LA CHOUANNERIE NORMANDE AU TEMPS DE L'EMPIRE

DEUXIÈME PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER. — LICQUET.

 

 

L'homme en houppelande noire qui avait guidé les gendarmes dans leur visite à Donnay n'était autre que le Grand-Charles, l'un des compagnons d'Allain, Arrêté le 14 juillet au village de Le Chalange, il consentit, sans difficultés, à désigner l'endroit où avait était enfoui le trésor et c'est ainsi qu'il dirigea la perquisition opérée le 22 chez les Buquet. Il reconnut la disposition de la maison et du jardin, la salle où Allain et ses compagnons avaient été reçus dans la nuit du vol, le verre même dans lequel la mère Buquet lui avait versé du cidre. Au bout du jardin on retrouva les traces de l'excavation où le trésor avait séjourné ; le grenier contenait du linge et des effets appartenant à Mme Acquet ; son portrait peint en miniature était accroché au mur dans la chambre de Joseph[1]. Celui-ci, seul, avait pris la fuite : son père, sa mère et son frère Alexandre furent conduits, le soir même, aux prisons de Caen.

Grand-Charles, en homme qui voudrait bien ne pas être compromis tout seul, montrait le plus grand zèle à rechercher ses complices. Ainsi que jadis l'avait fait Querelle, il parcourait le pays, conduisant le capitaine Manginot escorté de trente gendarmes, et cette petite troupe, marchant de nuit, poussa ses recherches jusqu'au village de la Mancellière qui passait pour être le plus fameux repaire de réfractaires à vingt lieues à la ronde ; comme au plus beau temps de la Chouannerie il y eut entre gendarmes et déserteurs des combats sanglants. A la suite d'un de ces engagements, on arrêta, dans la maison d'un sieur Lebougre, Pierre-François Harel qui était entré là pour y demander de l'eau-de-vie et du sel afin de panser une blessure qu'il venait de recevoir ; il avait passé, depuis le vol, la majeure partie de son temps caché dans un tonneau enfoui en terre au fond d'un jardin[2]. Dans cette expédition Manginot fit une prise plus importante, celle de Flierlé, découvert à Amayé-sur-Orne, où il villégiaturait paisiblement chez un de ses anciens chefs, Rouault des Vaux. Dès son premier interrogatoire, Flierlé raconta toute son histoire : il savait que de grands personnages étaient du complot et pensait bien qu'on y regarderait à deux fois avant de pousser l'enquête jusqu'au bout.

Si Manginot se dépensait ainsi avec une ardeur digne d'éloges, il n'en recevait aucun de Caffarelli, désolé de la tournure que prenait l'affaire et qui désirait, par intérêt d'abord, et aussi par amour de sa tranquillité, voir l'attentat du Quesnay réduit aux proportions d'un simple incident. Il interrogeait les prévenus avec la réserve et les précautions d'un homme qui se mêle de ce qui ne le regarde pas ; aussi, s'il apprit de Flierlé des choses qu'il aurait bien voulu ne pas savoir, touchant l'organisation, toujours persistante, de la Chouannerie dans le département du Calvados, n'en put-il rien tirer sur le fait même qui motivait son arrestation. L'Allemand ne cachait pas sa crainte de périr s'il parlait, Allain ayant promis, le 8 juin, à ses compagnons, avant de les quitter au pont de la Landelle, du poison ou un coup de fusil au premier qui révélerait quelque chose, et un secours de deux cents hommes déterminés pour soustraire ceux qui seraient discrets à la vengeance de Bonaparte[3].

 

A Paris, il en était autrement : la police n'y travaillait pas de mainmorte et Fouché était tenu journellement au courant des moindres incidents présentant un rapport quelconque avec les faits qui se passaient en Basse-Normandie. Depuis plusieurs semaines déjà, un jeune homme débarqué à Paris dans la seconde quinzaine de mai, avait attiré l'attention des agents de la police secrète ; on le voyait souvent au Palais-Royal ; il se disait sans mystère général des chouans et se donnait beaucoup d'importance. Un second rapport fit connaître qu'il se nommait Le Chevalier et qu'il arrivait de Caen, ce qui permit de demander à Caffarelli des renseignements. Le préfet du Calvados répondit que le signalement communiqué correspondait de tout point à. celui d'un homme qui, plusieurs fois, lui avait été dénoncé comme un royaliste incorrigible, facile, du reste, à reconnaître, car il ne pouvait se servir du bras gauche[4].

Les agents reçurent l'ordre de ne pas perdre de vue le personnage ; il habitait rue des Vieux-Augustins, l'hôtel de Beauvais, maison connue, depuis la Révolution, comme un abri toujours ouvert aux royalistes de passage à Paris. Le Chevalier sortait beaucoup ; presque chaque soir il dînait en ville et fréquentait chez quelques personnes bien posées. On le fila pendant une quinzaine de jours ; enfin l'ordre fut donné de l'arrêter, et, le 15 juillet, il était conduit, les fers aux mains, à la préfecture de police, sous l'inculpation d'avoir participé à l'attentat du Quesnay[5].

Le Chevalier n'était pas homme à se laisser prendre sans vert. Ses belles façons, son adresse et son éloquence l'avaient déjà tiré de si mauvais pas qu'il ne doutait pas qu'elles ne dussent, cette fois encore, lui sauver la vie. La lettre que, du dépôt de la préfecture, il écrivit à Réal, le jour même de son arrestation, est si bien dans sa manière, à la fois familière et hautaine, qu'il serait regrettable de ne point la citer :

Arrêté sur le soupçon d'un brigandage dont il m'est aussi Important de me justifier que pénible d'avoir à le faire, mais plein de confiance en mon honneur qui ne s'est jamais démenti et dans l'équité bien connue de votre caractère, je vous prie de m'accorder une audience de quelques minutes pendant lesquelles, disposé à répondre à chacune de vos questions, à les prévenir même, je me flatte de vous convaincre que la situation de mes affaires et surtout ma conduite de toute la vie doivent me mettre au-dessus de la suspicion d'un brigandage particulier.

J'espère aussi, Monsieur, que cet entretien dont votre justice me garantit la faveur vous convaincra que je ne suis point frappé de folie au point de me livrer à un brigandage politique et de songer à lutter contre un gouvernement auquel ont dû céder les plus fiers souverains...

A. LE CHEVALIER[6].

 

Et pour bien établir qu'il n'avait pu prendre part au vol du 7 juin, il joignait à sa lettre vingt attestations de personnes honorables et connues qui l'avaient vu à Paris ou qui y avaient dîné avec lui à chacun des jours du mois depuis le 1er jusqu'au 20 ; au nombre de ces témoins étaient son compatriote le poète Chênedollé et le Dr Dupuytren qu'il avait consulté sur l'urgence de se faire amputer les doigts de la main gauche malade depuis longtemps. Il avait même eu le soin de se montrer au Te Deum chanté à Notre-Dame pour la prise de Dantzig.

Ses précautions, on le voit, étaient bien prises et cette fois encore son aplomb allait triompher de la mauvaise fortune quand Réal, très embarrassé de ce prisonnier beau parleur, imagina de l'expédier à Caen, dans l'espoir qu'une confrontation avec Flierlé, Grand-Charles et les Buquet déjà arrêtés, amènerait quelque résultat. Mais, bien que Caffarelli fût intimement convaincu que Le Chevalier était le chef du complot ; bien qu'on eût perquisitionné avec soin — sans trouver pourtant autre chose que des papiers particuliers — dans sa maison de la rue Saint-Sauveur ; bien que Flierlé, mis en sa présence, l'eût reconnu pour être l'homme à qui il servait de courrier et de secrétaire, — ce à quoi l'autre répondit avec mépris que l'Allemand n'était pas d'espèce à être son domestique et qu'il n'y avait entre eux que les rapports ordinaires entre le bienfaiteur et l'obligé, il n'était pas douteux qu'il ne se rencontrerait jamais un tribunal pour condamner un homme qui se trouvait, le jour du crime, à soixante lieues de l'endroit où il avait été commis[7]. Quant à le poursuivre comme royaliste approuvant le vol des fonds publics, autant valait mettre en jugement la Normandie tout entière. D'ailleurs, pour Caffarelli, qui ne se leurrait pas sur les sentiments de ses administrés et qui redoutait toujours l'explosion imminente d'une nouvelle Chouannerie, la présence de Le Chevalier dans les prisons de Caen était un perpétuel cauchemar[8] : Allain pouvait surgir tout à coup avec une armée et renouveler, au profit de son chef, une tentative d'enlèvement[9] semblable à celles qui, sous le Directoire, avaient sauvé la vie au vicomte de Chambray ou au chevalier Destouches et dont toute la province s'était amusée et émue. Et voilà pourquoi, très peu soucieux de s'encombrer d'un détenu si compromettant, le prudent préfet avait, au bout de quatre jours, obtenu de Réal l'autorisation de renvoyer à Paris Le Chevalier qui fut définitivement écroué au Temple[10]. Ah ! la belle lettre qu'il écrivit, à peine rentré, au ministre de la police et comme il s'y posait en rival malchanceux de Napoléon !

Cette profession de foi est trop longue pour figurer ici dans son intégrité, mais elle projette une si vive lumière sur le caractère de celui qui l'a écrite et plus encore sur les illusions que se forgeaient obstinément les royalistes à la plus brillante période du régime impérial, qu'il est indispensable d'en produire quelques extraits :

Vous avez désiré savoir la vérité concernant les déclarations de Flierlé sur mon compte et sur les projets qu'il dévoile dans ses déclarations ; je vais vous la dire : la dénégation convient à un criminel qui redoute l'œil de la justice ; mais ce système est étranger à mon caractère qui ne redoute rien que le mépris et pour lequel le premier succès de ses entreprises est l'estime de ses ennemis mêmes.

Votre Excellence voudra bien ne voir en moi, ni un homme tremblant devant la mort, ni une cime séduite par l'espoir des récompenses ; je ne demande rien pour dire ce que je pense, car en le disant je me satisfais.

