MARIE STUART

LIVRE DEUXIÈME. — LA LUTTE - 1561-1567

 

CHAPITRE V. — DEUXIÈME VICTIME.

 

 

Caractère de l'attentat du 9 mars. — Marie fait taire son cœur et demande à son esprit un plan de délivrance. — Desseins des conjurés. — Fatalités menaçantes de la situation de Darnley. — Ses sentiments après le crime. — Métamorphose opérée par les reproches et les conseils de Marie. — Son succès la justifie comme épouse d'une accusation qu'il rend absurde. —Repentir de Darnley. — Pardon de Marie. — Ruses permises et légitimes ; dissimulation de la reine prisonnière. — Elle divise ses ennemis. — Entrevue avec Murray. — Délibération des conjurés. — Déclaration imprévue de Darnley. — Pacte d'amnistie. — Marie s'échappe d'Holyrood. Elle redevient la reine. — Conduite énergique et politique. — Rentrée triomphale à Édimbourg. — Disgrâce et exil des coupables. — Exécution de deux d'entre eux. — Désaveu de Darnley. — Son acharnement contre ses complices. — Indignation des exilés. — Ils fournissent à Marie la preuve, signée par lui, de la participation de Darnley au crime qu'ils expient. Douleur et colère de la reine. — Elle cesse d'aimer celui qu'elle ne peut plus estimer. Double complot contre la vie du roi parjure et l'honneur de la reine innocente. — Randolph et Buchanan. — Introduction sur la scène d'un acteur secondaire qui va devenir principal. Le comte de Bothwell. — Absurdités et impossibilités de la version qui place à l'été de 1566 le roman de la prétendue passion de Marie pour Bothwell. — Darnley est éloigné des affaires. — Son dépit et ses menées. — Marie met au monde le futur Jacques VI d'Écosse et Jacques Ier d'Angleterre. — Jalousie d'Élisabeth. — Elle accepte néanmoins d'être marraine du prince nouveau-né. — Échec du surplus de la mission de Melvil. — La question de la succession d'Angleterre demeure en suspens. — Protestation aigre-douce d'Élisabeth contre les prétentions prêtées à Marie Stuart. — Mécontentement de Darnley. — Ambition impatiente de Bothwell. — Crédit dominant et perfides manœuvres de Murray. — Examen des principaux griefs du pamphlet accusateur de Buchanan. — Ses contradictions. — Halte dans la boue. Le pamphlet de Buchanan jugé par ceux qui s'en servirent. — Portrait de Bothwell. Prétendue tendance de Marie Stuart à la tyrannie. — Prétendues faveurs accordées à Bothwell. — Prétendus mauvais traitements prodigués à Darnley. — Darnley n'est jaloux que de Murray, dont le crédit l'offusque et réduit Bothwell, pour éviter la disgrâce, à s'allier avec son rival. Séjour à Alloa. — Ambassade de Castelnau. — Dissentiments politiques entre Murray et Darnley. — Bouderies de Darnley. — Témoignage de Du Croc. — Épreuve décisive. — Marie somme devant le conseil son mari de déclarer s'il a quelque chose à lui reprocher. Embarras de Darnley. — Il reconnaît l'innocence de la reine. — Il se retire à Glasgow. Réconciliation de Murray et de Bothwell. — Causes et auteurs, but et moyens de la conspiration qui doit en sortir. — Voyage de Jedburgh. — Un duel épique. — Visite de Marie à Bothwell blessé. — Marie Stuart tombe gravement malade. — Egoïste indifférence de Darnley. Séjour à Craigmillar. — Nouveaux conflits entre Darnley et Marie. — Darnley refuse d'assister au baptême de son fils. — Douleur de Marie. — Proposition de divorce hasardée par Lethington. — Noble refus de la reine. — Baptême du prince royal d'Écosse A Stirling. — Absence à la cérémonie de. Darnley. — Motifs puérils de cette abstention. — Pacte de Craigmillar. — Rappel et pardon de Norton et des autres lords demeurés exilés pour l'assassinat de Riccio. — Colère de Darnley. — Il tombe malade de la petite vérole. — Généreux procédés de Marie. — Visite à Glasgow. — Repentir de Darnley. — Réconciliation entre la reine et Darnley. — La quarantaine. — La maison de Kirk-of-Field. — Qui l'a choisie, — Marie s'installe auprès de son mari. — Rôle dans la conjuration de Murray, de Morton et de Bothwell. — Préparatifs des conjurés. — Illusions et innocence de Marie. — Le bal de noces d'Holyrood. — Dernières entrevues entre Marie et Darnley. — L'attentat de la nuit du 9 février 1567. — Rôle qu'y joue Bothwell. — Ses complices. — Archibald Douglas. — L'explosion et l'assassinat. — Attitude de Bothwell. — Fy ! trahison !

 

Le mal engendre le mal, le crime suit le crime, le sang appelle le sang jusqu'à ce que soient complètes l'épuration et l'expiation providentielles.

L'attentat de la nuit du 9 mars 1566 n'était que le prélude, le signal d'une révolution féconde en attentats.

Il nous reste à dérouler le tableau successif de ces scènes fatales, et à en épuiser l'émotion et la leçon.

Nous n'avons pas voulu le faire et rentrer dans la chambre solitaire où Marie, n'attendant la vengeance que de Dieu, vient, en faisant taire son cœur, de demander à son esprit vivifié par le sentiment du danger, tout un plan de subtile délivrance, sans avoir établi nettement ce caractère frappant d'un assassinat qui n'est pas inspiré par des motifs vulgaires et privés, comme on l'a soutenu quelque temps, mais où l'ambition politique a armé la haine et où le fanatisme protestant a frappé.

Ce premier et sanglant holocauste n'était que le prologue de tout un drame d'intimidation, de spoliation habilement et perfidement machiné entre les conjurés du dedans et les complices du dehors, et qui pouvait avoir pour dénouement, après la destruction de la suzeraineté royale, la suppression de la personne royale elle-même.

Darnley devait couvrir de son aveuglement et de son inviolabilité des projets qu'il ne savait pas tout entiers et dont l'infernale portée, entrevue par Morton et Murray, dépassait les bornes de sa prévision. Et après avoir tout sacrifié à l'espoir de son orgueilleuse ambition, ses devoirs de mari et ses devoirs de roi, il devait être sacrifié à son tour, quand il demeurerait l'unique obstacle à l'usurpation de ceux dont il s'était fait le complice pour régner et dont il ne devait cesser d'être la dupe que pour devenir leur victime.

C'est en exploitant habilement la honte, le remords, la crainte, en lui montrant les suites décevantes de sa participation à un crime qui le déshonorait sans profit, et en ébranlant sa confiance dans des gens qui n'en méritaient aucune, puisqu'ils n'y avaient d'autre droit qu'une trahison, que Marie allait ramener Darnley repentant à ses devoirs et à ses intérêts désertés, et faire de l'auteur du complot, bientôt dégrisé des sanglantes fumées de la veille, l'instrument de la délivrance du lendemain.

Ce revirement, qui n'atteste pas moins l'énergie, l'habileté, le sang-froid, la puissance et le charme de Marie que l'irrésolution, la faiblesse, la crédulité d'un homme si variable et si contradictoire, qu'il joua assez près l'un de l'autre pour avoir paru les jouer en même temps les rôles si opposés de persécuteur et de libérateur, ce revirement, malgré la supériorité de la reine et son art de persuasion et de domination, malgré la docilité d'un prince qui venait de dépenser mal à propos dans un crime tout ce qu'il possédait de vigueur, eût été impossible si Marie avait eu besoin de se justifier, de s'excuser d'une faute quelconque, et si elle avait perdu, en parlant à un coupable, l'autorité irrésistible, mais qui ne souffre pas même le soupçon, d'une conduite irréprochable et d'une intacte innocence.

Les événements que nous avons racontés et qui ont semblé incriminer Marie aux yeux des romanciers de l'histoire, seront éclairés jusqu'à l'évidence par ceux qui vont suivre ; le triomphe de Marie, qui succédera si rapidement à son humiliation, établira l'inanité des griefs domestiques articulés contre elle par des accusateurs auxquels le principal intéressé ne s'associa jamais, dont sa métamorphose et sa palinodie si victorieusement accomplies, aussitôt que Marie put parler à la raison d'un prince qui n'avait pu lui retirer son amour, attestent irrévocablement l'injustice, et dont les véritables historiens auraient dû éviter l'erreur.

Si M. Mignet ne voit que l'enchaînement fatal des passions dans la succession de conspirations et de meurtres qui va ensanglanter pendant vingt-cinq ans l'histoire d'Écosse, d'autres y voient, avec plus de raison et non moins d'autorité, les conséquences inévitables d'un plan qui allait beaucoup plus loin que la suppression d'un favori importun, et visait beaucoup plus haut qu'à servir la jalousie d'un mari ou l'ambition d'un prince.

Il est impossible, sur ce point longtemps controversé, aujourd'hui inondé de lumière par les recherches et les découvertes de la critique historique, de ne, pas s'associer aux conclusions d'un contradicteur souvent victorieux de M. Mignet.

..... Depuis longtemps personne n'admet plus cette fable d'adultère. Ce fut un assassinat politique et religieux. Le complot eut pour auteurs les nobles restés à la cour, Argyle, Morton, Ruthven, Maitland, etc. ; les nobles réfugiés en Angleterre, Murray, Glencairn, Rothe, de Grange et autres, qui frappèrent par la main des premiers. Leur but était de prévenir une réaction catholique imminente, selon eux, et dont Riccio aurait été l'âme ; d'empêcher la reine d'user, devant le prochain parlement, du droit dont l'armaient les lois d'Écosse, de révoquer les aliénations du domaine royal, que les grands avaient mis au pillage pendant sa minorité ; de lui arracher de force la réintégration des bannis et la dissolution du parlement, qui devait prononcer aussi, contre les fugitifs, la peine de la forfaiture ; on méditait plus encore, la déposition de Marie Stuart ; disons même, sa mort. Vieux complot ourdi dés l'année 1561, tenté et manqué un peu avant la célébration du mariage, en 1565, repris maintenant, en 1566, mais qui, exécuté seulement à moitié, dans le sang de Riccio, et toujours renaissant, s'accomplira en 1567 sur le cadavre de Darnley[1].

 

Ainsi placés dans la vérité et dans la logique de la situation réciproque, si singulièrement dénaturée par des calomnies aujourd'hui confondues à force de témoignages authentiques, de Marie Stuart et de Darnley, il nous sera facile de comprendre le double travail de rapprochement qui s'accomplit le lendemain de la nuit fatale entre la reine rassérénée et tout entière au salut, et le roi désabusé, placé en face de difficultés plus grandes que celles qu'il avait prétendu conjurer en donnant à une association, dont l'intérêt était con traire au sien, un gage dont il ne pouvait se servir et dont elle prétendait abuser.

Ce rapprochement d'une cause commune était inévitable et irrésistible entre les deux époux séparés désormais par un si cruel souvenir et de si funèbres ombres, à la condition que l'offensée voulût oublier et que le coupable voulût réparer. Marie fit plus ; elle pardonna sincèrement à son mari, qu'elle ne croyait qu'égaré, et capable d'effacer, par un changement loyal et décisif, la faute d'un entraînement où elle n'osait pas voir une complicité.

De là le revirement dont il n'est point besoin d'attribuer à la perfidie ou au sortilège, le naturel enchantement, uniquement dû à la douceur et à la raison, qui fit du Darnley du 10 mars, encore fidèle à son rôle et sous l'empire de son fébrile et passager enivrement, prononçant la dissolution du parlement, enjoignant à ses membres, sous peine de trahison, de vider Édimbourg en trois heures, écrivant de sa main au prévôt de la ville de n'en laisser sortir que les protestants, le Darnley du 11 mars, si différent de l'autre. Celui-là, pénétré d'horreur et de pitié, effrayé d'un avenir menaçant, écrasé déjà par la fatigue d'un fardeau supérieur à.ses forces, vint consoler la reine, pleurer à ses genoux, se relever sous son pardon et chercher, dans une libératrice évasion, à se racheter de sa faute et à se réhabiliter de hi déchéance morale qu'il avait encourue avant l'autre dont il se sentait déjà menacé.

Quoi d'étonnant que ce jeune homme, non entièrement perverti, reconquis par la générosité d'une reine à qui il devait tout et vis-à-vis de laquelle il s'était montré si cruellement ingrat, ne songeât plus, dès le 12, qu'à abjurer ses projets, qu'à renier ses complices, qu'à échapper à ses serments, et qu'à partager avec Marie le danger ou le salut ?

Il n'y avait pas d'autre issue honorable pour Darnley. Il n'y avait pas d'autre dénouement possible pour Marie. L'une était prisonnière, désarmée, menacée. L'autre était encore moins libre, surveillé par des témoins impérieux, menacé par des complices exigeants. Leur échapper, leur échapper ensemble, c'était pour le roi, se faire absoudre à la fois par la reine, par l'opinion, par les cours de l'Europe, c'était reconquérir à la fois son honneur et son bonheur aliénés.

Ni l'un ni l'autre ne pouvaient croire qu'il fût déjà trop tard, et que la vengeance d'associés désavoués et déçus, aiguisât déjà le poignard d'un inexorable talion.

Avaient-ils bien d'ailleurs l'un et l'autre le temps de réfléchir, le droit d'hésiter sur le choix d'un parti ? Il y a des moments critiques où les minutes sont des heures et les jours des éternités. Il fallait saisir l'occasion, même la plus précaire, de se sauver, fût-ce au prix de quelques compromis et de quelques sacrifices.

Que Marie ait dissimulé vis-à-vis des conjurés, et qu'elle se soit fait un masque souriant et une attitude indulgente, cela n'est pas douteux. Dissimuler, n'est-ce pas le droit du plus faible ? La ruse est-elle coupable vis-à-vis de la force ? Marie pouvait-elle redevenir tout d'un coup la reine impunément, et provoquer aux extrémités de la peur et du désespoir ceux entre les mains desquels elle devait glisser, pour ainsi dire, furtivement ? Et lui reprochera-t-on d'avoir préféré le salut à une impolitique franchise, d'avoir usé des seules armes qui lui fussent restées, celles de son éloquence et de sa finesse, et d'avoir manqué de scrupules, vis-à-vis d'adversaires qui l'avaient si peu ménagée ? Elle était en guerre avec des sujets révoltés, et sa situation autorisait tous les moyens de la guerre. Elle eût été indigne de sa couronne, déjà si compromise, si elle eût préféré le stérile plaisir de se montrer implacable à son intérêt véritable, à celui de l'enfant qu'elle portait dans son sein, à celui de son mari repentant, et si elle eût fermé elle-même par la menace la voie que lui ouvraient la patience et la clémence, seules capables de dénouer ses liens.

