LE CHÂTEAU DE RAMBOUILLET

SIX SIÈCLES D'HISTOIRE

 

CHAPITRE IV. — FREDAINES ROYALES.

 

 

Louis XV vertueux. — Mari et père modèle. — Il s'ennuie. — Les cinq sœurs de Nesles. — Premières escapades. — Mort du comte de Toulouse. — Le Roi à Rambouillet. — L'entresol de madame de Mailly. — Plaisirs mélancoliques. — Madame de Vintimille. — Sa mort. — Saint-Léger. — Remords du Roi. — Madame de la Tournelle.

 

Avant que le jeune roi Louis XV ait atteint sa majorité, — quinze ans, — il a pris possession des appartements de Louis XIV, à Versailles ; quelques mois plus tard, il a été solennellement sacré à Reims. Ses précepteurs, la Cour entière, s'étonnaient qu'il semblât insensible à la beauté des femmes : on le conduisit à Chantilly où l'on avait réuni dix-sept des plus jolies dames de la Cour... Il ne s'intéressa qu'à courre le cerf, ce dont elles furent très marries ; il était si beau, avec ses longs cils frisés, son joli teint, sa charmante petite bouche... On eût dit l'Amour en personne. Il est réfléchi, fort pieux, très instruit, mais trop renfermé et taciturne, paraissant dégoûté de tout et hanté par la préoccupation des choses de la mort. Déjà il est allé à Saint-Denis pour voir l'emplacement réservé à son cercueil... Grand, fort, toujours à la chasse sous la pluie ou dans la poussière, il ne se soucie guère de fatiguer ses officiers. Souvent, en pleine nuit, il mande sa Chambre et sa garde et part pour Rambouillet, s'arrête en chemin, à un cabaret du village du Perray où il se plaît mieux qu'ailleurs. Si, dans ces déplacements, les dames le suivent, il ne les regarde pas. Il s'amuse à faire des malices à toutes sortes de gens, coupant les cravates, les chemises, les habits, arrachant les perruques et les cannes. — Il vient de raser les sourcils à trois de ses écuyers. Son entourage s'inquiétant de ces dispositions, on l'a marié, à quinze ans, avec la princesse la plus pauvre d'Europe, la Polonaise Marie Leczinska, sans beauté, mais gracieuse, intelligente, et de sept ans plus âgée que le Roi. Voilà celui-ci tout de suite très amoureux de sa femme : avant d'atteindre ses vingt ans, il sera père de cinq enfants ; il en aura dix au total, dont le Dauphin et six filles survivront.

C'est alors un prince accompli, aussi vertueux qu'aimable, car la Reine l'a transformé. Il se montre pour elle plein d'attentions ; il cause avec entrain ; il est radieux, adore ses enfants, chasse, joue, voyage, ne manque jamais d'assister, chaque matin, à la messe, écoute des sermons, suit les grands offices et s'approche fréquemment des Sacrements. Le modèle des époux, des pères et des rois. Mais tant de maternités répétées ont fatigué la Reine : elle doit se ménager par ordre de la Faculté : et puis, si bonne, si vertueuse soit-elle, elle a commis, mal inspirée, la maladresse de s'occuper de politique. Les gens de Cour, toujours aux aguets, constatent un refroidissement dans la vie, jusqu'alors si unie, du couple royal. Louis XV s'ennuie ; il est déçu, insoucieux de tout, désorienté. Il chasse avec frénésie, espérant détourner par l'action les idées sombres ; il essaie du travail, installe une bibliothèque dans ses petits appartements, y fait établir un tour, s'y enferme, y lit, y fabrique des tabatières, fait de la tapisserie. Ou bien, désireux de se distraire, — tant de gens l'exhortent à ne point se priver des plaisirs de la vie ! — il se promène le soir sur les toits du château, va surprendre par les lucarnes les personnes de sa Cour avec lesquelles il est particulièrement familier, descend chez l'une d'elles par la fenêtre, se penche sur les cheminées pour écouter les conversations qu'il interrompt en faisant la grosse voix : Le Roi vous entend ! Dans un couloir de son appartement privé, il y a un escalier dérobé qu'utilisait jadis Louis XIV pour se rendre chez madame de Montespan. Louis XV, maintenant, va par là chez le comte et la comtesse de Toulouse, logés au rez-de-chaussée du château.

Il n'a pas gardé rancune de ses bouderies à son grand-oncle de Toulouse et souvent il est son hôte à Rambouillet. Sa grand'tante, toujours jolie et sémillante, malgré la quarantaine, lui plaît beaucoup ; il est en confiance avec elle. D'ailleurs, très perspicace, très fine, elle s'inquiète de le voir retomber dans ses idées sombres et sa taciturnite et elle s'ingénie à l'amuser. Il retrouve chez elle des jeunes femmes charmantes, entre autres sa cousine Marie-Anne de Bourbon-Condé qu'on appelle Mademoiselle et les cinq sœurs de Nesle dont l'aînée, du même âge que le Roi, a épousé le comte de Mailly ; la seconde est mariée au comte de Vintimille ; la plus jeune, née en 1717, est marquise de la Tournelle ; les deux autres sont la duchesse de Brancas-Lauraguais et la marquise de Flavacourt.

