Madame de Parabère s'appelait Marie-Madeleine. Toute sa vie est dans ces deux noms. Elle naquit à Paris, le 6 octobre 1693. Elle était Coatquer[1] de La Vieuville, d'une famille depuis longtemps célèbre dans l'histoire... et dans les chansons. Il nous serait facile, en effet, de citer plus d'un malin couplet qui témoigne, dans cette maison vouée à l'amour, d'une beauté et d'une légèreté héréditaires[2]. Son père était chevalier d'honneur de la reine, femme de Louis XIV, gouverneur du Poitou depuis 1652, duc à brevet, et fils du troisième de ces quatre gouverneurs prédestinés du duc d'Orléans, qui se succédèrent à si court intervalle, que Benserade disait qu'on ne pourrait pas élever un gouverneur pour ce prince[3]. Sa mère était dame d'atours de la duchesse de Berry, et mourut dans cette charge[4]. Toute jeune fille, mademoiselle de La Vieuville promettait ce qu'elle a tenu depuis. Son père, fort pauvre homme, dit Saint-Simon, dut penser en la voyant ce que plus tard le comte d'Argenson devait dire de la jolie mademoiselle de Berville, qui était sa nièce : Ah ! elle est bien jolie, il faut espérer qu'elle nous donnera bien du chagrin[5]. A ses yeux grenadins[6], qui alloient constamment à la petite guerre[7], à son agaçant
sourire, à ces beautés de toutes les sortes[8] qui la rendaient
si séduisante, il était facile de prévoir un
avenir digne du passé maternel. Elle ne fit pourtant pas trop parler d'elle avant son mariage, et les chansonniers l'épargnèrent, bien sûrs de prendre leur revanche. Peut-être avait-elle mérité cette exception, et s'était-elle bornée à être belle, attendant, pour être coquette, ce double plaisir qu'il y a à l'être aux dépens d'un mari. Ce mari était tel, s'il faut en croire les mauvaises langues du temps, qu'elle ne pouvait guère connaître l'amour qu'au prix de l'infidélité. Il ne semble pas avoir eu d'autres droits à son affection que ceux qu'il tenait de. son titre. Quatre ans avant la Régence, c'était bien peu pour être heureux ! César-Alexandre de Beaudéan, comte de Parabère, que mademoiselle de La Vieuville épousa en 1711, était un gentilhomme de la meilleure noblesse du Poitou. Il ne parait pas avoir eu d'emploi à la cour, et, à l'armée[9], s'être contenté des lauriers de ses ancêtres[10]. Il n'avait aucune des qualités qui peuvent amoindrir le tort qu'un homme a d'être le mari de sa femme. Borné d'esprit et de cœur, il était sot avant de le devenir, ce qui ne tarda pas longtemps. Madame de Parabère parait avoir coqueté d'abord, comme pour se faire à ce manège, avec lord Bolingbroke, que les belles dames françaises avaient accueilli en France de façon à lui faire peu regretter l'Angleterre. Lorsqu'il dut y retourner, il eut recours aux lettres et aux petits cadeaux pour entretenir ces galantes amitiés. Le spirituel ambassadeur avait particulièrement distingué madame de Courcillon et madame de Parabère, cette dernière surtout. Mathieu Prior qui le remplaçait en France, le plaisanta sur cette préférence, et lui écrivait : Madame de Parabère est très-fière de sa bonne fortune, et la cour entière voit avec plaisir que sur ce point le pouvoir absolu de madame de Courcillon est diminué. C'est à ce moment même que Bolingbroke, dans une lettre à M. de Torcy, glissait entre deux périodes diplomatiques de petites sentimentalités dans le genre de celles-ci : Il n'est pas étrange, Monsieur, qu'en partant de France, on y laisse son cœur derrière soi... Je reprends la plume avec joie, et je ne sais si j'en ressentirais plus en écrivant à madame de Courcillon ou à madame de Parabère[11]. Le mois précédent, il avait écrit à Prior[12] : Je prépare une cargaison d'eau de miel, d'eau des Barbades et de vin des Canaries, dont je vous prierai de prendre sur vous la distribution. Le 27 octobre 1713, Prior lui rendait compte d'une nouvelle répartition qui roulait, comme la première, entre mesdames de Croissy, de Torcy, de Noailles, de Ferriol et de Parabère : Je crois avoir tout arrangé en donnant à madame de Parabère une part comme si c'était d'après vos ordres ; d'ailleurs, madame de Torcy la lui remettra de la manière qui lui sera le plus agréable[13]. Dès 1715, une longue chanson satirique sur toutes les dames de la cour ouvre peu galamment sur elle ce feu roulant d'épigrammes qui ne s'éteindra plus. On accole à son nom et à celui de madame de Rupelmonde, une future amie de Voltaire, le sobriquet quelque peu ironique de Sainte-n'y-Touche[14]. Il semble, d'après ces vers que nous reléguons en note, an huis-clos du livre, que madame de La Vieuville, par un scrupule assez tardif, gêna ce besoin d'expansion anti-conjugale qui tourmentait sa fille. Le 11 septembre 1715, Mathieu Marais nous annonce en ces termes la délivrance de la belle surveillée : La marquise de La Vieuville, dame d'atours de madame de Berry, est morte[15]. On a donné sa place à madame de Pons, l'une de ses dames du palais, et celle de dame du palais, à madame de Beauvau. Dès ce jour, la cage est ouverte, et ce cœur impatient a la clef des champs de l'amour et du hasard. Dès ce jour, on ajoute au nom de la belle émancipée ce reproche : Parabère, peu fidèle[16], si mérité depuis. L'amant est trompé comme le mari par cette jeune femme folle de sa liberté. Le premier qui ait subi ce sort, commun à tous ses successeurs, est le chevalier de Matignon. On trouve dans le Recueil Maurepas, au sujet du couple sitôt brouillé, un couplet conçu dans des termes tels que c'est assez se compromettre que d'avouer qu'on l'a lu. Mais c'est trop s'amuser au fretin. Bientôt entre en scène le véritable épouvantail des maris de son temps, si ces maris-là eussent pu s'effrayer de quelque chose, ce don Juan de l'histoire qu'on nomme Philippe d'Orléans. Le voici. Il n'est ni beau ni laid[17], et il n'est plus à l'âge ou l'on fait faire des folies, bien qu'il soit toujours à celui où l'on en fait[18]. Le voici ; il sourit, il parle, il a vaincu, tout comme s'il avait ce don d'ensorcellement, cette toute-puissance de grâce, ce génie de la séduction que possède Richelieu. Il attirait ses victimes avec plus d'esprit[19] et moins d'art, par ce même charme malsain qui rendait le petit duc irrésistible. Ils avaient tous deux le même thème de galanterie, mais les variations en étaient différentes. Le Régent, toujours sceptique, même en ses plus grandes passions ou plutôt ses moins passagers caprices, s'offrait brusquement, en homme qui n'a pas le temps d'attendre. Il prenait d'assaut ce ciel de l'amour qui plus que l'autre encore s'ouvre à la force et aime à être violé. Richelieu, plus souple et plus sentimental, s'avançait avec des sinuosités de serpent sur le cœur sans défense qu'endormait sa voix de rossignol. Mais, tous deux également insolents, quoique inégalement spirituels, ils réussissaient tous deux. Tous deux étaient à la mode parce qu'ils la faisaient : — le Régent, remplaçant par l'attrait de la belle humeur et l'influence de son rang ce qui lui manquait du côté de la toilette, qu'il négligeait, et de ces ressources de stratégie galante qu'il méprisait ; — Richelieu, brillant de tout l'éclat d'un beau nom, d'une belle fortune, d'une belle figure et d'un bel habit, et posant dans toutes ses passions ; — le Régent, marchant droit au but, et arrivant par les bonnes fortunes de l'esprit à toutes les autres ; — Richelieu, petit Tartuffe d'amour, roué de cœur, hypocrite de sentiment. L'un, pour tout dire en un mot, aimait une certaine corruption toute faite, l'autre trouvait son bonheur à la faire. Grâce à ce double système, le Régent eut plus d'actrices que de duchesses ; Richelieu, lui, se soucia médiocrement des danseuses, il s'était réservé les plus nobles boudoirs et les parloirs des couvents princiers. Les deux victimes de Richelieu, c'est l'abbesse et la duchesse, les femmes à ménagements, à demi-pudeur, dont il fallait faire le siège. Le Régent, lui, nous l'avons vu, aimait les sièges tout faits. Madame, dans sa rigidité allemande, s'évertuait à comprendre les succès de ces deux conquérants. Si je croyais à la sorcellerie, dit-elle à propos de Richelieu, je dirais qu'il faut que ce duc possède quelque secret surnaturel, car il n'a pas trouvé une femme qui lui ait opposé la moindre résistance ; toutes courent après lui que c'est vraiment une honte. Il n'est pas, après tout, plus beau qu'un autre, et il est tellement indiscret et bavard..... que si une impératrice, belle comme un ange, était éprise de lui, et voulait se donner à la condition qu'il n'en dirait rien, il aimerait. mieux la planter là et ne pas la voir de sa vie[20]. Ce qu'elle dit de son fils est assez approchant : Il n'a pas du tout les manières propres à se faire aimer ; il est incapable de ressentir une passion et d'avoir longtemps de l'attachement pour la même personne. D'un autre côté, ses manières ne sont pas assez polies et assez séduisantes pour qu'il prétende à se faire aimer[21]. Tout le monde ne lui plaît pas. Le grand air lui convient moins que l'air déhanché et dégingandé comme celui des danseuses de l'Opéra. J'en ris souvent avec lui[22]... Mon fils n'est pas délicat ; pourvu que les dames soient de bonne humeur, qu'elles boivent et mangent goulument, et quelles soient fraîches, elles n'ont pas besoin d'avoir de la beauté'[23]. Avec de telles théories, Madame n'en revenait pas des conquêtes de son fils, qui témoignaient en tout cas en faveur de la pratique. Elle lui en manifestait souvent son étonnement. Il est fort indiscret, et raconte tout ce qui lui est arrivé. Je lui ai dit cent fois que je ne puis assez m'étonner de ce que les femmes lui courent follement après. Elles devraient plutôt le fuir. Il se met à rire et me dit : Vous ne connaissez pas les femmes déhanchées du présent...[24] Quoi qu'il en soit, le Régent ne tarda pas à prouver une fois de plus, par la défaite de madame de Parabère, l'efficacité de son système[25]. Ils s'étaient vus pour la première fois chez la duchesse de Berry, sous les yeux de l'incommode mère. Quand ils se revirent, madame de La Vieuville n'était plus. Aussi se revirent-ils chez eux, sans façon. C'était vraiment de cette allure dégagée, avec cette audacieuse désinvolture, cet insouciant laisser-aller, que devaient commencer ces singulières amours, dont le milieu et la fin sont dignes du commencement. Plus gaie que spirituelle, sans effronterie, mais sans modestie, naïvement dépravée, en quelque sorte portant le vin de Champagne aussi légèrement que l'amour, madame de Parabère était bien cette maîtresse alerte, pétillante, infatigable, qu'il fallait au Régent, alors passionné pour ces quotidiennes orgies qui devaient avant lui lasser les plus forts, et, plus tard, faillir à tuer madame d'Averne. Ce n'est pas elle, ce n'est pas madame de Parabère, qui se bit exposée comme cette dernière à la honte de mourir d'indigestion. Elle avait l'héroïsme du plaisir. Toute nerfs, cette femme frêle en apparence apportait dans ces défis sensuels chaque soir jetés à la force humaine, une santé d'acier. Les convives s'abaissaient successivement sous la table, comme écrasés par une main invisible. Seule, madame de Parabère, toujours souriante, souriait au dernier buveur ; seule, toujours la coupe à la main, elle défiait le dernier rieur. Et, quand elle s'était assez rassasiée de lumière, de parfums, de rires et de chansons, elle daignait laisser tomber sa paupière sur son œil toujours étincelant, et abdiquait un moment la royauté du festin. Une heure de repos lui suffisait pour se relever plus fraiche que les roses de son sein, plus disposée que jamais à rire d'un bon mot ou à goûter d'un bon cœur. Telle était, telle fut bientôt madame de Parabère, la vraie, la seule maîtresse du Régent, telle je me suis oublié à la peindre par anticipation, sûr d'être excusé par ceux qui la connaîtront comme moi. Il y a si près pour elle de la première entrevue au premier souper ! Ces quelques coups d'œil jetés sur l'avenir étaient nécessaires pour comprendre, sinon pour excuser le brusque épanouissement de cette passion sans illusions, sans délicatesse, presque sans pudeur, qui est le plus parfait modèle de l'amour tel que va le pratiquer le siècle. Madame de Parabère est la première femme qui osa penser que pourvu que la raison conserve son empire, tout est permis ; que c'est la manière d'user des plaisirs qui fait la volupté ou la débauche, que la volupté est l'art d'user des plaisirs avec délicatesse et de les goûter avec sentiment. Ils se gantaient, à coup sûr, les tristes raffinés qui affichaient ces maximes demi-cyniques. La pratique l'était tout à fait ; il n'y eut bientôt rien de délicat, rien de sentimental dans ces débauches qui inauguraient si métaphysiquement le règne des sens. Bientôt, toute leur morale fut dans cette formule et toute leur pudeur fut dans ce masque qu'ils portaient encore en public de l'épicurisme mitigé. Chacun déposait le masque en rentrant. Mais, au lieu de subtiliser à la façon de Stendhal, si nous revenions à madame de Parabère. J'ai dit que la première entrevue fut courte et décisive. On va en juger. Une heure suffit, une heure, imperceptible trait d'union entre la rencontre et la défaite, entre l'amour naissant et l'amour satisfait. C'est bien peu, quand on a la vie pour se repentir ! L'hiver dernier, il est arrivé une chose plaisante, écrit Madame à la date du 13 mars 1716[26]. Une dame qui est jeune et jolie vint voir mon fils dans son cabinet. Il lui fit cadeau d'un diamant de deux mille louis d'or et d'une boite de deux cents. La dame avait un mari jaloux ; mais elle était si effrontée qu'elle vint à lui et lui dit que des gens qui avaient besoin d'argent lui offraient ces bijoux pour une bagatelle ; elle le pria de ne pas laisser échapper cette bonne occasion. Le mari crut tout cela : il donna à sa femme l'argent qu'elle demandait. Elle le remercia cordialement et prit l'argent ; elle mit la boite dans son sac et le diamant au doigt, et se rendit ensuite dans une société distinguée. On lui demanda d'où provenaient la bague et la boite. Elle répondit : M. de Parabère (c'est ainsi qu'il se nomme) me les a donnés. Le mari était présent, et il dit : Oui, c'est moi qui les lui ai donnés. Peut-on faire moins quand on a une femme de qualité qui n'aime uniquement et exclusivement que son mari ? Cela fit rire ; car les autres personnes n'étaient pas si simples que le mari, et elles savaient bien d'où provenaient ces cadeaux[27]. Ce sont les maris comme M. de Parabère qui ont rendu les infortunes conjugales ridicules. En dépit de ses illusions, comme nous venons de le voir, il se piquait d'être jaloux, ne fût-ce que pour ne pas ressembler à ses pareils, qui, à cette époque, ne l'étaient guère, s'il faut en croire Madame : Aimer sa femme est une chose tout à fait passée de mode ; on n'en trouve ici aucun exemple, c'est une habitude complètement perdue. Mais à bon chat, bon rat. Les femmes en font bien autant pour leurs maris[28]. M. de Parabère était jaloux, ce qui ne rem-pécha pas de subir le sort commun. Il était jaloux, mais de cette jalousie stupide et inerte qui s'asseoit et s'endort sur un soupçon ; plus bête en cela que M. de Prie, autre mari aveugle, qui, lorsqu'il y voyait clair, se donnait au moins le plaisir de battre sa femme[29]. Un moment, M. de Parabère fut jaloux lucide. Il eut comme un éblouissement terrible de vérité. Savez-vous ce qu'il fit ? Il la tua, pensez-vous ? Il se tua, au moins ? Non. Il prit le chemin de traverse du suicide, comme il avait pris le chemin de traverse de la vérité. Il donna un verre pour arme à son désespoir, et il se tua lentement à coups.de vin de Bourgogne. Il devint ivrogne, mais non de cette savante et spirituelle ivrognerie que commente Rabelais en riant de son rire ; de cette ivrognerie lourde, sourde, aveugle, immobile, qui semble attendre que s'ouvrent pour l'engloutir les abîmes de l'anéantissement. On le vit traverser parfois en chancelant l'antichambre du Régent, se chauffant de loin, pour ainsi dire, aux rayons du soleil de l'orgie qui se levait quand l'autre s'était couché, coudoyant les laquais, bâillant au nez des femmes et renversant les cristaux. On l'eût chassé si ou eût osé lui enlever ce dernier bonheur de s'abrutir en bonne compagnie, après lui avoir enlevé tous les autres. D'ailleurs, on va le voir, sa présence n'était pas tout à fait inutile. Elle pouvait servir à justifier l'amant. Ce mari, c'était un alibi ambulant. Le duc de Richelieu, qui s'était fait une loi de plaire aux maîtresses du Régent, ne tarda pas à avoir besoin de l'intervention de M. de Parabère. Il s'agissait de régulariser une usurpation par trop évidente de ses droits conjugaux. Madame de Parabère, après avoir subi le joug inévitable, devint grosse. M. le duc d'Orléans et Richelieu se crurent chacun de leur côté le père de l'enfant à venir. Le Régent s'en glorifioit publiquement, Richelieu dans le secret, d'autant plus que madame de Parabère l'avoit assuré qu'il étoit de lui. Cette dame ne vivoit pas avec son mari ; on étoit seulement embarrassé de savoir comment on feroit passer la chose. Le marquis de Parabère s'enivroit souvent, et il convenu chez le Régent qu'un jour où il seroit ivre, on le porteroit dans le lit de sa femme, qu'il seroit facile de lui faire croire que le vin l'ayant disposé cette nuit à l'amour, il avoit été machinalement la trouver, et que cette grossesse étoit le fruit de l'entrevue. Parabère, qui mourut dans ces entrefaites, dispensa de jouer cette comédie[30], qui était encore moins cynique, à coup sûr, que l'aplomb avec lequel madame de Polignac jetait ses grossesses au nez de son mari, le plus occupé de tous les éditeurs responsables[31]. A propos de cette courte liaison avec Richelieu, voici pour les amateurs un échantillon du style épistolaire de madame de Parabère. Après l'avoir lu, on serait tenté de la croire sotte, comme la dit Madame, si l'on ne savait qu'une femme peut avoir beaucoup d'esprit sans la moindre littérature, et que dans les grandes passions, la simplicité des expressions est comme un sacrifice de plus. Madame de Parabère était réellement éprise, comme la plupart des victimes de Richelieu, et peut-être, par une recherche qui n'est pas sens délicatesse, voulait-elle passer pour naïve à la faveur de la naïveté des termes, et être plus agréable à son amant en bégayant la langue de l'amour. Pour nous, bien que ce billet soit de ceux dont une grisette de nos jours ne désavouerait ni le style ni l'orthographe, nous n'en faisons point fi. Peut-être représente-t-il, dans la vie de la favorite, cette heure choisie où l'âme cherche à se faire dans un sentiment pour la première fois sincère et nouveau comme une seconde innocence. En tout cas, voici la lettre : Ne me donnerés-vous pas de vos
nouvelles ? mon amour, ma tendresse mérite la vostre, ie ne suis pas un
instant sans estre occupés de vous, ie suis plus folle de vous que jamais,
que ne feraige pas pour vous le prouver aussi vivement que ie le resent...
