LES MAÎTRESSES DU RÉGENT

LES GRANDES MAÎTRESSES

 

VI. — MADAME D'AVERNE.

 

 

 

Essayons tout d'abord de restituer à madame d'Averne son nom de famille. Une note de Barbier la dit fille du marquis de Brézé. Les Mélanges de Boisjourdain affirment que son père était M. de Brégis, conseiller au Parlement. Le Recueil Maurepas dit de Flécelles ou Flécelles de Brégy. Les Mémoires de Maurepas se prononcent pour une généalogie toute différente, et qui, si elle est fausse, l'est du moins avec toutes les apparences de la vérité.

D'après cette autorité, madame d'Averne-Beauveau était fille de M. du Rivaux — Beauveau[1].

Nous nous en tenons au témoignage de Marais, à qui nous avons trop d'obligation pour lui refuser cette marque de confiance. D'après lui, la dame s'appelle de Brégis en son nom, est fille de condition, jeune, belle et bien faite.

Au reste, que nous importe le nom de celle que nous ne connaissons que sous celui de son mari, qui ne lui donna guère autre chose ! Nous ne savons rien de la jeunesse de madame d'Avertie, qu'elle employa sans doute tout simplement à croître et à embellir, en fille bien avisée.

Est-ce qu'elles ont du reste jamais été enfants, ces femmes qui sont si femmes ? Souvenez-vous de madame du Deffand, tenant tête, à douze ans, à Massillon, et troublant de son scepticisme précoce, de ses questions imprévues jusqu'au docte évêque de Clermont, qui avait profondément étudié le cœur humain à tous les tiges et dans toutes les conditions, excepté le cœur des pensionnaires, ce cœur d'enfant qui est déjà tout un abime. Le subtil évêque, dont l'expérience était mise en défaut par cette rouerie hâtive, se borna à prescrire un remède anodin : un catéchisme de cinq sous, à celle qui avait déjà dans la tête toute une philosophie !

Madame d'Averne, moins précoce du côté de l'esprit, eut le cœur éveillé de bonne heure. Jeune fille, elle avait deviné la passion. Femme, elle se hâta d'y vivre. Elle ne semble avoir pris un mari que pour se donner le droit d'avoir décemment un amant. Qu'on veuille bien considérer que nous sommes au temps de la Régence.

Ce mari, elle l'eût fait faire exprès qu'elle ne l'eût pu avoir plus commode. Le hasard, qui seul fit son mariage, l'avait servie mieux que si elle eût choisi elle-même.

Elle épousa — l'histoire a oublié la date aussi vite qu'elle — un lieutenant aux gardes, appelé Ferrand d'Averne. C'était le fils d'un lieutenant général d'artillerie, nommé Ferrand de Cossé.

Ce mari était ainsi fait que c'est été se compromettre que de l'aimer plus de vingt-quatre heures. Ce délai suffisait alors aux convenances. Un ange eût vu sans doute un beau rôle à remplir auprès de cet homme à transformer au moral et à guérir au physique, car, comme si ce n'eût pas été assez d'être son mari pour déplaire à sa femme, M. d'Averne était épileptique. Mais madame d'Averne n'aspirait pas à ce titre, dont on a tant abusé depuis. Un ange l personne ne songeait à l'être à cette époque, et la jeune femme se garda bien d'une vertu qui n'eût pas même fait le dépit d'une rivale.

Elle se hâta dolic d'être infidèle. L'heureux mortel qui eut les prémices de sa liberté était le marquis d'Alincourt, deuxième petit-fils du maréchal de Villeroy, qui aval t épousé tout récemment la belle et modeste mademoiselle de Boufflers, fille du maréchal duc de ce nom. La jeune marquise d'Alincourt, élevée dans une famille qui était comme une école de vertu, eut de bonne heure besoin de toutes ses forces pour demeurer honnête. C'était à coup sûr difficile à la femme assez malheureuse pour titre è la fois la belle-sœur de la trop fameuse duchesse de Retz, la sœur du jeune marquis de Boufflers, et réponse du marquis d'Alincourt, deux roues, l'un précoce, l'autre déjà blasé, compromis l'année suivante dans cette débauche de Versailles, tentative effrontée d'une sorte de restauration du mignonnage, dont le cynisme provocateur fit rougir pour la première fois la Régence elle-même, violemment rappelée à la pudeur.

Le marquis d'Alincourt, qui ne devait pas se montrer meilleur père que mari, s'empressa de sacrifier sa femme qui l'adorait, et qui, pour lui, avait résisté à Richelieu lui-même, à la première coquetterie de madame d'Averne, dont la beauté provoquait toutes les hardiesses que décourageait le calme et limpide regard de la céleste marquise.

Cette année 1721 était du reste une année fatale à la foi conjugale. Il y a dans l'histoire des mœurs de ces sortes de contagions d'adultère, d'épidémies d'infidélité. C'était le temps où le prince Charles de Lorraine renvoyait sa jeune femme à son père, sans savoir pourquoi, ou du moins sans vouloir le lui dire, et revenait brusquement à la vie de garçon. Cette brutalité de haut rang devait trouver des imitateurs. Ce fut comme une émulation de scandale, comme une fureur de séparation. Tout Paris eut — pour me servir d'un mot qui n'est guère de cette époque — son accès de divorçomanie. Depuis que l'on a vu une dame renvoyée, dit Marais, il a pris en gré à des maris d'en faire de même ; et M. de Lautrec, gendre de M. le premier président, a remis la sienne entre les mains de son père, qui la garde et ne la mettra pas dans un couvent ; elle est rousse, et on dit qu'elle en a les défauts. Il y a aussi M. et madame d'Estaing qui se sont quittés. Enfin, la mode vient de quitter les femmes comme on quitte une maîtresse infidèle[2].

Le marquis d'Alincourt fut puni par où il avait péché. Pour ces amours coupables l'infidélité naquit de l'infidélité, et le châtiment de la faute.

L'amour a sa fatalité comme le vin. Qui a bu, boira ; qui a aimé, aimera.

Le Régent, qui mettait son ambition à posséder toutes les femmes qui ne se possédaient pas elles-mêmes, et qui ajouta son cran à tous les déshonneurs conjugaux de l'époque, ne tarda pas à remarquer la séduisante madame d'Averne, belle d'une beauté déjà rehaussée par l'inconstance.

Il venait de congédier madame de Parabère, et il lui fallait une maîtresse, moins par besoin que par habitude[3].

Nous avons déjà vu en quels termes la chronique galante du temps raconte le renvoi de l'ancienne favorite, et voici comment elle annonce l'avènement de la nouvelle : madame de Parabère est morte ! vive madame d'Averne !

On parle beaucoup de madame d'Averne, femme d'un officier aux gardes, qui est très-belle, et que le Régent voudroit avoir[4]. Les articles sont proposés, mais non encore acceptés : cent mille écus pour elle, une compagnie pour son mari[5].

 

Comme on le voit, le Régent n'y allait pas par quatre chemins, mais par un seul, la ligne droite, la plus courte d'une femme à une autre.

Honteuse sans doute de se rendre si vite, madame d'Averne résiste. Il lui faut un simulacre de siège et les stériles honneurs de la circonvallation et du blocus.

Tout cela ne la touche point, dit Marais, et elle s'en va à Averne passer l'été, à ce qu'elle dit. Puis, il prévoit facilement la défaite de cette vertu qui fuit, la flèche au cœur, et qui n'en est pas à sa première blessure : C'est un rocher, dit le malin avocat, mais La Fontaine a dit :

Rocher fût-il, rochers aussi se prennent.

Comme nous le verrons, Marais savait son La Fontaine sur le bout du doigt.

Ainsi le Régent demeure veuf de maîtresse. Ceci était écrit à la date du 6 juin 1721.

Mais le Régent n'était pas homme à s'amuser longtemps aux bagatelles de la porte. H mettait à achever la conquête cet amour-propre qu'il tenait de Henri IV, et qui consiste à ne jamais perdre les frais d'une déclaration, à ne jamais laisser une bonne fortune en chemin. Il poursuivit donc la belle fugitive avec cet acharnement particulier que l'on met à acquérir une parure ou un jouet, avec cette opiniâtreté capable de soulever les montagnes et d'escalader le ciel, qui fait tenir une volonté infinie dans le plus frivole désir de la femme, de l'enfant ou du blasé luxurieux.

Le 9 juin, l'assaut est donné, comme du temps de Condé, au son des violons.

Le Régent poursuit sa proie, et il l'aura. Il a été chez Ariague, son trésorier, où il a trouvé madame d'Averne et son mari et d'autres dames qui étoient prêtes à souper. Il leur a fait compliment, a dit qu'il vouloit rester avec eux, et faire apporter son souper, ce qu'il a fait et on s'y est, fort réjoui.

Et Bacchus et Cérès, de qui la compagnie

Met Vénus en train bien souvent,

Furent de la cérémonie.

Le lendemain, 10, la corbeille a été envoyée comme pour une noce. Il y avoit des pierreries et de l'argent, et cela a achevé la capitulation[6].

 

Le public ne se prit point à ce délai de trois jours, à cette coquetterie du vice, à cet orgueil de la chute. Tout cela ne fut compté à la belle dame d'Averne que comme un raffinement de plus. Les brocards commencèrent à pleuvoir de toutes parts, avec la pluie d'or, sur la nouvelle Danaé :

On a appliqué à cette aventure l'hémistiche de Virgile :

. . . . . . . . . . Facilis descensus Averni,

et le rameau d'or que la Sibylle montra à Énée, et sans lequel on n'y pouvoit entrer :

Hoc sibi pulchra suum ferri Proserpina munus

Instituit. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Carpe manu, namque ipso volens facilisque sequetur.

Depuis lors les choses allé grand train. Les bulletins de la lutte sont de plus en plus palpitants d'intérêt jusqu'à ce où il faut tirer le voile sur le dénouement.

Le soir, les deux amants se sont trouvés à la Roquette, dans la maison de Dunoyer, qui étoit autrefois dans les vivres. On y a passé une partie de la nuit. Et le lendemain le Régent a dit à ses amis[7]......

Le Régent avait dit à ses amis le mot de César.

Occupons-nous maintenant, s'il vous plaît, de deux personnages qui ont joué jusqu'ici dans la pièce le rôle de comparses.

Entrez, entrez, honnête monsieur Ferrand d'Averne, et qu'on vous complimente sans façon. Vous avez une manière de prendre les choses qui fait l'éloge de votre caractère[8]. Où donc avez-vous pris tant de philosophie ? Dans l'antichambre du roi ? Décidément c'est là une excellente école pour messieurs les officiers aux gardes. Et vous, monsieur d'Alincourt, ne vous désolez pas. Il est avec le ciel des accommodements. Il en est donc avec madame d'Averne. Tenez, cela ne sera rien. Si vous avez de l'esprit, attendez l'heure du retour[9]. Si vous avez du cœur, monsieur, allez embrasser votre femme.

Il n'en fut rien. M. d'Averne, heureux du succès de sa femme, s'y associa sans fausse honte. Il se drapa dans son infamie. Il se glorifia dans son abaissement. Il était donné à ce singulier époux qui ne rougissait point, de faire rougir du mariage, suivant le mot indigné de la duchesse d'Orléans.

M. d'Averne avait, du reste, quelque raison de se féliciter d'avoir été mis, pour parler comme Boileau :

..... Au rang des dieux que célébra Bussy.

Vous allez le comprendre avec moi : Il avoit aussi reçu sa corbeille.

Dans cette corbeille, il y avait un brevet de capitaine aux gardes, le gouvernement de Navarreins en Béarn que M. de Louville a vendu quatre-vingt mille livres, et qui n'ont guère coûté à payer. Ajoutez à cela douze mille livres d'appointements, au lieu que sa place n'était que de six mille auparavant, et enfin le grand cordon rouge. En somme, c'était, comme on voit, une honte assez bien payée.

M. d'Averne ne se possédait plus de joie. Il la contait aux murs, il la déclamait aux arbres des Tuileries, il en éclaboussait les passants. Quand il passait devant une glace, il était tenté de se saluer. On peut juger de ce bonheur contre nature par la petite malignité suivante que nous rejetons en note par pure dignité[10].

Je ne sais pas même si ce diable de mari ne gâta pas un peu au Régent le bonheur de posséder sa femme. Il l'amusa d'abord sans doute comme une excentricité. Mais ce perpétuel sourire toujours rencontré dut finir par le gêner horriblement. C'est en partie à cela que nous sommes tenté d'attribuer la courte durée de ces rapides amours.

Ou lui eût dit volontiers, à ce M. Ferrand :

Si tu n'es pas jaloux pour ton propre intérêt,

Sois-le du moine, el te plais,

Pour augmenter dans mon âme

L'amour ope j'ai pour ta femme.

Je tiens qu'il faut être brutal

Pour pouvoir aimer son rival.

A nous autres amants, il faut de l'espérance ;

Mais sans la crainte on n'a pas de plaisir ;

On languit de trop d'assurance,

Et les difficultés irritent les désirs[11].

Pendant que M. d'Averne se résignait si débonnairement à son infortune, et inaugurait solennellement ce sigisbéisme conjugal qui devait devenir un art des plus délicats et même un état dans le monde ; tandis que le public malin le proclamait l'auteur d'un traité contre la jalousie et ses inconvénients, dédié au prince de Conti qui s'obstinait à vouloir adorer une femme qui le détestait ; pendant que la comédie se jouait enfin du courtisan c... et content, très-content ; le Régent triomphait et M. d'Alincourt pestait. Le premier étalait, en se frottant les mains, une victoire que les mauvaises langues du temps prétendent n'avoir pas été complète. Le second exhalait son dépit, même son désespoir, selon Marais de cette quitterie, dans des paroles un peu vives, pour ne pas dire plus, et adressées à un singulier interlocuteur. Cette époque de la Régence est faite pour renverser toutes lès idées reçues. Le mari se félicitait de son malheur, et l'amant éconduit s'en plaignait au frère même de la femme et de la maîtresse infidèle.

Le maréchal de Villeroy, lui, était enchanté, d'autant plus enchanté que son gendre l'était moins et pour le motif précisément contraire : Le maréchal de Villeroy en a fait ses compliments au prince et a dit que cela alloit renvoyer le marquis d'Alincourt, son petit-fils, à sa femme, mademoiselle de Boufflers, qu'il a épousée depuis peu et raccommoder un ménage en en brouillant un autre. Voilà, ajoute très-sagement Marais, comment la cour se joue de la débauche[12].

Du reste, comme nous le savons, l'espoir naïf du Vieux maréchal de Villeroy fut cruellement déçu. Le marquis d'Alincourt, qui aspirait à l'honneur de porter au sacre, dont on parlait déjà, la queue du manteau du roi, fut supplanté par le marquis de Nesle, à qui on avait fait porter tant d'autres choses qu'on lui devait bien cela.

