LES MAÎTRESSES DU RÉGENT

LES GRANDES MAÎTRESSES

 

II. — MADEMOISELLE FLORENCE.

 

 

C'est de la Régence que date le prestige de l'Opéra.

Ce théâtre avait acquis une faveur populaire, qu'il n'avait jamais eue. Ses recettes furent triplées pendant les années du système. Les nouveautés s'y succédaient rapidement, et l'on y traita des sujets purement tragiques. L'opéra s'exécutait avec un plus grand luxe de machines qu'aujourd'hui. On peut en juger en lisant, dans les Œuvres de Valentin Jameray Duval, la relation très-naïve d'une représentation d'Isis, où le savant Beryer pensa devenir fou en 1718[1].

A ces séductions d'un spectacle magique, il faut ajouter l'attrait des bals de l'Opéra[2], qui eurent bientôt une vogue si prodigieuse et une si grande influence sur les mœurs françaises. La musique et les vers faisaient le triomphé des cantatrices. On leur permettait d'être laides avec de belles voix, et plus d'une abusa de la permission[3]. Le public, tout entier au plaisir de l'oreille, en oubliait un peu celui des yeux, bien qu'il fit très-sensible au bonheur de les trouver réunis. D'ailleurs, des études pénibles et absorbantes, les soins d'un art qu'on oublie dés qu'on ne l'apprend plus, les nécessités d'une vie qui n'a pas le temps des soucis matériels, et où les riches toilettes sont un devoir de profession, tout cela réservait les faveurs des princesses du chant à des amants choisis et faits pour défier la prodigalité. Il leur était d'ailleurs difficile de les multiplier, car la voix se ressent chez les cantatrices des faiblesses du cœur, et de tout temps elles ont ménagé l'un pour conserver l'autre.

Quant aux danseuses, c'est autre chose. L'art, dans le sens élevé du mot, fut toujours leur moindre souci. C'est une question de jambe levée plus ou moins haut, voilà tout. Aussi, abandonnent-elles volontiers à leurs rivales les laborieux triomphes de la scène, et consentent-elles à faire seulement la décoration du spectacle. Elles savent déjà que leur succès n'est pas là, et que le ballet n'est qu'une exhibition.

Mais comme elles prennent leur revanche, ces femmes-démons, au pied et au cœur ailés, à la tête d'alouette, à l'estomac d'autruche, lorsque, descendues de la scène sur le plancher mouvant des bals de l'Opéra, elles viennent, l'œil provoquant, le sourire fixé aux lèvres, offrir au spectateur encore ébloui l'étrange et piquante surprise de leur familiarité ! Les voir de près, ces nymphes, ces sylphides, les contempler à son aise, leur presser la main, leur serrer la taille sans qu'elles s'envolent, leur offrir à souper sans qu'elles s'offensent, voilà une occasion à laquelle la plus bourgeoise sagesse, la plus janséniste indifférence ne résistent pas. Ajoutez à cela l'effet de celte atmosphère ardente, enivrante, qui endort tout scrupule et tout remords, ces lustres étincelants, ces entrainants accords, et vous aurez une idée des folies que le bal de l'Opéra, c'est-à-dire le corps de ballet à portée de la vue et de la main, les divinités de tout à l'heure devenues, au profit de tout adorateur entreprenant, de simples mortelles, — ont fait faire à la France[4].

Le bal de l'Opéra sauva peut-être le Régent d'une révolution. Il faut voir dans Barbier et dans Mathieu Marais les Parisiens affolés courant y porter leur dernier argent et y oubliant gaiement jusqu'à la banqueroute[5].

Cette invasion du corps de ballet dans les mœurs y changea bien des choses. Plus d'un antique préjugé tomba sous ces espiègles mains, et l'égalité fit un pas, pliée à ces baisers qui confondaient les rangs.

De 1720 à 1760, en ces quarante années, que de surprises, que de colères, que de hontes, pour un homme qui serait resté pétrifié dans les usages décents, dans les solennelles habitudes du siècle de Louis XIV, et qui se réveillerait de temps en temps au bruit des antiques traditions qui s'écroulent !

Il avait murmuré sans doute, l'immuable gentilhomme, lors de ces fameuses lettres patentes de 1669, données par Louis XIV à l'abbé Perrin :

Nous voulons et nous plaist que tous gentilshommes et damoiselles puissent chanter auxdites pièces et représentations de notre Académie royale, sans que, pour ce, ils soient censés déroger audit titre de noblesse, ni à leurs privilèges, droits et immunités.

Il avait frémi à la pensée que mesdemoiselles de Castilly, de Saint-Christophe, de Camargo demeuraient noies comme devant, et que les sieurs Borel du Miracle, de Chassé, seigneur du Ponceau, jouiraient de tous les privilèges de leur naissance et conserveraient, s'ils l'avaient, jusqu'au droit de communier avec l'épée.

Après tout, cette dérogation à la sévérité des traditions féodales n'était qu'une exception et ne s'appliquait qu'à très-peu de personnes.

On savait bien que les grands seigneurs à la mode admettaient à leurs soupers les grands chanteurs du temps, que le chevalier de Bouillon et M. de Lorge ne dédaignaient pas de choquer leur verre contre le verre de Thévenard et de Dumesnil. Mais c'était leur ver ré d'orgie. Ils frayaient ensemble, le duc et l'acteur, pour ainsi dire incognito, et le chevalier de Bouillon pris en flagrant délit de familiarité avec Thévenard, le déguisait sous la majesté du titre de comte d'Holstein-Ploen[6].

Thévenard partageait avec Baron le privilège de ne point trouver de cruelles. Ils avaient chacun leur bonnet de nuit chez maintes duchesses, quelquefois tous deux chez la même. Tout cela ne tirait pas à conséquence. On en haussait les épaules comme d'un caprice bizarre, d'une dépravation de goût. On appelait ces liaisons malsaines les envies de madame d'Albret ou de madame de Luxembourg. Personne, mari ou amant, n'eût consenti à se montrer jaloux d'un partage ridicule.