Ie vous répéteray sans cesse que ie vous adore, que
ie vous aime de toute mon âme, le donnerois ma vie pour vous le prouver, le
vous embrasse mille et mille fois[32]. Richelieu répondit à sa façon à des avances aussi enthousiastes, c'est-à-dire qu'il aima pendant vingt-quatre heures celle qui devait l'aimer toujours. Et, chose étrange ! tandis que déjà las, il s'efforçait de décourager, à force de déceptions, sa trop crédule maîtresse, celle-ci, saisie d'un scrupule subit, cherchait à purifier son cœur pour le rendre plus digne de lui, et en chassait impitoyablement tous les rivaux du nouvel amant. Tous ces sacrifices furent en pure perte. Richelieu était blasé sur ces héroïsmes. Mais le Régent dut passer, à cause de lui, plus d'un vilain quart d'heure avec madame de Parabère. Un dimanche au soir, elle écrivait de nouveau à cet enfant gâté des dames, sous le pseudonyme de mademoiselle de Villeroy : Ie sens plus que jamais combien
ie vous aime, car il m'est impossible de pouvoir me résoudre à voir la
personne que vous sçavés. Ie luy avois mandé qu'il pouvoit venir demain, mais
ie suis résolue, au lieu de cela, de luy écrire encore une fois, et de rompre
dès demain tout commerce avec luy[33]. Ie croirais vous manquer si ie pençois autrement, et la
tendresse que i'ay pour vous ne me le permet pas ; tout ce que ie souhaitte
au monde est que vous en soies bien persuadé, et que vous m'aimiés un peu. le
feray assurément tout ce que ie pourray pour que cela soit. Adieu, donnés moy
de vos nouvelles et mandés moy quand ie vous veray[34]. Un autre dimanche, peut-être hélas ! le suivant, madame de Parabère écrivait cette lettre aigre-tendre, ultimatum hésitant d'un cœur offensé et dominé malgré lui : Ie ne mérite pas aparament un
instant de vostre souvenir, vous m'aviés promis de me donner de vos
nouvelles, c'est traiter qui vous adore bien cruellement, il faut que mon
amour soit bien vif et bien parfait pour tenir contre autant de mépris et
d'indifférante, si ie pouvés vous souhaiter quelque malheur, se seroit de
soufrir un iour ce que vous me faites soufrir depuis lontems, mais ie vous
aime trop pour désirer qu'il vous arrive le moindre chagrin, et ie ne vous
crois pas capable d'en avoir jamès de cette espèce. Divertisés-vous bien et
soiés bien persuadé que pouvant faire tout le bonheur de ma vie, vous vous
faite un plaisir d'en faire le malheur, rien ne m'empêchera jamès de vous
adorer. Ie vais aller souper chez madame la comtesse de Toulouse demain. I'ai
envie daler à Gros-Bois, et mardy prendre les eaux[35]. Cet amour, sans illusions du côté de madame de Parabère, dut être sans grands attraits pour Richelieu, qui daigne à peine l'enregistrer dans ses Mémoires, et ne considère comme des succès que la préférence que la Souris et madame d'Averne lui accordèrent sur le Régent, sa dupe ordinaire[36]. Le Régent n'ignora pas, ne put pas ignorer cette infraction, peut-être la première faite à un traité si récent ; mais, indulgent pour les autres autant que pour lui-même, il pardonna sans doute à madame de Parabère ce qu'elle eut plus d'une fois à lui pardonner. C'est ainsi qu'il accepta en souriant la rivalité de Nocé, de Clermont. Il se borna à ne point reconnaître les enfants de sa volage maîtresse, trouvant sans doute, comme pour ceux de la Desmares, étaient trop arlequins[37]. La liaison de madame de Parabère avec Nocé parait avoir été plutôt une amitié intime qu'un véritable amour. Les dernières faveurs n'eurent d'autre fin que de consacrer le contrat, comme une signature. Leur association, dont nous reparlerons tout à l'heure, et qui semble avoir été surtout une alliance d'influences et une communauté d'intérêts, survécut à toutes les vicissitudes de leur vie privée et de leur vie politique elle-même. Ils ne s'estimaient pas assez pour se brouiller. La chose alla cependant assez loin — on va toujours plus loin qu'on ne voudrait en pareille matière —, pour que Nocé se piquât un moment de jalousie, ne fût-ce que pour légitimer d'avance, en quelque sorte, un enfant dont on le disait le père[38]. C'est ainsi que, soumis l'un par l'autre à la même épreuve, le maitre et le favori la supportèrent bien différemment. Le Régent appelait en riant Nocé : son beau-frère, par la plus familière de toutes les tolérances. Nocé se fâcha contre Clermont, son rival heureux. De quel côté est la supériorité ? A qui resta l'avantage ? au maitre ou au valet, à l'indifférence ou à l'égoïsme ? Mesurera qui voudra la nuance qui sépare l'odieux du ridicule. Je ne m'en charge pas. Il y a des duels où il n'y a pas de vainqueur. Si Clermont eut maille à partir avec Nocé[39], il n'eut pas à se plaindre du Régent qui, par une sorte de générosité épigrammatique, continua au ravisseur le soin de sa garde, et lui laissa le commandement de ses Cent-Suisses. Aucun autre document qu'une lettre de Madame ne constate du reste ce nouveau caprice de madame de Parabère, auquel parait avoir succédé une longue amitié[40]. Le Régent, ainsi que nous l'avons dit, paraît s'être médiocrement inquiété de ces entreprises sur son domaine. Ce n'est que plus tard, lorsque madame de Parabère l'eut mis deux ou trois fois au défi de l'indifférence, qu'il se sentit aiguillonné à son tour par ce mal étrange dont il avait tant fait souffrir les autres. Attiré vers madame de Parabère par un entraînement invincible, épris pour tout de bon de celle qui ne l'aimait que pour rire, il se repentit maintes fois, peut-être, d'avoir affiché des principes qu'elle partageait trop bien. Il regretta cette impunité quine pouvait avoir d'excuse que dans son indifférence. Madame de Parabère eut l'honneur de le rendre jaloux, jaloux jusqu'à la brutalité, jusqu'aux larmes, cet homme qui se piquait d'être insensible. Elle eut l'honneur de trouver le défaut de cette philosophique insouciance dont s'était cuirassé le Régent[41]. Mais n'anticipons pas sur les événements. Nous n'en sommes pas encore à Beringhem et à la jalousie ; nous en sommes aux indulgences mutuelles, aux mutuelles infidélités. Unis par un nœud tout à fait élastique, le Régent et madame de Parabère peuvent sans tiraillement, sans secousse, s'écarter chacun de leur côté. C'est un amour dos à dos. Madame nous donne sur cette indépendance du Régent en amour de bien curieux détails. Écoutons-la un moment : ses révélations nous aideront à comprendre ce qui, dans cette liaison singulière avec madame de Parabère, paraîtrait avec raison incompréhensible : Je soutiens à mon fils que de sa vie il n'a été amoureux, et que son amour ne consiste que dans la débauche. Il répond : Il est vrai que je ne saurais être comme un héros de roman ou passionné comme Céladon, mais j'aime à ma mode. Je réponds : Votre mode est d'aller comme à votre chaise percée. Il rit lorsque je lui dis cela[42]. Par deux fois, elle répète encore : Chez mon fils et chez ses maîtresses, tout va tambour
battant, sans la moindre galanterie. Cela me rappelle les vieux patriarches
qui avaient beaucoup de femmes. Mon fils a beaucoup du roi David ; il a du
courage et de l'esprit ; il est musicien, petit, brave, et il couche
volontiers avec toutes les femmes[43]. Avec un pareil système, il était impossible que le Régent fût jaloux. Mon fils n'est pas du tout jaloux ; les tours que lui jouent ses maîtresses ne le chagrinent ni ne le mettent en colère ; cela le divertit, et il ne fait qu'en rire. Je ne puis le comprendre[44]. Il y a aussi une chose que je ne puis comprendre :.... il souffre que ses propres serviteurs soient en rapport avec ses maîtresses. Cela me semble affreux et prouve bien qu'il n'a pour elles aucun amour[45]. Et pour lui aucun amour-propre. Tel était en amour Philippe d'Orléans[46], non pas seulement indifférent par insouciance, mais par système, par faux orgueil d'insensibilité. Ce prince, qui admirait tant Le grand prieur de Vendôme pour avoir osé enlever sa mal-tresse au roi Charles II et afficher dans Londres cette victoire outrageante, ce prince trouvait fort bon qu'on s'arrangeât de la sienne. Il ne faisait que rire des succès fanfarons de ce petit drôle de duc de Richelieu, comme l'appelle Madame. Il tolérait la promiscuité dans laquelle vivaient favoris et mat-tresses et encourageait chez Nocé une familiarité fondée sur de honteux partages. Avec de tels principes, dit Saint-Simon, et la conduite en conséquence, il n'est pas surprenant qu'il ait été faux en matière de galanterie, et même jusqu'à l'indiscrétion de se vanter de l'être, et de se piquer d'être en ce genre le plus raffiné trompeur[47]. Le Régent, qui aimait en politique la liberté, et autant pour les autres que pour soi-même, et qui
vantait à Saint-Simon l'Angleterre sur ce point où il n'y a point d'exils ni de lettres de cachet, ne songea pas plus
à user de ces moyens rigoureux contre ses rivaux[48] que contre ses
calomniateurs. Jusqu'à nouvel ordre, les deux amants s'entendirent donc dans
un mutuel oubli de leurs fautes, bien naturel en ce temps où l'infidélité chez les hommes est regardée comme rien du
tout, et l'infidélité chez les femmes comme pas grand'chose[49]. C'est à cette époque de tolérance mutuelle (1716) qu'il faut placer des couplets manuscrits que nous trouvons, par M. le grand prieur de Vendôme à une fêle qu'il donna à M. le duc d'Orléans, à sa maison de Clichy, avec madame de La Vieuville (sic), veuve de M. de Parabère[50]. Ce mot de veuve nous rappelle que nous avons oublié de mentionner cette mort, qui ne changea rien à une situation qui avait depuis longtemps anticipé sur la rupture légale du nœud conjugal. Madame de Parabère n'en fut pas plus libre, mais peut-être son mari fut-il plus heureux, arrivé enfin à l'insensibilité. Voici la laconique oraison funèbre qu'en fait Saint-Simon[51] : Parabère mourut aussi ; pour le personnage qu'il faisoit en ce monde, il mit mieux valu pour lui de le quitter plus tôt. tin mari fait de la sorte ne devait pas être plus regretté qu'aimé. C'est donc à table, en tête-à-tête avec le grand prieur, et probablement avec quelque fille de l'Opéra, héritière de Fanchon Moreau, au bruit de couplets assez fades, imités de Chaulieu, que madame de Parabère célébra son veuvage, heureuse de porter le nom d'un homme qui ne pouvait plus faire de sottises[52]. C'est le moment de peindre, d'après les contemporains, cette sultane-reine, comme dit Madame, qui nous fournira le premier portrait : Elle est de belle taille, grande et bien faite ; elle a le visage brun et elle ne se farde pas ; une jolie bouche et de jolis yeux ; elle a peu d'esprit, mais c'est un beau morceau de chair fraiche[53]. En une autre lettre : Le petit corbeau noir n'est pas désagréable, mais elle passe pour sotte[54]. Écoutons maintenant un homme qui l'a bien connue dans l'histoire, sinon dans la réalité, et auquel nous devons une fort agréable Relation de la rupture de M. le Régent el de madame de Parabère, et de leur raccommodement, par un bel esprit de grand nom qui écrit, ma foi, de façon à faire envie à bien des beaux esprits de profession[55]. C'est un portrait plutôt moral que physique : Elle était vite, légère,
capricieuse, hautaine, emportée ; le séjour de la cour et la société du
Régent eurent bientôt développé cet heureux naturel. L'originalité de son
esprit éclata sans retenue ; ses traits malins atteignaient tout le monde,
excepté le
Régent ; et, dès lors, elle devint l'âme de
tous ses plaisirs, quand ses plaisirs n'étaient pas des débauches. Il faut
ajouter qu'aucun vil intérêt, qu'aucune idée d'ambition n'entrait dans la
conduite de la comtesse. Elle aimait le Régent pour lui ; elle recherchait en
lui le convive charmant, l'homme aimable, et se plaisait à méconnaître, à
braver même le pouvoir et les transports jaloux du prince. Dans ces deux portraits, l'un fruste et âpre comme la franchise allemande, l'autre élégant et poli, nous trouvons bien quelque chose de l'original, mais non l'original tout entier. Madame ignore les nuances. Son brillant émule les connaît trop. Peut-être après tout est-il impossible de connaître assez les femmes pour en faire un portrait complètement exact, et pour fixer définitivement ces physionomies ondoyantes et diverses par excellence. Quoi de plus décourageant, à ce point de vue, que la résolution que prit le Régent de faire peindre sa maîtresse en Minerve ? N'est-ce pas là la plus naïve des illusions ou la plus poignante des ironies ? Souvenons-nous du temps que Léonard mit à saisir, sur le visage de sa Joconde, le reflet de la moindre de ses pensées, et en présence de ce mystérieux portrait, symbole de la lutte de l'art contre les roueries de la nature féminine, renonçons à faire par un troisième et inutile effort la critique de notre critique. Après tout, que nous importe ! que nous choisissions Parabère-Minerve ou Parabère-Bacchante, n'avons-nous pas une part de vérité ? Ne lâchons pas la proie pour l'ombre, et n'espérons pas la vérité tout entière. Imitons Philippe d'Orléans bai-même qui ne s'inquiétait que de l'heure présente, et qui, en quête d'une ressemblance mythologique, fit peindre sa maîtresse sous l'image de Minerve, parce que peut-être ce jour-là, sans s'en douter, elle lui avait donné un bon conseil. Madame de Parabère ne ressembla sans doute qu'une minute à Minerve, mais un peintre de génie peut faire d'une minute l'immortalité. Que faire en présence de ces contradictions de l'amant lui-même, aussi impuissant que le peintre à saisir le trait caractéristique de la figure adorée ? prendre un à un dans les recueils contemporains les rayons et les ombres qui complètent les deux esquisses que nous avons reproduites, et y ajoutent un peu de vérité et un peu de vie. A chaque page oil il est de nouveau question de la maîtresse de son fils, Madame charge davantage en couleur ce croquis, premier jet de sa caustique verve. La Parabère-Bacchante s'accuse de plus en plus. Elle est capable de manger et boire, et de débiter des étourderies ; cela divertit mon fils, et lui fait oublier tous ses travaux[56]. Mon fils a une maudite maîtresse qui boit comme un trou et qui lui est infidèle ; mais comme elle ne lui demande pas un cheveu, il n'en est pas jaloux ?[57] Mon fils dit qu'il s'était
attaché à la Parabère parce qu'elle ne songe à rien, si ce n'est à se
divertir, et qu'elle ne se mêle d'aucune affaire. Ce serait très-bien si elle
n'était pas si ivrognesse, etc.[58] Tous ces renseignements intimes que nous donne Madame sont, comme on dit, un peu salés ; mais ceux que nous devons à M. Barrière sont aussi un peu trop sucrés. Il faut ôter à l'un un peu de son indulgence, à l'autre quelque peu de sa crudité, et les réconcilier dans ce fait sur lequel insistent à la fois le chroniqueur partial qui prend son âpreté dans l'humeur que lui inspirent les folies contemporaines, et l'historien discret qui résume les témoignages du temps en les atténuant d'une trop facile modération[59]. Il nous est donc impossible d'admettre comme réelle cette madame de Parabère, presque pudique dans le vice, qui devint l'âme de tous les plaisirs du Régent, quand ses plaisirs n'étaient point des débauches. Mais nous reculerons aussi devant la Parabère avinée de Madame. Entre les deux nous trouverons une femme belle, volontaire, hardie, au rire éclatant, au cœur volage, mais sans ambition et sans cupidité, l'idéal enfin de la maîtresse, pour un prince à la fois aimable et prudent, à qui Dubois avait appris à redouter les liaisons trop absorbantes qui avaient gêné parfois jusqu'à la despotique liberté de Louis XIV. Madame de Parabère fut la favorite, la préférée, et digne de l'être, de ce groupe de femmes de bonne humeur et même de bon appétit qui entourèrent chaque soir de sa vie la table de Philippe d'Orléans. Moins effrontée que Sabran, moins coquette que d'Averne, madame de Parabère ne fut point surtout avide comme elles[60]. Elle ne demanda que de la joie à un rang auquel d'autres ne demandaient que de l'argent. Elle se donna, mais ne se vendit pas, et cette gloire lui reste, ne fut-ce que pour donner plus tard de la dignité à son repentir. Toute désintéressée qu'elle fût, madame de Parabère n'avait ficela qu'un demi-mérite. Elle n'était pas femme à avoir une vertu tout entière, et nous sommes forcé de dire que le Régent, par ses prodigues libéralités, ne lui laissait pas de bien redoutables tentations à vaincre. Nous savons qu'il ne lésinait pas en amour, pas plus qu'en tout le reste. Il mettait une sorte de galant amour-propre à prévenir le moindre désir de ses maitresses, et il s'évertuait à satisfaire magnifiquement tout caprice qu'il n'avait pas deviné. C'est ainsi qu'ayant appris que madame de Para-hère désirait des porcelaines, il en fit chercher de tous les côtés à quelque prix que ce fût, et en acheta pour dix-huit cent mille livres. D'un autre côté, si l'orgueil de la favorite se révoltait à l'idée de devoir sa fortune au Régent, elle ne défendait pas à ses autres amis de s'occuper de ses intérêts. Nocé, ce roué fantasque et hardi qui avait si spirituellement enjôlé son maitre, parait avoir été investi de cette mission de confiance, prix d'infidèles faveurs. Le bénéfice le plus clair pour madame de Parabère, de ces relations intimes avec Nocé, fut la rapide conquête de cette indépendance matérielle[61] où la favorite, libre enfin de n'accepter de son illustre protecteur que des cadeaux, voyait avec raison la circonstance atténuante de son amour. Au moins, si elle trompait l'amant dans le Régent, elle ne trahissait point en lui le bienfaiteur. Les Mémoires de Maurepas et ceux de Richelieu (édit. Soulavie) nous mettent à même d'apprécier les résultats des spéculations, parfois assez originales, que firent de compte à demi ces deux singuliers associés nommés Nocé et madame de Parabère. Les pamphlétaires et les couplétiers du temps les mettent presque toujours en scène ensemble, peut-être par allusion à leurs opérations communes[62]. C'est ainsi que nous les voyons prélever à leur tour, sur la taxe prononcée par la fameuse Chambre de justice, l'impôt de leur influence et spéculer sur un pardon qu'ils étaient sûrs d'obtenir de l'insouciante clémence du Régent. Hénault, par exemple, le fameux financier — père du président — alla trouver Nocé et madame de Parabère, leur promettant cent mille écus s'ils obtenaient du prince que sa taxe ne passât pas un million qu'il offroit de payer, au lieu de trois ou quatre, à quoi il savoit bien qu'il pourroit être taxé. La Parabère demanda cette grâce au Régent, qui l'accorda à Hénault, qui s'en vanta bientôt.... Nocé, dit à son tour Salé,
fit avec plus de suite que les siennes les affaires
de madame de Parabère ; car, ayant demandé pour elle au Régent douze actions,
elles profitèrent si bien entre ses mains, que, sans qu'elle s'en mêlât, il
lui lit quatre-vingt mille livres de rentes[63]. C'est peut-être par reconnaissance que madame de Parabère, dont nous allons reprendre l'histoire chronologiquement, prêta un moment à Law le secours de son influence[64]. Il y a de grands mouvements au Palais. Royal pour chasser ou pour rétablir M. Law. Les amis du Régent, qu'on nomme les roués — le comte de Broglie, Canillac, Nocé — sont contre lui. Madame de Parabère ne le soutient que faiblement[65]. C'est la première fois que Mathieu Marais parle de la maîtresse en titre du Régent. C'était l'époque de sa florissante faveur, l'époque des fameux soupers dont nous allons parler et des promenades à Asnières. Le Régent, qui n'aimait pas la campagne, avait donné à madame de Parabère une maison à Asnières, cette campagne de tout temps si parisienne. Là avaient souvent lieu ces soupers nomades qui alternaient entre le Palais-Royal, le Luxembourg et Saint-Cloud. Là aussi arrivaient souvent ces accidents, mésaventures habituelles de l'ivresse, auxquels le Régent semblait particulièrement voué. Madame en raconte un sous la date du 15 mit 1719 : Mercredi, dans la nuit, il alla à Asnières, où la Parabère a une maison : il y soupa ; lorsqu'il voulut, après minuit, remonter dans son carrosse, il tomba dans un trou et se foula le pied[66]. C'est à ces visites à Asnières que Gendron, le médecin peu écouté du Régent, attribuait ce déclin rapide de la santé du prince, cet affaiblissement de plus en plus général, qui s'étendait déjà parfois jusqu'à son intelligence. Ces visites redoublèrent précisément en cette année 1720, si féconde en désastres, qui devait s'enfuir dans l'éternité, chargée de la malédiction universelle. C'est l'année du système expirant, de d'Aguesseau impuissant, du Parlement humilié, de d'Argenson triomphant, de Dubois intriguant dans l'ombre la perte de tous ses rivaux. C'est l'année des Philippiques, scandaleuse par excellence, in-Rime d'un bout à l'autre, dont nous avons, en un autre ouvrage, énuméré les hontes si cruellement étalées dans ces vers fameux, digne chef-d'œuvre d'un pareil temps. Parfois, de poignantes souffrances venaient avertir Philippe d'Orléans qu'il était homme. A ces aiguillons menaçants de la douleur physique, le peuple indigné ajoutait à certains moments la terreur de sa grande voix. Le Palais-Royal avait été envahi par une multitude exaspérée ; on ne cherchait que Law, disait-on, pour le déchirer : mais le duc d'Orléans n'eût pas médiocrement exposé sa vie en se montrant à sa place[67]. Bientôt, cependant, les voyages d'Asnières cessèrent ; mais la faveur de madame de Parabère n'en souffrit pas. Au contraire, elle vint, a côté de l'épouse légitime, étaler une scandaleuse grossesse. Law, qui s'était réfugié au Palais-Royal, et y logeait, jusqu'à ce que fût calmée l'effervescence populaire, dans l'appartement de M. le comte d'Estampes, capitaine des gardes du corps du Régent, en sortit le dimanche 18 août 1720 et retourna chez lui, rue Neuve-des-Petits-Champs. C'est madame de Parabère qui l'y remplaça. Elle est grosse à pleine ceinture et est à la vue de tout
le monde à l'Opéra et dans la propre maison de madame la duchesse d'Orléans, qui
souffre tout sans rien dire. C'est une princesse d'un tempérament froid
et tranquille, que rien ne trouble, et qui ne fait que des filles[68]. Mathieu Marais nous apprend par la même motif
très-légitime de l'antipathie que le Régent a pour Asnières, dont le séjour
est définitivement disgracié. C'est un second accident : Le Régent a pensé périr en passant le bac d'Asnières. La
corde s'est rompue ; il a donné 300 fr. au bacqueur (sic) et veut
que sa maîtresse change de maison. On dit qu'il prendra la maison de Jalpin —
ci-devant marchand —, à Auteuil[69]. Tandis que Madame, dans sa sollicitude un peu brutale, s'apitoyait sur l'état. de son fils constamment miné par l'intempérance, et que les satiriques comptaient, dans leurs brocards insolents, les douloureuses traces de luxure empreintes sur son visage, le mécontentement populaire faisait justice d'une administration si peu faite pour réparer les malheurs du règne précédent, tantôt par des saillies goguenardes, tantôt par de farouches menaces. Le Régent passant le soir le bac d'Asnières, pour aller voir madame de Parabère qui y a une maison, s'amusoit à faire pencher le bateau des deux côtés ; le batelier, qui ne le connoissoit pas, dit : Voilà un b..... de bateau qui va comme la Régence, sens dessus dessous[70]. Voilà qui n'est que drôle. Voici maintenant qui est terrible : Dans un conseil, tenu le mercredi
29 de ce mois au Palais-Royal, le Régent a eu une absence d'esprit, il s'est
mis à crier tout d'un coup : Oh ! oh ! on investit le Palais-Royal. Voilà
qu'on tire ! M. Leblanc s'est levé et a vu par la fenêtre qu'on secouoit des
tapisseries. Il l'a dit au Régent, qui ne l'a point entendu, tant il étoit
saisi de peur. Et il a encore recommencé à crier : Oh ! oh !
voilà qu'on tire ! C'est qu'on continuoit à secouer. Enfin on lui a
donné de l'eau de la reine de Hongrie, et il est revenu dans son bon sens[71]. Le soir, allant à Asnières, avec
ses gardes, passant par le Roule, les habitants ont crié : Ah l'aou !