Comme on se retrouve là presque quotidiennement, la réunion est sans façons : point d'étiquette, — ou presque ; nul cérémonial. Certain soir, par exemple, le Roi, qui n'a pas soupé, fait descendre de chez lui un bol de bouillon et un morceau de pain : c'est tout son repas qu'il prend en jouant. On est entre jeunes gens qui essaient de s'égayer, sans y parvenir souvent, tant l'ennui, l'ennui incurable, pèse sur ce merveilleux Versailles. L'irréprochable comtesse de Toulouse sert de chaperon et sauve le décorum ; Mademoiselle, dédaigneuse de l'ordre et des convenances, serait moins prudente ; elle a toute la hauteur des Condés à quoi s'est jointe par bâtardise la folie des Mortemart. Elle est le boute-en-train de la bande. Un jour elle organise une partie : on viendra souper chez elle, clandestinement. Elle habite l'autre aile du château, du côté de l'Orangerie ; pour s'y rendre, c'est tout un voyage : aussi que de précautions ! Afin de détourner les soupçons, le Roi commande dans son appartement un souper pour quatre personnes : à l'heure fixée pour l'escapade, il dit à ses valets de chambre de manger ce souper et il s'esquive. Mais tous ces cabinets resteront éclairés de façon à laisser croire qu'il est chez lui. Chez Mademoiselle, au contraire, tout est éteint : le souper est servi dans ses entresols. Outre les dames habituées du salon de madame de Toulouse, elle a convié quelques gentilshommes de l'intimité du Roi. On attend durant trois quarts d'heure madame de Mailly, retenue chez la Reine dont elle est l'une des douze dames du palais. Le souper est très gai ; le Roi qui, depuis quelque temps, ne prend que du lait, boit, cette nuit-là, du vin de Champagne ; il ne se lève de table qu'à cinq heures du matin ; les gentilshommes l'accompagnent jusqu'à son appartement où il les retient pour jouer au trictrac ; à six heures il se rend à la chapelle, rentre se coucher et dort jusqu'à cinq heures de l'après-midi.

Sa dévotion, ses scrupules religieux le préservent encore : il est toujours exact aux grands couverts officiels et aux dîners chez la Reine ; il ne manque pas un soir à la cérémonie de son coucher ; mais l'habitude se prend d'une vie en partie double, l'une toute d'apparat et de régularité, l'autre, — non pas secrète ; rien n'est secret à Versailles, — mais discrètement semblable à celle que mènerait un riche particulier. Les petits soupers dans les appartements privés du Roi deviendront bientôt de tradition ; rien de ces orgies que se sont appliqués à décrire certains historiens, et non des moindres : bien au contraire ; dans ce royaume de l'étiquette, la plus petite dérogation aux usages revêt les formes d'un certain cérémonial. Quand il y a souper chez Sa Majesté, les candidats à cette faveur se réunissent dans la salle du Conseil ; tous, bien entendu, gens titrés, ayant les grandes entrées et charges à la Cour. L'heure venue, le Roi ouvre la porte de sa chambre et, du seuil, parcourt du regard le groupe ; puis, sans mot dire, il rentre chez lui, dicte la liste des convives qu'il a choisis et dont un huissier fait l'appel à haute voix. Les élus se glissent par les dégagements dans les arrière-cabinets ; les autres se représenteront demain dans l'espoir d'être plus heureux.

Douze ou quatorze commensaux, pas davantage ; les dames ont été prévenues d'avance ; ce sont presque toujours les mêmes. Il est rare que la causerie, si animée soit-elle, prenne le ton de la familiarité ; aucun des convives n'oublie qu'il est en présence du maître ; lui-même ne perd pas un instant la conscience de sa personnalité, et si les propos dévient vers des sujets intempestifs ou trop grivois, il y met fin en tapotant la table du bout de ses ongles et rappelle les causeurs à l'ordre par ces seuls mots : Messieurs, le Roi ! Parfois il passe dans un petit réduit où il prépare lui-même le café ; un soir, le prince de Dombes se chargea de confectionner une fricassée de poulet ; mais cette fantaisie fut peu appréciée car il fallut attendre le plat durant une demi-heure. On prétend que le Roi, lui aussi, ne dédaignait pas de cuisiner : il serait, sauf réserves, le créateur de l'omelette aux pointes d'asperges.

