LES PREMIÈRES CIVILISATIONS

TOME SECOND. — CHALDÉE & ASSYRIE. - PHÉNICIE

III. — CHALDÉE ET ASSYRIE

 

UN PATRIOTE BABYLONIEN DU VIIIe SIÈCLE AVANT NOTRE ÈRE. - MÉRODACHBALADAN[1].

 

 

Dans le mouvement de recherches et de découvertes qui, depuis cinquante ans, ouvre aux regards l'antique Orient et peut se comparer à la conquête de l'antiquité classique par les érudits et les lettrés de la Renaissance, les études assyriennes tiennent dès à présent et tendront de jour en jour à prendre davantage un des premiers rangs. Par elles seules nous arrivons à rétablir sept siècles entiers des annales de l'Asie, et sept siècles de la plus haute importance dans les fastes de l'humanité, car ce sont ceux où prennent place les récits des livres historiques de l'Ancien Testament, en même temps que s'élaborent, sous l'influence du double courant de culture asiatique produit par le contact avec les populations de l'Asie-Mineure et par les navigations des Phéniciens dans l'Archipel, les premiers germes de la civilisation grecque.

C'était encore, il y a dix ans, un véritable triomphe que de parvenir à déchiffrer un nom de roi nouveau dans les inscriptions assyriennes, à établir la succession exacte de quelques princes, à glaner, dans des textes encore imparfaitement compris, un petit nombre d'indications géographiques qui permissent de se faire une idée de l'étendue des conquêtes de tel ou tel roi. Aujourd'hui, nous sommes bien plus avancés : la série des rois est complète du quatorzième au septième siècle avant Jésus-Christ ; la charpente fondamentale de l'histoire est solidement établie ; la chronologie ne présente plus qu'une incertitude d'un petit nombre d'années. En même temps la connaissance de la langue a marché du pas le plus rapide et le plus sûr ; la grammaire est fixée, du moins dans ses points essentiels ; le lexique est déjà d'une grande richesse. Sans doute, il n'est pas encore possible, même aux plus habiles, en traduisant un document assyrien de longue étendue, d'éviter une certaine somme d'erreurs et de contre-sens qui se corrigeront plus tard avec le progrès de la science, — on en fait bien encore en grec ; — mais chaque jour ces chances d'erreur diminuent ; elles ne peuvent pas affecter le sens général du discours et ne portent que sur des phrases difficiles. On est dès à présent en mesure de présenter des textes rédigés dans la langue de Babylone et de Ninive, des traductions intégrales et suivies, aussi exactes, et méritant autant de confiance que celles de livres sanscrits ou chinois. Le progrès n'avait pas été si prompt après la première découverte dans la science de l'égyptologie, que le scepticisme le plus aveugle a cessé de nier, tandis que l'assyriologie rencontre encore des incrédules, comme toutes les vérités en ont rencontré, à commencer par le système de Copernic. Et la France peut se dire avec orgueil que dans ces résultats vraiment merveilleux elle a eu la plus grande part, grâce aux travaux d'un érudit qu'elle avait su enlever à l'Allemagne et dont elle avait fait un de ses citoyens avant même qu'il eût commencé l'œuvre qui immortalisera son nom dans l'histoire de la science. Des deux plus grandes découvertes des temps modernes dans le domaine des études de linguistique et d'érudition, celles de la lecture des hiéroglyphes de l'Égypte et des caractères cunéiformes de l'Assyrie et de la Chaldée, l'une est toute française, car elle doit sa naissance à Champollion et son dernier essor à M. de Rougé ; l'autre appartient à part égale dans sa naissance à la France et à l'Angleterre, et c'est en France qu'un Français d'adoption, élève de notre grand orientaliste Eugène Burnouf, M. Oppert, y a mis le dernier sceau en fondant les principes de la grammaire. Ce sont là des faits que nos voisins d'outre-Rhin ne parviendront point à supprimer. Le pays qui a produit en un siècle Silvestre de Sacy, Abel Rémusat, Champollion, Eugène Burnouf, Stanislas Julien, Emmanuel de Bougé, qui a vu naître les découvertes de M. Oppert et les a faites siennes, est toujours le premier dans les études qui touchent aux langues et aux antiquités de l'Orient ; et là, du moins, nous n'avons pas de revanche à prendre.