J'ai projeté une insurrection contre le gouvernement de Napoléon ; j'ai désiré sa ruine, et, si je n'ai pu la tenter, c'est parce que j'ai toujours été mal secondé et trompé souvent.

..... Quels étaient donc mes moyens pour concevoir au moins l'espérance du succès ? Ne voulant pas paraître tout à fait insensé à vos yeux, je vais les faire connaître ; ne voulant pas trahir la confiance de ceux qui m'auraient servi, je vous en tairai les détails.

..... Je suis né généreux et amoureux de gloire. Après l'amnistie de l'an VIII, j'étais le plus riche de mes camarades ; mon argent, habilement donné, me procura des partisans. Plusieurs années, j'épiai le moment favorable à urne insurrection : la dernière campagne d'Autriche m'offrait cette occasion ; chacun, dans l'Ouest, croyait à la défection des armées françaises ; je n'y croyais pas, mais j'allais profiter de cette opinion : la victoire fut trop rapide, j'eus à peine le temps de projeter.

Après avoir établi quelques correspondances dans divers départements, je partis pour Paris ; là, tout concourait a fortifier mes espérances. Des républicains partageaient mes désirs ; je traitai avec eux de la réunion des partis pour une action plus sûre et pour une réaction moins forte. Le mouvement devait s'opérer clans la capitale, un gouvernement provisoire devait être établi... toute la France eût passé sous un nouveau régime avant que l'empereur eût été de retour.

..... Mais je ne fus pas longtemps à m'apercevoir que ces républicains n'avaient pas tous les moyens qu'ils vantaient... je me retournai vers les royalistes de la capitale ; ils étaient désunis, sans plans... Je n'avais à moi, dans Paris, qu'un très petit nombre d'hommes : j'abandonnai mes desseins sur Paris, je retournai vers la province. Là, je pouvais réunir deux à trois mille homme. J'aurais, aussitôt après leur réunion, député vers les princes Bourbon pour les engager à se rendre à la tête de mes troupes...

Mais, à l'ouverture de la seconde campagne, mes desseins furent définitivement ajournés. Cependant les mesures qu'il m'avait fallu prendre ne purent partout rester secrètes : quelques conscrits réfractaires, quelques déserteurs parurent armés sur différents points ; il fallut les soutenir et, sans ordre ad hoc, mais en vertu d'instructions générales, un de mes officiers s'empara des fonds publics pour y parvenir...

Les coupables sont... moi-même, pour lequel je ne demande rien, non par orgueil, puisque la fierté la plus altière ne saurait être humiliée de recevoir des grâces de celui qui en fait aux rois, mais par honneur. Votre Excellence voudra sans doute connaître le motif qui a pu me déterminer à concevoir, à nourrir de pareils projets ; ce motif, le voici : j'ai vu le malheur des amnistiés et ma propre infortune, peuple proscrit dans l'État, classé en servage, exclu non seulement de tous les emplois, mais encore tyrannisé par ceux mêmes auxquels n'a jadis manqué que le courage pour faire cause commune avec eux...

Quel que soit le sort qui m'est réservé, je vous prie de considérer que je n'ai point cessé d'être Français, que j'ai pu succomber dans une noble folie, mais non chercher un lâche succès, et par ces motifs j'espère que Votre Excellence voudra bien m'accorder la seule faveur que je réclame pour moi : que mon jugement, si j'en dois subir un, soit militaire, ainsi que son exécution...

A. LE CHEVALIER[11].

 

On s'imagine quelle devait être, à la lecture d'une semblable missive, la stupeur de Fouché, de Réal, de Desmarets, de Veyrat, de tous ceux à qui incombait la mission de montrer au Maître ses peuples enthousiastes et satisfaits, ou tout au moins soumis et silencieux. Ils sentaient bien que, dans cette lettre, tout n'était pas hâblerie ; on y retrouvait, amplifié, le plan de Georges : même menace dune descente des Bourbons sur les côtes, même assurance de renverser, en frappant Bonaparte, l'immense édifice qu'il avait élevé. De fait, la croyance que l'Empire, alors que toute l'Europe paraissait définitivement subjuguée, restait à la merci d'une bataille perdue, était si bien ancrée dans l'esprit des populations qu'un homme comme Fouché, par exemple, très instruit des dessous de l'opinion, ne dut jamais croire à la solidité du régime qu'il servait. Toute l'histoire de la Restauration n'était-elle pas en germe dans la profession de foi de Le Chevalier ? Ne devait-elle pas se retrouver, cinq ans plus tard, dans l'étonnante conception de Malet. Les choses, en 1814, se passèrent-elles différemment ? L'empereur vaincu, la défection des généraux, le débarquement des princes, l'intervention d'un gouvernement provisoire, le rétablissement de la monarchie, telle fut, dans la réalité, la suite des événements : c'était celle qu'avait prévue Georges, celle que d'Aché escomptait également, celle que Le Chevalier augurait avec une clairvoyance si nette, et qui, pour miraculeuse qu'elle parût à bien des gens, fut simplement le résultat logique d'un effort continu, la réussite d'une conspiration dont les acteurs avaient changé bien des fois, mais qui n'avait point subi de trêve, depuis le coup d'Etat de Brumaire jusqu'à l'abdication de Fontainebleau.

Les chefs de la police impériale se voyaient donc en présence d'une nouvelle affaire de Georges[12] ; des révélations partielles de Flierlé, du peu qu'avaient raconté les Buquet, on inférait que d'Aché pouvait en être le chef et l'on recommandait à toutes les autorités de bien chercher sans rien ébruiter. En dépit de ces exhortations, Caffarelli semblait se désintéresser du complot, qu'il avait déclaré en dernière analyse vaste mais fou et qui ne lui semblait pas devoir mériter davantage son attention.

Le préfet de la Seine-Inférieure, Savoye-Rollin avait montré, chaque fois que Réal s'était adressé à lui au sujet d'incidents se rattachant à l'affaire du Quesnay, une ardeur et un zèle qui contrastaient singulièrement avec l'indolence de son collègue du Calvados. Savoye-Rollin appartenait à une ancienne famille parlementaire[13] ; avocat général au parlement de Grenoble avant 1790, il s'était rallié aux idées modérées de la Révolution et avait été nommé, au 18 Brumaire, membre du Tribunat. A cinquante-deux ans, en 1806, il remplaçait Beugnot à la préfecture de Rouen. C'était un fonctionnaire distingué travailleur, très digne et possesseur d'une belle fortune.

Réal s'en remit à Savoye-Rollin du soin de découvrir la retraite de d'Aché. qui avait habité, on se le rappelle, avant le débarquement de Georges, la ferme de Saint-Clair, près de Gournay, et qui possédait quelques terres dans l'arrondissement de Neufchâtel. La police de Rouen n'était ni mieux organisée ni plus nombreuse que celle de Caen, mais elle avait pour chef un personnage singulier dont l'activité suppléait aux qualités qui manquaient à ses agents. C'était un petit homme instruit, remuant, malin, plein d'imagination et d'esprit, ayant son franc parler avec tout le monde et ne craignant, comme il le disait lui-même, ni femme, ni Dieu, ni diable. Il s'appelait Licquet[14] et avait en 1807, cinquante-trois ans ; la Révolution l'avait, trouvé procureur du roi de la maîtrise des eaux et forêts de Caudebec, fonctions qu'il avait résignées en 1790 pour venir occuper à Rouen un emploi dans l'administration municipale. En l'an IV, il était chef du bureau de l'Instruction publique[15] ; mais, en réalité, il faisait, lui seul, toute la besogne de la mairie et un peu aussi celle du département, si bien qu'il se trouva tout naturellement amené, en 1802, au poste de secrétaire en chef de la municipalité ; il délivrait et visait en cette qualité les passeports. Depuis cinq ans, personne n'avait pu voyager dans la Seine-Inférieure sans passer par son bureau ; comme il avait de la mémoire et que ses fonctions l'amusaient, il gardait un souvenir très net de tous les gens qu'il y avait toisés et signalés ; il se rappelait fort bien avoir signé, en décembre 1803, le passeport qui avait servi à d'Aché pour se rendre de Gournay à Saint-Germain-en-Laye, et il conservait la vision très précise de cet homme robuste, grand, au front élevé, aux cheveux noirs[16] ; Licquet connaissait d'ailleurs d'Aché assez particulièrement pour être instruit de ce détail intime qu'il avait les ongles de pieds tellement recourbés dans la chair qu'il marchait dessus[17].

Depuis cette rencontre avec d'Aché, les attributions de Licquet avaient encore grandi : tout en conservant sa place de secrétaire général, il avait mis la main sur la direction de la police et il s'acquittait de ces fonctions[18] avec tant de verve, d'autorité et de malice que nul ne songeait à critiquer ses empiètements. On le' craignait, d'ailleurs, car il avait la langue acérée ; mais il plaisait au préfet qui aimait son esprit et appréciait son habileté.

Découvrir l'introuvable conspirateur et montrer par là son savoir-faire à la police de Paris, voilà qui, dès l'abord, séduisit grandement Licquet. — Aussi sa satisfaction fut-elle sans bornes quand, le 17 août 1807, trois jours après qu'il eut donné ses instructions à ses agents et dressé leur plan de campagne, on vint lui apprendre que M. d'Aché était écroué à la Conciergerie du Palais de justice. Il y courut et se fit amener le prisonnier : — c'était Tourlour, le frère de d'Aché, l'inoffensif Placide, arrêté à Saint-Denis-du-Bosguérard, où il était allé, de Rouen qu'il habitait ordinairement, passer une quinzaine chez sa vieille mère[19]. La déception de Licquet était cruelle, car il n'y avait rien à tirer de Tourlour ; il l'interrogea cependant, pour dissimuler sa déconvenue, sur son frère que Placide déclara n'avoir pas vu depuis quatre ans, et sur l'emploi de son temps qu'il partageait, lorsqu'il n'occupait pas son logement de la rue Saint-Patrice, entre Saint-Denis-du-Bosguérard et le château de sa parente, Mme de Combray, aux environs de Gaillon. D'ailleurs il protesta qu'il n'avait en vue que sa tranquillité et les soins à donner à sa mère impotente et fort âgée.