En mentionnant ces petits faits qu'on pourrait facilement multiplier, on s'abstient ici de tout ordre chronologique, se contentant de noter des traits caractéristiques, indispensables à l'intelligibilité des scènes dont Rambouillet sera bientôt le théâtre. Le Roi est tenté, c'est certain ; mais, bourrelé de scrupules, profondément imbu de la sublimité de son rôle, il lutte encore. Mais quoi ! Il a vingt-sept ans ; la Reine n'est ni jolie, ni adroite ; non seulement elle ne sait pas le retenir, mais lasse de tant de grossesses périodiques, elle s'efforce de l'éloigner, sous prétexte de santé. Elle est très frileuse et met des matelas sur elle ; de chacune de ses visites le Roi rentre chez lui étouffant et tout en sueur ; et puis Marie Leczinska a peur des esprits ; même quand le Roi est près d'elle, il faut qu'une femme tienne la main de la Reine pendant toute la nuit et lui fasse des contes pour l'endormir. Alors le mari songe aux aimables commensales de ses petits soupers, aux langoureuses agaceries de tant de beaux yeux qui le convoitent. Quand, en 1737, la Reine donna le jour à une fille, on vint demander au Roi par quel chiffre il faudrait désigner la nouveau-née ; on sait, en effet, que les filles de France, en attendant leur baptême tardif, recevaient un numéro d'ordre : celle-ci était la dixième des enfants de Louis XV ; mais comme trois de ces enfants n'avaient pas vécu, il fallait donc la nommer Madame Septième. Ce sera Madame dernière, répondit brusquement le Roi. On raconte encore que, au cours d'un de ses soupers, dans la griserie des causeries et des vins, il parut émerger de sa mélancolie habituelle ; il leva son verre et porta cette santé mystérieuse : A l'inconnue ! Le cristal se brisa dans ses doigts ; l'historien qui rapporte cette anecdote ajoute : Ses beaux yeux ne cherchaient point d'autres yeux ; mais sous les corsages diamantés, bien des cœurs battaient, haletants.

 

Le 6 février de cette année 1737, Louis XV soupa, mais non en galante compagnie, chez le comte de Toulouse, à Versailles. Souper de gala. Le comte, comme c'était son droit et son devoir, essaya de servir le Roi ; niais sa santé chancelante l'obligea bientôt à se retirer dans sa chambre et son fils, le duc de Penthièvre, le remplaça dans cette fonction honorable, assisté, — car il n'avait que douze ans, — par le comte d'Hautefort, premier écuyer du comte de Toulouse. L'état de celui-ci empira ; on l'avait, vingt-six ans auparavant, opéré de la pierre et le mal reparaissait maintenant, sans que la Faculté osât tenter une nouvelle intervention chirurgicale. Le comte de Toulouse mourut le 1er décembre ; il exigeait, par son testament, d'être inhumé, sans aucune cérémonie, comme un pauvre, dans l'église de Rambouillet. Ainsi finit très haut, très puissant et très excellent prince Louis-Alexandre de Bourbon, prince légitimé de France, duc de Penthièvre, de Châteauvillain et de Rambouillet, marquis d'Albert, commandeur des ordres du Roi, lieutenant général de ses armées, chevalier de la Toison d'or, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté dans sa province de Bretagne, pair, amiral et Grand Veneur de France...

Cette mort était un deuil pour Louis XV, — un deuil et une gêne, car, depuis trois ans, il venait souvent chasser et coucher à Rambouillet durant la saison d'été. La comtesse de Toulouse, dont la douleur était réelle, quitta son château pour se fixer à Buc, d'abord, et plus tard à Louveciennes où le Roi lui concéda un pavillon dépendant du domaine. A l'égard du jeune duc de Penthièvre, il se montra d'une munificence insolite, en lui conservant toutes les fonctions et charges que son père avait occupées : comme il n'était pas en âge de les exercer, le prince de Dombes était chargé de l'intérim du Grand Veneur, le duc d'Orléans du gouvernement de Bretagne ; le Roi ordonnait, en outre, que les gendarmes et les chevau-légers rendraient au fils du comte de Toulouse les mêmes honneurs qu'à Sa Majesté elle-même et que l'orphelin aurait le droit de servir le Roi à table et de lui présenter le pied, — le pied du cerf, — au jour de la Saint-Hubert. Enfin, par grâce suprême, Louis XV lui fit don du passe-partout dans un étui fabriqué par sa main royale : l'étui ne valait rien, car les ouvrages sortant du tour du Roi ne consistaient qu'en informes morceaux de bois encore revêtus d'écorce ; mais le passe-partout constituait la plus grande preuve de confiance qu'un favori pût recevoir : c'était une clef ouvrant les portes du cabinet du Conseil, de la chambre à coucher du Roi, du cabinet des perruques, du salon ovale, bref de tout l'appartement où Sa Majesté se tenait ordinairement ... Ce n'était là, sans doute, qu'un symbole, car personne ne dut jamais employer pareil talisman.