On savait tout cela. On savait que madame de Montespan avait un faible pour Lulli, et l'on ne s'en étonnait pas trop. On ne s'inquiétait même pas que Louis XIV, par un royal caprice, s'amusât à payer à plusieurs reprises les dettes toujours renouvelées du chanteur Boutelou[7] et protégeât les malices de Gaye contre le ressentiment de l'archet-hue de Reims.

Malgré tout cela, le débordement des mœurs n'entamait que lentement, à la façon de la goutte d'eau creusant la pierre, le mur toujours solide des anciennes incompatibilités. De temps en temps d'ailleurs, le sang se révoltait, le marquis mécontent jetait à la porte son ami improvisé ou, pour le châtier, empruntait le bâton d'un laquais. Do temps en temps, l'orgueil patricien se redressait, comme un ressort longtemps comprimé, chez la grande dame déchue, et souffletait le roturier dans son indigne amant.

Le principe était sauf, on s'encanaillait discrètement, on polissonnait à huis clos. On savait bien que Monseigneur le Dauphin avait préféré la Raisin à madame du Roure, mais il ne l'avouait pas. On savait bien que M. le duc de Chartres courait le guilledou des actrices. Mais il ne se vantait pas de ces bonnes fortunes, dont d'Argenson seul avait la confidence. Deux membres de la noblesse, et de la meilleure, le grand prieur de Vendôme et le prince de Léon, avaient agi avec moins de retenue. Mais, la réprobation universelle avait puni l'un de ses bravades ; l'autre avait vu sa maîtresse expier dans un couvent des charmes trop séduisants.

Sur la fin du règne de Louis XIV, il y eut comme une espèce de débâcle, la décadence des mœurs suivit presque immédiatement celle de son pouvoir, et, avant de mourir, le grand roi put assister à une sorte de regain de la Fronde, à une dissolution simultanée des principes moraux et de l'autorité politique. C'est alors qu'aux spirituels reproches d'un Coulanges, mettant en chansons la ruine de l'ancienne politesse, et aux regrets anodins de madame du Noyer, succèdent les constatations stupéfiées de l'agent chargé par Letellier de la police des mœurs, et les verbeuses doléances, les humoristiques anathèmes de Madame.

Bientôt l'écluse crève, et le flot de corruption monte sans obstacle. L'exception devient la règle. L'Opéra et la Comédie ne fournissent plus des maîtresses aux princes seulement, ils eu fournissent à tout le monde. On comptait hier les déserteurs de la foi conjugale ou du respect humain, les orgies de Clichy, les soupers d'Anet, les promenades de Saint-Cloud et les nymphes de théâtre prenant hors de la scène les licences mythologiques, les Moreau, les Desmâtins, les Dufort, etc. Aujourd'hui l'on ne compte plus. Intrigues d'amour, intrigues d'amour-propre, intrigues d'argent, tel est le triple thème de toutes les variations, le triple sujet des conversations et le triple objet des actes.

La chanteuse domine, la danseuse règne, la figurante a du crédit et la choriste a du pouvoir. L'ouvreuse de loges est un personnage, et le valet de coulisses prime le laquais de grande maison. La ville est devenue la succursale du théâtre, sous un prince artiste et galant qui fait des opéras, et qui mord le premier à tous les fruits nouveaux de l'espalier de la danse.

Le temps n'est plus où M. le Duc refusait de prendre parti pour les Loison, ses maîtresses, dans un conflit avec des bourgeoises, et leur disait sans façon : Mesdames, je veux bien partager vos plaisirs, mais non pas vos querelles[8]. Les billets doux ont aujourd'hui, pour parvenir à tout, remplacé les billets de confession. L'ambitieux doit avoir fait ses preuves avec les femmes, et le duc de Noailles, qui convoite le pouvoir, s'empresse de prendre une maîtresse. Les filles d'Opéra font florès. Elles sont cotées comme les actions de la rue Quincampoix. Émilie, les Souris, la Le Roy, voltigent du duc de Mazarin à Fimarcon, de Richelieu à Château-Renault, de tous au Régent. La comédienne regimbe contre l'édit et porte en défi les étoffes et les pierreries proscrites. La Dangeville met une robe d'indienne défendue, et le duc d'Aumont, tout apoplectique qu'il est, la mène par la main chez le lieutenant de police et va demander grées pour elle. Et, à mesure que ces femmes sont estimées, elles méprisent. Leur dédain est en raison directe du respect qu'on leur prostitue. Cette même Dangeville renvoie tranquillement dans un fiacre, côte à côte entre un chirurgien et un laquais, ce même duc d'Aumont, tombé chez elle en apoplexie, se faire soigner chez lui.

Les rivalités d'amour-propre ou d'amour entre actrices, deviennent le bruit de la ville et la passion des cercles et des salons. A défaut de mieux, l'histoire de l'Opéra devient l'histoire de la France. Madame de Duras prend parti pour la Pélissier contre la Le Maure, que soutient madame de Parabère :

Et voilà la guerre allumée ;

et les deux grandes dames affichent avec éclat une haine qui n'a d'autre objet que cette rivalité de protection.

Que dirait-il, cet inflexible témoin des temps écoulés, s'il assistait à ces curieux témoignages de l'abaissement des passions ; à cette implacable vengeance, à cette revanche effrontée, tirée par la fille d'Opéra de l'humiliation séculaire ? Que dirait-il, en lisant le procès de la demoiselle Prévost contre le bailli de Mesme, ruiné par elle ; s'il entendait les révélations infamantes, les terribles accusations qui suivent la mort prématurée de mademoiselle Lecouvreur, et qui, pour soulever les voiles qui cachent le secret de sa fin, écartent d'abord ceux sous lesquels la duchesse de Bouillon a en vain essayé de dérober sa vie ?

Que dirait-il, s'il avait vu, du vivant de cette noble, après tout, et héroïque Lecouvreur, le maréchal de Saxe, son amant, accepter d'elle, dans un moment précaire, les quarante mille livres qui sont le produit de sa fortune et de sa toilette engagées ; et, après sa mort, un conseiller au Parlement, M. Ferriol d'Argental, accepter les fonctions d'exécuteur testamentaire ?