Le marquis se vengea de ce double affront, de cette double déception du côté de l'amour et de l'ambition, en se jetant dans la débauche, ce suicide moral de ceux qui n'ont pas le courage de l'autre.

Pour la famille de madame d'Averne, elle eut le bon goût, prenant un parti mixte entre la cynique béatitude du mari et le dépit indiscret de l'amant, de porter quelque temps le deuil de cette perdition d'une trop belle parente. Mais ce deuil de pure cérémonie dura peu, comme les deuils de cour, et chacun ne tarda pas à répéter le proverbe consolateur qui nous donne un assez curieux échantillon de la philosophie du duc de La Feuillade[13].

Voici le premier acte terminé... dans notre humble prose. Que le public nous permette maintenant de relever la toile et ne se formalise pas de voir repasser les mêmes personnages, mais cette fois avec l'habit et avec le langage du temps, dans une parodie originale et dont les vers ne sont, ma foi l pas trop mal tournés pour des vers de grand seigneur,... ou de pamphlétaire.

DIALOGUE

ENTRE M. ET Mme D'AVERNE ET M. D'ALINCOURT[14].

SCÈNE I.

M. D'AVERNE. — MADAME D'AVERNE.

M. D'AVERNE.

J'ai reçu tout l'argent et vous êtes livrée.

M'amour, la d'Ibagnet et Biron des ce soir,

Pour finir le marché doivent venir voua voir.

Enfin, vous triomphez Parabère exilée

Est un gage assuré de l'amour du Régent.

Mais mieux qu'à ses discours je crois à son argent.

Ennemi, je le sais, des promesses frivoles,

Cet amant, pour raisons nous compte des pistoles,

Car c'est là le vrai point, tout le reste est Phœbu.

MADAME D'AVERNE.

Vous le voulez, monsieur, je vous ferai... c...

Bientôt sur votre front le Régent de la France

Plantera le long bois.....

M. D'AVERNE.

C'est corne d'abondance.

C..., soit ; que me fait ce chimérique affront ?

Ce titre n'est vilain que pour ceux qui le sont

Gratis, mais la monocle en répare la honte :

Que m'importe, après tout ? j'en ferai mieux mon compte

Soyons riches, morbleu ! moquons-nous de l'honneur

Ce n'est qu'aux nota à qui c...age fait peur ;

Il n'est pour la faveur de route plus commune.

C'est par ce seul canal qu'à présent la fortune,

Chez les plus haut huppés à la cour s'introduit.

Plus a gagné de Prie à partager son lit

Avec le duc Borgnon, qu'il n'eût fait à la guerre

Et tant d'autres que lui.....

MADAME D'AVERNE.

Mais que dira ma mère ?

Doutez-vous que ceci n'excite son courroux ?

M. D'AVERNE.

Votre mère ! Eh mon Dieu ! vaut-elle mieux que vous ?

MADAME D'AVERNE.

J'appréhende surtout mes quatre oncles Boissise.

M. D'AVERNE.

Vos oncles ? L'un est gueux, les autres sont d'Église :

Pour apaiser leur, cris, sur eux on répandra

Les grâces, les faveurs.....

MADAME D'AVERNE.

Mais chacun glosera.

Le public déchaîné.....

M. D'AVERNE.

Beau sujet de contrainte !

Craignons de rester gueux, n'ayons pas d'autre crainte.

Mais laissons ors discours ; je vous l'ai déjà dit,

J'ai donné ma parole et cela vous suffit.

SCÈNE II.

MADAME D'AVERNE, seule.

Va, ce n'est point pour tel qu'ici je capitule.

Si je parais avoir encor quelque scrupule,

Ce n'est point sur le fait d'un mari ; mais mon cœur,

Sensible encore aux traits de cette vive ardeur

Que depuis plus d'un an d'Alincourt a fait natter,

Gémit d'être infidèle. Ah ! je le vois paroître.....

Que faire, malheureuse ? en ce fatal moment ?

Be quel mil dois-je encor regarder cet amant ?

Sans doute, il vient ici ranimer ma tendresse.

Cachons-lui, s'il se peut, ma nouvelle faiblesse.

SCÈNE III.

MADAME D'AVERNE. — M. D'ALINCOURT.

M. D'ALINCOURT.

Un bruit assez étrange est venu jusqu'à moi,

Madame, et Je l'al cru trop peu digne de foi.

On dit, et sans horreur, je ne puis le redire,

Qu'avec vous le Régent.....

MADAME D'AVERNE.

Bon ! bon ! vous voulez rire.

M. D'ALINCOURT.

Non, la peste m'étouffe ! à présent je le crois.

Vous recevez ce bruit avec trop de sang-froid

Pour m'en faire douter.....

MADAME D'AVERNE.

Mais vous n'êtes pas sage,

Marquis, vous mérites ce plaisant badinage.

M. D'ALINCOURT.

Éclaircissons le fait ; parlons sérieusement.

Est-il vrai qu'avec vous doit coucher le Régent ?

Vous ne répondez rien ? ce silence m'étonne.

MADAME D'AVERNE.

Eh ! qui vous a chargé du soin de ma personne ?

Je puis comme il me plait user de mes appas,

Ils sont à moi.....

M. D'ALINCOURT.

D'accord, je n'en disconviens pas,

Mais depuis plus d'un an j'en suis dépositaire ;

Tout Paris le sait bien, et même mou grand-père

Me voyoit à regret employer ma vigueur.

A servir vos désirs ; j'avouerai mon erreur :

J'avois cru que par là j'avois droit sur vos flammes,

Mais puisque, vous servant du droit acquis aux dames,

Vous voulez être ingrate, il fout vous imiter.

J'irai porter ailleurs mes vœux. Sans me vanter,

Je crois facilement pouvoir trouver fortune.

MADAME D'AVERNE.

Vous vous moquez, marquis ? De la blonde à la brune

Vous avez à choisir. Un seigneur tel que vous

Peut-il jamais manquer ? Ah ! vous êtes bien fou

De vous fixer à moi. Vous gagnerez au change ;

Il n'est point sous vos lois de cœur qui ne se range :

Beau, bien fait, rigoureux ?

M. D'ALINCOURT.

Il vous en souvient donc ?

A parler franchement, votre nouveau mignon

A plus d'argent que moi... mais, par ma foi ! du reste

Je ne troquerois pas....

MADAME D'AVERNE.

Eh ! qui vous le conteste ?

C'est mon goût....

M. D'ALINCOURT.

Votre goût ? Eh ! mon Dieu, depuis quand ?

Je vous avais connu l'appétit plus gourmand.

Je ne m'attendois pas à cette répartie.

MADAME D'AVERNE.

Savez-vous bien, monsieur que la plaisanterie

Commence à me lasser ?

M. D'ALINCOURT.

Arrêtons, j'y consens.

Aussi bien, mon courroux s'est contraint trop longtemps.

Four la dernière fois vous me voyer, ingrate ;

Ne craignes pourtant point que contre vous j'éclate ;

Je connois votre cœur, je vous dois mépriser.

Et même cet amant qui vient me déplacer,

Vous faisant éprouver toute son inconstance,

Sans que j'en prenne soin remplira ma vengeance.

Avant qu'il soit trois mois, vaudeville et chanson

Feront de vos attraits l'énumération ;

Et jusqu'aux Apollons de la Samaritaine,

Tous à vous célébrer exerceront leur veine.

 

Indifférent aux chansons et aux parodies, les lisant volontiers lui-même, et y ajoutant quelquefois même de son esprit, le Régent s'abandonnait aux douceurs de la lune de miel. Il affichait partout la nouvelle favorite et la déniaisait gaiement d'un reste de pudeur.

Le Régent est allé à Saint-Cloud l'après-dînée, avec sa nouvelle maîtresse ; elle a paru publiquement dans les jardins avec lui dans une chaise découverte, et la dame s'est s bientôt défaite de toute honte. Madame, qui est à Saint-Cloud, n'a pas ignoré cette promenade, quoiqu'on l'ait évitée. Les princes ne peuvent pas avoir de plaisirs secrets, et c'est là un des malheurs de leur condition[15].

 

Le prince faisait fort galamment les choses. Il s'était plié à tous les caprices de la nouvelle Régente in partibus, et lui avait sacrifié jusqu'à ce dernier sentiment, remords ou regret, qui l'attachait encore à l'ancienne. Madame de Parabère avait été définitivement destituée, et cet arrêt irrévocable avait ajouté une joie de plus au triomphe de sa rivale, qui n'avait voulu entrer dans ce cœur si occupé que lorsqu'il avait été vide. Pour attester la sincérité de sa conversion, l'amant infidèle avait été obligé, comme tous les relaps, de renier solennellement la religion qu'il venait de quitter et de cracher, comme on le dit énergiquement, sur l'idole. Ce n'est qu'alors que madame d'Averne s'était rendue, comme elles le font toutes, après la victoire, et était tombée sur ses trophées.

Cette énergique conduite lui avait valu de nouvelles faveurs de la part d'un de ces amants fascinés, tout heureux de prendre pour de l'amour un égoïsme aussi jaloux, et parvenus d'ailleurs à cet âge d'illusion où l'on juge d'une femme par les sottises qu'elle fait faire.

C'est ainsi qu'il envoyait à madame d'Averne cent mille livres pour avoir un habit d'été[16], sans doute en outre des cent mille écus de la corbeille, considérés comme le prix de la capitulation, le don du matin, le morgengab, de sa libérale reconnaissance. Il lui assignait aussi pour son entretien une pension considérable, eu égard surtout à l'état de ses finances.

Le public, moins prévenu que le Régent en faveur de la belle impérieuse, comparait, non sans malice, son acharnement contre celle qui l'avait précédée, acharnement qui, selon les Mémoires de Richelieu, ne tarda pas à s'apaiser[17], à la haine du Parlement contre Law, tantôt si farouche, tantôt si apprivoisée. Marais, lui, prenait au sérieux l'une et l'autre politique, peu initié qu'il était aux secrets de cette comédie de jalousie et d'incorruptibilité que le président de Mesmes jouait aussi bien que madame d'Averne, à coup sûr. On dit que comme le Parlement n'a voulu rentrer dans Paris qu'après que Law en seroit dehors, ainsi madame d'Averne n'a voulu se livrer qu'après que madame de Parabère sera chassée. Ainsi elle a le triomphe entier[18].

Le Régent, lui aussi, croyait à l'intégrité du sien. Il se félicitait de sa conquête et permettait qu'on lui fit compliment sur ses bonnes fortunes. Pourquoi n'en aurois-je pas, répondoit-il à ceux qui lui en faisoient leur cour, avec sa spirituelle bonhomie, pourquoi n'en aurois-je pas ? le président Hénault el le petit Pallu en ont bien[19].

Dès le 16 juin 1721, dix jours après l'époque où on commença à parler de madame d'Avertie, on ne parlait plus d'autre chose. Elle était présentée à. tout Paris comme favorite et prenait possession à grand fracas de la place d'honneur dans la fameuse loge qui avait entendu le dernier soupir de tant de vertus. Le mardi 16, à l'Opéra, elle a paru dans la loge du Régent très-parée, à la face de tout Paris.

Elle s'était déjà donné la confidente indispensable et avait chargé une amie complaisante du soin de la faire valoir.

Elle avoit pour compagnie madame Dodun, qui est très-jolie, femme d'un des principaux officiers du Régent, et qui sera sa complaisante. Elle a aussi des amants et cela fera la partie carrée[20].

Bientôt tout cela ne suffit plus. Après avoir ruiné sa considération, il s'agit de ruiner sa bourse. Rendons du moins cette justice au Régent que jamais prince en France ne fit plus galamment l'un et l'autre.

Le Régent triomphe avec sa nouvelle maîtresse, madame d'Averne. Les dames de la cour le flattent dans ses plaisirs. La maréchale d'Estrées, lui a donné une fille magnifique avec sa dame, et le Régent doit la lui rendre[21].

Suit cette particularité qui peint bien mieux encore que ce qui précède l'homme et l'époque :

On remarqua qu'à cette fête il but à la santé de madame de Parabère.

Barbier nous donne quelques détails sur cette fête qu'il place à la date du mardi 12 août 1721.

Le maréchal d'Estrées donna à souper au Régent avec madame d'Averne dans la petite maison de la maréchale d'Estrées, nommée Bagatelle, qui est sur le bord du bois de Boulogne, vis-à-vis l'eau et la maison du M. de Hurche. Cette maison, quoique bagatelle, lui a conté cent mille livres au moins ; mais ils ont gagné des biens immenses. Je soupois ce même jour dans le bois, dans une maison voisine. Nous les vîmes tous passer. J'admirai la sagesse du Régent qui sait, ou doit savoir, qu'il n'a pas donné sujet de l'aimer. Cependant il étoit dans un carrosse tout ouvert ; la maréchale à côté de lui, la d'Averne sur le devant ; deux valets de pied, sans un page ni un garde. Cela ne peut pas s'appeler avoir peur. Avant souper, ils se promenèrent sur l'eau. Nous entendîmes de dessus la terrasse des fêtes de musique. Et de là il s'alla coucher à Saint-Cloud[22].

 

C'est à partir de ce moment que semble s'allumer, à ces feux et à ces illuminations scandaleuses, la Verve vengeresse des poètes chargés d'exprimer les rares colères de l'opinion publique.

C'est à ce moment que commence ce feu roulant d'épigrammes que ne déconcertera plus rien, pas même le sang-froid de celui qui en est l'objet. Marais a noté curieusement cette période critique qui dans la vie galante du Régent, peut s'appeler l'ère des mauvaises langues. C'est l'époque de notre fameuse parodie.

Les railleurs ne s'en tinrent même pas aux lazzi. Pasquin quitta sa borne et s'arma, sans figure cette fois, de verges dont il fustigea un scandale insensible à toute autre correction. Le Régent fut insulté aux Tuileries par des inconnus, et même maltraité. On juge bien que l'outrage qui ne l'avait pas épargné n'épargna par ses maîtresses, qui furent non moins rudement accostées que lui.

Il formait, dans ce jardin fameux, de tout temps propice aux projets de l'amour, avec les favorites et les roués, une sorte de galant et frondeur Décaméron, qui, lorsque la nuit était complètement descendue et que la feule des promeneurs s'éclaircissait, s'installait à l'ombre de quelque berceau, sous les brises parfumées, et applaudissait aux bons mots de Nocé et aux saillies de Broglie, les deux loustics privilégiés de l'illustre compagnie.

Le fait vaut la peine d'être raconté.