Ce qu'on sait maintenant des annales assyriennes ne se borne pas, du reste, à quelques grands traits généraux et à une sèche nomenclature de princes. Les documents historiques recueillis dans les fouilles de MM. Botta, Layard et Loftus sont dès à présent si nombreux et si développés, leur explication si avancée, que l'on peut déjà pénétrer dans le détail des événements, suivre certains règnes et certains de leurs épisodes, non seulement année par année, mais mois par mois et presque jour par jour, et que dans ces récits on voit quelques figures historiques se détacher avec un relief saisissant. On n'est pas seulement en mesure de présenter un abrégé de l'histoire d'Assyrie depuis le quatorzième siècle avant l'ère chrétienne jusqu'à la destruction de Ninive ; on peut écrire la biographie détaillée de plusieurs des personnages qui y jouent un rôle et rassembler assez de particularités vivantes pour donner de l'intérêt à une semblable biographie. La chose n'a pas encore été tentée cependant, et pour en faire le premier essai, j'ai choisi un personnage sur lequel les renseignements abondent, un personnage dont le nom se trouve cité dans la Bible, Mérodachbaladan, roi de Babylone. Un des plus grands événements racontés dans le livre des Rois est mêlé à l'histoire de ce prince et nous fournira l'occasion d'apprécier la nature des confirmations et du contrôle que les inscriptions assyriennes apportent aux récits bibliques. De plus, il m'a semblé, en étudiant les documents originaux, que Mérodachbaladan y apparaissait comme une des plus grandes et des plus nobles figures de l'histoire de l'Asie au huitième siècle. Il personnifie avec un éclat extraordinaire les revendications d'indépendance de Babylone et ses luttes pour secouer le joug assyrien ; et au travers des exploits sauvages de ces fléaux de Dieu que l'on appelle les rois d'Assyrie, dans cette monotone succession d'événements qui pendant plus de trois cents ans ne montre que des peuples écrasés par une ambition sans bornes et sans trêve, des pays dévastés, des villes brûlées, des massacres, des transportations de captifs s'étendant à des nations entières, toutes les horreurs habituelles aux empires guerriers qui ne peuvent vivre que par la conquête, on éprouve un véritable soulagement à se trouver en face d'un homme courageux qui ne cède pas au torrent ; d'un prince patriote qui ne cherche pas à subjuguer le pays des autres, mais à défendre son propre pays et à le maintenir indépendant ; qui, combattant avec une infatigable énergie pro aris et focis, tient tête aux vainqueurs de tout le reste de l'Asie ; qui, trahi plusieurs fois par la fortune, se relève toujours plein d'ardeur et n'abandonne les armes qu'avec la vie. Je ne sais si c'est un reste des sentiments que j'éprouvais avec tous les Parisiens il y a trois ans, quand j'ai appris à connaître ce que c'est que de voir l'invasion étrangère sur le sol de son pays et d'avoir à défendre ses foyers contre elle ; mais, je dois l'avouer, je me suis pris d'une sympathique admiration pour le vieil outrancier de Babylone. Cette puissante incarnation du patriotisme de la ville sacrée des bords de l'Euphrate n'a commencé à se révéler que par suite du déchiffrement des textes cunéiformes. On n'en avait auparavant aucune idée, bien que son nom figure dans le Canon de Ptolémée, dans les fragments de Bérose, et soit prononcé à la fois dans le livre des Rois et dans Isaïe ; mais on connaît aujourd'hui d'une manière très-précise les principales vicissitudes de sa vie, et ce sont ces vicissitudes que j'essaierai de raconter en les replaçant dans leur cadre historique.

 

I

La forme exacte et indigène du nom de notre héros était Mardouk-bal-iddina, le dieu Bel-Mardouk — dieu de la planète Jupiter, et protecteur spécial de Babylone — a donné le fils. Neuf sur dix au moins des noms propres assyriens et babyloniens forment ainsi une phrase complète, ayant pour sujet un nom de dieu et contenant un verbe, soit au prétérit comme le Deusdedit latin, soit à l'optatif comme le Diotisalvi florentin, soit enfin au participe. Ainsi, Salmanassar veut dire le dieu Salman favorisant, Assarahaddon que le dieu Assur donne un frère, Sennachérib que le dieu Sin multiplie les frères, Nabopolassar que le dieu Nébo protège le fils, Nabuchodorossor que le dieu Nébo protège la couronne, Sardanapale (Assourbanipal) le dieu Assur a formé le fils. De là ces noms dont la longueur semble d'abord si bizarre et qui, dans les transcriptions qu'en donne la Bible, résistaient à toutes les tentatives d'analyse philologique jusqu'à ce qu'on ait eu pénétré leur principe particulier de composition. En écrivant Mérodachbaladan pour le nom de notre roi babylonien, les Livres saints ne l'altèrent pas, comme ont fait les copistes successifs du canon de Ptolémée, qui l'ont défiguré en Mardokempad ; la charpente des consonnes reste parfaitement exacte, et on sait que c'est la seule chose qui s'écrive en hébreu. Seulement les docteurs de Tibériade qui, dans le Vie siècle de notre ère, ont ajouté les points-voyelles au texte de la Bible, pour en fixer désormais la lecture, n'avaient plus de tradition authentique sur la manière de prononcer les noms des rois de Ninive et de Babylone, l'assyrien étant dès lors une langue absolument morte, et en général ils leur ont assigné de$ voyelles inexactes. Mais pour tous les noms cités dans les Livres saints, les formes ainsi modifiées dans leur vocalisation sont tellement passées dans l'usage, qu'elles ont pris droit de bourgeoisie, et ne peuvent plus être changées sans dérouter complètement le lecteur. Tout le monde connaît Sennachérib et Mérodachbaladan, et ne saurait plus de qui il s'agit si on lui parlait de Sinakheïrba et de Mardoukbaliddina. Dans les ouvrages de science pure, il est permis, il est même bon d'employer la transcription rigoureuse des formes indigènes ; quand on écrit l'histoire en s'adressant au grand public, il faut se servir des noms consacrés par un long usage et naturalisés en Europe par la Bible. Après tout, on est obligé de faire de même pour les trois quarts des noms de l'histoire grecque, et je ne connais pas de plus ridicule et de plus faux pédantisme que celui des gens qui croient donner une couleur hellénique à leurs vers en écrivant Klytaimnestra pour Clytemnestre, ou en parlant des daimônes du foyer.

