ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES

ÉTABLIS DANS L’EMPIRE ROMAIN AU QUATRIÈME SIÈCLE

 

CHAPITRE VII. — LES BARBARES DIGNITAIRES DE L’EMPIRE.

Droit de cité accordé aux étrangers : 1° à de simples particuliers, 2° à des nations entières. — Entrée des étrangers dans le sénat. — Population mixte des bords du Rhin. — Le Goth Maximin empereur. — Politique de Constantin. — Les Barbares consuls ou maîtres de la milice : Dagalaiphe, Merobaudes, Arbogaste, Stilicon. — Rois barbares patrices.

 

 

Les Barbares établis dans l’Empire à titre de Dedititii, de Fœderati, de Læti, ou de Gentiles, ne remplissaient pas seulement les cadres des armées ; ils occupaient les positions civiles et militaires les plus élevées. Exclus d’abord comme étrangers (peregrini) du droit de cité, ils ne pouvaient exercer aucune magistrature et demeuraient complètement en dehors du gouvernement. Toutefois, par une de ces faveurs que Rome aimait à accorder à ceux dont elle voulait récompenser les services ou le mérite personnel, quelques-uns des princes, des chefs barbares, obtinrent ce droit de cité envié de tout l’univers à cause du prestige qui y était attaché et des avantages qu’il conférait. Cicéron fait remonter à Romulus le principe d’extension du droit de cité romaine ; il y voit la raison souveraine de l’immense accroissement du nom romain. Il n’y avait dans le monde entier, nous dit-il, aucune nation, amie ou ennemie, qui ne pût fournir des citoyens à la République[1].

Le héros de la Germanie, le fameux Arminius (Heermann), dont le nom si populaire en Allemagne est devenu le symbole de la défense nationale, était citoyen romain ; avant d’être l’ennemi acharné et irréconciliable de Rome, il en fut l’élève et le soldat ; il avait reçu une éducation toute romaine, parlait le latin comme sa langue maternelle, commandait un corps auxiliaire de Chérusques et portait l’anneau de chevalier[2]. La plupart des princes de sa famille étaient les amis et les alliés de Rome : son beau-père Ségeste avait été gratifié par l’empereur Auguste du droit de cité[3] ; son beau-frère Ségimond avait ceint les bandelettes sacrées et exercé un sacerdoce public dans la colonie romaine des Ubiens (apud aram Ubiorum)[4].

Ces exceptions honorifiques se multiplièrent et tendirent à se généraliser. Après les guerres civiles et les proscriptions, le décroissement de la population obligea à étendre de plus en plus le droit de cité. L’empereur Claude fut amené à ouvrir aux notables des Gaules les portes du sénat ; le discours qu’il prononça à cette occasion nous a été conservé par Tacite[5] ; nous pouvons le comparer avec l’original retrouvé à Lyon. Claude vainquit les résistances du vieux parti romain qui se souciait peu d’introduire dans son sein un élément étranger ; les Éduens, décorés du titre de frères du peuple-roi à cause de leur fidélité à l’alliance romaine qu’ils avaient embrassée les premiers, furent appelés à prendre rang parmi les nouveaux sénateurs comme l’avaient déjà été successivement les Latins, les Italiens, comme les Barbares devaient l’être plus tard après les habitants des provinces[6].

Dès le ne siècle de l’Empire, Marc-Aurèle accordait à certains peuples barbares, qui avaient sollicité l’alliance romaine ou prêté leur concours dans la lutte terrible et sanglante contre les Marcomans, des droits civils très étendus. Dion Cassius se sert à ce sujet d’une expression remarquable et qui ne peut nous laisser aucun doute (πολιτείαν) : c’est bien la traduction du civitas des Latins[7]. Il ne s’agit plus seulement d’un droit conféré individuellement et par exception ; c’est une nation, une tribu entière appelée à bénéficier du même privilège.

Au IIIe siècle, le droit de cité romaine est étendu à tous les sujets de l’Empire sans distinction ; il n’y a plus de privilège, mais une loi commune applicable à tous. Les Barbares, toujours considérés comme peregrini, demeurèrent-ils en dehors de la loi ? Leur position fut-elle changée ? Sans être placés sur la même ligne que les provinciales, ils durent ressentir les effets d’une mesure aussi générale. Il se forma, surtout dans les provinces voisines de la Germanie, une sorte de population mixte, à demi romaine, à demi barbare : des relations commerciales régulières s’établirent entre les deux pays ; les enfants nés de ces étrangers, implantés sur le sol de l’Empire, qui en adoptaient les mœurs, les lois et la langue, et dont les intérêts se confondaient avec ceux des Romains, ne se distinguaient plus des autres ; au bout d’une ou deux générations, l’assimilation devenait complète. L’armée leur était ouverte comme aux Romains de naissance ; ils pouvaient servir soit dans les corps auxiliaires, soit même dans les légions. depuis qu’on se montrait moins sévère et moins exclusif pour la composition de ces troupes d’élite ; enfin, ils avaient accès jusque dans la garde du prince recrutée indistinctement parmi les meilleurs soldats et oit les Germains, doués d’une haute stature, d’une force herculéenne, figuraient avec avantage[8]. Ils passaient successivement par tous les degrés de la milice, et arrivaient aux plus hautes fonctions militaires qui n’étaient point alors séparées des fonctions civiles.