Le temps va venir des Sophie Arnoult, des Duthé, des Guimart, des carrosses à six chevaux traînant à grandes guides le déshonneur des d'Hénin, des Soubise, des Lauraguais ; et des prodigalités folles, et des fêtes de la prostitution éclipsant celles de la royauté ; et des duels ridicules, et des banqueroutes inouïes. Le temps va venir des ventes cyniques, des exhibitions insolentes, des périodiques adieux jetés au public par des favorites qui ne s'éloignent que pour revenir, qui ne reculent que pour mieux sauter, et qui, Galatées de l'encan, veulent voir encore tout Paris, tout Paris honnête et titré, envoyer ses carrosses à leur porte et s'écraser dans leur antichambre, et disputer au commissaire-priseur les débris souillés des gloires d'alcôve, les impures reliques des fortunes qui font rougir à la fois l'art et la morale.

Le temps va venir enfin des ventes forcées de mademoiselle Lecouvreur, dont la Pélissier achètera les dépouilles à forfait ; de mademoiselle Deschamps et de tant d'autres qui, comme elles, avaient économisé des millions sur des appointements qui variaient de 400 à 6.000 livres.

Le temps n'est pas loin où un duc de La Vallière deviendra amoureux de la petite Lacour parce qu'il lui sera arrivé de dire, par une ironie sacrilège, que les diamants sont la croix de Saint-Louis de son état, et, entièrement subjugué, se mettra à genoux devant elle, sur son cordon bleu, et baissera la tête sous cet ordre ignominieux : A genoux, vieille ducaille !

Mais parlons un peu, puisque nous avons plusieurs fois prononcé son nom, de cette Pélissier, dont la scandaleuse histoire peut résumer toutes les contradictions et toutes les anomalies nées du sans-gêne de la Régence. On trouve tout le monde dans cette histoire, jusqu'au curé de Saint-Sulpice[9]. Femme d'un entrepreneur de l'Opéra, à Rouen, c'est son mari qui négocie son déshonneur. C'est une grande dame tombée dans la bohême, madame du Tort, sœur du comte de Noce, qui aide de ses intrigues ce plénipotentiaire sans scrupules. La toile tendue, un juif y est pris, un juif de beau rapport, ma foi I huit cent mille livres de rente. Mais la Pélissier ne prétendait pas se gêner pour cela, et dans cet amour où elle voulait avoir toutes ses aises, elle essaya de conserver à Francœur, violon de l'Opéra, la place du tiers. Du Lis, trahi, berné, au quart ruiné, s'avise de réclamer des dons qu'il n'a pas donnés, des cadeaux qu'il n'a pas faits[10]. Et il se conduisait bien cependant, ce du Lis ; il donnait un jour soixante mille livres de pierreries, il était toujours le premier au balcon de l'Opéra et allait au Cours avec sa maîtresse dans une voiture a six chevaux, au milieu de la file, comme les princesses. Tout cela valait bien le droit de se venger un peu. Du Lis en essaya. Un de ses valets vint à Paris — il s'était retiré en Hollande — pour embaucher quelques gardes françaises. Il s'agissait de balafrer légèrement l'infidèle, de bâtonner quelque peu le rival. Une misère. L'affaire se découvre. On roue le valet, on emprisonne les gardes françaises, et du Lis, condamné à être rompu vif, est exécuté en effigie.

Voilà comment le Parlement, en mai 1731, faisait respecter l'inviolabilité de la chanteuse et l'inviolabilité du violon. On n'avait pas, comme le remarquait Barbier, fait tant de façons pour Voltaire :

Admirez combien l'on estime

Le coup d'archet plus que la rime ;

Que Voltaire soit assommé,

Thémis s'en tait, la cour s'en joue !

Que Francœur ne soit qu'alarmé,

Le seul complot mène à la roue[11].

Ne vous étonnez donc pas que Madame tremble lorsqu'une mère par trop insouciante laisse aller son fils, le propre duc de Chartres, au bal de l'Opéra. Madame d'Orléans cependant avait quelque raison de s'en méfier et savait fort bien ce qu'un mari peut rapporter dé là à sa femme. C'est à l'Opéra que le duc d'Orléans avait rencontré la Florence, et cette rencontre avait eu des suites. Le jeune duc de Chartres, qu'on voulait déniaiser, pouvait, lui aussi, en revenir avec trop d'esprit[12]. Et il n'en fallait guère, je vous jure, pour être heureux de ces faciles bonheurs ! On peut en juger par les vers suivants qui nous donnent des renseignements précieux sur les habitudes, et, comment dirai-je ? le tarif des filles d'Opéra de cette époque[13] :

Ce beau lieu fournit des belles,

A tous les gens d'a-présent :

Des Mâtins pour de l'argent,

La Moreau pour des dentelles,

La Grand Guyard pour son pain,

La Rochon. . . . . . pour rien ;

La Déchar pour l'abondance,

La Renaud pour un habit,

La Maté pour le déduit,

Des Places pour la finance,

La Du Fort pour des bijoux,

Ah ! que les hommes sont fous !

La Florence pour des meubles,

La Ducais à tous venants,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et la Denis pour des gants.

La Subligny est toute seule,

La Borgnon n'a pas un chat ![14]

Telle était, en l'an de grâce 1706, la statistique galante de l'Opéra, popularisée par la chanson. Voilà ce que le spectateur devait savoir lorsqu'il se hasardait à pousser une pointe d'exploration dans les mystères de la coulisse, pays enchanteur et décevant, dont Dufresny a donné ce joli croquis :

L'Opéra est un séjour enchanté ; c'est le pays des métamorphoses ; en un clin d'œil les hommes deviennent des dieux, et les déesses s'humanisent. Là le voyageur n'a pas besoin de courir les pays, ce sont les pays qui voyagent....

Celles de l'Opéra — les fées — enchantent ainsi que celles de nos contes, mais leur art est plus naturel. Ordinairement, elles sont bienfaisantes, cependant elles n'accordent point à ceux qu'elles aiment le don des richesses, elles le gardent pour elles.

Disons un mot des habitants du pays de l'Opéra. Ce sont des peuples un peu bizarres, ils ne parlent qu'en chantant, ne marchent qu'en dansant, et font souvent l'un et l'autre lorsqu'ils en ont le moins d'envie.

