elle n'était nullement applicable. Les passages précédemment cités le prouvent assez clairement.. En voici une preuve plus frappante encore.

Texte de Palladius. — L'agronome Palladius, qui écrivit vers la fin du ive siècle, au temps de Valentinien et de Théodose[63], habitait l'Italie, où il avait ses biens[64]. Cet auteur parle des pronostics qu'on tirait du lever de la Canicule, qui, chez les Romains, dit-il, est censé arriver le 14 des calendes d'août (19 juillet), qui, apud Romanos, quartodecimo kal. Augusti die tenetur[65]. Cette expression tenetur annonce bien un lever conventionnel ; en effet, personne, en Italie, ne pouvait penser à mettre le lever effectif de la Canicule le 19 juillet, puisqu'il avait lieu réellement quatorze ou quinze jours après, comme l'indiquent à la fois le calcul astronomique[66] et le témoignage de Lydus, qui met le lever héliaque de Sirius, en Italie, le 3 des nones d'août[67]. Nous ne pouvons donc voir dans cette indication qu'un lever astrologique, qui, fixé constamment à cette date dans les livres de pronostics, était adopté partout, quoiqu'il [-35-] n'eût de réalité que sous le parallèle de Memphis et d'Héliopolis.

A l'époque où vivait Palladius, toute l'Italie était chrétienne. Cet auteur lui-même pouvait être chrétien, ainsi que l'auteur des fragments du prétendu Zoroastre, cité plus haut[68]. Mais l'ancienne superstition païenne du lever héliaque de Sirius subsistait toujours, comme sept siècles auparavant, à l'époque de Dosithée.

Texte d'Aetius. — Il me reste un dernier fait à signaler, appartenant à une époque plus récente encore, et qui conduit toujours au même résultat.

Il est tiré du Tetrabiblos, ouvrage médico-astrologique du médecin Aetius, qui, très-probablement, florissait sous Justinien, et vivait à Alexandrie[69].

Aetius met le lever héliaque de Sirius le 19 juillet[70], tout comme le Thébain Héphestion, l'Alexandrin Zoroastre et l'Italien Palladius.

Ainsi, toujours la même date, le 19 ou le 20 juillet, selon la manière de compter.

L'exemple tiré d'Aetius est d'un temps où, depuis plus d'un siècle et demi, le christianisme vainqueur avait détruit à Alexandrie tous les vestiges du paganisme. Mais l'astrologie et la météorologie agricoles faisaient encore grand usage de ce phénomène céleste. Sirius demeurait toujours en possession de la domination des astres.

A ces époques si récentes, l'ancienne convention subsistait encore à Thèbes comme à Alexandrie ; elle avait même franchi les limites de l'Égypte, puisqu'elle était tacitement reconnue [-36-] jusque dans les pays où la fausseté de cette détermination était le plus évidente[71].

Tous ces textes, qui embrassent un intervalle de plus de huit siècles, depuis Dosithée jusqu'à Aetius, répondent complètement, je pense, à l'objection élevée contre le témoignage de Censorin, et contre la fixation du lever héliaque de Sirius à un seul et même jour pour toute l'Égypte. Ce témoignage, bien loin d'être isolé, ainsi qu'on l'a cru jusqu'ici, se lie à toute l'antiquité. Il est clair que cette fixation constante tient à une convention antique passée dans les habitudes religieuses du pays.

§ IV. — PREUVE HISTORIQUE QUE LE LEVER HÉLIAQUE DE SIRIUS ÉTAIT RAPPORTÉ À MEMPHIS PAR L'EFFET D'UNE ANCIENNE CONVENTION.

Pour achever la preuve de cette convention, appuyée sur tant de faits, il manquerait encore, selon la méthode qui me sert de guide, de découvrir un témoignage historique qui en attestât l'existence. Heureusement ce témoignage, d'une incontestable autorité, vient couronner le résultat de toutes ces recherches, en indiquant le lieu et l'époque qui ont vu naître cette institution.