Depuis quelque temps le jardin des Tuileries, ouvert au public, était devenu le rendez-vous du monde élégant. Un habit nouveau, une innovation de toilette recevaient obligatoirement dans cette promenade le baptême de la mode. Les Tuileries avaient donc la vogue comme le Cours-la-Reine, et plus tard les Champs-Élysées et le Bois de Boulogne. Le Cours était la promenade de jour des cavaliers et des équipages. Aux Tuileries on allait surtout, et à pied, respirer l'air du soir.

La mode, cet été, est d'aller promener la nuit aux Tuileries. Toutes les petites maîtresses y vont, et cela devient un rendez-vous général. Le 4 de ce mois, M. le Régent y étoit avec sa nouvelle maîtresse, madame d'Averne. On dit que lui et toute sa compagnie y firent mille extravagances[23].

C'est aux Tuileries que s'étaient produits successivement ces changements imprévus dans la toilette des femmes qui vérifiaient, selon Marais, une ancienne prophétie[24].

C'est aux Tuileries que reparurent pour la première fois, par quelque claire et tiède nuit, les pierreries défendues, que les femmes attachaient à leurs robes comme des étoiles. Les pierreries avaient été prohibées par des arrêts très-sévères des 4 février et t juillet 1720. Le 14 novembre ils furent révoqués. Les femmes, dit Marais, ont bientôt usé de cette permission, et l'on a vu leurs robes longues garnies de boutons et de boutonnières de diamants depuis le haut jusques en bas.

C'est aux Tuileries que paradait ce régiment doré, formé par le jeune roi de tous les jeunes seigneurs de la cour, et qui montait et descendait la garde tous les soirs sur la terrasse des Tuileries, d'où lui venait son nom de Royal-Terrasse.

C'est aux Tuileries qu'on entendait chanter les rossignols et roucouler les colombes, interdits, sous peine de 300 livres d'amende, tout habitant de Paris, par ordonnance dit lieutenant de police du 9 mai 1721.

C'est aux Tuileries enfin que venaient de se produire, au mois de juin 1721, ces habits d'un goût nouveau, tout brodés de nœuds de soie, que les dames ont faits tout cet hiver pour les hommes, dont parle Marais[25].

Le 14 juillet 1721 les Tuileries furent le théâtre d'une scène imprévue, et fort de nature, si elle se fût renouvelée souvent, à porter atteinte à la faveur dont ces propices ombrages jouissaient dans tout le petit monde — nous dirions aujourd'hui le demi-monde — de la galanterie[26].

On a parlé d'une aventure de nuit arrivée aux Tuileries, où le Régent se promenoit avec ces darnes. Il fut insulté par trois hommes qui le traitèrent mal, et sa maîtresse aussi. M. de Biron voulut aller auprès. Ils lui dirent qu'il faisoit là un vilain métier, et qu'ils ne lui conseilloient pas de les suivre, et qu'il n'iroit pas jusqu'à la porte. n s'en retourna paisiblement. Et depuis ce temps-là la porte des Tuileries a été fermée à dix heures[27].

 

Quoi qu'il en soit de cette aventure, le crédit de madame d'Averne n'en souffrit pas.

A cette époque, au contraire, elle arrive à l'apogée de son pouvoir.

La nuit du mercredi 30 de ce mois, M. le Régent a donné une fête superbe à sa maîtresse, madame d'Averne, dans la maison qu'il lui a louée à Saint-Cloud, qui est sur la côte, à droite du pont[28].

Il y avoit douze hommes et douze femmes priés pour le souper[29], en habits neufs.... Madame d'Averne y étoit brillante, avec madame du Deffand et une autre dame ; plusieurs autres dames se sont excusées d'y venir, et n'ont pas voulu prendre part à cette joie. Il y avoit beaucoup d'hommes de la cour du Régent... Souper magnifique, grande musique.... La fête a duré une partie de la nuit.... A dix heures on illumina les jardins et tout le parc de terrines et de lampions attachés aux arbres, qui faisoient avec les cascades et les jets d'eau un effet surprenant. A minuit et un quart, on tira un feu d'artifice sur l'eau, qui fut beau et bien exécuté, malgré la petite pluie. J'ai vu cette fête. L'illumination étoit superbe, de voir tout un parc en feu. Tout Saint-Cloud, Boulogne, et le bord de l'eau de côté et d'autre, Passy, Auteuil, étoient remplis de carrosses avec des flambeaux, ce qui faisoit le plus bel effet, et on voyoit de toutes parts les délices de Caprée. Il y avoit un monde épouvantable, de manière qu'hier matin les paysans de ce pays-là sont venus au Palais-Royal, au nombre de dix députés, présenter un mémoire des dégâts[30].

 

Barbier, entrainé par le ressentiment des pertes qu'il a faites au jeu des actions, trace de madame d'Avertie un portrait peu flatté, et que sa hardiesse nous force à reléguer en note[31].

C'est à cette fête qu'elle offrit au Régent un ceinturon avec des vers dont Arouet était l'auteur, s'il faut en croire le Recueil Maurepas. Depuis Œdipe, Arouet, corrigé par la prison et par la gloire, s'appelait Voltaire. Il avait changé de nom, s'il faut l'en croire, pour ne pas être confondu avec le poète Roy, très-satirique, et son ennemi. Il avait aussi filme de politique. Le poète imprudent qui avait jeté dans la circulation maint quatrain mordant, mainte insolente épigramme contre le Régent et sa fille, était bien revenu de ses égarements. Il avait, dans la préface d'Œdipe, tout désavoué de ce compromettant bagage peu littéraire ; il avait solennellement brillé ce qu'il avait adoré, et réciproquement[32]. Depuis lors, pensionné, médaillé, il s'était insinué à la cour, entre Richelieu et Brancas, ses deux amis. Il avait reconquis à force d'esprit les bonnes grâces du Régent, qui l'avait nommé en attendant mieux son ministre secrétaire d'État au département des niaiseries. Il aspirait à mieux en effet, dissimulant sous ses frivoles dehors une ambition qui n'allait à rien moins qu'à prétendre à une mission qu'il sollicitait sans en avoir l'air, en rappelant à Dubois les noms de Néricault, d'Addison et de Prior, moitié littérateurs, moitié diplomates. Rien ne lui contait pour arriver à son but, surtout ces petites flagorneries rimées qu'il oublia toute sa vie sur la toilette des de Prie, des Pompadour et même des Dubarry.

C'est donc à Voltaire qu'échut le frivole honneur, peut-être sollicité par lui, d'écrire le compliment de la favorite au Régent. Il a paru des vers que l'on amis dans la bouche de madame d'Averne, en donnant un ceinturon au Régent.

Voici ces vers que nous ne donnons au lecteur que comme un spécimen de la poésie de Voltaire lui-même, quand il se faisait courtisan :

Pour la mère des Amours

Les Grâces autrefois firent une ceinture,

Un certain charme étoit caché dans sa tissure ;

Avec ce talisman la déesse étoit sure

De se faire aimer toujours.

De la même manufacture

Sortit un ceinturon pour l'amant de Vénus.

Mars en sentit d'abord mille effets inconnus.

Vénus, qui al le don, ne se vit pas trompée.

Aussi, depuis ce temps le sexe est pour l'épée.

Les Grâces, qui pour vous travaillent de leur mieux,

Ont fait un ceinturon sur le même modèle,

Que ne puis-je obtenir des dieux

La ceinture qui rend si belle[33],

Pour l'être toujours à vos yeux !

Mais voici le revers de la médaille.

Malgré cet empressement du public pour voir cette fête, il n'y avoit personne qui n'en fût indigné, et chacun auroit moins plaint ses pas, à ce que l'on disoit hautement, si le tonnerre avoit voulu s'en mêler.

Effectivement, rien de plus contraire à la religion que de faire ainsi triompher l'adultère et le vice publiquement, contraire aussi à l'humanité de faire des fêtes dans un temps où tout le monde est ruiné, où personne n'a un sol, cela s'entend pour le général. Le roi de la fête ne s'est attiré que des malédictions, même par les gens de sa maison[34].

 

Le sagace Barbier, bonhomme sournois, aussi au fait des mœurs de la cour que de celles du palais, avait parfaitement deviné que le Régent n'était guère aimé, tout en croyant l'être, et qu'il n'était plus là que pour faire é un autre, pour ainsi dire, les honneurs de son triomphe.

Ce tiers encore innommé, dont le chroniqueur n'a pu que soupçonner l'invisible existence, nous le présentons aujourd'hui au lecteur, mais de profil seulement, car qui pourrait se vanter de peindre de face l'insaisissable Richelieu ? Le daguerréotype seul pourrait de nos jours surprendre dans ses évolutions prestigieuses, ce héros pétillant des ruelles, type caractéristique de cette époque à part, qui, sans lui, n'aurait pas de représentant complet.

C'est lui, toujours lui, Richelieu, toujours Richelieu, de plus en plus effrontément heureux dans cette guerre originale qu'il avait déclarée au Régent, et dont madame de Sabran, madame de Parabère, madame d'Averne, la petite Émilie, la sémillante Souris, de l'Opéra, devaient tour à tour être les conquêtes.

Et puisque nous sommes parvenu à l'attraper dans sa voltige conquérante, dans son vagabondage triomphal, arrêtons-le, cet infatigable preneur de cœurs, et qu'il pose un moment devant nous, ce joueur insolent qui battait toujours son adversaire au jeu de l'amour, et qui semblait y avoir pris plus particulièrement le duc d'Orléans pour victime, lui souillant coup sur coup ses plus belles parties[35]. Heureux temps peut-être que celui où les haines politiques avaient tant d'esprit, où un conspirateur se vengeait de la Bastille eu enlevant ses maîtresses au prince qui l'y avait fait mettre, et où le prince, à son tour, ne punissait que d'un bon mot ce double défi porté à son indulgence !

Louis-Armand-François Duplessis, duc de Richelieu, était né le 13 mars 1696, et avait, par conséquent, à l'époque où nous le voyons pirouetter du côté de madame d'Averne, un peu plus de vingt-cinq ans. Rien ne lui manquait de ce qui peut rendre les femmes folles d'un homme ; car pour les maîtresses de Richelieu, assurées d'avance de l'infidélité, condamnées dès les premiers jours à la honte d'un partage souvent inégal, et s'y résignant, que dis-je ! s'y prêtant aveuglément, toujours assez heureuses enfin d'un peu de cet homme qui ne se donna jamais tout entier, ce serait trop peu dire que de dire amoureuses.

Une figure agréable, qui promettait plus qu'elle ne donnait, de mime que son cœur ; des yeux brillant d'une audace qui n'attendait jamais la victoire, une bouche faite pour le mensonge et le baiser, une démarche souple, ailée, quelque chose de ce double charme de l'oiseau et du serpent ; un tempérament de fer, soigneusement entretenu par toute la science de l'égoïsme ; une soif inextinguible d'aventures ; un aplomb imperturbable et souriant, incapable des blasphèmes de don Juan, mais tout pré t à saluer gaiement la foudre et à crier à Dieu, comme il devait faire plus tard aux Anglais, à Fontenoy : Tirez le premier ; le talent inné de traiter sans trop leur déplaire les hommes aussi lestement que les femmes ; une grande fortune préservée, par de prévoyantes substitutions, dus prodigalités paternelles ; un grand nom, qu'on était agréablement surpris de ne plus trouver que charmant ; le rang de duc et pair, le titre d'académicien, trois séjours à la Bastille, des duels brillants, l'amitié de Voltaire ; — tels étaient les prestiges divers, les séductions variées, ou plutôt, de quelque côté qu'on le prit, tel était l'universel attrait de cet homme adorable et insensible, méprisable et charmant, de cet enfant gâté de la nature, qui fut l'enfant gâté de tout le monde, même de l'histoire.

Telles étaient les armes offensives et défensives avec lesquelles il se présentait dans la vie, ce privilégié, ce favori, né à propos d'une distraction du Dieu terrible, d'un sourire du Créateur. Chef-d'œuvre ébauché qui n'eut pas le temps d'âtre complet, sorte de jouet à figure d'homme, où l'on avait oublié le cœur, Richelieu réunit toutes les grâces sans force, tous les mérites sans honneur, tous les courages sans vertu. Doué du talent de plaire, ce fut là tout son génie ; il plut, ce fut là toute sa gloire. Il portait avec lui son propre châtiment : condamné à être aimable, il ne réussit jamais à être grand. En dépit de toute son ambition, il ne fit que du bruit. Dans la comédie politique, il ne joua jamais que les rôles d'amoureux ; pauvre Richelieu ! perpétuellement amoureux, hélas ! et fatalement heureux. Son unique victoire, il ne la dut qu'a ses ennemis. Les fautes de son adversaire firent toute son habileté. Ses ambassades, il ne se dissimulait point qu'on les donnait en lui, non à l'homme de bureau, mais à l'homme de cour, non au négociateur, mais à l'alcôviste. C'est ainsi qu'en dépit de ses efforts, des Lettres de madame de Tencin et des Mémoires de Voltaire, en dépit de sa campagne de Hanovre et de la prise de Mahon, il ne fut jamais que le ministre des plaisirs de Louis XV et le secrétaire d'État au département du Parc-aux-Cerfs ; politiquement parlant, au-dessous même de Maurepas, un milord Colifichet sublime, un fat immortel[36].

 

Mais revenons au Richelieu de vingt-cinq ans.

Presque enfant, il avait appris avec madame la duchesse de Bourgogne, qui ne lui donna guère autre chose qu'un peu d'expérience, le faible du cœur des femmes. A peine adolescent, il mit en pratique ses fallacieuses théories, méditées à la Bastille. On le vit mettre à toutes les serrures cette clef infaillible, essayée sur une future reine de France, et qui servit depuis pour lui ouvrir le cœur de tant de princesses, de tant de duchesses, de tant de bourgeoises.

Madame d'Averne pouvait-elle résister un seul moment à celui qui se glorifiait de tant de gracieuses dépouilles, à celui qui, dans sa cassette, avait à côté du pistolet dont madame de Nesle s'était servie pour se battre en duel contre madame de Polignac, des lettres de la duchesse de Villeroy, de la duchesse de Duras, de la maréchale de Villars, de la princesse de Soubise, de madame de Parabère, de madame de Sabran, de madame de Guesbriant, de mademoiselle de Charolais, de mademoiselle de Valois, fille du Régent, et de tant d'autres ? Pouvait-elle refuser ce monacal costume que le facétieux vainqueur s'empressait d'imposer à ses maîtresses, et par lequel il constatait dans sa fameuse galerie de nonnes galantes, retrouvée, dit-on, leur défaite d'un ironique symbole ?

Madame d'Averne n'y songea pas un moment. Elle fut cloîtrée comme les autres, mais pas pour longtemps, le temps de poser seulement devant l'amant et devant le peintre.