Le raisonnement est rare parmi ces peuples. Comme ils ont la tête pleine de musique, ils ne pensent que des chants et n'expriment que des sons. Cependant ils ont poussé si la science des notes, que si le raisonnement se pouvoit noter, ils raisonneroient tous à livre ouvert.

S'il ne raisonnait guère, ce gentil petit peuple, il comptait déjà fort bien. Et, il faut le dire, il n'en pouvait guère être autrement en présence- d'une insuffisance d'appointements qui ne laissait aucune actrice hors de la nécessité d'y suppléer.

Au temps où le Régent put connaitre Florence, des actrices de l'Opéra ayant tenu le premier emploi, les demoiselles Aubry et Verdier, n'avaient qu'une seule chambre pour asile et couchaient dans le même lit. Le Règlement concernant l'Opéra du 11 janvier 1713 donnait aux danseuses de 400 à 900 livres. Mademoiselle Pélissier devait arriver progressivement à 4.000 livres d'appointements. Mademoiselle Deschamps, que ses prodigalités rendirent si célèbre, avait juste 400 livres[15]. En 1778, même lorsque le budget de l'Opéra, de 217.050 livres fut arrivé à 907.582, mademoiselle Guimard[16] n'avait que 6.800 fr.[17].

On devine sans peine par quels moyens les filles d'Opéra parvenaient à joindre, comme on dit, les deux bouts et à se faire un sort sur la fin. Les nécessités auxquelles les réduisait la parcimonie officielle étaient même si évidentes qu'elles ne s'en gênaient pas, et que plus d'une dut chanter gaiement le malicieux refrain de Dufay, un des chansonniers à la mode :

Sur l'air du Bransle de Metz.

Chez les filles de l'Opéra,

On danse un joli bransle,

Dès le matin, quand on y va

Ah ! bonjour, monsieur, vous voilà,

Venez-vous pour le brande ;

Si vous payez, l'on dansera,

Point d'argent, point de bransle[18].

Que l'on juge maintenant des dangers qu'il y avait pour un jeune homme dans un pareil commerce, et du ravage que durent faire dans les cœurs et les fortunes ces bals masqués dont la vogue devint telle que, depuis l'année 1716, leur nombre se multiplia jusqu'à huit par semaine, et que la salle de l'Académie française — horresco referens ! — dut alterner avec la salle de l'Opéra pour leur donner asile[19].

Une seule chose nous étonne, c'est que le duc de Chartres ait tourné ses préférences du côté de Melpomène[20] et ne se soit pas immédiatement jeté dans les bras de Terpsichore. Melpomène, elle aussi, du reste, faisait des conquêtes et mettait les cerveaux à l'envers. On peut lire dans les Lettres de mademoiselle Aïssé[21] la très-plaisante histoire de ce chanoine de Notre-Dame, fameux janséniste figé de soixante-dix ans qui, succombant à l'envie de voir, au moins une fois avant de mourir, la comédie, s'y rend affublé des hardes de sa grand’mère, arrive à l'amphithéâtre, la cornette haute, l'habit troussé et tous les falbalas imaginés en ce temps-là pour suppléer aux paniers, y fait rire, puis murmurer, veut s'esquiver et tombe dans la salle des exempts qui l'arrêtent et le mènent au lieutenant de police.

Avec le bal de l'Opéra, plus de ces précautions à prendre et de ces surprises à craindre. Le déguisement n'y est plus une exception défendue, c'est une règle qui y permet tout. On n'a pas encore trop gâté le métier aux bons bourgeois, et la galanterie, bien qu'elle y ait toutes ses aises, n'est pas encore dispensée d'esprit. On y pense bien déjà que l'amour est rarement un sentiment profond, mais seulement un prétexte d'avoir et de donner du plaisir[22] ; mais on n'y a pas encore affiché ce cynisme qui encanaillera de plus en plus l'Opéra et dont il est trop resté dans le pamphlet fameux intitulé : Statuts de l'Opéra, et dore les anecdotes effarouchent jusqu'à l'oreille d'un agent de la police secrète[23].

La Florence, dont nous allons nous occuper exclusivement, et dont les couplets cités plus haut nous ont révélé les goûts solides et le penchant à se ranger, faisait partie de ce corps de ballet méprisable, adorable, redoutable, méprisé, adoré et même redouté, qui se moquait de toutes les lois qu'il n'avait pas faites, et ne craignait ni Dieu ni beaucoup le lieutenant de police.

Dansait-elle bien ? dansait-elle mal ? il nous a été impossible de le savoir, et nous n'avons que la légèreté de son cœur pour croire à la légèreté de ses pieds. Mais cela suffit, comme on va voir, pour donner l'idée d'un rare talent chorégraphique. L'art de la pirouette ne dut point avoir de secret pour celle qui eut si bien l'art de l'infidélité.

Quoi qu'il en soit, les témoignages habituels en pareil cas sont muets à l'endroit de Florence, et l'auteur gravement minutieux qui enregistre tout ce qui s'est fait, dit on chanté à l'Opéra depuis 1660, Durey de Noinville, ne fait aucune mention de Florence en dépit du relief que devaient lui donner, à défaut d'autres succès, ceux de l'amour. Le galant historiographe auquel nous devons le profil de toutes les danseuses célèbres du XVIIe et du XVIIIe siècle[24] : la Fontaine, la Subligny, la Desmâtins, la Guyot, la Prévost, la Salle, la Camargo ; qui tresse des couronnes à Le Maure et à Antier, et jette des fleurs jusque sur la tombe de mademoiselle Pélissier, n'a pas gardé pour Florence la moindre feuille de myrte ou de laurier. Il n'insère pas même son nom dans le bulletin complet donné par lui du personnel lyrique et dansant des opéras joués depuis 1660.

La Florence parait cependant avoir eu tout ce qu'il fallait à une danseuse pour réussir. Elle était bête.

La mère de l'abbé de Saint-Albin était fort belle, mais elle n'avait nul esprit ; c'était une sotte ; lorsqu'on la voyait on aurait pensé, avec ses jolies mines, que personne n'était plus fin qu'elle[25].