C’est de cette population mixte que sortit Maximin, le premier Barbare élevé à la dignité impériale[9]. Originaire d’un petit bourg de la Thrace, il était né, d’un père et d’une mère barbares, appartenant l’un à la nation des Goths, l’autre à celle des Alains[10] ; enrôlé sous les drapeaux de Rome, il se fit remarquer par sabres prodigieuse et son habileté dans tous les exercices du corps[11]. Il quitta le service sous le règne de Macrin, acquit d’importants domaines dans son pays natal, échangeant avec les Goths et les Alains, ses compatriotes, des présents et de continuels rapports[12]. Il rentra dans l’armée sous Héliogabale, avec le titre et le rang de tribun, combattit les Parthes à la tête d’un escadron de cavalerie pannonienne[13], et fut appelé par ses soldats, après le meurtre d’Alexandre Sévère, à recueillir la succession de ce prince. Il poursuivit, à la tête des légions, la marche de ses prédécesseurs, pénétra dans la Germanie, la dévasta, lui imposa la paix et revint triompher à Sirmium, méditant de nouvelles guerres contre les Sarmates, rêvant de porter jusqu’à l’Océan la limite septentrionale de l’Empire[14]. Les empereurs barbares, on le voit, n’étaient pas les moins ambitieux : mais il eut le sort réservé alors à presque tous les Césars et fut renversé avant d’avoir eu le temps d’accomplir ses vastes desseins.

La révolution administrative de la fin du me et du commencement du Ive siècle renversa les dernières barrières qui pouvaient s’opposer à la pénétration de l’Empire par les Barbares. Toutes les dignités conférées par l’empereur formèrent une hiérarchie savante dont les différents degrés se reliaient l’un à l’autre : il suffisait de franchir les premiers pour parvenir aux derniers. La question d’origine n’était plus qu’une question secondaire : chaque fonction avait son titre qui devenait personnel et constituait pour celui qui en était revêtu de vrais quartiers de noblesse ; la milice palatine, militia palatina, qui comprenait les offices militaires et civils du palais, ce que nous appellerions aujourd’hui la cour, formait une aristocratie, non de naissance, mais de position. Cette aristocratie, dès lors, se recrutait dans les rangs de tous les fonctionnaires et en particulier de l’armée, car la cour était surtout une cour militaire. L’expression même par laquelle on la désignait réveille l’idée d’un camp (comitatus), et les dignitaires de l’Empire portaient le titre de comites, d’où est venu notre mot comte.

Un des premiers actes de Constantin, après sa victoire sur Maxence et son entrée triomphale à Rome, fut d’admettre au sénat de cette ville des hommes, non seulement de toutes les provinces, mais de toutes les nations, afin que cette auguste assemblée, la plus illustre du monde, ne fût privée d’aucun genre de mérite et réunît dans son sein les sommités de l’univers entier[15]. L’exercice de certaines fonctions conférait de droit le rang et la dignité de sénateur. C’était alors un des modes de recrutement du sénat romain.

Constantin alla plus loin ; s’il faut en croire le témoignage d’Eusèbe[16] ; pour attirer les Barbares dans l’Empire et leur faire oublier leur patrie, il prodigua aux principaux d’entre eux les honneurs et les dignités sans toujours considérer assez le mérite[17]. Il fut le premier qui éleva un Barbare au consulat (ύπατεία), cette magistrature souveraine de la République, maintenue sous les empereurs et que ces derniers se faisaient gloire de partager même avec leurs sujets. C’étaient les consuls qui donnaient leur nom à l’année : aucun acte public, aucune loi n’était valable sans que leur nom y fût apposé ; les faisceaux et la trabée consulaire demeuraient, sinon le signe du pouvoir, du moins l’emblème de la majesté souveraine ; les Césars, sur tous les monuments, dans toutes les inscriptions, comptaient les années de leur consulat à côté de celle de leur règne.

Les détracteurs de Constantin, tels que Zosime et l’empereur Julien, n’ont pas manqué de lui reprocher, dans les termes les plus sévères, cette partialité en faveur des étrangers ; ils nous l’ont présenté comme un novateur dangereux, comme un perturbateur des anciennes lois et des traditions séculaires de l’Empire[18]. En somme, le prince n’était pas seul responsable de pareilles innovations ; elles résultaient du changement des mœurs publiques, de la nouvelle constitution de Rome et d’une nécessité qui s’imposait plus qu’on ne l’avait cherchée. Constantin suivait l’exemple de ses prédécesseurs et, s’il entra plus résolument dans cette nouvelle voie, ses héritiers devaient tous y marcher après lui, même Julien qui, selon la remarque judicieuse d’Ammien[19], ne sut pas éviter la prétendue faute qu’il reprochait à Constantin ; car, l’année même où il élevait au consulat Mamertin, son rhéteur favori, il lui donnait pour collègue un Barbare, le Goth Nevitta[20]. Dès lors les fastes consulaires se remplissent de noms étrangers qu’on peut facilement reconnaître malgré leurs terminaisons latines et le nom d’adoption que prenaient les Barbares en passant au service de Rome[21].

L’influence des Barbares, pendant toute la seconde moitié du IVe siècle, fut considérable. Ils étaient partout, avaient envahi successivement les armées, les magistratures, la cour, les conseils du prince ; on pouvait leur appliquer ce que Tertullien disait un siècle auparavant des chrétiens[22] : Nous ne sommes que d’hier et cependant nous remplissons vos places, vos maisons, vos palais. Dans quel lieu pénétrerez-vous sans nous y rencontrer ?