C'est à tort, et évidemment par suite d'une erreur de copiste remontant à une date assez ancienne, que la Bible dit Mérodachbaladan fils de Baladan[2] ; en réalité, il était — les monuments assyriens le répètent à plusieurs reprises — fils d'un personnage du nom de Yakin qui, comme plusieurs autres dont les noms, parfaitement obscurs, nous sont également révélés par les inscriptions, avait profité des troubles du commencement du huitième siècle pour se créer une principauté indépendante dans un canton de la basse Chaldée. Ce canton était située sur les bords de la mer[3] ; sa capitale, comme celles de toutes les petites principautés fondées à la même époque dans la même région, avait reçu le nom du roi qui y avait fixé le premier sa résidence ; elle s'appelait donc Bit-Yakin, la demeure de Yakin, et le prisme de Sennachérib[4] dit qu'elle était au bord du canal Nahar-Agamme et près des marais. Il importe de ne pas la confondre avec une ville voisine qui avait reçu, d'après le même roi, le nom de Dour-Yakin, la citadelle de Yakin, et sous les murs de laquelle se passa l'un des plus grands événements de l'histoire que nous entreprenons de raconter.

Mais avant, d'aller plus loin, il est indispensable d'établir quelle était la situation réciproque de Babylone et de l'empire d'Assyrie au moment où Mérodachbaladan apparaît sur la scène des événements, et de résumer aussi brièvement que possible les principales vicissitudes qui avaient amené cette situation. Le jour ne s'est fait que depuis peu sur cette partie de l'histoire[5], qui avait donné lieu à tant de systèmes désormais renversés, et la date que l'on avait cru pouvoir assigner au commencement de l'existence d'un royaume indépendant à Babylone se trouve être précisément celle où l'indépendance de cette ville fameuse se trouva le plus sérieusement compromise.

Babylone a été la plus grande cité du monde antique ; elle est en même temps — comme la tradition profane l'atteste, aussi bien que la tradition sacrée l'une des plus vieilles villes, et le foyer d'où les arts de la civilisation ont rayonné sur l'Asie antérieure. C'est à Babylone que l'Assyrie dut toute sa culture, son système graphique, sa religion, ses sciences, ses lois et ses usages. Mais tandis que la Babylonie et la Chaldée peuvent disputer d'antiquité avec l'Égypte pour l'existence d'un empire puissant et parvenu au plus haut point de civilisation qui, plus de deux mille ans avant notre ère, étendait sa suprématie sur la Syrie et jusqu'aux portes de la vallée du Nil, l'Assyrie, en tant qu'État et que nation unifiée, est de date comparativement récente. Dix-neuf siècles environ avant Jésus-Christ, lorsque le roi Sargon Ier, qui avait sa capitale dans la ville d'Aganê, faisait rédiger le grand Traité d'astronomie et d'astrologie que l'on possède presque en entier dans les tablettes cunéiformes du Musée Britannique, et qui montre une science déjà si remarquable, le nom même des Assyriens était encore inconnu. Pour les auteurs du Traité astronomique, les habitants du pays situé au nord de la Babylonie, et qu'arrose le fleuve Tigre, ne sont que des tribus confuses et innommées, Gutium, le goïm de la Bible. Il en était de même quand Hammouragas, roi du peuple élamite des Kassi, les Cissiens de la géographie classique, après avoir fait la conquête de la Babylonie et de la Chaldée, où il devint le fondateur d'une dynastie qui occupa le trône plus de quatre siècles, fixa le siège de son pouvoir dans la ville même de Babylone, jusque-là cité sacrée plutôt que centre politique, et lui donna une splendeur sans rivale, vers l'an 2000 avant Jésus-Christ. Cependant les villes de Ninive et d'Assour existaient déjà, puisque vers la même époque, les conquérants égyptiens de la XVIIIe dynastie en font mention sur leurs monuments, et que nous connaissons les noms de quelques-uns des pontifes du dieu Assur qui régnaient dans la seconde de ces villes, l'Elassar (Al-Assour) du livre de la Genèse.

C'est seulement dans le cours du seizième siècle que la nation assyrienne fut rassemblée en un corps par un prince du nom de Bel-pasqou, que les documents indigènes[6] appellent le roi qui marcha le premier, l'origine de la royauté, et qu'ils représentent comme le second fondateur de Ninive[7]. Les débuts du nouveau royaume furent modestes, et son pouvoir ne s'éleva que graduellement. Une des tablettes historiques conservées à Londres raconte les relations, tantôt pacifiques et tantôt hostiles, de quelques-uns de ses premiers princes avec les rois qui continuaient à Babylone la dynastie d'origine cissienne. Au commencement du treizième siècle, Salmanassar Ier se bornait encore à conquérir le canton montagneux au pied duquel sont situées les ruines de Khorsabad, et à tenter quelques expéditions vers les pays où le Tigre prend sa source[8].

Mais vers 1270 avant Jésus-Christ — cette date résulte de la concordance des données des fragments de Bérose, d'un passage d'Hérodote sur la durée de la puissance des Assyriens et d'une inscription de Sennachérib — Teglath-Samdan Ier, roi d'Assyrie, conquit les pays du bas Euphrate et soumit Babylone à la suzeraineté de Ninive[9]. Ce fut là un des grands événements de l'histoire de l'Asie antérieure, et c'est celui qu'Hérodote comptait comme point de départ de la domination des Assyriens sur cette partie du monde. Teglath-Samdan, du reste, n'osa pas réduire la cité de Bel à l'état d'une simple ville de province gouvernée par un préfet envoyé d'Assyrie. Il détrôna les rois cissiens et installa à leur place une nouvelle dynastie, d'une race différente, que Bérose qualifiait d'assyrienne, et dont les princes portent tous, en effet, des noms sémitiques. Ainsi Babylone, dans sa nouvelle condition, gardait ses rois particuliers à l'état de vassaux du monarque assyrien. Même à cette époque où son astre s'était fort éclipsé, elle pouvait, comme importance et comme population, balancer Ninive ; aussi n'était-ce pas une possession commode et facile à tenir dans l'obéissance. Ville essentiellement indocile, Babylone se révoltait à chaque instant contre ses nouveaux maîtres, aspirait à secouer le joug étranger, pour revenir à l'indépendance d'autrefois, et ses princes guerroyaient souvent contre leur suzerain.