Écoutons maintenant la chronique scandaleuse du temps, qui eut son digne ministre dans M. de Maurepas[26] :

Les amours de M. le duc d'Orléans avec la Desmares furent interrompues par le goût qu'il prit pour la Florence, danseuse de l'Opéra qui avoit, en ce temps-là, sur son compte, M. Mittantier, greffier en chef de l'Hôtel de ville de Paris, et qu'elle ne quitta point pour ce prince[27].

Quelques mots de commentaires sur ces lignes si pleines de choses.

La beauté de Florence, affirmée par Madame, est aussi peu contestée que l'est son talent. C'était, dit Boisjourdain[28], une danseuse de l'Opéra, très-belle personne pour qui le Régent marqua un goût soutenu pendant quelque temps.

Le Recueil Maurepas, peu indulgent sous ce rapport, constate cette splendide beauté par un couplet admiratif que nous retrouvons à la date de 1696 et de 1706, et dont nous ne pouvons donner que les deux premiers vers, laissant au lecteur le soin de suppléer au reste :

Mon Dieu ! que Florence est jolie,

Je voudrois bien, etc.,

La liaison du duc de Chartres et de Florence doit prendre la date de 1696. Un couplet de cette époque nous le montre fort entiché d'elle. C'est le 219* couplet d'un noël, forme satirique fort en usage, comme on sait, à cette époque :

De Chartres, dans l'étable,

Ne pouvant demeurer,

S'il ne voit son aimable

Qu'il fait ai bien danser,

De tous ces faux dévots évitant la présence,

Et la dévotion, — dondon,

S'en, vint à l'Opéra, — la la,

Retrouver la Florence.

Un noël de 1697 nous montre encore le duc de Chartres, mais cette fois accompagné de sa belle :

Une troupe joyeuse

De Paris arriva,

C'estoient les plus joyeuses (sic)

Filles de l'Opéra.

Lors, du qu'en dira-t-on

Sans trop se mettre en peine,

Des seigneurs qui estoient là, — là,

Chacun fut au poupon, — dondon,

Lui présenter la sienne.

Monsieur le duc de Chartres,

Comme prince du sang,

Faisait le diable à quatre

Pour avoir le devant.

Il tenoit par la main

La charmante Florence,

Que trop de vermillon, — dondon,

Rendait cette nuit-là, — la la,

Affreuse à l'assistance.

Enfin, un autre couplet de 1697 nous apprend que la faveur dont jouissait la danseuse eut à subir plus d'une concurrence, et fit envie aux duchesses. Le couplet dont nous parlons attribue ces velléités intéressées à Marie-Charlotte Mazarini, femme de Louis de Vignerot, marquis de Richelieu :

Elle n'aime pas l'argent,

Et refuse les amants,

Ce n'est qu'une médisance,

Mais la place de Florence,

A ce qu'on dit, l'a tentée

Pour un petit-fils de France ;

C'est la pure vérité.

L'annotateur du Recueil de Maurepas nous donne à ce propos un renseignement qui nous explique l'absence du nom de Florence sur les registres de l'Opéra, et l'absence, sur ce nom, de toute auréole artistique. Le duc de Chartres l'avait retirée du théâtre.

Madame du Noyer, dans sa première Lettre, constate le fait et le donne comme presque contemporain du mariage même du duc d'Orléans.

Reprenons maintenant le récit des Mémoires de Maurepas :

Elle devint grosse et eut un garçon[29] qui a été baptisé à Saint-Eustache, comme fils du sieur Coche, valet de chambre de M. le duc d'Orléans. C'est ce fils que M. le duc d'Orléans a reconnu depuis sous le nom d'abbé de Saint-Albin, à la sollicitation de Madame, qui l'aimoit beaucoup par rapport au père Lignères, à qui il faisoit régulièrement sa cour[30].

Madame raffolait de l'abbé de Saint-Albin. Elle dérogea à l'étiquette, dont elle était si entichée, jusqu'à assister à sa thèse en Sorbonne.

Elle l'appelle à deux reprises, c'est-à-dire constamment, mon abbé de Saint-Albin. Au mépris même de la tache originelle, elle n'hésite pas à le préférer à ses petits-enfants légitimes. Elle se réjouit de le voir arriver aux honneurs : Cela me fait grand plaisir, dit-elle, car j'ai eu plus d'attachement pour ce pauvre garçon, dès sa plus tendre enfance, que pour toutes ses sœurs, car je suis persuadée que, de tous les enfants légitimes ou illégitimes de mon fils, c'est celui qui m'aime le mieux[31].

Voici le portrait qu'elle en fait : Il a un air de famille ; il ressemble fort à feu Monsieur ; il a quelque chose de son père et beaucoup de mademoiselle de Valois[32].... C'est un charmant et très-honnête garçon ; il ressemble à feu Monsieur, mais il a une plus belle taille ; il a la tête de plus que son père[33].

Elle ne perd aucune occasion de faire l'éloge de son esprit et de ses talents, peu d'accord en cela avec Duclos, qui affirme que cet élève des jésuites était le plus zélé ignorant qui soit sorti de leur école.

A force de le faire valoir, de le vanter et de le plaindre, à force de répéter : Le chevalier est légitimé, mais le pauvre abbé n'est pas reconnu ; il me fait vraiment de la peine[34]... L'abbé meurt de chagrin de ne pas être légitimé[35], elle finit par gagner sa cause, qui n'était pas des meilleures.

Le Régent, en effet, outre la répugnance qu'il avait à reconnaître ses bâtards et à afficher à côté d'une famille légitime de sept personnes une famille illégitime bien plus nombreuse, avait contre la mère de l'abbé des griefs particuliers qui retombaient sur lui, et qu'envenimait à dessein la jalouse prévoyance de Dubois, qui ne voulait pas de rival et qui en craignait un.

Mon fils lui préfère l'enfant de la Séry, il ne veut pas le reconnaître, parce qu'il est le fils de la Florence, qui a mené une conduite des plus déréglées ; il craint qu'on ne se moque de lui en le voyant reconnaître tant d'enfants différents. L'abbé Dubois est l'ennemi juré de Saint-Albin, et il a beaucoup fait pour lui nuire[36]...