On se reprocherait de porter un jugement téméraire contre un roi dont la mémoire est déjà lourdement chargée, mais il semble bien que ces attentions envers la veuve et le fils du comte de Toulouse n'étaient pas, peut-être, désintéressées : le Roi ne pouvait plus se passer de Rambouillet ; cette délicieuse Thébaïde lui plaisait pour s'y délasser des fatigues d'une Cour importune et pour n'être plus monarque. L'obligation de soustraire sa dissipation aux curiosités du public allait lui rendre ce séjour indispensable.

Il y reparut le 27 mai 1738. La comtesse de Toulouse s'y était rendue afin de l'y attendre : elle y rentrait pour la première fois depuis la mort de son mari. En recevant le Roi, elle éclata en sanglots et s'évanouit. Un témoin de cette scène touchante rapportait que, en pareil cas, Louis XV était fort gauche et tout interdit ; de son propre aveu il était incapable de formuler des condoléances parce qu'il était saisi lui-même lorsqu'il voyait des gens dans une grande affliction. Il se remit cependant pour courre le cerf et rentra à Versailles le 29. Il revint à Rambouillet le 16 juin, amenant plusieurs dames : Mademoiselle, mesdames de Chalais, de Rochechouart, d'Épernon, de Beuvron et... l'une des cinq sœurs de Nesles, madame de Mailly. Le voyage fut brillant et le Roi commanda que les choses se passeraient comme du temps où vivait le comte de Toulouse, c'est-à-dire que Saint-Quentin, majordome de la comtesse, ferait l'avance de tous les frais que rembourserait la cassette royale.

La dépense est considérable ; Saint-Quentin estime qu'elle s'élève, pour les trois jours, — du dimanche au mercredi, — à 12.000 livres parce qu'il y a plus de cinq cents personnes à traiter. Il ne s'agit là, évidemment que de la nourriture, car le déplacement coûte beaucoup plus : un membre de la famille royale ne peut excursionner sans obérer le trésor : quand on ramena l'une des filles de Louis XV, madame Victoire, de Fontevrault où elle avait été élevée, à Versailles où elle allait vivre, les frais du voyage de cette fillette, — soixante-douze lieues, — montèrent à près de 900.000 livres, — plus de 12000 francs par lieue !

A Rambouillet la table du Roi est de vingt et un couverts : toutes les dames y mangent et les places vacantes sont occupées par des hommes dont le duc de Penthièvre présente la liste : c'est lui aussi qui annonce au Roi que le souper est prêt, qui le sert à table, et, quand on joue, lui présente les cartes et tire les places. Le mardi on ne chassa point et il y eut ce que l'on appelle le pot royal ; mais seulement le Petit pot. C'est un déjeuner que l'on sert sur plusieurs tables de jeu, — quadrille ou piquet, — et qui se prolonge quelquefois durant trois ou quatre heures. Un livre de cuisine du temps indique la recette du pot royal ; ce mets se compose d'un jambon, d'un faisan, de deux perdrix, d'un collet de mouton, d'un lapereau, de gros ailerons de dinde, de saucisses, de tranches de bœuf, de veau et de lard, cuits ensemble durant huit heures sur des cendres chaudes... Ça, c'est le petit pot. Lorsque c'est le grand pot, note le duc de Luynes, il n'y a pas de liste : tous les hommes et toutes les femmes qui désirent manger se présentent et le Roi leur ordonne de se mettre à table. Cette explication demeure assez peu claire pour les profanes que nous sommes ; nous pouvons en conclure cependant qu'on profitait des séjours à Rambouillet pour donner des entorses à l'étiquette et que ces gens de Cour, morts d'ennui, se divertissaient bien singulièrement. Déjà, du temps de Louis XIV, qui pourtant ne plaisantait pas avec la représentation, quand on dînait en petit comité, s'était établi un usage fort déconcertant : le grand Roi, très adroit, s'amusait à jeter des boulettes de pain aux dames et permettait qu'elles lui en jetassent toutes. Dans l'ardeur du combat, on se bombardait à travers la table, de toutes les munitions qu'on trouvait à portée de sa main, les pommes, les oranges. Une fille d'honneur de la princesse de Conti, à qui le Roi avait fait un peu mal en lui lançant une boulette, riposta par une salade tout assaisonnée...

En juillet 1738, nouveau voyage de Louis XV à Rambouillet : madame de Mailly en fait partie... Le Roi la ramène à Versailles dans sa voiture ; il y a souper, le soir, dans les petits appartements : madame de Mailly y assiste. Plus de doute. Souper peu gai mais assez long ; en quittant la table, à six heures du matin, le Roi va entendre la messe à la chapelle, puis se met au lit jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Il devait passer la nuit suivante chez la Reine ; mais il se décommanda...