C'est ainsi que sous le successeur même de Teglath-Samdan, Belchodorossor, le prince de Babylone, Binbaladan, non seulement se révolte, mais envahit momentanément l'Assyrie[10]. D'autres rébellions s'y succèdent presque dans chaque règne, et la plus grave est celle de Mardochidinakhé (vers 1100 avant Jésus-Christ) contre Teglathphalasar Ier. Ayant d'abord vaincu son suzerain, le prince babylonien entre en Assyrie et y met à sac plusieurs villes[11]. Quelques années après, il est battu à son tour, et Teglathphalasar emporte Babylone de vive force[12]. Deux règnes après ce monarque, qui nous a laissé un long récit de ses exploits et qui avait porté ses armes victorieuses dans le Kurdistan, dans toute l'Asie Mineure et jusqu'en Phénicie, la puissance assyrienne subit un échec des plus graves qui l'arrêta pendant quelque temps dans se essor. Assourrabamar, vaincu dans une bataille décisive par le roi des Héthéens du nord de la Syrie, perdit toutes les conquêtes de Teglathphalasar Ier au delà de l'Euphrate, événement qui permit, peu de temps après, le développement extérieur du pouvoir de David et de Salomon, et l'extension momentanée de la domination de la royauté israélite jusqu'au fleuve au delà duquel commence la Mésopotamie. En effet, l'élan guerrier de l'Assyrie se trouvait abattu pour un temps, et l'Égypte, déchirée par les querelles des grands prêtres souverains de Thèbes et des rois Tanites de la XXIe dynastie, ne pouvait pas non plus songer à des conquêtes. Or, ce n'est jamais que dans des circonstances semblables qu'une puissance politique indépendante, et de quelque importance, a pu se fonder en Syrie. Babylone profita aussi de ces événements pour échapper à la suprématie assyrienne. Après une courte guerre, dans le récit de laquelle se montre pour la première fois le nom de la ville de Bagdad, qui n'a pas changé depuis lors, on procéda entre les deux royaumes au règlement d'une frontière dont l'indication nous a été conservée, et qui demeura sans changement pendant un siècle et demi. Les rois d'Assyrie et de Babylone se donnèrent réciproquement leurs filles en mariage, et les deux pays firent la paix sur le pied d'une parfaite égalité[13]. Les monarques de Ninive ne renonçaient pourtant point à tout droit à la domination de Babylone et se refusaient encore à reconnaître dans leur langage officiel la pleine souveraineté des rois qui gouvernaient cette ville ; mais ce n'était plus là qu'une prétention purement nominale, comme celles dont tant de royautés ont eu dans tous les temps la puérile vanité de se parer.

Après cent cinquante ans de paix, la querelle se ralluma entre les deux couronnes, vers le milieu du neuvième siècle, par suite du secours que le roi de Babylone avait fourni au prince du pays de Soukhi, sur la rive droite de l'Euphrate, contre l'Assyrien Assournazirpal, le puissant conquérant, fondateur du palais dont les ruines ont été fouillées par M. Layard à Nimroud (l'ancienne Calach). Mais le monarque ninivite ne poursuivit pas les soldats babyloniens au delà de leurs frontières[14]. Ce fut son fils Salmanassar IV, non moins passionné pour les conquêtes, vainqueur d'Achab et de Jéhu d'Israël, de Benhadar et d'Hazaël de Damas, qui rouvrit la série des expéditions en Babylonie. Profitant avec habilité de la compétition des deux fils du roi Nabolabadan à la succession de leur père, il intervint en faveur d'un des prétendants, et l'installa dans Babylone après avoir vaincu et mis à mort son rival, en lui imposant, comme prix de ce service, le paiement d'un tribut et la reconnaissance de la suzeraineté assyrienne. Salmanassar n'arrêta même pas à Babylone sa marche victorieuse ; il poussa plus au sud, jusque dans les districts voisins du golfe Persique, et exigea des tributs des petits rois de la Chaldée[15]. Quand nous nous sommes servi plus haut de ce nom de Chaldée, nous l'avons fait abusivement et par prolepse. Il eût fallu, pour parler le langage des époques primitives de l'histoire du bassin de l'Euphrate et du Tigre, dire le pays d'Accad. Au contraire, quand il s'agit des événements du neuvième siècle avant notre ère, c'est le nom de Chaldée qui est le nom propre pour désigner le même pays, car il commence à se montrer dans les textes de cette époque et à y devenir prédominant. Les Kaldi ou Chaldéens proprement dits étaient une tribu de la race accadienne, qui paraît avoir été d'abord confinée dans un canton assez étroit, entre la partie la plus méridionale du cours de l'Euphrate et le désert de l'Arabie. Environ neuf cents ans avant Jésus-Christ, ils commencèrent à étendre leur domination sur tout le pays au midi de la Babylonie, qu'habitaient d'autres populations de même race, mêlées à de nombreuses tribus araméennes, et à y fonder des principautés indépendantes.