Mon fils a fait un abbé de celui de ses bâtards qu'il n'a pas reconnu, et qui ressemble tellement à mademoiselle de Valois que si on les voit l'un près de l'autre on ne peut douter qu'ils ne soient frère et sœur[37].

Il est dommage que l'abbé soit un bâtard ; il est bien élevé, il n'est pas laid de figure, il a beaucoup d'esprit et il a fait d'excellentes études[38].

Elle put voir, avant de mourir, ce bâtard préféré élevé aux plus hautes dignités de l'Église et de l'État[39], et revêtu de tous les honneurs propres à consoler un homme d'avoir été fait prêtre malgré lui[40].

La faveur de Florence dura peu. Elle n'avait ni l'esprit qui retient, ni la fidélité qui captive. Bientôt, dit Maurepas, la Florence fut abandonnée et la Desmares reprise, de même que quelque temps auparavant Florence avait supplanté la Desmares. C'est toujours l'histoire des maitresses du Régent, maîtresses alternatives et consécutives, comme les appelle Mathieu Marais.

C'est Saint-Simon qui nous apprendra la suite des aventures de la maîtresse congédiée :

Le prince de Léon — fils du duc de Rohan —, étoit un grand garçon élancé, laid et vilain au possible, qui avoit fait une campagne en paresseux et qui, sous prétexte de santé, avoit quitté le service pour n'en pas faire davantage. On ne pouvait d'ailleurs avoir plus d'esprit, de tournure distinguée, ni plus l'air et le langage du grand monde, où d'abord il étoit entré à souhait. Gros joueur, grand dépensier pour tous ses goûts, d'ailleurs avare, et tout aimable qu'il étoit, et avec un don particulier de persuasion, d'intrigues, de souterrains et de ressources de toute espèce, plein d'humeur, de caprices et de fantaisies, opiniâtre comme son père et ne comptant en effet que soi dans le monde.

Il étoit devenu fort amoureux de Florence, comédienne que M. le duc d'Orléans avoit longtemps entretenue, dont il eut l'archevêque de Cambray d'aujourd'hui, et la femme de Ségur[41], lieutenant général, fils de celui dont j'ai parlé, avec l'abbesse de la Joie, sœur de M. de Beauvilliers. M. de Léon dépensoit fort avec cette créature, en avoit des enfants, l'avoit menée avec lui en Bretagne, mais non pas dans Dinan même, où il avait présidé aux États, et il arrivoit avec elle, en carrosse à six chevaux, avec un scandale ridicule. Son père mourait de peur qu'il ne l'épousât. Il lui offrit d'assurer cinq mille livres de pension à cette créature et d'avoir soin de leurs enfants s'il voulait la quitter, à quoi il ne voulait point entendre. Quelque mal qu'il eût été toute sa vie avec madame de Soubise, qui, de son côté, ne l'aimait pas mieux... elle étoit fort peinée de voir son propre neveu, et qui devait être si riche, dans de pareils liens. Elle fit donc en sorte, avec ces billets dont j'ai parlé, qui mouvoient si ordinairement entre le roi et elle, qu'il parlât au fils, puis au père, à qui séparément il donna des audiences, et longues, dans son cabinet. La Florence fut pourtant enlevée aux Ternes[42], jolie maison dans les allées du Roule, où le prince de Léon la tenoit, et mise dans un couvent. Il devint furieux, ne voulut plus ouïr parler ni de père ni de mère, et ce fut pour consommer la séparation d'avec Florence et raccommoder le fils avec ses parents, et le rendre traitable à un mariage, que le roi manda le prince de Léon prés le duc de Rohan. Cela se passait à la fin de décembre 1707[43].

Le prince de Léon n'espérant plus de ravoir sa comédienne, et pris par famine, se vengea à sa façon, en enlevant du couvent des filles de la Croix, du faubourg Saint-Antoine, bien que bossue et fort laide, et ayant dépassé la première jeunesse, la fille aînée du duc de Roquelaure, qu'il fallut bien lui donner quand il l'eut prise[44].

A partir de décembre 1707, nous n'entendons plus parler de Florence. Demeura-t-elle au couvent et finit-elle par y prier comme une autre ? Dieu garda-t-il cette pénitente par force, cette convertie par ordre du roi, et daigna-t-il la toucher d'une grâce qui se plaît à vaincre les cœurs rebelles ? J'aime mieux croire cela que de chercher à la retrouver, sous le même nom, dans les scandales du milieu du siècle, vivant, après avoir eu une si belle part de plaisir et d'amour, sur la part des autres, et sanglée, par les chansonniers, du fouet dont ils châtient les vieilles prostituées de 1743 faisant commerce à leur tour de la prostitution[45].

Mais non ; Florence était morte. Un imparfait de Madame permet de le croire. Florence était, dit-elle, dès le 26 juillet 1716, et elle le répète le 2 novembre 1719.

Après tout, mourir ainsi, cela ne vaut-il pas mieux que de se voir accolée à ces noms infamants, la Péris, la Lacroix, et que de devenir comme ces deux célèbres appareilleuses, la risée de Paris et l'esclave de la police[46] ?

Cela ne vaut-il même pas mieux que, ruinée de beauté et d'argent, s'aller jeter à la Seine comme la Mazé, et coquette désespérée, se noyer en plein jour, en rouge et en mouches, en bas de soie couleur de  chair, et d'aller à la mort comme à la noce ?[47]

 

 

 



[1] Lemontey, Histoire de la Régence, 1832, 2 vol. in-8°, t. II, p. 477. — Comment s'en étonner, lorsqu'on lit dans les Lettres de madame de Sévigné à propos de l'opéra de Cadmus : C'est un prodige de beauté ; il y a des endroits de la musique qui m'ont fait pleurer. Je ne suis pas seule à ne pouvoir les soutenir, l'âme de madame de La Fayette en est tout alarmée. (8 janvier 1674.)

[2] L'expédient de convertir les théâtres publics e en salles de bal appartient au chevalier de Bouillon, et ce conseil lui valut une pension de six mille livres, illustration au moins imprévue pour un neveu de Turenne. Ce plaisir, devenu populaire, enivra toutes les têtes. Les déguisements n'exclurent ni la richesse des costumes, ni le luxe des diamants, et levèrent les obstacles que la dignité de l'âge et des professions pouvait mettre aux dissipations les plus immodérées. (Lemontey, t. II, p. 313.)