Pauvre Régent ! cette fête à Saint-Cloud, que vous croyiez donner à madame d'Estrées et à madame d'Averne, vous la donniez en réalité à Richelieu, à ce jeune fat insolemment acharné à sa revanche de la Bastille. Vous aviez ce qu'il fallait pour lui faire tomber dix têtes, s'il en mit eu une seule ; il se venge en vous jouant des tours capables de vous percer cent fois le cœur, si vous en aviez un.

Pas de maîtresse qu'il ne vous enlève, et vos filles, vos propres filles, il les dispute à la fois toutes trois au mariage, au vice, au cloître même, ou du moins il s'en vante.

Pauvre madame d'Averne ! cette fête que le Régent croit vous donner et que vous croyez offrir à Richelieu, il ne s'en sert que pour triompher d'une autre. Vous avez éclairé de dix mille lampions son infidélité. Vous célébriez votre avènement, et il se trouve que c'est votre chute que vous solennisez. A l'ombre des bosquets où le vent, son complice, a soufflé les indiscrètes girandoles comme à la lueur des flambeaux du bal, ce n'est pas vous qu'il cherche pour vous dire merci et vous serrer la main ; il vous fuit, au contraire, vous et votre joie importune, et vos importunes caresses ; celle qu'il cherche, c'est madame de Mouchy ; celle qu'il cherche derrière madame de Mouchy, c'est la duchesse de Berry elle-même[37].

Mais écoutons le frivole historien de ce frivole héros :

Incapable d'être retenu par aucun lien, il faisoit consister son plaisir dans le nombre de ses maîtresses, et mettoit sa gloire à se faire aimer de celles du Régent. Madame d'Averne avoit été prise et délaissée. Le Régent qui en avoit été amoureux, lui donnoit trois mille livres par mois, seulement pour sa table ; le reste de sa dépense étoit proportionné. Elle menoit le plus grand train, mais malgré tous les plaisirs dont elle s'efforça d'environner le duc de Richelieu, elle ne put l'enchainer qu'un instant.

En vain madame d'Averne se servit du prétexte d'une fête qu'elle rendit à madame la maréchale d'Estrées, qui lui en avoit donné une à Issy, pour ramener son infidèle. Elle l'invita[38] à se rendre à Saint-Cloud, où l'illumination la plus brillante, le bal le mieux choisi, un feu d'artifice sur l'eau l'attendaient. Elle eut grand soin de lui dire que tous ces préparatifs étoient pour lui ; que, ne pouvant l'avouer, elle avoit saisi l'occasion de rendre à madame d'Estrées ce qu'elle en avait reçu, mais que l'intention étoit pour l'amant qu'elle ne pouvoit s'empêcher d'aimer, et dont elle espéroit célébrer le retour.

Richelieu promit beaucoup, jouit de tout en héros de la fête, et loin de tenir parole à madame d'Averne, chercha tous les moyens de plaire à madame de Mouchy, dame d'honneur de madame la duchesse de Berry. Elle étoit très-jolie et très-gaie, et il espérait qu'elle ne lui serait pas longtemps cruelle[39].

 

Et savez-vous comment il fut puni, cet irrésistible Richelieu qu'on aimait en le haïssant ?

Madame d'Averne le punit en continuant de l'adorer et en se contentant du droit de lui écrire de temps en temps, M. d'Alincourt fournissant, en collaboration avec M. des Alleurs, au surplus de la consolation.

Quant au Régent, vous ne diriez jamais ce qu'il fit lorsqu'il surprit le secret de son sort. Cet homme qui lui portait malheur, ce Richelieu qui jouait avec lui à la paume le jour qu'il faillit s'y crever l'œil, ce Richelieu qui lui barrait toujours le chemin dans ses intrigues, et qu'il coudoyait sans cesse dans ses amours, ce satané Richelieu enfin ! pour toute vengeance, il l'invitait à souper[40].

Quel était donc ce talisman, ce mot mystérieux, ce signe invisible, ce cabalistique secret, qui faisait ainsi de Richelieu la coqueluche des femmes et des maris eux-mêmes, et qui rendait, s'il eut quelques ennemis, leur haine muette et leur vengeance impossible ? Quel était donc ce magnétique attrait, ce charme irrésistible qui lui permettait de perdre une femme d'un sourire et de conquérir tout ce qu'il daignait regarder ? Était-il donc si beau, après tout, cet homme dont les yeux fascinateurs étaient plus dangereux pour les coquettes de son temps que le miroir pour les alouettes, ce rival aussitôt heureux qu'al, rivé, qui récoltait toutes les passions que le Régent avait semées, et devant lequel le Régent s'inclinait, comme si l'amour eût été son domaine, la séduction son droit, et l'insolence sa mission ? Il devait l'être, et cependant cette beauté trouva des blasphémateurs qu'elle n'éblouit pas. Madame avance le contraire avec une brutalité tout allemande. Était-il donc si éloquent ? Il ne le fut guelte cependant à l'Académie française, en dépit des auteurs de son discours dont l'orthographe seule lui appartient. Comment donc cet homme dont une femme prévenue, il est vrai, et d'ailleurs peu sensible, contestait la beauté, et dont Roy, Fontenelle et Voltaire faisaient le talent, ne trouvait-il ni cruels ni cruelles, ni critiques, ni juges ? Comment son bonheur enfin ne fut-il jamais au-dessous de son audace, mais imperturbable et effronté comme elle ?

Je vais vous le dire.

Ce secret, que Soyecourt, Guiche et Lauzun avaient découvert et pratiqué ensemble, que ce dernier avait dit à l'oreille de Riom, et que Richelieu avait deviné, grâce aux imprudences, souvent calomniées, de la duchesse de Bourgogne ; cette formule pour paraître toujours beau, jeune, adoré, sinon pour l'être réellement, je vais vous les révéler pour la honte et la punition de l'époque qui s'y laissa prendre.

Nil mirari, ne douter de rien, telle était la devise de ces héros de boudoir, dont la vie fut comme l'épopée de la fatuité. Ne douter de rien, non dans le sens philosophique de l'expression chère au sage, mais dans le sens cynique. Voulez-vous savoir pourquoi ils faisaient si beau chemin dans le monde, tous ces beaux cadets de Gascogne qui bravaient le roi Louis XIV lui-même dans son pouvoir et dans ses amours ? Ils ne doutaient de rien. Lauzun brutalisait Mademoiselle, l'héroïne dégénérée de la Fronde, cette illustre virago qui avait commencé par défier l'Amour, et qui finissait par le servir à genoux. Riom brutalisait la fougueuse duchesse pour continuer la tradition. Richelieu, lui, n'en battait aucune, mais il les compromettait toutes. Lui aussi il ne doutait de rien, et voilà pourquoi il triomphait. Il était indiscret par système, bavard par calcul, et voilà pourquoi tous les jours quelque noble malheureuse, prise de ce vertige qui s'empare de la femme devant tout homme plus habile quelle, sollicitait de lui l'honneur d'être déshonorée. Chose affreuse é dire I plus d'une se donna, non par ivresse de passion, mais par ivresse d'orgueil ; plus d'une se perdit, pour être perdue par lui, et l'entendre dire. Ce fut comme une émulation de scandale, comme une joute d'impudeur. Pour la première fois on rougit de la vertu. Richelieu n'encouragea que trop cette vanité étrange et dépravée. Il avait le grand secret de son temps, le plus corrompu d'esprit qui fut jamais. Il en usa largement. En deux mots, voulez-vous savoir pourquoi il fut adoré de toutes les femmes ? c'est qu'il les méprisa toute[41].

D'août 1721 à janvier 1722, nous trouvons peu de faits à noter dans la vie intime de la cour du Régent. Les choses s'y passent comme à l'ordinaire. Madame d'Averne s'y ennuie de plus en plus avec son amant[42]. Le Régent commence à se dégoûter de sa maîtresse. Attentif, enfin, à la voix de la conscience, ou plutôt au sourd murmure d'une constitution ébranlée, il se fait par moment une sorte de sagesse de l'impuissance, de philosophie de l'épuisement, qu'il exprime d'une façon toujours originale et pittoresque.

Son fils, M. le duc de Chartres, est tombé malade d'une maladie qui ressemble fort à celle qui le menace[43] et dont Marais décrit d'une manière assez étrange les symptômes et les accidents. On attribue, non sans quelque raison, l'alitement du prince aux excès voluptueux dont la Quinault lui a fait un dangereux besoin. Le Régent ne blâme pas son fils d'une conduite copiée sur la sienne. Sa morale est digne de lui : Nous ne sommes pas de fer, lui dit-il, il se faut ménager.

Voilà toute la leçon.

Et il ne se ménage guère lui-même, n'épargnant pas plus son argent que sa santé, et son esprit que l'un et l'autre.

En février 1722, le duc de Chartres qui se sent déjà devenir dévot, renvoie sa maîtresse, et même assez mesquinement, avec mille pistoles dans la main et un brevet de mille écus de pension.

Le Régent, lui, se reprend par moment à aimer encore, à courir les aventures du cœur, à offrir en sacrifice à celle qui pense toujours en secret à Richelieu un dernier regain de jeunesse et de gaieté. Mais on sent déjà le ver rongeur au fond de cette joie, et ce ver rongeur c'est l'ennui, le pire ennui de tous, celui du blasé. Oui, tous ces lazzi de plus en plus laborieux, de plus en plus communs, ne sont qu'elle hypocrisie d'esprit. Décidément cet homme charmant est en décadence ; il manque ses mots, ses épigrammes font long feu. Il s'étourdit encore, mais demain il verra la brutale vérité se dresser devant lui ; il ne s'amuse plus, hélas ! et il n'amuse plus les autres. Tout le monde s'en aperçoit, on se le montre d'un œil étonné, on parle bas alors qu'il est passé. On ne compte déjà plus ses lapsus. Le Régent baisse, dit Broglie à Biron, et Biron répète à Broglie : le Régent baisse. Oui, monseigneur, vous baissez, et ce n'est pas seulement votre esprit qui s'affaisse et qui n'a plus d'ailes, c'est votre corps qui s'épaissit et s'alourdit, et semble tourmenté d'un pressentiment d'apoplexie. C'est votre œil qui se perd et ne laisse plus entrevoir que rarement quelque dernière étincelle d'une intelligence qui s'éteint. C'est votre bras inerte qui n'a plus l'autorité du commandement ou la grâce aisée de la caresse ; vos joues ne s'épanouissent plus, elles s'empourprent, le sang ne les colore plus, il les enflamme. Et le docteur Chirac vous suit d'un air inquiet, tout prêt à demander sa lancette. Allons, monseigneur, il en est temps encore, mais tout juste temps, rangez-vous ; car la mort va passer. Que la France ait de quoi vous bénir et qu'elle pleure en vous perdant.

Mais bah ! c'est bien à la France que pense le Régent. Aux éloquentes adjurations d'une pièce de vers qui courut vers cette époque, et qui semble animée d'une sorte de souffle prophétique, à ces strophes indignées qui semblent les éclairs et les tonnerres avant-coureurs de la colère du Dieu, l'impénitent obstiné répond par des plaisanteries de corps de garde.

Ecoutez, écoutez ces vers haletants qui semblent sonner le glas de la divine vengeance :

Si tu veux fléchir ma justice,

Et que j'exauce tes désirs,

Impie, abandonne le vice,

Quitte les criminels plaisirs. — Nunc

Mon peuple, sous ta main coupable,

Languit, gémit amèrement,

Quoique la misère l'accable

Sans espoir de soulagement. — Dimittis

Je t'ai mis en main la puissance,

Etoit-ce pour en abuser

Et pour opprimer l'innocence ?

Le maitre doit-il écraser ? — Servum

Je t'ai donné ma loi pour guide,

Tu l'as transgressée en tout point.

Par ton avarice sordide

Tu ravis un bien qui n'est point. — Tuum

Si tu veux toucher ma clémence,

Travaille à te sanctifier ;

On n'évite point ma vengeance

En se contentant de crier. — Domine

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ta détestable politique

N'écoute ni droit ni raison,

Tu pilles palais et boutique ;

Nul n'est dans sa propre maison. — In pace

Ton nom, fameux par tes rapines,

Vole au delà de l'océan,

Et les princes des cours voisines

Te détestent comme un tyran : Quia viderunt

Suivant la chaleur de ta bile,

Tu maltraites tous les sénats.

Dans Paris et dans chaque ville

Les magistrats ne sont-ils pas ? — Oculi mei

Tu ressentiras la misère,

Avant qu'on ait vu le soleil

Parcourir trois fois l'hémisphère,

Si tu ne suis pas un conseil. — Salutare

Par la splendeur de la couronne

En vain tes yeux sont éblouis ;

Ne crois pas que je te la donne,

Je prétends conserver Louis. — Tuum

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pour toi, règle ta conscience,

Travaille à réparer le tort

Que tu as fait à la France

Pour cela je te laisse encor. — Lumen

Profite du temps qui te reste ;

Si je diffère il te punir,

Ton sort en sera plus funeste

Lorsque je te ferai venir. — Ad revelationem

Les débauches, les adultères

Et les autres débordements

Qui font tes plaisirs ordinaires,

Excitent les gémissements. — Gentium

Si tu ne brises tôt les chaises

Dont tes crimes chargent ton cœur,

Je t'infligerai mille peines,

Qui satisferont la fureure. —  Plebis tuæ

Je suis le maître de ta vie.

Mon pouvoir n'est point limité ;

Redouta donc le sort impie

Qui tenoit en captivité. — Israël.

Et, pendant que retentissait autour de lui, sans parvenir à pénétrer dans son cœur assourdi par les passions, cette voix menaçante, le duc d'Orléans s'occupait d'une innovation récente de la toilette des femmes et la critiquait dans des termes à peine compatibles avec la liberté de la note où nous les rejetons[44].

Enfin une sinistre nouvelle circule à la cour et à la ville. Le Régent est malade ! On commence à l'aimer dès qu'il n'est plus temps. On le désire maintenant de crainte d'avoir à le regretter. On ne s'aperçoit plus que de ses qualités, et l'on ne songe plus qu'aux défauts du duc de Bourbon, son successeur probable et redouté.

Hier encore, tout Paris se pressait sur la place et dans les cours du Palais-Royal, magiquement illuminé. Mais c'était avec des haussements d'épaules et des grincements de dents que les bourgeois boudeurs, que les officiers mécontents, que les parlementaires exaspérés contemplaient cette fête ruineuse. Ce feu d'artifice splendide, retombant en pluie d'étoiles, ces chiffres de feu, ces étincelantes devises, ces décorations grandioses, ils admiraient tout cela en les maudissant, partagés entre leur surprise et leurs rancunes. Les poétereaux glissés dans la foule partageaient et irritaient cette opposition stupide, cette révolte jalouse d'un peuple charmé et furieux de l'être ; les malins couplets pétillaient et là dans les groupes comme les fusées au ciel : Il y avoit une peinture au fond de la place représentant le foudroiement des Titans, sur quoi on a fait cette satire :

La foudre qui confond les orgueilleux Titans,

Dont Philippe aujourd'hui nous retrace l'histoire,

Doit nous graver dans la mémoire

Qu'on ne peut amer tôt écraser les tyrans.

