LES MAÎTRESSES DU RÉGENT

LES GRANDES MAÎTRESSES

 

I. — CHARLOTTE DESMARES.

 

 

 

Christine-Antoinette-Charlotte Desmares, une des actrices les plus distinguées et les plus galantes du commencement du avine siècle, avait de qui tenir comme talent et comme galanterie. Elle était arrière-petite-fille de Montfleury[1] et nièce de la Champmeslé.

Son père, Nicolas Desmares, et sa mère, Anne d'Ennebault, faisaient partie d'une troupe de comédiens français entretenue par le roi de Danemark. Desmares, rappelé à Paris et reçu à la Comédie-Française, fit jouer à sa jeune fille de petits rôles. Dès 1690[2], elle parut dans une comédie en cinq actes, intitulée le cadet de Gascogne.

Enfin, elle succéda, sans la faire trop oublier ni trop regretter, à mademoiselle de Champmeslé, morte en 1698. Nous trouvons, dans la préface d'Oreste et Pilade, tragédie par Lagrange-Chancel, un passage[3] qui constate à ce moment-là le succès de la Desmares. Une note de Voltaire, dans son édition des Souvenirs de Madame de Caylus, constate à une date postérieure les progrès qu'elle avait faits et qui lui avaient permis d'arriver, après avoir été une Athalie un peu outrée, à la perfection du tragique. Madame, de son côté, la désigne en 1719 comme une des meilleures actrices de la troupe du Roi.

Il nous serait facile d'ajouter à ces éloges ceux plus motivés d'hommes plus compétents. Nous renvoyons à ces recueils[4] où se conserve avec la tradition de la Comédie-Française, le souvenir de tous ceux et de toutes celles qui la soutinrent. Mais ce n'est pas de ce genre de, succès, obtenus au théâtre, que nous prétendons nous occuper. Nous prenons nos comédiennes à ville, et ce n'est pas pour nous une étude d'un médiocre intérêt que de savoir comment mademoiselle Desmares jouait les amoureuses ailleurs que sur la scène.

En dépit d'un mot[5] qui semblerait vouloir réhabiliter sa sensibilité, et qui demande grâce pour tant d'écarts, il nous est difficile de placer, même en amour, mademoiselle Desmares à côté des Lecouvreur et des Camargo. Celles-là, elles, ont connu à leur heure quelque chose de l'amour véritable, c'est-à-dire épuré par le sacrifice. Elles se sont données par moment à l'homme seul. Il nous est impossible, malgré toute notre indulgence, d'accorder à la Desmares le même brevet de tendresse délicate et par moment sublime. Mademoiselle Desmares fut tendre dans le sens vulgaire du mot ; elle fut sensible à la façon de mademoiselle Gaussin qui ne voulait voir souffrir personne, pas même son porteur d'eau.

Ce qui nous fait parler ainsi, c'est que mademoiselle Desmares eut beaucoup d'amants et ne semble pas en avoir eu un pour elle-même.

En amour comme au théâtre, il nous parait qu'il a manqué quelque chose à cette femme si bien douée[6] du reste pour ressentir et pour inspirer une passion. Il lui a manqué le souffle, le feu sacré, le diable au corps si l'on veut.

Le premier objet de ses faiblesses parait avoir été Monseigneur le Dauphin[7] lui-même, cet amant avare et timoré, qui faisait jeûner la Raisin[8] et qui congédiait Fanchon Moreau en lui faisant remettre dix louis[9].

Elle ne fit avec ce prince ni ses affaires de cœur ni ses affaires d'argent.

Elle se rejeta alors, à ce dernier titre sans doute, sur M. le duc d'Orléans, qui en fut un moment, au dire des Mémoires de Maurepas, réellement amoureux, et qui dut en effet avoir eu pour elle un goût assez prononcé, puisqu'il la reprit deux fois, après le règne éphémère de Florence, et après celui beaucoup plus durable de madame d'Argenton.

Elle eut même du prince une fille[10] qui fut reconnue simplement, et non légitimée, mais qui, dès l'an 1722, prit les armes de France[11].

Mon fils a eu de la Desmares[12] une petite fille[13]. Elle aurait bien voulu lui mettre sur le corps un autre enfant, mais il a répondu : Non, celui-ci est trop arlequin. Elle lui demanda ce qu'il voulait dire par là. Il répondit : Il est de trop de pièces différentes.

Et en effet, à cet enfant, il était facile d'attribuer plus d'un père.

Il y avait d'abord Baron[14], le fameux comédien, selon les uns ; son fils, selon les autres[15], qu'elle ne quitta pas, tout en reprenant le duc d'Orléans, et que le prince, dans un accès d'humeur, finit par exiler[16].