ah l'aou ! — à l'eau ! à l'eau ! — voilà
l'homme qui a emporté notre papier et notre argent. Et tant qu'ils l'ont
pu voir, ont toujours crié : Ah l'aou ! ah l'aou ! Les gardes n'ont
pas osé dire un mot[72]. Madame de Parabère ne semble pas avoir trop perdu dans l'opinion publique pendant le système. Personne ne pouvait s'en prendre à elle de ses malheurs, et les chansonniers, loin de maudire son influence, l'appellent, au contraire, au secours de la détresse universelle[73]. Le Régent, en dépit de l'insolent fatalisme qu'il affectait, au dire de Madame, n'était pas toujours, ne pouvait pas toujours être indifférent aux avertissements que la Providence multipliait en lui et autour de lui. Il devait craindre par moment que Dieu ne précipitât le cours de sa vengeance et ne l'abattit subitement d'un de ces coups de foudre de l'apoplexie, auxquels il semblait destiné par sa constitution physique même, et que son régime homicide n'était pas fait pour conjurer. Mais ces leçons et ces pressentiments n'avaient sur le prince insoucieux qu'une influence passagère, égale à peine à la surprise ou à la douleur de la première minute. Et cependant, il n'y avait pas d'illusion à se faire. Dès le 29 mai 1716, Madame remarque que son fils est devenu effroyablement délicat ; il ne pouvait plus, selon elle, se mettre à genoux sans tomber en faiblesse[74]. Depuis, elle ne cesse de se plaindre de l'état de sa santé et de son insouciante imprudence[75]. Il n'avait pas tardé à perdre presque l'usage de cet mil, selon les uns, simplement malade des suites d'une maladie d'enfance ou d'un coup reçu en jouant à la paume[76], et, selon d'autres, peut-être mieux informés, d'un coup de coude de madame de La Rochefoucauld, vis-à-vis de laquelle il s'émancipait par trop, ou bien encore d'un coup d'éventail de madame d'Arpajon, provoqué par des libertés du même genre. Qu'il fût la suite d'une maladresse ou la punition d'une témérité[77], ce coup, en dépit de la poudre d'un curé empirique et des soins plus éclairés de Goudron, s'était enflammé au point de faire craindre la cécité, car le contre-coup avait affecté l'autre œil qui n'allait guère mieux. La question avait été agitée, presque publiquement, d'une déchéance du Régent prononcée pour incapacité physique, et les malins couplets avaient circulé de toutes parts, raillant impitoyablement ces blessures et ces plaies, moins honorables, à coup sûr, que celles de Turin ou de Lérida. A chaque nouveau couplet, à chaque rechute, Madame reprenait ses diatribes contre les soupers et les maîtresses, auxquelles elle attribuait tout le mal[78]. Et ce n'est pas seulement dans sa correspondance qu'elle déchargeait sa bile. Elle avait, de temps en temps, avec son fils des conversations pareilles à des assauts. Le Régent, qui envoyait souvent au diable ses médecins et ses chirurgiens[79], n'opposait à ces remontrances de sa mère qu'un système de respectueuse inertie[80]. Il la laissait tempêter à son aise, et continuait à se promener la nuit avec le méchant et impertinent Nocé. Il courait la nuit aux environs de Paris, dans des carrosses étrangers, soupant tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre de ses gens, et restait à table avec sa société habituelle ou improvisée jusqu'à trois ou quatre heures du matin[81]. De temps en temps, Madame, exaspérée d'inquiétude, le lendemain, par exemple, de cette tentative de La Jonchère pour enlever et emprisonner le Régent, qu'il ne manqua que d'un quart d'heure[82], poussait à bout la patience de son fils, qui lui répondait par ces paroles sans réplique : Depuis six heures du matin jusqu'à la nuit, je suis assujetti à un travail prolongé et fatigant, si je ne m'amusais pas lm peu ensuite, je ne pourrais plus y tenir, je mourrais de mélancolie3[83]. Et Madame convenait elle-même qu'il avait un peu raison : Mon fils est bien à plaindre ; il a bien du tracas ; depuis six heures du matin jusqu'à huit heures du soir, il est au travail ; pas moyen de lui parler. Ensuite pour se distraire un peu, il fait les repas dont je vous ai parlé[84]. Mon fils n'épargne aucune peine ; mais, après avoir travaillé du matin jusqu'au soir, il aime à s'amuser, à souper avec son petit corbeau brun[85]. Ce petit nom, ce nom de caresse, comme dit Marmontel, était celui de madame de Parabère, celle de ses maîtresses et de ses convives dont il est le plus juste de dire que le Régent ne pouvait plus s'en arracher[86]. C'est ainsi, qu'en 1720, malgré les doléances de sa mère, qui, après tout, ne reproche guère à cette favorite qu'un vice fort bien porté de son temps[87], malgré la leçon de son impopularité et les avertissements douloureux de la maladie, le duc d'Orléans était amoureux fou de madame de Parabère, et que l'époque où il baissa le plus dans l'estime de la France est celle où elle monte plus haut dans la sienne. Arrivons donc à l'époque de la fortune de madame de Parabère, à ce moment unique où elle brilla de tout l'éclat de sa beauté, de son esprit et de sa faveur. Cette faveur, elle la dut, il faut l'avouer, à des supériorités assez frivoles, et même assez vulgaires. Bien manger, bien boire, toujours rire, ce sont-là, sans doute, des qualités indignes de tout prestige. Mais madame de Parabère n'avait pas que ces défauts, car il faut leur restituer leur véritable nom : elle en eut l'art, elle en eut surtout l'à-propos. Madame la dit sotte[88] ; mais son sourire montrait de si belles dents qu'il en paraissait spirituel. Nous avons déjà, dans le cours de ce travail, souvent parlé des fameux soupers du Régent. Ils se rattachent trop intimement à l'histoire de madame de Parabère pour que nous ne nous y arrêtions pas un moment. Ils commencèrent avec la Régence même, à cette époque d'émancipation où Philippe, maitre de la France, le devint de lui-même, et put boire, jurer et courir à son aise, ce qu'il ne pouvait faire du temps du feu roi[89]. Donnons d'abord une idée du genre de vie du Régent, de cette étrange organisation de sa journée où ses devoirs et ses plaisirs avaient leurs heures fixes, en attendant la nuit régulièrement et irrévocablement consacrée au désordre : Toutes les matinées étoient
livrées aux affaires, et les différentes sortes d'affaires avoient leurs
jours et leurs heures. Il les commencoit seul avant de s'habiller, voyoit du
monde à son lever qui étoit court, et toujours précédé ou suivi d'audiences
auxquelles il perdoit beaucoup de temps ; puis ceux qui étoient chargés plus
directement d'affaires le tenoient successivement jusqu'a deux heures après
midi. Ceux-là étoient les chefs des conseils, La Trillière, bientôt après
Leblanc, dont il se servoit pour beaucoup d'espionnages ; souvent Torcy, pour
les lettres de la poste ; quelquefois le maréchal de Villeroi, pour piaffer ;
une fois la semaine les ministres étrangers, quelques fois les conseils ; la
messe dans sa chapelle en particulier quand il étoit fête ou dimanche. Les
premiers temps, il se levoit matin, ce qui se ralentit peu à peu, et devint
après incertain et tardif, suivant qu'il s'étoit couché. Sur les deux heures ou deux heures et demie, tout le monde lui voyait prendre du chocolat ; il causoit avec la compagnie. Cela duroit selon qu'elle lui plaisoit. Le plus ordinaire en tout n'alloit pas à demi-heure. Il rentroit et donnoit audience à des dames et à des hommes, alloit chez madame la duchesse d'Orléans, puis travailloit avec quelqu'un, ou alloit au conseil de Régence ; quelquefois il alloit voir le roi, le matin rarement, mais toujours matin ou soir, avant ou après le conseil de Régence, et l'abordoit, lui parloit, le quittait avec des révérences et un air de respect qui faisoit plaisir à voir, au roi lui-même, et qui apprenoit à vivre à tout le monde. Après le conseil, ou sur les cinq
heures du soir, s'il n'y en avoit point, il n'était plus question d'affaires
; c'étoit l'Opéra, ou le Luxembourg, s'il n'y avoit été avant son chocolat,
ou aller chez madame la duchesse d'Orléans où quelquefois il soupoit, ou
sortir par ses derrières, ou faire entrer compagnie par les mêmes derrières,
ou, si c'étoit en belle saison, aller à Saint-Cloud. ou en d'autres
campagnes, tantôt y souper, tantôt au Luxembourg ou chez lui. Ses soupers étaient toujours en compagnie fort étrange[90]. C'est ici le lieu de donner la liste des convives. C'étaient d'abord — à tout seigneur, tout honneur ! — MM. les roués ordinaires. D'où vient ce nom de roués ? Il y a conflit d'étymologies. Les uns ont voulu faire remonter ce titre à ce mot d'un ivrogne, qui, passant en Grève au moment où un malheureux, condamné à périr sur la roue, exhalait sa vie en imprécations, lui dit gravement : Mon ami, ce n'est pas le tout que d'être roué, il faut encore être honnête[91]. D'autres ont voulu y voir la restauration de ce nom d'amici ixionii — amis ixioniens — d'Héliogabale, parce que leur maitre se donnait quelquefois le divertissement de les faire rouer à une roue de moulin, sur laquelle ils plongeaient dans l'eau et tournaient comme Ixion. Tout ceci nous semble bien tiré par les cheveux. Nous aimons mieux y voir la traduction moderne de cette vieille expression de bon rompu, qui voulait dire bon compagnon. Ce bon rompu de Louis XI aima toutes les femmes, dit Brantôme. Quand le Régent, un jour de franchise, appela plaisamment ses convives des roués, il voulait leur faire entendre qu'ils étaient bous à rouer ; et ceux-ci, qui, à l'exemple de leur maitre, se targuaient de leur impiété et se glorifiaient de leurs vices, acceptèrent le sobriquet en riant, s'en parèrent, s'en décorèrent et s'approprièrent le nom de roués, dit une épigramme du temps, pour se distinguer de leurs valets qui ne sont que des pendards. Le Recueil Maurepas contient des roués cette jolie esquisse : Ce sont messieurs les libertins, Gens à bombances, à festins. Gros garçons à vastes bedaines, Aimant bien gentilles fredaines, Traits malins et joyeux propos, Bref, gens tout ronds et point cagots. Il y avait deux classes de roués, les jeunes et les vieux, les anciens et les nouveaux, le ban et l'arrière-ban. Le Palais-Royal avait hérité du fonds et du personnel survivant de cette cour licencieuse de Saint-Cloud, qui fut l'école du vice au commencement du siècle. Parmi ces vétérans du verre, ces chevronnés de l'orgie, une mention est due aux deux Vendôme, et surtout au grand prieur, pour lequel le Régent avait une sorte de culte ; à La Fare, capitaine des gardes du duc d'Orléans, et l'arbitre de ses plaisirs ; à l'abbé de Grancey[92], son aumônier, qui l'égayoit par des vaudevilles et ne le fatiguoit pas de messes[93] ; au vicomte de Polignac, au marquis de Nesle, dont les femmes s'étoient liguées contre la dévotion ; à d'Effiat, de Simiane, Clermont, Confions, jeunes voluptueux qui copioient leurs maîtres. Il y avait encore Fontenelle, qui, trop flatté des familiarités du prince, alloit quelque fois avec lui consulter les magiciens, et, souvent indigné de tant d'impies propos de table, dit un jour : Voilà pour des gentilshommes de bien basses plaisanteries ! C'était l'époque de cette espèce
de fureur qui faisoit trembler toutes les mères du quartier Saint-Honoré,
et où le lieutenant de police plaçoit autour des
maisons publiques où le duc d'Orléans s'amusoit une compagnie du guet, qui
rendoit compte de ses actions, et veilloit à sa sûreté[94]. Aux survivants de ces anciens roués se mêlaient une douzaine d'hommes, tantôt les. uns, tantôt les autres,
auxquels, sans façon, le Régent avoit donné le même nom ; quatre ou cinq des
officiers de la cour du prince, non des premiers..... et quelques gens obscurs, encore sans nom, brillant par
leur esprit ou leur débauche. C'était d'abord le duc de Noailles, qui après avoir cherché à faire son chemin par la dévotion et l'austérité, cherchait à le faire en affichant tous les vices qu'il n'avait pas et en prenant une maîtresse, pour faire comme tout le monde[95]. C'était le duc de Brancas[96], qui s'appelait la caillette gaie, et pour lequel le Régent eut une affection qui résista à la politique et à sa conversion même. Car Brancas, fatigué sans doute d'avoir beaucoup de faveur et nul crédit et d'attendre les bienfaits d'un prince qui promettait beaucoup pour ne jamais tenir et l'aimait comme ses yeux, qu'il soignait fort mal ; Brancas, au lieu de faire une fin impie, comme d'Effiat, fit une fin dévote. Il se retira à cette abbaye du Bec, qui était, avec le couvent des Camaldules de Grosbois, le refuge à la mode des pécheurs qui boudaient le siècle. Le Régent, qui ne voulut jamais croire à une grâce aussi subite, lui envoyait dans sa retraite de petits cadeaux tentateurs et des invitations ironiques, qui se formulaient parfois tout simplement par un refrain d'Opéra[97]. Le duc de Brancas lui répondait par des lettres éloquentes et prophétiques, de solennelles adjurations de se ranger[98], qui trouvèrent sourd un cœur depuis longtemps fermé aux voix du salut. Pécheur obstiné, le malheureux prince continua à défier la foudre des vengeances célestes, et quelques jours après le suprême avertissement de son ami, il en était frappé. C'était Nocé, que Madame appelle le méchant et impertinent Nocé, Nocé, personnage vraiment original, type du rossé, et qui mérite quelques lignes : Nocé étoit un grand homme, qui avoit été fort bien fait, qui avoit assez servi pour sa réputation, qui avoit de l'esprit et quelque ornement dans l'esprit, et de la grâce quand il vouloit plaire. Il avoit du bien assez considérablement.... Il étoit fort connu de M. le duc d'Orléans, parce qu'il étoit fils de Fontenay, qui avoit été son sous-gouverneur, et il lui avoit plu par sa haine de toute contrainte ; par sa philosophie tout épicurienne, par une brusquerie, qui, quand elle n'alloit pas à la brutalité, ce qui arrivoit assez souvent, étoit quelquefois plaisante, sous le masque de franchise et de liberté ; d'ailleurs, un assez honnête mondain, surtout fort particulier. Il étoit fort éloigné de s'accommoder de tout le monde, fort paresseux, ne se gênoit pour rien, ne se refusoit rien[99]. Madame qui hait Nocé comme le
diable, en fait un portrait vraiment fantastique et peint avec de la
bile, comme celui d'un Riom ou d'un Richelieu : Le
père de Nocé a été sous-gouverneur de mon fils. Dès son enfance, mon fils
s'est habitué à ce péchant diable, et il l'a sincèrement aimé. Il a de
l'esprit, mais il n'y a absolument rien de bon chez lui. Il parle toujours
contre Dieu et les hommes. Il est vert, noir et jaune foncé. Il parait avoir
dix ans de plus que mon fils. Je ne comprends pas qu'on puisse aimer un
pareil drôle. C'est une chose incroyable tous les millions que cet homme
intéressé a tirés de mon fils[100]. L'abbé Leblanc, hôte, commensal de Nocé en 1732, nous en a laissé un croquis plus bienveillant et plus fidèle sans doute : C'est un homme de beaucoup
d'esprit, qui a de la facilité, de la pénétration, de la sagacité, et
par-dessus tout, le dangereux art de dire des bons mots. D'ailleurs, l'homme
de la probité la plus exacte, et le meilleur cœur qui soit au monde.....
Le duc de Brancas, ci-devant anachorète du Bec, l'a
peint à merveille par ces deux mots : l'esprit rude et les mœurs douces.
C'est un homme singulier[101]. Nocé avoit été fait, en 1719, gentilhomme de la chambre de M. le duc d'Orléans, avec dix mille livres d'appointements, au lieu de M. Pluveau, qui s'étoit démis en sa faveur. Il avoit autrefois épousé madame
de La Mésangère, fille de madame de La Sablière, que La Fontaine a tant
louée. Il s'en dégoûta bientôt, prit pour maîtresse madame de Strafford,
fille du comte de Grammont, qui le mena en Avignon, où il étoit encore lors
de la mort de madame de Nocé, sa femme, et il n'est revenu que pour la Régence,
où il a tant fait qu'il y a gagné un exil. Ce qu'il y eut de singulier dans
son mariage, c'est qu'il épousa madame de La Mésangère veuve, et mère de La
Mésangère, maitre d'hôtel du Roi, qui en fut au désespoir, parce qu'après lui
avoir pris sa mère, il lui prit encore madame de Strafford, qui étoit sa
maitresse, sur quoi on fit de fort jolies chansons[102]. Il avait pour sœur cette madame du Tort, type de
l'intrigante, que nous avons, à propos de Florence, vu conduire les affaires
de mademoiselle Pélissier et du juif du Lis. C'est
un bel esprit du temps, dit Mathieu Marais[103], fort amie de Fontenelle, grande approbatrice du nouveau
langage et des sentiments métaphysiques dans le discours. Nous nous bornons, pour le moment, à cette esquisse de Nocé, qui suffit à expliquer sa faveur. Nous reviendrons tout à l'heure sur son compte, à propos de cet esprit qui causa sa disgrâce. Broglie complétait le triumvirat favori du Régent. Broglie était incontestablement le plus ambitieux du trio. Brancas était un étourdi cynique ; Nocé un humoriste. Broglie était spirituel et débauché comme eux, mais très-méchant et très-intrigant par-dessus le marché. Broglie, gendre du chancelier Voysin, qui, du temps de sa toute-puissance, dans les derniers temps du feu roi, lui avoit fait donner un gouvernement et une inspection d'infanterie, étoit fils et frère aîné des maréchaux de Broglie, dont il fut toute sa vie le fléau. C'étoit un homme de lecture, de beaucoup d'esprit, très-méchant, très-avare, très-noir, d'aucune sorte de mesure, pleinement et publiquement déshonoré sur le courage et sur toutes sortes de chapitres. Avec cela, effronté, hardi, audacieux et plein d'artifices, d'intrigues et de manèges. Il se piquoit, avec cela, de la plus haute impiété et de la plus raffinée débauche, pourvu qu'il ne lui en contât rien, quoique fort riche. Je n'ai guère vu face d'homme mieux représenter celle d'un réprouvé que la sienne. Cela frappoit[104]. Madame, non moins sévère que Saint-Simon à l'endroit de Broglie, ajoute quelques détails : Les Broglie sont d'origine
italienne, mais il y a longtemps qu'ils sont établis en France. Ils étaient
trois frères ; l'aîné a péri à l'armée ; le
second était abbé, mais il a jeté le froc aux orties ; le troisième, qui sert
encore à l'année, est, sous tous les rapports, un des cavaliers les plus
estimables qu'on puisse voir ; mon fils ne l'aime pas autant que son polisson
de frère, parce qu'il est sérieux et nullement bouffon. Mon fils dit que
lorsqu'il sort du travail, il a besoin de quelque chose qui le fasse rire, et
que le cadet Broglie est trop sérieux pour cela ; bidonnerait la préférence
quand il s'agirait d'une affaire de confiance ou d'une expédition de guerre ;
mais que l'aîné convient mieux pour rire à table et bourder à tort et à
travers[105]. Il est, ajoute-t-elle, insolent, hardi, débauché avec les femmes, et ivrogne[106]. Le Régent avait un faible pour cette famille des Broglie. Il daignait rire des lazzi du comte de Revel, même quand il prenait pour cible un homme comme Law[107], et il soldait les singulières additions que lui envoyait l'abbé de Broglie. Il faut citer encore parmi les roués et commensaux du Régent, le marquis de Canillac, Biron, Simiane et d'Effiat, survivants de la première école des roués, et La Fare et Fargis, dignes disciples de tels manses. C'est par leur esquisse, un coup de crayon de ci de lé,
qu'il faut compléter notre galerie. Le marquis de Canillac était le type du
roué diplomate. C'étoit un grand homme, bien fait,
maigre, châtain, d'une physionomie assez agréable, qui promettoit beaucoup
d'esprit, et qui n'étoit pas trompeuse. L'esprit étoit orné, beaucoup de
lecture et de mémoire, le débit éloquent, naturel, choisi, facile ; l'air
ouvert et noble ; de la grâce au maintien, et à la parole toujours
assaisonnée d'un sel fin, souvent piquant, et d'expressions mordantes, qui
frappoient par leur singularité, souvent par leur justesse. Sa gloire, sa
vanité, car ce sont deux choses, la bonne opinion de soi, l'envie et le
mépris des autres, étoient en lui au plus haut point. Si politesse étoit
extrême, mais pour s'en faire rendre autant, et il étoit plus fort que lui de
le cacher. Paresseux, voluptueux en tout genre et dans un goût étrange aussi,
d'une santé délicate qu'il ménageoit, particulier, et par hauteur difficile à
apprivoiser. Avare aussi, mais sans se refuser ce qu'il y avoit de meilleur
goût dans ce qu'il se permettoit, toujours Sur les échasses pour la morale,
l'honneur, la plus rigide probité, le débit des sentences et des maximes[108], etc. C'est ce roué sérieux, ce débauché moralisant, que Brancas, qui avait à s'en plaindre, avait pris pour but de ses malignes représailles. Et, chaque jour, sa vengeance avait les rieurs de son côté. Piqué contre lui, il ne se contint plus de brocards, en divertit M. le duc d'Orléans et sa compagnie, les soirs. Il y dit un jour du babil doctrinal de Canillac, en sa présence, qu'il avoit une perte de morale continuelle, comme les femmes ont quelquefois des pertes de sang, et la compagnie à rire, et M. le duc d'Orléans aussi. Canillac, en colère, lui reprocha la futilité de yin esprit et son incapacité d'affaires et de secret, et qu'en un mot, il n'étoit qu'une caillette. — Cela est vrai, répondit Brancas en riant ; mais la différence qu'il y a entre moi et toi, c'est qu'au moins je suis une caillette gaie et que tu es une caillette triste. J'en fais juge la compagnie. — Voilà M. le duc d'Orléans et tout ce qui étoit avec lui aux éclats, et Canillac dans une fureur qui lui sortit par les yeux et qui lui mastiqua la bouche[109]. Le marquis de La Fare était le fils et successeur du fameux La Fare, auteur des Mémoires, auteur des vers, ami de Chaulieu et parolier du duc d'Orléans. M. de La Fare était fort l'ami de son maitre, qui l'envoya en Espagne, de préférence à M. de Simiane, pour remercier le roi d'Espagne de l'honneur que lui faisait le mariage du prince des Asturies avec mademoiselle de Montpensier. Il était gai et spirituel comme son père, et amoureux comme lui. La princesse de Conti, qui l'appelait son poupart, fut sa plus illustre conquête[110]. Le beau de sa vie n'est pas son mariage et ce qui le suivit. Il épousa la fille de l'aparel, un des traitants les plus écorchés par la Chambre de justice, obtint sa dépouille, et planta là sa femme, qui ne lui était plus bonne à rien. Biron, pauvre et chargé de famille, fit par les soupers une fortune que son courage et ses blessures n'avaient pu lui mériter. Il se trouva enfin comblé d'honneurs et de richesses pour s'être enrôlé avec les roués et avoir soupé avec eux presque tous les soirs chez M. le duc d'Orléans, où, pour lui plaire, il en disoit des meilleures[111]. Il arriva par ses bons mots et malgré ses services. Nancré, le marquis d'Effiat et Simiane étaient en 1715, les seuls survivants de l'ancienne liste des roués. Nancré étoit un drôle de beaucoup d'esprit, de manège et de monde, aimable dans le commerce et dans la société, mais dangereux fripon, pour ne pas dire scélérat, dont il ne s'éloignoit guère, qui aimoit à se mêler de tout, dont l'intrigue étoit la vie, et qui n'ayant ni âme ni sentiments que simulés, vouloit cheminer et être compté, à quoi tous les moyens étoient bons[112]. Clermont, qui succéda à Nancré en 1719, étoit en naissance, en honneur et en probité, le parfait contraste de Nancré. Ce choix fut fort applaudi[113]. Le marquis d'Effiat, mort le 3 juin 1719, étoit un assez petit homme, sec, bien fait, droit, propre, à perruque blonde, à mine rechignée, fort glorieux, poli avec le monde, et qui en avoit fort le langage et le maintien[114]. Au moral, c'étoit un homme de beaucoup d'esprit et de manége, qui n'avoit ni âme, ni principes, qui vivoit dans un désordre de mœurs et d'irréligion public, également riche et avare, d'une ambition qui toujours cherchoit par où arriver, etc.[115] Ame damnée du chevalier de Lorraine, il avait, de concert avec lui, empoisonné la tant regrettée Henriette d'Angleterre, première duchesse d'Orléans, et avait triomphé dans une impunité qui n'avait pas nui à son crédit. Il mourut triste et seul au milieu de trésors qui ne rendirent heureux que ses héritiers[116]. Simiane, le gendre de madame de Grignan, fille de madame de Sévigné, mourut en 1718, et sa charge fut donnée à son frère. C'est ce frère qui, en 1720, assistait, en qualité de roué, aux orgies de la Régence[117]. Fargis, dit le beau Fargis, était un de ces jeunes gens de traverse encore sans nom, brillant par leur esprit et leur débauche. C'étoit le fils de Debrieu de Fargis, maitre d'hôtel du roi. Lorsque nous aurons dit que le duc de Richelieu, cet ennemi intime du Régent, soupait avec lui toutes les fois qu'il n'était pas en exil ou à la Bastille, nous aurons achevé de passer en revue le personnel masculin des soupers du Régent. Si nous nous sommes quelque peu étendu sur les hommes, nous nous bornerons à énumérer ici les dames de moyenne vertu, mais du monde, comme dit Saint-Simon, qui en faisaient le plus bel ornement. Ce livre n'ayant pas d'autre but que de raconter successivement leur histoire. C'étaient d'abord les maîtresses en titre, en sous-titre, triomphantes ou congédiées, qui venaient épier l'occasion ou narguer une rivale. C'étaient madame de Parabère, madame d'Averne, madame de Phalaris, madame de Sabran, convives perpétuelles du Palais-Royal ; madame la princesse de Léon, madame de Gesvres, digne femme du gouverneur de Paris qui mettait sur le programme des fêtes de l'Hôtel de ville : beaucoup boire ; madame de Pramnon, madame de Flavacourt, madame de Sessac, madame du Brossay, madame de Verrue, mademoiselle de Portes, madame de Tencin, madame du Deffand ; souvent avec madame de Mouchy, madame la duchesse de Berry elle-même, et encore plus souvent les petites Souris, deux sœurs qui grignotaient fort proprement les millions et les cœurs, la petite Le Roy, mademoiselle Uzée, la petite Émilie, chargées de représenter, dans ces fêtes de l'impiété et de la débauche, le corps de ballet et l'Opéra. Tout ce monde-hi vivait, buvait, mangeait, chantait, riait, aimait sans trop de querelles ni d'esclandres. Une sortie de madame de Sabran, une indigestion de madame d'Averse, une présentation, celle de madame de Nicolaï ou de mademoiselle Houël, une maladie du Régent, leur libéral amphitryon, une étourderie de La Fare ou une indiscrétion de Fargis ; tels étaient les seuls accidents qui pouvaient troubler de temps eu temps la joyeuse insouciance des roués et des rouées, lesquels formaient une sorte de franc-maçonnerie du plaisir assez tranquille, comme toutes les associations que crée l'intérêt, que l'ambition conserve et dont chaque membre n'a gardé. de vanité ou de jalousie que ce qu'il en faut pour se ressembler sans cesser de s'entendre. Tous et toutes se méprisaient d'ailleurs mutuellement. Et il n'y a d'orages que dans les sociétés où l'on peut cesser de s'estimer. Le trait le plus original du caractère et de la conduite du Régent, c'est que jusqu'en ses plus grands excès, il n'oublia jamais ce qu'il devait à son rang et à ses devoirs. Le prince n'honora jamais de sa confiance ceux auxquels l'homme prodiguait sa familiarité. Il ne prit jamais aucun ministre parmi ses convives, et quand l'intérêt du cardinal Dubois devint l'intérêt de l'État, il n'hésita pas à lui sacrifier des hommes auxquels il n'accordait que le droit de l'amuser et des femmes auxquelles il n'accordait que le pouvoir de le distraire. Tant que ces hommes ne lui demandèrent que des places, il les leur donna. Tant que les femmes ne voulurent que de l'argent, il le leur donna. Mais il refusa constamment aux uns et aux autres l'influence dont ils n'étaient. pas dignes, et la considération qu'ils n'avaient pas méritée. Il ne permit jamais à un roué de se croire utile. Vouloir le conseiller, c'était cesser de lui plaire, et sa disgrâce arrêta tous ceux qui voulaient aller plus loin que sa faveur. Il condamna ses amis à n'avoir que de l'esprit, et ses maîtresses durent se contenter d'être belles. Biron voulait des honneurs et de l'argent. Il le fit son premier écuyer, le logea magnifiquement, maria ses filles, le fit duc et pair, mais rien de phis. Nocé fut son gentilhomme de la chambre. Il lui donna un pot-de-vin dans toutes les affaires du temps. Il le laissa s'engraisser de l'or que dégorgeaient les traitants. Mais lorsque le chambellan voulut trancher du favori, il le congédia comme on chasse un