Nous ne nous effaroucherons ni ne nous indignerons donc point mal à propos de l'art nécessaire avec lequel Marie parut approuver ce qu'elle n'avait pu éviter et désarma, par l'espoir de l'impunité, ces farouches adversaires que la crainte eût rendus encore plus terribles que la haine.

Marie, ayant besoin d'alliés, et trouvant d'ailleurs à diviser ses ennemis un premier avantage auquel il ne lui était pas permis de renoncer, choisit naturellement parmi les conjurés les moins compromis, et ceux qui, demeurés à l'écart de torts impardonnables, s'étaient contentés de la trahir sais l'humilier. Elle prévoyait d'ailleurs avoir bientôt besoin des talents de Murray, le seul homme d'État de la coalition, à qui elle n'avait pas retiré, malgré ses fautes, toute sa confiance et dont la main au moins demeurait pure des crimes récents, si son âme ne l'était pas.

Le comte de Murray, en effet, au-devant duquel elle avait envoyé J. Melvil, arriva le dimanche soir avec les lords fugitifs. Elle le fit appeler, et, en le voyant, se jeta dans ses bras, avec une illusion ou au moins un attendrissement sincère, en lui disant :

— Ah ! mon frère, si vous aviez été ici, vous n'auriez pas souffert qu'on m'eût traitée si indignement !

Murray, surpris de cet accueil, qu'il n'osait espérer, paya cette bienvenue en protestations, et en consolations quelque peu embarrassées.

Le lendemain 11, la délibération des conjurés réunis se ressentit, malgré son énergie apparente, d'un inévitable malaise de rivalité, de fatigue, d'anxiété. Ils s'accordèrent toutefois sur le projet de conférer la couronne matrimoniale et le gouvernement à Darnley, de compléter l'établissement du protestantisme et d'enfermer la reine dans le château de Stirling jusqu'à ce qu'elle eût sanctionné leur entreprise.

Mais déjà Darnley avait succombé sous une influence salutaire, plus forte que la leur, et, incapable de profiter de la victoire, avait abdiqué, devant les objurgations de Marie, son éphémère indépendance. Marie avait obtenu du repentir de son mari, la promesse de favoriser son évasion et de la suivre, et il semblait encore commander en maître, qu'il obéissait en serviteur, et employait, en faveur du projet contraire à celui des conjurés, les moyens qu'il tenait d'eux.

Dans la journée du lundi 11, Darnley déclara à ses confédérés que la situation physique et morale de la reine rendait indispensable un changement d'air, d'où dépendait peut-être la conservation du fruit de leur mariage. Il les assura en même temps d'un oubli et d'un pardon dont elle les laissait libres de fixer les conditions et de dresser le pacte ; et la conduite et les paroles de Marie, durant tout le reste du jour, endormirent leur méfiance et entretinrent leur illusion.

Les conjurés dressèrent l'acte qui sanctionnait leurs conquêtes et consacrait leur sécurité, et ils le remirent à Darnley, qui se chargea de le faire revêtir de la signature de la reine apaisée. En même temps, il n'eut pas besoin d'insister sur la convenance qu'il y avait à laisser, par leur retraite, à un tel acte, le caractère de liberté qui seul pouvait le rendre valide. Ils évacuèrent donc, non sans appréhensions et sans menaces, le palais d'Holyrood dans la soirée du lundi.

Si par suite de ce qui va se faire, dit le sombre Ruthven, il est versé du sang, que ce sang retombe sur votre tète et non sur la nôtre !

Dans la nuit du 11 au 12 mars, Marie, accompagnée de Darnley et du capitaine de sa garde, Arthur Erskine, sortit furtivement d'Holyrood, enfourcha un cheval et partit au galop vers Dumbar.

Là, sous l'abri de ces murs fidèles, la fugitive redevint reine, et rejetant loin d'elle un acte de pardon qui eût été une abdication, elle songea d'abord à restaurer son autorité et à punir l'injure qui lui avait été faite, se réservant d'attendre la victoire pour se montrer clémente impunément.

Elle convoqua la noblesse loyale, et quand elle fut à la tête des secours que lui amenèrent avec empressement, les comtes de Bothwell, de Huntly, d'Athol, de Caithness, Marshall, l'archevêque de Saint-André, les lords Hume et S'ester, elle publia, le 16 mars, une proclamation contre les rebelles qui avaient osé ensanglanter son palais et l'y retenir captive. Indulgente envers Murray, Argyle, Glencairn et Rhotes, elle leur accorda l'amnistie qu'elle refusait avec raison aux meurtriers. Morton, Ruthven, Lindsay, Georges Douglas, André Kar de Faudonside et soixante-cinq lords ou gentlemen furent cités

devant la justice pour y rendre compte de leur attentat, et elle les poursuivit avec activité, jusque dans Édimbourg, où elle rentra triomphante et acclamée, tandis qu'ils en sortaient par la fuite et pour l'exil.

Le comte de Lennox, disgracié, reçut défense de paraître à la cour. Maitland de Lethington dut rendre sa charge de secrétaire d'État et se retirer à Inverness. Joseph Riccio, frère de la victime, fut mis en possession de son riche héritage, et un moment même, en attendant un titulaire, investi de l'intérim de ses fonctions, qu'il ne tarda point d'ailleurs à quitter, après avoir indignement trompé une passagère confiance.

Le cadavre de David reçut une sépulture honorable dans le cimetière d'Holyrood, mais non, comme on l'a dit calomnieusement, dans les caveaux destinés aux cercueils royaux.

Enfin, les premiers coupables saisis, et non subalternes, comme on l'a dit, inaugurèrent par leur supplice une légitime et exemplaire expiation, que la bonté de Marie, bientôt victorieuse de sa colère, devait borner à eux.

Ces deux coupables, punis sur l'insistance de Darnley lui-même, furent Henri Vair, auparavant prêtre de la chapelle de la reine, qui avait pris part à l'assassinat dans le cabinet même de Marie, et Thomas Scott, sous-shériff de Perth, coupable au premier chef, puisqu'il était magistrat commissionné par la couronne.

D'autres furent épargnés, par suite de l'horreur du sang même justement versé, qui domina toujours Marie, même aux dépens de sa propre sûreté, et en furent quittes pour l'amende et l'exil.

Ce qu'elle exigea justement de Darnley, si même il ne lui offrit pas, c'est le désaveu, sincère ou non, mais nécessaire pour qu'elle pût continuer à vivre avec lui avec décence et dignité, que le roi n'hésita pas à faire de toute participation à l'assassinat d'un serviteur contre lequel il n'articula jamais d'autres griefs que ceux de l'ambition et de la vanité.

Dans la déclaration qui fut solennellement publiée et affichée dans Edimbourg et dans tout le royaume, Darnley protestait contre les bruits calomnieux par lesquels on osait l'associer au meurtre cruel, commis en la présence de la reine et à la détention criminelle de la très-noble personne de Sa Majesté. Il ajoutait : Sa Grâce, pour éloigner la mauvaise opinion que les bons sujets pourraient être induits à concevoir à la suite de ces faux rapports et de ces séditieuses rumeurs, a déclaré à Sa Majesté la reine, devant les lords du conseil secret, sur son honneur, fidélité et parole de prince qu'il n'a jamais rien su de la perfide trahison dont il est injurieusement et faussement accusé, et ne l'a jamais conseillée, commandée ni approuvée[2].

Il était impossible, il en faut convenir, d'outrager plus impudemment la vérité.

Darnley mit le comble à sa lâcheté en ne se bornant pas à désavouer, mais en allant jusqu'à dénoncer et jusqu'à poursuivre des complices dont il prétendait étouffer dans la mort la voix importune. C'est ainsi qu'il signala lui-même à la colère de la reine le secrétaire Lethington, le justice-clerk Bellenden, et le clerc du registre Makgill comme ayant pris part à la conspiration.

Les coupables exilés, répudiant ce double traître, lui répondirent par le plus décisif démenti. En représailles de son infidélité, ils firent connaître à la reine les deux bonds qu'il avait signés, et par lesquels il avait été convenu qu'on lui accorderait la couronne matrimoniale et qu'on tuerait Riccio[3].

Ce fut un coup terrible pour le cœur de la reine, à qui il ne fut plus permis d'avoir la moindre illusion sur le compte d'un mari qu'elle cessa d'aimer dès qu'elle ne put plus l'estimer, et dont elle se détourna avec un mépris irrésistible, dont la punition semble douce en présence de celle qu'il eût méritée.

Celle-là, à laquelle Marie ne prit aucune part, comme nous le prouverons surabondamment par d'irrécusables témoignages, était l'affaire de Dieu et des événements. Darnley ne pouvait y échapper, et il eût même été impossible de l'y soustraire, car l'attentat qu'il avait fait avorter, après l'avoir provoqué, avait semé l'étranger d'exilés implacables et qui jurèrent sa mort.

Que ne s'arrêtèrent-ils là, et pourquoi osèrent-ils mêler, dans leurs vœux homicides, la reine innocente au roi parjure ? Pourquoi surtout, avec un raffinement de haine effroyable, cherchèrent-ils, dès lors, à tuer dans sa réputation, par une conspiration de calomnies infâmes, celle qu'ils aimèrent mieux déshonorer qu'égorger, lui infligeant ainsi, en l'épargnant, un supplice pire que la mort ?

Le moment fatal de l'éclosion de ce nouveau complot est nettement déterminé par les historiens que n'a pas aveuglés la prévention.

Le roi — dit l'un d'entre eux — fut dès ce moment, l'obstacle essentiel contre lequel se tramèrent bien de nouvelles machinations avant d'en venir directement à la reine. Ils y employèrent tout un an (mars 1566 - février 1567). Cependant la cause principale qui avait tourné le crime à la confusion de ses auteurs, c'était la popularité dont la reine jouissait. Ils avaient dû fuir, parce qu'ils s'étaient trouvés dans le vide. Dès lors aussi, et plus que jamais, ayant éprouvé à leur dam combien la position de la jeune princesse était solide, ils s'attachèrent à la déshonorer, seul moyen de lui ôter l'affection et le support du peuple, et d'éloigner d'elle, par le dégoût et l'horreur, l'opinion publique en Europe[4].

 

Ce complot contre l'honneur de Marie Stuart ne devait, comme nous le voyons, s'exécuter qu'après le succès de celui contre la vie du roi. Il lui était même subordonné, et, dans la pensée des auteurs de cette combinaison infernale, une étroite solidarité enchaînait naturellement l'assassinat matériel de Darnley et l'assassinat moral de la reine, qu'on devait présenter comme complice, sinon auteur du meurtre et rendre ainsi tuable elle-même.

Tels sont les mobiles et les secrets ressorts de cette infâme et maudite machination dont un concours fatal de circonstances devait favoriser le succès au point de faire longtemps illusion à la postérité elle-même, et de permettre à Élisabeth, qui immola à ses ressentiments jaloux la victime que pendant vingt ans ses conseillers et ses pamphlétaires parèrent de calomnies, de garder encore un parti dans l'histoire.

Nous avons voulu seulement prendre date, marquer le début de l'œuvre sourde de destruction du prestige de la reine et de la réputation de la femme dont Randolph, ambassadeur d'Élisabeth, devait être le principal auteur, et un poète parasite et ingrat, comme tous les flatteurs, le trop habile instrument.

Le moment n'est point d'ailleurs venu d'exposer les moyens et le but, et de réfuter une à une les calomnieuses insinuations sorties du cerveau, nid fécond de vipères, d'un insulteur plus vénal et plus servile encore que le cynique Arétin.

Laissant donc Georges Buchanan attendre, encore servile, l'occasion propice de la palinodie et de la trahison inouïes qui nous montreront le précepteur cicéronien de Marie Stuart en France, son lecteur, son lauréat et son pensionnaire en Écosse, tournant contre sa meilleure élève, sa souveraine, sa bienfaitrice, les bienfaits qu'il en a reçus, mordant la main qui l'a nourri et se vengeant d'éloges sincères par des satires mensongères, nous revenons au théâtre des événements, où va paraître, en acteur principal, un acteur jusque-là secondaire, dont l'ambition sera plus funeste à Marie que la haine de tous ses ennemis, dont le dévouement la perdra plus que toutes les trahisons, et dont l'élévation, faite d'erreur et de violence, causera sa chute.

Nous voulons parler de ce fameux comte de Bothwell, qu'il convenait d'introduire avec les égards dus au personnage fatal sur la scène qu'il va remplir de son orgueil éloquent, de sa laideur fascinatrice, de ses vices héroïques, de son crime, de son triomphe et de son expiation.

Les services et la faveur de Bothwell, chef du parti fidèle à la reine, concordent naturellement avec la trahison de Murray et celle de Darnley, et la disgrâce de tous deux, qui rendirent plus nécessaire encore à Marie un défenseur si loyal jusque-là et un champion si résolu.

C'est là une coïncidence dont il est étrange qu'on ait prétendu abuser, et il faut la mauvaise foi et l'impure impatience des calomniateurs qui placent au printemps de 1566 l'origine et les serments d'une liaison coupable entre Bothwell et Marie, pour leur faire oublier la contradiction et la protestation d'une triple et brutale impossibilité : l'état de grossesse avancé de Marie Stuart, le mariage récent de Bothwell avec Jane Gordon, enfin, le masque tragique et ravagé de ce grand seigneur aventurier et pirate, à l'œil crevé par un coup reçu dans une de ses innombrables luttes, aux manières violentes et grossières, auquel on a voulu faire jouer si mal à propos les rôles d'amoureux, où il ne pouvait attendre que des rebuts humiliants et des échecs ridicules.

Et c'est ce rude conquérant qu'on a voulu montrer triomphant presque à l'impromptu de la femme la plus spirituelle, la plus élégante, la plus fière qui ait jamais honoré son sexe, paré le trône et embelli la vertu ! Il y a là des incompatibilité qui sautent pour ainsi dire aux yeux, et toute la suite de ce récit démontrera la vérité vraie, légitime, innocente, inoffensive, et par cela même travestie par les calomniateurs, des relations de Marie avec Bothwell ; relations où la reine entraîna naturellement la femme, où la politique fit taire plus d'une répugnance personnelle, où Marie supporta plus qu'elle ne l'attira un serviteur utile, et où après avoir mérité et trompé sa confiance, Bothwell, de protecteur devenu maître, imposa non au cœur, mais à la raison de la souveraine, le joug non de l'amour, mais de la nécessité.