Parmi tous ces peuples de la Germanie, appelés à fournir à l’Empire des capitaines, des généraux, des hommes d’État, des ministres, les Francs tiennent la première place ; leurs noms dominent tous les autres. A chaque page d’Ammien Marcellin nous retrouvons quelqu’un des leurs mêlé aux événements et à la politique. Lorsque Constantin leur accordait toutes ses faveurs, il ne prévoyait point que son fils Constance se verrait disputer l’héritage paternel par l’usurpateur Magnence, fils d’un de ces Barbares admis dans la Gaule à titre de Læti, et qui du commandement de deux légions, les Joviens et les Herculéens, s’éleva jusqu’à la pourpre impériale. Acclamé par le peuple, salué Auguste par les soldats, Magnence força l’empereur Constant à fuir en Espagne et à s’y donner la mort, puis, à la tête d’une armée composée principalement de Francs et de Saxons, il tint en échec Constance pendant plusieurs années, jusqu’à ce que la trahison d’un autre Franc, Silvanus, fît tourner la fortune du côté de son rival. La plupart des corps d’élite dont se composaient les troupes palatines avaient pour chefs des Barbares, des Francs : ces emplois étaient recherchés et avaient une grande importance par le crédit qu’ils assuraient à la cour et dans l’entourage du prince. Un Bainobaudes, tribunus scutariorum, un Malarichus, rector Gentilium, un Agilon, tribunus stabuli, un Dagalaiphe, comes domesticorum, un Balchobaudes, tribunus armaturarum[23], étaient de vrais personnages politiques dans une monarchie telle que celle du Bas-Empire ; ils avaient la main dans toutes les intrigues, dans tous les partis, et dans les révolutions de palais. C’est ainsi que Malarichus, voulant sauver son compatriote Silvanus, sur qui pesaient les plus graves soupçons, réunit tous les Francs, employés comme lui à la cour et faillit soulever une tempête par le ton de sa protestation[24].

Le conseil particulier du prince (Consistorium)[25], où se prenaient toutes les décisions importantes, d’où partaient les rescrits impériaux, n’avait point de secret pour les Barbares : ils y occupaient une large place ; parfois même ils s’y trouvaient en majorité. Ce conseil, revêtu des principales attributions de l’ancien sénat et qui ressemblait beaucoup à un conseil des ministres, se composait des premiers fonctionnaires, ayant le titre et le rang d’illustres et résidant à la cour : du préfet du prétoire (Præfectus Prætorio Præsens), du maître de la milice (Magister militum Præsentalis), du maître des offices (Magister Officiorum), du questeur du palais (Quæstor sacri Palatii), du comte des largesses (Comes S. S. Largitionum) et du comte du domaine privé (Comes Rerum Privatarurn)[26]. On y avait adjoint un certain nombre de comtes de première classe (Comites primi ordinis Consistoriani) et de comtes honoraires ou anciens fonctionnaires, ayant voix délibérative (Comites Vacantes)[27].

Les chefs barbares, après avoir commandé des corps auxiliaires, ou même les troupes palatines, composées en partie d’étrangers, arrivaient facilement au grade de maîtres de la milice, et dès lors ils avaient leur entrée dans le consistorium où leur avis prévalait souvent comme dans les conseils de guerre. Silvanus était maître de la milice, pedestris militiæ rector, quand ses rivaux ourdirent contre lui cette conspiration à laquelle il crut échapper en se faisant proclamer empereur à Cologne[28]. Dagalaiphe, d’abord comte des domestiques, comes domesticorum, était maître de la cavalerie, magister equitum, à la mort de Jovien, pendant la désastreuse retraite de l’armée romaine engagée au cœur de la Perse. Il eut part comme tous les grands dignitaires civils et militaires de l’Empire à l’élection de Valentinien[29], et, quand ce dernier voulut s’adjoindre Valens pour collègue, ce fut ce même Dagalaiphe qui seul osa élever la voix et tenir ce digne langage : Si tu considères l’intérêt de ta famille, très excellent empereur, choisis ton frère ; si tu préfères l’intérêt de l’État, cherche ailleurs[30]. La franchise du Barbare ne diminua point son crédit à la cour ; ce qui le prouve, c’est que, deux ans plus tard, il partageait les honneurs du consulat avec Gratien, le fils de Valentinien[31].

A la mort de Valentinien Ier, frappé, sur les bords du Danube, d’une attaque d’apoplexie foudroyante, à la suite d’un violent accès de colère[32], ce fut le Franc Merobaudes, dont le talent et l’habileté étaient universellement reconnus[33], qui sauva la couronne du jeune Valentinien, âgé de quatre ans. Ce Barbare sut prévenir tous les complots, se hâta de faire proclamer le jeune prince, résidant alors avec l’impératrice Faustine, sa mère, dans une maison de campagne voisine, fit ratifier l’élection par un conseil rassemblé immédiatement, et conduisit l’héritier de Valentinien dans le camp, où les soldats le saluèrent Auguste, six jours après la mort de son père, avant même que son frère aîné, Gratien, eût été consulté sur le choix d’un nouveau collègue[34]. Le consulat, décerné à Merobaudes quelques années après (377)[35], et qu’il partagea avec Gratien lui-même, fut la récompense de son dévouement à la famille impériale. Faut-il voir dans ce Flavius Merobaudes, consul l’an 377, le même personnage que celui auquel fut érigée plus tard, sur le forum de Trajan, une statue d’airain[36] ; pour récompenser la double gloire qu’il avait acquise dans les armes et dans les lettres ? Il est plus vraisemblable de supposer qu’il y eut plusieurs Merobaudes, appartenant à une même famille d’origine franque et dont plusieurs membres s’illustrèrent soit comme guerriers, soit comme orateurs ou comme poètes[37]. Il est certain que les Barbares, mêlés à la haute société romaine, très versés dans la langue de Rome, qu’ils avaient souvent apprise dès leur enfance, cultivèrent avec succès la poésie latine et trouvèrent parfois des accents dignes de la muse de Virgile[38].