Le lieu, pour être admis, doit offrir deux conditions. Il faut d'abord un de ceux pour lesquels le lever de Sirius arrivait [-37-] constamment le 20 juillet. Il faut ensuite que ce lieu ait été un des plus importants de l'Égypte, un de ceux où furent établies ses principales institutions. A ce titre, il était assez naturel de penser à Thèbes, et Fréret n'y avait pas manqué[72]. Mais il est d'abord évident que la ville aux cent portes ne peut revendiquer cet honneur, car le lever héliaque de Sirius à Thèbes, pendant plus de 3.000 ans, arriva le 16 et non le 20 juillet. Le calcul astronomique a démontré, au contraire, que le parallèle de Memphis et d'Héliopolis est le seul pour lequel le phénomène a eu lieu constamment à l'époque fixée, depuis 3.500 ans avant notre ère. C'est donc, démonstrativement, dans l'une ou l'autre de ces deux villes que le calendrier civil égyptien a été établi sous la forme qui nous a été transmise.

Au fond, il importe peu à la question du calendrier même de savoir laquelle de ces deux villes, si voisines et si illustres toutes deux, en fut le berceau. Mais le fait n'est pas indifférent au, point de vue historique ; et heureusement nous pouvons être fixés à cet égard.

En effet, un établissement de cette importance, adopté dans l'Égypte entière, n'a pu s'effectuer que par une volonté royale, dans une ville qui était le séjour d'une dynastie dont la domination puissante, s'étendant sur tout le pays, a pu lui imposer sa loi suprême, et remplacer les calendriers moins parfaits, en usage dans les diverses localités, par un calendrier uniforme, qui, depuis, n'a plus été abandonné ni modifié.

Cette seule considération pourrait nous faire préférer Memphis, qui, à diverses reprises, a été capitale de l'Égypte et siège de dynasties, tandis qu'Héliopolis paraît n'avoir jamais été qu'une ville sacerdotale.

[-38-] Un texte historique vient confirmer cette induction et tous les résultats que les calculs astronomiques ont établis. Ce texte, qui forme le lien de tous les faits exposés jusqu'ici, n'a jamais été cité dans cette discussion. Il y a près de trente ans que mon ami Brandis me l'a signalé, dans le Commentaire d'Olympiodore sur les Météorologiques d'Aristote. Nous n'en connaissions la portée ni l'un ni l'autre. Mais, comme tout me faisait soupçonner qu'il renferme une notion précieuse qui prendrait tôt ou tard une place importante, je l'ai gardé dans un coin de ma mémoire, attendant que je fusse assez heureux pour en trouver l'interprétation complète. Cette interprétation s'est présentée à mon esprit aussitôt que j'eus remarqué, dans un papyrus, le passage inédit dont j'ai parlé et qui sera discuté dans le second mémoire. Le moment est venu de produire le texte en question.

Dans le passage des Météorologiques auquel se rapporte cette scholie d'Olympiodore, Aristote vient de dire que, si Homère, qui a parlé de Thèbes, a gardé le silence sur Memphis, c'est que cette ville, ou n'existait pas encore, ou n'était pas aussi considérable qu'elle le devint par la suite[73]. Cette raison prouve que le Stagirite, si savant en toutes choses, n'était guère au fait de l'histoire et des antiquités égyptiennes ; car tout annonce, au contraire, que Memphis était une des plus anciennes villes de l'Égypte, plus ancienne même que Thèbes, puisqu'elle fut, selon Manéthon, le siège des plus vieilles dynasties, des IIIe, IVe, VIe, VIIe et VIIIe, tandis que les dynasties thébaines ou diospolitaines ne commencent qu'à la IXe.