Cependant Marie qui, arrivée dans l'asile de Dunbar, signait une lettre au cardinal de Lorraine : Votre nièce, Marie, reine sans royaume se voyait, moins de dix jours après, maîtresse de sa capitale. L'horreur sans doute d'un palais souillé de sang l'éloigna d'Holyrood ; elle s'établit d'abord dans la maison de lord Home, où elle se garda militairement ; et le 5 avril 1566, elle se transporta au château d'Édimbourg, afin d'y attendre ses couches en sûreté[5].

Quant à Darnley, s'étonner que la reine l'eût, depuis qu'elle avait acquis la triste conviction de son insuffisance et de sa versatilité, tenu à l'écart et éloigné des affaires qu'il avait si douloureusement compromises, ce serait s'étonner de la chose la plus naturelle et la plus légitime du monde.

Marie eût été incurablement imprévoyante, si elle se fût encore confiée à lui ; et elle eût été méprisable, si elle ne l'eût méprisé.

Dans ce juste et inévitable châtiment de tant de faiblesse et de tant de lâcheté, elle sut pourtant garder la mesure, respecter toutes les convenances, et faire la part de la pitié plus grande que celle de la justice.

Que Darnley s'exagérât sa disgrâce et son humiliation, et cherchât à reconquérir, par tous les moyens possibles, l'influence dont il était justement déchu, ceci est encore dans la logique de son caractère et la fatalité de sa situation.

Nous le verrons, en effet, protester par sa bouderie, accuser par son mécontentement, menacer en tremblant d'un départ toujours ajourné, continuer enfin ce manège équivoque qui aboutit à une mort mystérieuse et tragique, dans la responsabilité de laquelle ses assassins, déguisés en vengeurs, cherchèrent à entraîner jusqu'à sa veuve innocente elle-même.

Tandis que Darnley cherchait vainement à triompher des conséquences de ses fautes et à remonter dans la faveur de la reine, alors qu'il avait perdu à jamais son estime, celle-ci, le laissant régner en apparence dans son orgueilleux opprobre et sa brillante solitude, gouvernait avec le concours des comtes de Bothwell, de Huntly, d'Athol et de l'évêque catholique de Ross, dont la main n'était point souillée à ses yeux de cette ineffaçable tache du sang innocent.

Elle mit au monde le 19 juin, entre neuf et dix heures du matin, le royal enfant dont la noblesse écossaise devait se servir pour la déposséder du trône, treize mois plus tard, et qui, après avoir régné trente-cinq ans en Écosse, sous le nom de Jacques VI, devait succéder à Élisabeth en Angleterre sous le nom de Jacques Ier[6].

 

Aussitôt après la naissance de son fils, Marie dépêcha Melvil auprès de la reine d'Angleterre pour lui faire part d'un événement qui intéressait les deux pays, et lui demander de vouloir bien être la marraine du prince d'Écosse.

Élisabeth était à Greenwich, où elle donnait un bal à sa cour, lorsque le secrétaire d'État Cecil et l'envoyé de Marie Stuart y arrivèrent. Cecil s'approcha d'elle pendant qu'elle dansait, et lui fit part à l'oreille de la naissance du prince d'Écosse. Cette nouvelle la remplit d'une tristesse soudaine. Interrompant les danses, elle se jeta, comme accablée, dans un fauteuil, et dit aux dames qui l'entouraient : — La reine d'Écosse vient d'accoucher d'un fils et je ne suis qu'un arbre stérile ![7]

 

La politique triompha bientôt de cet intempestif premier mouvement, et, grâce à la dissimulation dont elle s'était fait une seconde nature, Élisabeth, ayant dominé son angoisse jalouse, put paraître dès le lendemain, non-seulement résignée, mais heureuse, non-seulement bienveillante, mais souriante.

Elle reçut Melvil avec un visage ouvert et paraissant joyeuse de l'événement qui l'affligeait et qui lui donnait un successeur malgré elle. Elle le remercia de lui apporter une si heureuse nouvelle, et accepta, avec une gaieté apparente, d'être la marraine du jeune prince. Elle fit partir ensuite sir Henri Killegrew pour aller féliciter de sa part la reine d'Écosse, l'assurer de son amitié, et l'approuver dans sa conduite à l'égard des meurtriers de Riccio, qu'elle avait néanmoins accueillis dans son royaume[8].

 

Mais fidèle à son habitude de ne jamais rien refuser ni rien promettre, Élisabeth garda son attitude ambiguë sur la question que l'ambition maternelle de Marie Stuart tenait si légitimement à voir toucher.

Tandis que la reine d'Écosse redoublait d'efforts et de sacrifices pour assurer la paix de son royaume et l'harmonie de son gouvernement, et allait dans ce but jusqu'à abjurer contre Murray, Argyle, Lethington, ses derniers ressentiments et à ménager leur rapprochement avec Bothwell, Huntly, Athol et l'évêque de Ross, jusqu'à rechercher et caresser elle-même les chefs du parti presbytérien, la reine d'Angleterre éludait la réponse que provoquait enfin une occasion si décisive, et fermait impérieusement la bouche aux délibérations de son parlement, qui devançait indiscrètement sa pensée et découvrait, sur cette question délicate de la succession, des desseins dont le mystère faisait sa force et sa fierté.

Élisabeth, qui s'était opposée au choix d'un héritier protestant, ne réprima pas avec moins de véhémence les désirs de l'héritière catholique. Elle exprima à Marie Stuart son extrême mécontentement de la témérité de l'Écossais Patrick Adamson, qui venait de publier à Paris un livre latin dans lequel il reconnaissait Marie Stuart comme reine d'Angleterre, et appelait son fils prince d'Écosse, d'Angleterre et d'Irlande, et la pressa de désavouer, par un acte public, un livre qui, lui dit-elle, est si scandaleux pour vous, si injurieux à moi, si fol en soy. Elle ajouta que cette publication[9] suffirait pour la faire condamner comme ingrate envers celle qui journellement lui servoit d'advocat contre tous ses maldisans. Vous savez, madame, continuait-elle, qu'il n'y a chose du monde qui me touche plus en honneur qu'il n'y ait aultre royne d'Angleterre que moi... Malgré l'ardent désir de Marie Stuart la succession d'Angleterre resta dans la même incertitude qu'auparavant. Elle y conserva ses droits sans parvenir à les faire reconnaître[10].

 

Lorsque Élisabeth reprochait si aigrement à Marie sa prétendue ingratitude contre son advocate, elle savait ce qu'elle disait, elle savait ce qu'elle faisait, mais Marie ignorait et ne devait apprendre que trop tard l'un et l'autre, alors qu'une déception fatale suivit pour elle une imprudente confiance.

Marie, avec la candide sécurité de ses illusions et de son innocence, ne pouvait savoir que, profitant, avant d'en abuser, du mécontentement de Darnley, de l'ambition de Bothwell et des moindres apparences fâcheuses que ne pouvait manquer de faire naître cette situation si fausse et si dangereuse d'une reine placée entre un mari indigne et un serviteur sans scrupules, Murray, d'accord avec ses anciens complices prêts à le redevenir, ourdissait avec les envoyés anglais et le mercenaire Buchanan le nouveau tissu de calomnies que la satire devait broder. et préparait le thème des variations scandaleuses de la Detectio.

Ce pamphlet accusateur, dont Élisabeth ne devait point rougir d'accepter la dédicace, et, remarquons-le, pour avoir tout de suite une idée de son impartialité et de son autorité, est de 1571, c'est-à-dire postérieur à la chute de Marie, et inspiré, non par l'indignation des événements, mais par les besoins de la cause de son patron. C'est non contre Marie coupable et triomphante qu'écrit le pamphlétaire qui épuisera les faveurs de sa bienfaitrice abusée, avant de lui faire connaître impunément ce que l'ingratitude d'un lâche a de plus amer, mais contre Marie déchue, prisonnière, accusée, et qu'il faut flétrir pour pouvoir la condamner.

Nous sommes bien forcés d'examiner rapidement, avec une pudeur que n'a pas eu l'infâme accusateur, les principaux griefs et les principaux reproches de ce réquisitoire mercenaire, qui se contredit à force d'affirmer, et manque son but à force de vouloir l'atteindre.

Plus préoccupé de frapper fort que de frapper juste, l'auteur de cet odieux ouvrage, dont le but est. d'impliquer Marie dans la mort de son mari, ne recule devant aucune assertion, sans s'apercevoir que souvent les faits par lesquels il prétend incriminer Marie la déchargent, et qu'elle sort plus grande des accusations par lesquels il prétend l'abaisser.

Il verra par exemple une preuve de sa complicité dans le meurtre de Darnley dans la bénigne vengeance, bientôt suivie d'un pardon trop généreux, qu'elle tire du meurtre de Riccio.

Mais si Marie pardonne, c'est précisément parce qu'elle n'a pas d'injure personnelle à venger, ni de victimes à immoler aux mânes d'un serviteur dont les talents lui étaient chers, dont la mort tragique l'a justement révoltée, mais dont, ce juste tribut de douleur et de pitié payé, la mémoire la laisse impassible comme sa personne la laissait indifférente.

Si Marie avait pleuré dans Riccio autre chose qu'un malheureux dévoué, assassiné sous ses veux, avec son pouvoir, son caractère, et les mœurs du temps, quel est le coupable, si haut qu'il fût, qui eût pu se flatter de la frapper aussi impunément au cœur et d'être ensuite épargné ?

Les meilleurs arguments de Buchanan sont de cette force et se retournent le plus souvent contre lui comme une arme grossière qui blesse la main qui s'en sert maladroitement.

La prétendue liaison, absorbante et dévorante, de Marie avec Bothwell, les prétendus outrages prodigués par elle à un mari qui n'a plus qu'à attendre et qu'à désirer la mort, les prétendus bienfaits dont elle gorge son favori, les témoignages d'intérêt dont elle l'accable, rendus plus criants encore par l'abandon et le dénuement de celui qu'elle va sacrifier, ne sont pas plus fondés, et ne résistent pas, comme on va le voir, au premier examen sérieux.

Arrêtons-nous donc un moment, non sans dégoût, à cette enquête nécessaire, et faisons une halte dans la boue, où l'on veut prétendre marquer, jusqu'au théâtre de l'assassinat de Darnley, la trace dénonciatrice de Marie.

Mais avant de le juger en détail, rappelons, sur le pamphlet que nous sommes obligés d'ouvrir un moment, le significatif jugement du principal conseiller d'Élisabeth, de celui qui a si habilement profité de ces calomnies qu'il ne peut s'empêcher de mépriser, de lord Cecil lui-même.

C'est lui qui écrira à l'ambassadeur d'Angleterre en France en 1571 : Vous feriez bien d'avoir plusieurs exemplaires du petit livre latin de Buchanan — la Detectio, qui venait de paraître — et de les présenter à l'occasion, comme de vous-même, au roi, ainsi qu'à plusieurs des nobles de son conseil.

Ils nous rendront l'utile service de la déshonorer ; ce qui est indispensable avant qu'on puisse parvenir à autre chose[11].

Voilà la moralité de l'œuvre infâme de Buchanan. Voyons maintenant sa logique.

Et d'abord, esquissons encore — on ne saurait trop se répéter sur ce point — le portrait vrai de Bothwell. Nous verrons s'il répond à l'idéal d'un séducteur, et si Marie a pu être jamais autre chose que sa dupe d'abord, sa victime ensuite.

Bothwell était brutal, grossier — comme toute la noblesse d'Écosse —, laid, et on ajoute, borgne. Il n'y avait pas là de quoi captiver une femme belle, élégante, spirituelle, chez qui une éducation profonde et raffinée avait cultivé les qualités naturelles les plus heureuses.

Ce Bothwell, dit Brantôme, estoit le plus laid homme et d'aussi mauvaise grâce qu'il se peust voir.

Buchanan ne le conteste point, car peu lui importe que le goût de Marie ne se justifie pas. Il y gagnera une épithète de plus à infliger à une passion d'autant plus dégradante qu'elle sera plus insensée.

Quiconque l'a vu, dit-il de son héros, peut se rappeler sa figure, sa démarche, et les allures de toute sa personne ; qui l'a entendu, sa parole difficile et inepte[12].

 

Voilà, on l'avouera, un accusateur qui, contrairement à l'habitude, ne vante pas ses témoins.

Examinons rapidement les autres griefs et reproches du pamphlet, digne fondement des accusations de sujets révoltés et d'une reine complice. Nous ne les trouverons pas moins contradictoires, incriminant à la fois la tendance de Marie Stuart à la tyrannie et son indulgente tolérance, montrant en même temps Bothwell comblé de faveurs abusives qui en faisaient le plus riche seigneur du royaume, et tombé dans la misère.

Nous nous arrêterons un moment à ce dernier chef, celui de tyrannie ne supportant pas l'examen, appliqué à une princesse dont la bonté avait touché plus d'une fois à la faiblesse, dont les illusions opiniâtres et les candides pardons avaient laissé libres et puissants tous ses ennemis et multiplié leurs complots.

Une seule personne auprès d'elle, par son ardeur de réaction catholique, son implacable acharnement à poursuivre ses anciens complices, eût pu mériter ce reproche, conforme au moins à son caractère et à ses ambitions, de viser à la tyrannie. Et c'était Darnley, ce roi détesté de son vivant, qui devait subir encore après sa mort l'affront d'être défendu et vengé par ses propres assassins.

Voilà pour la tyrannie politique. S'il s'agit de réaction religieuse, ce dessein prêté à tort à Marie n'aurait pas, en tout cas, rencontré dans Bothwell, protestant déclaré et convaincu, un partisan ni un exécuteur des mieux choisis.

Mais comptons et pesons ces faveurs tant vantées qui auraient triomphé des répugnances et des résistances de ce protestant, d'une orthodoxie exaltée et touchant au fanatisme.

Sur ce point, Knox, Morton et les historiens qui ont adopté leur cause, Robertson et Malcolm Laing, ont entassé exagérations sur exagérations, contradictions sur contradictions, bévues sur bévues.

Bothwell tenait de la régente, mère de Marie Stuart, son titre, héréditaire, pour ainsi dire, dans la famille, de lieutenant des Marches ; et c'est en 1561, lors de l'arrivée de la reine en Écosse, qu'il reçut au conseil privé la place de son père ; ces deux titres, ces deux fonctions, plus honorifiques que lucratifs, lui furent non donnés, mais rendus en 1565.