Un autre Franc, également illustre, Mallobaudes, qu’il ne faut pas confondre avec Merobaudes, fournit une longue carrière au service de Rome et occupa successivement différents grands militaires importants. Chef du corps des armaturæ (tribunus armaturarum), en 354, il fut chargé, en compagnie de deux courtisans émérites, le grand chambellan Eusebius et le secrétaire d’État Pentadius, d’une mission secrète auprès du César Gallus, gardé à vue dans une ville d’Istrie, à Pola, par ordre de Constance[39]. Plus tard nous le retrouvons à la cour, mêlé à cette coterie  d’étrangers dont le crédit, supérieur à celui des Romains, s’exerçait sans obstacle et, pour ainsi dire, sans limite[40]. Enfin, à l’époque où Valens, menacé par les hordes barbares auxquelles il avait accordé une imprudente hospitalité, appela son neveu Gratien au secours de l’Orient, Mallobaudes était comte des domestiques, comes domesticorum, tout en conservant le titre de roi d’une tribu franque, rex Francorum[41]. On lui conféra, de concert avec le général Nanniénus, la charge de commander les troupes destinées à opérer contre les Lentienses. Mallobaudes avait les qualités de sa race ; c’était un brave et intrépide guerrier. Contrairement à Nanniénus, qui craignait de hasarder les chances d’une bataille, il pressait de marcher à l’ennemi : son ardeur entraîna les autres, et le succès du combat justifia pleinement ses prévisions : la victoire fut complète, éclatante, malgré la supériorité numérique des Barbares, vaincus cette fois encore par la discipline romaine[42].

Il semble qu’à cette époque l’Empire soit condamné à chercher ses meilleurs et ses plus fidèles appuis parmi les étrangers, signe d’une profonde et irrémédiable décadence. Cette terre d’Italie, autrefois si féconde en grands hommes, magna parens virum[43], suivant la belle expression du poète, et qui avait donné au monde entier des capitaines, des législateurs, des maîtres, ne se suffisait plus à elle-même ; après avoir absorbé dans son sein lei éléments de vie et de richesse des peuples soumis à sa domination, elle se voyait réduite à tirer du dehors ses propres généraux, ses magistrats, ses chefs, comme elle en. tirait sa subsistance ; or, il n’y avait alors dans le monde que Rome et les Barbares ; c’était donc aux Barbares qu’elle combattait tous les jours et qui la menaçaient dans son existence qu’elle était, obligée de recourir pour sa défense et son gouvernement. Il fallait le prestige de sa civilisation, de ses honneurs, de ses dignités, de son nom, pour faire ainsi de ses ennemis de la veille les amis du lendemain.

Les Barbares n’étaient point insensibles à cette grandeur qui avait survécu à tous les désastres de l’Empire ; ils se sentaient attirés par l’éclat incomparable d’une cour dont les splendeurs dépassaient tout ce que leur imagination avait pu rêver, et par la supériorité intellectuelle d’une société plus corrompue peut-être, mais plus policée que la leur. Les chefs surtout, élevés la plupart à Rome ou d’après les leçons de Rome, adoptaient volontiers une nouvelle patrie, mieux faite pour eux que les déserts de la Germanie. On est frappé des qualités remarquables qu’ils déployèrent, soit à la tête des armées romaines, soit dans les conseils publics. Habitués dès l’enfance à la guerre, car les Germains étaient tous soldats, à une vie sobre et austère, aux fatigues, aux privations de tous genres, ils étaient admirablement préparés à devenir d’excellents généraux ; accoutumés aussi, en raison de la constitution même de leurs tribus, à prendre une part active à toutes les affaires publiques, à toutes les délibérations de la commune, où chacun exprimait et discutait librement son opinion[44], ils acquéraient un certain sens politique, une fermeté de langage qui contrastait singulièrement avec les déclamations et les flatteries des rhéteurs romains. Quelle fierté, quelle force de caractère, quelle indomptable énergie dans ces rois et ces princes de la Germanie ! Les portraits que nous en ont laissés les historiens, les écrivains sacrés, les chroniqueurs, bien qu’idéalisés parfois, attestent de riches et puissantes natures dont les défauts se trouvaient rachetés par d’éminentes vertus. Le Franc Arbogaste, qui a joué un rôle si considérable sous les règnes de Gratien et de Valentinien II, nous est représenté par Zosime comme dévoué aux Romains, plein de désintéressement, incorruptible et très versé dans l’art militaire[45]. Les mêmes éloges sont accordés à un autre général barbare, le fameux Bauto, qui appartenait également à la nation franque, qui avait mis son épée ainsi que ses talents au service de Rome et dont la fille Eudoxie devait plus tard, en épousant l’empereur Arcadius, monter sur le trône de Constantinople[46].