C'était la seconde fois que l'attention de Licquet était attirée sur le nom de Mme de Combray. Il l'avait déjà lu, cité incidemment, dans le procès-verbal de l'interrogatoire de Flierlé, et, tout de suite, avec l'instinct du policier pour qui un mot suffit à la reconstitution de toute une intrigue, il eut l'intuition subite que là était le nœud de l'affaire. Cette imprudente confidence échappée à Tourlour devait attirer sur la tête de Mme de Combray d'épouvantables catastrophes et Licquet tenait en main le bout du fil qui allait lui servir de guide dans le dédale où Caffarelli avait refusé de s'engager.

 

Près d'un mois auparavant, en arrivant, la nuit, à Tournebut avec le notaire Lefebvre, Mme de Combray avait expressément recommandé à Soyer de ne point ébruiter son retour. Elle s'était enfermée dans son appartement avec sa femme de chambre, Catherine Querey ; le notaire avait partagé la chambre de Bonnœil. La nuit fut tranquille. Le lendemain — c'était le mardi 28 juillet — la marquise fit voir à Lefebvre les appartements préparés pour recevoir le roi et les cachettes du grand château[20] ; Bonnœil lui montra les copies du manifeste de d'Aché et l'oraison funèbre du duc d'Enghien, dont on fit, après le dîner, la lecture respectueusement. Vers le soir, Soyer annonça la visite du receveur de la poste de Gaillon ; c'était un ami qui avait, à plusieurs reprises, rendu aux habitants de Tournebut de signalés services. Il venait d'apprendre que le commandant de la gendarmerie avait reçu, de Paris, l'ordre de faire à Tournebut une perquisition qui aurait lieu incessamment. Mme de Combray ne se troubla point ; depuis longtemps elle était préparée à cette éventualité : elle ordonna à Soyer de porter quelques provisions au petit château et, quand la nuit fut venue, elle s'y rendit avec Lefebvre. Il y avait là deux cachettes confortables dont elle lui expliqua le mécanisme : l'une de ces oubliettes était assez vaste pour qu'on pût y installer côte à côte deux matelas[21] : elle y fit entrer le notaire, s'y glissa après lui et referma sur eux les cloisons.

Bonnœil restait seul à Tournebut ; l'existence paisible qu'il y menait depuis deux ans le mettait à l'abri de tout soupçon et il s'apprêta à recevoir les gendarmes qui se présentèrent le vendredi, dès l'aube. Le commandant du détachement exhiba son mandat de perquisition ; Bonnœil, fort rassuré sur l'issue de l'incident et, par suite, plein de sang-froid, ouvrit toutes les portes, livra toutes les clefs. Les soldats parcoururent le château des caves aux combles ; rien ne paraissait moins suspect que cette grande. maison dont la plupart des appartements semblaient inoccupés depuis longtemps, et Bonnœil affirma que sa mère était partie depuis une quinzaine de jours pour la Basse-Normandie où elle allait, chaque année, à pareille époque, recueillir ses fermages et visiter ses terres des environs de Falaise ; les domestiques, sommairement interrogés, furent d'autant plus unanimes dans leur déclaration qu'à l'exception de Soyer et de Mlle Querey qui, seuls, étaient dans le secret, ils avaient tous vu la marquise partir pour Falaise et qu'ils ignoraient son retour.

L'officier reprit avec ses hommes le chemin de Gaillon, sans se douter que la femme qu'il cherchait était tranquillement occupée, tandis qu'on perquisitionnait dans sa maison, à jouer aux cartes à cent pas de là, avec un de ses complices. C'est à cet innocent passe-temps que Mme de Combray employait, en effet, les longues heures que la politique l'obligeait à vivre dans les réduits hermétiquement clos du petit château.

Elle séjourna, avec son hôte, pendant huit jours dans cette maison à double fond, ne se montrant point au dehors, occupant la journée à parcourir les deux étages de pièces démeublées et rentrant dans la cachette dès que tombait la nuit[22]. Tous deux ne reparurent à Tournebut que le mardi 4 août. Ce jour-là, Soyer reçut de Mme Acquet une lettre sur l'enveloppe de laquelle la jeune femme avait écrit : pour maman : c'était la réponse au billet envoyé de Croissanville par Lefebvre. Mme Acquet mandait que le départ de sa mère lui faisait beaucoup de tort ; elle assurait pourtant que tout danger semblait écarté et que le notaire pouvait revenir à Falaise sans inquiétude. Pour sa part, elle avait trouvé asile chez une personne sûre ; l'abbé Morand, vicaire de Guibray, se chargeait, ajoutait-elle, de lui faire tenir sa correspondance. De la proposition qui lui avait été faite de venir se réfugier à Tournebut, pas un mot. Évidemment Mme Acquet préférait la retraite qu'elle s'était choisie et qu'elle ne désignait pas. Mme de Combray, de son côté, soit qu'elle fût peinée de cette défiance injustifiée, soit qu'elle craignit de se poser en complice du vol si elle ne séparait pas complètement sa cause de celle de Mme Acquet, fit répondre par sa femme de chambre qu'il n'était plus temps de venir, qu'elle se portait fort mal et ne pouvait recevoir personne[23]. Ainsi se trouva nettement accusé le dissentiment qui divisait ces deux femmes.

Ce fut Lefebvre qui se chargea de remettre la lettre à l'abbé Morand ; le notaire avait hâte de rentrer à Falaise où il se sentait, par sa situation, plus en sécurité que dans les caches de Tournebut. Il partit le jour même après avoir fait choix, dans les écuries du château, d'un cheval jaune[24] ; il chaussa une paire de bottes et endossa une redingote appartenant à Bonnœil, puis gagna le bois par une petite porte percée dans le mur du parc. Soyer le conduisit jusqu'à la grande route, près du moulin des Quatre-Vents[25]. Lefebvre prit, pour éviter Évreux et Louviers, la route du Neubourg. Le surlendemain, 6 août, il déjeunait à Glatigny, chez Lanoë, y laissait la redingote, les bottes et le cheval jaune ; et, le même jour, il se dirigeait gaillardement sur Falaise, où il arrivait le soir. Dès le 7, il voyait Mme Acquet et la trouvait complètement rassurée.

 

Après que Lanoë douze jours auparavant, l'eût abandonnée, désespérée, devant la ferme de Villeneuve, Mme Acquet avait tant supplié une femme qui se trouvait là que celle-ci consentit à aller chercher Colin, l'un des domestiques de la Bijude : c'est avec lui que la fille de la marquise de Combray revint à Falaise sur l'un des chevaux du fermier. Elle n'osa se présenter à l'hôtel de la rue du Tripot et s'arrêta chez la mère Chauvel, une brave femme, qui blanchissait le linge de la maison de Combray ; ce qui l'attirait là, c'est que le fils, Victor Chauvel, était gendarme ; il avait fait partie du détachement envoyé la veille à Donnay et elle voulait savoir de lui si les Buquet l'avaient dénoncée.

Elle entra donc chez les Chauvel sous le prétexte de demander l'adresse du capitaine Manginot. Le gendarme était à souper : c'était un beau garçon de trente-six ans, ancien hussard, bon sujet, mais, quoiqu'il fût marié et père de trois enfants, noté comme coureur et aimant le sexe[26]. — Quand Chauvel est auprès des femmes, disaient ses camarades, il oublie tout[27]. Il voyait là Mme Acquet pour la première fois. Aux questions qu'elle lui posa, il répondit que son nom avait, en effet, été prononcé et Manginot, logé au Grand-Turc, était à sa recherche. La jeune femme se mit à pleurer : elle supplia la mère Chauvel de la garder, promettant de payer pension, faisant appel à sa pitié, et la blanchisseuse se laissa toucher : elle disposait d'une mansarde au troisième étage de la maison ; elle y fit porter des couchages qu'on jeta sur le carreau et c'est de là que Mme Acquet écrivit à sa mère qu'elle s'était procuré une retraite sûre.

Très sûre, en effet, et l'on comprend qu'elle n'ait pas cru devoir détailler d'une façon plus précise les conditions de l'hospitalité qui lui était offerte. Est-il en effet besoin d'insister sur le genre de relations établies, dès la première heure de son installation dans la maison Chauvel, entre cette pauvre femme chez qui la peur d'être prise étouffait tout autre sentiment et le soldat dont son sort dépendait ? Chauvel n'avait qu'un mot à dire pour la faire arrêter ; elle se donna à lui, il se tut et l'existence qui, dès lors, commença pour tous deux, fut si misérable et si tragique qu'elle inspire plus de commisération que de révolte. Mme Acquet n'avait qu'une pensée, échapper à l'échafaud ; Chauvel n'eut plus qu'un désir, ne point perdre cette maîtresse inespérée et d'autant plus chère qu'il lui faisait le sacrifice de sa carrière, de son honneur, de sa vie peut-être. Les choses, d'abord, se passèrent de façon assez calme : aucun mandat d'amener n'avait été lancé contre la fugitive et, dans les premiers jours qui suivirent sa retraite chez Chauvel, elle sortait avec lui, le soir, sous un déguisement[28] : bientôt même elle s'enhardit et osa, en plein jour, se montrer dans les rues de Falaise. Le 15 août, comme le notaire Lefebvre recevait chez lui Lanoë à déjeuner, elle y fut également invitée : on causa, Mme Acquet ne cacha point qu'elle avait trouvé dans la maison de la mère Chauvel un abri, et qu'elle serait tenue au courant par le fils des ordres que recevrait de Caen ou de Paris la brigade de gendarmerie. Lefebvre amena la conversation sur le trésor. L'argent déposé chez les Buquet excitait bien des convoitises : Bureau de Placène, en sa qualité de banquier des chouans, avait, le premier, fait valoir lei droits de la caisse royale ; Allain et le boulanger Lerouge qui montrèrent un désintéressement absolu —avaient entrepris le voyage de Dormoy et soutiré, non sans peine, aux recéleurs douze cents francs : à cinq reprises, Lerouge, avec une petite charrette, était revenu seul, à des jours convenus, jusqu'à la forêt d'Harcourt ; il attendait sous un grand arbre, au bord d'une route de traverse et Buquet lui apportait là de l'argent. Placène reçut ainsi une douzaine de mille francs en écus, si maculés de terre que sa femme fut obligée de les laver[29]. Mais Joseph Buquet, disparu depuis l'arrestation de ses parents savait seul, juraient ceux-ci, où le trésor avait été enfoui et l'on n'y pouvait plus puiser.