Parmi les abbayes qu'on lui prête, Bothwell ne posséda jamais celles de Melrose et de Newbottle ; sur la première seulement, il jouit, pendant quatre mois, d'une pension de cinq cents marcs d'argent, qu'il fit rendre lui-même au comte de Glencairn, gracié à son instigation pour la part qu'il avait prise à la révolte de Murray. Pour l'abbaye d'Hudington, située sur les domaines de sa famille, enrichie par elle, et dont sa parente était abbesse, Bothwell ne jouit à ce titre que de privilèges et de revenus amoindris par la nécessité de les partager avec Maitland de Lethington ; et ce partage fut entre eux l'objet de nombreux conflits et de violentes querelles.

La charge de grand amiral d'Écosse était dans la famille de Bothwell, à titre héréditaire depuis 1511.

Les comptes du trésorier de la garde-robe ne constatent pas une seule remise de meubles, d'argents ou de bijoux, remis à Bothwell avant ou après son mariage. Cette dernière imputation n'a eu d'autre but que de masquer les dilapidations de Murray et de Morton, qui pillèrent les joyaux de la reine après sa défaite, et les vendirent scandaleusement au point de s'attirer à cet égard, le 2 octobre 1568, les reproches et les inhibitions d'Élisabeth.

De tant de prétendues faveurs, que reste-t-il ? Le château et la seigneurie de Dunbar, dont Bothwell ne reçut point la seigneurie, mais simplement la garde ou commandement militaire. La garde du château de Dunbar et la remise de quelque argent pour droits féodaux dus à la couronne par Bothwell et son père, voilà donc toute la récompense que Bothwell reçut de ses loyaux services, lors de la révolte de Murray et de l'assassinat de Riccio[13].

Telle est la conclusion définitive de l'histoire consciencieuse et impartiale sur ce point, déblayé enfin d'erreurs et de mensonges également intéressés.

Bothwell reçut-il au moins en pouvoir, en influence, eu crédit, le dédommagement de cette sobriété de dons et de cette modestie de récompenses qui accuseraient la parcimonie de la reine, si elles n'attestaient pas le désintéressement d'un serviteur plus ambitieux qu'avide et jaloux surtout de domination.

Eh bien ! cette ambition de Bothwell, elle fut longtemps impuissante et déçue, jusqu'au moment où, triomphant de répugnances personnelles, les circonstances et la nécessité, habilement exploitées par lui, contraignirent Marie de remettre les rênes à son plus énergique, à son plus dévoué, à son unique défenseur.

Cette suprématie dominatrice, Bothwell n'en fut investi, malgré ses défauts, à cause de ses services, que lorsque la reine n'eut plus la liberté du choix, et subit un protecteur imposé par la fortune, mais qu'elle avait, jusque-là, plus rebuté qu'attiré.

Car le moment même où la fiction nous représente Bothwell triomphant avec excès, et insolemment usurpateur de tous les droits de Darnley, est celui où la vérité nous montre Murray dominant, Darnley, jaloux seulement, et seulement au point de vue des susceptibilités du rang, de Murray, et Bothwell écarté, dédaigné, boudeur. La vérité nous le montre évitant la disgrâce par la retraite et réduit précisément, pour se ménager un retour vengeur et l'ascendant fatal qu'ouvrent à certaines natures énergiques les troubles des crises civiles, à conspirer la mort de Darnley, dont le crédit restreint demeure encore un obstacle à sa fortune[14].

Nous ne faisons pas ici de la polémique mais de l'histoire. Les malheurs de Marie Stuart datent de ce funeste été de 1566, aux éclairs avant-coureurs de tant d'orages. Nous sommes à la source même de ses malheurs, empoisonnés par l'ambition et la calomnie, qui chercheront à les légitimer comme la conséquence de ses fautes. Si les limites qui sont forcément assignées à un récit élémentaire et résumé d'événements si complexes et d'aventures si multipliées ne nous permettent pas de suivre pas à pas nos adversaires et de les contredire détail par détail, cette nécessité, d'accord avec la réserve qui ne nous est pas moins imposée vis-à-vis de chastes oreilles, ne saurait cependant exclure l'énumération et l'appréciation de faits dénaturés, d'où l'accusation, en les pressurant, a cherché à faire sortir la culpabilité de Marie Stuart, et d'où la défense doit faire sortir la vérité de son innocence.

Nous devons donc continuer, pendant cette période intime et presque domestique du règne de Marie Stuart, à enregistrer les circonstances qui établissent surabondamment des points essentiels.

Le plus essentiel de tous, c'est le crédit non de Bothwell, mais de Murray, d'Argyle et bientôt de tout son groupe, complété par le rappel des lords complices de l'assassinat de Riccio et encore exilés. Ce rappel devait achever d'exaspérer Darnley, malgré les égards dont il était l'indigne objet, et de contraindre Bothwell, à qui toute autre issue était fermée, à se réconcilier avec la coterie toute puissante qu'on l'accuse d'avoir supplantée, et de subordonner à sa vengeance le succès de ses desseins.

Telles sont, en effet, les conséquences logiques, ét si contraires à celles qu'en tirent Buchanan et ses souteneurs, qui ressortent de l'examen de ce double séjour tant calomnié, au château d'Alloa, de Marie Stuart convalescente, et de son voyage à Jedburgh.

Pour la postérité éclairée et incorruptible, toutes les accusations dirigées par Buchanan contre la reine à propos de ce double théâtre de ses prétendus déportements, dans le double but de montrer Darnley persécuté et Bothwell triomphant, tournent contre leur but et se confondent elles-mêmes.

Alloa était la résidence domaniale du comte de Mar, située sur la rivière du Forth, au-dessus d'Édimbourg. Marie s'y rendit cinq semaines après ses couches, c'est-à-dire vers la fin de juillet 1566, pour y achever sa convalescence. Elle y alla et y séjourna en compagnie des comtes de Mar, de Murray, de ses ministres, et des comtesses de Murray, d'Argyle, de Mar, c'est-à-dire avec toute sa cour. Darnley, avec lequel elle vivait dans une bonne intelligence, sincère de sa part, mais affectée par l'ambitieux boudeur, s'y rendit séparément par terre, en haine de Murray et pour ne point voyager côte à côte avec lui.

Le 1er août, Marie reçut à Alloa, en audience solennelle, l'envoyé français Castelnau de Mauvissière, chargé de la complimenter, au nom de la cour de France, sur la naissance de son fils.

Il s'employa en faveur des lords exilés, suivant les instructions qui l'invitaient à profiter de la naissance du royal enfant pour réunir, par une amnistie et une réconciliation générale, autour de son berceau, toutes les forces vives de la nation.

Murray était grand partisan d'une mesure qui lui rendait ses principaux adhérents, et lui permettait de reconstituer sa faction et de renouer les liens de sa domination.

Marie inclinait au pardon par politique et plus encore par générosité.

Seul Darnley résistait et protestait par honte, par crainte, par orgueil contre le retour de ses anciens complices, et surtout de Maitland de Lethington, qui fut admis à reparaître le 2août en présence de sa souveraine.

De là des dissentiments et des querelles uniquement politiques, causés par le retour en grâce de personnages qui n'étaient pas moins hostiles et importuns à Bothwell qu'à Darnley, car c'est à la suite d'une altercation entre Bothwell et Murray, à l'occasion du retour de Maitland de Lethington, que Bothwell quitta la cour et se retira dans son gouvernement. Singulier triomphateur que ce mécontent qui s'exile de peur d'être exilé !

C'est ce moment aussi que les calomniateurs ont choisi, avec leur maladresse ordinaire, pour nous montrer Darnley épuisant jusqu'à la lie la coupe des humiliations et des disgrâces les plus cruelles pour un roi, pour un mari, pour un père.

Or tous les témoignages authentiques, ceux-mêmes émanés d'ennemis qui ne croyaient pas encore avoir intérêt à mentir, nous peignent justement en août et septembre Marie et Darnley, réconciliés, chassant, chevauchant, habitant ensemble, et ensemble résidant au château de Stirling où ils avaient installé leur enfant. Et les comptes du trésorier nous apprennent que le 13 et 31 août, le prince qu'on présente comme dénué de tout, reçut des fournitures pour la valeur de trois cents livres sterling, c'est-à-dire plus en un mois que la reine n'en avait reçu pour elle-même durant les six mois précédents.

Ce qui provoqua sans cesse, entre la reine et Darnley, les nuages et les orages, ce fut toujours la prétention de celui-ci, d'autant plus irritée qu'elle était plus déçue et d'autant plus impérieuse qu'elle était plus injuste, de rentrer non-seulement dans les bonnes grâces de la femme, mais encore et surtout de gouverner la reine et de lui imposer ses choix et ses exclusions.

Quant aux choix, peu de gens étaient sans doute disposés à mettre dans le jeu d'un si piètre joueur, et à hasarder leur fortune dans une partie si compromise. Il est donc probable que si Darnley ne manquait pas de conseillers funestes, il était à lui seul tout son parti. Mais s'il avait peu d'adhérents, il avait beaucoup d'ennemis, et les irritait chaque jour, loin de les apaiser. Par exemple, il prétendait ne tenir aucun compte du crédit triomphant de Murray et de la faveur renaissante de Lethington ; il provoquait en vain leur exclusion et exigeait en vain leur disgrâce par des conflits et des boutades ridicules qui ne servaient qu'à précipiter sa propre déchéance.

C'est ainsi que, vers le milieu de septembre 1560, les affaires rappelant Marie Stuart à Édimbourg, il refusa de l'y suivre, comme il devait le faire encore, quand, de retour à Stirling, elle voulut l'y ramener avec elle le 23 septembre.

Le nouvel ambassadeur de France, Du Croc, fut témoin de ces scènes intimes, et n'en ignora pas l'unique cause, c'est-à-dire la jalousie toute politique inspirée à Darnley par l'influence de Murray et le retour en grâce de Lethington, qui venait de recouvrer sa charge de secrétaire d'État.

Dans ces scènes, dont les témoins ont parlé, les explosions de colère et de douleur, par lesquelles Darnley cherchait en vain à reconquérir l'empire perdu par son incapacité et son indignité étaient toujours provoquées par les déceptions de son ambition et de son orgueil. Jamais un autre reproche n'y fut articulé ; jamais surtout n'y fut prononcé le nom de Bothwell, alors absent, bientôt malade, et que Darnley, loin de maudire comme un rival, eût plutôt plaint comme un compagnon de disgrâce.

Marie avait trop de tact et de sens pour ne pas comprendre le tort que pouvaient lui faire, aux yeux prévenus, ces dissentiments domestiques, ces plaintes contre d'imaginaires affronts et de non moins chimériques complots, ces menaces de se retirer chez le comte de Lennox, de quitter la cour et même l'Écosse, dernières armes et tristes arguments du dépit de Darnley, justement réduit à la condition privée, la seule pour laquelle il fût faite. L'innocence a toujours tort de ne pas se défendre. Il n'y a pas de petits ennemis, ni d'accusations indifférentes, surtout pour une femme et une reine.

Marie, qui évitait les occasions de conflit et de scandale que cherchait à multiplier Darnley, sentit le danger du dédain et le besoin d'une épreuve solennelle, décisive, où elle réduirait son mari à l'impuissance de formuler contre elle aucun grief légitime.

Darnley, dont tout le crédit consistait dans le mystère, ne put esquiver la confusion publique de ses ambigüités, et c'est de sa propre bouche que sortit le témoignage qui justifie et réhabilite Marie Stuart, et la décharge de toute infraction au moindre de ses devoirs.

La scène est caractéristique. Nous l'empruntons à l'historien apologiste dont nous analysons le consciencieux et parfois éloquent plaidoyer.

Pendant que Marie Stuart siégeait seul à Holyrood, à la fin de septembre 1566, pour les affaires de l'État, Darnley boudait à Stirling, voulant estre tout et commander partout, selon les expressions de Du Croc. Parmi ses plaintes contre la reine et les seigneurs, il dit à Du Croc, qui le raconte à Catherine de Médicis (lettre du 17 octobre) qu'il voulloit retourner comme il estoit la première fois quand il fut maryé.

L'ambassadeur essaya de lui ouvrir les yeux sur ses propres torts, et sur l'impossibilité où était la reine, après l'offense qu'elle avait reçue de lui, de lui remettre l'autorité qu'il avait auparavant et qu'il se doibt bien contenter de l'honneur et bonne chère qu'elle luy faict, le traictant et honorant comme le roy son mari, et lui entretenant fort bien sa maison de toutes choses.

Il fallait en effet beaucoup d'aveuglement pour ne pas comprendre qu'ayant participé au complot contre Riccio et Marie, il ne devait pas prétendre, au moins pour un temps, à la part principale dans le gouvernement, et surtout que son isolement opiniâtre à Stirling l'en écartait de plus en plus. De désespoir, il médita un coup de tête, et dit à Du Croc qu'il abandonnerait l'Écosse et s'en irait au delà des mers. Du Croc fit de son mieux pour l'en dissuader et ne le prenant pas au sérieux, partit pour Édimbourg.

Tout à coup, le matin du 29 septembre, la reine reçoit une lettre du comte de Lennox ; son fils l'avait fait venir de Glasgow, sa résidence habituelle, pour lui communiquer son projet de départ : Lennox disait n'avoir rien gagné sur la résolution du roi. Le même soir, grand fut l'étonnement de la reine, lorsqu'à dix heures elle apprit que son mari était à Édimbourg...

Au lieu de rendre humeur pour humeur, elle fit prier Darnley de venir près d'elle à Holyrood. Il déclara qu'il n'irait pas, si elle ne renvoyait préalablement du palais trois ou quatre des seigneurs. Ce n'était pas moins que Murray, Argyle, Rothes et Maitland de Lethington. Au lieu encore de s'irriter, Marie alla le chercher et le ramena chez elle. Là, dans l'intimité conjugale, elle le pressa de lui expliquer les motifs de son voyage, sans en tirer de réponse.