De tels hommes étaient appréciés et méritaient de l’être. Mais, quel que fût leur dévouement à l’Empire, ils ne pouvaient oublier complètement leur première origine. Leurs exigences croissaient avec l’élévation de leur rang. Du moment où ils se sentaient indispensables, où ils disposaient de l’armée, seule et principale force de l’État, il leur était permis de tout oser impunément et de braver une autorité dont ils connaissaient mieux gué personne la faiblesse et l’impuissance. Les Barbares ne résistaient guère cette tentation ; une fois parvenus aux dignités romaines, leur ambition n’avait plus de bornes. Arbogaste lui-même en fournit un éclatant exemple. Non content du poste qu’il occupait à la mort de Gratien, il profita de son crédit à la cour et sur les soldats, ainsi que de la jeunesse de Valentinien, pour prendre de son chef le commandement de toutes les troupes et le titre de maître de la milice. Son ascendant sur le jeune prince qui le craignait et n’osait lui résister n’empêcha point Valentinien de ressentir l’humiliation d’un pareil affront ; il le dévora d’abord en silence, mais finit par vouloir faire acte d’autorité. Un jour qu’il était assis sur son trône, il vit Arbogaste venir à lui, lui lança un regard courroucé et lui tendit un papier où était écrite sa révocation. Le fier Barbare, après l’avoir lu, se contenta de répondre à son maître : Ce n’est pas de vous que je tiens mon pouvoir ; vous n’avez pas le droit de me l’enlever ; puis il déchira le papier, le jeta et sortit[47]. Cette scène jette un jour singulier sur les rapports qui pouvaient exister entre les empereurs et les Barbares dont ils étaient entourés. Arbogaste n’attendit pas que Théodose, appelé par le jeune Valentinien, vînt punir sa rébellion. Il résolut de se débarrasser de Valentinien, choisit le moment où le prince s’exerçait avec quelques soldats sous les murs de Vienne dans les Gaules, fondit sur lui à l’improviste et le frappa mortellement ; puis, dédaignant de se faire proclamer lui-même empereur, il revêtit de la pourpre le rhéteur Eugène, une de ses créatures[48]. Mais il avait compté sans Théodose qui ne voulut point reconnaître le nouvel empereur, se déclara le vengeur de son parent et remporta dans les passages des Alpes une victoire décisive à la suite de laquelle Eugène eut la tête tranchée et Arbogaste se donna la mort pour ne pas tomber vivant entre les mains du vainqueur[49]. Un Barbare avait été le principal auteur du couronnement de Valentinien ; un autre Barbare fut l’auteur de sa chute. Dans cette même bataille où Théodose triompha du rhéteur Eugène ainsi que d’Arbogaste, les Barbares fédérés, désignés par Zosime sous le nom de légions barbares, comme pour mieux marquer qu’il n’existait plus aucune différence entre les soldats romains et les soldats étrangers, étaient commandés par Gainas, tandis que les troupes romaines proprement dites avaient à leur tête un autre Barbare, le Vandale Stilicon, allié à la famille impériale, par son mariage avec Séréna, la nièce de Théodose[50].

A partir de cette époque l’élément barbare devient le véritable élément dominateur ; l’équilibre se trouve rompu. Ce ne sont plus les Barbares qui cherchent à imiter les Romains ; ce sont au contraire les Romains qui prennent modèle sur les Barbares. On adopte leurs usages, leurs costumes, leurs armes, leurs chants de guerre ; il y a une sorte d’engouement général pour eux ; les modes de Constantinople se règlent sur la Germanie[51]. On veut avoir comme eux de longues et belles chevelures blondes, porter comme eux des hautes chausses (zanchæ), des pantalons (braccæ) ; le barritus est enseigné et répandu dans toutes les armées romaines comme l’accent le plus mâle et le plus digne de préluder aux combats. La cour de Gratien avait déjà donné ce funeste exemple. Le jeune empereur, plein d’ardeur, passionné pour la chasse comme pour la guerre, se sentait attiré vers les Barbares dont les goûts étaient plus conformes aux siens que ceux des Romains[52]. On le voyait souvent vêtu à la manière des Barbares, abandonnant la toge ou le paludamentum pour les fourrures et les peaux de bêtes dont s’affublaient les Germains[53]. Ceux des Romains qui conservaient le culte des traditions nationales voyaient dans cette transformation des usages de la vie matérielle un signe précurseur de la chute de l’Empire[54] ; ils s’en alarmaient et reprochaient à Gratien son penchant pour les Barbares, comme on l’avait déjà reproché à Constantin ; mais leur voix n’était plus écoutée. Le rhéteur Themistius nous parle de statues élevées aux rois barbares à côté de celles des autres personnages illustres de l’État,  dans la curie de Constantinople comme à Rome sur le forum de Trajan[55]. On regardait avec un œil d’envie ces nouveaux venus dont la faveur grandissait tous les jours et que la munificence impériale comblait d’honneurs. Un évêque du temps, Synecius, dans un de ses écrits où il trace au fils de Théodose les devoirs et les obligations de la royauté, déclare qu’en Orient Goth est devenu synonyme d’homme et Romain celui de femme[56].