On imagine l'agitation que de tels événements suscitaient à Versailles ; le renvoi d'un ministre, l'exil d'un parlement, une déclaration de guerre n'auraient point occasionné pareille sensation. Tout le monde savait ; mais on n'osait encore émettre une opinion, hasarder une critique ou une approbation. Le duc de Luynes, qui, pourtant, est du parti de la Reine, n'ose confier à son journal, — que, avant cent vingt-deux ans, nul ne doit lire, — le nom de la nouvelle favorite : Il y a une dame qui... on prétend avoir remarqué... la personne dont il est question... Quand on apprit que le Roi différait de trois jours son départ annuel pour Compiègne, parce que la dame ne pouvait s'absenter avant d'avoir terminé sa semaine de service auprès de la Reine, on ne douta plus qu'on allait revoir une nouvelle Maintenon. A Paris même les bourgeois s'émouvaient. Barbier notait : Quoiqu'elle ne soit pas la maîtresse déclarée, la chose est publique... Certains affirmaient que ça durait depuis bien longtemps : cette liaison remontait, disaient-ils, à 1736, peut-être à 1733... La Reine elle-même, qui eût dû être la dernière informée, était déjà au courant de tout, puisque, quand la dame, son service terminé, lui demanda la permission de partir pour Compiègne, Marie Leczinska lui répondit : Faites ce que vous voudrez, vous êtes la maîtresse, mot à double entente qui fut commenté. Quant au duc de Luynes, il était perplexe : On a peine, écrivait-il dans son journal, on a peine à concilier ces idées avec ce que nous voyons de piété, de régularité et attentions édifiantes. Il faut un peu plus de temps pour juger si ces discours ont quelque fondement. Des gens ont remarqué que l'on ne pouvait pas prononcer le nom de la personne devant le Roi sans qu'il rougît et l'on dit aujourd'hui qu'il la nomme lui-même sans embarras.

On s'étend ici quelque peu sur la chronique des premiers libertinages de Louis XV parce qu'elle touche de très près à l'histoire de Rambouillet. Le château des honnêtes et prudes d'Angennes, du sévère Alceste Montausier, est devenu le lieu d'asile des frasques amoureuses du Roi. La comtesse de Toulouse, si vertueuse, si fidèle au souvenir du mari qu'elle a aimé, consent à couvrir ce scandale et ceci ne se comprend guère. C'est dans son salon que Louis XV a connu les cinq sœurs de Nesles ; c'est son château qui, elle présente, abrite ces dérèglements. Bien plus, elle y prête les mains et, comme l'appartement royal n'est pas aménagé pour un tel usage, elle consent que le Roi le modifie et y pratique des changements afin de communiquer facilement avec sa maîtresse. Il convoque son premier architecte, Gabriel ; celui-ci reçoit l'ordre d'annexer à l'appartement du Roi un entresol destiné jusqu'alors au premier valet de chambre et de pratiquer pour celui-ci un autre appartement, également entresolé, dans une pièce touchant au logement de Mademoiselle. On saura bientôt que, dès septembre 1739, madame de Mailly occupe à Rambouillet un logement joignant celui que le Roi s était réservé au-dessus de ses cabinets ; c'est évidemment l'entresol dont on a dépossédé le valet de chambre et, malgré la discrétion exigée pour ces sortes de travaux, le bruit se répandra, un an plus tard seulement, que cet entresol est accommodé avec beaucoup de goût et de magnificence et qu'on a disposé, au-dessous, une garde-robe de commodité extrêmement jolie. Pour sa part, Louis XV a fait rajeunir la décoration de son appartement ; les boiseries en sont revêtues d'un nouveau vernis d'une couleur plus claire et plus agréable que l'ancien et qui donne plus de gaîté ; on a créé aussi un cabinet nouveau dans une tour où était anciennement la chaise percée de Sa Majesté.

Tout cela est pour nous grimoire : cette tour ne peut être que la tour du sud, la seule des trois encore existantes qui n'a pas été modifiée dans son gros œuvre depuis le moyen âge. C'est donc que Louis XV habitait encore la partie ancienne du château, celle qu'avait occupée Louis XIV ; dans ce cas quel emplacement doit-on attribuer à l'entresol de madame de Mailly où devrait subsister tout au moins quelque vestige de cette décoration dont les contemporains vantaient la magnificence ? On n'aperçoit, dans cette partie du château, qu'une seule pièce entresolée, et cet entresol est un étroit grenier, presque sans jour, inhabitable, où sont accumulées de vieilles batteries de cuisine. Ce petit problème de topographie paraît donc insoluble et si certains jugeaient puéril qu'on s'en affligeât, c'est qu'ils n'ont jamais été touchés par l'énigme des vieilles demeures et qu'ils ignorent le plaisir de les interroger dans l'espoir, trop souvent déçu, qu'elles nous révéleront leurs secrets.