Le matin, elle manda le conseil privé et Du Croc. John Leslie, évêque de Ross, donna lecture de la lettre du comte de Lennox ; puis la reine, parlant avec douceur, supplia Darnley puisqu'il ne luy avoit voullu ouvrir son cœur, la nuict, privéement, comme elle l'en avoit très-instamment requis, pour le moings voulloir déclarer en cette compagniè si en quelque chose elle l'auroyt offensé. — Lettre du conseil privé. — Elle ajouta qu'elle n'avait de sa vie fait acte où il y eut préjudice pour son honneur ; que si elle l'avait offensé, c'était sans le vouloir. Elle lui prit les mains, et le pressa en l'honneur de Dieu qu'il ne l'épargnât point, avec promesse de toute satisfaction. Comme il restait muet, les seigneurs et l'ambassadeur français joignirent leurs efforts à ceux de la reine. Mais il se renfermait toujours dans une mauvaise humeur impénétrable. A la fin Du Croc lui représenta que ce départ devait porter atteinte à son honneur ou à celui de la reine ; à celui de la reine, si elle lui en avait donné occasion ; au sien, si elle ne lui en avait pas donné. Il rompit le silence, et déclara que d'occasion il n'en avoyt point.

La royne dist qu'elle se contentoit, et aussi nous lui crias-mes tous, écrit l'ambassadeur, qu'elle se debvoyi contenter ; et je dis, suyvant ma charge, que je tesmoignerois partout à la vérité de ce que j'aurois vu et que je verrois[15].

 

Alors, sur un adieu sec et froid qu'il promettait éternel, Darnley, qui voulait au moins faire une retraite décente, alla retrouver son père à Glasgow, regardant tous les matins, par sa fenêtre, le navire qui devait l'emmener, et, pour son malheur et celui de Marie Stuart, ne partant jamais.

Il partit si peu que nous allons le retrouver, toujours indécis et morose à Jedburgh, accomplissant machinalement les fonctions d'une autorité précaire, et traînant mélancoliquement une vie déjà menacée par la maladie qui l'épargnera pour le livrer à un sort plus funeste encore.

Ce sort venait d'être réglé entre les seigneurs qu'il avait offensés, et vis-à-vis desquels il s'était placé en irréconciliable ennemi, par le pacte secret de réconciliation entre Murray et Bothwell, auquel adhérèrent Huntly et Argyle. Ce band recélait, à l'état encore préventif et définitif, le complot d'alliance offensive et répressive que l'insuccès d'une suprême tentative pour dénouer pacifiquement un conflit de jour en jour plus compliqué et envenimé, devait faire éclater dans une tragique et fatale explosion.

L'entêtement de Darnley, de plus en plus menaçant, la confiante longanimité de Marie, rebelle à tout conseil violent, l'ambition de Bothwell impatient de jouer un rôle, et que les conjurés, qui avaient besoin de son audace sans scrupules, flattèrent d'un rôle souverain, la déchéance volontaire ou le sacrifice de Darnley : tels furent les causes, les auteurs, le but, les moyens de la conspiration homicide qui allait succéder en 1567, à l'insu de Marie, sa prétendue complice, comme à l'insu de la victime, aux derniers efforts que nous allons voir essayer pour rompre par le divorce un mariage funeste qui ne devait être dissous que par la mort.

Si Bothwell entra dans cette alliance aux vues encore mystérieuses, précisées par le band d'exécution postérieur, avec d'anciens adversaires non moins ambitieux et implacables que lui, qu'il se proposait d'écarter du triomphe, et qui voulaient se servir de lui en le perdant sans se compromettre, c'est que, d'une part, Darnley, contre lequel on se liguait n'était point si humilié ni si discrédité ; d'autre part, que Bothwell, qui n'avait d'autre ressource pour arriver que l'appui suspect de ses anciens ennemis, n'était point si favorisé et si prépondérant qu'on l'a prétendu.

C'est pourtant le moment où il s'engage dans cette voie des alliances et des expédients désespérés que l'auteur de l'infâme roman de la passion de Marie Stuart pour Bothwell, sans s'inquiéter de mille incompatibilités criantes, choisit pour date d'une d'e ces scandaleuses manifestations qui ne laissent point de doute.

On va voir combien la réalité diffère de la fiction, et combien le choix de Jedburgh pour théâtre de sa scène adultère fait peu d'honneur à l'invention de Buchanan et de Murray son inspirateur.

Les troubles, les intrigues de l'Angleterre, les menées de Morton et des autres lords demeurés exilés avaient réagi nécessairement sur le Border ou sur les frontières du Sud, et ravivé les brigandages des Johnston, des Armstrong et des Elliot dans le Liddisdale.

Dès les derniers jours de juillet, le roi et la reine avaient décidé qu'ils tiendraient des assises extraordinaires à Jedburgh, petite ville du comté de Roxburgh, lieu habituel des assises du Border, et qu'ils y enverraient Bothwell, lieutenant des frontières, avec des forces. Les Elliot et leurs amis résolurent de résister si Bothwell venait seul, sans être suivi de la reine ; et ils s'assurèrent auprès de Bedford qu'on leur donnerait cinq ou six jours d'hospitalité sur le territoire anglais en cas de besoin. Les circonstances retardèrent deux mois l'expédition projetée par Marie. Enfin la reine convoqua les vassaux de la couronne à Melrose, pour le 8 octobre[16].

 

Bothwell, envoyé en avant-coureur de la justice royale pour saisir les principaux coupables et fournir aux assises matière à châtiments exemplaires, procéda à l'arrestation des lairds de Mangerton, de Withehaugh, de plusieurs des Armstrong, qu'il enferma au château de l'Ermitage ; puis il se mit à la recherche des Elliot, les plus dangereux de ces brigands féodaux, qui avaient échappé à ses premières perquisitions.

Un jour, séparé de ses gens, dans cette chasse aux rebelles, il se trouva subitement en présence d'un de leur chef, John Elliot du Parc.

Les circonstances et le tempérament des deux rudes interlocuteurs ne permettaient pas un long dialogue. La rencontre dégénéra vite en combat singulier, et les deux cavaliers, l'épée et le pistolet à la main, fondirent l'un sur l'autre, sans autre forme de procès (7 octobre 1566).

Mais Bothwell était un redoutable adversaire. Elliot dut subir la loi du plus fort, et acculé contre un arbre, la dague sur la gorge, il dut répondre à la sommation de se rendre en implorant merci.

— Soit, dit Bothwell, mais je ne réponds que de moi

— Eh quoi l demanda l'autre, ne me garantissez vous pas la vie sauve ?

— Que le jugement vous déclare net, répondit le vainqueur, j'en serai charmé ; mais il faut que vous vous en remettiez à la volonté de la reine.

A ces mots, Elliot pique son cheval, qui se cabre, échappe à l'étreinte de Bothwell, vide l'étrier d'un bond et se sauve dans la campagne.

Le comte, qui venait de saluer d'un coup de pistolet ce brusque et déloyal départ, sauta à son tour à bas de sa monture, et s'élança à la poursuite de son prisonnier.

Mais le malheur voulut qu'il glissât et tombât dans un bourbier.

Comme il se dégageait péniblement, son ennemi fit volte face, revint sur lui et le blessa grièvement à la tête, à la poitrine, à la main, des terribles revers de son épée à deux mains, non sans recevoir lui-même deux coups de poignard qui le percèrent d'outre en outre.

Pâle et chancelant, appuyé sur son épée, John Elliot put encore échapper à Bothwell, qui se débattait dans son bourbier sanglant, et aller expirer, libre et tranquille, à un mille de là, sur une colline.

Pendant ce temps, les gens de Bothwell, qui l'avaient enfin rejoint, le trouvaient évanoui et le transportaient en litière au château de l'Ermitage, où il ne fut introduit qu'en rendant, pour rançon, la liberté à ses prisonniers.

Le lendemain même de ce combat épique, qui peint si bien les mœurs et les caractères du temps, Marie, qui n'avait pu en recevoir la nouvelle, quitta Édimbourg avec ses ministres, son conseil privé, ses principaux officiers de justice et parut à Melrose, au jour fixé pour le rendez-vous au milieu de la noblesse fidèle des comtés adjacents.

Le 9, elle ouvrit les assises féodales à Jedburgh, et les tint une semaine durant, tout entière aux affaires de la justice et de l'État.

Ce devoir rempli, ne lui en restait-il pas un autre à accomplir, qui avait assez attendu ? Et celui qui avait exposé sa vie pour son service, et gisait dans son lit sanglant, ne méritait- il pas l'honneur d'une visite d'encouragement et de pitié ? Marie avait trop de générosité pour ne pas le croire, et son conseil n'eut pas besoin d'insister auprès d'elle sur la justice de cette récompense, et sur l'effet salutaire de ce témoignage d'intérêt.

Le 16 octobre, en compagnie de Murray, de Lethington et de ses autres ministres, Marie monta à cheval, et en reine amazone et militante, qui regrettait de n'être pas un homme, pour porter la targe et la claymore, et férir des coups dignes de son grand cœur, elle fit bravement ses vingt milles (seize lieues) dans la matinée. Pendant deux heures, en présence des lords, elle s'entretint des affaires du pays avec le blessé, fier et reconnaissant d'une visite faite pour hâter sa convalescence.

Le soir même, Marie Stuart revint à Jedburgh, où Bothwell ne put paraître, encore pâle et chancelant, que vers le 25 octobre, c'est-à-dire neuf jours après la visite qu'il avait reçue.

Voilà la vérité, si peu conforme au roman de fabrication mercenaire, qui cherchera encore dans la maladie inopinée qui faillit rendre fatales à Marie les fatigues de son voyage et les préoccupations de son esprit, de nouveaux motifs de dénigrement impuissant et de confusion.

Dès le lendemain de cette visite à l'Ermitage, indifférente à son cœur, funeste à sa santé, Marie tombe dangereusement malade, et le pamphlétaire ne manque pas d'attribuer à l'anxiété où la tient l'état de Bothwell une atteinte beaucoup plus naturelle, si on l'explique, comme tous les témoins désintéressés, par ses soucis domestiques et une prédisposition connue, envenimée par des imprudences et des fatigues qui ne favorisèrent que trop l'influence répandue à l'état permanent sur ce pays morbide.

Marie Stuart fut dix jours entre la vie et la mort. Autour d'elle, on attribuait ce mal à ses chagrins domestiques. Assurément, on ne saurait nier la fâcheuse influence de la tristesse de l'âme sur la santé. Mais d'après l'histoire de la maladie, racontée par l'évêque de Ross à l'archevêque de Glasgow, il est clair que c'était une fièvre de marécage. L'action malfaisante de l'humidité d'automne, dans un pays sauvage, coupé d'eaux stagnantes, et peut-être un accident de route — une chute de cheval dans une fondrière, dont son éperon fut rompu — se joignirent à une prédisposition de tempérament qui rendait Marie Stuart sujette aux douleurs de côté et à la fièvre pendant l'arrière-saison.

Dans un intervalle lucide, elle recommanda la concorde aux lords, son fils au roi de France et à la reine Élisabeth ; elle pardonna à tous ses ennemis, demanda pour les catholiques d'Écosse la même tolérance qu'elle avait accordée aux protestants, et déclara qu'elle mourait dans la religion catholique, apostolique et romaine, tout cela d'une manière si douce et si touchante, que Knox lui-même en est désarmé. Tandis que protestants et catholiques, amis et ennemis se pressaient ainsi autour de ce lit enveloppé des ombres de la mort, que faisait l'époux, celui qu'elle n'avait pas offensé et qui lui-même l'avait offensée si cruellement ?[17]

 

Darnley, au grand étonnement de Du Croc scandalisé, à l'indignation de plusieurs, Darnley, quoique averti à temps, s'amusait aux chiens et aux faucons avec son père à Glasgow.

Il parut enfin, le 28, le lendemain du jour où une crise heureuse de jeunesse et de courage, qui pouvait être mortelle, avait déterminé une prochaine guérison. Il parut, froid, hautain, et le tort d'une telle indifférence, durant l'unique nuit qu'il consentit à passer à Jedburgh, sous un toit étranger, aggrava, bien loin de le réparer, le tort de son absence.

Il est vrai que, par compensation de ses calomnies, Buchanan le peint mensongèrement, à la première alerte, brûlant la route pour arriver plus vite auprès d'une malade encore chère, et n'en recevant, pour prix de son empressement, qu'un accueil méprisant et inhospitalier.

Marie Stuart fut retenue à Jedburgh par le manque de forces jusqu'au 9 novembre 1566, comme il résulte des comptes du trésorier. Le 9, elle quitta ce pays, qu'elle avait pacifié sans une seule exécution à mort, car elle n'aimait ni le sang ni la vengeance. Elle parcourut lentement la pittoresque vallée de la Tweed jusqu'à Berwick, ensuite le bord de la mer jusqu'à Dunbar. Un brillant cortège de huit cent à mille cavaliers, c'est-à-dire la noblesse du pays, lui en faisait les honneurs, sans compter les membres du conseil privé, Murray, Athol, Huntly, Rothes, l'évêque de Ross, Maitland de Lethington et Bothwell. Ce dernier figurait comme membre du conseil, comme shériff des trois comtés — Teviotdale, Merse et Lothian — que Marie visitait, et comme principal feudataire de la couronne dans cette partie du royaume[18].

 

D'après les registres impassibles du conseil privé et les lettres de Lethington à Morton, d'un ennemi secret à un ennemi juré, qui se fussent repus l'un et l'autre avec avidité du moindre soupçon et qui n'en trouvent aucun à exprimer à ce point qu'ils ne nomment même pas Bothwell, Marie, au terme d'un voyage triomphal, était arrivée d'étape en étape, d'excursion en excursion, dans les comtés du sud-est, à Craigmillar, à une lieue d'Édimbourg, où elle comptait achever de rétablir ses forces avant la cérémonie et les fêtes prochaines du baptême du prince royal à Stirling.

La visite que Darnley lui fit dans cette résidence pendant une semaine (26 novembre 3 décembre) n'était pas de nature à activer sa guérison, ni à diminuer les soucis sous le poids desquels elle succombait parfois jusqu'à maudire la vie et à appeler la mort.

Nous devons traverser encore les deux dernières imputations du pamphlet accusateur, et y accoler, comme un écriteau au pilori, le double démenti d'une justification décisive avant d'arriver à l'explosion de la mine, et au principal mystère de cette histoire désormais tragique.