Pour affermir sa nouvelle suprématie sur Babylone et la contrée environnante, Salmanassar IV avait fait de la ville d'Assour, la plus méridionale des cités de ses États patrimoniaux, une place de guerre de premier ordre. Mais il n'était pas encore mort, que les Babyloniens profitaient de la révolte d'un de ses fils, et de la guerre civile de plusieurs années qui en fut la conséquence, pour rompre ce lien odieux, en proclamant un nouveau roi à la place de celui qui avait consenti à devenir le vassal de l'étranger. Quand Samsi-Bin, fils et successeur légitime de Salmanassar, eut enfin terminé la guerre civile d'Assyrie par la défaite de son frère rebelle, il s'occupa de réduire de nouveau Babylone[16] ; mais il n'y parvint pas du premier coup, et il lui fallut plusieurs campagnes successives pour arriver à ce résultat, car ce fut seulement dans la onzième année de son règne qu'il se rendit maitre de la ville[17]. Binnirari III, son fils, crut s'assurer la possession de la grande cité mieux que par les armes, tout en donnant satisfaction aux instincts d'indépendance du peuple babylonien, en épousant l'héritière des rois qui la gouvernaient depuis cinq siècles, Sammouramat[18], qui régna de nom à Babylone, tandis que son mari régnait à Ninive. On fit alors de grands travaux d'utilité publique dans la contrée ; le principal fut la construction des digues de l'Euphrate, qu'au temps d'Hérodote la renommée publique attribuait à la reine appelée Sémiramis par le père de l'histoire. Dominant de cette manière paisiblement sur Babylone comme sur l'Assyrie, Binnirari se vante, dans ses inscriptions, d'avoir soumis à un tribut régulier tous les petits rois des Chaldéens[19].

Mais l'union de deux couronnes, qu'il avait cru rendre éternelle par son mariage, ne paraît pas lui avoir survécu. Les trois successeurs de Binnirari furent des princes fainéants et sans énergie, sous lesquels l'Assyrie vit son vaste empire se démembrer pièce à pièce, tandis que le pays lui-même était le théâtre de troubles sans cesse renaissants[20]. Nous manquons malheureusement de documents détaillés sur les faits de cette époque ; mais les maigres indications des fragments de tables chronologiques assyriennes, connues sous le nom de Canon des éponymes, montrent les rois d'Assyrie obligés de défendre leur frontière du midi contre des attaques qui ne pouvaient venir que de la Babylonie. Entre 770 et 760, la Bible[21] parle de l'invasion d'un roi Phul, qui dévasta une partie du royaume d'Israël, emmenant les habitants en captivité. Ce nom est absolument étranger à la série des monarques assyriens ; mais Bérose le connaît comme celui d'un roi de Babylone qu'il qualifie spécialement de Chaldéen. Il résulte de tout ceci que les faibles successeurs de Binnirari ne possédaient plus la Babylonie, et qu'à défaut de princes de l'ancienne lignée royale, qui s'était sans doute éteinte dans la personne de Sammouramat, les Babyloniens avaient placé sur leur trône un des petits rois de la Chaldée, devenu bientôt assez puissant pour substituer pendant quelque temps sa propre domination à celle des Assyriens sur les provinces occidentales de l'empire, et pour porter ses armes jusqu'en Palestine. Et en effet, tout indique que c'est dans les premières années du huitième siècle que la puissance des tribus des Chaldéens proprement dits était devenue — sans doute à la faveur du déclin de l'Assyrie — définitivement et exclusivement prépondérante dans la partie méridionale du bassin des deux grands fleuves qui se réunissent pour se jeter dans le golfe Persique. Une partie de leurs principautés avaient pris alors naissance, puisque c'étaient les fils des fondateurs de ces principautés qui les gouvernaient au temps de Teglathphalasar II.

Sous ce monarque, qui n'était pas fils de roi et dont le règne paraît avoir marqué l'avènement d'une nouvelle branche de la maison royale d'Assyrie, l'empire ninivite reprit avec un éclat plus grand et plus formidable que par le passé le cours de ses conquêtes. Ce fut un infatigable guerroyeur que Teglathphalasar, et aucun des rois assyriens qui lui succédèrent ne le surpassa pour la puissance et pour l'étendue sur laquelle il promena ses dévastations. Les annales officielles de son règne, qui ne nous sont malheureusement parvenues que très-mutilées, le montrent allant en personne avec ses armées, au nord jusqu'à la Géorgie actuelle et à la mer Caspienne, à l'est jusqu'aux bords de l'Indus, à l'ouest jusqu'à la frontière d'Égypte et au cœur de l'Arabie. Dans la cour plénière qu'il tint à Damas après la défaite de Rezin, vingt-cinq rois, dont quelques-uns venus du pied du Caucase, se prosternèrent devant lui comme ses sujets ; dans le nombre les documents assyriens nomment Achaz, roi de Juda[22], et la Bible[23] raconte, en effet, comment ce prince se rendit à Damas pour porter son hommage au roi d'Assyrie et comment, à son retour, il introduisit les rites idolâtriques dans le temple de Jéhovah.