domestique qui vise plus haut qu'à faire rire son maître. Il laissa La Fare succéder à la place de son père ; il lui accorda la dépouille de son beau-père Paparel ; il le fit enfin son ambassadeur en Espagne. Mais il n'en voulut pas faire l'ambassadeur de la France. Brancas eut, comme il le disait lui-même, beaucoup de places et nul crédit. Il fut le premier à se moquer de Broglie, quand il voulut trancher de l'homme d'État et entrer dans son cabinet avec un portefeuille sous le bras. Canillac seul fut du conseil de Régence, parce qu'il était un débauché sérieux, et que d'ailleurs il avait su se créer une certaine influence personnelle et n'avait pas tout à attendre du Régent. Tous les roués firent donc, jusqu'à un certain point, leurs affaires, mais ils ne firent pas celles du royaume. Et en cela, le Régent n'obéissait pas seulement à un noble instinct de gouvernement, il agissait sous l'empire d'un scepticisme qui n'était que trop justifié, d'une méfiance qui n'était que trop légitime. Il agissait en prince et en homme qui commit le cœur humain. Une expérience qu'il savait déguiser, mais dont il ne se croyait pas dispensé de profiter, lui avait appris à ne pas demander des services à ceux qui n'étaient capables que de bons mots, et à ne pas compter sur le dévouement de gens qui croyaient avoir assez fait en ne le trahissant pas ouvertement. Il savait très-bien que ses amis ne lui étaient pas plus fidèles que ses maîtresses. Il savait très-bien que d'Effiat s'étoit sourdement livré et vendu à M. du Maine ; étoit l'ami du maréchal de Villeroy jusqu'à s'en faire admirer[118]. Il savait très-bien qu'il n'avait pqas tenu à Nancré de devenir l'espion et puis l'organe de tout ce qui approchoit du feu roi2[119]. Il savait très-bien que Biron lui avait été amené par la nécessité. Il savait très-bien enfin que chez Pâris lainé, à qui on avait, en cas de succès, promis la place de contrôleur général, il y avait eu des conciliabules secrets mi l'on avait agité les moyens de déclarer le roi majeur, de le destituer, lui Régent, et même de l'arrêter, et que de ce conciliabule faisaient partie MM. de Canillac, Nocé et Broglie[120], trois pigeons privés du Palais-Royal, qui s'égaraient de temps en temps vers le colombier de. Sceaux. Dubois seul fut dévoué au Régent, parce que le Régent personnifiait sa fortune. Dubois seul fut fidèle à son maitre, par ce que l'ingratitude était le seul vice qu'il ne pût pas se permettre. Aussi le Régent, tout en méprisant l'homme, n'hésita-l-il pas 1 sacrifier au ministre des amis qui lui étaient chers, mais inutiles. Mais, pénétrons un soir d'orgie au Palais-Royal. Écoutons ce qui s'y dit. Regardons, si nous pouvons l'oser, ce qui s'y fait, et voyons par quels moyens les roués cherchaient, à force de se rendre agréables, à se rendre utiles et à gouverner le prince en flattant ses passions. Et d'abord, ici tous les noms sont changés. Un reste de scrupule les a fait laisser à la porte avec la pudeur. Broglie s'appelle ici Brouillon ; Nocé, Braguemardus de Nocendo ; Fargis, l'Escarpin ; La Fare, le bon enfant ou le poupart ; Canillac, la caillette triste ; Brancas, la caillette gaie. Madame de Parabère, au premier verre de champagne s'appelle le petit corbeau noir, et le gigot au suivant ; madame de Sabran est tout simplement l'aloyau. Madame de Berry elle-même, au dessert, n'y est plus que la princesse Joufflotte. Entrons, en vertu de notre privilège d'historien, mais ne le déclinons pas, car il ferait rire ; le Régent, dés six heures du soir, ne croit plus à l'histoire. Traversons ces vestibules aux tapis moelleux qui assourdissent les pas. Du moment que nous n'avons pas de papier à faire signer au Régent, ou de mauvaises nouvelles à lui apprendre, Coche, qui est là à l'affût, avec ordre de ne pas laisser entrer la politique, nous livrera obséquieusement le passage, tandis que le vertueux d'Ibagnet s'éloignera au plus vite en levant les mains au ciel. Il n'y a dans l'antichambre que deux de ces laquais herculéens appelés les Mirebalais. Le Régent et ses amis se servent eux-mêmes, de peur sans doute de voir rougir leurs valets. Les mirebalais pourtant ne rougissent guère. Ils appartiennent à la duchesse de Berry. N'importe, il y a du plaisir à se servir soi-même, et tandis que les marmitons du Palais-Royal jouent le pharaon à l'office ou se prélassent au parterre de l'Opéra, les roués font eux-mêmes leur cuisine[121]. Ils achèvent en riant leur dernier plat. Madame de Parabère vient de manquer une omelette, et le duc d'Orléans a réussi un mets étrange dont il a rapporté la recette d'Espagne[122]. On se met tumultueusement à table. Les fleurs embaument, les cristaux étincellent. La première heure est donnée à l'appétit. Nous n'entendons encore que quelques brocards mités au pétillement du champagne. Car le champagne est le vin préféré du Régent[123]. Il vient de donner, pour n'en jamais manquer, l'abbaye d'Hauvillers à son fils, le prieur d'Orléans[124]. Cependant, la conversation s'anime, la verve des convives s'échauffe. Nocé, Brancas et Broglie commencent leur feu roulant de lazzi. Ils luttent de médisance, d'ordure et d'impiété ; et, chose étrange, quoique improvisant sur le même thème, ils ne se rencontrent jamais, leurs variations étant à la fois inspirées par des vices communs et des caractères fort différents. Nocé a la plaisanterie rude et sombre comme lui. Il raille en mécontent et blasphème en soldat. Les saillies de Brancas sont étourdies, imprévues, étincelantes comme lui. Il en rit tout le premier. On dirait d'un feu d'artifice mouillé dont chaque fusée part subitement, échauffée par les feux de la précédente, et semble toujours la dernière. Broglie, lui, a une originalité de mauvais ton. Il plaît, parce qu'il étonne. Il a toujours à la bouche de tels mots qu'on ne le croyait pas capable de les prononcer ni qu'on ne se croyait pas capable de les entendre[125]. On les entend cependant sans trop froncer le sourcil, parce que dans les sociétés corrompues, on aime toujours à paraître plus corrompu qu'on ne l'est. Écoutons de plus prés ce que disent tour à tour — souvent même à la fois — ces trois amuseurs favoris, dont le programme est illimité, et qui ont pour mission de dire tout ce qui leur passe par la tête[126]. Brancas raconte son entrevue avec un provincial importun qui l'a pressé outre mesure de solliciter en sa faveur, en lui disant qu'il savait bien qu'il pouvait tout. Cette naïveté fait sourire tout le monde. Brancas, en effet, est de tous ses amis celui que le Régent aime le mieux, parce qu'il est celui qu'il craint le moins. — Et que lui as-tu dit ? demande-t-on tous côtés. — Eh bien ! monsieur, il est
vrai, puisque vous le savez, je ne vous le nierai point. M. le duc d'Orléans
me comble de bontés et veut tout ce que je lui demande, mais le malheur est
qu'il a si peu de crédit auprès du Régent, mais si peu, si peu, que vous en
sériez étonné, que c'est pitié, et qu'on n'en peut rien espérer par cette voie[127]. Nocé, ce soir, est de mauvaise humeur. Tant mieux ! C'est alors qu'il a le plus d'esprit. Il ne sourit bien que pour mordre. — Monseigneur, demande-t-il, faut-il acheter des actions ? — Tu le peux, répond le Régent, j'ai signé aujourd'hui un arrêt qui va relever les cours. Enfin, me voilà accouché et bien délivré. — Monseigneur, réplique Nocé, j'ai bien peur que l'arrière-faix ne vous demeure dans le ventre [128]. On rit à gorge déployée dans le coin où est Broglie. C'est qu'il compte tout haut les dames de la cour qui vont le soir, dans un carrosse sans livrée, voir M. de la Peyronie[129] ou bien les cinquante-trois amants de madame de Brossay[130]. Un moment après, il se penche vers son voisin et, lui montrant de l'œil Fargis qui lutine madame de Gesvres, il murmure de façon à étau entendu, sans avoir Pair d'y songer : Pour moi, je suis comme Créquy, je ne voudrais pas avoir perdu ce que celle-là cherche[131]. — Monseigneur, dit madame de Gesvres piquée, priez donc Broglie de lire cela. Et elle tend un papier au Régent qui le passe à Broglie. Lis tout haut, lui crie-t-on. Broglie fait la grimace. Voilà le ridicule qui s'attache à ses plans de réforme de l'armée. Voilà ses inventions chansonnées. Pauvre Broglie, il se croyait un homme d'État, et il n'est qu'un homme d'esprit. Et il finit par rire en lisant son brevet d'inspecteur du régiment de la calotte. Mais, quand il arrive au dispositif comique : Je l'installe, malgré vos dents, Inspecteur de mes régiments, Réformateur de la calotte, Et je promets à sa marotte D'établir nouveaux règlements, D'inventer moult et maint système, L'honorant du pouvoir suprême De disposer de nos sujets Selon ses burlesques projets, De débiter visions et songes, Fables, sornettes et mensonges, Et fronder en diable et demi Le grand bon sens son ennemi ; Il formera la discipline De notre troupe calotine, Doublant toujours et grossissant Les phalanges du régiment[132], le papier tombe des mains du mystifié. Il regarde de travers madame de Gesvres. — Il ne te reste plus, pour ressembler à Coypel, qu'à partir pour l'Angleterre[133], dit le Régent à Broglie. — Bon voyage Broglie, crie Brancas de sa voix d'alouette. — Monseigneur, reprend Nocé, qui décidément a le vin aigre, on prétend que ce coquin de Dubois veut être archevêque de Cambray. — Cela est vrai, répond le Régent, et cela peut convenir à mes affaires[134]. — Mais vous m'avez dit, continue Nocé, que c'était un chien qui ne valait rien. — C'est à cause de cela, réplique le Régent, je le fais archevêque, afin de lui faire faire sa première communion[135]. — Je crois qu'on parle politique, dit Brancas qui intervient dans le débat. Pour moi, Monseigneur, je vous en préviens, je n'ai point de secret. Gardez-vous bien de me rien confier, je n'ai point l'esprit d'affaires, elles m'ennuieraient[136], je ne veux que me divertir et m'amuser, et me moquer de Law, comme s'il m'avait ruiné. — Connaissez-vous, à ce propos, le dernier mot de La Mésangère ? demande Canillac, qui n'est pas fâché de faire savoir à Nocé que son beau-fils a autant d'esprit que lui. — Conte-nous donc cela, dit le Régent. — L'autre jour, un pauvre lui
demandait l'aumône et lui disait : je suis un pauvre gentilhomme ruiné par un
moulin à poudre qui a été brûlé. La Mésangère lui a répondu : Hélas ! monsieur, je suis un pauvre gentilhomme qui a été
ruiné par un moulin à papier[137]. Nocé est toujours sombre. Simiane le buveur, Simiane le rimeur, cesse de boire et de chanter. — Ne te tourmente pas, dit-il, du futur M. de Cambray. Boudin m'a dit l'autre jour qu'il avait la vessie percée. — Tu ne me feras pas croire, riposte Nocé, que les vessies sont des lanternes'[138]. — Tiens, prends ce quatrain, cela te fera du bien, dit Simiane. Nocé lit le quatrain : Je suis du bois dont on fait les cuistres, Et cuistre je fus autrefois ; Mais à présent je suis du bois Dont on fait les ministres[139]. Chacun rit, Nocé lui-même, surtout Simiane. Le quatrain fait décidément du bien à Nocé. Et il fait grand mal à Simiane, sans qu'il s'en doute. Le Régent n'a pas ri. Et voilà comme, pour un bon mot, on perd une ambassade en Espagne. Cependant, bien des coupes ont été vidées. Madame de Sabran déclame, madame d'Averne se plaint d'avoir mal au ventre, madame de Phalaris a mal à la tête, et madame de Parabère a mal au cœur. C'est qu'elle songe à Richelieu. Broglie devient de plus en plus audacieux. Il y a trois bouteilles de champagne entre ce qu'il dit maintenant et ce qu'il disait tout à l'heure. Le Régent est obligé de faire signe à Canillac, et Canillac a une perte de morale pour parler comme Brancas[140]. Broglie résiste à ce lieutenant de police nocturne, à ce Mentor[141] de l'orgie, comme il l'appelle. Mais le Régent a parlé, le Régent parle. Il raconte une de ces histoires plaisantes qu'il a apprises en Espagne et en Italie, et qu'il raconte si bien qu'on l'écoute comme s'il n'était pas prince[142]. La Fare, qui s'est brouillé l'autre jour avec lui parce qu'il n'a pas voulu lui couper la main droite[143], ne parle pas trop, comme un homme qui vient de rentrer en grâce. Une voix lui demande sa lanterne magique. On éteint toutes les lumières, sauf une seule. Et il montre sa lanterne magique[144]. Soudain cette unique lumière s'éteint, chacun s'écrie. On veut courir à la porte pour rallumer les flambeaux. Pendant qu'on s'agite, qu'on se heurte dans l'obscurité, Broglie se glisse derrière une certaine armoire qui, chaque soir, lui sert à quelque nouveau tour. Quelques minutes s'écoulent. On entend Simiane qui est descendu appeler un valet. Soudain les deux battants de l'armoire s'ouvrent avec fracas, et une lumière imprévue éclaire des choses qui ne le sont pas moins[145]. Je n'en dirai pas davantage. Le chandelier que tient Broglie, en homme qui y est habitué[146], n'est pas celui de l'histoire. Le lieu de la scène n'était pas toujours le Palais-Royal. C'était Asnières, le Luxembourg[147], même la Muette[148]. D'autres fois on allait sitôt après le souper à l'Opéra ou au bal masqué. Le Régent avait une petite loge où était un cabinet séparé dans lequel il avait fait mettre un lit de repos, et où il allait plus souvent que dans sa grande loge destinée à la représentation[149]. C'est dans cette petite loge que naquit et mourut la passagère faveur des Uzée, des de Portes, des de Pramnon. Le plus souvent ce n'est qu'après avoir fait le tour du bal, quelquefois avec sa nouvelle conquête au bras, que le Régent montait dans sa loge, et s'y endormait ou engageait, en vertu des impunités du lieu, avec les loges voisines toutes galamment occupées, une conversation dans laquelle Nocé et Broglie savaient mettre les rieurs de son côté. Ce sont ces familiarités de loge à loge qui déplaisaient tant à Madame et étonnaient tant sa fille[150]. Le Régent, qui ne se présenta jamais ivre qu'une fois au bal, avait quelquefois la prétention moins naturelle d'y circuler incognito. J'en sais un moyen, dit l'abbé Dubois, et, dans le bal, il lui donna des coups de pied dans le derrière. Le Régent, qui les trouva trop forts, lui dit : L'abbé, tu me déguises trop[151]. Quelquefois ce n'étaient ni la lanterne magique de la Fare, ni les surprises de Broglie, ni une conversation maligne et salée[152], qui faisaient les charmes de la soirée. Chaque convive avait intérêt à varier le programme de ces fêtes à huis clos, et nul n'y manquait. On essayait donc déjà sans doute, en 1720, quelques-unes de ces représentations dans l'organisation desquelles madame de Tencin devait montrer tout le génie de la lubricité. On représentait en tableaux vivants, dits du Paradis terrestre, des scènes qui ne sont pas dans Milton. On organisait, toujours dans le même système, des ballets dansés par l'élite des sujets de l'Opéra, dans le costume desquels la feuille de vigne suppléait aux habits qui n'étaient pas encore inventés. On peut voir, sur les chefs-d'œuvre que prodigua la collaboration de cette femme dépravée qui traitait la débauche comme une politique, avec Dubois, les Mémoires de Richelieu[153], et ceux du chevalier de Ravanne[154]. On peut voir aussi Mathieu Marais à divers endroits, notamment à la date du 28 février 1722. Voilà comment le Régent de France et ses amis passaient la soirée en l'an de débauche 1720, où la mode elle-même, d'accord avec leurs vices, conspirait à les exciter et à les servir. C'est en vain que Madame s'indignait contre les robes battantes et les déshabillés galants de l'après-midi, et les visites faites en écharpe et sans corps d'habit. L'usage en avait prévalu, et ces vêtements, trop commodes, laissaient aux gestes toute la liberté que le vin leur donnait. La tête frisée ras et poudrée, le
corset échancré à l'excès, ne fût-ce que pour étaler ce réseau de
veines bleues que les femmes se faisaient peindre sur la poitrine pour en
faire ressortir la blancheur[155], l'extrémité du pied jouant dans une mule, et pour robe
cette étoffe impalpable de l'Inde, qui sert de papier aux manuscrits
orientaux, telles furent les conditions de ce que la Régence appela la
première un négligé. Ajoutez-y l'usage du masque qui préserve à la fois du
soleil et de la pudeur, et vous conviendrez que des femmes ainsi déshabillées,
fussent-elles des vertus, ne valaient pas, comme dit Sterne, la sentinelle.
Le moyen de n'être pas légère avec un habillement dont un contemporain évalue
le poids à douze onces ![156] Quand on avoit assez bu, assez
dit des ordures à gorge déployée, et des impiétés à qui mieux mieux[157], et que l'ivresse complète avoit mis les convives hors d'état
de parler et de s'entendre, ceux qui pouvoient encore marcher se retiroient.
On emportoit les autres. Et tous les jours se ressemblaient. Le Régent,
pendant la première heure de son lever, étoit encore si appesanti, si
offusqué des fumées du vin, qu'on lui auroit fait signer ce qu'on auroit
voulu[158]. La satire ne pouvait négliger des tableaux si propres à exciter l'indignation populaire.. Aussi La Grange-Chancel a-t-il consacré toute sa troisième Philippique à flétrir les orgies du Palais-Royal. Sa haine et son imagination l'ont entraîné trop loin. Mais si La Grange a été trop sévère, il faut avouer que Voltaire a été trop indulgent. Écoutez le poète des Philippiques[159] : Suis-le dans cette autre Caprée Où, non loin des yeux de Paris, Tu te vois bien mieux célébrée Que dans l'île que tu chéris. Vers cet impudique Tibère, Conduis Sabran et Parabère, Rivales sans dissension, Et, pour achever l'allégresse, Mène Priape à la princesse Sous la figure de Riom[160]. Que parmi les lascives troupes De tes sujets les plus zélés, Le vin se verse à pleines coupes Par la main des enfants ailée. Que la nature sans nuages Montre en eux tous ses avantages, Comme dons nos premiers aïeux ; Qu'ils tournent leurs mains effrontées Contre ces modes inventées Pour le supplice de leurs yeux. Vainqueur de l'iode, dieu d'Érice, Soyez les rimes du festin ; Faites que tout y renchérisse Sur Pétrone et sur l'Arétin ; Que plus d'une infâme posture, Plus d'un outrage à la nature Excitent d'impudiques ris ; Et que chaque digne convive Y trace une peinture vive De Capoue et de Sybaris ! Dans ces saturnales augustes, Mettes au rang de vos égaux, Et vos gardes les plus robustes Et vos esclaves les plus beaux ; Que la faveur ni la puissance, La fortune ni la naissance N'y puissent remporter le prix Mais que sur tout autre préside Quiconque a la vigueur d'Alcide Sous le visage de Paris. Sommeil, donne enfin quelque trêve A tant d'agréables travaux ; Il faut que la tête s'achève Par la douceur de tes pavots ; Que chacun content de soi-même, Entre les bras de ce qu'il aime, Se laisse tomber mollement, Et que, dans l'un et l'autre sexe, La fin de cette pièce implexe Soit digne du commencement ! La Grange-Chancel a peint le Palais-Royal en poète ; mais voici qui est par trop d'un philosophe ou d'un courtisan : C'en était fait du tendre amour en France, Quand la fortune ou bien la Providence A Saint-Denis logea ce roi bigot. Le moine voit, à ce règne cagot, Dans les destins succéder la Régence, Temps fortuné marqué par la licence, Où la Folie, agitant son grelot, Jette sur tout un vernis d'innocence ; Où le cafard n'est prisé que du sot. Tendre Argenton, folâtre Parabère, C'est par vos soins que le dieu de Cythère, Régnant en maitre au palais d'Orléans, Sur ses autels revoit fumer l'encens. Le dieu du Goût, son seul et digne émule, Tâche d'unir les grâces aux talents ; Faune et Priape et le brutal Hercule, Forcés de fuir, rentrent dans les couvents. Ils n'osent plus se faire voir en France Que sous les traits de Rieux ou de Vence. Le bon Régent, de son Palais-Royal, Des voluptés donne à tous le signal ; On l'admirait dans ton délire aimable. Tu l'entendais nu fond du Luxembour, Toi que Bacchus et le dieu de l'Amour Mettent au lit au sortir de la table, Jeune Berry, bel astre de la cour ![161] Eh bien sur la Régence et le Régent, nous ne sommes ni de l'avis de La Grange-Chancel, ni de l'avis de Voltaire. Mais nous ne sommes pas non plus de l'avis des roués qui, sachant combien le Régent tenait à leur société, combien il détestait d'être dérangé, combien, dès six heures du soir, il était inutile de chercher à percer jusqu'à lui, même dans les circonstances les plus critiques[162], combien enfin, dès six heures du matin, il était facile de lui faire signer ce qu'on voulait, n'avaient vu en lui que l'homme de plaisir et ravalent jugé incapable d'une action d'État. Ce prince spirituel et sceptique, qui avait trompé tant de monde, trompa jusqu'il ceux qui croyaient le connaître le mieux. Il buvait, il chantait et blasphémait avec eux, riait de leurs saillies, y ajoutait même à ses dépens, mais ce n'était là qu'une comédie dont ils furent les dupes. Voilant son bon sens de folie et sa finesse de crapule, le Régent qui leur laissait tout dire, pour se distraire d'un métier qui l'ennuyait et pour connaître au moins par les libertés de l'orgie l'état de l'opinion publique, le Régent leur parut l'homme du monde le plus propre à leur laisser tout faire. Son ministre, l'abbé Dubois, qui affectait d'être plus débauché qu'eux pour ne pas leur montrer combien il était plus habile, et qui s'en laissait mépriser pour ne pas s'en laisser craindre, leur paraissait le digne ministre d'un prince qui ne demandait que des maîtresses nouvelles. Ils se trompaient grossièrement, comme le leur prouva le dénouement imprévu de cette comédie. Quand le moment vint où Dubois dut se faire respecter, sous peine de n'être qu'une caricature de ministre ; quand le chapeau de cardinal lui eut créé en dehors de la politique une influence dans laquelle il pouvait se retirer au besoin, le Régent n'hésita pas à lui sacrifier tous ses amis, et il lui eût sacrifié madame de Parabère, si celle-ci n'eût eu l'art de se concilier le ministre. C'est ainsi que, par une leçon dont l'ironie dut être plus amère encore aux roués que la déception, ce Dubois, qui de valet était devenu ministre, devint leur maitre, après avoir été leur protégé, et les foudroya du haut d'une fortune qu'ils avaient faite. C'est ainsi que madame de Parabère, l'insouciante, l'étourdie, garda auprès du Régent tout son pouvoir, parce que seule, elle en avait paru incapable[163]. Nocé, l'ami Nocé fut exilé le premier, et d'autant plus cruellement qu'il avait été le serviteur et le complice de celui qui le faisait chasser[164], et il essaya en vain, à use suprême entrevue, de protester coutre l'injustice, et chercha sans le trouver l'ami sous le prince[165], et partit sans savoir s'il reviendrait[166]. Nocé, si bien et si libre avec M.
le duc d'Orléans, et qui avoit été si longtemps l'intime de Dubois, et celui
par qui étant à Hanovre et à Londres, ses lettres passoient au Régent, fut
exilé à Blois, et Broglie, ce roué de M. le duc d'Orléans, si impudent et si
impie, chassé plus loin. Il y avoit bien longtemps qu'il le méritoit et pis.
Le cardinal Dubois commença par ces deux hommes, dont il craignit l'esprit
hardi du premier, entreprenant et audacieux du second, et la liberté et la
familiarité de tous deux avec M. le duc d'Orléans[167]. Le duc de Noailles[168] et le marquis de Canillac payèrent aussi de l'exil le tort d'avoir porté ombrage à un pouvoir dont ils étaient les auteurs et d'avoir blessé un homme qui jouissait enfin du droit d'avoir de l'orgueil. Qui mit alors fait l'appel de ces joyeux convives des deux sexes que nous avons vus si nombreux, mit entendu le plus souvent la réponse qui court les rangs d'un régiment qui revient de l'ennemi ; seulement c'est au champ de l'intrigue, et non au champ de l'honneur, que Noailles, Nocé, Broglie et Canillac étaient tombés. Parmi les femmes[169], madame de Sabran était en pleine disgrâce. Ou la laissait déblatérer obscurément. Madame de Tencin avait été congédiée comme madame de Prie. M. le Duc avait pris l'une pour lui apprendre à gouverner, et Dubois, qui saisissait son bien partout où il le trouvait, avait retenu, tout heureux de rencontrer la femme qui lui ressemblait le plus, madame de Tencin pour lui aider à le faire. Madame de Parabère seule resta debout, jusqu'au moment où sa chute ne put pas être imputée à la politique. Plus heureuse que mesdames de Sabran, de Tencin, d'Averne elle-même, elle ne devait pas être chassée. Elle devait partir de son plein gré, avec la consolation d'avoir été celle des maîtresses du Régent qui avait approché le plus de son cœur, n'en ayant jamais voulu à son secret. Et le Régent, ainsi débarrassé violemment de ses roués et ne pouvant avoir de maitresses que celles que lui laissait son jaloux conseiller, le Régent s'ennuyait, et faute de pouvoir parler d'affaires avec les uns et avec les autres, se dédommageait de cette privation en traitant la politique dans le langage de la débauche, et en employant pour son chiffre diplomatique l'argot des soupers[170]. Lorsque Dubois mourut, ce fut un grand cri de joie parmi les roués. Noailles et Nocé sont rappelés et comblés d'honneurs et d'argent. Eh bien ! que dirons-nous ? demande à Noailles le Régent embarrassé. — Pax vivis, requies defunctis. répond Noailles en homme d'esprit[171]. Pour Nocé, une heure un quart après la mort du cardinal, de ce coquin de cardinal, le duc d'Orléans lui envoyait un courrier qui le trouvait à Senlis. Nocé revenait, le Régent l'embrassait avec joie. Morte la bête, mort le venin[172], lui répétait-il. Il lui donnait cinquante mille livres d'argent et deux mille écus de pension[173]. Mais Nocé, qui avait visé plus haut que l'argent, demeurait triste. Il sentait, avec l'irrésistible autorité de l'expérience, que le pardon des exilés était aussi incertain que leur faveur l'avait été[174] ; que le Régent, incapable d'affaires, mais encore plus de confiance, se livrerait à tout le monde avant de se livrer à eux ; que d'ailleurs il était changé au point de paraître méconnaissable, et qu'ils ne revenaient que pour recevoir dans la mort du seul prince qui eu pu les réaliser le dernier coup à leurs espérances. Mais revenons à madame de Parabère. Malgré cette discrétion invincible dont le Régent s'était fait un devoir qu'il respectait dans l'oubli même de tous les autres ; malgré le peu de cas que selon Saint-Simon il faisait de ses maîtresses, madame de Parabère eut du crédit sur l'esprit da prince, tout le crédit qu'elle voulut avoir sans le paraître. Et c'est précisément parce qu'il la savait insouciante et désintéressée, que le Régent ne lui ferma pas constamment cette oreille où elle essayait de parler politique. De ce crédit de madame de Parabère, auquel Law et les Péris ne craignirent point d'accrocher tour à tour leur fortune rivale, je ne veux donner qu'une preuve qui, si elle ne témoigne pas en faveur du goût de madame de Parabère, établit du moins nettement son influence, même pour un homme aussi incrédule à cet égard que Saint-Simon. Non-seulement l'altier 'duc et pair dut reconnaître que madame de Parabère avait du pouvoir sur l'esprit du Régent, mais il dut s'avouer qu'elle en avait plus que lui-même. Saint-Simon voulait ‘empêcher le Régent d'aller au sacre de Dubois. Madame de Parabère l'y envoya. M. de Saint-Simon dut avoir ce jour-là un de ces pieds de nez que lui procurait de temps en temps une confiance illimitée en lui-même. Quand le duc et pair devenait trop hardi, Madame le remettait à sa place avec un affront[175]. Quand le conseiller devenait importun, M. le Régent lui jouait un de ces tours dont il fallait rire, quelque dépit qu'on en eût[176]. Pour comprendre l'importance de l'échec que subit en cette occasion le crédit du duc de Saint-Simon, il faut lire le discours vraiment éloquent qu'il adresse au Régent à l'occasion du sacre de Dubois, pour le détourner d'y assister ; il faut savoir d'après lui-même, ce qu'il dépensa pour arriver à ce résultat d'activité stérile et d'inutile habileté : Plus la nomination et
l'ordination de l'abbé Dubois avoient fait de bruit, de scandale et
d'horreur, plus les préparatifs superbes de son sacre augmentoient, et plus l'indignation
en éclatoit contre M. le duc d'Orléans. Je fus donc le trouver la veille de
cet étrange sacre, et d'abordée, je lui dis ce qui m'amenoit. Je lui dis.....