Ils s'aigrirent davantage ; lui, toujours aussi exigeant et déraisonnable ; elle, ne voulant ni ne pouvant lui livrer le pouvoir, et tourmentée d'une défiance maladive. Il pria Du Croc de venir lui parler à une demi-lieue d'Édimbourg : Je trouvai, dit l'ambassadeur à l'archevêque de Glasgow, que les choses vont de mal en pis... Pour vous dire ma pensée franchement, je n'espère plus, d'après plusieurs motifs, que la bonne entente se rétablisse entre eux, à moins que Dieu n'y mette la main. Je vous dirai deux raisons seulement : la première que le roi ne voudra jamais s'humilier comme il le devrait ; la seconde, que la reine ne peut pas voir un noble parler avec le roi sans les soupçonner de quelque intrigues[19].

 

La grosse question, toujours politique, qui divisait alors si douloureusement pour une reine, une épouse, une mère, Marie Stuart et Darnley, était une question d'amour-propre, d'étiquette que Darnley avait soulevée, et que Marie fit tout au monde pour trancher, à son dommage même, à la satisfaction de son vaniteux et ombrageux mari.

Charles IX et le duc de Savoie, Philibert-Emmanuel, avaient accepté d'être parrain, Élisabeth d'être marraine du futur Jacques VI.

Comment concilier les ressentiments de la reine d'Angleterre qui affectait de traiter Darnley moins en roi qu'en sujet rebelle et lui refusait le titre qu'il avait conquis malgré elle à la faveur de funestes illusions, avec la présence de Darnley au baptême, et les égards dus à son rang ?

Marie aurait trouvé, à force de tact et d'habileté, le moyen de triompher de ces difficultés, si elle eût été secondée par son époux.

Un autre, à sa place, eût fait à son dévouement de mari et de père et aux intérêts de sa femme et de son fils le sacrifice de puériles chicanes et de vaines susceptibilités.

Darnley ne voulut rien supporter, rien concéder, et il déclara d'avance que, pour ne pas s'exposer à quelque offense des ambassadeurs anglais, il n'assisterait pas au baptême.

Il quitta brusquement Craigmillar, et pour mieux afficher le scandale de son absence il alla s'établir à Stirling, où ? au château ? Non ; il détestait trop pour cela le gouverneur et sa femme, le comte et la comtesse de Mar ; mais dans la maison d'un simple particulier, Willie Bell.

N'y avait-il pas là de quoi arracher à Marie ces soupirs qui lui échappaient et ces malédictions, non sur la vie d'un autre, mais sur la sienne, qu'elle mêlait parfois, solitaire mais entendue à son insu — les rois sont-ils jamais seuls ? — à ses larmes ?

C'est alors que Murray et ses adhérents, d'accord avec les exilés de la frontière anglaise, trouvant la mesure comble et l'occasion favorable, proposèrent à Marie, par l'insinuant organe de Lethington, en échange de la grâce jusque-là différée qui reconstituait leur faction, de provoquer, dans les formes légales et solennelles consacrées par la loi et les mœurs du temps, la rupture d'un lien indigne, au moyen du divorce.

S'il plaisait à Sa Majesté de pardonner au comte de Morton, aux lords Ruthven et Lindsay et à leurs compagnons, dit Lethington, au nom et en présence de Murray, d'Argyle, d'Huntly et de Bothwell, ils trouveraient moyen, avec le reste de la noblesse, de procurer un divorce entre Sa Majesté et le roi son mari, sans qu'elle eût seulement besoin de s'en mêler. C'était une résolution qu'elle devait prendre absolument pour son bien particulier comme pour le bien du royaume, car il troublait Sa Majesté et tout le monde ; et s'il continuait à rester avec Sa Majesté, il n'aurait pas de cesse qu'il ne lui eût fait quelque autre mauvais tour, auquel Sa Majesté serait peut-être fort empêchée d'apporter du remède.

Que fit la reine en présence d'une ouverture qui n'avait rien que de légitime en apparence, mais qui l'inquiéta par ce qu'elle pouvait cacher sous cette apparence même ? Elle refusa un consentement qui pouvait dépasser malgré elle, aux yeux de Lethington, aux yeux de l'Europe, la portée auquel elle eût voulu le restreindre. Elle repoussa la proposition suspecte comme une tentation qui lui était faite par des gens en qui elle ne pouvait plus se confier aveuglément. Elle répondit :

Je ne veux pas que vous fassiez rien qui puisse blesser mon honneur ou ma conscience ; je vous prie, laissez plutôt les choses comme elles sont, en attendant que Dieu, dans sa bonté, y porte remède ; car croyant me faire service, vous pourriez ne me causer que dommage et déplaisir[20].

 

Est-ce là le langage d'une future complice ? Et cette même femme qui refuse, malgré ses torts, de se séparer légalement et irréprochablement de son mari, est-elle la même qui s'en serait, peu de temps après, délivrée par le plus criminel et le plus funeste des attentats ?

La vérité vraie est donc établie sur ce point, comme elle le sera sur les causes qui déterminèrent l'intraitable Darnley à faire à Marie l'injure de ne point assister, sans excuse valable, au baptême de leur enfant.

Le baptême fut célébré en grande pompe, le 17 décembre 1566, dans la chapelle du château de Stirling. Le roi de France et le duc de Savoie, parrains, étaient représentés, le premier, par le comte de Brienne ; le second, par le sieur Du Croc, en l'absence de l'envoyé piémontais, le marquis de Morette, qui n'était pas encore arrivé. La reine d'Angleterre avait délégué le comte de Bedford et la comtesse d'Argyle, et avait chargé son envoyé d'offrir à la reine d'Écosse le riche bassin de vermeil dans lequel l'archevêque de Saint-André, assisté des évêques de Dunkeld et de Dumblane, procéda au baptême.

Darnley, quoique Marie fût parvenue, à défaut de mieux, à l'amener et à le retenir au château, ne parut pas à cette cérémonie d'où nul ne le chassait, mais d'où il se chassait lui-même. Pour quel motif ? Le voici nettement précisé par Du Croc, qui nous révèle en même temps la cause secrète des absences, des tergiversations, des bouderies de Darnley depuis le mois d'octobre.

Il veut temporiser jusqu'après le baptesme, pour ne s'y trouver poinct. Car je ne vois que deux choses qui le désespèrent, selon mon opinion : la première est la réconciliation des seigneurs avec la royne, parce qu'il est jaloux de ce qu'ils font plus de cas de sa Majesté que de luy, et comme il est haut et superbe, il ne vouldroit pas que les estrangiers le cognussent ; l'autre, c'est qu'il s'assure que celiiy ou celle qui viendroit pour la royne d'Angleterre audict baptesme ne fera compte de luy. Il prend une pceur de recepvoir une honte. S'il estoyt bien advisez et conseillez, il n'entreprandroit pas plus qu'il ne doibt et il ne seroit point en la peine qu'il est.

Le 2 décembre, Du Croc écrit encore à l'archevêque de Glasgow :

Le roi compte partir demain — de Craigmillar — ; en tout cas, je suis certain, comme je l'ai toujours esté, qu'il ne veut pas être au baptême.

Et le perspicace ambassadeur termine une nouvelle lettre du 23 décembre, par ces pressentiments, bientôt justifiés :

... Sa mauvaise manière d'être est incurable, et l'on ne peut attendre de lui rien de bon.... Je n'ai pas la prétention de prédire ce que tout cela deviendra ; mais j'affirme que les choses ne peuvent pas rester longtemps comme elles sont sans produire de mauvaises conséquences[21].

 

Le diplomate ne se trompait pas ; mais il importe de remarquer que nulle part ce véridique et inviolable témoin n'attribue à des causes domestiques, reprochables à Marie Stuart, mais toujours à des dissentiments politiques envenimés par le roi, ses querelles, ses bouderies et son éloignement.

C'est durant le séjour de Craigmillar, après la dernière algarade de Darnley, à la fin de novembre 1566, que les confédérés du 1er octobre, irrités des retards opposés au rappel de Morton et des autres exilés, et de l'échec de la négociation par laquelle ils avaient cru pouvoir acheter leur grâce, se réunirent dans un but désormais militant et devinrent des conjurés en vertu d'un second band, ou pacte d'exécution, sorti de l'accord préparatoire antérieur, comme la conséquence sort du principe, l'effet de la cause, la mort de l'arme.

Ce band, rédigé par un vétéran de l'intrigue et du meurtre, sir James Balfour, qui avait trempé vingt ans auparavant dans l'assassinat du cardinal Beaton, portait qu'attendu qu'il était jugé convenable et très-utile au bien public, par toute la noblesse et les lords soussignés, qu'un jeune fou et un tyran de l'espèce de Darnley ne régnât, ni n'exerçât de pouvoir sérieux, pour divers motifs ils avaient résolu de s'en débarrasser par un moyen ou par un autre. En conséquence, ils étaient convenus de défendre et de soutenir quiconque se chargerait de l'exécution, le fait de chacun d'entre eux étant réputé le fait de tous.

Le nom de la reine n'est pas prononcé, par une pudeur qui n'est ici que celle de la vérité ; car si on avait pu compter sur son assentiment, on n'eût pas manqué de faire du pacte un gage d'impunité par une indiscrétion qui l'eût rendu stérile entre les mains d'un juge, quel qu'il fût.

Le pacte fut signé par Huntly, Argyle, Lethington et remis à Bothwell chargé de l'exécution, pour sa garantie. La teneur en fut transmise, par un complice gracié qui leur servait d'intermédiaire, à Morton, Ruthven et Lindsay, qui y adhérèrent et s'y associèrent au moins implicitement, pour prix de leur rentrée en Écosse[22].

Alors (24 décembre 1566) Murray, Athol, Lethington ; Bothwell, le comte de Bedford, de la part d'Élisabeth, l'envoyé français, de la part de Charles IX, bien abusé par de fausses apparences de concorde, tous ensemble obsédèrent tellement la reine, qu'ils lui arrachèrent le pardon des bannis, au nombre de soixante-dix neuf ; en première ligne : Morton, Ruthven — fils de l'assassin de Riccio —, Lindsay, les mêmes qui, six mois après, lui arrachèrent sa couronne[23].

 

La répugnance de Marie pour cet acte de clémence envers des gens qui avaient osé porter sur elle une main armée et qui ne méritaient pas de pardon, céda encore une fois à la politique et à la générosité.

Dans un but de conciliation, auquel Marie sacrifia jusqu'à sa propre sûreté, elle fit en même temps de nouveaux et funestes sacrifices par ses concessions à l'Église réformée et à l'Église catholique dont elle voulait, jusqu'à ce qu'elle put assurer la prééminence la plus chère à sa foi, garantir la coexistence dans une sorte d'équilibre réciproque et de mutuelle concorde, rêve toujours déçu par l'égoïsme des idées et le conflit des passions et des intérêts.

Par une fatalité qui poursuit et dénature parfois les meilleures intentions, ces mesures d'apaisement n'aboutirent qu'à la discorde et la miséricorde engendra la vengeance.

Darnley conçut une telle colère du triomphe de ses ennemis, ses anciens complices, que, sur-le-champ, il quitta Stirling sans prendre congé de sa femme, et se retira près de son père à Glasgow[24].

 

Là, le dépit de tant d'échecs, les justes appréhensions que lui inspiraient le retour de ces anciens complices, dont il s'était fait d'implacables ennemis ; la fermentation de mille projets contradictoires d'ambition et de vengeance, et aussi sans doute quelque accident physique joint à ces causes morales, triomphèrent de la constitution assez délicate de Darnley, qui tomba gravement malade dans les premiers jours de janvier 1567.

Buchanan ne manque pas d'insinuer qu'il pourrait bien avoir été victime d'un empoisonnement, et il argue de son hypothèse comme d'un fait acquis. Malheureusement des symptômes irrécusables et des témoignages authentiques réduisent la chose à une atteinte de petite vérole assez grave par elle-même pour qu'il soit inutile de l'exagérer.

Le comte de Bedford, parti d'Édimbourg, le 6 janvier 1567, écrit de Berwick, le 9, à Cecil : Darnley est malade de la petite vérole à Glasgow ; la reine lui a envoyé son médecin pour le soigner. Drury, prévôt de Berwick, mande à Cecil, le 23 janvier, que Glasgow est un foyer de petite vérole, et qu'il a entendu dire que la reine compte ramener Darnley à Édimbourg, aussitôt qu'il pourra supporter le froid de l'air.

Ainsi cette femme qu'on va accuser du meurtre de son mari, à la première nouvelle de sa maladie, elle lui envoie pour le soigner son propre médecin, en attendant qu'elle puisse y aller en personne ; et dans cette abnégation d'elle-même, elle ne se réserve qu'en ce qui touche son enfant, le droit d'être prévoyante et égoïste ; elle écarte le précieux berceau du foyer d'infection et transporte le prince royal de Stirling à Holyrood, ou d'autres devoirs la rappelaient d'ailleurs.

Parmi ces devoirs, il ne manquait pas de gens qui lui conseillaient de placer en première ligne celui de mettre sa sécurité, par un coup décisif, à jamais à l'abri des folles entreprises auxquelles l'exposait sans cesse le caractère inquiet et turbulent de son mari, qu'on lui montrait tantôt méditant l'enlèvement du prince son fils, tantôt projetant une fuite en France, tantôt enfin nouant en Angleterre des intelligences destinées à lui ménager les chances d'un mouvement en faveur de ses prétentions au trône d'Élisabeth, si sa mort le laissait vacant.

Murray était de cet avis, et conseillait à Marie de s'emparer du roi et de le réduire à l'impuissance de nuire. D'autres murmuraient aussi peut-être que la petite vérole est une maladie implacable, qu'un médecin habile est un précieux auxiliaire, que ce serait un bonheur pour Darnley de mourir, et un bonheur plus grand encore pour la reine qu'il fût mort.

En présence de ces obsessions et de ces tentations que sa loyauté méprise et que sa générosité n'entend pas, pour ne pas être obligée de les punir comme des offenses, que fait Marie, malgré les récents sujets de mécontentement que Darnley vient d'ajouter à tant d'autres ?

Dès le 24 janvier, au premier appel de tendresse, à la première lueur de repentir, elle accourt auprès de son mari, bravant la contagion, et vient installer à son chevet une garde-malade qui peut y gagner la mort.

L'ardeur injurieuse du pamphlétaire l'a trahi encore ici, car sans tenir compte des dates, il date du 20 janvier, moment où Marie était encore à Édimbourg, de prétendues lettres révélatrices, écrites à Bothwell, et lui annonçant, en termes indignes, non-seulement d'une reine, mais d'une femme, que le moment approche, et qu'elle va lui livrer la proie humaine qu'elle est allée fasciner.

La vérité éclate sous l'artifice : Marie est allée à Glasgow comme toujours, en bravant un danger menaçant, par devoir, par courage, par dévouement, par générosité, par pitié, par l'illusion du repentir définitif de son mari et de sa renonciation aux chimères.