Vaines clameurs t vaines menaces ! Le lendemain, ce même peuple effrayé se précipite fi travers les débris encore fumants de l'artificiel incendie et inonde les cours où quelques ouvriers déclouent ces vases, ces portiques, ces colonnes, toute cette capricieuse et Prèle architecture, aujourd'hui informe et souillée, hier si éblouissante. Tout l'étincelant échafaudage de cette nuit féerique, toute cette poétique fantasmagorie, tout cela tombe pièce à pièce, sous le marteau brutal du tapissier, et la boue étouffe le reste de ce chef-d'œuvre de la perspective, de ce miracle de la lumière. Eh bien ! ce même peuple qui hier maudissait son tyran, il vient redemander le plus prodigue, mais au fond le meilleur des pères, il abjure hautement ses séditieux blasphèmes, qui hier n'étaient pas du murage, mais qui seraient aujourd'hui une lâcheté. Hier il était prêt à se ruer sur les flambeaux et sur les soleils, et à porter l'incendie dans ce palais qui semblait le défier de tant de flammes, aujourd'hui il voudrait faire du lit de Philippe mourant, porté sur ses bras, une sorte de trône triomphal.

Et cependant, ce n'est pas pour lui, pour le sauver ou seulement pour lui plaire que le Régent a exposé sa vie. Écoutez, il n'est pas de grand prince pour son valet de chambre. Eh bien ! demandez au valet de chambre du duc d'Orléans[45] la cause de sa maladie.

Barbier, lui, veut donner à cette maladie une cause politique, mais j'opte avec Marais pour la débauche.

Le 21 mars, le Régent est toujours malade. On s'en prend aux médecins qui l'ont trop saigné. Bien des gens sont en campagne et parlent de la Régence future ; le Parlement fait des assemblées secrètes pour savoir Si on fera le roi majeur avant treize ans et un jour, le cas arrivant de la mort du Régent. Le duc de Chartres n'a pas l'âge pour l'être ; on craint la dureté de M. le Duc.

Le 24 mars, toujours même incertitude : M. le Régent n'a point vu ce feu — du duc d'Ossonne —, il est malade depuis du temps. Il a été saigné deux fois ; les uns disent que c'est quelque chose, les autres rien[46].

Marais, lui-même, perd courage ; les maîtresses aussi : La maladie du Régent fait bruit parmi les maîtresses. On dit que les actions de madame d'Averne baissent, et que celles de madame de Prie haussent[47].

Mais le Régent ne devait pas mourir ainsi. Cette fin n'eût été que triste, il devait avoir une fin horrible. La mort naturelle n'est qu'une leçon. La mort subite est une vengeance. C'est subitement que devait mourir Philippe d'Orléans, d'un coup de foudre de l'apoplexie. Mais n'anticipons pas sur la moralité de cette histoire destinée à finir comme un drame.

Le 27, le Régent va mieux. Il a dormi, il a mangé, il a ri, et les mauvaises langues n'ont que l'avenir pour se dédommager. Chaque copartageant futur de cette succession retardée en appelle de son désappointement fila médecine et à ses plus fâcheux pronostics. Le mal vient de loin, dit-on ; les uns parlent d'une hydropisie de poitrine, d'autres affirment qu'il est menacé d'un asthme. Seul Chirac, qui est un bon médecin, le traite très-bien et fait espérer qu'on le verra bientôt en santé[48].

En attendant, le Régent, que ses maladies ne convertissent pas, comme elles devaient convertir Louis XV, cherche à répare le temps perdu. Madame d'Averne gagne à tout cela d'être présentée.

On est venu de tous les côtés dire adieu au roi qui doit partir demain pour Versailles. Le Parlement, toute la cour et la ville y ont été. On lui a présenté trois dames.

Madame la duchesse de Lorge et madame la duchesse de La Ferté ont amené madame de Rambure, nouvelle mariée qui a épousé le neveu du premier Président[49]..... La troisième est madame d'Averne, maîtresse du Régent ; mais on n'a pu me dire comment cela s'étoit fait. Elle doit aller à Versailles, et avoir même un logement au Louvre. C'est pour faire enrager madame de Prie, qui y loge de droit, son mari étant associé à l'éducation du roi. La corruption de la cour est si grande qu'on y fait toutes sortes de scandales sans attention[50].

 

M. le duc d'Orléans n'avait présenté madame d'Averne que pour avoir le droit de la mener à Versailles. Madame d'Averse ne tenait à aller à Versailles que pour y jouir du dépit de madame de Prie, qui voulait dire seule dans le vice à avoir les privilèges de la vertu. Le roi seul était heureux de respirer ce grand air de Versailles qui lui souillait à la fois l'ambition et la santé. Le Régent se plaignait au contraire de cette grandeur importune qui l'enchaînait à la personne du roi. Il était à cette terrible période des vies corrompues où l'on ne tient plus au vice que par habitude, cette dernière et inébranlable racine. Le cardinal Dubois, qui avait l'instinct, sinon le génie des devoirs du gouvernement, forçait son maître, toujours son élève, à accepter cette servitude d'honneur, dans l'espoir secret de l'en dégoûter, et de s'y faire substituer.

Le roi a un goût tout particulier pour Versailles, et si grand qu'il a été résolu de l'y laisser tout l'hiver. Dans une liste satirique d'exilés, on a mis le Régent exilé à Versailles, par ordre du cardinal Dubois. Il revient tous les jeudis à Paris, et retourne le samedi matin. Madame d'Averne est toujours des voyages, et s'ennuie fort à Versailles, où il n'y a ni spectacle ni Cours, et  où on est si fort en vue qu'elle ne peut tromper son amant[51].

 

Et jugez de la contrariété, c'était précisément Richelieu qui venait d'avoir un retour pour la favorite. C'est seulement à cette époque que Marais le fait entrer en scène. On soupçonne, dit-il, le duc de Richelieu de ravir au Régent les faveurs de sa maitresse.

Ceci est de juin 1722 (17, 18, 19).

Dès le 31 juillet, Mathieu Marais raconte avec indignation les orgies qui ont souillé les bosquets où était passé le grand roi. On vit en débauche ouverte à Versailles. Il n'y a personne à la tête qui puisse contenir les courtisans et les dames. Les princes ont des maîtresses publiques, et il n'y a plus ni politesse, ni civilité, ni bienséance. Ce n'est  plus la cour de ce grand Roi qui, d'un regard, arrêtoit les plus libertins. Et on y voit régner tous les vices sous un roi mineur qui n'a point encore d'autorité.

Tout cela finit par un si cynique éclat[52] que la dépravation du temps elle-même en baissa les yeux. Madame de Retz, digne fille d'une indigne mère, le marquis d'Alincourt, le jeune Boufflers, M. de Mesme furent exilés, et on donna à Boufflers, qui était déjà marié, un gouverneur comme à un enfant ; quant à Rambure, la Bastille lui fut assignée comme lieu de retraite.

Cependant le moment du sacre approchait. A cette heure solennelle qui devait consacrer son innocence et sa loyauté, et où le Te Deum de Reims devait le venger de tant d'accusations et de tant de calomnies, le Régent se sentit-il régénéré, purifié par une sorte de gràce ? Les excès dont il avait été le témoin et peut-être l'exemple le firent-ils rentrer en hii-même ? Les larmes de la pieuse maréchale de Boufflers, désolée des débauches de son fils, trouvèrent-elles le chemin de son cœur, et se surprit-il à écouter malgré lui les exhortations et les reproches, qu'il n'avait fait qu'entendre jusque-là, de la duchesse sa mère et de Saint-Simon ? Je ne sais, mais toujours est-il que depuis cette époque, il est permis de suivre le travail intérieur de cette conscience réveillée. Le Régent retrouva dans ses scrupules de gouverneur et de gardien du roi une sorte de seconde honnêteté. Le crédit des maîtresses baissa, et les roués se dispersèrent. Il les avait fuis au milieu des grands souvenirs et des traditions sévères de Versailles, il s'en débarrassa enfin, toujours grâce à la prévoyante ambition de Dubois, d'une façon plus complète encore. Nocé et Canillac, Noailles lui-même, ne tardèrent pas à être exilés.

C'est vers ce moment si curieux, si intéressant pour le moraliste et l'historien, de la transformation douloureuse du prince, que Saint-Simon nous ouvre sur cette âme bourrelée, sous une apparente insouciance, ces larges vues, ces profondes perspectives qu'il éclaire d'un si magnifique style :

Je passai sans m'arrêter et j'entrai dans le cabinet de M. le duc d'Orléans.

Je trouvai un homme occupé, distrait, qui me faisoit répéter, lui, qui étoit au fait avant qu'on eût achevé, etc.. Cette distraction et ce sérieux me donnèrent lieu, au bout de quelque temps, de lui en demander la cause. Il balbutia, il hésita, et ne s'expliqua point. Je me mis à sourire et à lui demander s'il étoit quelque chose de ce qu'on m'avoit dit tout bas, qu'il pensoit faire un premier ministre et à choisir le cardinal Dubois  Il prit un air plus serein et plus libre, et me dit qu'il étoit vrai que le cardinal Dubois en mouroit d'envie, que pour lui, il étoit las des affaires et de la contrainte où il étoit à Versailles d'y passer tous les soirs à ne savoir que devenir ; que du moins il se délassoit à Paris par des soupers libres dont il trouvoit la compagnie sous sa main, quand il vouloit quitter le travail ou au sortir de sa petite loge de l'Opéra..... Je me mis à rire, en l'assurant que je trouvois cette raison tout à fait solide, et qu'il n'y avoit pas à y répliquer. Il vit bien que je me moquois, et me dit que je ne sentois ni la fatigue de ses journées, ni le vide presque aussi accablant de ses soirées, et qu'il n'y avoit qu'un ennui horrible chez madame la duchesse d'Orléans, et qu'il ne savait où donner la tête.

 

Suivez bien la progression. Ceci n'est que de l'ennui. C'est pour les vicieux, à un certain moment, comme le mauvais chemin du repentir.

Le rude duc et pair dont il subit la franchise, lui débite alors cette pressante râtelée, pour parler comme lui, dont on peut, par la tournure même de la conversation, deviner la chevaleresque hardiesse et la noble inflexibilité :

Aussitôt que je l'eus finie, il me dit que tout cela était vrai et qu'il y avait pis encore ; c'était, ajouta-t-il, qu'il n'avait plus besoin de femmes, et que le vin ne lui était plus rien, même le dégoûtait.

 

C'était donner beau jeu au conseiller austère, au mordant apôtre qui aussitôt commence, sûr d'être écouté, cet énergique sermon, si bien fait pour précipiter un pécheur du dégoût dans le repentir :

Mais, Monsieur, m'écriai-je, par cet aveu, c'est donc le diable qui vous possède, de vous perdre pour l'autre monde et pour celui-ci, par les deux attraits dont il séduit tout le monde, et que vous convenez n'être plus de votre goût ni de votre ressort que vous avez usé ? Mais à quoi sert tant d'esprit  et d'expérience ? A quoi vous servent jusqu'à vos sens qui, las de vous perdre, vous font malgré eux sentir la raison ? Mais avec ce dégoût du vin et cette mort à Vénus, quel plaisir vous peut attacher à ces soirées et à ces soupers, sinon du bruit et des gueulées qui feroient boucher toutes autres oreilles que les vôtres, ce qui, plaisir d'idées et de chimères, est un plaisir que le vent emporte aussitôt, et qui n'est plus que le déplorable partage d'un vieux débauché qui n'en peut plus, qui soutient son anéantissement par les misérables souvenirs que réveillent les ordures qu'il écoute ?[53]

 

C'était là la façon à Saint-Simon de faire sa cour. Aussi est-il facile de croire qu'avec de pareils arguments il ne devint jamais premier ministre. Il n'eut jamais d'autre portefeuille que celui de la vérité, le plus léger de tous. Et plus honnête encore qu'ambitieux, il dut se contenter d'une estime que le Régent ne put pas lui refuser.

Comme tous les reproches exagérés, cette terrible mercuriale toucha, mais ne convertit pas. Le défaut de ces excès de parole dans l'apôtre est de précipiter le catéchumène dans ces excès de contrition qui ne sont que des boutades de repentir et non le repentir lui-même. Atterré par ces coups de foudre de l'éloquence, le Régent fut un moment découragé jusqu'à songer à la retraite. Après un peu de silence, M. le duc d'Orléans se redressa sur sa chaise : Eh bien ! dit-il, j'iroi planter mes choux à Villers-Cotterêts !

Ici Saint-Simon dut se mordre cruellement les lèvres. Il avait trop réussi. Il avait exaspéré son pénitent jusqu'à l'abdication. Or, ces brusques mouvements de l'âme ne sont jamais sincères, parce qu'ils sont inspirés par un sentiment non de foi, mais de terreur, non d'humilité, mais de découragement. Au lieu de nous vivifier par l'espérance de la réhabilitation, il nous la fait voir si impossible de cet inutile effort, de cette aspiration vaincue, il ne nous reste, retombés à terre, qu'un immense besoin d'anéantissement. Mais de cet état anormal qui répugne à l'ancien orgueil, à l'ancienne activité, qui répugne à la vie elle-même, il faut sortir bientôt. On s'indigne contre ses doutes. On étouffe dans son désespoir, La réaction se fait, le ressort abattu se relève. Pour revivre complètement, que faut-il ? une inconséquence. Or, rien ne contait moins au Régent qu'une inconséquence.

Néanmoins ce discours de Saint-Simon ne fut. pas tout à fait inutile. L'arme trop chargée de ce véhément moraliste n'avait pas tout à fait raté son homme. Le coup était passé au-dessus de la tête de Philippe d'Orléans, mais quelques plombs épars avaient porté autour de lui. Il en résulta que ce qui devait tuer le cardinal Dubois ne fit que blesser madame d'Averne.

A partir de cette conversation, elle est disgraciée. Mais comme il n'est pas encore assez converti pour brusquer les choses, le Régent se ménage dans madame Lévêque qui l'accompagnera au sacre, selon quelques cancans contemporains, une agréable transition à la viduité. Il ne garda cette aimable suppléante que juste le temps qu'il fallait pour faire comprendre à madame d'Averne qu'il la quittait, et définitivement ; car un congé pur et simple se révoque. On peut tout espérer encore d'une indifférence aussi clémente que celle de Philippe d'Orléans. Mais ceci était un congé eu fouine, un congé avec affront. Personne ne se méprit à cette circonstance aggravante, sauf peut-être la victime. Quant à Madame, elle remercia Dieu du fond du cœur de lui avoir laissé entrevoir, avant de mourir, cette conversion de son fils, seul désir et seul espoir qui la retinssent sur la terre.