Tout en déjeunant avec le notaire et Lanoë Mme Acquet supplia ce dernier de se mettre en quête : elle croyait l'argent enterré dans le champ de sarrasin situé entre la maison des Buquet et les murs du château ; elle invitait Lanoë à aller piquer la terre pour découvrir la cachette, ce à quoi il se refusa. Elle semblait avoir la tête perdue[30] ; elle projetait d'aller se jeter aux pieds de l'empereur pour implorer de lui son pardon ; elle parlait de recouvrer l'argent volé pour le rendre au Gouvernement, d'y ajouter, s'il le fallait, le montant de sa dot et de quitter la France pour toujours. Le soir, en rentrant, très fiévreuse, chez la blanchisseuse, elle lui fit part des mêmes projets ; pendant trois jours elle se complut à cette idée qu'elle ressassait continuellement : la pauvre femme se figurait qu'il lui suffirait, pour se soustraire au châtiment, de restituer la somme enlevée.

Chauvel était en tournée ; quand il revint, le 19, il rapporta une nouvelle : le préfet Caffarelli devait arriver le lendemain à Falaise pour y procéder à l'interrogatoire de Mme Acquet. Ce fut une nuit d'angoisse et de larmes ; peut-être est-ce à cette date qu'il faut reporter une tentative de suicide de la malheureuse, à qui Chauvel dut arracher le poison qu'elle allait absorber. On touche ici, d'ailleurs, à un point très obscur ; s'il est permis, en effet, de croire à la mollesse, à l'insouciance même de Gaffa-relui, il paraît assez difficile de l'accuser de complicité active ; il est cependant bien surprenant que, prévenue de son arrivée à Falaise, Mme Acquet n'ait pas aussitôt pris la fuite et qu'elle consentit à se présenter devant lui comme si elle eût été assurée de trouver là secours et protection ; l'entrevue eut lieu chez le maire, M. de Saint-Léonard, parent de Mme de Combray, et ressembla plutôt à un conseil de famille qu'à un interrogatoire. Caffarelli s'y montra beaucoup plus paternel que ne le comportait son rôle de juge ; la tradition subsista longtemps, dans la famille, qu'on avait mis enjeu, pour attendrir le sensible préfet, la parenté — fort éloignée et dont on avait jusque-là soigneusement négligé de se targuer — de Mme de Combray avec les Tascher de la Pagerie dont était issue l'impératrice. Quoi qu'il en soit, Mme Acquet sortit de chez M. de Saint-Léonard très rassurée, annonçait la mère Chauvel qu'elle allait voyager â se chargea même des compliments de la brave femme pour la marquise de Combray près de laquelle elle avait, disait-elle, l'intention de passer quelques jours, à Tournebut. Dans la journée du 22, elle fit un paquet de ses hardes, et, le soir, déguisée en paysan, elle quitta, au bras du gendarme, la maison de la blanchisseuse[31].

 

Après le départ du notaire Lefebvre, la vie avait repris à Tournebut son cours habituel. Mme de Combray, persuadée que sa fille se trouvait en sûreté et que le préfet du Calvados, — soupçonnât-il sa complicité, — ne se hasarderait jamais à ordonner son arrestation, se montrait sans défiance et voisinait, comme d'habitude, avec quelques châtelains des environs. Elle ignorait que l'instruction était passée des mains de Caffarelli à celles du préfet de Rouen et qu'il y avait là, pour la diriger, un homme dont la malice et l'opiniâtreté ne se décourageraient pas facilement.

Licquet avait employé quinze jours à étudier l'affaire ; il n'avait, pour point de départ, que les réponses ambiguës de Flierlé et les déclarations pleines de réticences des Buquet ; mais, depuis des années qu'en amateur passionné il s'adonnait à la police,' il avait. emmagasiné bien dés soupçons ; l'insuccès de la visite des gendarmes à Tournebut l'avait confirmé dans la certitude que ce vieux manoir, de si paisible allure, devait recéler de terribles secrets et que ceux qui l'habitaient s'y étaient ménagé d'inaccessibles retraites. Aussi changea-t-il de tactique : le 19 août, Mme de Combray et Bonnœil, très rassurés sur l'avenir, étaient allés passer l'après-midi à Gaillon ; comme ils revenaient, le soir, vers Tournebut, ils se trouvèrent tout à coup en présence d'un détachement de gendarmerie posté en travers de la route ; la marquise et son fils durent décliner leurs noms ; l'officier exhiba un mandat d'amener et tons ensemble revinrent au château qui était occupé militairement. La marquise protesta avec indignation contre l'envahissement de son domicile ; elle n'en dut pas moins assister à une perquisition sommaire qui se prolongea pendant toute la soirée. Vers minuit on la mettait, avec son fils et deux gendarmes, dans une voiture qui prit, sous escorte, le chemin de Rouen, et, à l'aube, tous deux étaient écroués à la Conciergerie du Palais de justice.

Licquet n'était d'ailleurs qu'à moitié satisfait du résultat de l'expédition ; il avait espéré surprendre d'Aché qu'il croyait caché à Tournebut[32] ; les agents avaient également arrêté la femme Levasseur et Jean-Baptiste Caqueray, marié récemment à Louise d'Aché mais, du conspirateur lui-même, aucune trace ; depuis trois ans cet homme extraordinaire déjouait les recherches de la police : fallait-il donc croire que, depuis ce temps, il vivait enfoui dans quelque oubliette de Tournebut et devait-on attendre que Mme de Combray révélât le secret si bien gardé de sa retraite ?

Dès l'arrivée de la marquise à la Conciergerie, Licquet, sans se montrer, était allé étudier sa prisonnière : semblable à une vieille lionne mise en cage, cette femme de soixante-sept ans se démenait avec une énergie surprenante : chez elle, nul indice d'abattement ou de confusion ; elle prenait ses aises dans la prison, se plaignait du régime, maugréait tout le long du jour, s'emportait contre les geôliers ; il n'y avait pas à espérer que son caractère se démentit ni à escompter, pour lui arracher quelque confidence, une émotion qu'elle ne ressentait pas. Le préfet la fit amener en voiture à son hôtel, par le concierge de la prison, le 23 août : l'interrogatoire dura deux jours entiers. Avec l'expérience et l'astuce d'un repris de justice, la marquise simula la plus entière franchise mais elle convint seulement des choses qu'elle ne pouvait nier avec succès[33]. Licquet posait les questions ; elle n'y répondait qu'après les avoir fait répéter plusieurs fois, sous prétexte qu'elle ne les comprenait pas. Elle luttait avec acharnement, discutant, ergotant, bataillant pied à pied : si elle avoua connaître d'Aché et lui avoir souvent offert asile, elle nia formellement être instruite de son domicile actuel. Bref, quand Savoye-Rollin et Licquet la renvoyèrent à la Conciergerie, ils gardaient l'impression qu'ils avaient eu le dessous et que l'enquête n'avait pas fait un pas. Bonnœil, interrogé à son tour, n'apprit rien que ce qu'on savait. Placide d'Aché, remis sur la sellette, nia tout et s'emporta.

Le préfet et son acolyte restaient assez penauds de leur déconvenue quand le concierge de la prison qui avait reconduit au Palais Mme de Combray, demanda à leur parler ; introduit aussitôt, il conta que, tandis qu'il s'en retournait seul dans la voiture avec la prisonnière, celle-ci lui avait proposé une forte récompense s'il voulait se charger de transmettre ses lettres à quelques-uns des détenus. Le concierge, accoutumé à ces sortes de propositions, n'avait répondu ni oui ni non, mais en promettant cependant à la femme Combray de la revoir pendant la nuit, à l'heure de la ronde, et il venait demander au préfet ses ordres au sujet de cette correspondance ; Licquet insista vivement pour qu'il fût autorisé à la recevoir ; il espérait, en interceptant les billets, tirer grand profit des confidences et des conseils que la marquise ne. manquerait pas d'adresser a ses coaccusés ; le moyen, tout d'abord, répugnait fort à Savoye-Rollin, mais la proposition même de la détenue établissait si bien sa culpabilité qu'il ne se crut pas obligé à la discrétion et céda, non sans laisser à son secrétaire général — c'était là un des titres de Licquet — la responsabilité du procédé.

Muni de ce blanc-seing, celui-ci prit en main la direction de l'enquête ; il trouvait là un merveilleux emploi de ses aptitudes ; jamais duel ne fut plus impitoyable ; jamais policier ne fit preuve de plus d'invention et de duplicité ; par amour de l'art, par plaisir — car il n'ambitionnait ni honneurs, ni argent — Licquet s'acharna contre ses prisonniers avec une passion qui serait inexplicable si ses lettres ne révélaient les joies profondes que cette lutte lui procurait ; il n'éprouvait contre ses victimes ni rancune, ni haine ; on ne perçoit en lui d'autre sentiment que la satisfaction féroce de les voir trébucher dans les pièges qu'il leur tend et de percer les mystères d'un complot dont la portée politique semble même le laisser tout à fait indifférent.