A cet égard, Olympiodore l'Alexandrin devait en savoir bien plus qu'Aristote ; de son temps personne ne pouvait commettre [-39-] une telle erreur. Il combat donc l'opinion d'Aristote ; il dit que le poète aurait dû parler de Memphis comme de Thèbes, puisque Memphis a été aussi jadis une ville royale, ou un siège de dynastie. Puis il ajoute ces paroles remarquables : Ce qui prouve évidemment qu'elle (Memphis) a régné, c'est que les Alexandrins comptent le lever du Chien, non pas du moment où il se lève pour eux-mêmes, mais quand il se lève pour les habitants de Memphis.

Voilà une autorité historique qui concorde pleinement avec les calculs de l'astronomie, et qui complète la démonstration. Il est clair maintenant que le lever héliaque de Sirius, fixé au 20 juillet pour toute l'Égypte, n'était réellement observé ce jour-là qu'à Memphis. Les Alexandrins savaient aussi bien que les habitants de Syène et de Thèbes que le lever n'avait pas lieu le 20 juillet pour leur latitude, car c'était là, comme je l'ai dit, un fait de simple observation ; mais telle était la force de l'usage et la puissance des souvenirs, qu'ils persistaient toujours à rapporter ce phénomène à Memphis, où l'institution avait été établie.

Mais ce n'est pas à ce point seulement que se borne l'utilité du passage d'Olympiodore ; il nous ouvre plus d'une vue nouvelle sur la question générale.

Que cette convention ait continué d'être admise dans l'intérieur [-40-] du pays, à Syène, à Thèbes, à Abydos, on le conçoit ; mais qu'elle ait été reconnue par les Alexandrins eux-mêmes, qui devaient rester plus ou moins étrangers aux institutions religieuses de l'ancienne Égypte, voilà ce qui peut surprendre, et ce qui pourtant est historiquement certain, puisque le fait repose sur un témoignage positif d'une autorité incontestable. Si les Alexandrins avaient adopté la superstition du lever héliaque de Sirius, c'est sans doute parce qu'elle était liée, comme nous le verrons plus loin, au culte d'Isis, à qui Sirius était consacré, et l'on sait qu'Alexandrie, ainsi que les lieux environnants, Canope, Ménuthias, était vouée en grande partie au culte d'Isis et de Sérapis, qui avait succédé à l'ancien Osiris. Les Alexandrins, qui adoptèrent cette superstition en même temps que le culte de ces deux divinités égyptiennes, c'est-à-dire dès le règne de Soter, le premier des Ptolémées, la conservèrent non-seulement tant que dura la religion égyptienne, c'est-à-dire jusqu'à l'édit de Théodose le Jeune, mais encore quelque temps après la destruction du paganisme.

Olympiodore, un des hommes les plus instruits de son temps, était Alexandrin, comme Aetius ; il devait bien connaître les usages de sa ville, comme il appelle Alexandrie[74] ; or il parle d'un usage qui subsistait encore de son temps, comme le prouve le verbe έπιτέλλει (et non έπέπελλε), qu'il emploie. Il écrivait en 565 de notre ère, sous le règne de Justinien, cent soixante et dix ans après la destruction du temple de Sérapis à Alexandrie[75]. C'est à peu près la même époque que celle du médecin Aetius. Quelle singulière et curieuse coïncidence entre ces deux textes contemporains ! Tandis qu'Aetius dit que le lever héliaque de Sirius était toujours rapporté au 20 juillet [-41-] par les Alexandrins, Olympiodore nous apprend qu'ils savaient fort bien que ce lever n'était pas le lever réel pour eux, qu'il était réel seulement pour les habitants de Memphis, l'ancienne reine du pays.