Il serait sans intérêt d'énumérer tous les séjours à Rambouillet du roi Louis XV, désireux de s'isoler avec madame de Mailly. Les Mémoires du duc de Luynes mentionnent les dates de ces voyages ; dans l'été de 1739, ils se renouvellent trois ou quatre fois par mois ; en 1740 et 1741 ils sont également très fréquents : leur durée est ordinairement de deux jours ; et qu'on n'imagine pas que ces excursions ressemblent à des escapades clandestines ; quand le roi de France se déplace, fût-ce pour aller à Choisy, à Marly ou à Trianon, c'est un branle-bas qui mobilise une foule. On a vu déjà que, à Rambouillet, chacune de ses visites entraîne la nécessité d'héberger et de nourrir cinq cents personnes ; dans ce nombre comptent les piqueurs, les valets de chiens, les écuyers, palefreniers, officiers de vénerie ou gens d'écurie qui sont a demeure pendant la saison des chasses et dont la subsistance est à la charge du duc de Penthièvre tant que le Roi n'est pas là. Lorsqu'il arrive, c'est avec un renfort de gardes du corps, de mousquetaires gris ou noirs, de chevau-légers, de gendarmes, sans parler des relais et du service de la Bouche dont les sommiers, au nombre de douze au moins, sont chargés de porter à cheval, derrière eux, une cantine pour les haltes du Roi. Dans ces conditions, tout incognito est chimère. Néanmoins Louis XV se figure que, à Rambouillet, sa faute est à moitié cachée ; il n'a pas su encore se faire un front qui ne rougit jamais ; les remords le tourmentent. Versailles lui pèse : c'est là qu'est le devoir, c'est là que sont la Reine qu'il néglige, ses enfants qu'il craint de scandaliser et dont la candeur lui fait honte ; même cette chapelle, voisine de son appartement et où l'étiquette l'oblige à se montrer chaque jour, réveille ses scrupules religieux en lui rappelant les prières de son temps d'innocence. C'est tout cela qu'il fuit dans cette prétentaine incessante, espérant découvrir l'asile lointain où il pourra vivre comme s'il n'était pas roi.

Ce n'est pas qu'il puisse oublier son rang ; tout le lui rappelle : à ces soupers de Rambouillet le cérémonial le poursuit encore : on les sert, bien probablement, dans cette salle de forme pentagonale qu'on désigne aujourd'hui aux visiteurs du château comme ayant été la salle à manger de Louis XV. C'est la première pièce de l'appartement d'assemblée. Dans le but d'abolir les rivalités de préséance et, peut-être, de pouvoir, sans algarade, choisir ses voisines de table, le Roi a permis des dérogations à l'usage : ainsi il est de règle, à la Cour, que jamais, à moins qu il ne joue ou que le Roi l'ordonne, aucun homme ne peut s'asseoir en sa présence : à Marly, les dames, en soupant avec lui, ont des tabourets ; à Versailles, chez la Reine, rien que des pliants. Ici tous les convives, hommes et femmes, ont des chaises à dos ; les princesses mêmes ne bénéficient d'aucune distinction. Le duc de Luynes qui vit, un jour, l'aménagement du souper remarqua que Mademoiselle était à la droite du Roi et la comtesse de Mailly à sa gauche.

Autre bouleversement : quand le Roi rentre de la chasse, on supprime à Rambouillet la cérémonie du débotté qui tient une place si importante dans la vie de Versailles. Quant à celles du lever et du coucher, nul n'en parle et l'on peut supposer qu'on ne pouvait s'y soustraire, mais, vu les aménagements du château de la comtesse de Toulouse et le petit nombre de courtisans qu'y amène le Roi, ce traditionnel cérémonial s'y réduit à une simple formalité.

Tristes parties de plaisir, en somme : le Roi n'est pas causeur ; souvent il sombre en ses noires humeurs. Presque tout le jour il est à la chasse, ce qui le dispense de parler ; les dames l'y suivent en calèche, qu'elles y trouvent ou non de l'agrément. Le soir, après le souper, on joue à cavagnole, à dame rose, au reversis, à l'hombre, au papillon. Le matin on va entendre la messe à la paroisse du bourg ; un jour, le Roi s'y trouve mal ; pris de nausée, il doit quitter l'église pendant l'élévation, ce qui ne l'empêche pas d'aller l'après-midi à la chasse. En juin 1740, la marquise de Sourches, femme de sévère vertu et de fervente piété qui habite à demeure le château, tombe subitement malade et si gravement, qu'elle réclame, a l'heure où l'on avertissait pour le souper, les secours de la religion. Le Roi va à la paroisse, chercher le Saint-Sacrement, le suit jusqu'à la chambre de la malade, et, après avoir attendu dans l'antichambre, le reconduit Pieusement jusqu'à la paroisse où il reçoit la bénédiction. Il revint ensuite se mettre à table. Le lendemain il rentrait à Versailles pour en repartir deux jours plus tard ; mais, comme l'état de madame de Sourches empirait, au lieu d'aller à Rambouillet, il s'installa à Saint-Léger qui en est éloigné de deux lieues. Le duc de Penthièvre Possédait là un château, vilaine petite maison de chasse bâtie au temps de Charles IX, dans un fond sauvage, en plein bois. Cette solitude devait plaire à Louis XV. Il n'y avait amené que deux dames, madame de Mailly et sa sœur madame de Vintimille.