Avec une jouissance de dilettante il attendit l'heure oui devait lui être remis le billet que Mme de Combray, sans défiance, adressait à Bonnœil et à Tourlour. Il dut patienter jusqu'au lendemain et cette première lettre ne lui apprit rien : la marquise donnait à ses complices un aperçu de ses interrogatoires ; elle le faisait avec tant d'art que Licquet se demanda si la prisonnière n'avait pas été avisée que le papier devait passer par ses mains. Le même jour le concierge lui remit un second billet de Mme de Combray à son fils, billet tout aussi insignifiant que le premier, mais qui se terminait par cette phrase énigmatique dont la lecture causa à Licquet un éblouissement :

Est-ce que vous ne savez pas que le frère de Tourlour a brûlé le fichu de mousseline[34] ?

Le frère de Tourlour... c'était d'Aché. Était-il donc venu récemment à. Tournebut ? Ne s'y trouvait-il pas encore ? Une nouvelle lettre confiée par Bonnœil au geôlier et remise par celui-ci à Licquet semblait répondre affirmativement à ces questions. Adressée à un homme d'affaires de la rue Cauchoise, nommé Legrand, elle était ainsi conçue :

... Je vous en prie, partez de suite pour Tournebut sans dire à personne l'objet de votre voyage ; allez à Grosmesnil — le petit château —, voyez la femme Bachelet et brûlez toutes les pièces suspectes qu'elle peut avoir ; vous nous rendrez un service inappréciable. Renvoyez-moi ce billet. Dites à Soyer que, si on demande si M. d'Aché est venu, il y a environ deux ans qu'on ne l'a pas vu à Tournebut.

 

Le soir même, l'ordre partait pour Gaillon de s'assurer de la personne de Soyer, et, douze heures plus tard, il était, à son tour, écroué à la Conciergerie de Rouen, ce qui n'empêchait pas Bonnœil d'écrire, le lendemain, à ce même Soyer dont Licquet, comme bien on pense, ne lui avait pas appris l'arrestation :

Je te prie, mon cher Soyer, de regarder dans les deux ou trois secrétaires dans la chambre de ma mère si tu n'y trouverais pas quelques pièces qui pourraient la compromettre, surtout de l'écriture de M. Delorière (d'Aché). Enlève tout ce qui est de son écriture... Si on te demande s'il y a longtemps que M. Delorière est venu à. Tournebut, tu diras qu'il n'est pas venu depuis environ deux ans. Dis-le à Colas, à Catin et à la tille de la basse-cour...

Licquet prenait soigneusement copie de ces billets ; puis il les laissait aller à destination, dans l'espoir que la réponse, également confisquée au passage, lui apporterait quelque lumière... D'ailleurs, il ne pouvait, dans ses fréquentes visites aux détenus, hasarder la moindre allusion aux confidences qu'ils échangeaient, de crainte qu'ils ne vinssent à suspecter la fidélité de leur messager et à renoncer à son intermédiaire. Bien des points restaient donc pour le policier très obscurs. Le billet suivant de Bonnœil à Soyer contenait cette phrase :

Mets les petits rideaux sur la fenêtre de l'endroit où je t'ai dit d'enfoncer le clou...

Et on se représente Licquet, le front dans ses mains, cherchant à déchiffrer ce rébus ; ce fichu de mousseline, ces petits rideaux, ce clou... était-ce donc là un langage figuré convenu d'avance entre les prisonniers ? Et toutes ces précautions semblaient prises pour sauver ce mystérieux d'Aché, dont le salut était l'unique préoccupation des prévenus ; un mot écrit par Mme de Combray à Bonnœil ne permettait plus aucun doute sur le récent séjour du conspirateur à Tournebut :

Je désire que Mme K... aille chez moi et voie avec So[35]... si Delor[36]... n'aurait pas laissé dans la petite chambre près la chambre où couchaient les cuisinières du papier dans la doublure de toile cirée ; enfin qu'il regarde partout et brûle tout.

 

L'indication, cette fois, était si précise que Licquet n'y tint plus ; il partit pour Tournebut que la gendarmerie occupait depuis quinze jours ; il emmenait avec lui Soyer qui devait lui servir de guide, et le commissaire de police Legendre pour dresser le procès-verbal des perquisitions.

On arriva à Tournebut le 5 septembre au matin ; Licquet, que cette chasse aux conspirateurs exaltait, dut éprouver une singulière émotion en approchant de ce mystérieux domaine, objet de toutes ses pensées ; d'un coup d'œil il en prit en quelque sorte possession : il fut frappé de l'isolement du château, si bien placé à l'écart de la route, au pied des bois ; il constata qu'on pouvait y pénétrer par plus de vingt endroits différents sans être vu ; il fit éloigner les domestiques, posta un gendarme à chacune des portes et, sous la conduite de Soyer, il entra dans les appartements.

C'était d'abord, au haut du perron, sur la cour, dans l'aile de briques construite par le sire de Marillac, une vaste pièce servant de chambre à Bonnœil et par laquelle on accédait à la grande salle, étonnamment haute et solennelle malgré son délabrement, avec son carreau de briques, son plafond à poutrelles, ses immenses fenêtres ouvrant sur la terrasse du côté de la Seine. Par une double porte à ferrures monumentales, percée dans un mur épais comme celui d'une bastille, on pénétrait dans l'appartement de Mme de Combray : une première chambre lambrissée de boiseries ; un boudoir ; un cabinet qu'un escalier dérobé mettait en communication avec un dédale de petits entresols. Un grand couloir, éclairé par trois fenêtres ouvrant sur la terrasse, menait, laissant à droite la chambre à coucher de la marquise, à la partie la plus ancienne du château, celle dont la façade avait été récemment réédifiée ; après avoir traversé le palier du degré conduisant au jardin on se trouvait dans le salon, puis dans la salle à manger d'où s'élevait, dans une tour carrée formant avant-corps sur la façade postérieure, un escalier de pierre qui desservait le premier étage. Là, un très long couloir, trois chambres, prenant vue sur la vallée de la Seine, et nombre de débarras et de petites pièces sans destination. Tout le reste était en greniers où s'entrecroisaient les charpentes du faîtage : lorsqu'on en poussait la porte, des chouettes effarouchées s'envolaient avec un grand bruit d'ailes dans les profondeurs de cette forêt d'énormes poutres vermoulues[37]. En somme, rien que de très ordinaire, nul indice de cache quelconque : on ouvrit tous les meubles, on sonda tous les murs, on ausculta tous les lambris sans découvrir aucun double fond.

C'était au tour de Soyer d'entrer en scène. Soit qu'il craignit d'aggraver sa situation, soit que Lie-guet lui eût fait_ comprendre que toute dénégation était inutile, l'homme de confiance de Mme de Combray consentit à guider les policiers : il prit un trousseau de clefs et, suivi de Licquet et de Legendre, monta, par un escalier de service, dans une petite chambre située sous le toit d'un étroit bâtiment accolé au pavillon de briques de Marillac. Cette pièce n'avait qu'une fenêtre, percée au nord et garnie, en manière de rideau, d'un lambeau d'étoffe verte ; pour tout meuble, un mauvais bois de lit, tiré au milieu de la chambre. Licquet et le commissaire de police examinèrent les cloisons et les firent sonder sous leurs yeux. Soyer leur laissa le temps de fureter dans tous les coins, puis, quand ils eurent renoncé à découvrir d'eux-mêmes l'entrée de la cachette, il s'approcha du lit, mit la main sous le sommier et en retira un clou. On entendit aussitôt la chute d'un contrepoids derrière la muraille qui s'ouvrit, laissant apercevoir une chambre assez vaste pouvant contenir une quinzaine de personnes : il s'y trouvait un banc de bois, un grand réchaud, des chandeliers d'argent, une malle remplie de papier à lettres, deux paquets de cheveux de diverses couleurs et quelques traités des jeux. On y saisit, en outre, l'oraison funèbre du duc d'Enghien[38], copiée par Placide, et le passeport que d'Aché avait levé à Rouen, en 1803, et qui portait la signature de Licquet.

Quand on eut mis le tout dans un sac et refermé la cloison, quand on se fut bien extasié sur la perfection du mécanisme qui ne laissait apparentes ni fente ni ouverture d'aucune sorte, Soyer, toujours suivis de deux agents, traversa tout le château, monta au grenier et s'arrêta enfin dans une petite pièce située à l'extrémité du bâtiment ; elle était encombrée de linge sale étendu sur des cordes ; une grosse poutre était fixée presque au niveau du sol, le long de la muraille garnie de tablettes supportées par des tasseaux. Soyer mit la main dans une petite cavité de la poutre remplie de bois vermoulu ; il en retira un morceau de fer, le posa sur la tête d'un clou qui paraissait fixé à demeure dans l'un des tasseaux et, sur-le-champ, les tablettes se replièrent, une porte s'ouvrit dans le mur et l'on pénétra dans une salle assez grande pour que cinquante personnes pussent s'y tenir à l'aise ; une fenêtre ouvrant sur le toit de la chapelle et qu'il était impossible d'apercevoir du dehors donnait à cette pièce le jour et l'air ; elle ne contenait qu'une grande armoire renfermant un plat de terre et une pierre d'autel[39].