Il y avait un certain Hogguers, fameux banquier suisse[17] ; il y avait enfin cet électeur de Bavière, qui aimait tant les grisettes, au dire de Madame, qu'il les regrettait même à Versailles[18].

L'électeur ne détestait pas non plus les actrices, et il est probable que c'est lui que la Desmares choisit pour endosser le fruit de tous ces péchés in partibus[19]. Elle le savait bon prince et ne reculant pas devant un billard.

Je ne sais pas si elle ne l'a pas donné à l'électeur de Bavière, qui y avait aussi travaillé de son côté et auquel cela a coûté la plus belle et la plus magnifique tabatière qu'on puisse voir. Elle était garnie de gros diamants[20].

Quant à la fille reconnue de la Desmares, elle n'obtint cette faveur qu'au prix d'un rude sacrifice. Comme si ses lèvres banales eussent pu, mime dans un maternel baiser, corrompre l'innocence, la comédienne ne vit sa fille qu'une fois.

La mère n'a pu voir cette enfant qu'une fois depuis qu'elle l'a mise au monde. C'est cette année (1719) qu'elle l'a vue dans une loge. Les larmes lui vinrent aux yeux dans l'excès de sa joie. La fille est fort gentille, mais pas de beaucoup aussi jolie que la mère[21].

Cette entrevue avait été précédée d'une explication qui fut loin, selon Madame, d'être agréable à la future madame de Ségur. Tandis que la pauvre mère pleurait à l'idée de voir bientôt cette enfant qu'on lui avait dérobée avant même le premier baiser, la fille, dans le cabinet du Régent, pleurait de honte d'être née de la Desmares, et de douleur de n'être pas légitimée.

La fille de la comédienne ressemble un peu à sa mère ; on l'a élevée à Saint-Denis dans un couvent, mais elle n'a pas du tout les goûts d'une religieuse. Lorsque mon fils la fit venir, elle ne savait pas qui elle était, et lorsqu'il lui dit qu'il était son père, elle fut transportée de joie, car elle s'imagina être la fille de la Séry et la sœur du chevalier ; elle pensait ainsi qu'elle serait reconnue ; niais quand mon fils lui eut dit que cela ne pouvait être, et qu'elle était la fille de la Desmares, elle se mit à pleurer amèrement[22].

On la maria en 1719 au marquis de Ségur[23], et ce ne fut qu'en 1722 qu'elle fut reconnue, en même temps que l'abbé de Saint-Albin.

Ce marquis de Ségur était, selon les Mémoires de Maurepas, colonel de cavalerie et brigadier des armées du roi. Il n'eut point à se repentir d'un mariage qui supposait une certaine hardiesse ou une certaine résignation[24]. La fille de la Desmares n'eut rien de sa mère, ni les caprices, ni le talent. Elle fut une des bonnes mères de famille et une des grandes épouses du XVIIIe siècle, lui donnant le spectacle et l'exemple d'un dévouement conjugal devenu historique.

Mademoiselle Desmares qui, au dire de Madame, jouait encore tous les jours en 1716, ne se retira du théâtre qu'en avril 1721, à l'âge de trente-huit ans. Elle était encore jolie et dans toute la force de son talent. Aussi cette retraite parut-elle prématurée à tout le monde et inspira-t-elle des regrets de plus d'une sorte et dont nous trouvons, dans les Mémoires pour servir à l'histoire de la Calotte[25], un assez singulier témoignage. Mademoiselle Desmares avait, au dire de Boisjourdain, épousé, fi une époque qu'il est difficile de préciser, le fils aîné de Poisson, premier comédien du Théâtre-Français[26].

Ce devait être Philippe, fils de Paul Poisson. Lemazurier ne mentionne pas ce mariage. Est-ce de l'amour ou de l'hymen que provenait ce fameux et dévoué secrétaire de M. de Maurepas, son complice en chansons, son collaborateur en indiscrétions, et auquel on doit la compilation connue sous le nom de Mémoires de Maurepas ? Selon les Mémoires du marquis d'Argenson, ce Salle était fils d'un comédien et d'une comédienne, mademoiselle Desmares.

Elle n'avait pas complètement oublié, dans sa retraite, l'art auquel elle devait tant de succès. L'élite de son public, la cour elle-même, se chargeait de le lui rappeler.