Madame de Mailly n'était pas belle ; madame de Vintimille était laide : une tête de grenadier, mais un cœur ardent. Elle avait été mariée, en septembre 1739, par les soins de Mademoiselle dont l'intervention n'avait pas été heureuse, car M. de Vintimille quitta sa femme au bout de quelques semaines, disant qu'elle puait comme un diable ; il la surnommait son petit bouc. Confidente des amours de son aînée, cette impétueuse personne s'était prise pour le Roi d'une irrésistible passion. Il s'en avisa, fut touché ; elle devint sa seconde maîtresse. Madame de Mailly accepta cette concurrence, car il est impossible qu'elle n'en fût pas instruite ; désormais madame de Vintimille sera des voyages de Rambouillet avec sa sœur, et l'on n'aperçoit pas que cette délicate situation ait suscité des orages. On les nomme souvent suivant la chasse du Roi dans la même calèche, soupant toutes deux en sa compagnie. Parfois même, madame de Vintimille part seule avec lui, quand madame de Mailly est retenue par son service auprès de la Reine. Le drame, du reste, était proche : le 7 septembre 1741, à Versailles, la marquise de Vintimille, sur le point d'être mère, fut atteinte de fièvre ; on la saigna à minuit. Le Roi, qui soupait au grand couvert, quitta la table pour se rendre auprès d'elle où il resta jusqu'à deux heures du matin. Le 8, à son réveil, vers dix heures, au premier qui entra dans sa chambre, il s'informa des nouvelles. Apprenant qu'elles étaient mauvaises, il comprit, se tourna de l'autre côté et s'enferma dans ses rideaux. Madame de Vintimille était morte à sept heures du matin.

Le service était consterné, le Roi ne bougeait pas. Que faire ? Comme on se risquait à lui demander l'ordre pour la messe, il commanda qu'on la dît dans sa chambre, mais il ne sortit pas de son lit. La Reine vint par deux fois pour le voir ; elle ne fut pas reçue. A cinq heures du soir, les deux portes de l'antichambre de l'Œil-de-bœuf étaient encore fermées comme d'ordinaire avant le réveil du Roi. Seul son premier valet de chambre avait pénétré chez lui. Le programme de la journée comportait une chasse à Saint-Léger : il y eut contre-ordre et les gardes du corps qui devaient accompagner Sa Majesté rentrèrent à leur quartier. Mais peu après on les rappela. Vers cinq heures le Roi, enfin levé et habillé, était sorti de sa chambre pour descendre, par son petit escalier, chez la comtesse de Toulouse. Il y trouva madame de Mailly dans un désespoir déchirant ; on les laissa seuls ensemble. Puis le Roi décida qu'il irait coucher à Saint-Léger et qu'il y séjournerait : la comtesse de Toulouse et le duc de Penthièvre partirent aussitôt pour l'y recevoir, et Louis XV s'y rendit dans la soirée, emmenant seulement trois gentilshommes.

Pendant ce temps, le corps de la défunte était porté, enveloppé d'un simple linceul, à l'hôtel de Villeroy et abandonné par les laquais chargés de le veiller. La foule s'ameuta : on riait, on chantait que celle-là était une vilaine femme qui avait pris le Roi à sa sœur. On tira même des pétards sur le pauvre corps, on lui fit d'indignes traitements... Il fut inhumé, le 10, dans la chapelle Saint-Louis de l'église des Récollets. Un trait touchant de ce triste épisode : le jour où la marquise mourut, la sainte reine Marie Leczinska contremanda les musiciens qui devaient donner chez elle un concert.

Le séjour à Saint-Léger fut lugubre. Arrivé dans cet ermitage sylvestre le samedi soir, le Roi se coucha sans souper. Le dimanche, accablé, il ne mangea pas davantage ; le jour suivant, on le décida à courre un cerf ; mais il suivit la chasse d'un air absent et sans dire un mot ; il ne répondit même pas quand on lui demanda l'ordre pour l'attaque. Madame de Mailly, toujours dans un grand abattement, accompagnait en calèche les veneurs. Ainsi se passa la semaine ; Louis XV ne reparut à Versailles que le samedi, désemparé, morne, silencieux ; il demeura quelque temps dans le cabinet des perruques, sans parler à personne, fit dire à la Reine qu'il ne souperait point, rentra seul chez lui et se coucha tôt. Le dimanche, 17, il se rendit à la chapelle, entendit la messe, dîna au petit couvert, l'air sérieux et causant fort peu. Madame de Mailly, toujours éplorée, était allée aux Récollets pour une messe célébrée sur le tombeau de sa sœur ; elle déclara qu'elle y retournerait tous les jours. Le lendemain, le Roi repartait pour Saint-Léger ; il menait avec lui la sœur de la morte et cinq ou six intimes. Sa douleur ne s'apaisait pas ; un soir, à son petit coucher, il eut avec M. de Gesvres une conversation entrecoupée de soupirs. Il avait apporté les papiers de la marquise de Vintimille et n'y trouvait, dit-il, rien que de très bien et de très convenable ; on prétendait à tort qu'elle était méchante. Il ne joua qu'au trictrac et parla beaucoup de religion : son thème était qu'il faut souffrir ; que lui devait souffrir plus que d'autres car il n'y a rien de pire que le scandale. Au reste, il se plaisait beaucoup à Saint-Léger. Comme le château était fort petit, ses gentilshommes allaient coucher à Rambouillet.