Ainsi ce vieux manoir d'aspect si vénérable et si familial était machiné comme un repaire de brigands et disposé pour servir d'arsenal et de retraite à toute une armée de conspirateurs ; car Soyer révéla également le secret des oubliettes du petit château dont les chambres démeublées pouvaient abriter au besoin une garnison considérable ; on n'y trouva que trois malles pleines d'argenterie marquée d'écussons si variés que Licquet crut bien pouvoir affirmer que ce trésor provenait des nombreux vols opérés depuis quinze ans sur toutes les routes de la contrée ; après examen, il fut reconnu qu'il n'en était rien et que la totalité des pièces de ce service portait les armes des différentes branches des familles de Brunettes et de Combray[40] ; mais, s'il fut contraint d'en rabattre sur ce point, Licquet ne s'entêta pas moins à attribuer aux hôtes de Tournebut tous les méfaits commis dans la région depuis l'époque du Directoire : ces cachettes si parfaitement dissimulées, ce château posté au bord du fleuve, dans les bois, à portée de deux routes, comme ces nids de pierre où s'embusquaient les chevaliers pillards du moyen âge, ces choses expliquaient si bien les attaques de diligences restées impunies. les bandes de brigands subitement disparues et à tout jamais introuvables, que l'imagination du policier se donna libre cours ; il se persuada que d'Aché était là, enfoui dans quelque muraille creuse dont Soyer lui-même n'avait peut-être pas le secret, et, comme il ne restait, dans ce cas, que l'espoir de prendre le proscrit par la faim, Licquet fit sortir de Tournebut tous les serviteurs de Mme de Combray et laissa en permanence un piquet de gendarmerie au château dont il remit les clefs, ainsi que l'administration du domaine, au maire d'Aubevoie.

Dès qu'il fut rentré à Rouen, sa première pensée fut pour ses prisonniers : leur correspondance avait continué en son absence et on lui remit fidèlement copie de tous les billets qu'ils avaient échangés, mais ils semblaient s'être communiqué tout ce qu'ils avaient d'intéressant à se dire et leurs confidences menaçaient de tourner à la monotonie. L'imagination du policier trouva le moyen d'en renouveler l'intérêt. Un soir, à l'heure où la prison s'endormait Licquet donna l'ordre aux gardiens d'ouvrir brusquement quelques portes, de pousser des verrous, de marcher avec bruit dans les couloirs et, comme, le lendemain matin, eue de Combray ne manqua pas de s'informer des causes de ce branle-bas, il fut facile de lui faire croire que le notaire Lefebvre avait été arrêté à Falaise et venait d'être écroué pendant la nuit[41]. Une heure plus tard le concierge remettait, en grand mystère, à la marquise, un petit billet tracé par Licquet et dans lequel le notaire annonçait lui-même son arrivée à la marquise, en l'avertissant qu'il contrefaisait, par prudence, son écriture. Ce stratagème eut son plein effet : Mme de Combray répondit et sa lettre fut aussitôt transmise à Licquet qui, s'attendant à quelque révélation décisive, fut consterné de se trouver en présence d'un nouveau mystère : Mandez-moi, disait la marquise, comment le cheval est revenu ; que personne ne l'ait vu nulle part.

Quel cheval ? Que répondre ? Si l'on avait eu en réalité Lefebvre sous la main, il eût été possible, en lui repassant le billet, d'obtenir une réplique qui eût le sens commun ; mais comment, sans son concours, ne pas éveiller les soupçons de la marquise sur la personnalité de son correspondant ? Licquet, continuant à jouer le rôle du notaire, se borna à tracer quelques lignes, se gardant de parler d'aucun cheval et demandant des détails sur la façon dont se passaient les interrogatoires, ce à quoi la marquise répondit :

C'est le préfet et un mauvais sujet qui interrogent. Mais vous ne me mandez pas si le cheval a été renvoyé et par qui. Si on m'en parlait, que dirais-je ?

Le mauvais sujet, c'était Licquet lui-même et il ne s'y trompa point ; mais pour cette fois, il fallait répondre ; quoi ? Licquet, espérant qu'un hasard lui servirait le mot de l'énigme, usa d'un expédient pour gagner quelques heures : il fit apprendre à Mme de Combray que le notaire, s'était évanoui au cours d'un interrogatoire et qu'il n'était pas en état d'écrire[42] ; elle n'en ralentit point sa correspondance, plusieurs fois par jour elle adressait à Lefebvre de courts billets qui ajoutaient aux perplexités de Licquet :

Dites-moi ce qu'est devenu mon cheval jaune. Les commissaires son, toujours à Tournebut : or, s'ils étaient instruits du cheval... vous devinez le reste ! Soyez assez spirituel pour dire que vous l'avez vendu à Rouen, aux foires. Le petit Licquet est fin et a beaucoup d'esprit ; mais il emploie le mensonge souvent.

Mon seul embarras est le cheval : ils auraient bien vite la clef. La main me tremble, pouvez-vous lire ? Si j'apprends des nouvelles du cheval je vous les ferai passer de suite ; mais jusqu'ici ils n'en savent rien. N'ayez aucune inquiétude sur la selle et la bride : elles sont revenues dans les mains de Deslorières qui m'a dit les avoir reprises.

 

Ce cheval jaune prenait, dans l'imagination de Licquet des proportions fantastiques : il hantait jour et nuit sa pensée et galopait dans ses cauchemars. Une nouvelle perquisition à Tournebut avait permis de constater que les écuries du château ne contenaient qu'un petit âne et quatre chevaux, au lieu de cinq qui s'y trouvaient habituellement, et les gens du pays, interrogés, avaient déposé que la bête absente était, en effet, d'une couleur rougeâtre tirant sur le jaune. Comme le policier expédiait à Réal, dans son courrier quotidien, les billets écrits par Mme de Combray, on se montrait, à Paris, tout aussi inquiet du service qu'avait pu rendre l'animal mystérieux dont la découverte devait, au dire de la marquise, donner la clef de toute l'affaire. Qui donc ce cheval avait-il conduit ou porté ? Un des princes de Bourbon, peut-être ? D'Aché ? Mme Acquet qu'on cherchait vainement dans toute la Normandie ? Licquet était obligé d'avouer à ses chefs qu'il ignorait à quelle circonstance rattacher l'histoire du cheval. Il sentait que l'importance que Mme de Combray mettait à son retour augmentait celle qu'on devait apporter à connaître le voyage qu'on lui avait fait faire. — Le point sensible est là, ajoutait-il, c'est le cheval, c'est la selle, c'est la bride qu'il faut retrouver[43].

En l'absence du notaire Lefebvre qui eût pu donner la solution de cet obsédant rébus, et que Caffarelli ne se décidait pas à faire arrêter, il restait un moyen de connaître le secret de Mme de Combray ; moyen odieux, à la vérité, mais que Licquet, dans son désarroi, n'hésita pas à employer : c'était de placer près d'elle un mouton qui la ferait parler. Il y avait, à la Conciergerie de Rouen, une femme Delaitre, recluse pour six ans, qu'on employait au service de l'infirmerie ; elle avait d'assez bonnes manières, s'exprimait bien et était à peu près du même âge que Mme Acquet. Il fut facile de s'assurer que cette femme consentirait, moyennant remise d'une partie de sa peine, à servir d'espionne à Licquet. On parla d'elle à Mme de Combray, en ayant coin de la présenter comme une royaliste fanatique tourmentée pour ses opinions ; la marquise témoigna le désir de la voir ; la femme Delaitre joua parfaitement son rôle, se donna comme ayant été élevée avec Mme Acquet au couvent des Nouvelles Catholiques de Caen, se dit fort honorée de partager la prison de la mère de son ancienne amie de pension ; bref, le soir même, elle était en mesure de transmettre à Licquet les confidences de la prisonnière. Celle-ci lui avait conté comment Mme Acquet avait assisté, sous un costume d'homme, à de nombreuses attaques de diligences ; Mme de Combray ne redoutait rien tant que de voir sa fille tomber entre les mains de la police : Si elle est prise, disait-elle, elle me chargera[44]. D'ailleurs, la marquise était résignée à son sort ; elle se savait destinée à l'échafaud : au surplus, le roi et la reine ont péri sur la guillotine ; elle y mourra bien aussi[45] ; pourtant, elle s'inquiétait de savoir si, au moyen d'une forte somme, elle pourrait se sauver ; du cheval jaune pas un mot.

Le lendemain, elle insista sur les craintes que lui inspirait le sort de sa fille ; elle aurait voulu l'avertir de changer de costume et de se placer, comme servante, à dix ou douze lieues de Falaise, revenant toujours à ce refrain : Si elle est arrêtée, elle parlera et je suis perdue. De sorte que Licquet se persuada que, si la marquise attachait tant d'importance à ce que le cheval jaune ne fût pas trouvé, c'était parce que sa découverte devait indubitablement amener celle de Mme Acquet. Celle-ci avait, depuis deux semaines, si complètement échappé aux recherches du capitaine Manginot et de toute la gendarmerie du Calvados que Réal était convaincu de son passage en Angleterre. — Les pêcheurs de la côte, écrivait-il, sont si mal surveillés ![46] Or, sans d'Aché, sans Mme Acquet, point de procès possible : l'avortement des poursuites, en divulguant la force de l'organisation du parti royaliste et l'impuissance du gouvernement, donnerait pleinement rai. son à l'indolente neutralité de Caffarelli ; en revanche, Licquet savait bien qu'un insuccès serait la fin de sa carrière : il avait fait de l'affaire sa chose ; son préfet, Savoye-Rollin, ne le suivait qu'à contrecœur, tout prêt à le renier en cas d'échec ; Réal lui-même prenait des précautions pour sacrifier au besoin un subordonné si compromettant et, aux lettres de ton amical, émanées du ministère de la police, succédaient maintenant des ordres secs qui présageaient la défaveur : Il est indispensable de découvrir la retraite de Mme Acquet ;il faut procéder dans le plus bref délai à l'arrestation de d'Achéet surtout trouvez le cheval jaune !

Comme si la marquise se fût complue à accroître le désarroi où l'évocation de cette bête fantôme jetait son persécuteur, elle continuait à griffonner de sa haute et rude écriture, sur des chiffons de papier que le concierge était chargé de transmettre au notaire toujours absent, d'ailleurs :

Il y a un grand embarras : le cheval jaune est dénoncé pour manquer. Je prendrai le parti d'envoyer un homme bien sûr et spirituel à l'endroit du cheval pour en prévenir les habitants et faire tuer le cheval, à douze lieues de l'endroit et le dépouiller ensuite. Mettez-moi par écrit la route qu'il faut qu'il prenne, les personnes auxquelles il faut s'adresser pour arriver sans faire une seule demande. Il est fort et homme à faire quinze lieues par jour. Répondez-moi.