On lit dans la VIe Lettre de mademoiselle Aïssé (1727) : Il y a eu des tracasseries à la cour ; les dames du palais ont voulu jouer des comédies pour amuser la reine ; MM. de Nesles, de la Trimouille, Gaisi, Gontault, Tallard, Villars, Matignon, étoient les acteurs. Il manquoit une actrice pour de certains rôles, et il étoit nécessaire d'avoir quelqu'un qui mit former les autres. On proposa la Desmares, qui ne monte plus sur le théâtre. Madame de Tallard s'y opposa et assura qu'elle ne joueroit point avec une comédienne, à moins que la reine ne fût une des actrices. La petite marquise de Villars dit que madame de Tallard avoit raison et qu'elle ne vouloit point jouer, aussi, à moins que l'empereur ne fit Crispin. Cette grande affaire finit par des éclats de rire. Madame de Tallard a été si piquée qu'elle a quitté la troupe. La Desmares a joué et les comédies ont très-bien réussi[27].

Le 17 février 1739, mademoiselle Desmares adressait aux frères Parfaict un récit assez fantastique de la mort du fameux Montfleury, mort expliquée de tant de façons et que la légende de son arrière-petite-fille n'est pas faite pour éclaircir.

Mademoiselle Desmares avait laissé à l'art un témoignage plus éclatant encore de sa et au public une marque plus efficace de sa reconnaissance, le jour où, en formant pour la scène sa nièce, mademoiselle Dangeville, elle avait acquitté la dette contractée par elle vis-à-vis de sa célèbre tante, la Champmeslé.

Mademoiselle Desmares put donc mourir en paix à Saint-Germain-en-Laye, le 12 septembre 1753, au terme d'une de ces vieillesses aimables sur lesquelles, à défaut d'espérances, sourient de beaux souvenirs.

L'originalité de mademoiselle Desmares, comme actrice et sans doute comme femme, fut le singulier mélange de son humeur également portée a la sensibilité et à l'enjouement. Elle passait du plaisant au sévère, du rire aux larmes, avec une facilité qui témoigne d'une grande richesse de tempérament et d'une grande souplesse de caractère. Ces aptitudes variées en firent une actrice également remarquable dans les rôles tendres et dans les rôles comiques. Pour nous servir de l'expression académique de Lemazurier, elle portait aussi bien le sceptre et la couronne des reines que le tablier de la soubrette. Mais son vrai succès, il faut le croire, fut dans les pièces gaies, que son esprit jovial trouvait moyen d'animer encore par les accessoires les plus imprévus. Avant que les pantins eussent régné à Paris, la mode avoit mis un bilboquet entre les mains de tous les Parisiens. Cette niaiserie monta jusqu'au théâtre, et l'on vit la Desmares s'en amuser au milieu de ses rôles de suivante, au grand contentement du parterre[28].

Il existe deux portraits de mademoiselle Desmares : l'un par Watteau — Desplaces se. —, en costume de Pèlerine, l'un de ses rôles. Le plus connu est de Coypel, gravé par Lépicié. Il suffit de voir ce cou à robustes attaches, ce double menton, cette opulente poitrine, ces cheveux drus, ce nez aux ailes frémissantes, ces yeux ronds, ce teint à la flamande, pour se convaincre que jamais la Desmares n'emporta à la ville quelque chose des tristesses tragiques[29]. De quel joyeux coup de talon elle devait repousser au loin, dans l'ombre de sa loge, la solennelle défroque de velours et d'or, pesante parure de sa royauté cornélienne Quel bonheur de quitter le cothurne pour la pantoufle, et de jeter son bandeau de clinquant par-dessus les moulins. Heureuse femme ! elle trouvait moyen de répondre à une invitation à souper entre deux tirades sesquipédales ! Heureuse femme ! elle eût mis Athalie en mirlitons et bu du champagne dans cette urne funèbre, que plus tard la Lecouvreur devait remplir de larmes !

On comprend que l'art et la vie aient été également légers à cette femme insoucieuse et charmante, promenant d'amour en amour, de festin en festin son cœur facile et son appétit insatiable. On peut lire dans les Mémoires du chevalier de Ravanne les détails peut-être apocryphes de cette odyssée grivoise. Pour nous, nous demeurerons sur la porte trop facilement ouverte de ce boudoir célèbre, qu'eût si bien meublé le sopha de Crébillon. L'indiscrétion ne nous plaît que pour les choses du cœur. En fait d'histoires d'alcôve, en en a toujours trop dit. Si frivole que soit en apparence la revue que nous passons, elle ne s'arrête qu'aux vices spirituels, qu'aux erreurs ennoblies par le sentiment, qu'aux fautes qui révèlent un caractère.