Je vous remercie bien, écrivait-elle le 16 mai 1722[54], de prier pour moi ; je n'ai plus rien à demander pour mon bonheur en ce monde ; pourvu que Dieu protège mes enfants, je suis contente, mais j'ai grand besoin qu'on l'intercède pour mon bonheur dans l'autre vie, ainsi que pour mon fils. Dieu veuille le convertir ! c'est la seule grâce que je lui demande.

La lettre du 12 novembre 1723 est le cantique de Siméon de la princesse mourante :

Je ne sais rien de nouveau, si ce n'est qu'on m'a dit une chose qui me cause la plus grande joie ; c'est que mon fils a rompu avec ses maitresses, et qu'il trouve qu'il ne peut plus continuer un genre de vie qui serait un très-mauvais exemple pour le roi, et qui lui attirerait de justes reproches ; que Dieu le maintienne eu ces bonnes dispositions et dispose tout pour son bonheur[55].

 

Le duc de Bourbon, au lieu de se féliciter de ce renvoi de madame d'Averne, en prit ombrage, persuadé qu'il n'était que le préliminaire, et pour ainsi dire, la condition d'une liaison dans laquelle l'honneur de son sang se trouverait compromis. On était si peu habitué à voir le Régent se déranger pour rien, qu'on ne voulut pas croire que cette disgrâce, comme toutes les autres, ne dût pas être suivie d'un avènement. On prêtait la succession de madame d'Averne à cette princesse spirituelle, intrigante et dépravée que Richelieu avait façonnée à l'oubli de son rang, et que sous Louis XV, inhabile au premier rôle, impatiente du second, on voit tourner avidement, cherchant à profiter d'une occasion, autour des royales amours. On se trompait cette fois, parait-il, sur les velléités de cette perpétuelle aspirante, toujours rebutée, à la défroque galante du roi Très-Chrétien. Elle était encore assez jeune et assez belle pour prétendre au pouvoir tout entier, dont plus tard elle ne devait avoir que les apparences.

Le duc de Bourbon fut cependant assez longtemps à se désabuser.

On me mande, monsieur, écrivait-il au cardinal Dubois, que le congé est donné à madame d'Averne, et on me mande en même temps que le bruit court que c'est mademoiselle de Charolais qui la remplacera. Votre Éminence pense bien que je n'ajoute pas foi à cette nouvelle. Mais comme cependant j'ai vu arriver tant de choses extraordinaires, je crois que d'y faire un moment d'attention ne peut jamais faire de mal.

 

Et ici perce le bout de l'oreille, le vrai motif de cette lettre hypocritement timorée :

C'est ce qui m'engage à vous en écrire pour vous dire que ma sœur est au milieu de la cabale que vous connoissez, que c'est la plus acharnée de toutes contre vous, moi et les nôtres....

Un mot de réponse, s'il vous plan, car comme ma sœur est bien folle, et que M. le Régent n'est pas trop raisonnable sur les dames, cela ne laisse pas de me donner un peu d'inquiétude.

Le cardinal Dubois lui répond de manière à ne lui laisser aucune crainte :

La dame qui est venue à Versailles a été priée de n'y plus venir. Cet événement a fait naître le bruit qui est venu jusqu'à V. A. S. Mais je vous assure qu'il n'a aucun fondement et vous pouvez avoir l'esprit en repos sur les mauvais effets de cette liaison imaginaire[56].

 

Et maintenant voici les détails authentiques de la chute de madame d'Averne :

Le retour du sacre n'a pas été favorable aux maîtresses. Le Régent, dès le même jour, a dit à madame d'Averse qu'il ne convenoit pas qu'elle reste à Versailles, que cela donneroit un mauvais exemple au roi, qu'il seroit toujours de ses amis et son homme d'affaires, qu'elle pouvoit venir manger à Paris avec lui — et même y coucher si elle vouloit —, et d'autres discours qui sentoient ou l'inconstance ou le dégoût.

On prétend que c'est un tour du premier ministre qui n'a pas trouvé bon qu'elle eût  des liaisons avec M. de Nocé, qui étoit revenu pendant le sacre, et qu'on a bientôt renvoyé à Boran. On soupçonne aussi la dame d'infidélité avec le duc de Richelieu, qui s'est prévalu de l'absence du maître.

Quoi qu'il en soit, la voilà renvoyée, et son règne n'a duré que depuis le 12 juin 1721 qu'elle s'étoit livrée au Régent pour de l'argent. Son mari en reste pour le gouvernement de Navarreins et des cornes d'elle, très-peu de chose, outre le déshonneur.

Du reste, le dépit donnait à la favorite humiliée une sorte d'héroïsme frivole. Elle jouait avec son malheur et chiffonnait dédaigneusement le dernier billet d'adieu.

Le Régent la faisoit manger malgré elle ; elle n'y gagnoit, disoit-elle, que des indigestions ; et à quelqu'un qui lui a dit que cela alloit faire un grand vide dans sa vie d'être ainsi quittée, elle a répondu que c'étoit tout le contraire[57].

 

Depuis cette rupture, que la malignité des courtisans expliquait moins par le dégoût que par la lassitude du vice, et où elle voyait plutôt une preuve de faiblesse qu'une preuve de force, madame d'Averne soupa encore une fois avec le Régent. Elle vouloit se contenir, mais elle parla comme piquée, et lui dit qu'il alloit passer sa vie à ivrogner tous les soirs avec des catins. II se plaignit de ces reproches, dit qu'il lui avoit laissé M. d'Alincourt et le duc de Richelieu, qu'il avoit eu toutes sortes de facilités, qu'il ne méritoit pas d'être maltraité, et que le seul exemple dû au roi le faisoit changer de manières. Sur quoi le prince d'Auvergne, qui étoit du repas, lui chanta une chanson de Belot, qui finit par dire : qu'il veut se retirer et être hypocrite, ce qui ne plut pas tout à fait au Régent.

Ce repas a achevé de rompre au lieu de renouer, et madame d'Averne, qui veut faire de l'esprit fort, s'est montrée tous les jours depuis à l'Opéra avec le duc de Richelieu et  d'autres[58], dont le Régent ne se soucie guère.

Il était réservé au prince de rester original jusqu'au bout et de dignement finir cette comédie. Comme il est capable de tout, dit Marais dans son naïf étonnement, il est retourné à madame la duchesse d'Orléans, sa femme, il mange, paroît au spectacle avec elle et y couche..... C'est un Protée et une divinité fabuleuse qui prend toutes sortes de formes, aujourd'hui amant transporté, demain mari galant et toujours bien au-dessus de tous les courtisans qui l'entourent, et qui ne le pénètrent pas. Un Italien arrivé depuis peu de Rome, qui ne le connaissoit pas, dit à la première vue : Questo principe ha la cera d'ingannar tutti questi quanti.

Ainsi finit le règne de madame d'Averne qui, plus heureuse, du moins, que celles qui l'avaient précédée, ne supporta pas longtemps l'affront d'une rivalité ; elle ne céda sa place qu'à son ennemie légitime, et son amant ne lui fut infidèle que pour être fidèle à sa femme.

D'autres consolations plus directes semblent avoir diminué encore pour elle l'humiliation de son départ qui fut le signal d'une véritable réaction contre ces parties de débauches toujours déplacées, mais qui semblent une profanation à Versailles[59].

Pendant quelque temps le Régent trouva nouveau de se remettre aux affaires ; mais il le fit sans y prendre longtemps plaisir, car ses ministres ne profitaient de ces retours que pour obtenir sa signature au bas de quelque arrêt draconien, de quelque nouvelle liste de taxation. On ne parle plus d'amour à la cour. Plus d'amour, parlant plus de joie. On est fort employé à juger les taxes  On espère tirer cent millions de cette contribution en papier, dit Marais à la date du 4 décembre 1722.

D'après le Journal de Barbier et les Mémoires de Richelieu — par Soulavie[60] —, madame d'Averne aurait joui d'un regain de faveur en l'année 1723. Barbier écrit vers la fin du mois de mai 1723 : M. le duc d'Orléans, qui n'a plus de maîtresse en titre, soupe encore quelquefois avec madame d'Averne. On blâme fort le marquis d'Alincourt, qui étoit d'abord son amant, et qui a repris la place en chef, de le souffrir. C'est un jeune homme qui prend cela pour honneur.

Les Mémoires de Richelieu racontent, en lui donnant la date de la fin de juillet 1723, une conversation fort curieuse où le Régent se donna le plaisir de rire à ses dépens et à ceux de ses ministres et y déploya une verve de sarcasme, un bonheur d'ironie, à faire envie à tous les pamphlétaires du temps :

Ainsi, il ne restoit auprès du prince, dans sa société intime, que des débauchés ou des ministres sans talent, que le duc étoit le premier à tourner en ridicule. Il fut admiré un jour de toute la compagnie de madame d'Averne, sa maîtresse, où il fit une critique piquante de son propre caractère et des ministres qui étoient alors en place.

Ce qu'il dit de lui-même fut d'un goût singulier, et si nouveau que tout Paris admira ses talents dans l'art de la médisance, et les méchants, et les restes de l'ancienne cour, toujours déconcertés des facéties du prince, le furent aussi de celles que je vais raconter.

Le duc d'Orléans vint un jour chez madame d'Averne, dont l'hôtel étoit le rendez-vous des beaux esprits du temps, et se voyant environné de gens lie lettres, d'artistes distingués et de seigneurs de la cour, il fit en présente de tout ce beau monde la critique la plus amère de son propre gouvernement ; il supposa pour cela une brochure, et dit à la compagnie qui l'écoutoit toujours passionnément :

Mesdames, les François sont bien méchants d'écrire contre moi des libelles où je suis encore déchiré à belles dents, moi et tous les ministres aussi ; ils feignent que le czar, ayant trouvé le gouvernement françois plus sage que celui des autres États qu'il a parcourus, a envoyé exprès en France un ambassadeur pour me prier de l'aider de mes conseils. L'ambassadeur me fait un grand éloge de la part de son maitre, et me fait répondre :

Sa Majesté czarienne, monsieur, me fait bien de l'honneur d'avoir si bonne opinion de ma capacité ; je ne le mérite pas. Louis XIV, jaloux de moi, m'a éloigné de ses conseils ; mes études se sont bornées aux belles-lettres, à la chimie, à la peinture, à la musique. Ma naissance, il est vrai, m'a appelé à la régence ; mais je ne me mêle du gouvernement que pour penser le soir, quand je suis ivre avec mes compagnons de plaisir, à faire des édits qui annulent ceux de la veille. Je suis fâché de ne pouvoir aider votre maitre dans ses grands projets. Mais voyez le cardinal Dubois.

LE CARDINAL DUBOIS.

L'ambassadeur parlant à Dubois qu'il avoit été trouver, de la part du prince, le cardinal lui dit :

— Il a voulu rire, sans doute, le duc d'Orléans, en vous envoyant à moi. Où veut-il que j'aie appris à si bien gouverner ? Je suis le fils d'un apothicaire de village, j'ai commencé à Paris par être, en Sorbonne, laquais d'un docteur. Ma bonne fortune m'a fait sous-précepteur de M. le Régent. Il m'a accablé de dignités sans m'en donner la capacité. D'ailleurs, je suis rongé de v... qui me consume et m'empêche, quand j'en aurois l'habileté, de me mêler des affaires de France. Allez donc voir M. le garde des sceaux et les secrétaires d'État.

L'ambassadeur alla voir tous ces messieurs, qui lui répondirent comme suit :

M. D'ARMENONVILLE, GARDE DES SCEAUX.

— Est-ce comme garde des sceaux, Monsieur l'ambassadeur, ou comme financier que vous venez me consulter ? Je vous dirai que je n'ai guère connu que l'état de mes finances domestiques, et jamais celles du roi ; et comme garde des sceaux, on m'envoie sceller tout ce qu'on veut, sans qu'il me soit même permis de lire ; je ne suis qu'un homme de bonne volonté.

M. DE MAUREPAS.

— Je serais charmé d'être utile à Sa Majesté czarienne, dit-il à l'ambassadeur de Russie ; mais qu'elle ait la bonté de me laisser instruire moi-même. J'ai de l'esprit, de l'envie d'apprendre, de l'amour pour le roi et pour l'État ; mais je sors du collège, et je n'ai vu d'autre marine qu'un vaisseau qui remontait la Seine, il y a deux ans, et ceux qu'on fait faire, hauts de deux pieds, pour amuser les enfants de mon âge. Je ne désespère pas cependant de me rendre utile un jour à Sa Majesté czarienne ; mais je n'ai été qu'on aimable enfant, espiègle, et ne faisant que des niches aux femmes jusqu'à ce jour.

M. DE BRETEUIL.

— A qui vous adressez-vous, monsieur ? Je suis secrétaire de la guerre, il est vrai, mais je n'ai vu d'autres troupes que le régiment qui passa par Limoges pendant que j'y étois intendant.

M. DE LA VRILLIÈRE.

— Tenez, monsieur, voilà mes formules de lettres de cachet. C'est tout ce que je convois encore. En voilà une pour renfermer un pauvre prêtre à la Bastille. C'est tout ce qu'on me fait faire et tout ce que je sais faire. Je vous la donne de tout mon cœur. Vous pouvez la donner à votre maître, qui envoie son monde comme cela en Sibérie.

M. DODUN.

— J'étais autrefois conseiller au Parlement, et je rapportois bien un procès. Mais M. le duc m'a fait contrôleur général, et en vérité, je n'y connois rien.

 

Avouez que Voltaire n'eût pas mieux dit, et qu'on ne saurait plus spirituellement se suicider d'une épigramme.

Depuis cette scène, qui fait du reste encore plus d'honneur à la bonne humeur du Régent qu'à son amour pour madame d'Averse, nous la perdons de vue dans cette obscurité qui suit l'éclat de toutes les vies scandaleuses. Se fit-elle joueuse ou donna-t-elle à jouer, ce qui alors était une espèce d'état dans le monde, et une fin, comme on dit, pour les femmes d'un certain rang qui avaient ruiné leur bourse et leur beauté ? Se chargea-t-elle d'appeler du monde aux tripots fastueux qui constituaient le peu honorable privilège du duc de Gesvres, ou qui souillaient l'hôtel de Carignan ? Se borna-t-elle à donner de ces petits soupers décolletés où l'on faisait un biribi entre deux verres de champagne, sans en avoir l'air, comme sans y songer, et tenir un de ces cercles de gais viveurs et de sceptiques beaux esprits, comme madame de Fontaine-Martel et madame d'Alluye ? Si elle ne se fit pas joueuse comme madame de Livry, ou si comme mademoiselle de L'Aigle, un moment fameuse, elle ne tailla point le pharaon au Luxembourg, se fit-elle dévote, comme madame de Parolière, et doucement intrigante, académicienne, comme madame du Deffand, ou congréganiste, comme madame de Tencin ? Je ne sais. Nous ne la voyons plus passer qu'une fois dans cette chronique de Math. Marais, si animée, si bavarde, qu'elle semble une comédie aux cent actes divers, où chaque personnage célèbre ou ridicule vient tour à tour, et au pied levé, débiter son petit rôlet : Madame d'Averne, ex-maitresse du Régent, est aimée par D...., gendre du garde des sceaux. Il lui a écrit que si elle ne répondoit pas à sa passion, il seroit mort dans trois jours. Pour toute réponse, elle lui a envoyé un capucin, afin qu'il ne meure pas sans confession. C'est ainsi qu'elle s'en est défaite[61].