Telle était donc la persistance de ces antiques usages, qu'ils se maintinrent à travers les révolutions, non-seulement parmi les Égyptiens de l'intérieur, qui avaient conservé l'usage de l'année vague, liée à toute la religion, mais encore parmi la population conquérante. En vain les Alexandrins, depuis près de six siècles, avaient renoncé à l'année vague, et avaient adopté une forme d'année fixe dont le point initial n'avait rien de commun avec le lever héliaque de Sirius ; ce lever n'en avait pas moins conservé une grande influence, due sans doute aussi à l'emploi qu'en firent les astrologues, pour qui l'année astrologique fut toujours celle dont le renouvellement quadriennal coïncidait avec le lever héliaque, année différente de l'année fixe Alexandrine, et dont l'existence et la nature seront exposées dans le mémoire suivant. Ainsi il faut descendre jusqu'après la chute même du paganisme pour trouver la fin de cette institution du calendrier, placé, dès les plus anciens temps, sous la protection de la grande déesse Isis.

J'ai conclu, de ce que le lever héliaque n'avait lieu le 20 juillet qu'à Memphis, que le système du calendrier égyptien avait dû y être institué lorsque cette ville était la capitale du pays. Olympiodore tire la même conséquence du lever conventionnel, admis encore de son temps par les Alexandrins. Or la dernière dynastie memphite est la VIIIe, qui, selon la Table de Manéthon, a régné au delà de 3.000 ans avant notre ère. Depuis, les villes royales n'ont plus été qu'Héracléopolis, Diospolis, et les villes de la basse Égypte, Xoïs, Tanis, Bubaste, Saïs, Mendès et Sébennytus. C'est déjà un motif de croire que [-42-] le calendrier égyptien est une institution qui remonte au moins jusqu'à la VIIIe dynastie. Nous verrons qu'elle peut être plus ancienne encore, puisque, au dire des prêtres d'Héliopolis et de Thèbes, ainsi que nous le verrons bientôt, le calendrier, dans la forme qui nous est connue, avait été institué par Hermès, c'est-à-dire à une époque antéhistorique.

Telles sont donc les conséquences du passage d'Olympiodore : non-seulement il prouve que le lever de Sirius, qui ne s'effectuait le 20 juillet qu'à Memphis, était une convention pour le reste de l'Égypte ; mais il fixe historiquement, et le lieu où cette convention a été établie, et la limite inférieure de l'époque où elle s'est opérée.

Il n'est guère possible de douter que les Égyptiens, comme tous les peuples, ne soient arrivés pas à pas à la détermination de l'année qu'ils ont définitivement adoptée. Selon toute apparence, ils eurent une année de 36o jours avant d'en avoir une de 365. C'est alors qu'ils réglèrent le cycle de leurs douze mois de 3o jours. Combien dura cette année primitive ? On l'ignore. Le changement de l'année est, comme nous le verrons, reporté par les autorités égyptiennes dans les temps mythiques, c'est-à-dire au delà de l'histoire. Les Égyptiens, en effet, ne purent tarder à s'apercevoir qu'une année de 360 jours était beaucoup trop courte, puisque, en 5 ans ½, elle rétrograde d'un mois entier sur le cours du soleil, et d'une année entière en moins de 69 ans. Comme le cycle de leurs douze mois était déjà formé, ils se contentèrent alors d'y ajouter et de placer en dehors le nombre de jours qui leur parut nécessaire pour le complément de l'année ; ce furent les cinq épagomènes.

Pendant un certain temps, ils purent croire cette année exacte, ils y attachèrent leurs fêtes et leurs cérémonies. [-43-] Lorsque enfin ils s'aperçurent qu'elle était encore trop courte, et qu'il pouvait être utile d'y introduire de nouveaux changements, il était trop tard ; la religion s'en était emparée, elle l'avait marquée de son cachet ineffaçable. On laissa donc courir cette année imparfaite dans l'année solaire, et l'on se contenta de légitimer le changement continuel des fêtes en y attachant un motif religieux, auquel on n'avait peut-être pas songé auparavant.

Ainsi ramée vague ne représente plus pour nous que l'imperfection de la science astronomique au moment de son institution.

L'observation du lever de Sirius et la fixation de la période exacte de son retour, la rétrogradation d'un quart de jour tous les ans, et d'un jour en quatre ans, du 1er thoth de l'année vague, annoncent la connaissance d'une année de 365 jours ¼, la plus exacte, comme nous le verrons, que les anciens aient connue avant Hipparque.