Un moment elle put croire ses espérances réalisées et son époux à jamais reconquis par l'admiration et la reconnaissance ; et les historiens les plus prévenus ne nient point que la visite à Glasgow n'ait été l'occasion, entre le roi et la reine, d'une réconciliation si sincère des deux parts et si inquiétante pour les projets ambitieux et meurtriers qui tenaient Murray en alerte et Bothwell aux aguets, qu'il n'est pas douteux que la crainte d'une ruine prochaine de leurs desseins communs n'ait précipité les événements et entraîné le fauteur du complot, Murray, et son exécuteur Bothwell, à profiter de la première occasion de tuer le roi, quelle qu'elle fut.

Or le retour de Marie Stuart ramenant son mari, en offrait une d'autant meilleure que la maladie de Darnley le condamnait à l'isolement, et que la présence à ses côtés, de la reine, qui ne pouvait le quitter décemment ni prudemment pour les autres, ménageait à la sécurité des coupables les apparences d'une auguste complicité. Écoutons maintenant M. Mignet.

Darnley lui — à Marie — manifesta beaucoup de repentir, mit ses fautes sur le compte de sa jeunesse et de son inexpérience et promit de ne plus y retomber. Il exprima son extrême joie de la voir auprès de lui et la supplia de ne plus le quitter. Comme elle lui proposa de le conduire en litière à Craigmillar, lorsqu'il serait en état de voyager, il répondit qu'il ferait tout ce qu'elle voudrait, si elle consentait à vivre de nouveau avec lui comme son épouse et sa femme. Elle le promit en lui tendant la main... Elle exigea qu'il tînt cette réconciliation secrète, de peur qu'elle ne causât de l'ombrage à quelques lords[25].

 

N'en déplaise à l'illustre historien, nous ne voyons là rien que de logique, de naturel, et non un changement extraordinaire et un indice de culpabilité.

Rien de plus inoffensif et irréprochable aussi que le choix, tant incriminé, de la résidence provisoire de Darnley convalescent.

Comme elle ne pouvait pas ramener directement son mari au château d'Édimbourg, ni à Holyrood, par la raison que la situation de ces résidences les exposait au vent glacial du nord-est, ou à l'humidité du Forth, et qu'il était d'usage que les convalescents de cette maladie purgeassent une quarantaine avant de rentrer dans les habitudes ordinaires de la vie, Marie fit disposer le château de Craigmillar, situé à deux milles au sud d'Édimbourg, dans une exposition abritée. Elle se munit de sa propre litière, moyen de transport beaucoup plus doux pour un homme relevant de maladie que les chariots grossiers en usage ; tous préparatifs qui ne ressemblent pas à des plans d'assassinat[26].

 

Darnley, ou plutôt pour lui, son père, l'astucieux et séditieux Lennox, par suite d'arrière-pensées que ne révèle que trop le reste de sa vie, refusa Craigmillar, comme séjour de convalescence et préféra Kirk-of-Field.

On conçoit que Darnley ne se souciât point de Craigmillar, parce que le châtelain, sir Simon de Preston, prévôt d'Édimbourg, était beau-frère de Lethington, et l'un des assassins de Riccio. La reine condescendit à sa répugnance. C'est ce qu'attesta plus tard, devant le conseil d'Angleterre, Nelson, l'un des serviteurs de Darnley : Il avait été dit d'abord à Glasgow que le roi irait habiter Craigmillar ; mais comme il montra de l'éloignement pour cet endroit, on changea de dessein, et il fut décidé qu'on s'établirait à Kirk-of-Field. Il est donc certain qu'en quittant Édimbourg, Marie Stuart ne songeait pas à cette dernière maison ; on la choisit pour elle en son absence[27].

 

Qui la choisit ? Bothwell, ne manque pas de répondre Buchanan. Mais dans les prétendues lettres de Marie Stuart à Bothwell, il n'est question que de Craigmillar. D'un autre côté, il est établi que Bothwell était, à ce moment, absent, et ne revint que le 28 janvier du Liddisdale.

Il en résulte que, si l'exécution de l'attentat appartient à Bothwell, qui l'a avoué plus tard, en déchargeant la reine, le crime de ses préparatifs retombe sur ses complices, sur Murray, qui demeure mystérieusement dans la coulisse, et partira pour le Fife la veille de la mort de Darnley, se créant ainsi un prévoyant alibi ; sur Morton, qu'une prudence justifiée par une récente expérience a détourné de signer le band, tant qu'une preuve de l'assentiment de la reine ne lui sera pas fournie par Bothwell, qui ne la fournit pas — témoignage irrécusable de l'innocence de la reine et de la fausseté des lettres imaginées pour établir sa complicité.

Mais si Murray s'absente, si Morton s'abstient, ils sont tous deux, d'intention et d'approbation, avec les auteurs du meurtre. C'est Murray qui encourage et favorise le choix de la maison isolée de Kirk-of-Field. Et si Morton se tient à l'écart, il est représenté, auprès de Bothwell et sur le théâtre de la conjuration, par son cousin, son hôte, son âme damnée, Archibald Douglas, l'affidé et l'auxiliaire le plus déterminé de Bothwell[28].

En dehors de la partie méridionale de la ville, et adossée à ses murailles, il y avait, près de l'église de Sainte-Marie, appelée plus ordinairement l'église du Champ — Kirk-of-Field — une maison modeste, servant de demeure au prévôt de l'église ; on la nommait la maison du prébendaire.

Murray en vanta l'heureuse situation sur une éminence, le calme et l'air salubre au milieu de nombreux jardins. Mais son principal mérite au fond — aux yeux de qui la choisit —, c'est qu'elle était isolée, et qu'elle appartenait à sir Robert Balfour, frère de sir James Balfour, le rédacteur du band contre la vie du roi. Elle se composait d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage contenant deux pièces principales, l'une au-dessous de l'autre...

Cependant, tout près, s'élevait, plus vaste et plus digue d'un roi, la résidence du duc de Châtellerault ; le frère de ce personnage, John Hamilton, archevêque de Saint-André, l'occupait en ce moment. Mais nous savons pourquoi l'autre fut préférée. On la meubla somptueusement... Les deux Balfour, le secrétaire Lethington, et Archibald Douglas, cousin de Morton, prirent sur-le-champ leurs mesures ; sir James Balfour apporta une grosse provision de poudre. John Binning, domestique d'Archibald, avoua, quatorze ans plus tard, devant la justice, qu'il transporta un baril de poudre par ordre de son maître, dans la maison du prévôt de Kirk-of-Field. Morton lui-même, au moment de subir la mort, raconta que l'on avait creusé des mines sous les pierres angulaires de la maison. Ceci se passa en dehors de Bothwell, qui ne fut mis au courant d'une partie seulement des vraies combinaisons que l'avant-veille de l'assassinat[29].

 

Le retour de Marie et de Darnley eut lieu le 30 ou 31 janvier 1567. On prit directement le chemin de Kirk-of-Field ; mais la reine était si peu au courant du choix définitif de la maison du prébendaire et des sinistres motifs de cette préférence, qu'elle avait désigné d'abord à l'avant-garde de son cortège la maison du duc de Châtellerault.

Darnley, brouillé avec les Hamilton comme avec les Murray, les Lethington, les Mar, les Preston, les Morton, n'aurait eu garde d'accepter l'hospitalité de leur toit.

Il aima mieux être plus mal, mais chez lui. Il n'avait que peu de serviteurs. La maison était assez vaste pour la reine et lui ; et il lui plaisait d'y loger avec elle côte à côte et dans une tranquille intimité. Les deux appartements du rez-de-chaussée et du premier étage furent d'ailleurs meublés et décorés richement et d'une façon digne de leurs habitants.

C'est ici que reparaît Bothwell ; sans rien soupçonner des vues profondes de ceux qui le poussaient en avant, tout entier à l'espérance de posséder la reine et le trône, il ramassait les complices de la dernière heure parmi ses domestiques et ses vassaux, William Powrie son portier, Georges Dalgleish son valet de chambre, Patrick Wilson son tailleur, John Hepburn de Bowton, John Hay de Tallo, John laird d'Ormiston, ceux-ci ses vassaux du Border et brigands de naissance[30]....

 

Ce furent là, avec Bothwell pour chef, les auteurs du crime dont Morton, Argyle, Lethington, Balfour, Murray — ce dernier tacitement et implicitement — furent les fauteurs et les complices.

Et cela, suivant les propres interrogatoires et surtout les déclarations suprêmes, en face du supplice, concordant avec celles de Bothwell à l'agonie, des quatre coupables subalternes sacrifiés à la justice et surtout à leur sûreté par des juges intéressés qui, pour n'être pas accusés, s'étaient fait accusateurs.

Tous se trouvèrent plus ou moins compromis par des aveux qu'ils étouffèrent, sans oser dénaturer toutefois, en ce qui touchait celle qu'ils poursuivaient sous le voile de la vindicte publique, l'unanimité décevante de toutes ces dépositions séparées dont le silence sur toute participation de la reine à l'attentat suffirait à son absolution[31].

Marie passait la plus grande partie du jour avec Darnley. Comme il manifestait de vifs regrets, chaque fois qu'elle le quittait le soir pour retourner à Holyrood, elle fit disposer dans la chambre du rez-de-chaussée, au-dessous de celle du roi, un lit pour elle.

Elle passa les deux nuits du mercredi 5 et du vendredi 7 février sous le même toit que Darnley, soignant son second mari avec la même tendresse attentive qu'elle avait témoignée au premier, François II[32].

 

Bothwell, qui avait d'abord conçu le projet d'une embuscade sur le passage du roi allant à la promenade, renonça devant ses inconvénients, à une attaque de vive force en rase campagne, fit venir un baril de poudre de son arsenal de Dunbar, et le déposa d'abord dans son appartement d'Holyrood.

Il avait besoin d'un affidé près du-roi et de la reine ; il jeta les yeux sur un valet de chambre français, son ancien serviteur, nommé Nicolas Hubert, et attaché à la maison de la reine.

Il voulait se procurer, par l'intermédiaire de ce complice, qu'il n'eût pas de peine à gagner à ses desseins, moitié par séduction, moitié par intimidation, les clefs de la chambre de la reine, pour faire fabriquer sur leurs modèles de fausses clefs au moyen desquelles on pourrait introduire son baril dans la chambre et la semer de poudre, le rez-de-chaussée étant destiné à servir de chambre de mine pour faire sauter l'étage supérieur.

Si Marie eût participé au complot, Bothwell n'aurait pas eu besoin de fausses clefs fabriquées à son insu ; il ne se serait pas trouvé exposé non plus à contremander, comme il fut obligé de le faire, le concours de ses hommes pour l'attentat, fixé d'abord au samedi soir 8 février, et ajourné ensuite au dimanche 9. Pourquoi ? Le voici.

Il savait que le lendemain Marie serait à Holyrood, parce qu'elle avait promis.de donner un bal masqué en l'honneur du mariage de ses deux fidèles serviteurs, Sébastien Paiges et Marguerite Carwood[33].

Ce n'était pas là un prétexte. C'est une dette de cœur que Marie acquittait envers deux personnes dont elle s'était plu à favoriser l'union.

Sébastien et Marguerite étaient des serviteurs, des domestiques, dans la noble acception du mot, au seizième siècle, de confiance et d'élite.

Ils avaient témoigné l'un et l'autre à Marie, lors de son évasion d'Holyrood, après l'assassinat de Riccio, le plus courageux dévouement.

Marie Stuart, reconnaissante, constitua en dot à Marguerite une pension viagère de trois cents marcs, et fit don aux mariés de leurs habits de noces. Elle leur promit de plus de danser à leur bal et de procéder elle-même à la dernière cérémonie de la chambre nuptiale.

Mettre l'épousée au lit, comme disait le langage du temps, consistait à rompre au-dessus de sa tête le gâteau de noces partagé aux assistants, à lui présenter la coupe d'argent remplie de lait mêlé de vin, et à lui retirer un bas.

Sébastien et Marguerite demeurèrent dignes de ces marques de sollicitude et de libéralité.

Attachés inviolablement à leur maîtresse, ils partagèrent ses malheurs et son long martyre en Angleterre. Incorruptibles jusqu'au bout, ils eurent l'honneur d'allumer la colère des suppôts d'Élisabeth, comme gens de mauvais exemple pour les jeunes serviteurs[34].

 

Nous touchons à la catastrophe. Et nous n'avons encore rien trouvé qui charge Marie Stuart. C'est qu'en effet, quand on n'est pas un calomniateur mercenaire ou un historien prévenu, cherchant honnêtement, mais passionnément dans les circonstances de quoi corroborer un soupçon préconçu, on ne saurait rien voir que d'innocent et de justificatif dans cette attitude confiante, sereine, dans ce retour d'espérance et de tendresse de Marie Stuart, si conforme à son âge et à son cœur, dans ces témoignages naïfs de sollicitude que quelques-uns ont considéré comme un machiavélique manège et le chef-d'œuvre d'un art infernal.

Mais nous le demandons à tous ceux qui nous lisent : est-il possible, pendant dix jours, même à une Catherine de Médicis, même à une Lucrèce Borgia, de garder impassible le secret rongeur ? Rien dans Marie, pas un clignement d'œil, pas un pli du front, pas un frémissement de la lèvre, pas un tremblement de la main, ne trahit la moindre émotion, la moindre appréhension.

Joyeuse, elle embrassa au départ son mari en lui disant : Au revoir I L'eût-elle osé sans pâlir, sans rougir tour à tour, si cet embrassement eût été le signal donné aux invisibles sacrificateurs, et si elle eût su qu'elle ne reverrait plus celui qu'eût condamné son baiser de Judas ?

Ce calme indigne certaines gens. Mais pourquoi n'en rassurerait-il pas beaucoup d'autres ? Et depuis quand est-ce à l'innocence de trembler, et est-elle coupable de n'avoir point peur ? Ah ! si cette simplicité d'allures, ce tendre adieu, cette joie de l'épouse rassurée et de la maîtresse adorée, allant ajouter à tant d'autres bienfaits l'honneur de sa présence à la noce de deux serviteurs dévoués, si tout cela doit condamner Marie Stuart, qui donc peut se flatter d'échapper au soupçon ?

La journée du dimanche 9 février 1567 fut une belle journée, favorisée par une sorte d'avant-goût du printemps.