 

Pour trouver cet homme bien sûr et spirituel Mme de Combray avait eu recours à la femme Delaitre, laquelle, sur le conseil de Licquet, avait, offert le concours de son mari, honnête royaliste qui, en réalité, n'existait pas ; mais Licquet tenait un de ses agents prêt à jouer le rôle de ce personnage fictif et à se mettre en quête du cheval dès qu'on serait fixé sur l'endroit où il était caché. Sur ce point, comme sur d'autres, Lefebvre, s'obstinait à ne pas répondre, et pour cause, et Licquet se trouvait obligé d'avouer sa déconvenue linéal : La difficulté n'est plus d'intercepter les lettres des détenus, écrivait-il, mais elle consiste à y répondre dans un sens tellement juste qu'ils puissent s'y méprendre. Cela commence à devenir très embarrassant à cause des imbroglios que chaque jour nous amène. Vous aurez, Monsieur, à m'accorder une bien grande absolution de tous, les péchés que cette circonstance me fait commettre ; au reste, toute ruse est permise en amour comme en guerre, et bien certainement nous y sommes avec les méchants[47]. Ce à quoi Réal répondait : — Je ne puis croire que le cheval n'ait servi qu'à la fuite de Mme Acquet : on ne conseillerait pas l'étrange précaution de lui faire faire. un voyage de douze lieues, de le tuer et de le dépouiller sur-le-champ. Ces craintes vous annoncent l'existence de quelque délit grave pour lequel ce cheval aura servi et que son existence peut faire dévoiler. Il faut savoir l'histoire de cette bête ; depuis quel temps elle appartient à Mme de Combray, quels étaient ses maîtres auparavant[48]. Et Licquet avait beau jurer qu'il était à bout de ruses et d'inventions, on lui répliquait invariablement : — Trouvez le cheval jaune ! Il en était déjà à maudire son propre zèle, quand un incident inespéré lui rendit la confiance et l'énergie : Lefebvre, arrêté à Falaise dans les premiers jours de septembre venait d'être écroué à la Conciergerie d'e Rouen : c'était là une nouvelle carte qui, bien jouée, pouvait rétablir la partie. Il fut facile de faire écrire par Mme de Combray un billet dans lequel elle insistait une fois de plus pour connaître l'adresse exacte du cheval, et le notaire répondit, sans méfiance, au verso du feuillet :

Chez Lanoë, à Glatigny, près de Bretteville-sur-Dives.

Chez Lanoë ! Comment Licquet ne l'avait-il pas deviné ! Ce nom, si fréquemment cité dans les déclarations des inculpés, n'avait pourtant point retenu son attention. C'était-là bien certainement qu'était cachée Mme Acquet et, tout de suite triomphant, il expédia à Réal un exprès pour lui annoncer l'heureuse nouvelle : en même temps il mettait en route vers Glatigny  deux agents adroits[49] : ils partirent de Rouen le 15 septembre et les heures parurent longues à Licquet en attendant leur retour. Trois jours, cinq jours, dix jours se passèrent sans qu'il reçût de leurs nouvelles ; pour s'aider à prendre patience, il s'occupait à cuisiner — c'est le terme de police consacré — le notaire Lefebvre : une correspondance suivie s'était établie entre Mme de Combray ; mais il montrait dans ses billets, aussi bien que dans ses interrogatoires, une défiance extrême[50]. Licquet s'effarait même à la pensée que le prudent notaire n'aurait pas indiqué l'asile du cheval jaune s'il n'était bien persuadé d'avance que cette piste ne pourrait conduire à rien. Aussi le policier, qui jouait son va-tout, vécut-il dans l'angoisse les deux semaines que dura l'absence de ses agents. Ils repartirent enfin, déconfits et navrés, traînant le cheval jaune fourbu et amenant une sorte de colosse, assez semblable à un grenadier[51], qui n'était autre que la femme de Lanoë. Le récit des émissaires de Licquet fut aussi court que décevant. En arrivant à Bretteville-sur-Dives, ils s'étaient présentés, avec mille précautions, à la ferme de Glatigny et n'y avaient pas trouvé Lanoë que Caffarelli avait arrêté quinze jours auparavant. Seule, la fermière les avait reçus et dès leur première question, les avait conduits à l'écurie dit fameux cheval, ravie d'être débarrassée de cette bête affamée qui consommait tout son fourrage. Les agents avaient poussé jusqu'à Caen et obtenu du préfet l'autorisation de converser avec Lanoë : celui-ci avait reconnu sans difficulté que le cheval lui avait été remis, à la fin de juillet, par Lefebvre, revenant de Tournebut ; mais il s'était défendu de connaître la retraite de Mme Acquet. A l'en croire, celle-ci était prisonnière de sa famille[52] et jamais, sans doute, on ne la découvrirait tout le pays de Falaise étant vendu à M. de Saint-Léonard, maire de la ville, qui s'était déclaré le protecteur de sa cousine.

On renvoya à Glatigny la femme Lanoë, mère de trois enfants en bas âge, mais on garda à Rouen le cheval dans le vague espoir que la présence de ce témoin muet amènerait quelque révélation : même Licquet prit le soin de lui couper quelques poils qu'il fit passer, précieusement empaquetés, à Mme de Combray, lui laissant croire que cet envoi provenait du fidèle Delaitre auquel elle avait confié le soin de faire disparaître l'animal compromettant. Le soir même, la marquise rassurée, adressait au notaire ce billet :

Vous voyez que mon commissionnaire est d'expédition. J'en reçois par occasion sûre une lettre. Il a été chez la femme Lanoë, a trouvé le cheval, a monté dessus, a fait cinq à six lieues, l'a tué et a emporté la peau. Il m'en envoie les crins dont je partage avec vous moitié pour vous faire voir la vérité ; ainsi soyez sans inquiétude. Je vais écrire à Soyer pour qu'il dise qu'il a vendu le cheval 350 livres à l'époque de la Guibray, à un marchand.

Dans sa joie d'être délivrée de son cauchemar, la prisonnière écrivait le même jour à Colas, son valet d'écurie, écroué, lui aussi, à la Conciergerie :

Ne t'ennuie pas ; as-tu besoin d'argent ? Je te ferai passer douze francs. Le maudit cheval : il m'en a envoyé du poil. Je t'en fais tenir pour que tu le reconnaisses ; brûle ce billet.

Et à sa femme de chambre, Catherine Quercy :

Le cheval est tué : mon commissionnaire a pris la peau et l'a brûlée. Si on vous interroge sur un cheval qui a manqué, vous direz qu'on l'a vendu... Ma maudite fille me donne bien du mal.

Ainsi finit l'histoire du cheval jaune : il termina sa mystérieuse odyssée dans les écuries du préfet Savoye-Rollin où Licquet venait souvent le visiter, comme s'il eût pu lui arracher son secret. Car il lui restait un doute : la phrase de Réal le poursuivait : Si ce cheval n'avait servi qu'à la fuite de Mme Acquet, on ne conseillerait pas l'étrange précaution de lui faire faire un voyage de douze lieues, de le tuer et de le dépouiller sur-le-champ. Aujourd'hui même qu'on peut aisément pénétrer les dessous de l'intrigue, il reste là une sorte d'énigme. Le cheval n'avait pas servi à Mme Acquet, puisque nous savons que, depuis le vol du 7 juin, elle n'avait point quitté la région de Falaise : le notaire Lefebvre l'avait monté, il est vrai, pour revenir de Tournebut ; mais était-ce une circonstance à dissimuler avec tant de soin ? Pourquoi la marquise, dans ses lettres confidentielles, insiste-t-elle à ce point ? — Dites que le notaire est rentré chez lui à pied, est une phrase qu'on retrouve à chacun de ses billets ; puisqu'on ne faisait pas mystère du voyage, la façon dont il s'était effectué n'était-elle pas indifférente ?

Il resta donc là une part d'inconnu et Licquet ne s'en consola pas : ses ruses n'avaient amené aucun résultat ; d'Aché restait introuvable. Mme Acquet avait disparu ; son signalement avait été vainement adressé à toutes les brigades de gendarmerie[53]. Manginot, désespérant de réussir, renonçait à la poursuivre, et Savoye-Rollin lui-même était déterminé à tout suspendre[54]. Telle était la situation dans les derniers jours de septembre ; il était bien probable que le vol du Quesnay et le grand complot dont il semblait, être l'une des péripéties iraient rejoindre, dans les cartons des affaires à classer, toutes les tentatives du même genre dont la police de Fouché renonçait à rechercher les auteurs insaisissables, lorsqu'un incident inattendu réveilla la verve de Licquet et lui suggéra l'idée d'une nouvelle machination.

 

 

 



[1] Archives nationales, F7 8170.

[2] Archives nationales, F7 8170.

[3] Interrogatoire de Flierlé. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[4] Archives nationales, F7 8171.

[5] On ne trouva chez lui que 56 sols et un passeport délivré à Caen le 21 mars pour Bordeaux, visé le 2 mai à Caen pour Cherbourg et non visé à Paris.

[6] Archives nationales, F7 8171.

[7] Le Chevalier sera sûrement acquitté pour le vol. Le préfet du Calvados à Réal, 10 août 1807. Archives nationales, F7 8171.

[8] Caffarelli craignait que Le Chevalier ne fût enlevé au cours du voyage de Paris à Caen, et ses craintes n'étaient pas sans motifs. Le prisonnier, dont on avait annoncé le départ de Paris le 25 juillet, n'était pas encore arrivé à sa destination le 7 août. Si nous n'étions à l'approche de la foire de Guibray, il eut été facile de mettre Le Chevalier mire deux gendarmes dans la première diligence et de l'amener de suite ici. Mais dans ce temps-ci les voitures étant encombrées de voyageurs, je nie suis déterminé à requérir M. Manginot qu'il fit partir, sur-le-champ, deux gendarmes en poste pour aller au devant de Le Chevalier, l'enlever s'il est possible la nuit, et arriver de même afin que ses partisans ne puissent savoir ce qu'il est devenu... Allain a promis un coup de fusil ou du poison au premier qui révélerait quelque chose et un secours de 200 hommes déterminés pour enlever ceux qui seraient arrêtés. Flierlé confirme ces détails en témoignant la plus grande crainte d'être découvert comme dénonciateur, il redoute surtout le poison.