C'est encore une question de savoir si les Égyptiens ont trouvé cette durée d'année avant d'avoir observé celle de la période du lever héliaque de Sirius ; si, par conséquent, ce lever n'a fait que confirmer une observation plus ancienne.

Cette question, qui touche à un point fort délicat, est une de celles que je réserve pour le dernier mémoire.

Mais je dois, dès à présent, aborder celle qui tient immédiatement à la fixation du lever héliaque, dont elle est en quelque sorte inséparable.

Les Égyptiens, qui avaient reconnu l'écart du lever héliaque de Sirius sur le point initial de leur année civile, ont-ils fait usage de cette observation ? Il est naturel de penser, d'après l'importance qu'ils y attachaient, qu'ils auront employé la période de quatre ans, après laquelle Sirius reparaissait le matin, [-44-] à constituer une année fixe, qui mettait leur année vague en concordance avec l'année naturelle. Ce point est l'un des plus débattus de la chronologie ancienne. C'est celui que je vais discuter dans le mémoire suivant.

 

 

 



[1] Isagog., c. VI, p. 32-34 (Petav. Uranol., 1630, in-fol.).

[2] Deducitur (rex) a sacerdotibus Isidis in locum qui nominatur Adytos, ut et jurejurando adigitur, neque mensum, neque diem intecalandum quem in festum diem immutarent, sed CCCLXV dies peracturos, sicut institutum est ab antiquis. (Schol. in German. Arat. Phenom. p. 71, Buhle.)

[3] Nam eorum annus civilis solos habet dies CCCLXV, sine ullo intercalari. Itaque quadriennium apud eos uno circiter die minus est quam naturale quadriennium ; eoque fit ut anno MCCCCLXI ad idem principium revolvatur. (De die Natali, cap. XVIII, p. 96, Haverc.)

[4] ..... propterea quod initium illius sumitur, quum primo die ejus mensis, quem vocant Ægyptii thot, caniculæ sidus exoritur. (p. 95.)

[5] Quo tempore solet caniculæ in Ægypto facere exortum. (c. XXI, p. 115.) — Cette date répond au 20 juillet de l'an 139 de notre ère.

[6] Petau, Var. Dissert., V, 6, p. 203, D.

[7] 33' par an.

[8] Ideler, Handbuch, I, p. 130. — Fourier, Rech. sur les sciences, etc. de l'Égypte, § 21 ; et Biot, Recherches sur l'année vague, p. 16 du tirage à part.

[9] Biot, Recherches sur l'année vague, p. 58, 59.

[10] Ideler, Handbuch, I, p. 130.

[11] Dans Volney, Recherches sur l'histoire ancienne, t. III, p. 322, ou Œuvres complètes, édit. Didot, t. V, p. 430-431.

[12] M. Biot dit lui-même : La période pu être reconnue, en peu d'années, par le simple aspect des levers héliaques. (Recherches sur l'année vague, p. 17.)

[13] Je suis les nombres donnés ici par le manuscrit de Paris n° 2390. Les nombres 22 et 28, que donne un autre manuscrit, ont une unité de trop. Le lever héliaque de Sirius arrivait à Syène le 15 juillet, non le 16 ; à Alexandrie le 21, non le 22.

[14] Biot, Recherches sur l'année vague, p. 18, 20.

[15] Bode, Cl. Ptolem. Beobachtung and Beschr. der Gest., p. 259.

[16] Voir la glose à la fin du Traité de Ptolémée, p. 92-94. (Petav. Uranol.)