[3] La Le Maure et la Pélissier étaient l'une et l'autre d'une beauté médiocre.

[4] Ce n'est qu'en 1724 que les danseurs et danseuses de l'Opéra, jusque-là officieusement mêlés au public, le furent officiellement, pour y former des mascarades plaisantes, pour exécuter des danses de caractère, et donner à ces bals les attraits du spectacle. Que voulez-vous que devint la tête du bourgeois, déjà soumise à tant d'assauts, lorsqu'il se sentait entraîné par l'électricité que dégageaient toutes ces mains fiévreuses, conduisant les contre-danses nouvelles, les Calotins, la Farandoule, les Rats, Liron-Lirette, la Monaco, le Cotillon qui va toujours ? Faut-il s'étonner que la ville et la cour, la bourgeoisie et la noblesse, la robe et la finance, tout le monde, depuis la Saint-Martin jusqu'au Carême, semblât piqué de la tarentule ?

[5] Malgré la misère du temps, on a fait bonne chère ici ce carnaval (dont j'ai eu ma part), et le bal de l'Opéra a été bien couru. (Journal de Barbier, février 1703, t. I, p. 254.) — La plus forte recette des bals de l'Opéra est celle de l'année 1719-1720, qui rapporta 116.038 livres.

[6] Recueil Maurepas, t. XI, p. 311 (1709).

[7] Louis XIV poussait la complaisance jusqu'à faire servir à son contraltin favori une table de six ou douze couverts, dans la prison où il attendait les effets de la munificence royale, qui gagnait plus à le délivrer qu'à le nourrir.

[8] Lettres de madame du Noyer, Amsterdam, 1760, 6 vol., t. I, p. 13.

[9] A titre de mandataire de du Lis, et chargé de poursuivre, au profit des pauvres, la restitution des sommes et bijoux dont il se disait frustré par mademoiselle Pélissier. (Journal de Barbier, t. II, p. 141.)

[10] Journal de Barbier, t. II, p. 156 et suivantes.

[11] Journal de Barbier, t. II, p. 159.

[12] C'est ce qui arriva en effet, V. Madame, 9 décembre 1719, t. II, p. 199.

[13] Je suis extrêmement vexée, car, hier au soir, j'ai appris que mon fils et madame d'Orléans ont permis à leur fils d'aller à ce maudit bal de l'Opéra. C'est le moyen de perdre corps et Sme un garçon qui était si pieux ; car aller au bal de l'opéra ou dans un mauvais lieu c'est tout un. (Madame, 13 nov. 1710, t. II, p. 187.)

[14] Recueil Maurepas (1706).

[15] De La Borde, Essai sur la musique, Paris, 1780, 4 vol. in-4°, t. I, p. 395.

[16] De La Borde, Essai sur la musique, Paris, 1780, 4 vol. in-4°, t. I, p. 395.

[17] Mademoiselle Camargo avait eu 2.200 livres.

En 1762, mademoiselle Guimard avait débuté comme premier sujet de la danse à 800 livres.

[18] Recueil Maurepas (1708).

[19] Lemontey, Histoire de la Régence, t. II, p. 313.

[20] Le duc de Chartres entretint quelque temps la petite Quinault et la quitta platement, lui laissant un enfant et quelques centaines de louis.

[21] Lettres de mademoiselle Aïssé, édit. E. Dentu, p. 98, 99, 100.

[22] Le vicomte de Barsac, roman du milieu du XVIIIe siècle (Wilson, Dublin).

[23] V. à la suite du tome VIII de Barbier (édit. in-12), le Journal de police sous Louis XV, p. 269.

[24] Durey de Noinville, Histoire de l'Opéra, 2e édition,  Paris, Duchesne, 1757, in-8°.

[25] Madame, Correspondance, 18 décembre 1720, t. II, p. 291.

[26] Mémoires de Maurepas, t. I, p. 107.

[27] Ce Mittantier, à ce qu'il parait, fréquentait fort les comédiennes. Nous trouvons un couplet qui lui donne la Raisin, actrice honorée des bontés de Monseigneur le Dauphin :

Raisin encore

Croit que es femme l'adore,

Mais la belle espère

Chercher encor le mystère,

Cher ce greffier

Qu'on nomme Mittantier.

[28] Boisjourdain, Mélanges, t. I, p. 222.

[29] En 1698, d'après le témoignage de Madame elle-même. (Correspondance, 26 juillet 1716, t. I, p. 259.)

[30] Mémoires de Maurepas, t. I, p. 108. — Ce Coche ou Canche, selon Duclos, qui lui avait pelé son nom, était le premier valet de chambre et, dit Barbier, le favori du Régent. Bien différent de d'Ibagnet, concierge du Palais-Royal, cet autre serviteur dont Duclos réhabilite la mémoire, il ne recula pour son maitre devant aucun genre de services, et fut encore plus dévoué à ses passions qu'à ses intérêts ; aussi entra-t-il fort avant dans sa confiance et presque dans son intimité. Coche et madame de Nancré furent les deux factotums mâle et femelle du Régent : ils eurent une part dans toutes les intrigues de la Régence, même les politiques. C'est chez Coche que Law demeure au Palais-Royal, ou chez madame de Nancré, dix jours sans sortir. Lorsque, le 23 décembre 1720, il s'y cache encore, cela n'est su que de M. le Duc, du Régent et de Coche. Malgré toute la bonne volonté de ce dernier, il y eut cela de plaisant dans son affaire, qu'il ne put jamais avoir d'enfant de madame Coche, ce qui enleva beaucoup de son autorité à sa déclaration de paternité vis-à-vis du bâtard de Florence. D'Ibagnet, au contraire, attaché à la maison d'Orléans dès son enfance, avoit vu naître le Régent, il l'aimoit tendrement et le servoit avec zèle, lui parlant avec la liberté d'un vieux domestique et avec la droiture et la vérité d'un homme digne d'être l'ami de son maitre. Le Régent avoit pour d'Ibagnet cette sorte de respect où la vertu oblige : il n'auroit pas osé lui proposer d'être le ministre de ses plaisirs, il était sûr du refus. Quelquefois, un bougeoir à la main, d'Ibagnet conduisoit son maitre jusqu'à la porte de la chambre où se célébrait l'orgie. Le Régent lui dit un jour en riant d'entrer : Monseigneur, répondit d'Ibagnet, mon service finit ici ; je ne vais point en si mauvaise compagnie, et je suis très-fâché de vous y voir. Une autre fois, il traita comme le dernier des hommes Cauche, valet de chambre et Mercure du Régent, sur ce que ce domestique avoit séduit une jeune fille de douze à treize ans pour la livrer à son maitre. (Duclos, Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV, collect. Michaud, t. XXIV ; V. aussi Lemontey, Histoire de la Régence.)