Lettre du préfet du Calvados â Réal, 7 août 1807. Archives nationales, F7 8171.

[9] Il fut établi que Le Charpentier fils, notaire aux environs d'Argentan, avait réuni quelques hommes pour enlever Le Chevalier, lors de son transfèrement à Caen. Archives nationales, F7 8171.

[10] Écrous du Temple, 16 août 1807. Le concierge du Temple recevra, en se conformant à la loi, le nommé Le Chevalier qui sera détenu au secret. Signalement : 27 ans, propriétaire à Caen, taille, 1m,76, cheveux et sourcils châtain foncé, front élevé et bombé, yeux bruns, nez court, pincé du haut et un peu large du bas, bouche moyenne, menton un peu long et relevé, visage ovale et coloré, portant des nageoires châtains, estropié de la main gauche.

Le préfet du Calvados s'était, en même temps que de Le Chevalier, débarrassé de Flierlé qui fut, lui aussi, amené à Paris et écroué au Temple. Archives de la préfecture de police.

[11] Archives nationales, F7 8171.

[12] Archives nationales, F7 8171.

[13] Jacques-Fortunat Savoye-Rollin, né à Grenoble, le 18 décembre 1754. Il avait épousé, en 1788, une sœur de Casimir-Périer ; c'était une femme d'un grand mérite ; après qu'elle fut morte, Savoye-Rollin publia une notice biographique intitulée Madame de Rollin. Grenoble, s. d. in-8° de 15 pages, signé à la fin : G. Réal.

[14] Ses prénoms étaient Pierre-Alexandre.

[15] Archives administratives de l'Hôtel-de-Ville de Rouen.

[16] Ce passeport signé de d'Aché et de Licquet est aux Archives nationales, F7 8170.

[17] Archives nationales, F7 8172.

[18] Les annuaires du département de la Seine-Inférieure de 1806 à 1811, mentionnent Licquet au double titre de secrétaire général de la mairie et de chef de la police.

[19] Mme d'Aché avait quitté Saint-Clair en mars 1807 et Placide d'Aché l'avait installée à cette époque à Saint-Denis-du-Bosguérard.

[20] On m'a montré un grand et vaste appartement dis côté du nord, lequel était destiné, à ce que m'a dit Mme de Combray, à recevoir le prétendant et les personnes de sa suite, si on avait le bonheur qu'il vint en France, et elle me montra un petit escalier qui conduisait à plusieurs appartements au-dessus de celui-ci, qu'elle me dit être assez vastes et que dans cette partie du château on pouvait bien y loger quarante à cinquante personnes. Interrogatoire de Lefebvre, 22 août 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[21] C'était un appartement de huit pieds de long... Interrogatoire de Lefebvre, 22 août 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[22] Interrogatoires de Mme de Combray, du notaire Lefebvre, de Soyer, de Mlle Querey. Passim. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[23] Dix à douze jours après son arrivée à Tournebut, M de Combray voulut que j'écrivisse pour elle une lettre à un abbé de Falaise que je crois être l'abbé Morand. Je fis observer à Madame que j'écrivais fort mal ; mais Madame insista et j'écrivis. Cette lettre ne disait rien autre chose, si ce n'est que Madame se portait fort mal, qu'elle ne pouvait recevoir personne. Comme Mme de Combray avait dit que Mme Acquet pourrait arriver, j'ai lieu de présumer que cette lettre n'était écrite que dans l'intention de l'en détourner. Déclaration de Mlle Querey, 5 septembre 1807. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[24] Déclaration de Mlle Querey.

[25] Archives nationales, F7 8172.

[26] Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[27] Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[28] Lorsque je revins de Tournebut, Mme Acquet était logée chez Chauvel. Celui-ci lui procurait la facilité de sortir le soir ; je crois même qu'elle se déguisait. J'ignore quels moyens elle avait employés pour avoir la protection de Chauvel ; mais je présume que c'était ceux de la séduction. Interrogatoire de Lefebvre, 23 août 1807.

[29] Déclaration de Lerouge, dit Bornet, 9 août 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[30] Interrogatoire de Lanoë, 3 septembre 1808. Archives du greffe de la Cour d'assises de Rouen.

[31] Voici en quels termes Caffarelli apprenait à Réal, le 29 août 1807, la fuite de Mme Acquet : J'ai entendu Mme A..., à Falaise, il y a huit jours : je n'avais pas cru devoir la faire arrêter ; mais j'avais chargé le magistrat de sûreté de la surveiller. Il m'apprend qu'elle a disparu le 25. La négligence de Caffarelli fut sévèrement jugée par Fouché. A partir de cet incident on lui retira, de fait, la conduite de l'affaire pour en charger le préfet de la Seine-Inférieure. On s'abstint même de tenir Caffarelli au courant des divers incidents de l'enquête et bien souvent, comme on le verra, il n'en apprit les résultats que par la voix publique.

[32] Rouen, 20 août 1801, Mme de Combray et Bonnœil sont arrêtés, ils ont été trouvés à Gaillon et amenés ici ce matin : quant à d'Aché l'aîné, on a inutilement cherché. Il parait constant que depuis plusieurs années, il ne s'est montré ni dans la commune de Senneville, ni chez Mme Dourches. Lettre du préfet de la Seine-Inférieure à Réal. Archives nationales, F7 8170.

[33] Lettre du préfet de la Seine-Inférieure à Réal. Archives nationales, F7 8170.

[34] Tous ces billets en originaux ou en copies faites de la main de Licquet, se trouvent dans les cartons des Archives nationales, F7 8172.

[35] Soyer.

[36] Est-il utile de rappeler que c'est sous le pseudonyme de Deslaurières que Mme de Combray désignait toujours d'Aché ?

[37] Les plans anciens du château et du domaine de Tournebut nous ont été très obligeamment communiqués par Mme Le Villain, propriétaire actuelle. Nous lui adressons ici l'hommage de notre reconnaissance, ainsi qu'à Mmes de B... et de R..., arrière-petites-filles de Mme de Combray, qui, nées à Tournebut, nous ont fourni sur les dispositions du château, aujourd'hui démoli, de très précieuses indications.

[38] C'était un cahier grossier de papier bleuâtre portant comme titre : Notice historique sur l'assassinat de Monseigneur le Duc De. Ce cahier se trouve aux Archives nationales, F7 8170. Il contient, outre l'oraison funèbre, un précis assez exact de l'exécution du jeune prince où l'on rencontre quelques détails intéressants et qui ne me semblent pas avoir trouvé place dans d'autres récits.

[39] Le procès-verbal de cette surprenante perquisition est aux Archives nationales, F7 8172.

[40] Dans les Archives de la famille de Saint-Victor, nous avons retrouvé l'inventaire de ce riche vaisselier : il mentionne une très nombreuse vaisselle plate, écuelles, cuvettes anciennes, gobelets, réchauds, jetons, cuillers à ragoûts — six douzaines d'assiettes aux armes de Mme d'Esteville, — la mère de Mme de Combray avait épousé un d'Esteville en secondes noces, — quatorze assiettes aux armes de Mme d'Assas (?) etc., etc.

[41] Des bruits de verrous et de portes ont fait croire à Mme de Combray que le notaire est arrivé. Elle en est convaincue. Le notaire l'en prévient lui-même et lui annonce que, pour qu'en aucun cas son écriture ne soit reconnue, il l'a absolument renversée. Note de Licquet à Réal. Archives nationales, F7 8172.

[42] Voici en quels termes Licquet informait Réal de cette nouvelle ruse : Le notaire a dû dire à Mme de Combray qu'il s'était trouvé mal lors de son interrogatoire et qu'on avait été obligé de le suspendre. Il fallait bien le dispenser de communiquer à Mme de Combray, qui le demande, les questions qu'on lui a faites. Archives nationales, F7 8172.

[43] Lettre à Réal. Archives nationales, F7 8172.

[44] Déclarations de la femme Delaitre, infirmière a la conciergerie du Palais. Archives nationales, F7 8172.

[45] Elle compte tellement périr qu'elle a promis à la déclarante de lui faire cadeau de son ajustement le jour où elle montera à la guillotine, ce à quoi elle s'attend. Déclaration de la femme Delaitre.

[46] Archives nationales, F7 8170.

[47] Archives nationales, F7 8172.

[48] Archives nationales, F7 8170.

[49] Mme de Combray qui ignorait effectivement où le cheval et sa fille étaient cachés, l'a demandé à son fils Bonnœil, qui ne le sait pas non plus. On a essayé de faire passer le billet de Mme de Combray au notaire, qui, de sa main, a écrit sur le dos l'adresse de la femme et du cheval. On a mis immédiatement à leurs trousses des hommes bien adroits. Lettre de Licquet à Réal. Archives nationales, F7 8172.

[50] Rapport de Licquet au préfet de la Seine-Inférieure. Archives nationales, F7 8170.

[51] Note de Licquet. Archives nationales, F7 8170.

[52] Archives nationales, F7 8172.

[53] Le préfet du Calvados à Réal. Archives nationales, F7 8172.

[54] Au moment de fermer cette lettre arrivent les principaux agents que j'avais envoyés chez Lanoë. Le compte rendu qu'ils me font me fait renoncer à envoyer de nouveau à Falaise où l'on ne petit plus espérer de trouver Mme Acquet. M. Savoye-Rollin vous fera connaitre les motifs qui l'ont déterminé à tout suspendre.

Lettre de Licquet à Réal, 21 septembre 1807. Archives nationales, F7 8172.