Il y eut plus tard, vers la fin du IVe siècle, sous les fils de Théodose, Arcadius et Honorius, quelques tentatives pour réagir contre l’envahissement des modes empruntées aux Barbares et qui avaient un si grand succès. On voulut les proscrire, soit à Rome, soit dans les provinces voisines de Rome comme contraires à la majesté et à la dignité de l’ancienne capitale de l’Empire. Deux rescrits, datés l’un de l’an 397[57], l’autre, un peu postérieur, de l’an 416[58], interdisent formellement, sous peine de l’exil et de la confiscation des biens, l’usage, dans la ville de Rome ou les environs, des hautes chausses, des pantalons, des longs cheveux, des fourrures, même pour les esclaves.

Quel résultat, quelle autorité pouvaient avoir de semblables décrets, tandis que les deux princes qui les avaient signés se trouvaient eux-mêmes gouvernés, l’un par le Gaulois Rufin, l’autre par le Vandale Stilicon ? Rufin, d’abord commandant des troupes palatines[59], s’était élevé successivement par le consulat et la préfecture du prétoire à un degré de puissance qui le rendait le véritable maître des affaires[60]. Il exerça à Constantinople le pouvoir absolu sous le nom d’Arcadius pendant plusieurs années, en profita pour acquérir une immense fortune, voulut marier sa fille avec le jeune prince et songeait à usurper l’Empire lorsqu’une de ces conspirations de palais alors si fréquentes déjoua ses plans et le renversa.

Stilicon n’avait rien de commun avec le favori d’Arcadius. C’est une grande figure : par son mérite personnel, par sa supériorité incontestable, par ses talents militaires et politiques, il était digne du choix de Théodose et de l’influence qu’il exerça sur son pupille Honorius. Son père avait déjà servi dans les armées romaines et commandé une aile de cavalerie des Vandales auxiliaires[61]. Il se fit remarquer de bonne heure, fut placé lui-même  à la tète des légions et devint, après la mort du grand Théodose, tuteur du plus jeune da ses fils, régent de l’empire d’Occident[62]. Cette hanté position dans laquelle il se maintint pendant quatorze ans (395-408), lui permit de, déployer les éminentes qualités dont il était doué. La situation de l’Empire était alors des plus critiques. Menacé de toutes parts par ses ennemis du dehors, miné au dedans par une dissolution sans exemple, il n’avait plus que les apparences de la vie. Stilicon, par son habileté, par son activité prodigieuse, sut faire face à tous les dangers et arrêter les progrès du mal. La brillante victoire de Pollentia sur les hordes germaniques conduites par Radagaise sauva l’Italie et augmenta encore sa puissance[63]. On se crut délivré des Barbares ; ce fut une explosion de joie, un concert universel de louanges dont le poète Claudien se fit l’interprète dans ses vers[64]. Le faible, le lâche Honorius, enfermé dans son palais de Ravenne, où il se trouvait plus en sûreté qu’à Rome, ne voulut point écouter les conseils de son ministre, profiter de la paix conclue avec Alaric pour s’emparer de l’Illyrie et assurer sa prépondérance en Orient de manière à. concerter une action commune des deux empires contre les Barbares. Il aima mieux prêter l’oreille aux accusations de ses courtisans qui, jaloux de Stilicon, cherchaient à le perdre dans l’esprit du maître en le représentant comme un ambitieux dent le but unique, après avoir rempli le palais et les armées de ses créatures, marié ses deux filles à l’empereur[65], était de se faire couronner et de supplanter Honorius. Stilicon succomba ; car il ne sut pas ou ne voulut pas déjouer les complots de ses ennemis ; sa mort fut une perte irréparable dans les circonstances où était placé l’Empire. L’historien Zosime loue sa modération, sa probité, et, dans son admiration pour ce grand homme, il ne néglige point de nous indiquer la date précise de sa mort qui eut lieu en 408, le 10 des kalendes de septembre (23 août), sous le consulat de Bassus et de Philippe[66].

Le patriciat, nouvelle dignité créée par Constantin, supérieure même à la préfecture du prétoire, devint également, dès cette époque, l’objet de l’ambition des Barbares[67]. Les patrices, pères de l’empereur et de la patrie, ne cédaient le pas qu’aux consuls[68] ; nommés à vie, ils siégeaient de droit dans le consistorium et prenaient rang immédiatement après le souverain. Aucune fonction particulière n’était attachée à ce titre honorifique et personnel ; mais ceux qui en étaient revêtus occupaient déjà les premiers emplois et présidaient le conseil des ministres en l’absence de l’empereur ou du consul. C’était la plus haute récompense qui pût être décernée par le prince. Durant tout le Ve siècle, nous la trouvons conférée soit à des Romains, soit à des Barbares. Le Suève Ricimer, gendre d’Anthemius, qui exerça jusqu’à sa mort une véritable tutelle sur les empereurs d’Occident, les faisant et les défaisant à son gré, était patrice. Les rois barbares eux-mêmes ne dédaignèrent point de briguer le patriciat dont ils se faisaient gloire bien plus que de leur propre royauté[69]. Comme maîtres de la milice et comme patrices, ils étaient reconnus partout pour les lieutenants de l’empereur ; leur autorité dans tous les pays qu’ils avaient occupés ou conquis devenait incontestable et légitime aux yeux de la population romaine[70]. Gundéric, Gondebaud, Chilpéric, Sigismond, Childéric, Clovis, presque, tous les rois bourguignons ou francs, furent maîtres de la milice ou patrices. Cette tradition de respect pour les dignités romaines se perpétua jusque dans le moyen âge, et, quand Charlemagne, l’an 800, fut couronné à Rome par le pape Adrien Ier, il s’intitula le restaurateur de l’empire d’Occident.