que mon attachement pour lui ne me permettoit pas de
lui cacher l'épouvantable effet que faisoient universellement une nomination
de tous points si scandaleuse, une ordination si sacrilège, des préparatifs
de sacre si inouïs pour un homme de l'extraction, de l'état, des mœurs et de
la vie de Dubois..... qu'à l'opinion que sa
vie et ses discours ne donnoient que trop continuellement de son défaut de
toute religion, on ne manqueroit pas de dire, de croire et de répandre qu'il
alloit à ce sacre pour se moquer de Dieu et insulter son Église.....
etc. M. de Saint-Simon poussa si loin dans cette occasion son zèle pour l'honneur du Régent, qu'il lui offrit de lui sacrifier son orgueil de duc et pair et d'honnête homme, et de s'avilir pour lui en allant à ce sacre à sa place. Comme toujours, le Régent fut ébranlé ; comme toujours, il parut convaincu, et il faiblit comme toujours. Le lendemain, le duc de Saint-Simon, qui avait commandé son carrosse, partagé entre la crainte et l'espérance, apprit par son envoyé qu'il venoit de voir M. le duc d'Orléans monter dans son carrosse, et environné de toute la pompe des rares jours de cérémonie, partir pour aller au sacre[177]. La nuit avait porté conseil ! Le lendemain, j'appris par un
coucheur favori de madame de Parabère, qui étoit lors la régnante, mais qui
n'étoit pas fidèle, qu'étant couchée la nuit qui précéda le sacre avec M. le
duc d'Orléans, au Palais-Royal, entre deux draps, ce qui n'arrivoit guère
ainsi dans la chambre et le lit de M. le duc d'Orléans, mais presque toujours
chez elle, il s'étoit avisé de lui parler de moi avec éloge que je ne
rapporteroi pas, et avec sentiment sur mon amitié pour lui, et que, plein de
ce que je venois de lui représenter, il n'iroit point au sacre, dont il me
savoit le meilleur gré du monde. La Parabère me loua, convint que j'avois
raison, mais sa conclusion fut qu'il iroit. — M. le duc d'Orléans, surpris,
lui dit qu'elle étoit donc folle. — Folle, soit, répondit-elle, mais vous
irez. — Et moi, reprit-il, je vous dis que je n'iroi pas.—Si, vous dis-je,
dit-elle, et vous irez. — Mais, reprit-il, cela est admirable, tu dis que M.
de Saint-Simon a raison, et au bout, pourquoi donc irois-je ? — Parce que je
le veux, dit-elle. — En voici d'une autre, répliqua-t-il, et pourquoi veux-tu
que j'y aille, quelle folie est cela ? — Pourquoi
? dit-elle, parce que. — Oh ! parce que, répondit-il, parce que, ce
n'est pas là parler ; dis donc pourquoi, si tu peux. — Après quelque dispute
: — Voulez-vous donc absolument le savoir ? c'est que vous n'ignorez pas que
l'abbé Dubois et moi avons eu, il n'y a pas quatre jours, maille à partir
ensemble, et qui n'est pas encore bien finie[178]. C'est un diable qui furette partout ; il saura que nous
avons couché ici cette nuit ensemble. Si demain vous n'allez pas à son sacre,
il ne manquera pas de croire que c'est moi qui vous en ai empêché ; rien ne
le lui pourra ôter de la tête ; il ne me le pardonnera pas ; il me fera cent
tracasseries et cent noirceurs auprès de vous, il finira promptement par nous
brouiller ; or, c'est ce que je ne veux pas, et c'est pour cela que je veux
que vous alliez à son sacre, quoique M. de Saint-Simon ait raison. — Là-dessus,
débat assez foible[179]. Et, ajoute Duclos, le Régent alla du lit de la Parabère au sacre de l'abbé Dubois, afin que toute sa journée se ressemblât[180]. Madame de Parabère, toute sotte que la dise Madame, et toute insouciante qu'elle frit, savait non-seulement vaincre, mais encore profiter de la victoire ; elle avait eu l'art de se donner du crédit ; elle eut le bon sens de vouloir le conserver, et si elle n'y réussit pas, elle n'eut pas du moins à se reprocher ces témérités de paroles, ces impatiences d'ambition qui causèrent avant la sienne la disgrâce de tous les roués. Saint-Simon ne lui pardonna pas cet échec, qu'il a dû avouer, et la haine de Dubois qui en fut la conséquence. Aussi, après avoir raconté la scène d'alcôve qui précède avec une crudité qui déroge à ses habitudes, ne manque-t-il point de nous donner tous les détails qui peuvent confirmer et aggraver son témoignage. La nuit suivante, la Parabère — remarquez-vous l'insolence de cet article intitulé, la Parabère ? — coucha chez elle avec son greluchon[181], à qui elle raconta cette histoire, tant elle la trouva plaisante. Par cette même raison, le greluchon la rendit à Biron, qui le soir même me la conta[182]. Dubois, tout-puissant, se souvint peut-être du service que lui avait rendu madame de Parabère. Il fit pour elle tout ce qu'il pouvait. Il laissa le Régent s'en dégoûter de lui-même. Esquissons, d'après les documents contemporains, cette histoire d'une disgrâce toujours la même, et qui rend toujours actuel aux yeux du bon Marais l'article Padilla, du Dictionnaire de Bayle. Le 20 novembre 1720, nous en sommes encore à l'accord parfait. Le Régent a sans doute dîné à Asnières, et le soir il va voir le Comte d'Essex au théâtre du Palais-Royal, où la foule court applaudir Baron et son éternelle jeunesse. La salle est superbe, les hommes y sont vêtus d'habits magnifiques, les femmes y sont couvertes de pierreries. Le Régent y paraît d'un côté avec sa maîtresse, et M. le Duc de l'autre, avec la sienne[183]. Cette joie tranquille du triomphe va pourtant se voiler. L'horizon se rembrunit. Il y a combat sous le nuage entre deux étoiles, et celle qui va paraître tout à l'heure, ce n'est plus celle de madame de Parabère, c'est celle de madame de Phalaris. L'Amour, qui est un petit
brouillon, prend assez plaisir à mêler les cartes. Le Régent est en querelle
avec madame de Parabère, sa maîtresse. Madame de Sabran veut reprendre sa
place[184], ou faire prendre cette place à une autre personne de ses
parentes, que l'on appelle la duchesse de Falari, et c'est au milieu de la
translation du Parlement, de la retraite prochaine du chancelier, de la
destitution du cardinal, de la ruine publique, que se joue cette nouvelle
comédie, qui rend cette pièce tragicomique[185]. Ce ne fut la qu'une éclipse. Madame de Parabère, qui, dés le 14 novembre, semblait baisser, se relève plus puissante que jamais, au grand ébahissement des roués, des favoris, des maîtresses, au grand désarroi de toute cette intrigue qui jamais n'avoit été plus vive[186]. Le 5 décembre, Mathieu Marais constate que le dénouement qu'il prévoyait est indéfiniment éloigné : La fortune de la duchesse de
Falari a passé comme une ombre. L'étoile de madame de Parabère a été plus
forte que la sienne. On a tant couru, intrigué, et tourmenté le Régent, qu'il
est revenu à sa première et dès ce soir même, il a soupé avec elle et ses
favoris, et a fait dire à l'autre qui venoit pour souper avec lui, et à madame
de Sabran qui l'accompagnoit, qû il étoit malade et étoit couché. Il ne l'a
point congédiée autrement. Les amis de la danse disent que cette aventure n'a
point le moins du monde intéressé son honneur, mais on sait bien que penser
d'une femme qui a mangé plusieurs fois avec le Régent, en secret, et qui a
été publiquement au théâtre et au bal avec lui. Madame de Vauvray la soutient
beaucoup[187]. Le 13 décembre, la partie s'égalise, madame de Phalaris remonte à la surface. Le Régent paroît publiquement au
spectacle avec la duchesse de Falari et madame de Vauvray, qui la mène,
pendant qu'il est en particulier avec madame de Parabère[188]. C'est alors
que Mathieu Marais, dérouté, qualifie les maîtresses du Régent, de maîtresses alternatives et maîtresses consécutives,
une assez jolie définition, et qui sent son ami de La Fontaine et de Bayle. Le vendredi, 10 janvier 1721, nouvelle surprise. La duchesse de Falari est tout à fait renvoyée. Mais madame de Parabère n'en est pas moins en train de se brouiller avec le Régent. Madame de Parabère ne veut plus avoir affaire au Régent depuis qu'il voit des filles de l'Opéra que l'on croit gâtées, et il a été prêt à la battre après un souper, parce qu'elle n'a pas voulu faire sa volonté. Il lui a écrit une lettre menaçante ; elle lui a répondu fortement. Il cherche à placer son amour ailleurs ; et il y a des dames de qualité assez indignes pour briguer cette place et se porter héritières des chassées. On les nommera bientôt[189]. Du 12 au 14 janvier, la bombe éclate. Le Régent est jaloux. On a su que le Régent est allé
chez madame de Parabère dans le carrosse du marquis de Biron avec un seul
laquais, qu'il est entré par surprise dans sa maison, qu'il l'a trouvée avec
quatre jeunes gens, et entre autres, le chevalier de Beringhem, dont il est
jaloux, qu'il a battu sa maitresse, et l'a jetée par terre, et qu'elle s'est
relevée et lui a chanté pouille, et qu'il est revenu Palais-Royal, où il a
voulu engager Nocé à les raccommoder : mais il n'a pas voulu s'en charger. Il
l'aime à la rage[190]. Nous ne savons pas grand'chose de ce chevalier de Beringhem. Les gens heureux n'ont pas d'histoire. Tout ce qu'on peut dire de lui, c'est qu'il appartenait à cette famille de parvenus qui a pour chef un valet de chambre d'Henri IV, anobli en 1606, et dont les descendants se transmirent presque héréditairement cette charge de premier écuyer si briguée, qu'on la regardoit comme une place de favori[191]. Le chevalier de Beringhem, auquel le Régent n'avait pu pardonner jusqu'au bout l'affront des infidélités dont il était cause, et qu'il avait exilé à Dijon, revint à temps pour l'emporter, par surprise peut-être, sur de nombreux compétiteurs. Nous aurons occasion d'en reparler. Le 18 janvier 1721, la négociation en vain offerte à Noué, et sans doute acceptée par un autre, a réussi. Un second raccommodement si imprévu, si fragile qu'on en suspecte les motifs et qu'on y voit une hypocrisie intéressée[192], rend madame de Parabère au Régent, et le Régent à lui-même. Le raccommodement est fait du
Régent et de madame de Parabère. Il se porte mieux. Cet amour est nécessaire
à sa santé et à son repos, et même aux affaires qui en vont mieux, quand il
n'est pas brouillé. Madame de Parabère, avec son insouciance habituelle, ne s'était ni inquiétée, ni offensée de l'impuissante et passagère rivalité d'une émule de madame de Phalaris, madame de Pramnon, venue de Lyon à Paris pour desservir le bénéfice, mais qui, loin d'attacher, n'avait pas même plu[193]. Continuons à feuilleter le Journal si instructif de
l'avocat chroniqueur : Le Régent est venu à
Saint-Eustache, sa paroisse, en grand équipage, entendre la messe et faire
ses dévotions, dit-il à la date du dimanche, 13 avril 1721, jour de
Pâques. Le mardi 15, notre flâneur constate qu'il a revu le Régent
vaquant à d'autres devoirs plus mondains : Je l'ai
vu le soir chez madame de Parabère, à la place de Vendôme, dans une chambre
toute illuminée et toute ouverte. Il est mieux que jamais avec elle depuis la
chute de la Compagnie des Indes. Le 6 juin 1721, ce ciel si incertain devient orageux, troublé par une querelle des plus imprévues, puisqu'elle est faite par madame la duchesse d'Orléans elle-même. Grande tracasserie au Palais-Royal entre le Régent et la Régente. La princesse se plaint.... De quoi ? Je vous le donne en cent. Mais non, vous ne le devineriez pas. Vous énuméreriez un à un tous les griefs légitimes depuis le plus sérieux jusqu'au plus frivole, qu'il vous resterait encore à trouver le burlesque casus belli qui éclate tout à coup au sein de ce ménage aussi uni par l'indifférence que d'autres le seraient par l'amour. La princesse se plaint que madame
de Parabère est venue dans son petit jardin et dans sa garde-robe, et qu'elle
s'est moquée de ses pots de chambre. Elle a beaucoup pleuré et a pris le
parti de se retirer à l'abbaye de Montmartre. Elle se plaint aussi du retour
de madame de Modène — sa fille — que l'on
attend, et ne veut pas revoir sa fille dont elle se croyoit défaite[194]. C'est ici le moment de parler des rapports du duc d'Orléans avec la duchesse sa femme et d'établir, non dans un but de réhabilitation, mais dans un but de justice, qu'il n'eut pas vis-à-vis d'elle d'autres torts que de ne pas l'aimer, et qu'elle le lui rendit si bien que l'on serait fort en peine de trouver qui plaindre dans ce ménage, si deux époux qui s'accommodaient si bien de leur tolérance mutuelle avaient pu être malheureux. Le duc d'Orléans avait été marié encore adolescent et malgré lui. Doublement victime, il avait dû épouser une jeune princesse qu'il n'aimait pas, qui ne l'aimait pas, et qui ne tenait qu'au nom qu'il allait lui donner ; et Madame, dans un accès de sa colère tudesque ; l'avait puni, dit Saint-Simon, par un vigoureux soufflet du tort qu'il avait d'être un jeune prince bon à marier, fils d'un père faible et vicieux qui n'avait pas défendu son consentement, et d'avoir encore mieux aimé mademoiselle de Blois, que l'exil à Villers-Cotterêts et la privation de la vue de madame la Duchesse, sa future belle-sœur, qu'il adorait à un autre titre[195]. Nous connaissons par madame de Caylus les motifs secrets de la jeune princesse qui allait être sa femme par ordre : Je ne me soucie point qu'il m'aime, mais qu'il m'épouse. On comprend qu'un mariage contracté dans de telles conditions n'était pas fait pour être heureux, et que c'était déjà beaucoup que de le demander tranquille. Il le fut. L'orgie et les maîtresses consolèrent le mari malgré lui. L'épouse, qui n'est pas complètement absoute du soupçon d'avoir, elle aussi, essayé des compensations défendues[196], trouva dans l'oisiveté et dans l'orgueil un dédommagement suffisant, et, à défaut d'un nom qui constatât l'amour de son mari, se contenta de ce sobriquet qui consacrait son pouvoir. Elle se laissa plaisamment appeler par lui madame Lucifer, et ce titre ne lui déplut pas. Pans ses moments perdus, elle intrigua contre son rusai au profit de ses frères, qu'elle lui préféra de tout temps. Enfin elle éleva ses enfants le plus mal qu'il lui fut possible. Tout cela, avouons-le, vaut bien une vengeance. Malgré tous ces griefs réciproques, d'autant plus amers peut-être qu'on n'en déchargeait pas son cœur, il est peu d'unions qui aient été plus heureuses que celle-là qui fut sans amour. Fidèle à la mode de son temps[197], qui concordait si bien avec son indifférence, madame d'Orléans ne fut jamais jalouse[198]. Elle accueillit madame de Parabère enceinte au Palais-Royal et lui permit tout, excepté de se moquer de ses pots de chambre. Non-seulement elle laissa son mari aller à Asnières et au bal masqué, mais encore elle l'y envoya[199]. Cette tolérance faisait l'affaire du Régent qui, à part la fidélité, était un excellent mari, et qui rendait au centuple à sa femme toutes ses complaisances. Je ne sais pas si mon fils aime
fort sa femme, mais elle fait de lui ce qu'elle veut[200]. Ailleurs
encore, Madame écrit : Mon fils voit sa femme tous
les jours. Si elle est de bonne humeur, il reste longtemps avec elle, si elle
est de mauvaise humeur, ce qui arrive souvent, il s'en va et ne dit rien. Grâce donc à son indifférence, à ses dévotions, à ses retraites, aux cancans de ses femmes de chambre, madame d'Orléans eut tous les bénéfices de la jalousie sans en avoir les ennuis. Elle passa au dehors pour une sainte et une victime : Chez elle, elle vécut dans la plus grande liberté et la plus grande autorité. Elle choisit et gouverna sa maison à sa guise. Elle put vivre avec ses chiens et ses perroquets, occupée à se mettre du rouge, à jouer.au lansquenet, à faire des nœuds ou à festoyer avec la duchesse Sforce, sa favorite, toujours couchée sur un sofa et en écharpe, en robe sans corps ; c'est-à-dire tout à fait à son aise. Elle put vivre enfin dans cette tranquillité égoïste qui est le bonheur de l'indifférence[201]. Tout cela nous permet de raconter, sans lui en attribuer le mérite ni sans l'en féliciter beaucoup, la disgrâce définitive.de madame de Parabère. Nouvelle tracasserie dans les amours du Palais-Royal. Le Régent a congédié madame de Parabère, et lui a conté tout doucement le mot de Mahomet II qui dit à sa maîtresse : Voilà une belle tête, je la ferai couper quand je voudrai. Le trait historique ne plut point à la dame, qui est partie pour Boran auprès de Beaumont, et qui, de là, doit aller dans une terre plus éloignée. On parle beaucoup de madame d'Averne, etc.[202] Si nous ne connaissions pas la cause du renvoi[203] de madame de Parabère, nous croirions, d'après la fierté et l'insouciance désintéressée qui faisaient le fond de son caractère, qu'elle donna congé plutôt qu'elle ne le reçut. Mais, puisque nous la savons, nous pouvons la dire, cette cause n'ayant rien d'humiliant pour madame de Parabère et n'étant pas l'indifférence. Ainsi le Régent demeure veuf de maîtresse. On dit qu'il a découvert que madame de Parabère entretenoit toujours correspondance avec le chevalier de Beringhem par le moyen de M. de Breteuil, intendant de Limoges, qui lui envoyoit les lettres du chevalier dans ses paquets. On trouve ces Breteuil partout, mais ils ne se mêlent pas de bonnes affaires[204]. Mathieu Marais ne nous parle plus qu'incidemment de madame de Parabère ; un autre Journal manuscrit de la Régence, à la date du 20 juillet 1721, nous apprend que la conversion suivit de près la disgrâce : On assuroit que madame la
comtesse de Parabère s'étoit retirée clans un monastère, résolue d'y passer
le reste de ses jours pour réparer sa vie scandaleuse, ayant été
très-vivement touchée de la mort subite de son valet de chambre, qui étoit
tombé mort en lui versant du café, et pénétrée des avis salutaires que le
curé de Boran-sur-Oise lui avait donnés en particulier avec beaucoup de zèle,
et du parallèle que ce pasteur avoit fait publiquement dans son église de la
vie de ce monde avec celle de l'éternité, que cette dame avoit entendu
lorsqu'il y prêchoit. Ô vicissitudes du cœur ! ô mystères de la grâce ! eue faut-il pour changer tout dans l'âme de celle qui a écouté sans sourciller les instructions des confesseurs à la mode, d'un abbé d'Asfeld, d'un père de La Borde ? Une larme de repentir, venue on ne sait comment, en écoutant un sermon de village. Peut-être aussi une maladie qui parait être survenue à point pour servir de péroraison au bon duré, lui parut-elle plus convaincante que tout le reste. Il n'y a rien qui ramène comme la douleur à la pensée de Dieu. Bayle le savait bien quand il écrivait à certain athée, ou plutôt fanfaron d'athéisme : A M. Desbarreaux, qui croit en Dieu quand il est malade. Madame de Parabère avait donc été malade, et si dangereusement qu'on avait publié sa mort. On l'a même dit au roi, ajoute Mathieu Marais, mais elle en est réchappée. Cette dévotion imprévue de madame de Parabère survécut-elle à sa guérison ? Oui et non. Madame de Parabère demeura dévote[205], dans le sens large du mot, dévote sans affectation, sans hypocrisie, sans intolérance, sans aigreur, dévote enfin comme on peut l'être quand on est encore assez jeune et assez belle pour commettre de nouveau les fautes qu'on expie et pour, de temps en temps, se repentir de ses repentirs. Madame de Parabère ne quitta point le monde, ni le rouge. Elle dit encore bien des folies, et en fit encore un certain nombre. Nous le savons, elle croyait à l'amour comme en Dieu, et sa religion oscillait facilement du Créateur à la créature. L'âge lui-même ne rétablit jamais complètement l'équilibre. Elle persista jusqu'à sa mort à mêler à sa pénitence cette impénitence finale d'une galanterie qui ne compta tant d'objets, peut-être, que parce qu'elle fut toujours de bonne foi. Le premier élan de cœur satisfait, la terreur évanouie, la reconnaissance attiédie, madame de Parabère descendit donc successivement de la contrition à l'attrition. Madame de Parabère, tout en se rangeant, n'en eut pas moins des amants. Il n'y a que les femmes pour associer si naturellement deux choses qui ne semblent inconciliables qu'à celles qui n'ont plus intérêt à les concilier, la crainte de Dieu et l'amour des hommes. Je n'essayerai pas d'excuser ce mélange, ni d'expliquer ces contrastes. Madame de Para-hère, qui eut pas mal de procès, n'aimait pas les avocats ; elle eût rougi d'être défendue et se souciait médiocrement d'avoir raison. Pour elle, tout cœur qui persistait à battre sous le cilice avait le droit de battre, comme le condamné que le bourreau a manqué a droit de vivre. Elle vécut donc, elle aima encore, sans s'effrayer ni sans se décourager à chaque déception nouvelle. Elle aimait à aimer et demeurait fidèle à ce sentiment unique à travers ces infidélités qu'elle ne provoquait pas toutes, et qui furent souvent des malheurs plus que des fautes. Parmi tous ces maures indignes auxquels elle demanda tour à tour la satisfaction de ce besoin de dévouement qui la dévorait, et qui reculèrent devant l'honneur de la rendre constante, il faut citer surtout ce chevalier de Beringhem, auquel elle avait fait tant de sacrifices et de tant de sortes. Je vais vous raconter cette histoire triste et comique à la fois, qui appelle à la fois le rire et les larmes, et je vais la demander à un témoin digne de foi, à cette mademoiselle Aïssé, dont la persévérante amitié est un titre d'honneur pour madame de Parabère, qui se conduisit, du reste, vis-à-vis de la célèbre et touchante maîtresse du chevalier d'Aydie avec un de ces dévouements qui témoignent pour toute une vie et y effacent bien des fautes[206]. C'est mademoiselle Aïssé qui nous montre la duchesse de Duras et madame de Parabère continuant, peut-être par une lutte d'amour-propre, leurs rivalités galantes et affichant en public une protection qui les divise, et se disputant les applaudissements du parterre, l'une pour mademoiselle Le Maure, l'autre pour mademoiselle Pélissier[207]. C'est elle, qui à la date de décembre 1726, nous raconte la séparation de madame de Parabère et de M. le Premier, comme on disait alors. Je m'empresse de dire que madame de Parabère ne quitta que pour ne pas être quittée. Elle mit, du reste, dans cette rupture, assez de formes ; elle fut assez discrète et assez patiente à se consoler ou à se venger, comme on voudra, pour que mademoiselle Aïssé la défende aux yeux de madame Calandrini et se défende naïvement elle-même, vis-à-vis de cette puritaine amie, de l'intérêt qu'elle ne peut s'empêcher de porter à la favorite disgraciée. Madame de Parabère a quitté M. le
Premier[208], et M. d'Alincourt[209] ne la quitte pas, quoique je sois persuadée qu'il ne sera
jamais son amant. Elle a des façons charmantes avec moi ; elle sait bien que
je crains d'avoir l'air d'être sa complaisante, et comme elle n'ignore point
que tous les yeux sont sur elle, elle ne me propose plus de partie. Elle m'a
dit cent fois qu'elle ne pouvoit avoir de plus grand plaisir que de me voir,
que toutes les fois que je voudrois, elle en seroit charmée. Son carrosse est
toujours à mon service. Ne croyez-vous pas qu'il seroit ridicule de ne la
point voir du tout ? D'ailleurs, je n'ai aucune raison de m'en plaindre, bien
au contraire ; n'ai-je pas reçu de sa part mille amitiés dans toutes les
occasions ? On ne me peut soupçonner d'être sa confidente, ne la voyant que
de temps en temps ; enfin je me conduirai de mon mieux. Mais, en vérité,
madame, je n'ai rien vu qui me confirme les bruits qui courent sur son nouvel
engagement ; elle est avec lui très-polie, très-modeste, a l'air indifférent.