[17] Hipparchus apud Ptolemteum, in Almagest. III, IV, t. I, p. 184, Halm. — Geminus, c. I, p. 3. (Petav. Uran.) — Cf. Ideler, Untersuch., p. 266, 267. — Il est presque inutile de remarquer que Géminus, comme Hipparque, croyait ces intervalles constants. On sait que le déplacement de l'apogée a été inconnu des anciens. Nul n'a soupçonné qu'un calendrier réglé sur le mouvement vrai du soleil ne pouvait être perpétuel. C'est aux Arabes, et, selon toute apparence, à Albategni, que l'on doit l'idée que l'apogée solaire a un mouvement propre. (Ideler, Hist. Untersachungen, p. 269. — Ueber die Sternnamen, Einleit. p. XLVIII.)

[18] Ptolémée, Almag. III, II, p. 169-164, Halma. — Delambre, Histoire de l'astronomie ancienne, t. II, p. 113.

[19] Éléments d'astronomie, t. I, p. 218.

[20] Ideler, Hist. Untersuch., p. 270.

[21] Ptolémée, Almag. III, II, p. 160, 162-164.

[22] Pline, II, XLVII, 130.

[23] De re rustica, III, VI, 4.

[24] XVIII, XXV, § 217, Sillig.

[25] Hieroglyph., I, 3.

[26] Heph., Περί έπισημ. Cod. ap. Salm., Exerc. Plin., c. II, p. 303, b G (1689).

[27] Menil., Astron., I, 394, sq.

[28] Cicéron, De Divin., I, LVII, p.282, éd. Moser.

[29] Schol. Apoll. Rhod., II, v. 586.

[30] Diodore de Sicile, IV, LXXXII. — Cf. Bröndsted, Recherches, I, p. 40 et suiv.

[31] Dans Brôndsted, I, p. 3. C'est par erreur que, dans une de ses utiles tables, M. Mionnet a dit que, sur les monnaies de Syros, on voyait le Canis radiatus ou Sirius. Il y a en effet un chien sur une médaille de cette île, citée par M. de Cadalvène, mais cet animal n'est point radié ; c'est un chien, mais ce n'est pas Sirius.

[32] Equidem et solsticium VIII kalendas Julias simili causa duxerim et Canis ortum post dies e solsticio XXIII. (XVIII, XXIX, § 288, Sillig).

[33] Ardentissimo autem ætatis temspore, exoritur caniculæ sidus, sole primam partem Leonis ingrediente. (II, XLVII, § 123.)

[34] Pline, XVIII, XXVIII, § 264 (cf. XXV, § 214). — Columelle, De re rust., IX, XIV.

[35] Ideler, Handbuch, II, p. 141-142. — Ueber Eudoxus, p. 36.

[36] A. D. IV nones Juni, quum Ægypto canicula exoritur, vel carte XVI kalendas Augustas, quum Italiæ.

[37] Fastes, III, 793.

[38] Ίκτΐνος φαίνεται, dans Géminus, c. XVI. Pline (XVIII, XXVI, § 146) le fait paraître en Attique dès le 9 mars, fixant l'équinoxe au 25. (Cf. Ideler, Ueber die Sternnamen, p. 77.)

[39] Ovide, Fastes, IV, 904. — Ideler, Ueber den astronom. Theil der Fasti des Ovid, XXVII.

[40] Septimo kal. Augustas canicula apparet. (De re rustica, XI, II, 53.)

[41] Ideler, Ueber die Sternnaman, Einlsit., p. XXXVII.

[42] Cap. XIV, p. 60 c.

[43] Geminus, c. XVI, p. 65, A.

[44] V, v. 206.

[45] Œdipe, v. 38.

[46] P. 43 C, Salmas. 1689, in-fol.

[47] VIII, X, p. 219.

[48] Columelle, De re rust., I, I, 10.

[49] De re rust. I, I, 10.

[50] Suidas, v. Πωλίων.

[51] Geopon., I, VIII, éd. Niclas.

[52] Geopon., I, VIII, 1.

[53] Hérodote, VII, CCXIX. — Polybe, XVIII, II, 5.

[54] Ad v. 152.

[55] Fabricius, Bibl. gr. VI, p. 102, Harl.