Un conquérant tel que Teglathphalasar ne pouvait pas tolérer aux portes de l'Assyrie elle-même l'indépendante de Babylone et de la Chaldée. Aussi, avec lui les rapports entre les deux pays prennent-ils une face toute nouvelle. Un duel à mort s'engage, qui durera plus de cent ans avec des phases diverses. Il ne s'agit plus pour Babylone de soumission à une suzeraineté étrangère, qui lui laissera encore une large part d'autonomie sous des rois particuliers ; c'est pour son existence même que combat la ville sacrée. Les monarques assyriens veulent y régner directement par leurs préfets, lui enlever son rang de capitale, en faire une ville de province subordonnée à Ninive. Dans cette lutte sans trêve et bientôt sans merci, les princes chaldéens deviennent les champions constants de l'indépendance de Babylone. Ce sont eux que les Babyloniens appellent à leur secours et auxquels ils offrent la couronne quand ils parviennent à repousser les Assyriens. Tel est le grand conflit dont nous allons voir se dérouler quelques-uns des principaux épisodes, et dans lequel la figure de Mérodachbaladan s'élève au dessus de celles de tous les autres adversaires de l'ambition ninivite.

Mais au seuil des événements que son nom va remplir, nous nous heurtons à un problème historique très-bizarre, dont la solution n'a pas encore été trouvée. Pendant tout son règne, l'Assyrien Teglathphalasar se pare du titre de souverain pontife, vicaire des dieux à Babylone, qui, nous le savons par des preuves certaines, implique un exercice effectif de la souveraineté dans la cité sainte. Il affirme, dans le récit officiel de ses annales, avoir été maître de Babylone comme de l'Assyrie à dater du jour de son avènement ; il précise même les faits en donnant avec détail le tracé de sa frontière du côté du sud quand il ceignit la couronne, en mai 745, et ce tracé englobe toute la Babylonie[24] ; de plus, le récit de l'expédition qu'il fit dans cette même année 745 jusqu'au golfe Persique ne parle absolument que de la défaite des tribus chaldéennes et araméennes, de la soumission des petits rois du midi ; l'armée assyrienne semble y avoir pris la Babylonie pour base d'opérations[25]. Cependant le canon des rois de Babylone que nous a conservé l'astronome grec Ptolémée, et dont l'exactitude rigoureuse est attestée par les inscriptions cunéiformes, montre le trône de cette ville occupé de 747 à 733 par un prince du nom de Nabonassar, dont l'avènement est le point de départ de l'ère célèbre à laquelle sont rapportées toutes les observations astronomiques enregistrées par Ptolémée. Qu'était-ce donc que ce Nabonassar dont le nom est absolument passé sous silence par Teglathphalasar, qui parle de tant de petits princes de peu d'importance et de simples chefs de tribus ? Tant qu'on ne possédait que le canon de l'astronome grec et qu'on croyait pouvoir ajouter foi aux fabuleuses légendes de Ctésias sur l'existence d'un empire assyrien fondé par Ninus et Sémiramis et maître paisible de Babylone depuis 1200 ans, on avait supposé que le début de l'ère de Nabonassar marquait la date à laquelle Babylone avait échappé à la domination de cet empire. Faut-il, au contraire, V voir maintenant une date d'asservissement, regarder Nabonassar comme un simple préfet assyrien, ou du moins un vice-roi assez annulé pour que son maître n'ait pas même daigné le nommer, et trouver un indice de conquête brutale dans cette destruction des documents historiques antérieurs dont la postérité attribuait l'ordre à Nabonassar ? ou bien l'ère en question fut-elle une ère purement astronomique, sans rapport avec les événements de la politique, et déterminée, comme je l'ai conjecturé ailleurs, par l'adoption de l'année solaire de 365 jours ¼ à la place de l'année lunaire dans l'usage civil de Babylone ?

Quoi qu'il en soit de ces questions auxquelles on ne saurait aujourd'hui donner de solution satisfaisante, il est certain que Babylone profita de l'éloignement de Teglathphalasar, parti pour aller combattre en Palestine et en Arabie, et des difficultés qu'il rencontra dans le siège de Damas, prolongé pendant deux années entières, et se mit en état de rébellion dans le cours de l'an 733. Le canon de Ptolémée place alors l'avènement d'un roi du nom de Nabius, dans lequel on ne peut méconnaître le prince chaldéen Nabou-yousabsi, appelé par les Babyloniens de son petit État héréditaire, situé, au milieu des marais voisins de la mer, et vaincu en 731, l'année même où Ptolémée place la fin du règne de Nabius, par Teglathphalasar qui le poursuivit jusque dans la ville d'où il était venu, s'empara de sa personne et le fit mettre en croix[26]. Vainqueur de cette rébellion, le monarque ninivite annexa formellement Babylone à l'Assyrie et n'y admit même plus de vice-roi. Mais les Babyloniens des temps postérieurs ne voulurent jamais reconnaître comme légitime son pouvoir, imposé par la force des armes et à qui des circonstances que nous ignorons avaient donné sans doute un caractère particulièrement odieux. Au lieu du nom de Teglathphalasar, la liste conservée par Ptolémée enregistre, à partir de 731, celui de Kin-zir, le seul des princes chaldéens qui ont tenu tête avec avantage au conquérant et qui, vainement assiégé dans la ville de Sapiya, sa capitale, fût parvenu à maintenir son indépendance[27]. C'est dans le récit de ce siège de Sapiya que le nom de Mérodachbaladan est prononcé pour la première fois : Son père était déjà mort, et il gouvernait la principauté de Bit-Yakin. C'était un prince riche par le commerce maritime que ses États entretenaient, et on le qualifie de roi de la mer. Avec d'autres petits rois chaldéens, il vint au camp de Teglathphalasar demander l'aman et apporter des présents considérables[28]. L'assyrien dit l'avoir reçu avec faveur ; il ne se doutait pas de l'intensité de haine qui, sans doute, couvait déjà dans ce cœur. Sylla, dit-on, reconnut que César, encore adolescent, portait en lui plusieurs Marius ; il ne paraît pas que Teglathphalasar ait deviné, dans le jeune homme prosterné à ses pieds au camp devant Sapiya, le redoutable antagoniste qui devait, quelques années après, balancer la fortune de l'Assyrie.