La seule chose qui donneroit des soupçons, c'est que, sachant le discours du
public, elle aurait dil peut-être ne pas le recevoir chez elle ; mais elle
dit qu'elle n'a pas le dessein de s'enterrer ; que si elle refuse sa porte à
M. d'Alincourt, le lendemain, il faudra qu'elle la refuse à un autre, et que,
tour à tour, elle Chasserait tout le monde et qu'elle n'en serait pas quitte
encore pour être dans la solitude ; que l'on diroit qu'elle ne les congédie
que pour que le public en soit instruit ; elle aime mieux, ajoute-t-elle,
attendre du temps pour être justifiée[210]. En 1727, tout est consommé. Madame de Parabère ayant quitté son amant, a donné cette charge à M. d'Alincourt[211]. A cette nouvelle sans date précise, succède une confirmation qui excuse quelque peu, madame de Parabère de sa détermination : Madame de Parabère a été, comme je vous l'ai déjà dit, quittée par M. le Premier, qui est amoureux de madame d'Épernon, qui n'a point encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin à madame de Parabère[212]. Une autre circonstance bien atténuante, c'est celle-ci, que n'a garde d'oublier l'officieuse Aïssé : Soyez persuadée de ce que je vous dis, madame ; elle n'est assurément pas excusable d'avoir repris un autre amant, mais bien d'avoir quitté celui qu'elle avoit. Il lui a mangé plus d'un million, et dans sa rupture, tous les vilains procédés, et de sa part, tous les pins nobles et les plus généreux[213]. Cependant, il n'y a plus moyen de l'excuser, M. d'Alincourt est établi chez elle. Aussi, bien qu'elle ait toujours beaucoup d'empressement pour elle, que mademoiselle Aïssé ait du goût pour sa personne et qu'elle soit aimable, la prude Circassienne la voit beaucoup moins, surtout en public[214]. En juillet ou août 1728, d'Alincourt convole à de nouvelles amours. Madame de Parabère a été quittée, il y a environ quatre ou cinq mois, par M. d'Alincourt, dont elle a été au désespoir, et pour s'en consoler, elle a pris au bout de huit jours, M. de La Houdancourt, qui est, à mon sens, le plus vilain homme que je connaisse. Cette précipitation a paru étrange à tout le monde, et surtout à moi, qui ne m'en serois pas doutée[215]. Et même à nous, nous l'avouons. Décidément madame de Parabère ne pouvait alléguer que l'excuse de madame Brisard, d'après Chamfort : Madame Busard, célèbre par ses galanteries, étant à Plombières, plusieurs femmes de la cour ne vouloient point la voir... Madame de Gisors lui faisoit entendre que, tout en concevant très-bien qu'on eût une foiblesse, elle ne comprenoit pas qu'une femme vint à multiplier à un certain point le nombre de ses amants. Hélas ! lui dit madame Brisard, c'est que, chaque fois, j'ai cru que seroit le dernier ! Mais revenons à madame de Parabère et à M. de La Mothe. Ledit M. de La Mothe,
continue Aïssé, ne la quitte pas d'un pas, il est
jaloux comme un tigre. Pour vous en faire le portrait, tant de figure que de
l'esprit, je comrnencerai par la figure : il est grand, dégingandé, le visage
long ; il ressemble beaucoup à un vilain cheval ; de l'âge de quarante-cinq
ans, babillard, ne sachant ce qu'il dit, se contredisant sans cesse, ne
partant jamais que de lui, fat comme s'il étoit un Adonis, et glorieux par
fatuité, assez bon homme dans le fond, mais ayant été gâté par les caillettes
de la cour. Il me craint prodigieusement, et ne peut pas s'empêcher de
m'estimer : il a vu peu de femmes qui se
soucient moins de se mêler d'intrigues ; il m'a dit bien des fois qu'il
aimeroit mieux que je fusse amie de sa femme que de sa maîtresse. J'y vais
très-rarement ; je crois qu'il ne seroit pas bien de n'y point aller du tout
: elle a pour moi des façons touchantes. D'abord que j'ai le moindre mal,
elle me vient voir, elle m'accable de galanteries ; elle dit à tous ceux
qu'elle voit qu'elle m'aime infiniment. Je dois être reconnaissante, madame,
de tant de marques d'amitié. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance,
plus de vingt prétendants à qui je faisois une peur horrible, étant persuadés
que je mettrais tout en usage pour la retirer du désordre. Un des prétendants
m'a conté tous leurs manèges ; ils s'étoient tous ligués de concert pour la
retirer de Paris, et qu'elle fût à la campagne pour que je ne la visse pas.
Celui qui m'a raconté tout cela est parent du chevalier ; il espéroit, par son
canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au voyage de madame de
Parabère. Le chevalier lui répondit qu'il avait tort de nie soupçonner, que
je ne me parois ni de conseiller les prudes, ni de condamner les autres ; que
jamais je n'avois su ce que c'étoit que de me mêler de tracasseries, en quoi
il me loua beaucoup, connoissant assez bien la dame pour être persuadé
qu'elle ne seroit pas susceptible de conseillers[216]. En 1730, nous trouvons une lettre dans laquelle Aïssé nous raconte cette fameuse représentation d'Œdipe, où mademoiselle Lecouvreur se montra pour la dernière fois, pâle et luttant jusqu'au bout contre le mal mystérieux qui la dévorait et qui l'emporta. Madame de Parabère y assistait avec elle et partagea la pitié profonde que cette victime de l'amour, déjà marquée du sceau fatal, inspirait à Aïssé[217]. Y avait-il quelque chose, dans cette tendre pitié d'Aïssé, du propre pressentiment de sa fin prochaine ? Peut-être. Une maladie qui a failli l'emporter, et qui ne lui a laissé que la beauté des yeux et la vie du cœur, l'a avertie de se préparer. Elle se prépare en effet à partir. Elle a du courage tant qu'elle ne regarde pas le chevalier, et lui, chaque fois qu'il la regarde, il pleure. C'est à ce moment que madame de Parabère redouble de prévenances, de caresses, de dévouement intelligent et délicat. J'ai une tabatière admirable, que
madame de Parabère m'a donnée, que je voudrois bien vous faire voir, car,
quand j'ai quelque chose de joli, je souhaiterois fort qu'elle eût votre
approbation. C'est une boite de jaspe sanguin, d'une beauté parfaite, montée
en or par tout ce qu'il y a de plus habile ; la forme est charmante. Elle
l'avoit depuis cinq à six ans, et, l'autre jour, elle en parloit comme d'une
boite favorite. Je dis malheureusement qu'elle étoit la mienne, que je
n'avois jamais vu un bijou de meilleur goût ; sur cela, il n'y a prières ni
persécutions qu'elle ne m'ait faites pour la prendre ; elle me menaça de la
donner au premier venu si je la lui refusois. Cette botte vaut plus de cent
pistoles. Elle m'entretient ; il n'y a point de semaine qu'elle ne me fasse
quelque présent, quelque soin que je prenne de l'éviter : je file un meuble,
elle m'envoie de la soie, afin que je n'en rachète pas ; elle ne m'a vu, cet
été, que de vieilles robes de taffetas de l'année précédente, j'en ai trouvé une
sur ma toilette de taffetas broché charmant ; une antre fois, c'est une toile
peinte. En un mot, si cela est agréable d'un côté, cela est à charge de
l'autre. Enfin, elle a une amitié et une complaisance pour moi, telles qu'on
l'auroit pour une sœur chérie. Pendant ma maladie, elle quittoit tout pour
venir passer des journées auprès de moi ; enfin, elle ne veut pas que je
puisse aimer d'autres plus qu'elle, hors le chevalier et vous ; elle dit
qu'il est juste, de toute façon, que vous ayez la préférence, et nous parlons
souvent de vous ; je lui ai donné une grande idée de mon amie et telle
qu'elle le mérite. Pliât à Dieu qu'elle vous ressemblât et qu'elle eut
quelques-unes de vos vertus ! Elle est de ces personnes que le monde et
l'exemple ont gâtées et qui n'ont point été assez heureuses pour s'arracher
du désordre. Elle est bonne, généreuse, a un très-bon cœur, mais elle a été
abandonnée à l'amour et elle a eu de bien mauvais maîtres[218]. Cependant Aïssé va mourir, elle le sent, et tout le monde le sent autour d'elle, et tout le monde sait, sans pouvoir la sauver, ce qui la tue. Ce qui la tue, c'est le combat de l'amour et du devoir, de la passion et de la conscience. Ce qui la tue, c'est l'impossibilité où elle est de se réhabiliter par un mariage, et l'impossibilité où elle est, comme l'hermine, de vivre souillée. Écoutez ce cri qui lui échappe dans sa XXXIe Lettre, dernier soupir de la passion qui s'éteint, dernier adieu au bonheur, dernier regard jeté à la vie et à ses illusions, avant de ne plus regarder que Dieu : M. S.... est venu aujourd'hui ;
il m'a appris le mariage de mademoiselle Ducrest avec M. Pictet. Ah ! le bon
pays que vous habitez, où l'on se marie quand on sait aimer et quand on
s'aime encore ! Plut à Dieu qu'on en fit autant ici[219]. Et puis c'est tout. La chair est domptée. Le cœur est résigné. La lèvre, refermée sur son secret, ne s'ouvrira plus que pour le prêtre. Ce prêtre, tel qu'il le faut à une Misse mourante, on le cherche, et c'est madame du Deffand qui l'indique, et madame de Parabère qui le procure ; et grâce à la vigilante tendresse de cette véritable amie, grâce à ses ingénieux stratagèmes, la proie que madame de Ferriol convoite lui échappera, et Aïssé mourra tranquille. Une première fois déjà, madame de Ferriol, qui n'était occupée que de jansénisme et qui, pareille au pédagogue de la fable, eût fait un sermon moliniste à un homme se noyant sous ses yeux ; madame de Ferriol, qui voulait escamoter la confession à un janséniste, et surveillait sa malade avec l'implacable ténacité de l'avarice et de l'ignorance, madame de Ferriol enfin, qui se souciait, au fond, de la bulle Unigenitus autant que Voltaire, mais qui tenait à ne pas être déshéritée par son frère, avait failli laisser sa pupille expirer sans consolation religieuse, faute d'avoir son directeur sous la main. Depuis elle la tenait sous bonne garde de dévotes[220]. Madame de Parabère conjura le danger. Elle attira la geôlière chez elle, et Aïssé put se confesser au père Boursault, Vous serez étonnée quand je vous
dirai que mes confidentes et les instruments de ma confession sont mon amant,
mesdames de Parabère et du Deffand, et que celle dont. je me cache le plus
est celle que je devrois regarder comme ma mère. Enfin, madame de Porchère
l'emmène dimanche, et madame du Deffand est celle qui m'a indiqué le père
Boursault, dont je ne doute pas que vous n'ayez entendu parler. Il a beaucoup
d'esprit, bien de la connoissance du, monde et du cœur humain ; il est sage
et ne se pique point d'être un directeur il la mode. Vous êtes surprise, je
le vois, du choix de mes confidentes ; elles sont mes gardes, et surtout
madame de Parabère, qui ne me quitte presque point, et qui a pour moi une
amitié étonnante ; elle m'accable de soins, dé bontés et de présents. Elle,
ses gens, tout ce qu'elle possède, j'en dispose comme elle et plus qu'elle.
Elle se renferme chez moi toute seule et se prive de voir ses amis. Elle me
sert sans m'approuver, ni me désapprouver, c'est-à-dire m'a écoutée avec
amitié, m'a offert son carrosse pour envoyer chercher le père Boursault, et,
comme je vous l'ai dit, emmène madame de Ferriol pour que je puisse être
tranquille... Je ne doute point que ce qui se
passe sous leurs yeux ne jette quelque étincelle de conversion dans leur âme.
Dieu le veuille ![221] Hélas ! madame de Parabère, s'il faut en croire les chroniqueurs, ne se convertit qu'a moitié, en femme sûre, pour le reste, de se sauver par la charité. Un post-scriptum de Voltaire sur une lette de madame du Chatelet à Richelieu, écrite de Cirey, constate l'impénitence ou plutôt l'inconséquence finale. Voici ce certificat délivré par la griffe diabolique à la toujours belle pécheresse : J'écris sur le dos de la lettre d'Émilie. Ah ! vous savez sans doute que M. de Brancas est plus mondain que jamais. Il va se damner pour... madame de Parabès — Parabère — et pour avoir cinquante mille livres. Si cette somme avoit été trouvée, madame de Parabès devenoit la belle-mère de madame de Brancas. Mais il lui a été plus difficile de trouver de l'argent qu'un vieux duc. Elle ne sera donc point duchesse et M. de Brancas point damné, à moins qu'il ne finisse par épouser un page, ce qui est plus raisonnable que de se marier à madame de Parabès[222]. Depuis, madame de Parabère, à qui ses amants n'avaient pas laissé de quoi acheter un mari, parait s'être résignée à la viduité, mais non à l'indifférence. Le marquis d'Argenson, qui ne l'aimait pas, nous retrace dans une anecdote qui a l'avantage de faire tableau, mais qui nous parait un peu romancée, la dernière phase de cette vie étrange qui devait t'Axe jusqu'au bout un défi au préjugé. Donc, selon le caustique marquis, au mois de juillet 1739, Forgés a fait la comédie de marier des couples d'amants mariés ailleurs. C'étoit au camp de Compiègne, où commande le duc de Biron. On a habillé Fargès en pontife ; on lui a mis une mitre de carton ; il a béni les prétendus mariés, le duc de Biron avec madame de Rothembourg, et M. de Bissy avec la duchesse de Vaujours, puis il les a mis au lit avec cérémonie..... Madame de Parabère conte partout les aventures de sa fille, madame de Rothembourg. Elle a le plaisir de voir qu'elle chasse de race..... Madame de Parabère a constamment le duc d'Antin, et elle apprend à jouer du basson pour lui plaire[223]. Après celle-là, lecteur, il faut tirer l'échelle. Tout pâlirait auprès de ce récit, où le conteur comme ses héros, a jeté son bonnet à travers les moulins. Eh bien ! je n'ai pas, la pensée de cette incorrigible foi à l'amour et aux hommes, de cette imperturbable gaieté, de cette santé inaltérable, de cette jeunesse quand même, la force d'être sévère. Je dirai de madame de Parabère ce que la vieille garde-malade disait de La Fontaine : Dieu n'aura pas le courage de la damer ! Elle l'espérait ; elle y comptait sans doute, cette joyeuse Madeleine, si héroïque au péché ; elle se savait, cette Parabère, si naïve dans le vice, si franche dans ses erreurs, si naturelle dans ses fautes, cette pécheresse candide, cette délicate corrompue, cette femme au cœur d'ange, à la tête de démon, que le remords épargna, qui échappa à la vieillesse, que la mort sembla oublier ; elle se savait prédestinée au pardon par ce nom de courtisane à la fois et de sainte qu'elle portait ; elle savait qu'ayant beaucoup aimé, comme Madeleine, il lui serait beaucoup pardonné. C'était, selon Madame, l'espérance des femmes de son temps[224], et le Régent lui-même y avait encouragé sa maîtresse quand il lui avait dit ce mot qui prouve qu'il la connaissait bien : Tu as beau faire, tu seras sauvée ![225] Il existe beaucoup de portraits de madame de Parabère. Les peintres de la Régence, qui tous partageaient les péchés de leurs modèles, et qui créèrent en faveur de cette époque à part un genre original et conventionnel comme elle : les Santerre, que Madame nous montre vivant au milieu d'un véritable sérail de servantes maîtresses ; les Nattier, plus tard compromis dans la vilaine affaire de Chauffour, brillé pour un crime qui cessait d'être à la mode ; les Coypel, peintres jurés des fêtes galantes, ne pouvaient négliger ce charmant modèle, capable de poser tour à tour pour tous les vices et toutes les vertus de la Régence. Madame de Parabère fut donc peinte bien des fois, presque aussi souvent qu'aimée. Citons d'abord le tableau de Santerre, représentant le Régent et sa maîtresse sous la forme d'Adam et Ève, sans doute après le paradis perdu. Ce tableau dont l'esquisse est encore dans la famille de Santerre, est aujourd'hui au palais impérial de Vienne. On voyait dans la galerie de M. le duc d'Orléans madame de Parabère sous les traits de Minerve. Il faut convenir, dit M. Barrière, que le Régent ne pouvait mieux déguiser son amour : madame de Parabère est charmante ; mais dans ses traits et dans son maintien, on ne saurait retrouver la déesse de la sagesse. Il existe au musée de Caen et au musée de Versailles — original et copie — un portrait de madame de Parabère peint par Antoine Coypel au milieu d'une guirlande de fleurs, peinte par Blin de Fontenay. Elle noue la guirlande de ses mains. Un petit nègre tient auprès d'elle une corbeille de fleurs. D'après l'avis d'un amateur de nos amis, cette peinture serait antérieure à la Régence. On a vendu tout récemment, parmi les beaux tableaux de la galerie du comte d'Houdetot, un Portrait en grands atours de madame de Parabère, par Largillère, au prix de 1.530 fr. Madame de Parabère a été encore peinte dans une des attitudes favorites des artistes du temps, le sein gauche découvert et tenant un oiseau sur un coussin. On trouve avec cette pose et cet accessoire des portraits de madame de Prie et de madame de Sabran. Celui qui représente madame de Parabère est de Vanloo, gravé par Chereau. Il y a enfin, dans la fameuse collection de Richelieu, où chacune de ses maîtresses est représentée sous le costume d'un ordre religieux, où mademoiselle de Charolais est en capucine, madame de Villeroy en récollette, etc., un portrait de madame de Parabère, peut-être en carmélite. Nous n'avons pu vérifier, cette collection tant désirée par plus d'un amateur n'ayant jamais paru dans les ventes, quoi qu'on l'ait dite retrouvée. |
[1] Saint-Simon dit Coskaër nom peu ou point connu avant 1500, qu'Anne de Bretagne les amena en France. Il leur conteste jusqu'à leur nom de La Vieuville : Ils avoient eu autrefois une terre en Artois. Je ne sais d'où ils s'avisèrent de prendre le nom et les armes de La Vieuville ; je ne vois ni alliance, ni rien qui ait pu y donner lieu, si ce n'est que le choix étoit bon et valoit beaucoup mieux que les leurs. Mais ils n'y ont rien gagné ; cette bonne et ancienne maison d'Artois et de Flandre ne les a jamais reconnus, et personne s n'ignore qu'ils n'en sont point. (Mémoires de Saint-Simon, t. VIII, p. 330.)
[2] Saint-Simon dit de la mère qu'elle était belle, pauvre, sans esprit, mais sage étant demoiselle. Son mariage la rendit basse et intéressée, mais c'est tout. Les chansonniers sont moins indulgents. Il n'est pas permis de citer les couplets qui s'appliquent à ce nom de La Vieuville dans les Recueils de la Bibliothèque impériale et de la Bibliothèque mazarine, notamment celui qui, à la p. 95 du tome II (Bibliothèque mazarine), déshabille la trop galante duchesse, et qui est lui-même par trop nu. Tout ce qu'il est possible de dire, c'est que la duchesse passait pour être riche en perfections physiques, que son hôtel était fort en vogue, chez elle où l'on court, et qu'elle avait pour amant ce fameux Sanguin, abbé de Saint-Pavin, plus tard évêque de Senlis, et à tous les titres indigne de ses faveurs. Les couplets indiqués sont de 1665. Il en existe d'autres à la date de 1666, ainsi conçus :
La Vieuville, à ce qu'on dit,
Sur ses fins se déborde,
Car souvent sur le minuit
On voit entrer dans son lit
De Gorde.
Il s'agit sans doute, dans les uns et les autres, de la femme du premier La Vieuville, mort gouverneur du duc de Chartres en 1689. La belle-mère de madame de Parabère (mademoiselle de La Mothe-Argencourt, amour du comte de La Mothe), que Saint-Simon dit avoir plu au roi, étant fille de la reine et que son commentateur, M. Chéruel, parait avoir confondue avec mademoiselle de La Mothe-Houdancourt, devenue duchesse de Ventadour, bien que Saint-Simon ait dit un peu plus bas de madame de La Vieuville : Elle étoit amie intime de madame de Ventadour, ce qui rend tout quiproquo impossible, — la belle-mère de madame de Parabère, disons-nous, première femme de son père, avait aussi quelque peu fait parler d'elle. On trouve dans le Recueil Maurepas (t. XXIV, p. 333), à la date de 1672, des couplets fort galants de Dangeau à elle adressés, auxquels elle répond ou est censée répondre d'un ton qui n'était pas fait pour décourager ses adorateurs. Nous ignorons l'époque de sa mort. Cependant il ne parait pas probable que les couplets suivants, à la date de 1708 et de 1710, s'appliquent à elle, et ils peuvent en ce cas concerner celle qui lui succéda, propre mère de madame de Parabère, que le second pourrait bien regarder personnellement. L'un est ainsi conçu :
L'aimable Montmagny
Va disant par la ville
Qu'il aime La Vieuville
Et qu'il en est chéri,
L'aimable Montmagny.
L'autre fait partie d'une chanson consacrée à toutes les dames de la table de madame la duchesse de Bourgogne, le jour du départ de Marly :
Pour savoir les plus beaux tours
Qu'on peut donner aux atours,
Consultes d'un œil docile
Les grâces de La Vieuville.
[3] Duclos, Mémoires secrets, collection Michaud, p. 494. — Ces quatre gouverneurs furent le maréchal de Navailles, le maréchal d'Estrades, le duc de La Vieuville et le marquis d'Arcy, chevalier des ordres et conseiller d'État d'épée.
[4] C'étoit une demoiselle de Picardie qui s'appeloit La Chaussée d'Eu, comme La Tour d'Auvergne, parce qu'elle étoit de la partie du comté d'Eu qui s'étend en Picardie... elle avoit été élevée domestique de madame de Nemours où on l'appeloit mademoiselle d'Arrez, et où M. de La Vieuville s'amouracha d'elle, etc. (Mémoires de Saint-Simon, t. VIII, p. 329.)
[5] Lettres de mademoiselle de l'Espinasse (édit. J. Janin, Amyot, p. 255).
[6] Coligny, tes yeux grenadins. (Recueil Maurepas.)
[7] Expression de Bussy-Rabutin.
[8] Expression de Saint-Simon.
[9] L'État de la France de 1712 le porte comme mestre de camp de cavalerie, brigadier d'armée du 17 mai 1707, et chevalier de Saint-Louis.
[10] Ses ancêtres avaient tous été de braves gens de guerre. Le plus glorieux de tous fut ce Jean de Beaudéan, fils de Bernard de Beaudéan, sénéchal et gouverneur de la ville de Beaucaire en Languedoc et de Françoise de Cobios. Il naquit, dit la fière et fruste notice qui encadre son portrait, sur les dernières années de Henri IIe. Il commença le métier de la guerre sous son père, après la mort duquel, arrivée dans son gouvernement où il fut assassiné, il se retira près du roi de Navarre, Henri de Bourbon, qui le reçut fort bien estant d'une maison originaire de ses Estats, et ceux de son c nom ayant toujours eu l'honneur d'estre traitée de e cousins par les rois de Navarre ses prédécesseurs, s comme il paroist par plusieurs titres de cette maisson. Colonel à vingt ans d'un régiment d'infanterie, il tailla en pièces à la bataille de Coutras le régiment de Picardie (1587). Il prit en 1589 la ville de Niort dont le roi lai donna le gouvernement et les deux lieutenances générales de cette province. Il était à la bataille d'Ivry, en qualité de maréchal de camp. Il prit Corbeil, puis Corbie, et emporta d'assaut les faubourgs de Chartres. Sous Louis XIII, il eut l'honneur de recevoir le roi et la court sa maison de La Mothe-Sainte-Héraye. Il fut fait maréchal de France au siège de Montpellier (1621), C'est lui qui extermina la bande de ces brigands légendaires, les Guillery. Il mourut en 1631. Le gouvernement du Bas-Poitou parait s'être conservé presque héréditairement dans cette famille convertie du protestantisme au catholicisme, et originaire du Béarn.
[11] Lettres de Bolingbroke, etc., Paris, Dentu, 1808, t. II, p. 82.
[12] Lettres de Bolingbroke, p. 80.
[13] Lettres de Bolingbroke, p. 184.
[14] Quand sa mère approchoit,
Faisait la souche,
Pas un mot ne disait ;
Mais quand elle sortoit
Ou que seule elle étoit,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bientôt l'amant. . . . . . . . . .
Sainte-n'y-touche.
[15] Ce même jour, dit Saint-Simon, mourut madame de La Vieuville dans un âge peu avancé, d'un cancer au sein dont, jusqu'à deux jours avant sa mort, elle avoir gardé le secret avec un courage égal à la folie de s'en cacher et de se priver par là de secours. Une seule femme de chambre le savoit et la pansoit. (Mémoires, t. XIII. p. 136.)
[16] Recueil Maurepas (1716), vol. XIII, p. 333.