[56] Cod. apud Salm., Ex. Plin., p. 306 b G.

[57] II, LXXVII, § 188.

[58] De Mens., II, I, p. 36, Röther.

[59] Ideler, Untersuch., p. 26-27. — Handbuch, I, p. 100 sq. et 181.

[60] C'est pour éviter la confusion qui devait résulter de ces deux manières de compter le jour, que Ptolémée, dans ses observations faites entre minuit et le lever du soleil, donne une double date a, comme lorsqu'il dit qu'un solstice eut lieu le 11 mésori, à 2 heures après minuit, et ayant le 12 b. S'il n'avait pas ajouté et avant le 12, les Romains, qui comptaient le jour d'un minuit à l'autre, et les Grecs, qui se renfermaient entre deux couchers consécutifs, auraient cru qu'il s'agissait de la nuit qui suit le 10 mésori. Pour eux, le 11 mésori, à 2 heures du matin, était déjà le 12.

Ptolémée donne également la double date, pour les observations faites entre le coucher du soleil et minuit c, afin d'éviter la même méprise, au moins de la part des Grecs. Au contraire, celles qui ont été faites à d'autres instants du jour, par exemple entre le matin et le soir, sont constamment indiquées avec une date simple d. En ce cas, il ne pouvait y avoir d'erreur de la part de personne, la désignation convenant au même jour dans les trois manières de compter.

Ces remarques expliquent pourquoi le lever de Sirius est quelquefois marqué au 19 juillet, au lieu du 20 ; la date est la même. Ptolémée aurait dit en pareil cas : 5 heures après minuit du 19 et avant le 20. Cette dissidence apparente fournit même un nouvel argument en faveur de l'opinion que les Égyptiens commençaient le jour le matin ; ce qui est, d'ailleurs, la manière la plus naturelle pour tout peuple qui employait exclusivement l'année solaire.

a Ideler, Untersuch., p. 26 sq.

b Ptolémée, Almag. III, IV, t. I, p. 185, Halma. — D'autres exemples analogues, III, II, p. 153, 164, 157, 162 ; IV, V, p. 255, etc.

c P. 245, 255, 267.

d V. les exemples p.154, 157, 161, 162. — Cf. Ideler, Untersuch., p. 26-27.

[61] Needham, Prolegom. ad Geop., p. LXXV, éd. Niclas.

[62] Geop., II, XV, 3.

[63] Schneid., Præf. ad Pallad., p. VI. Script. R. R., t. III.

[64] Pallad., IV, X, p. 142.

[65] Pallad., VII, IX.

[66] Bode, Cl. Ptolem. Beobachtung and Beschreib. der Gestirne, p. 259. — Ideler, Ueber den astronomischen Theil der Fasti des Ovid, XXII.

[67] De Mensib., III, XXX, éd. Röther.

[68] Niclas ad Needb., Proleg., p. LXXV, n. 1, et ad Geop., X, 83, t. III, p. 773, n. 1.

[69] Fabricius, Bibl. gr., II, 228, 229, Harl.

[70] Aetius apud Petav., in Uranolog., p 422.

[71] Un exemple bien frappant de cette persistance des anciens usages existe dans un calendrier copte, transmis par le cheik Schems-eddin Mohammed. Dans ce calendrier, dont l'époque, d'après le jour fixé pour l'équinoxe du printemps, doit être du XIIIe ou du XIVe siècle de notre ère, le lever héliaque de Sirius est encore fixé au 26 épiphi, ou au 20 juillet, comme il l'était au temps de Censorin et de toute antiquité (Not. des mss. t. I, p. 263).

[72] Défense de la chronologie, Nouv. Observ., IIIe partie, p. 398-399.

[73] Météorologiques, I, XIV, 12, p. 56, éd. Ideler.

[74] Olymp. in Arist., De cœlo, p. 326.

[75] Fabricius, Bibl. gr., t. X, p. 629, Harl.