 

 

 



[1] Cicéron, Pro Balbo, c. XIV.

[2] Tacite, Ann., II, c. LXXXVIII. — Ibid., c. X. — Velleius Paterculus, lib. II, c. CXVIII.

[3] Tacite, Ann., lib. I, c. LVII.

[4] Tacite, Ann., lib. I, c. LVIII.

[5] Tacite, Ann., lib. XI, c. XXIII-XXV.

M. de la Saussaye, dans un récent travail intitulé : Études sur les Tables Claudiennes, et lu à la réunion des sociétés savantes à la Sorbonne, dans la séance du 20 avril 1870, résume les dernières découvertes de M. Martin Daussigny, conservateur des musées de Lyon. M. Martin Daussigny est parvenu à compléter l’inscription en déchiffrant sous une couche de plâtre et de terre mêlée à de l’oxyde de cuivre, les lettres terminales d’un certain nombre de lignes, lettres qui avaient échappé jusqu’ici à la vue de tous les interprètes. — La notice est accompagnée d’une planche représentant le fac-simile des deux colonnes de la première table, telle que nous la possédons.

[6] Tacite, Ann., lib. XI, c. XXIII-XXV.

[7] Dion Cassius, lib. LXXI, c. XIX.

[8] Hérodien, VI.

[9] Hérodien, VI.

[10] Capitolin, Vita Maximini, c. I.

[11] Jornandès, De reb. Get., c. V.

[12] Capitolin, Vit. Maxim., c. XV.

[13] Jornandès, De reb. Get., c. V. — Zosime, lib. I, c. XIII.

[14] Capitolin, Vit. Maxim., c. XI.

[15] Nazarius, Panegyr. Constantine Augusto, c. XXXV.

[16] Eusèbe, Vit. Constant., lib. IV, c. VII. 

[17] Aurelius Victor, De Cæsaribus, c. XLI (20).

[18] Ammien, lib. XXI, c. X. — Cf. Zosime, lib. II.

[19] Ammien, lib. XXI, c. X.

[20] Ammien, lib. XXI, c. VIII.

[21] Les Barbares dignitaires de l’Empire avaient un nom national (cognomen) et un prénom romain (prœnomen) qui indiquait leur droit de cité, de noblesse romaine. On y joignait, quand ils étaient convertis au christianisme, un nom de baptême (agnomen). Nous en voyons un curieux exemple dans l’un des derniers numéros du Bulletin d’archéologie chrétienne de M. de Rossi (1871, n° 1, p. 25.) Il s’agit d’un Goth, maître de la milice (magister utriusque militiæ) au Ve siècle, donateur d’un fonds, dans le vicus patricius, fonds sur lequel fut dédiée l’église de Saint-André de l’Esquilin, appelée pour cela Catabarbara patricia et désignée auparavant sous le nom de basilique de Junius Bassus. Ce Goth s’appelait Valila il portait trois noms : le cognomen, nom national, Valila : le prœnomen, nom romain, Flavius : l’agnomen, nom de baptême, Theodorius.

LISTE DES BARBARES CONSULS AU IVe SIÈCLE :

351. Magnentius (Lætus). Fl. Gaiso.

362. Nevitta (Gothus).

366. Dagalaiphus (Francus).

377. Flavius Merobaudes (Francus).

383. Fl. Merobaudes (Francus).

384. Fl. Richomeres (Francus)...

385. Bauto (Francus)...

400. Fl. Stilicho (Vandalus).

[22] Tertullien, Apologétique, c. XXXVII.

[23] Ammien, passim.

[24] Ammien, lib. XV, c. V.

[25] Ammien, Index, II, Consistorium.

[26] Ammien, Index, II, Consistoriani.

[27] Böcking, Not. Imp. Occid., p. 298. — Ibid., p. 303. — Cod. Théod., VI, tit. 12, De comitibus consistorianis, Paratilon. — Humbold, De Consistario Principis opusculum. — Hollweg, III, p. 17 ; p. 94 et suiv.

[28] Ammien, lib. XV, c. V.

[29] Ammien, lib. XXVI, c. I.

[30] Ammien, lib. XXVI, c. IV.

[31] Ammien, lib. XXVI, c. IX.

[32] Ammien, lib. XXX, c. VI, passim.

[33] Ammien, lib. XXX, c. X. — Zosime, lib. IV, c. XVII.

[34] Ammien, lib. XXX, c. X.

[35] Ammien, lib. XXXI, c. VIII.

[36] Orelli-Henzen, n° 1183.

[37] Saint-Martin (édition de l’Histoire du Bas-Empire de Lebeau), t. VI, p. 177, note 3. — Ozanam, Études germaniques, t. III des œuvres complètes, c. VI, p. 339 et suiv.

[38] Relliquiæ Merobaudis, edidit Niebuhr. Bonn, 1824.

Saint-Martin, dans son commentaire de Lebeau (Hist. du Bas-Empire, t. VI, liv. XXXII, p. 177, not. 3), consacre un article spécial à la question des deux Merobaudes.

On ne peut admettre que Fl. Merobaudes, consul d’abord en 377, puis en 383, soit le même que Fl. Merobaudes, auteur du Panégyrique d’Aétius et de divers fragments publiés par Niebuhr sous le titre de Fl. Merobaudis Carminum Panegyricique reliquice in membranis Sangallensibus, Bonn., 1824.