Le Roi revint pour deux jours à Versailles ; il parut très changé ; on fut frappé de sa mauvaise mine, de son air maladif et aussi de sa mélancolie et de sa douceur, voisine de l'humilité. A quelqu'un qui sollicitait une audience, il fit répondre : Mandez-lui que je suis bien fâché de n'être pas en état de le voir, et que je lui en demande bien pardon. On discernait qu'il y avait dans son esprit un grand combat ; au vrai, il était torturé du remords d'avoir peut-être aidé à la damnation de la femme tant aimée. — Ne peut-on pas, gémissait-il, avoir de la religion et continuer à me voir, aller à la chasse et souper avec moi ? Obsédé par ces idées sombres il se retira encore à Saint-Léger. Il préférait à Versailles cette modeste maison qu'enserrait de toutes parts la grande forêt ; il y séjourna, — sauf quelques brèves apparitions à la Cour, — jusqu'au 11 octobre, et, durant l'hiver et les dix premiers mois de l'année suivante, il y revint fréquemment. Il paraissait renoncer à Rambouillet que hantaient de trop douloureux souvenirs.

Et puis... en novembre 1742, un peu plus d'un an après le décès qui l'avait tant frappé, madame de Mailly commit l'imprudence de lui présenter sa plus jeune sœur, la marquise de la Tournelle, d'une beauté rayonnante, celle-ci, et veuve depuis deux ans. L'hypocondrie du Roi fut subitement guérie : chaque soir il se rendait, seul, couvert d'un surtout et coiffé d'une perruque sur ses papillotes, chez cette aguichante mais revêche Personne et y restait deux ou trois heures. Et bientôt Rambouillet le revoit avec sa nouvelle conquête : celle-ci a posé ses conditions et exigé le renvoi de sa sœur de Mailly ; elle prend donc possession du luxueux entresol ; elle y amène ses deux autres sœurs, madame de Lauraguais et madame de Flavacourt, et les petits soupers recommencent, avec cette aggravation qu'on y néglige de plus en plus le cérémonial. La comtesse de Toulouse n'y parait guère ; elle quitte rarement son appartement de Versailles et son bel hôtel de Paris — la Banque de France actuelle. Peut-être n'approuve-t-elle pas, bien qu'elle s'en taise, le sans-façon du Roi et l'usage un peu trop libre auquel il consacre le château de Rambouillet. Le duc de Penthièvre l'habite de temps à autre ; mais il est célibataire et on ne se gêne pas ; aussi voit-on les trois sœurs suivre les chasses en voiture. Elles n'imposent pas ; les gens, sans gêne, eux aussi, les désignent par des sobriquets : madame de la Tournelle est la princesse ; madame de Lauraguais est la réjouie ; madame de Flavacourt est la poule. Au passage de ces grandes dames qui n'inspiraient plus le respect, germaient, dans l'esprit du peuple, des idées encore inconsciemment révolutionnaires qui devaient éclore cinquante ans plus tard. Un soir de jour maigre le Roi attend, avec ses amies, que minuit sonne pour se mettre à table et manger gras ; — c'est le médianoche. Un autre jour il est venu, toujours avec les trois sœurs et sans aucune suite : c'est M. de Gambard, gouverneur de Rambouillet, qui fournit le souper et sert à table... Le Roi de France se dégrade.

On s'exposerait à des redites en poursuivant le récit de cette royale déchéance. D'ailleurs, après Fontenoy qui fut son jour de gloire, Louis XV fréquentera plus rarement à Rambouillet : il a acheté Choisy ; il aura bientôt Saint-Hubert qu'il fera construire au bord des étangs, dans cette région de Saint-Léger qu'il affectionne ; là, il sera chez lui, dans un château, sorte de temple dédié à la vénerie : un grand salon que Coustou, Pigalle, Falconet et Verberckt ont décoré d'une image de Diane et d'attributs cynégétiques, têtes de loups, de sangliers, de chiens ; — à la chapelle, sur l'autel, un Saint-Hubert de Carie Vanloo... De cette belle demeure, créée par Gabriel, il ne reste rien qu'un mur de terrasse verdi qui domine l'étang de Poura ; mais quand on fouille le terrain où s'élevaient les vastes dépendances du château, on exhume des amoncellements de vaisselle brisée, d'assiettes communes au marli bleu et portant les lettres S. H. surmontées de la couronne royale.