[17] Mon fils n'est pas beau : il a de grosses joues, il est petit, gras et fort rouge ; mais il me semble s qu'il n'est pas désagréable. Lorsqu'il danse ou s qu'il est à cheval, il a fort bonne mine. (Madame, 9 août 1717, t. I, p. 307.) — Mon fils n'est ni joli ni laid. (24 octobre 1717, t. I, p. 338.) — Quand mon fils n'avait que quatorze ou quinze ans, il n'était pas laid ; mais depuis, le soleil d'Italie et d'Espagne l'a si fort bruni, que son teint est devenu d'un rouge foncé. Il n'est pas grand, et cependant il est gros ; ses mauvais yeux font qu'il louche parfois, et il a une mauvaise démarche. (15 fév. 1717, t. I, p. 294.) — Mon fils a une figure carrée..... il a une grande bouche avec de jolies dents. (9 janvier 1718, t. I. p. 204.)
[18] Mon fils n'est plus un jouer homme d'une vingtaine d'années ; il en a quarante-deux, aussi on ne peut lui pardonner à Paris de courir après les dames au bal comme un écervelé, lorsqu'il a toutes les affaires du royaume sur les bras. (Madame, 2 avril 1716, t. I, p. 226.)
[19] Il avait de l'éloquence, de la bonhomie et de la gaieté. Mon fils est éloquent, et quand il veut, il parle avec beaucoup de noblesse, répète Madame (16 juillet 1718, t. I, p. 426), d'accord avec Saint-Simon et tous les contemporains. Mon fils est un bon garçon, dit-elle encore (11 août 1701, t. I, p. 53). Mon fils me dit toujours quelque chose de drôle qui me fait rire. Il a de l'esprit, et s'exprime avec beaucoup d'agrément. (8 mars 1721, t. II, p. 305.) En ce temps de victoires faciles, n'était-ce pas assez pour triompher ?
[20]
Madame, 1er octobre 1719, t. II, p. 162. — Quelle que fut la recette de
Richelieu, il est permis de croire, sinon à son honnêteté, du moins à son
efficacité. Mademoiselle de Charolais, qu'on voulait détourner de lui en lui
citant les noms de ses rivales, répondait avec toute la naïveté de l'engouement
: Bah ! il n'a des maîtresses que pour me les
sacrifier et pour me raconter ce qui se passe entre eux. (Ibid.)
[21] Madame, 22 octobre 1717, t. I, p.
338.
[22] Madame, 12 février 1716, t.
I, p. 205.
[23] Madame, 6 octobre 1719, t. II, p. 161.
[24] Et il ajoute : Dire qu'on couche avec elles, c'est leur faire plaisir. (Madame, 24 octobre 1717, t. I, p. 338.)
[25] Et Richelieu, en lui soufflant sa conquête, ne tarda pas à lui prouver que le sien était encore meilleur.
[26] Ce qui nous donne la date probable de la liaison : 1715.
[27] Madame, t. I, p. 221. — Une aventure du même genre, dit l'annotateur de cette Correspondance, M. G. Brunet, fut attribuée à la femme d'un des plus éminents fonctionnaires de l'Empire — elle est désignée par de nombreuses initiales dans le catalogue des livres de M. Lajarrie, 1854, n° 2920 ; V. aussi les Mélanges de Boisjourdain, t. I, p. 213 — ; le comte Barruel-Beauvert fit de cette anecdote l'objet d'une comédie intitulée : Les Bracelets, ou le Mari, la Femme et l'Amant dupes les uns des autres, pièce qui ne pouvait être jouée, et dont la police arrêta l'impression. Semblable historiette avait déjà fait le sujet d'un proverbe de Carmontelle.
[28] L'amour dans le mariage n'est plus du tout à la mode et passerait pour ridicule, disait Madame dès 1697. Le 16 août 1721, elle ajoutait : On trouve bien encore, parmi les gens d'une condition inférieure, de bons ménages..... mais parmi les gens de qualité, je ne connais pas un seul exemple d'affection réciproque et de fidélité. (t. II, p. 337.) Ailleurs, encore, Madame s'écrie, indignée : Le mariage est devenu pour moi un objet d'horreur. (12 juin 1699.) Du temps de Chamfort, la décadence de l'institution était arrivée à ce point qu'il la formulait en axiome : Le mariage, tel qu'il se pratique chez les grands, est une indécence convenue.
[29] Madame, 14 juillet 1718, t. I, p. 424 ; 25 novembre 1718, t. II, p. 30. — Les maris qui battaient leurs femmes étaient rares. M. le prince de Conti l'eût fait si sa femme ne lui eût fait peur. M. de Jonzac, beau-frère du président Hénault, essaya du grand remède en 1725. Il donna, à propos du même prince de Conti, deux soufflets à sa femme en pleine église. Ce moyen, beaucoup trop bruyant, ne lui réussit pas. Tout le monde prit parti contre lui dans cette querelle ainsi affichée. Madame de Jonzac eut les rieurs de son côté, et son mari fut trop heureux de ce raccommoder avec elle. (Mémoires de Maurepas, t. II, p. 66.) Violence en pareil cas déshonorait bien plus que tout le reste. Le prince de Nassau fit mettre sa femme sous les verrous ; on le plaignait la veille, le lendemain on plaignit sa femme. Le mieux était de faire contre infortune bon cœur, et de rire comme M. de Nesle ou comme M. de Villequier, en écoutant les noms des amants de as femme. On avait toujours la ressource de paraître rire par incrédulité. (V. Madame, 9 février 1717, t. I, p. 293.)
[30] Faur, Vie privée du maréchal de Richelieu.
[31] Il arrive ici des choses qui montrent, selon moi, que Salomon a eu tort de dire qu'il n'y avait rien de neuf sous le soleil. C'est ainsi que madame de Polignac a dit à son mari : Je suis grosse, vous savez bien que ce n'est pas de vous ; mais je ne vous conseille pas de faire du bruit, car s'il y a procès à cet égard vous perdrez, et vous savez bien quelle est la loi dans ce pays-ci. Tout enfant né dans le mariage appartient au mari. Ainsi cet enfant est bien à vous ; d'ailleurs, je vous le donne. (Madame, 26 mars 1725, t. II, p. 366.)
[32] Catalogue d'autographes, L..., avril 1844 (n° 441).
[33] C'est sans doute à ce moment que le Régent se plaignait à son confident Simiane de la fierté de madame de Parabère, qui lui renvoyait quelquefois ses lettres sans les lire. (Journal de Barbier, t. I, p. 162.)
[34] Bibliothèque de Rouen (fonds Leber).
[35] Bibliothèque de Rouen (fonds Leber).
[36] Les Mémoires de Richelieu, par Soulavie, n'en font pas même mention ; la Vie privée, par Faur, à peine.
[37] Le 2 novembre 1719, Madame écrit ceci en passant la revue des enfants naturels de son fils : Il y a encore deux ou trois enfants que je n'ai jamais vus et qu'il a eus d'une femme de qualité. Son grand-père a été gouverneur de mon fils, et il était précédemment chevalier d'honneur de la reine. Cette femme est veuve depuis deux ans..... Je ne crois pas que mon fils puisse être bien sûr que ces enfants soient de lui, car cette femme est une terrible dévergondée. Elle boit nuit et jour et ne se gêne en rien ; mais mon fils n'est pas du tout jaloux. Et cette maîtresse, qui est celle qui a le mieux réussi à le captiver, cette femme de qualité, c'est madame de Parabère. (Madame, t. II, p. 178.) Enfin, le 19 avril 1790, elle ajoute : Pourquoi tourmenterais-je inutilement mon fils pour qu'il reconnût son abbé ? cela lui attirerait de grands tourments, car il a beaucoup d'enfants de la Parabère. Elle voudrait aussi qu'ils fussent reconnus ; ce motif m'a retenue. (Ibid., t. II, p. 231.)
[38] On trouve dans la Correspondance inédite de la marquise de La Cour une lettre du marquis d'Argenson, son neveu, qui contient entre autres cette nouvelle : Madame de Parabère est heureusement parvenue au cinquième mois de sa grossesse ; tout le monde donne cette œuvre à M. de Nocé. Ceci est écrit à la fin de 1716.
[39] On dit que Nocé est jaloux de la Parabère, qui a pris un autre amant que lui. On voit par là que mon fils n'est pas du tout jaloux. Celui dont elle est devenue amoureuse est un personnage qui a déjà bien couru le monde ; c'est Clermont, capitaine des Suisses de mon fils, le même qui a préféré la Chouin à la grande princesse de Conti. (Madame, 25 août 1718, t. II, p. 147.)
[40] Mémoires du président Hénault, E. Dentu, in-8°, 1855, p. 124.
[41] Cette insouciance, Madame, sans l'excuser, parait l'avoir comprise vis-à-vis de tous les rivaux de son fils, excepté l'agaçant Richelieu. Il est vrai qu'elle avait contre ce dernier des griots bien plus sérieux, et qu'elle parlait en mère outragée dans sa petite fille, en princesse offensée dans l'orgueil de son rang. Le duc est hardi et plein d'impertinence ; il connait la bonté de mon fils et il en abuse ; ai on lui rendait justice, il paierait de sa tête toutes ses témérités et ses manœuvres ; il l'a triplement mérité ; je ne suis pas cruelle, mais je verrais, sans répandre une larme, ce drôle accroché à un gibet. (Madame, 13 mai 1719, t. II, p. 110.)
[42] Madame, 18 mars 1720, t. II, p. 224.
[43] Madame, 19 janvier 1719, t. II, p. 54.
[44] Madame, 2 novembre 1119, t. II, p. 178.
[45] Madame, 19 décembre 1717, t. I, p. 359.
[46] Il avait fait école. Le prince de Soubise, ce grand veau, dit Madame, pour lequel elle veut faire croire que s'étaient battues madame de Nesle et madame de Polignac, disait avec un sang-froid cynique : De quoi se plaint donc monsieur le Duc ? N'ai-je pas permis à madame de Nesle, sa maîtresse, de coucher avec lui quand il viendra ? (Madame, 13 juin 1717, t. I, p. 301.)
[47] Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 106.
[48] Il ne le fit que lorsque la dignité du prince pouvait perdre quelque chose aux échecs de l'amant, et lorsque, à force d'insolence, on l'obligeait à punir ; Baron, Richelieu, Beringhem, Fimarcon ne devaient pas s'en prendre au Régent, mais à eux-mêmes, de ces courts exils, châtiments anodins qui n'étaient pas une vengeance.
[49] Madame, 3 septembre 1708, t. I, p.
108.
[50] Bibliothèque Mazarine, Recueil de chansons pour servir à l'histoire anecdote, t. IV, p. 143 (1718).
[51] Saint-Simon (Mémoires, t. XIII, p. 321), place cette mort vers la fin de 1716. Madame, le 2 novembre 1719, dit : Cette femme est veuve depuis deux ans. Ce serait donc vers le mois de novembre 1717 que mourut M. de Parabère. Mais Madame la dit déjà veuve le 29 mai 1716. D'un autre côté, la Correspondance de madame de La Cour place cette mort (de la petite vérole) au 15 février 1718. Par humanité, nous ferons mourir M. de Parabère en 1716, il aura souffert moins longtemps.
[52] M. de L..., pour détourner une dame de B..., veuve depuis quelque temps, de l'idée du mariage, lui disait : Savez-vous que c'est une bien belle chose de porter le nom d'un homme qui ne peut plus faire de sottises ? (Chamfort, Maximes et Pensées.)
[53] Madame, 29 mai 1719, t. I, p. 240.
[54] Madame, 30 juillet 1720, t. II, p. 257.
[55] Tableaux de genre et d'histoire, etc., par F. Barrière, Paris, Ponthieu, 1828. — Le spirituel éditeur de ces manuscrits précieux qui composent la galerie a par trop respecté l'incognito de l'auteur de la Rupture de madame de Parabère et du Régent ; il est fâcheux que ce ne soit pas loi qui nous apprenne que cet auteur n'est autre chose que le duc de Lauraguais lui-même, dont ['couvre piquante a été remise à M. Barrière par M. Després. Le portrait de madame de Parabère que nous citons est emprunté à la première des très-fines notices dont M. Barrière a fait un cadre digne des Tableaux. Nous nous permettrons de regretter seulement quelques inexactitudes qui nous semblent moine provenir de l'ignorance des faits que de certains scrupules inconciliables avec le rude métier d'historien des mœurs, Pourquoi vouloir nous faire accroire que madame de Parabère, par exemple, n'avait point encore excité les traits de la malignité ? Et le couplet de Sainte-n'y-Touche ? et l'épithète de peu fidèle, adressée bien avant la Parabère du Régent à la Parabère de Matignon ? Pourquoi en faire une caillette de province peu faite encore aux manières de la haute compagnie et pleine de réserve dans ses discours et son maintien, exigeant enfin qu'un profond secret couvrit l'inconséquence de sa démarche ? Vertubleu ! laissons de pareils scrupules à la vertu bourgeoise d'une madame Michelin (V. la Vie prisée de Richelieu) ; et ne faisons pas à une La Vieuville, à ce sang qui bouillonne héréditairement des ardeurs de
... Vénus tout entière à sa proie attachée,
l'affront de l'asservir aux artifices d'une coquetterie vulgaire. Le Régent était l'homme qu'il fallait à madame de Parabère. Dès qu'elle le vit, elle dut penser : c'est lui, et le prendre. Madame a bien rendu ce mépris des conventions sociales, ce défi porté à toutes les précautions dont les hommes d'aujourd'hui matelassent leurs sentiments, de peur qu'ils ne se cament. Souvenez-vous de cette première entrevue où la comtesse est si naïve à la fois et si effrontée. C'est là la vraie Parabère, une de ces femmes exceptionnelles qui sont nées corrompues et n'ont pas eu d'innocence ; qui portent le vice avec une sorte d'héroïsme, et qui plus tard sont crânes jusque dans leur repentir. A bas donc toute cette sentimentale fantasmagorie, cette petite maison, ces petits vers, bons tout au plus pour la d'Argenton ! Ces réserves faites au nom de la vérité contre la pudeur historique, la plus niaise de toutes, je n'ai plus que des compliments à adresser pour son art exquis au lapidaire qui a monte les pierres précieuses des Tableaux d'histoire. J'aurai plus tard à faire de plus graves reproches à un écrivain ingénieux, maitre en l'art de romancer l'histoire, qui a raconté à sa façon les derniers moments de madame de Parabère, et l'a faite poitrinaire et éplorée comme un prototype de la Dame aux Camellias. Il y a quelque chose dans l'histoire des femmes célèbres qu'il ne faudrait pas calomnier légèrement, outre leur vertu, c'est leur santé. Madame de Parabère, morte presque centenaire, se porta toujours admirablement bien, sauf une courte maladie.... Mais ne rendons pas à M. François Barrière ce qui appartient à M. Arsène Houssaye.
[56] Madame, 30 juillet 1720, t. II, p. 257.
[57] Madame, 23 décembre 1717, t. I, p. 361.
[58] Madame, 15 août 1719, t. II, p.
115.
[59] Le vrai portrait de Madame de Parabère, suffisamment sincère, suffisamment discret ; son portrait à la fois énergique et voilé ; un portrait qui est un des bons morceaux de ce pinceau si moelleux et si fin, quelque peu émoussé, que madame de Caylus transmit à son fils sans avoir le temps de lui apprendre à s'en servir, se trouve dans les Souvenirs qu'il a destinés à faire le pendant indigne des Souvenirs maternels (Paris, 1805, Aubert et C., p. 336) : Sa figure était aimable, son caractère était doux et son esprit était médiocre. On l'a accusée d'être ne qu'on appelle méchante dans le monde. Hélas ! c'est ce que tout le monde peut naturellement se reprocher, mais l'acharnement avec lequel on a tenu sur elle des discours très-fondés engage également une femme à rendre aux autres ce qu'ils lui prêtent, quand cette vengeance est aussi facile à prendre, et qu'elle est souvent une vérité. Ce qu'il y a de plus singulier dans le caractère de madame de Parabère, c'est l'égalité de son amour. Le sentiment en elle a très-souvent changé d'objet, mais jamais son cœur n'a été vide un instant ; elle a quitté, elle a été quittée ; le lendemain, le jour même, elle avait un autre amant qu'elle aimait avec la même vivacité, et auquel elle était soumise avec le même aveuglement. Car elle n'a jamais vu que par les yeux de son amant du moment. Dès qu'elle l'avait choisi, elle ne voyait que ses amis et n'avait que ses goûts. Cette exactitude de soumission, prouvée par l'exemple de plus de vingt amants qui se sont succédé pendant le temps de ses amours, et qui subsistent encore, me parait un événement singulier et plus rare dans un degré aussi égal, que les exemples d'une constance d'un pareil nombre de dames ne le pourraient être. Voilà un portrait très-habile et très-fin, et s'il a ressemblé à l'original, nous sommes prêt à avoir pour lui l'indulgence touchante d'Aïssé, qui se connaissait en cœurs.
[60] Le duc de Bourbon a dit à M. de la Houssaye : La moindre femme obtiendra ce qu'elle voudra de M. le duc d'Orléans, pour faire décharger (de la taxe) ceux dont elle espérera récompense (Journal manuscrit de la Régence, Bibliot., imp., fonds Caumartin, p. 1831.) Le Régent en convenait : On dit que le Régent en signant ce rôle, dit : Je suis fâché de signer cela, car il n'y a que les p..... qui en profiteront. (Journal de Math. Marais, 15 sept. I722.)
[61] On va en juger, de cette indépendance. Nous trouvons dans le Journal manuscrit de la Régence, déjà cité, les deux mentions suivantes : Madame la comtesse de Parabère acheta le duché de Damville de M. le comte de Toulouse la somme de 300.000 livres. (p. 1106, novembre 1719.) — Madame la comtesse de Parabère paya onze cent mille livres la terre et seigneurie de Blanc en Berry, qui rapporte 28.000 livres de rente. (p. 1118, 7 décembre 1719.)
[62] Mémoires de Richelieu (édit. Soulavie), t. II, p. 51
Nous nous enivrerons, — don don,
Nocé même y sera, — là là,
Avec la Parabère.
(Noël de 1717.)
Les chroniques satiriques représentent Nocé (Braquemardus de Nocendo) chevauchant avec sa Bradamantine (madame de Parabère).
[63] Mémoires de Maurepas, t. IV, p. 2.
[64] Journal de Math. Marais, juin 1723.
[65] C'était presque de l'ingratitude. Madame de Parabère ne devait abandonner qu'à la dernière extrémité ce drapeau de papier à l'ombre duquel elle avait cherché et trouvé la fortune. Elle eût été plus enthousiaste pour Law le soir de ces énormes bénéfices qui remplissaient de joie le camp de nobles agioteurs campés place Vendôme. (V. Lemontey, Histoire de la Régence.)
[66] Madame, t. II, p. 145.
[67] Le 17 juillet 1720 (V. Barbier, t. I, p. 48), on leur dit que le Régent étoit à Bagnolet, qui est une maison de campagne de madame la Régente. Le peuple répondit que cela n'étoit pas vrai, qu'il n'y avoit qu'à mettre le feu aux quatre coins, et qu'on le trouveroit bientôt.
[68] Journal de Math. Marais, 20 août 1720.
[69] Journal de Math. Marais, 20 août 1720.
[70] Journal de Math. Marais, 12 et 13 juillet 1720.
[71] En dépit du témoignage formel de Saint-Simon, il est permis de croire que le Régent, bien qu'il affectât d'être très-rassuré, eut peur durant cette émeute du 17 juillet. Barbier dit formellement : M. le Régent avait peur..... Le Régent s'habilloit pendant ce fracas. Il étoit blanc comme sa cravate et ne savoit ce qu'il demandoit. (Journal de Barbier, t. I, p. 50.)
[72] Journal de Math. Marais, 29 juillet 1720.
[73] Recueil Maurepas.
Laisse la Prie engloutir notre argent,
Viens, Parabère, et joue un plus beau rôle,
Sauve l'État, conseille à ton Régent
De quitter Law, Leblanc.... etc.
[74] Madame, t. I, p. 240.
[75] Madame passe tour à tour par la crainte de la petite vérole, de l'inflammation d'intestins, de l'apoplexie, de l'hydropisie de poitrine. Le 23 août 1719, elle écrit : Je crains fort la petite vérole pour mon fils. Il soupe longuement et mange beaucoup ; il est court et rouge : la petite vérole s'attaque volontiers à ces gens-là. (Madame, t. II, p. 147.) Le 9 septembre 1718, il avait eu une attaque d'apoplexie. En 1722, on lui attribua tour à tour une inflammation d'intestins et une hydropisie de poitrine. La cause de ces indispositions paraissait être dans ses excès et les galanteries dont Madame allait jusqu'à redouter des conséquences d'un autre genre, quand elle écrivait : Je crains fort pour mon fils auprès de ces dames qu'il fréquente. Il y a déjà été une fois brûlé. (Ibid., 7 septembre 1717, t. I, p. 343.)
[76] Madame, t. I, p. 283 et 361.
[77] V. Duclos, Mémoires secrets (p. 526), et la Vie privée de Richelieu, par Faur (t. III, p. 117).
[78] Il est bien vrai que les maîtresses de mon fils, si elles l'aimaient véritablement, se préoccuperaient de sa vie et de sa santé..... mais ces maîtresses ne voient que leur plaisir et l'argent. De l'individu, elles ne donneraient pas un cheveu. (Madame, 19 décembre 1717, t. I, p. 359). — On a mis une poudre dans l'œil malade de mon fils..... Il a ri et s'est amusé comme à son ordinaire, M. Gendron a commencé un traitement pour son œil, et il s'en est bien trouvé, mais Gendron était trop sévère pour lui ; il défendait les petits soupers et ce qui s'ensuit, mais cela le contrariait, ainsi que ceux qui sont de ces petits soupers, et qui y trouvent leur profit. (Ibid., 25 novembre 1717, t. I, p. 349.) — Le cardinal de Polignac étant venu le voir, mon fils a très-bien distingué la robe rouge ; il y a donc un mieux sensible. Tant qu'il a été dans les remèdes, il s'est bien préservé de ses excès dans le boire, le manger et l'inconduite de tout genre ; mais je crains bien qu'après sa guérison il ne reprenne sa vie désordonnée. Les dames débauchées se remettront à lui courir après et le ramener à leurs petits soupers ; alors son fils s'enflammera de nouveau. (Ibid., 27 novembre 1717, t. I, p. 351.) — Mon fils a consulté un oculiste qui lui a indiqué de bons remèdes, et il lui a surtout promis de se régler dans le boire et le manger, mais il n'a pu s'y résoudre et il a continué sa vie habituelle. (Ibid., 28 novembre 1717, t. I, p. 353.) — Il est incapable de se soumettre plus de deux ou trois jours à la diète. Beaucoup boire est mauvais pour les yeux. (Ibid., 23 décembre 1717, t. I, p. 361.) — La guérison de l'œil de mon fils ne marche pas, il ne veut se ménager en rien et me fait perdre patience. (Ibid., 13 janvier 1718, t. I, p. 366.) — Mêmes plaintes de Madame, le 26 mai 1718 (t. I, p. 405). — En mars 1719, M. le duc d'Orléans faillit être suffoqué par une indigestion qui avait rendu son visage tout livide et bleuâtre. (Journal manuscrit de la Régence, à la Bibliothèque impériale, t. II, p. 915.)
[79] Les médecins avoient résolu la saignée du pied. Son chirurgien s'étant présenté pour l'exécuter, le prince lui dit : Que veux-tu faire ? va te faire f..... avec les médecins, je ne le veux pas, moi. (Journal manuscrit de la Régence, 24 mars 1722.) Chirac était obligé de le suivre pendant des huit jours, la lancette à la main, avant de se voir écouté.
[80] Mon fils ne se fâche jamais quand on parle contre ses plaisirs. (Madame, 31 juillet 1718, t. I, p. 436.)
[81] Madame, 23 décembre 1717, 10 septembre 1718, t. I, p. 361, 362, et 25 mars 1719, t. II, p. 81.
[82] Madame, 18 et 25 avril 1719, t. II, p. 99 et 97.
[83] Madame, 26 mai 1718, t. I, p. 405.
[84] Madame, 2 janvier 1718, t. I, p. 362.
[85] Madame, 11 juin 1720, t. II, p. 242.
[86] Madame, 19 décembre 1717, t. I, p. 360.
[87] Madame de Parabère eût pu invoquer bien des exemples illustres, comme circonstances atténuantes de ses goûts rabelaisiens. Le sexe, de son temps, aimait fort humer le piot. — S'enivrer, dit Madame, est chose fort commune en France, et madame de Mazarin a laissé une fille, la marquise de Richelieu, qui s'en acquitte à la perfection. (T. I, p. 90.) La lettre est du 7 août 1699. Depuis, les vignes du Seigneur s'emplissent chaque année davantage de belles vagabondes. Le 29 avril 1701, Madame écrit : L'ivrognerie n'est que trop à la mode parmi les jeunes femmes. (t. I, p. 75.) Un peu plus loin, elle ajoute : Les cavaliers boivent aussi volontiers avec la femme de chambre qu'avec sa dame, lorsque celle-ci est coquette ; mais, à dire vrai, ce n'est pas tant ces filles qui boivent ici jusqu'à l'ivrognerie que les personnes de bien plus grande qualité. C'est à cette époque de goguette universelle que les femmes prisaient et avaient souvent le nez sale comme si elles l'avoient mis dans l'ordure, mademoiselle de Valois, par exemple ; et que les filles du roi envoyaient prendre, un jour de belle humeur, les pipes du corps-de-garde des Suisses. Ajoutez à cela la passion du jeu, arrivée à ce point qu'on osait dire à Madame : Vous ne jouez pas, vous n'êtes bonne à rien, et vous aurez une idée de ces femmes endiablées au vin, aux cartes, à l'amour, dont les hauts faits se trouvent dénoncés en tant de passages de Madame et de Saint-Simon. (V. Madame, t. I, p. 238, 348, 357, 361, et t. II, p. 92, 122, 124, 1784 Le vice de l'ivrognerie dont madame de Montespan, madame la Duchesse et madame de Parabère furent les frôles et inébranlables coryphées, compta pour victimes le duc et la duchesse de Berry, la jeune princesse de Conti, femme de M. le Duc, madame de Vendôme, et bien d'autres. (V. Saint-Simon à ces noms. (V. aussi l'Histoire des hôtelleries, cabarets et courtines, par F. Michel et É. Fournier, 1854, t. II, p. 334.)