L’inscription découverte à Rome en 1813 (Orelli-Henzen, n. 1183) et gravée sur la base d’une statue élevée à Fl. Merobaudes dans le Forum Ulpianum par ordre des empereurs Théodose et Valentinien le jeune, est de 435 (Dedicata IIII Kal. Aug. Conss. D D. N N. Theodosio XV et Valentiniano IIII).

On pourrait supposer qu’elle lui fut érigée après sa mort. Mais le Panégyrique d’Aétius est évidemment postérieur à la date de l’inscription : on y parle de la paix faite avec Genséric et de la prise de Carthage ; il n’a donc pu être composé que pour le troisième consulat d’Aétius, c’est-à-dire en 446. Or, quelle que fût alors la limite d’âge fixée pour le consulat, limite très variable sous les empereurs qui la modifiaient à leur gré, il n’est point vraisemblable que Fl. Merobaudes, consul pour la première fois l’an 377, ait vécu jusqu’en 446. L’inscription, du reste, ne mentionne point le consulat dont parle M. Ozanam ; on y lit seulement V. S. (Vir Spectabilis.)

La Chronique d’Idatius nous apprend que Fl. Merobaudes, gendre d’Asturius, qui fut consul en 449, succéda à son beau-père en qualité de maître de la milice et remporta de brillants succès sur les Bagaudes d’Espagne. (Asturio, magistro utriusque militiæ, gener ipsius successor ipsi mittitur Merobaudis, natu nobilis... Brevi tempore potestatis suæ Aracellinatorum frangit insolentiam Bacaudarum). Comme son beau-père, il cultiva aussi la poésie et son nom figure avec honneur dans cette école poétique des Gaules du Ve siècle, qui comptait parmi ses plus illustres représentants Sidoine Apollinaire et Ennodius (Rossi, Bulletin d’archéologie chrétienne, 1871, 3e fascicule, p. 118). Nous nous expliquons dès lors très bien cette double illustration de la plume et de l’épée que rappelle l’inscription : Ingenium fortitudini ut doctrinæ natum stilo et gladio pariter excercuit.

M. Ozanam consacre plusieurs pages à Fl. Merobaudes ; il cite plusieurs passages des fragments de ses œuvres pour nous donner une idée du talent poétique de ce Barbare tellement imbu de la civilisation latine qu’il prenait parti dans ses vers pour Rome contre la Germanie :

Teutonicum Latiis hostem cum sterneret armis,

Tunc ad bella rudem nec adulto Marte ferocem.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

(Panég. d’Aétius, v. 194 et suivants.)

En effet, bien que Sidoine Apollinaire et d’après lui Sirmond en fassent un Espagnol, ortu Hispanus... (Sid. notæ Sirmondi ad excusatoriurn ad Felicem), il est certain que le nom de Merobaudes, commun à cette époque, est celui d’un Barbare et d’un Franc. Cette famille des Merobaudes, déjà ancienne et illustre, s’était en quelque sorte naturalisée dans l’Empire. Rien ne s’oppose à ce qu’on voie dans le Fl. Merobaudes de l’inscription (vir antiquæ nobilitatis) le descendant, le petit-fils de Merobaudes, roi franc, qui s’était attaché au service de Rome sous Valentinien Ier, et le fils d’un autre Merobaudes, duc d’Égypte en 384. Le petit-fils ajouta à l’illustration de ses ancêtres une nouvelle gloire, celle de l’écrivain (novæ gloriæ). La statue et l’inscription devaient perpétuer le souvenir de cette double gloire.

[39] Ammien, lib. XIV, c. XI.

[40] Ammien, lib. XV, c. V

[41] Ammien, lib. XXXI, c. X.

[42] Ammien, lib. XXXI, c. X.

[43] Virgile, Géorgiques, II, v. 173-174.

[44] Opitz, p. 38.

[45] Zosime, lib. IV, c. XXXIII.

[46] Zosime, lib. IV, c. XXXIII.

[47] Zosime, lib. IV, c. LIII.

[48] Zosime, lib. IV, c. LIV.

[49] Zosime, lib. IV, c. LVIII.

[50] Zosime, lib. IV, c. LVII.

[51] Opitz, p. 38-39.

[52] Ammien, lib. XXXI, c. X.

[53] Aurelius Victor, Épitomé, c. XLVII.

[54] Cod. Théod., XIV, tit. 10, Paratitlon.

[55] Themistius, Orat., XV, p. 190-191.

[56] Synecius, In oratione de regno.

[57] Cod. Théod., XIV, tit. 10, loi 2.

[58] Cod. Théod., XIV, tit. 10, loi 4.

[59] Zosime, lib. IV, c. LI.

[60] Zosime, lib. IV. c. LII.

[61] Opitz, p. 31.

[62] Zosime, lib. V. c. I. — Opitz, p. 39.

[63] Zosime, lib. V, c. XXVI.

[64] Claudien, De laudibus Stilichonis.

[65] Zosime, lib. V, C. XXVIII.

[66] Zosime, lib. V, c. XXXIV.

[67] Zosime, lib. II, c. XL.

[68] Cassiodore, Var., VI, 2.

[69] L’abbé Dubos, liv. III, c. IV.

[70] L’abbé Dubos, liv. II, c. IV.