[31] Madame, 4 octobre 1721, t. II, p. 344.

[32] Madame, 2 novembre 1719, t. II, p. 177.

[33] Madame, 13 novembre 1719, t. II, p. 187.

[34] Madame, 2 novembre 1719, t. II, p. 177.

[35] Madame, 8 octobre 1717, t. I, p. 327.

[36] Madame, 8 octobre 1717, t. I, p. 327.

[37] Madame, 26 juillet, 1716, t. I, p. 259.

[38] Madame, 4 août 1716, t. I, p. 261.

[39] J'ai auprès de moi un abbé que j'ai bien souvent appelé un drôle ; il me casse tellement la tête avec son bavardage, que je ne sais plus ce que dis ; d'après cela, vous pouvez bien penser qu'il s'agit de mon abbé de Saint-Albin, qui sera bientôt évêque de Laon et duc et pair de France. (Madame, 4 octobre 1741, t. II, p. 244.)

[40] L'abbé sera fait prêtre, ce pour quoi il n'a pas grande inclination. (Ibid., 13 novembre 1710, t. II, p. 187.) — Il aimoit fort les femmes, ajouttent les Mémoires de Maurepas, ce qui engagea Mgr. Languet, évêque de Soissons, à parler de sa conduite à M. le duc d'Orléans. Ce prince fit sur-le-champ venir son fils, lui fit une sévère réprimande devant cet évêque, et finit par lui dire qu'il ne convenoit point à un petit abbé comme lui de mener une vie pareille à celle des grands prélats de l'Église de France, ajoutant qu'il devoit attendre du moins qu'il fût évêque pour avoir une conduite aussi mauvaise que la leur. (T. I, p. 108.)

N'est-ce pas que voilà bien une semonce adorable ? Quelle figure y dut faire celui qui l'avait si malencontreusement provoquée ? J'imagine qu'une fois l'évêque parti, le père et le fils s'embrassèrent en riant. Le Régent était ainsi fait : de l'esprit, toujours de l'esprit malgré lui, même dans les rôles de père. Du reste, il ne calomniait point l'épiscopat de cotte époque, s'il faut en croire les singulières anecdotes qu'on trouve dans les Mémoires de Maurepas sur le corps que déshonoraient alors les Dubois, les La Fare, les Lafitau, les Beauvilliers, les Tencin, les Tressan, les Villeroy, les Vauréal. (V. le tome II des Mémoires de Maurepas.)

L'abbé de Saint-Albin fut successivement abbé de Saint-Ouen, coadjuteur, puis évêque de Laon, prieur de Saint-Martin-des-Champs, et enfin archevêque de Cambray, où il mourut en 1764. zélé constitutionnaire, l'abbé de Saint-Albin vit, en 1725, un de ses mandements condamné par le Parlement. En 1741, il souleva contre lui, par un mandement où il les traitait d'insolents et ignorants l'ordre des avocats de Paris. Ces doux mandements résument la vie publique de ce prélat, dont la vie privée ne valut guère mieux, bien que sans scandales.

[41] C'est là une grave erreur du duc de Saint-Simon qui dédaignait de s'occuper des maîtresses, à ce qu'il dit, et qui le montre bien. Madame de Ségur, du témoignage même de Madame, était fille de la Desmares. V. aussi le Journal de Mathieu Marais, à la date du 25 janvier 1721.

[42] La Correspondance inédite de la marquise de La Cour, que publiera prochainement M. Philarète Chasles avec notre concoure, donne la date précise de cet enlèvement (21 déc. 1707), t. I, p. 30 :

M. le duc de Rohan a obtenu du roi, avec beau-e coup de peine, une lettre de cachet pour faire a arrêter mademoiselle Florence, maîtresse du prince de Léon, son fils. Il avait peur qu'il ne l'eût épousée. M. d'Argenson l'a mise dans une maison particulière, où elle est fort bien traitée. Elle est grosse et a déjà un petit garçon, mais elle proteste qu'ils n'ont jamais songé au mariage. On ne sait si elle dit vrai. L'amant jette feu et flamme, et dit qu'il ne verra jamais ni père ni mère.

[43] Mémoires de Saint-Simon, édit. Chéruel, Hachette, t. VI, p. 152-153.

[44] Mémoires de Saint-Simon, p. 267 et suivantes. — Voir sur le singulier ménage que faisaient le prince et la princesse de Léon, l'un violent, l'autre de la plus grande pétulance, tous deux vivant à grand fracas, au milieu d'un océan de dettes, les Mémoires du président Hénault. Paris, E. Dentu, 1855, in-8°, p. 107.

[45] Le Recueil Maurepas (t. XXI, p. 119) nous offre deux fois ce nom en une vilaine compagnie

Bel exemple pour vous, et Florence et Lacroix,

Placez mieux vos bienfaits, faites mieux votre choix.

[46] Dans un second couplet de janvier 1742, la Pâris adresse ou est censée adresser à M. de Marville, lieutenant de police, une requête qui commence ainsi :

A toute abbesse de Cypris,

Sans en excepter la Pâris,

Non plus que la dame Florence...

(Recueil Maurepas, t. XXI, p. 3.)

[47] La Mazé, autrefois fille d'Opéra fort jolie, qui avoit 3.000 livres de rentes sur la ville, et qui est a ruinée par le système, s'est noyée en plein jour à la Grenouillère, etc. (Journal de Mathieu Marais, avril 1722.)