[88] Madame, 29 mai 1716, t. I, p. 210, et 30 juillet 1720, t. II, p. 257.
[89] Madame, 24 septembre 1715, t. I, p. 191, et 22 novembre 1721, t. II, p. 352.
[90] Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 350 et 357.
[91] V. Mercier, Tableau de Paris, édit. Desnoiresterres, ch. CXIX : Roués.
[92]
L'abbé de Grancey avait toujours eu chez lui un petit sérail. (Madame, 1er octobre 1717, t. I, p. 325.)
[93] L'abbé de Grancey, premier aumônier de M. le duc d'Orléans, médiocre, pauvre, mais fort brave et fort bonhomme, fut tué à deux pas derrière lui (à la bataille de Turin), sur quoi le comte de Roucy disoit que ce pauvre abbé mourroit de joie s'il savoit qu'il a été tué. (Mémoires de Saint-Simon, t. V. p. 248.)
[94] Mémoires pour servir à l'histoire de madame de Maintenon, etc., par La Beaumelle, Amsterdam, 1750, t. V, p. 53, 54.
[95] Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 186. — Voir le t. X, p. 34 à 39, pour le portrait du duc de Noailles.
[96] C'était un homme petillant d'esprit, mais de cet esprit de saillie, de plaisanterie, de légèreté et de bons mots, sans la moindre solidité, sans aucun sens, sans aucune conduite, qui se jeta dans la crapule et dans les plus infâmes débauches, où il se ruina dans une continuelle et profonde obscurité. (Mémoires de Saint-Simon, t. IV, p. 120, 121.)
[97]
Le duc, d'une fort jolie figure, grand ami du Régent
et de toutes ses parties, s'étoit retiré à l'abbaye du Bec, pour y passer le
reste de ses jours dans la dévotion, après avoir vécu dans le monde en homme
fort dissipé. Le voilà donc tout à coup dévot, et écrivant de sa sainte
retraite à M. le duc d'Orléans pour l'engager à l'imiter. Celui-ci ne lui fit
d'autre réponse que ces deux vers d'une chanson de Chaulieu, qu'il inscrivit au
bas de la lettre du duc :
Reviens, Philis, en faveur de tes charmes
Je ferai grâce à ta légèreté.
(Mémoires du marquis d'Argenson, t. I, p. 192.)
[98] Le duc de Brancas lui fit une réponse d'abord plaisante, puis sérieuse, sage et ferme, édifiante et belle, qui ôta toute espérance de retour. Il y passa fort saintement plusieurs années ; plût à Dieu qu'il eût persévéré jusqu'à la fin ! (Mémoires de Saint-Simon, t. XVIII, p. 205.)
[99] Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 283.
[100] Madame, 25 août 1719 et t mars 1740, t. II, p. 148 et 224. — Saint-Simon est plus juste à l'égard de Nocé : D'ailleurs poli, vouloit demeurer à sa place, ne se souciant de rien que de quelque argent, sans être trop avide, pour jeter librement à toutes ses fantaisies. (Mémoires, t. XII, p. 262.)
[101] Portraits intimes du XVIIIe siècle, par Edmond et Jules de Goncourt. Paris, E. Dentu, 1857, t. I, p. 58. — Il est difficile de parler du XVIIIe siècle, dans un langage et avec des détails dignes de lui, sans avoir recours à ces fines et élégantes études, fruits exquis de pénibles recherches.
[102] Journal de Mathieu Marais, avril 1722.
[103] Journal de Mathieu Marais, avril 1722.
[104] Mémoires du Saint-Simon, t. XIV, p. 115.
[105] Madame, 12 novembre 1719, t. II, p. 186.
[106] Madame, 20 février 1720, t. II, p. 221.
[107] Ce comte de Revel, Broglie, mourut d'indigestion. — L'on parlait devant lui et beaucoup de gens de Law et de son système. Il dit qu'il le trouvoit excellent. Sur quoi Law, qui le croyoit de bonne foi, le cita pour exemple à toute l'assemblée. Mais le comte reprit : Je le trouve si bon que je l'ai toujours pratiqué. Car toute ma vie j'ai fait des billets à tout le monde sans savoir comment je les payerois (Math. Marais, 22 août 1720.) — L'abbé de Broglie avait loué au Régent un vin qu'il avait bu. Le Régent en voulut boire. Il lui en envoya 300 bouteilles que le Régent prit, mais il dit à l'abbé qu'il les vouloit payer. L'abbé lui envoya un mémoire par articles : le vin, les bouteilles, les bouchons, la ficelle, la cire d'Espagne, les paniers, le port, et à la fin il mit : Total : L'abbaye du Mont-Saint-Michel. Et il l'a eue. (Ibid., 26 janvier 1721.) — Voir aussi, sur cet abbé, les Mémoires du président Hénault, p. 71.
[108] Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 160, 161.
[109] Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 45 et 46.
[110] Mémoires de Maurepas, t. I, p. 258.
[111] Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 118.
[112] Mémoires de Saint-Simon, t. VIII, p, 77.
[113] Mémoires de Saint-Simon, t. XVII, p. 218.
[114] Mémoires de Saint-Simon, t. XII, p. 166.
[115] Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 155.
[116] Madame, 19 juillet 1716, t. I, p. 552, et 4 juin 1719, t. II, p. 115.
[117] Mémoires de Saint-Simon, t. XV, p. 168. — Simiane mourut en Champagne, chez M. de Provost. Son épitaphe se lit au tome XIX du Recueil Maurepas, en ces termes :
Ci-gist Simiane le buveur,
Qui par amour pour la Champagne,
Voulut mourir au lit d'honneur,
Dans le cellier de sa campagne. (1736.)
[118] Mémoires de Saint-Simon, t. X, p. 156.
[119] Mémoires de Saint-Simon, t. XVII, p. 218.
[120] Math. Marais, 20 juin 1720.
[121] La chère exquise s'apprêtoit dans des endroits faits exprès, de plain-pied, dont tous les ustensiles étoient d'argent ; eux-mêmes mettoient souvent la main à l'œuvre avec les cuisiniers. (Mémoires de Saint-Simon.)
[122] Mon fils sait faire la cuisine ; c'est une chose qu'il a apprise en Espagne. (Madame, 25 novembre 1717, t. I, p. 349.)
[123] Quand mon fils boit un peu trop, il ne fait pas usage de fortes liqueurs, mais de vin de Champagne. (Madame, 13 mai 1716, t. I, p. 240.)
[124] Mathieu Marais, 11 janvier 1721.
[125] Madame de Berry m'a raconté que les plaisanteries de Broglie consistent à dire grossièrement les plus grandes ordures en employant les mots les plus sales. Cela fait rire mon fils. (Madame, 20 février 1720, t. II, p. 221.)
[126] On dit que Nocé dit tout ce qui lui passe par la tête, et qu'il amuse ainsi mon fils et le fait rire. (Madame, 25 août 1718, t. II, p. 147.)
[127] Il y disoit de soi et des autres (Brancas) tout ce qui lui passoit par la tête avec beaucoup de cette sorte d'esprit et de liberté. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 41.)
[128] Math. Marais, 8 juin 1720.
[129] Math. Marais, 8 avril 1723.
[130] Math. Marais, 8 avril 1723.
[131] Madame, 8 octobre 1717 t. I, p 398.
[132] Mémoires de Maurepas, t. III, p. 25.
[133] Le peintre favori du Régent s'était plaint à lui d'un brevet fort malin qui s'attaquait surtout à son fils, faiseur d'opéras médiocres, et l'avait menacé, s'il n'obtenait justice, de s'expatrier. Le Régent avait ri au nez de ce burlesque désespoir. (Mémoires de Maurepas, t. III, p. 29.)
[134] Duclos, Mémoires secrets, collection Michaud, p. 561.
[135] Journal de Barbier, t. I, p. 143.
[136] Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 41.
[137] Math. Marais, 15 juillet 1720.
[138] Math. Marais, 10 août 1723.
[139] Journal de Barbier, t. I, p. 141.
[140] Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 45.
[141] Mémoires de Richelieu (Soulavie), t. II, p. 71.
[142] Madame, 28 juillet 1717, t. I, p.
305.
[143] Vie prisée du maréchal de Richelieu, t. III, p. 245. — La Fare avait eu le bon esprit de s'abstenir de satisfaire ce caprice d'homme ivre. Mais il n'avait pas été si discret que prudent. De là le lendemain une terrible scène entre le Régent et ses maîtresses, et entre La Fare et lui.
[144] La Fare nous proposa de montrer une lanterne magique de sa composition. On prépara l'appartement, et il nous fit passer en revue une partie des gravures de l'Arétin, sur lesquelles il avait fait des couplets analogues. (Vie privée du maréchal de Richelieu, t. III, p. 244.)
[145] Mémoires de Richelieu, t. II, p. 73.
[146] Vie privée du maréchal de Richelieu, t. I, p. 118.
[147] Au Luxembourg, on comptait parmi les convives Riom et le P. Riglet, jésuite, qui en savoit dire des meilleures, et d'autres espèces de canailles, dit Saint-Simon. C'était une idée digne de la duchesse que de faire de son confesseur le témoin de toutes ses fautes pour s'en épargner l'aveu.
[148] On peut voir en raccourci, au t. XIV du Recueil Maurepas, p. 87, ce que c'était qu'une orgie à la Muette.
[149] Mémoires de Richelieu, t. II, p. 119.
[150] Elle ne peut s'habituer à voir en plein Opéra les dames qui portent les plus grands noms, traiter les hommes avec une familiarité qui indique tout autre chose que de la haine. Elle me dit : Madame ! Madame ! je lui réponds : Que voulez-vous que j'y fasse ? ce sont les manières du temps. — Mais ces manières-là sont fort vilaines, réplique-t-elle avec raison. (Madame, 13 mars 1718, t. I, p. 381.)
[151] Chamfort, Pensées et Maximes, Paris, Hetzel, 1859.
[152] C'était en ces séances où chacun étoit repassé, les ministres et les familiers tout au moins comme les autres, avec une liberté qui étoit licence effrénée. Les galanteries présentes et passées de la a ville, sans ménagement ; les vieux contes, les disputes, les plaisanteries, les ridicules ; rien ni personne n'y était épargné. M. le duc d'Orléans y tenoit son coin comme les autres, mais il est très-vrai que très-rarement tous ces propos lui faisaient la moindre impression. (Mémoires de Saint-Simon, t. XIII, p. 357.)
[153] Mémoires de Richelieu, t. III, p. 299. — Vie privée du maréchal de Richelieu, t. I, p. 112 et suivantes.
[154] Tome. II, p. 109, par exemple.
[155] Madame, 28 septembre 1718, t. II, p.5.
[156] V. la note IV de la troisième Philippique, dans l'édition donnée par nous, p. 355.
[157] Mémoires de Saint-Simon.
[158] Duclos, Mémoires secrets, collection Michaud, p. 503.
[159] Les Philippiques de La Grange-Chancel, nouvelle édition, etc., précédée de Mémoires pour servir à l'histoire de La Grange-Chancel et de son temps, etc. ..... par M. de Lescure. Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1858, p. 342 et suivantes.
[160] L'imagination du peuple, dit Lemontey, irritée par le mystère, exagérait la licence de ces orgies. Le Palais-Royal, sourd et impénétrable, apparaissait comme une île infâme retranchée au milieu des misères publiques. Véritable Caprée, où ces pendant manquait un Tibère.
[161] Œuvres de Voltaire, édit. Bouchot. — La Pucelle, notes.
[162] La veille même du lit de justice où fut consommée la dégradation des bâtards, Saint-Simon eut la plus grande peine à faire passer au Régent, en conférence avec ses roués, un billet duquel dépendait le sort de l'entreprise. (Duclos, Mém. secrets, p. 538.)
Lors de la conspiration de Cellamare, les papiers saisis à Poitiers arrivèrent à Dubois, et Dubois les présenta à son maître au moment où il entrait à l'Opéra. Le lendemain matin le Régent, à moitié endormi, bâilla à ce récit des dangers qu'il avait courus, et chargea Dubois du soin de cette affaire par laquelle ce ministre se rendit maitre de la France et de lui. (V. les Mémoires de Saint-Simon, t. XVII, p. 76.)
[163] Ce pouvoir, le Régent lui-même le constate à deux reprises avec la franchise de l'ivresse, mais dans des termes tels que nous ne nous que renvoyer au passage du Journal de Barbier (t. I, p. 109) qui rapporte ses paroles. — Voir aussi le Journal inédit de Math. Marais, à la date du 17 nov. 1720.
[164] Nocé avoit été un temps l'homme de confiance de l'abbé Dubois. Mais il était trop singulier et trop roide pour que cette liaison pût durer ; elle se tourna depuis en froideur, puis en haine ouverte. (Mémoires de Saint-Simon, t. XV, p. 157.) La principale attention du cardinal étant d'éloigner du Régent tous ceux qui étaient dans sa familiarité, il fit exiler le comte de Nocé, un des auteurs de sa fortune, et qui par là méritait sa disgrâce..... Le Régent respectoit la mémoire du père, et s'amusoit fort de l'esprit caustique et plaisant du fils. Mais c'étoit par là qu'il déplaisoit au cardinal qui, depuis leur désunion, car ils avoient été fort unis, étoit devenu l'objet de ses plaisanteries, et qui en redoutoit l'effet dans une cour où les saillies valoient des raisons. (Duclos, Mémoires secrets, p. 590.)
[165] S. A. R. a résolu d'exiler Noyé qui, l'ayant appris, est venu trouver le Régent, et lui a dit qu'il venait pour l'empêcher de faire une mauvaise action en exilant un homme qui lui étoit attaché depuis si longtemps. — Peux-tu croire cela, lui a dit le Régent, toi qui me connois si bien ? — C'est parce que je vous connois, a-t-il répondu, que je n'en doute point. — Aussi le même jour il a reçu l'ordre d'aller en Normandie. (Math. Marais, avril 1722.) D'autres Mémoires disent à Montpellier.
[166] Quelqu'un lui disant, pour le consoler, que cette disgrâce ne seroit pas longue : — Qu'en savez-vous ? dit Nocé. — Je le sais, répondit l'autre, du Régent même. — Et qu'en sait-il ? répliqua Nocé. (Duclos, Mémoires secrets, p. 590.)
[167] Mémoires de Saint-Simon, t. XIX, p. 312.
[168] Voir sur l'exil de Noailles les Mémoires de Saint-Simon, t. XIX, p. 322, Math. Marais (17 juin 1722), et sur son retour, Saint-Simon, t. XX, p. 25, et Math. Marais, à la date des 17 octobre et 12 novembre 1723. — Pour Canillac, consulter le t. XX, p. 25, de Saint-Simon, Duclos, Mémoires secrets, p. 591, et Math. Marais, 17 juin 1722.
[169] Saint-Simon, La Beaumelle, Duclos, Madame, Lemontey, Barbier, Marais, sont unanimes pour constater la discrétion inflexible, en matière d'affaires d'État, que le Régent garda vis-à-vis de ses maîtresses. (La Beaumelle, t. V, p. 267. — Duclos, p. 538. — Barbier, t. I, p. 297 et 308, etc.) Nous n'insistons pas sur ce point qui est hors de conteste.
[170] En vérifiant les procès du duc d'Orléans, on a trouvé son chiffre pour les affaires étrangères, qui est composé des mots les plus infâmes et les plus débauchés qui soient dans toute la langue. Cette invention est toute nouvelle, et digne de lui, qui aimoit toutes les ordures et saletés ; mais comment les étrangers s'en accommodaient-ils ? (Math. Marais, 18 décembre 1723.)
[171] Mémoires de Noailles, coll. Michaud, t. XXXIV, p. 280.
[172] Correspondance secrète, t. XI, p. 126.
[173] Mémoires de Saint-Simon, t. XX, p. 25.
[174] Le prince l'a très-bien reçu, lui a dit qu'il falloit oublier le passé, et qu'il lui accorderoit tout ce qu'il lui demanderait. Nocé lui a dit : — Monseigneur, je vous demande seulement la vie sauve. Vous avez accordé mon exil au cardinal, vous donnerez ma vie au premier qui vous la demandera. — Le duc d'Orléans l'a embrassé, lui a fait mille politesses qui seront peut-être oubliées bientôt. (Journal de Math. Marais, 14 août 1723.)
[175] Madame, 24 octobre 1717, t. I, p. 339.
[176] Mémoires de Saint-Simon, t. XV, p. 288.
[177] Mémoires de Saint-Simon, t. XVII, p. 428, 427, 428.
[178] C'est sans doute à cette querelle que fait allusion le spirituel et érudit annotateur de la Correspondance de Madame, M. G. Brunet, quand il raconte, d'après une autorité qui nous est inconnue qu'un jour, rendant visite à Dubois, elle avait sous sa jupe un bâton dont elle régala tête-à-tête les épaules du visité, pour se venger de ce qu'il avait mal parlé d'elle au Régent. (T. I, p. 240.)
[179] Mémoires de Saint-Simon, t. XVII, p. 429.
[180] Duclos, Mémoires secrets, collection Michaud et Poujoulat, p. 561.
[181] Greluchon est un vieux mot qui signifie amant de cœur. — Ce greluchon, à notre avis, ne devait être autre que Beringhem, dont nous allons parler, à moins que ce ne fût Nocé..... ou un autre.
[182] Mémoires de Saint-Simon, t. XVII, p. 430.
[183] Math. Marais, 20 nov. 1720.
[184] D'après Marais, madame de Sabran aurait donc précédé madame de Parabère. C'est possible. Nous avons pourtant adopté l'ordre indiqué par les Mémoires de Maurepas. Il est bien possible que de 1715 à 1720, il y ait eu une première interruption dans la faveur de madame de Parabère. Nous ne l'effacerons pourtant de la scène qu'à sa disgrâce complète. Marais lui-même nous laisse, d'ailleurs, toute liberté pour l'ordre chronologique des maîtresses, quand il les qualifie très-justement de maîtresses alternatives et consécutives. Madame de Sabran est plutôt enfin une figurante, dans les amours du Régent, qu'une maîtresse. Elle a trop d'esprit et de franchise pour le fixer. Elle a sa part de biographie dans toutes ces biographies, comme elle eut dans chacune de ces faveurs déjà passagères, son coin d’éphémère faveur.
[185] Journal manuscrit de Mathieu Marais, 14 novembre 1720.
[186] Journal de Mathieu Marais, 13 novembre 1720.
[187] Journal de Mathieu Marais, 5 décembre 1720.
[188] Journal de Mathieu Marais, 13 décembre 1720.
[189] Journal de Mathieu Marais, vendredi 10 janvier 1721. — A l'abondance de renseignements que nous lui devons, on comprend l'intérêt de ce curieux journal manuscrit, que nous avons été autorisé à publier, et dont le premier volume est sous presse (octobre 1860).
[190] Journal de Math. Marais, 14 janvier 1721.
[191] Journal de Math. Marais, 1er décembre 1723. — Voir, sur le chevalier de Beringhem et sa famille, les Mémoires de Saint-Simon, t. XX, p. 85 ; Le Place, Pièces intéressantes et peu connues, etc., t. II, p. 83, et Math. Marais, à la date du 3 mai 1723.
[192] Madame de Parabère, qui a toujours été du parti opposé (aux frères Pâris), s'est raccommodée tout à fait avec le Régent, et l'on dit que les Pâris, à qui se fait ce grand sacrifice, l'ont bien payée. (Math. Marais, 7 avril 1721.)
[193] Math. Marais, 18 janvier 1721.
[194] Journal de Math. Marais, 24 avril 1721.
[195] Madame, 17 novembre 1717, t. I, p. 343. — Souvenirs de madame de Caylus, p. 509.
[196] Madame l'accuse d'avoir regardé le chevalier de Roye d'un œil trop favorable. (19 mars 1716, t. I, p. 223.) — Le duc d'Orléans lui-même ne put se défendre de soupçons qu'il exprima avec une grande vivacité, en présence de Saint-Simon et du maréchal de Bezons. (Saint-Simon, t. VIII, p. 21 à 24.)
[197] L'amour dans le mariage n'est plus du tout à la mode, et passerait pour ridicule, disait Madame dès le 9 septembre 1697.
[198] Il est fâcheux, mais il n'est que trop vrai que madame d'Orléans n'est pas du tout jalouse de la personne de mon fils, mais seulement de l'autorité. Elle est vexée de l'idée qu'une autre qu'elle pourrait le gouverner. (Madame, 26 juillet 1718, t. I, p. 432.) Il n'était permis d'être jalouse que de cette façon-là.
[199] Madame, 25 février 1719, t. II, p. 71.
[200] Madame, 11 novembre 1718, t. II, p. 29. — Madame d'Orléans a un grand crédit sur l'esprit de mon fils. (Ibid., 13 décembre 1718, t. II, p. 41.)
[201] Cette indifférence attestée par Madame ne fut un mystère pour personne, même pour le peuple. Aussi les chansonniers, dans leurs proverbes satiriques, appliquent-ils à madame d'Orléans celui-ci : Qui ne dit mot consent. (Recueil Maurepas, t. XXX, p. 1716.) — V. Duclos, Mémoires secrets, collection Michaud, p. 495. — Les Mélanges de Boisjourdain, et les Mémoires de Maurepas.
[202] Mathieu Marais, 6 juin 1721. — M. de Noué avait aussi une terre à Boran, peut-être la même.
[203] En dépit d'une chanson ironique qu'on peut lire au Recueil Maurepas, et dans laquelle, en termes de bergerie fort en usage à cette époque de fausse simplicité et de fausse sentimentalité, madame de Para-hère déplore sa disgrâce dans la langue future de Florian, la leste et joyeuse femme parait avoir pris très-philosophiquement son malheur. Marais nous la montre à quelque temps de là assise dans une loge avec mesdames du Brossay et de Flavacourt, et criant gaiement au prince qui se détourne : Monseigneur, regardez donc encore une fois votre vieux sérail !
[204] Math. Marais, 6 juin 1721. — M. de Beringhem devait avoir été exilé à Limoges et non à Dijon. — Voir sur les Breteuil, leur origine, leur souplesse, leur intrigue, leur fortune, Saint-Simon, t. XV et XIX, p. 450, et Mathieu Marais, à la date du 18 mai 1721. On sait que l'intendant de Limoges avait rendu à Dubois le service de le débarrasser d'une femme d'autant plus gênante, pour ce singulier archevêque, qu'elle était légitime.
[205] Excellente définition de la dévotion, par une femme qui n'est pas devenue dévote : La dévotion des femmes n'est le plus souvent que de la coquetterie avec Dieu. Cela occupe, amuse, et n'engage point. (Pensées, Réflexions et Maximes, par Daniel Stern. Paris, Techener, 1876, p. 64.)
[206] Madame de Parabère.... joue un rôle charmant dans les lettres d'Aïssé, et, comme dit celle-ci : elle a pour moi des façons touchantes..... Il a dû être beaucoup pardonné à madame de Parabère, pour cette conduite tendre, dévouée, compatissante, pour cette œuvre de Samaritaine. (Sainte-Beuve, Notice sur mademoiselle Aïssé, dans les Lettres, éd. F. Dentu, Paris, 1853, p. 43.)
[207] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 92.
[208] Disons tout de suite que Henri-Camille, marquis de Beringhem, premier écuyer du roi, né à Paris le 1er août 1693, mourut en 1730.
[209] Ce d'Alincourt, clair de lune de Richelieu, eut une assez belle part de conquêtes. Il fut tour à tour l'amant favorisé de madame de Prie, de madame d'Averne et de madame de Parabère.
[210] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 102, 103.
[211] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 123.
[212] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 172.
[213] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 184.
[214] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 184.
[215] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 187. Ce La Mothe Houdancourt est, à la p. 183 : Le beau de La Mothe Houdancourt, recherché des plus belles et des plus riches dames de la cour. Il a donné congé à madame la duchesse de Duras pour la Antier, dont il est fou ; il ne la quitte point, et on les prie à souper, comme mari et femme. On dit que c'est charmant de voir l'étonnement de la Antier ; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi réciproque. Le rôle de Cérès a fait nem cette passion.
[216] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 187, 188.
[217] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 236.
[218] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 258, 259.
[219] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 257.
[220] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 253 et 264.
[221] Lettres de mademoiselle Aïssé, p. 269.
[222] Vie privée du maréchal de Richelieu, t. II, p. 462.
[223] Mémoires du marquis d'Argenson, édition Jannet, t. II, p. 94, 95.
[224] Les coquettes se flattent que Notre-Seigneur, ayant montré, d'après la Sainte Écriture, tant de charité pour les personnes de leur espèce, il aura aussi compassion de leur faiblesse. L'exemple de Marie-Madeleine, de la femme adultère, de la Samaritaine, leur sourit. (Madame, t. I, p. 73.)
[225] M. le Régent disoit à madame de Parabère dévote, qui, pour lui plaire, tenoit quelques discours peu chrétiens : Tu as beau faire, tu seras sauvée. (Maximes et pensées de Chamfort, publiées par Hetzel.)