 

 

 



[1] Lettre de mademoiselle Desmares aux frères Parfaict (17 février 1730).

[2] Elle était née à Copenhague, en 1682.

[3] Le public eut le regret de la perdre — mademoiselle Champmeslé — dans le plus fort des représentations de cette tragédie qui fut reprise l'année suivante (1609), avec le même succès, par mademoiselle Desmares, nièce de cette célèbre actrice, et digne héritière de ses talents.

[4] Les frères Parfaict, Histoire générale du Théâtre-François, 1734, 15 vol. in-12. — Lemazurier, Galerie historique des acteurs du Théâtre-Français, 1810, 2 vol. in-8°.

[5] La meilleure comédienne, disait-elle, est celle qui ne sait que son cœur. Ce mot lui est prêté par M. A. Houssaye, qui pourrait bien le lui avoir donné.

[6] Mademoiselle Desmares, dit Lemazurier, avait une figure et une voix charmantes.

[7] Madame la princesse de Conti citait même, pour la dégoûter du prince, son exemple à mademoiselle Chouin. Elle lui dit qu'elle n'auroit pas plus tôt consenti à ce que souhaitait Monseigneur, qu'il ne s'en soucieroit plus. Elle lui cita les exemples de mademoiselle de Melun, de madame du Roure, de la Desmares, de la Raisin, et de ce qui était arrivé à la Moreau. (Mémoires de Maurepas, t. I, p. 39.)

[8] V. dans Madame (Correspondance complète, 13 janvier 1719, t. II, p. 52) cette curieuse anecdote.

[9] Que Fanchon jeta au nez de l'ami du prince. (Madame, Correspondance complète, t. I, p. 44, note.)

[10] Une seule et non deux, comme le disent les Mémoires de Maurepas, t. I, p. 108 ; — Math. Marais, dans son Journal, à la date du 17 octobre 1723, semblerait en compter deux.

[11] Journal de Barbier, édit. in-12, t. I, p. 213.

[12] Madame dit : Desmares ; les frères Parfaict disent : Desmarres, Lagrange-Chancel aussi.

[13] En 1702 et non en 1701 comme le dit Boisjourdain dans ses Mélanges (1807, 3 vol. in-8°).

[14] Mémoires de Maurepas, t, I, p. 108.

[15] Boisjourdain, t. I, p. 209.

[16] Mémoires de Maurepas, t. I, p. 111.

[17] Boisjourdain, t. Ier, p. 209. — Ce Hogguers est ainsi défini par Lemontey : Ancienne créature du contrôleur général Desmarets et l'un des plus fameux intrigants de ce temps. Son père et lui ayant prêté de l'argent à Charles XII, ils furent gratifiés de terres et de titres en Suède. Le fils fut chargé de tout ce qui regardait les projets du royal aventurier avec l'Espagne et avec la France. Il fut le confident et l'agent du fameux baron de Gœrtz ; on peut voir dans l'édition des Mémoires de d'Argenson, donnée par M. Rathery, pour la Société de l'histoire de France (t. I, p. 24 à 33), comment le Régent, qui ne rompait jamais tout it fait avec ses maîtresses, et que toutes servaient après l'avoir quitté, fut mis au courant par la Desmares, leur frivole confidente, de ces projeta gigantesques, dans lesquels une belle part était faite à la France, et qui moururent avec Charles XII, dont ils pourraient bien expliquer la fin mystérieuse et prématurée.

[18] Madame, 24 novembre 1716 et 2 janvier 1718, t. I, p. 284 et 363.

[19] Les chansonniers n'épargnent pas la Desmares :

On vit de la même façon,

Chez la Desmares que Fillon,

Oreguingué !

Plus   qu'une loure,

Elle en prend par où elle en trouve.

(Recueil Maurepas, 1702.)

Voici un autre couplet de 1709 :

A la cour, ainsi qu'il la ville,

Danzy (?) ta ruse est inutile.

Amant et guerrier fanfaron,

De duc tu n'auras les entrées,

Et jusqu'à celles de Baron,

Desmares te les a refusées.

(Recueil Maurepas.)

[20] Madame, 23 septembre 1717, t. I, p. 322.

[21] Madame, 17 février 1719, t. II, p. 67.

[22] Madame, 4 août 1716, t. I, p. 260.

[23] Madame annonce ce mariage comme consommé le 17 février 1719, et, le 26 juillet 1719, elle lui donne formellement quatorze ans.