A la mort de Teglathphalasar, en 727, tandis que Salmanassar VI montait sur le trône de Ninive, le canon de Ptolémée mentionne l'avènement à Babylone d'un nouveau prince qu'il appelle Ilulæus, forme grécisée sous laquelle on reconnaît sans peine un nom fréquemment porté par les Assyriens et les Babyloniens, Ouloulaï, celui qui est né dans le mois d'ouloul (août-septembre). Le nouveau souverain de l'Assyrie renonçait au système du gouvernement direct de Babylone, adopté pendant les quatre dernières années de son père, pour revenir à celui de la vice-royauté ; car il semble qu'Ilulæus, dont nous ne possédons, du reste, aucun monument, était un vassal installé par les Assyriens.

Il gouverna jusqu'à la fin de 722 ou au commencement de 721, époque où le canon fait finir son autorité. Celui qui le remplaça fut Mérodachbaladan, qui transporta le siège de son pouvoir de Bit-Yakin à Babylone et prit dans cette ville la situation d'un roi pleinement indépendant de l'Assyrie. Ce changement de souverain à Babylone coïncide avec l'interrègne troublé de plusieurs mois qui suivit chez les Assyriens le décès de Salmanassar VI, mort sans enfants pendant la durée du siège de Samarie. L'interrègne se termina par l'élection de Sargon, que proclamèrent les grands de l'Assyrie rassemblés à Harran et décidés — Sargon le raconte en termes formels[29] — par l'augure tiré d'un phénomène céleste, l'éclipse de lune du 19 mars 721, fameuse dans les fastes de l'astronomie. Une telle coïncidence ne peut être l'effet du hasard. Le changement fut une révolution ; Mérodachbaladan, répondant à la pressante invitation des patriotes de Babylone, saisit l'occasion favorable que lui offrait l'état de désordre où l'Assyrie se trouvait pendant la vacance du trône, pour renverser un prince qui représentait la domination assyrienne et pour se faire roi à sa place, en secouant toute dépendance étrangère. Le choix des Babyloniens s'était porté sur lui parce qu'il était dés lors le plus puissant parmi les princes des provinces méridionales et le plus capable de bien défendre sa nouvelle couronne. Il avait, en effet, mis à profit les dix ans qui s'étaient écoulés depuis le siège de Sapiya, et il était parvenu à faire accepter sa suprématie par tous les Chaldéens ; car dans les différentes guerres qu'il eut à soutenir, et même au milieu de ses plus grands malheurs, les chefs des tribus de la Chaldée ne cessèrent pas de le traiter comme leur maître légitime et de combattre à ses côtés en fidèles auxiliaires.

 

II

Sargon ne se jugea pas en mesure de réduire tout d'abord la révolte de Babylone. Occupé pendant les premières années de son règne des affaires de la Syrie et de la Palestine, où il prit et détruisit Samarie, puis de celles de l'Arménie, où il poursuivit de longues et sanglantes guerres, il laissa Mérodachbaladan régner paisiblement sur la cité de Bel. Le canon de Ptolémée et les inscriptions de Sargon sont d'accord pour attribuer douze ans de durée au pouvoir du roi babylonien. Nous ne possédons de monuments de son règne que de petites olives de terre cuite percées d'un trou pour être portées au col, sur chacune desquelles on lit un nom de femme avec la mention de ce qu'elle a été achetée par tel homme aux fêtes du mois de schebat[30]. Ce sont des monuments de l'usage babylonien qu'Hérodote[31] décrit en ces termes : Chaque année, dans toutes les localités, ils procèdent ainsi. Toutes les jeunes filles en âge de se marier sont réunies et conduites en un même lieu ; autour dont Isaïe empêcha par ses conseils Ézéchias d'écouter les propositions d'alliance intime du Babylonien. Ceci se passait en 714-713, au plus fort des guerres de Sargon en Arménie et en Médie. Les inscriptions de Khorsabad nous apprennent qu'à la même date Mérodachbaladan formait une alliance offensive et défensive avec Khoumbanigas, roi d'Élam[32]. Ce roi l'avait déjà aidé à monter sur le trône, et, aussitôt après avoir été proclamé, Sargon lui avait livré, en 721, dans les plaines de Kalou, une grande bataille où les Élamites avaient été défaits[33], et à la suite de laquelle les Assyriens avaient opéré une rapide razzia dans la partie orientale de la Babylonie[34].