Tout est bien qui finit bien. Or, il est impossible de terminer sur une anecdote plus digne d'elle la folle histoire de cette vie dévergondée. Laissons donc madame d'Averne à ce moment où en dépit de tous les jeux du sort, elle conserve sa belle humeur, sa belle figure et son bel esprit. Nous allions nous attendrir peut-être à la pensée de tant de grâces perdues, de tant de bonté gaspillée, de toute cette vie enfin, ainsi jetée aux quatre vents de la fantaisie et de la passion. Mais pardieu ! voici que le bon Marais nous enlève d'un coup tous nos regrets. Laissons-la donc aller son vagabond chemin, cette joyeuse femme, qui deviendra bientôt quelque noble commère étourdissant les salons du règne de Louis XV de ses grivois souvenirs et de ses récits hasardeux, et qui portera au sein, jusqu'à la dernière heure de sa beauté, des roses moins fraîches que son sourire. Laissons-la aller, toujours pimpante et résolue, toujours bavarde et folâtre, partageant à d'Alincourt et à Des Alleurs les fruits de son appétissante maturité, par un dernier caprice songeant au confesseur pour tâter de tout, et s'amusant, faute d'autre, à le tenter. Peut-être après tout, cette retraite en vaut-elle bien une autre. Le repentir grinçant des dents et mettant entre deux larmes du rouge à ses rides sera-t-il préféré à cette franche et sereine impénitence, à ce robuste espoir aux hommes et à Dieu ? Non, sans doute, et à défaut de la contrition parfaite qu'elle était incapable d'avoir ou de garder longtemps, nous n'en saurions vouloir à madame d'Averne de s'être retirée ainsi à petit bruit, en y mettant le temps, de ce monde un moment enchanté par elle, et d'avoir laissé à une autre ce rôle vraiment délicat d'une Madeleine de la Régence.

Finissons sur cette dernière réflexion, qui clôt heureusement cette biographie, à ce point où le vertige d'une époque vous gagne et où l'auteur devient peu à peu aussi frivole que son sujet.

 

 

 



[1] Ce M. du Rivaux épousa en secondes noces une Brancas, dont il eut quatre filles qui ont été toutes quatre mariées, une à M. de Flamarens, grand louvetier, une à M. d'Ailly, une à M. d'Havré-Ménil, en Normandie, et madame d'Averne, cette dame qui a fait beaucoup de bruit pendant la minorité, etc. (Mémoires de Maurepas, t. IV, p. 171.)

[2] Journal de Math. Marais, 23 février 1721. — La mode des séparations conservait au moins au vice une sorte de décence. Mais que dire de ce cynisme d'indifférence qui poussa bien des maris de cette époque si féconde en phénomènes moraux, à dédaigner jusqu'aux droits du mariage, et à se faire une espèce de gloire de la stérilité de leurs femmes. Les exemples abondent de ces renonciations. Parmi ces fanfarons d'un nouveau genre, on peut citer Richelieu, qui ne voulut jamais cohabiter avec sa femme, dans le sens le plus délicat du mot, et le duc de La Feuillade. Le premier aima mieux demeurer à la Bastille que consommer son mariage avec mademoiselle de Noailles. Le second préféra laisser ses biens à un parent à la peine de se donner un fils. On pourrait ajouter à ses noms celui de M. le Duc et bien d'autres.

[3] Il était déjà dans cette période de décadence physique et morale que Saint-Simon a si énergiquement peinte.

[4] Selon les Mémoires de Maurepas, c'est madame de Sabran elle-même qui lui en aurait donné l'envie.

[5] Journal manuscrit de Math. Marais.

[6] Journal manuscrit de Math. Marais.

[7] Journal manuscrit de Math. Marais.

[8] Les Mémoires de Maurepas assurent qu'il aurait non-seulement toléré, mais conduit lui-même la négociation, et déterminé sa femme.

[9] Selon les Mémoires de Maurepas, sa disgrâce, qui sans doute dura peu, n'aurait pas même existé. Elle ne quitta pas pour cela M. d'Alincourt, partageant ses faveurs avec le duc d'Orléans. (T. I, page 120.) Il avait d'ailleurs pour se consoler madame de Prie.

[10] Le Régent demandoit à celui qui lui avoit porté tous ces présents s'il étoit très-content : Content, monseigneur ! les cornes lui en sont venues à la tête ! répond le Mercure. Et cela est bien de lui. Journal de Math. Marais, 16 août 1721.

[11] Ces vers de Bussy-Rabutin ont leur pendant élégant dans cette apostrophe de Bertin à une dame dont le mari était trop facile :

Votre époux m'arrête aujourd'hui,

Et s'il faut vous ouvrir mon âme,

Je périrois cent fois d'ennui

De le voir protéger ma flamme

Et d'être, en lui soufflant sa femme,

Encor remercié par lui.

Que cet homme me désespère !

Il n'est soupçonneux ni jaloux ;

Monsieur, toujours paisible et doux,

Me verrait, je crois, sans colère

Moi, madame, en sachant vous plaire,

Je veux déplaire à votre époux.

[12] Journal de Mathieu Métrais, 9, 10 et 11 juin 1721.

[13] La famille de la dame est très-fâchée ; mais c'est une affaire faite. Il en faut revenir à ce que disoit le duc de La Feuillade : Il n'y a pas si bonne famille où il n'y ait des p...... et des pendus. (Journal de Math. Marais, 11 juin 1721.)

[14] Recueil Maurepas. — V. aussi les Mémoires pour servir à l'histoire de la Calotte (Moropolis, 1735, p. 1 de la troisième partie), et les Mélanges de Boisjourdain.

[15] Journal de Math. Marais, 14 juin 1721.

[16] Barbier, Journal, t. I, p. 133.

[17] Les Mémoires de Richelieu, par Soulavie, représentent les maîtresses du Régent vivant entre elles sur le pied de cette égalité amicale, de cette intime promiscuité, de cette familiarité souriante qui est la vie du sérail, vie calme et harmonieuse en apparence, mais où fait de temps en temps explosion, et d'une si terrible façon, la tempête intérieure.

[18] Journal de Math. Marais, 14 juin 1721.

[19] L'un est, dit Marais, président des enquêtes, l'autre conseiller au Parlement, et ils ont tous deux bien de l'esprit, mais ne sont pas taillés en gens galants. (Ibid., 21 juin 1721.)

[20] Le Régent s'était vengé par des quolibets, à son ordinaire, du voisinage obligé de cette petite bourgeoise. Il y a une petite madame Dorien, assez jolie, femme du receveur général des finances de Tours, qui est amie de madame d'Averne. Cette dernière ayant demandé s'il ne vouloit pas venir à l'Opéra, dans sa petite loge avec madame Dodun, il dit : Je n'ai garde de manquer de me montrer avec la parente du contrôleur général, cela me donnera de la distinction, et on va bien me faire la cour davantage. Ainsi, il rit de tout. (Journal de Math. Marais, 4 mai 1722.)

Ce contrôleur général était M. Dodun, sieur d'Herbault, surnommé Colloredo, parce qu'il avait le cou roide et était fort glorieux. Il n'était pas fort habile en finances, dit Marais. C'est à lui que M. de Lauzun faisait compliment sur sa place en le félicitant de ce qu'il était d'année, par allusion à la brièveté du règne des contrôleurs généraux, en ces temps de désordre financier.

C'était aussi un curieux ménage que celui du maréchal et de la maréchale d'Estrées. Le mari, courtisan dans toute la force du terme, sans honneur et sans humeur comme d'Antin, compromis dans tous les tripotages financiers du temps, partagea le scandale des accaparements du duc de La Force, et faillit partager sa disgrâce. Du reste, bon vivant, fermant les yeux sur les infidélités de sa femme. Une lettre de Madame nous le montre accosté per un masque à l'Opéra, et recevant de bon cœur des quolibets, contre lesquels peste bruyamment le maréchal de Villars, indigné qu'on ose lui trouver des cornes sous ses lauriers. Pour madame d'Estrées, elle mit sur sa liste, fort remplie du reste, les noms les plus étonnés de se rencontrer ensemble. Tout son esprit semble avoir passé dans ce choix bizarre et mêlé. C'est elle que Marais accuse d'avoir tué à la peine le jeune et bel avocat Chauvelin, épuisé à la fois par le travail et le plaisir. Elle fut la maîtresse du président Hénault, qu'elle congédia pour se donner au comte de Roussillon qui succédait à bien d'autres. Elle eut le singulier privilège de faire tourner jusqu'à cette grande tête du chancelier d'Aguesseau, que fascinait, en dépit de son attachement aux devoirs conjugaux (vir uxorius, dit Lemontey), l'étourdissant caquetage de cette femme de cour. Elle poussait la familiarité avec lui, selon Marais, jusqu'à l'appeler : Mon folichon. Pauvre chancelier ! qu'allait-il faire à la cour ? Heureusement qu'on ne tarda pas à l'exiler.

[21] Journal de Math. Marais, 15 juillet 1721.

[22] Barbier, Journal, t. I, p. 151.

[23] Barbier, Journal, juillet 1721, t. I, p. 136.

[24] Quand on verra femme rasée,

Corps en sac, cul en panier,

On verra la France ruinée

Par le papier.

Pour entendre cette prophétie, il faut savoir qu'à présent toutes les femmes se font raser la tête et ne gardent que quelques cheveux courts par derrière, qu'elles font friser et qu'elles appellent un tignon. Le corps en acte, c'est qu'elles vont partout, et même dans les églises, avec des robes longues boutonnées et point troussées, qu'elles appellent un sac. Le cul en panier — pardon de la liberté grande ! — c'est que, depuis deux ou trois ans, elles portent sous leurs jupes, pour les rendre plus arrondies et moins plates, une sorte de vertugadin qui s'élargit fort par le bas, et qu'elles ont pris des femmes anglaises. Cela s'appelle un panier. Il y a eu des chansons faites sur les paniers. Journal de Math. Marais, 11 août 1720.)

[25] On a vu à l'Opéra, aux Tuileries, des habits d'un goût nouveau..... Il y en a de toutes les couleurs (des habits), les vestes et les bas sont brodés de même. On demandoit aux dames à quoi servoient tous ces nœuds, que l'on regardoit comme un amusement d'enfant. Mais elles avoient leur dessein, et puisqu'elles ont habillé les hommes, il faudra bien que les hommes le leur rendent. (Journal de Math. Marais, 16 juin 1721.)

[26] Pendant tout le XVIIIe siècle, le royal jardin semble avoir été consacré aux amoureux mystères. Nous possédons une pièce rare et curieuse de la fin du siècle, sorte de lamentation des filles galantes, expulsées à la brune des allées des Tuileries :

De la plus sensible douleur

Nous avons l'âme pénétrée :

Une cabale conjurée.

Pour mortifier notre honneur,

Nous a, contre vent et marée,

Après deux siècles de bonheur,

Fait enfin défendre l'entrée

De ce promenoir enchanteur,

Où nous avions le privilège

De convoquer soir et matin

L'Amour et le riant cortège

Des jeux qu'il conduit par la main.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Depuis qu'on fait un édifice

Dans un palais jadis fameux

Par le concours des amoureux,

Nous n'avions plus qu'un bel hospice,

Oh tous les amours ténébreux

Avoient encor le bénéfice

De donner l'essor à leurs feux.

Dans un réduit tranquille et sombre,

Loin du commerce des humains,

Le bienfaisant dieu des jardins

Nous favorisoit de son ombre, etc., etc.

C'est aux Tuileries que le chevalier Bertin rencontra la maîtresse qu'il célèbre dans les Amours :

Dans ce jardin si renommé,

Où l'Amour, vers le soir, tient sa cour immortelle,

De cent jeunes beautés elle était la plus belle

Elle effaçoit l'éclat du couchant enflammé.

Un peuple adorateur que ce spectacle appelle

s'ouvrait à son approche, interdit et charmé.

Elle marchoit, traînant tous les meurs après elle,

Et laissoit sous ses pas l'air au loin embaumé.....

C'est là, là qu'il l'aima.....

Entraîné dans la lice éclatante

Où toutes nos beautés, conduites par l'Amour,

De parure et d'attraits disputent tour à tour.

[27] Journal manuscrit de Math. Marais, 15 juillet 1721.

[28] Barbier, Journal, juillet 1721, t. I, p. 144.

[29] Math. Marais et la Vie privée du maréchal de Richelieu (par Faur) disent que la fête fut donnée ou plutôt rendue 3 la maréchale d'Estrées. C'est là une erreur. C'est la fête du 30 juillet que le maréchal et la maréchale d'Estrées rendirent au Régent le 12 août. La maison de Saint-Cloud où elle se donna étoit celle qui avoit appartenu autrefois à l'électeur de Bavière. (Journal de Math. Marais.)

Les personnes invitées à ce repas furent M. le duc d'Orléans, M. de Vendôme, ci-devant grand prieur de France, le duc de Brancas, le maréchal et la maréchale d'Estrées, madame de Flavacourt, madame de Tilly, madame du Deffand, le marquis de Biron, le marquis de La Fare, le marquis de Simiane, le comte de Orancey, le comte de Senneterre, le marquis de Lambert, le comte de Melun, le comte de Clermont, M. du Fargis. On disoit que Madame la douairière n'y fut pas oubliée.

Après le souper, qui fut des plus somptueux, il y eut un bal où se trouvaient un grand nombre de personnes de Paris, en masque, et qui dura jusqu'au lendemain matin. La maison fut illuminée de quatorze mille lampions, ajustés en diverses figures, pour donner plus d'éclat. On assuroit que cette fête avoit coûté cent mille écus. (Mémoires anonymes de le Régence.)

[30] Nous prenons tour à tour les traits de ce récit dans le Journal de Barbier (t. I, p. 144) et dans celui de Marais à la date du 30 juillet 1721.

[31] Au surplus, l'objet ne mérite pas si fort d'être éclairé, car cela n'est pas joli ; car, trop de gorge pendante, fort noire de corps.... cela n'a de l'éclat que par du blanc et du rouge. (Journal de Barbier, t. I, p. 145.)