[24] Le hasard le servit bien de toutes manières. Créature de la maison d'Orléans, et homme de mérite, il s'avança aisément dans le chemin des honneurs et de la fortune, et devint lieutenants général des armées du Roi, inspecteur de cavalerie, chevalier des ordres, gouverneur de Foix, avec cinquante mille livres de rentes des bienfaits du Roi. En épousant la fille du Régent, il avoit reçu d'ailleurs deux cent mille livres, mille écus de pension de la maison d'Orléans et une épouse aussi vertueuse que ses auteurs étoient vicieux, et qui servit son mari avec le détail d'une garde-malade, malgré l'infection du malade qui se mouroit d'un entrax qu'on ouvrit par des incisions, depuis la tête jusqu'au milieu du dos. Leur fils unique, depuis maréchal de France, épousa une demoiselle de Vernon, Américaine, se fit connoitre par son bras cassé, son coup de feu le la poitrine et son courage. (Mémoires de Maurepas, t. III, p. 72.)

[25] A Basle, chez les héritiers de Brandmyller, 1725, p. 63 ;

ARRÊT CONTRE LA DESMARES, COMÉDIENNE.

De par le dieu porte-marotte,

Nous, général de la calotte,

Voulant prévenir sagement

Tout ee qui pourroit nuire au zèle

Qu'un calotin, soldat Adule,

Doit avoir pour son régiment ;

Plus empêcher qu'aucuns scandales,

Surtout de la part des vestales,

Y causent du relâchement ;

A ces causes, sur la retraite

De la Desm...,  anciennement

Notre bonne et vraie sujette,

Qui, par je ne nais quel avertit,

Quoique encor jeune et très-aimable,

Auroit quitté l'art estimable

Du cothurne et du brodequin,

Art qui, d'une gloire immortelle,

Comblant ladite demoiselle,

Espérait de son noble cour

Qu'elle mourrois au lit d'honneur,

Ainsi que le divin Molière

Dont elle étoit digne héritière.

Toutefois, gang aucun égard

Pour ses talents et son grand art

A représenter sur la scène

Les tableaux de la vie humaine,

Afin de corriger les mœurs,

Les caprices et les humeurs,

Elle auroit quitté le théâtre,

Et son air vif, jeune et folâtre,

Pour en prendre un plus régulier

Et jouer en particulier

Acte et scène plus retenue

Mais qui lasse à la continue,

Surtout lorsque l'on est pratic

De se présenter au public.

Ce considéré, sur la plainte

Que les damez du régiment

Nous ont portée, et sur la crainte

D'un plus fâcheux dérèglement ;

Attendu l'étonnant caprice

De la susdite grande actrice,

Contre nos coutumes et us ;

Sur les brouhahas du parterre,

Lui retranchons.ses revenus

Et sur les claquements de mains ;

Voulons qu'on lui fasse la guerre

Sur ce caprice des plus vains.

A moins qu'au bon sens ramenée,

Dans la présente et même année,

Elle ne demande à rentrer

Pour en public ne remontrer

Dans un âge encor convenable,

Sans attendre, comme Baron,

Trente ou quarante ans environ,

A donner repentir louable ;

D'autant que fille de soixante ans,

Après un si grand laps de temps,

Retournant à la comédie,

Pourroit n'être pas applaudie ;

Lui conseillons donc sagement

De se repentie promptement

Pour rentrer dans nos bonnes grises,

Et tenir les honneurs et rang

Attachés aux premières classes

Des vestales du régiment.

[26] Mélanges de Boisjourdain, t. I, p. 209. — Les Mélanges de Boisjourdain, où l'on trouve, à travers quelques anecdotes curieuses, tant d'erreurs et d'anachronismes, ont faussé toute cotte biographie de la Desmares. Ils prétendent que son mari, Desmarets, l'avait enlevée de chez son père, qui était un conseiller en rétention de Senlis, et l'avait épousée sans son consentement. Toute cette histoire et les aventures qui la suivirent ne sont attribuables qu'à Henri Desmarets, musicien Compositeur français, né à Paris, en 1662, et mort à Lunéville, le 7 septembre 1741.

Mademoiselle Desmares était Desmares en son nom, fille de Nicolas Desmare, et non Desmarets, parle fait d'un mari quelconque.

[27] Lettres de mademoiselle Aïssé, édit. in-12, Paris, E. Dentu, p. 119.

[28] Encyclopédiana.

[29] Il est impossible, en contemplant ce portrait, de ne se pas rappeler les vers malins de madame Deshoulières, sur Anne d'Ennebault, mère de mademoiselle Desmares. Ces vers font partie du fameux sonnet contre la Phèdre de la muse Pradonienne :

Une grosse Aricie, au teint rouge, aux crins blonds, etc.