Dès le matin radieux, le mariage de Sébastien Paiges et de Marguerite Carwood fut célébré dans la chapelle du palais, en présence de la reine, qui assista aussi au banquet nuptial dont elle faisait les frais.

Au sortir de table elle alla visiter Darnley, et lui raconter la fête à laquelle il n'avait pu participer par suite de l'inexorable quarantaine.

Mais le terme en approchait ; en même temps la santé lui revenait avec la confiance ; et il se félicitait de quitter bientôt, si élégants qu'ils fussent, son lit de velours violet passementé d'or et d'argent, sa chaise haute de velours violet, son canapé recouvert de taffetas jaune et rouge, aux couleurs d'Écosse, et sa petite table au tapis de velours vert. Il lui tardait de quitter ce monotone et étroit horizon d'une chambre de convalescent, même royalement meublée. Il lui tardait de reprendre sa vie de représentation, de fêtes, de spectacles, de chasses, de tournois.

Dans l'après-midi, la reine dut recevoir, en audience solennelle de congé, le marquis de Morette, ambassadeur du duc de Savoie, auquel l'évêque d'Argyle donna à quatre heures un somptueux festin d'adieu.

A peine libre, la reine vint encore dans la soirée, accompagnée d'un brillant cortège de seigneurs, visiter son mari et prendre congé de lui, pour aller assister au bal masqué d'Holyrood et au coucher de la mariée, chose non subitement imaginée pour s'échapper, comme l'a dit le pamphlet, mais convenue et arrêtée depuis la veille.

Dans l'intervalle, c'est-à-dire de quatre heures à neuf heures du soir environ, Bothwell, qui avait prétexté des affaires pour ne pas accompagner. Marie Stuart avec Huntly, Argyle et les autres courtisans, chez le roi, où il devait seulement la rejoindre, se ménageait avec ses complices, dans la salle-basse de son appartement d'Holyrood, une longue entrevue destinée à concerter le plan définitif et les dernières instructions.

On y vida, dans un coffre et une malle de cuir, le contenu du baril de poudre que Hepburn de Bowton avait introduit la veille au soir chez Bothwell.

William Powrie, le portier, et Patrick Wilson, le tailleur, transportèrent, en deux voyages, sur un cheval gris appartenant à Herman, page de Bothwell, dans la maison de Kirk-of-Field, le dangereux bagage.

Ces mesures prises, Bothwell, après avoir visité sa mère, cherché le laird d'Ormiston, qui demeurait du côté de Black-Friars — les Frères noirs ou dominicains —, dans le voisinage de Kirk-of-Field, être allé avec Hob Ormiston, cadet du laird et le laird, à la rencontre de Hay et d'Hepburn, se rendit lui-même, accompagné de Nicolas Hubert dit Paris, au logis du roi.

Pendant qu'il prenait part à la conversation, le serviteur infidèle introduisait furtivement dans la salle du rez-de-chaussée, dans la chambre de la reine, au-dessous même de la pièce qui contenait à ce moment si brillante compagnie, Hay, Hepburn et Ormiston, fort affairés à semer sans encombre leurs traînées incendiaires et à disposer leur mèche.

A onze heures, à la grande satisfaction de Bothwell, qui se sentait sur un volcan, au grand regret de Darnley, qu'enivrait une douce présence et qui maudissait en souriant les serviteurs trop heureux qui lui disputaient la reine, Marie se leva, et se retira avec ces bonnes paroles et ces tendres promesses qui rendent presque agréables, par les témoignages qu'elles provoquent, ces courtes séparations qui ne doivent durer que l'espace d'une nuit.

Ni l'un ni l'autre ne savaient qu'ils se quittaient pour jamais et se disaient l'éternel adieu !

Le retour à Holyrood s'effectua aux flambeaux. Bothwell, après s'être assuré, par l'intermédiaire de Paris, que tout allait bien, et que le roi se couchait en pleine sécurité au-dessus de cette tombe qui allait s'embraser tout d'un coup et l'engloutir dans les flammes, rêvant du paradis sur cet enfer ignoré, s'était joint au cortège de la reine, et il rentra à Holyrood avec son affidé tellement effaré qu'il le gourmanda rudement tout bas sur cette pâleur dénonciatrice.

A minuit, au milieu du bal expirant, la reine emmena ses dames et la mariée, et chacun se retira. Bothwell alla dans son appartement quitter son riche costume de velours noir entrelacé d'argent et doublé de satin, et revêtir un habit d'étoffe commune, de couleur sombre, et doublé de toile.

Il se dirigea ensuite, suivi de Dalgleish, de Paris, de Wilson, de Powrie vers la porte du sud, après être descendu mystérieusement par l'escalier tournant d'Holyrood dans le jardin de la reine.

Le bruit des portes ouvertes et fermées, les murmures du portier réveillé, les Qui vive ? des sentinelles permirent de suivre la trace de la troupe et de connaître son chef.

Bothwell se proposait de prendre en passant par sa maison le laird d'Ormiston ; mais celui-ci, trouvant qu'il en avait assez fait, et ne voulant pas se compromettre davantage, fit le sourd et ne répondit pas à l'appel de Bothwell, qui arriva à la pointe de Black-Friars vers l'église du Champ, ou il laissa Powrie, Wilson, Dalgleish et s'avança avec Paris du côté du jardin de Balfour pour joindre Hepburn et Hay de Tallo.

Il assista, impatient et troublé, aux dernières préparatifs du crime ; puis, sans attendre l'explosion et la foule qu'elle allait faire surgir dans les rues et attirer sur le théâtre de l'événement, il se retira rapidement, avec Hepburn et ses complices particuliers, vers Édimbourg, dans la direction de Leith-Wynd.

Ils voulaient escalader la muraille ; mais Bothwell n'ayant pu parvenir, à cause de sa main blessée, où le terrible coup d'épée d'Elliot, depuis octobre 1566, ne s'était pas encore cicatrisé, à traverser la brèche, fut obligé d'envoyer parlementer avec le portier de Nether-Bow. Ce dernier put constater la sortie et la rentrée de promeneurs nocturnes qui ne demeurèrent pas longtemps inconnus, contrairement à l'espoir de Bothwell et de ses compagnons, dont le but était évidemment de se ménager un alibi.

Bothwell monta dans son appartement, but à larges gorgées pour éteindre la fièvre qui le dévorait, et se coucha précipitamment, au bruit lointain des murmures de toute une ville réveillée en sursaut par un coup de tonnerre épouvantable et vomissant par toutes ses portes une multitude affolée.

Le drame de Kirk-of-Field avait été habilement machiné. Faire de Bothwell, qui quitta le théâtre du crime avant le crime, et de Hepburn et Hay de Tallo, en faire, comme M. Mignet, les uniques acteurs du double attentat, c'est contraindre les faits, et vouloir réduire à tout prix à l'unité classique une action évidemment éparpillée et contrariée comme un drame de Shakespeare.

Si rien ne constate authentiquement la présence de Bothwell et de ses deux principaux complices sur le lieu de l'évènement, au moment de l'événement, en revanche une foule de témoignages incriminent d'autres coupables, plus nombreux, et divisés au moins en deux groupes, dont chacun avait son rôle particulier.

L'affaire, en effet, était très-compliquée. Il fallait une troupe de guet et de garde pour cerner les abords de la maison condamnée, empêcher l'évasion des victimes ou de leurs serviteurs, arrêter l'invasion de la police et des curieux, favoriser la fuite des coupables.

Cette troupe de réserve à cheval et masquée existait en effet, et les correspondances anglaises, écrites peu de temps après l'attentat, signalent à sa tête le frère de sir James Balfour et cet André Karr de Faudonside, excepté, avec Douglas, de l'amnistie accordée aux meurtriers de Riccio, par Marie, qui n'avait pu oublier que Douglas avait frappé le premier, et qu'Andrew Karr avait osé appuyer sur le sein de sa souveraine la bouche d'un pistolet.

Hay de Tallo et Hepburn n'auraient pu suffire seuls à une besogne qui exigea évidemment le concours d'une troupe de

meurtriers. Il y avait, dans la maison de Kirk-of-Field, cinq serviteurs du roi qui périrent d'une mort inconnue et dont les restes disparurent, dévorés et dispersés par l'explosion. Seul Nelson fut retrouvé encore vivant dans les décombres fumants.

Cette explosion de la maison aux fondements minés par les deux Balfour et Archibald Douglas, bien avant que Bothwell songeât à charger de poudre la place de la chambre de la reine qui correspondait au-dessous du lit du roi, situé à l'étage supérieur, cette explosion terrible qui ne laissa pas pierre debout, et fit sauter en l'air jusqu'aux entrailles, pour ainsi dire, de l'édifice, cette explosion avait, non précédé et causé la mort du roi, mais suivi cette mort à laquelle elle était étrangère.

L'explosion de la maison n'avait d'autre but que de détruire les témoins domestiques de l'attentat et d'ensevelir dans une fournaise ardente les restes des victimes et les traces du crime.

Par suite les conjurés, qui ne se souciaient pas de sauter avec le roi, et de partager le sort affreux qu'ils lui réservaient, avaient pris leurs mesures pour que l'accomplissement de l'assassinat du roi précédât l'explosion, et en devint, pour ainsi dire, le signal, lorsqu'ils seraient en sûreté.

Malheureusement pour eux et heureusement pour la justice et la vérité, leurs calculs furent déjoués et leurs prévisions déçues.

Ils rencontrèrent, dans la résistance imprévue et dans la fuite encore plus imprévue du roi, qu'ils n'atteignirent qu'assez loin, des obstacles et des retards plus longs que la durée de la mèche incendiaire.

Au moment de l'explosion, l'attentat qu'elle devait voiler et ensevelir s'achevait à peine loin d'elle, et deux cadavres intacts protestaient contre les coupables et criaient vengeance par leur silence.

Ces deux cadavres, qu'à cinq heures du matin, on retrouva dans un verger éloigné de quatre-vingt yards des ruines de la maison, étaient ceux de Darnley et de William Taylor, non son jeune page, comme on l'a dit, mais son vieux serviteur. Il couchait près de son maître dans sa chambre et avait été comme lui surpris dans son sommeil par le bruit de l'invasion des assassins, entrés au moyen des fausses clefs, fabriquées par ordre de Balfour et de son frère, le propre maître de la maison de Kirk-of-Field.

Au moment de ce terrible sursaut, esquivant dans l'ombre les premiers coups des assassins déconcertés, Darnley avait saisi, par un mouvement instinctif, sa pelisse et ses pantoufles, et, se coulant, suivi de Taylor qui l'avait imité, dans les escaliers, il avait échappé à la mort par la fuite.

Ils avaient trouvé ouverte la porte qui avait servi à l'invasion des meurtriers, et, dépassant la maison et le jardin avec l'irrésistible élan que donne la terreur, ils avaient franchi le mur du verger, où on retrouva leurs cadavres vêtus seulement d'une chemise de nuit, Darnley sous un arbre, son serviteur un peu plus loin.

Les branchages intacts, l'absence de toute meurtrissure, de toute fracture, de la moindre trace de brûlure ou de chute, tout cela indiquait que l'explosion de la maison n'était pour rien dans leur mort.

Darnley et son serviteur avaient péri par suffocation et par strangulation, après une courte mais énergique lutte, et d'inutiles prières que le vent apporta jusqu'à l'oreille de quelques femmes habitant dans les environs.

Elles déclarèrent avoir entendu une voix crier : Ah ! mes parents ! ayez merci de moi, pour l'amour de celui qui a merci de nous tous ! Les parents, c'étaient les Douglas qui le poursuivaient, implacables, c'était Archibald Douglas, par qui agissait Morton. Archibald, après avoir soupé, avait mis sous ses habits une cotte d'armes, coiffé un bonnet d'acier et chaussé des mules de velours, pour n'être pas entendu. Il était allé à Kirk-of-Field avec ses deux serviteurs, John Binning et Thomas Gaerner. Ces deux derniers, convaincus, quatorze ans plus tard, avouèrent, entre autres détails, que leur maître perdit l'une de ses mules dans cette occasion ; et, en effet, on l'avait retrouvée dans les décombres, et reconnue pour appartenir à ce Douglas[35]...

 

Bothwell était couché depuis une demi-heure, mais sans doute il ne dormait pas, lorsqu'un officier de la cour, Georges Hacket, frappa précipitamment à sa porte, et, introduit livide comme du goudron, demeura un moment sans pouvoir prononcer une parole et articuler la nouvelle qui l'amenait.

— Que me voulez-vous ? que se passe-t-il ? interrogea Bothwell, d'un air qu'il s'efforçait de rendre naturel.

— La maison du roi, balbutia Georges Hacket, a sauté en l'air et sans doute le roi est tué.

Fy ! trahison ! s'écria Bothwell avec toutes les apparences de l'indignation.

Il se leva, s'habilla, et après une courte conférence avec le comte de Huntly, les deux beaux-frères, l'assassin et le complice, se rendirent chez la reine pour annoncer la catastrophe à celle qui devait en être la dernière et seule innocente victime.

 

 

 



[1] Wiesener, p. 69.

[2] Mignet, t. I, p. 233-234.

[3] Mignet, t. I, p. 234.

[4] Wiesener, p. 71.

[5] Wiesener, p. 70.

[6] Mignet, t. I, p. 236-237.

[7] Mignet, t. I, p. 236-237.

[8] Mignet, t. I, p. 237-238.

[9] Que Marie n'avait ni provoquée, ni autorisée.

[10] Mignet, t. I, p. 240-241.

[11] Wiesener, p. 46.

[12] Wiesener, p. 82.

[13] Wiesener, p. 79 à 91.

[14] Wiesener, p. 91 à 94.

[15] Wiesener, p. 104-106.

[16] Wiesener, p. 114.

[17] Wiesener, p. 121-122.

[18] Wiesener, p. 126.

[19] Wiesener, p. 129.

[20] Wiesener, p. 133-134.

[21] Wiesener, p. 144-145.

[22] Wiesener, p. 138-139 et 147.

[23] Mignet, t. I, p. 253.

[24] Wiesener, p. 149.

[25] Mignet, t. I, p. 260.

[26] Wiesener, p. 167.

[27] Wiesener, p. 173.

[28] Wiesener, p. 205 et 230-234.

[29] Wiesener, p. 255-256.

[30] Wiesener, p. 240.

[31] Wiesener, p. 240-246.

[32] Wiesener, p. 239.

[33] Wiesener, p. 246-250.

[34] Wiesener, p. 250.

[35] Wiesener, p. 263.