[32] Les coups de bâton de Nadal et de Poisson, surtout de Beauregard, au pont de Sèvres, avaient peut-être aidé à la conversion. Dieu nous garde d'en parler sans indignation, tout au contraire de l'ami d'Argenson ! selon nous, et en dépit du prince de Conti, ils ne furent ni bien reçus ni mal donnés.

[33] Le texte du Recueil Maurepas porte fidèle. La langue aura fourché à madame d'Averne, comme on va voir.

[34] Journal de Barbier, t. I, p. 194. — Voici, d'abord en prose et puis en vers, une idée de ces quolibets et de ces malédictions :

La pluie fit que le feu d'artifice ne réussit pas. Cependant le spectacle fut fort beau ; c'étaient les noces de Thétis et de Pélée qu'on célébrait ce jour-là. A chaque fusée qui partait, les spectateurs s'écriaient : Voilà une action des Indes qui part. On dit aussi que chaque lampion devait Cire allumé avec un billet de banque. (Mélanges de Boisjourdain, t. I, p. 208.)

Voici maintenant des vers :

Chez les Caligula, chez les Trimalcions,

Avec soin on cachoit les forfaits et les crimes :

Philippe plus hardi, suivant d'autres maximes,

Fait briller pour les siens dix mille lampions.

On faisait dire aussi au Régent :

Je n'aime rien tant que d'Averne,

Après ma dame Laverne (déesse des voleurs).

[35] V. dans les Mémoires de Richelieu (par Soulavie), t. II, p. 215, la façon insolente dont il lui ravit la Souris.

[36] On verra un homme assez singulier, quia toue jours cherché à faire du bruit, et n'a pu parvenir à être illustre ; qui, employé dans les négociations et à la tête des armées, n'a jamais été regardé comme un homme d'État, mais comme le chef des gens la mode, dont il est resté le doyen. (Duclos, Mémoires secrets.)

Sur son ambassade à Vienne, où il eut surtout affaire à la maîtresse du prince Eugène, et sur le chapeau de cardinal de l'évêque de Fréjus, dû à toute cette diplomatie d'oreiller, V. les Mémoires de Maurepas, t. IV, p. 5.

[37] La Vie privée du maréchal de Richelieu (par Faur), confond souvent les lieux, les personnes et même les dates, et ne met guère plus d'ordre dans les affaires de cœur de Richelieu, que Richelieu n'y eu mottait lui-même. Nous avons cherché, au contraire, à assujettir à la chronologie cette série d'infidélités. Y avons-nous réussi ? Bien fol est qui s'y fie !

[38] Voici le billet qu'elle lui avait écrit pour l'engager à venir à Saint-Cloud. Il est inséré dans la partie autographe des Mémoires de Richelieu :

Je trouvai en rentrant chez moi un billet de madame d'Averne.... Il étoit conçu en ces termes :

Quoique vous ne méritiez pas qu'on s'occupe de vous ; quoique vous soyez l'homme du monde sur lequel une femme puisse le moins compter, je veux bien vous prouver encore que je suis une de celles qui ne peuvent s'empêcher de penser à vous. Je donne demain une fête à Saint-Cloud, et il n'en est pas de bonne pour moi quand je n'ai pas le plaisir de vous y voir. Adieu ! je compte sur vous.

La curiosité, reprend Richelieu, me conduisit le lendemain chez madame d'Averne, et elle fut très-satisfaite..... Il me fit l'honneur de me dire (le Régent) qu'on ne me voyoit plus au Luxembourg. Il ajouta que le lendemain il soupoit chez madame la duchesse de Berry, et je vis bien que c'étoit un ordre de m'y rendre.

Les éditeurs de la Vie privée du maréchal de Richelieu ont inséré à la fin du tome Ier des lettres de madame d'Averse, sur lesquelles nous voudrions pouvoir revenir, parce qu'après un minutieux examen, il nous a paru possible qu'elles fussent authentiques. Dans une d'elles, madame d'Averse pénètre d'un trait de lumière le cœur de Richelieu, et lui reproche assez crûment le vrai motif de l'amour qu'il a feint pour elle. Elle ne s'était pas trompée, d'après Richelieu lui-même, qui déclare ne l'avoir eue que pour le plaisir de faire le Régent.... Remplaces le dernier mot de la phrase par le titre d'un roman de M. Paul de Koch.

Voici une lettre inédite de madame d'Averne :

Ie souhaitte que tout ce que m'a dit votre ambassadeur pour vôtre justification soit vrai, la façon dont vous en userez pour moy me le prouvera beaucoup myeux que ces discours. Ie ne sçai quand ie pourroi vous voir, mais le plus tôt possible sera le plus sur pour dissiper mes soupsons. Ie vous demande en grâce de ne me point tromper. Ie sçai par expérience qu'on n'est pas maître de son cœur, puisque ie vous ai donné le mien. (Bibliothèque de Rouen, fonds Leber.)

[39] Faur, Vie privée du maréchal de Richelieu, t. I, p. 98.

[40] Cette admirable indulgence du Régent méritait mieux que les quelques lignes indifférentes où Richelieu on convient, sans trouver le temps de la louer : Je m'étois amusé, dit-il, à faire la cour aux femmes qu'il avoit, et ce n'étoit pas la première fois que son rival fut heureux. Ce prince n'étoit pas jaloux ; il me rencontroit toujours sur ses pas, et quelquefois en avoit un peu d'humeur, quand il se trouvoit supplanté ; mais elle ne duroit pas.

Madame le détestait cordialement, de son propre aveu. Ennemie jurée des mésalliances ou du moins des dérogeantes, elle baissait en lui l'homme assez audacieux pour avoir aspiré à la main de mademoiselle de Charolais, et l'homme bien plus audacieux encore qui avait corrompu la trop précoce jeunesse de mademoiselle de Valois. Elle le trouvait toujours mêlé aux ennemis de son fils, et conspirant avec eux. Elle lui en voulait surtout de ce je ne sais quoi qui la charmait elle-même, de cet attrait irrésistible qui le rendait inviolable, même au prince outragé qui avait h venger la triple insulte faite en lui au gouvernant, au père, à l'amant, et qui épargnait en lui à la fois le séditieux, le ravisseur et le rival. Elle voyait comme une injure de plus dans cette impunité dont il faisait ensuite un défi ; elle gourmandait son fils qui, plus pille que son prisonnier, tremblait à la seule idée de faire tomber une si belle tête. Elle s'indignait contre les femmes qui, dépouillant la double pudeur du sexe et du rang, sollicitaient hautement pour cet amant que toutes avaient, avaient eu ou devaient avoir, et qui, comme l'Amour lui-même, appartenait au sexe tout entier. Elle s'indignait contre mademoiselle de Charolais surtout, qui perdait la tête au point de se croire seule maîtresse du cœur du volage duc, se promenant pendant ce temps peut-être, sur la terrasse de la Bastille, frisé et paré, toutes les dames de la cour se tenant dans la rue pour voir cette belle image. (Correspondance complète, 19 mai 1719, t. II, p. 112.) Elle le traite fort rudement, l'appelant volontiers petit crapaud..., archi-débauché, drôle et poltron. Voici le portrait moral qu'elle en trace : Il est impertinent, infidèle, indiscret ; il dit du mal de toutes ses maîtresses : il ne croit ni en Dieu ni en sa parole : il est ambitieux et faux comme le diable. Elle ravale sa beauté physique : Toutes les dames sont amoureuses de lui, je ne comprends pas pourquoi ; c'est un petit crapaud, en qui je ne trouve rien d'agréable. (Ibid., 30 mars 1719, t. II, p. 83.) Plus loin elle ajoute : Je ne le trouve pas aussi bien que toutes les dames qui sont folles de lui ; il a une fort jolie taille et de beaux cheveux, le visage ovale et des yeux très-brillants ; mais tout dans sa figure indique le drôle ; il est gracieux et ne manque pas d'esprit, mais il est d'une insolence rare ; c'est le pire des enfants gâtés. (Ibid., 27 avril 1719, t. II, p. 101.) On sent déjà la restriction, et comme un commencement de pardon. Elle ne veut pas cependant, cette vindicative douairière, que madame de Nesle et madame de Polignac se soient battues pour lui au bois de Boulogne ; elle fait honneur au prince de Soubise de cette rencontre. (Ibid., 30 avril 1719, t. II, p. 103.)

Mathieu Marais, lui, est sous le charme : Le 6 mars 1721, le duc de Richelieu, âgé de vingt-cinq ans, entra au Parlement. Il avoit tout son habit, le manteau et les chausses d'une étoffe d'or très-riche, et qui coûtoit deux cent soixante francs l'aune. Il ressembloit à l'Amour. (Journal de Math. Marais, 6 mars 1721.)

[41] Souvenons-nous que nous sommes en plein XVIIIe siècle, à une époque dont les mœurs sont âprement dépeintes dans ces quelques lignes sardoniques, que Chamfort a tracées d'un coup de griffe, avec le fiel de son expérience :

M. du Buc disoit que les femmes sont si décriées qu'il n'y a même plus d'hommes à bonnes fortunes.

M. L..... débitoit souvent des maximes de roué en fait d'amour ; mais, dans le fond, il étoit sensible et fait pour les passions. Aussi, quelqu'un disoit de lui : Il fait semblant d'être malhonnête, afin que les femmes ne le rebutent pas.

Quant à la formule de Richelieu, elle finit par devenir une sorte d'axiome, et, après avoir servi à l'amour, elle se trouva encore bonne en politique. Madame de Montmorin disait à son fils : Vous entrez dans le monde, je n'ai qu'un conseil à vous donner : soyez amoureux de toutes les femmes.

C'est ce qu'avait fait Richelieu, et il n'eut point à exprimer le regret de ce roué naïf qui faisoit profession d'estimer beaucoup les femmes ; on lui demandait s'il en avait eu beaucoup, il répondit : Pas autant que si je tes méprisais.

[42] Madame d'Averne n'avait plus grand'chose à désirer. Elle avait à Saint-Cloud la maison de l'électeur de Bavière. Elle avoit eu de plus la précaution de se faire assurer un fonds de 22.000 livres de rente avec une maison à Paris, rue de Richelieu, vis-à-vis la rue Saint-Marc, que le comte de Regnold, colonel suisse, tenoit à loyer et qu'il fut obligé de lui céder. Elle avoit une autre maison en la même rue de Richelieu, proche la fontaine, qui appartenoit à la dame Alain. Elle se fit aussi donner des habillements superbes et, entre autres, une robe longue enrichie de boutons de diamants estimés seuls 100.000 francs. (Journal manuscrit de la Régence, t. IV, p. 1837 et 1838.)

[43] M. le duc de Chartres est tombé malade d'une grosse fièvre..... Saigné plusieurs fois du bras, du pied ; émétique ; abcès vidé par le nez, parce qu'il ne n'était jamais mouché. Mais la fièvre ne le quitte point ; on dit qu'il s'est épuisé auprès de la petite Quinault, comédienne qui est sa maîtresse. (Journal de Math. Marais, 9 janvier 1722.)

[44] Depuis quelques jours, on s'est plaint des robes abattues des femmes qu'elles portent partout, et jusque dans les églises. Le Régent a répondu qu'il ne feroit jamais aucun changement sur cela, qu'il avoit toujours troussé les femmes, et qu'il ne vouloit pas que, sous sa régence, on dit qu'il les avoit fait se trousser elles-mêmes. Il tourne tout en raillerie et vient à bout de tout. (Journal de Math. Marais, 22 février 1722.)

[45] Ou à Marais, qui n'est guère moins bien informé : Le Régent ont tombé malade pour s'être trop échauffé à son feu du Palais-Royal, et d'autres disent avec sa maitresse... Il s'était, comme cela lui arrivoit souvent, purgé et enivré ce jour-là. Le même chroniqueur témoigne à plusieurs reprises de l'anxiété universelle peu désintéressée, du reste : On est obligé de prier pour sa conservation, car ce qui suit ne le vaut pas.... Et, quand il est guéri et a mangé un morceau en public, c'est le même sentiment ! On en est bien aise de crainte de pis. (Journal de Math. Marais, 15 et 26 mars 1722.)

[46] Barbier, Journal, mars 1722, t. I, p. 205.

[47] Journal de Math. Marais, 23 mars 1722.

[48] Journal de Math. Marais, 27 mars 1722.

[49] C'est ce même Rambure qui devait être le principal acteur de la fameuse scène de débauche qui allait déshonorer Versailles. Cet effronté alla passer à la Bastille, ce qu'il appelait son lendemain de noces. Il était fila de la marquise de Fontenille, grande janséniste, et qui ne sait point quel péché mortel son fils a commis, dit Math. Marais, le 4 août 1722.

[50] Journal de Math. Marais, 14 juin 1722.

[51] Journal de Math. Marais, 19 juin 1722.

[52] Voir sur cette ignoble affaire, le Recueil Maurepas (1722) ; les Mémoires de Richelieu, t. III, p. 318 ; la Correspondance de Madame, t. II, p. 374-375 ; le Journal de Barbier, t. I, p. 227, et celui de Math. Marais, dans la Revue rétrospective, t. VIII, p. 221-222.

[53] Mémoires de Saint-Simon, t. XIX, p. 361 à 371.

[54] Correspondance complète, t. II, p. 369.

[55] Correspondance complète, t. II, p. 378.

[56] Lemontey, Histoire de la Régence, t. II, p. 67.

[57] Je tire sur cette phrase, comme de pudiques rideaux, deux parenthèses, Marais cite le mot par trop régence que quelque noble loustic dit au prince à ce propos. Force nous est de garder le huis clos. (V. le manuscrit, novembre 1722.)

[58] M. des Alleurs sans doute, qu'elle n'avait pas cessé d'aimer, et avec lequel elle a vécu depuis. (Mélanges de Boisjourdain, t. I, p. 209.)

[59] V. Lemontey, Histoire de la Régence, t. II, p. 67. — Marais ne tarde pas à constater cette réaction et en cite une victime : 3 février 1703. — Le roi a su que Bontemps le père, un de ses premiers valets de chambre, avoit amené à Versailles sa maitresse, appelée Zénobie, et qu'il avoit dîné avec elle. Il a demandé à son fils avec qui il avoit diné. — Avec mon père, Sire. — Et qui encore ? ne me mentez pas. — Il a fallu dire la fille. Le roi a envoyé l'ordre à Bontemps de la faire sortir sur-le-champ de Versailles, et de ne point paroître devant lui. — Il y a bien de l'impudence de mener publiquement sa maîtresse à la cour, pendant que le Régent lui-même, pour l'exemple, a renvoyé la sienne.

[60] P. 310 et suivantes.

[61] Journal de Math. Marais, 12 mars 1723.