La situation du royaume de Juda au temps d'Ézéchias était extrêmement périlleuse, et la brillante renaissance qui marqua ce règne semble au premier abord un phénomène inexplicable. Bien plus riche et plus étendu que celui de Juda, le royaume d'Israël venait de succomber sous les coups de Sargon, qui avait également conquis le pays des Philistins et vaincu à Raphia Sabacon, le pharaon éthiopien qui régnait sur l'Égypte. Moab, Ammon et Édom reconnaissaient aussi la suprématie du monarque de Ninive, et le petit royaume d'Ézéchias restait comme un îlot environné de tous les côtés par les flots envahissants de la puissance assyrienne. Comment parvint-il à n'être pas submergé, à demeurer prospère et entièrement indépendant durant ces vingt-neuf ans, dont la paix ne fut troublée qu'une seule fois, par l'expédition de Sennachérib ? Sans doute la situation intérieure du pays de Juda n'offrait pas autant de prise aux machinations étrangères que celle d'Israël. Là, malgré les écarts de plusieurs rois et d'une partie du peuple, le sanctuaire central et la dynastie de David avaient jusqu'alors empêché les débordements de l'irréligion et des passions politiques qui avaient été si funestes au royaume d'Israël. Les prophètes étaient mieux écoutés ; les prêtres exerçaient une grande influence ; l'État et la dynastie leur avaient dû le salut aux jours funestes d'Athalie. Israël n'avait eu que quelques moments d'éclat et de bonheur sous le roi Jéroboam II, tandis que Juda avait joui de nombreuses années de gloire et de prospérité sous les règnes heureux d'Asa, de Josaphat et d'Ozias. En outre, la position géographique de Juda au milieu des montagnes était des plus avantageuses, et Jérusalem surtout offrait de grands moyens de défense. Mais tout cela n'eût pas suffi à préserver le pays, car les Assyriens avaient surmonté bien d'autres obstacles, et en cas de conflit le microscopique royaume de Juda ne pouvait guère espérer, sans un secours surnaturel, de tenir tête au colosse qui l'enserrait de toutes parts. Il dut exclusivement la prospérité et l'indépendance complète dont il jouit, tant que vécut Ézéchias, à la sage politique de ce prince et à la docilité avec laquelle il écoutait la parole d'Isaïe, qui n'était pas seulement un prophète inspiré, mais un véritable homme d'État, et qui remplissait auprès de lui le rôle de conseiller intime, presque de premier ministre.

Quelle devait être l'attitude du roi de Juda par rapport à la monarchie assyrienne ? Achaz, sourd aux généreuses objurgations d'Isaïe, n'avait vu de salut que dans un honteux abaissement, qui avait fait de lui le tributaire de Teglathphalasar et l'avait mis sur le pied des autres rois vassaux de la Syrie, dont il copiait l'idolâtrie. Continuer cette politique était forcément la ruine du royaume, qui renonçait à sa mission providentielle et abdiquait toutes les espérances d'avenir assurées par les promesses divines. Mais ce n'était pas courir moins certainement à la perte que de s'abandonner aux passions opposées. du parti militaire. Celui-ci, qui prédominait dans les classes élevées et qui, bien qu'il comptât parmi ses adhérents quelques prêtres, voyait les choses à un point de vue tout mondain, faisait peu de fond pour le salut du pays sur l'effet de la piété et de la confiance en Jéhovah. Il ne pensait qu'à la guerre, insistait auprès du roi pour lui faire joindre ses efforts à ceux de tout ennemi qui se levait contre l'Assyrie. Il comptait surtout sur les chevaux et les chariots de l'Égypte, et prônait l'idée d'une alliance avec ce pays pour repousser en commun les Assyriens, dont la présence en Palestine menaçait également les deux contrées. Isaïe s'élevait avec force contre l'alliance égyptienne, que son esprit plus clairvoyant lui faisait voir comme essentiellement précaire, sans force réelle, inutile et même dangereuse pour la Judée. Il repoussait d'ailleurs toute idée d'unir la cause du royaume de Juda à celle d'un autre pays. Sa politique était purement nationale ; c'était une politique de paix et de réforme intérieure. Relever le royaume par un retour à une observation plus exacte de la loi religieuse, qui, même à ne regarder les choses que du côté humain, faisait toute la force de Juda et empêchait la nation de se dissoudre en la préservant des influences étrangères ; en même temps, à l'extérieur, se maintenir, à l'égard du terrible voisin dont il était si dangereux d'exciter la colère, dans une attitude de neutralité fière qui, sans donner de sujet de plainte, n'allât pas jusqu'à la soumission : telle était la conduite qu'Isaïe inspirait à Ézéchias et qui valut à Juda vingt-neuf ans d'une admirable prospérité. Une seule fois le roi n'écouta pas le prophète et prêta l'oreille aux excitations du parti militaire ; un miracle put seul alors sauver Jérusalem.

Quand les ambassadeurs de Mérodachbaladan vin-riva à sa cour pour solliciter son alliance, Ézéchias fut un moment ébranlé dans les sages résolutions que lui inspirait Isaïe. Son orgueil fut flatté de la démarche du roi de Babylone, et sans prendre encore de résolution décisive, il se complut à faire, devant les ambassadeurs, montre des trésors de toute nature et des moyens militaires qu'il avait pu accumuler dans ses caisses et dans ses arsenaux à la faveur de quatorze ans d'une politique de paix. Isaïe lui reprocha cette vanité imprudente qui pouvait le mener si loin, cet étalage de ressources dont le bruit seul pouvait éveiller l'attention du souverain de l'Assyrie et devenir prétexte à une rupture. Éclairé par une vue prophétique, il dévoila même au roi les secrets de l'avenir pour achever de le détourner d'une alliance avec Mérodachbaladan et les Babyloniens, en lui disant : Des jours viendront où l'on emportera à Babylone tout ce qui est dans ta maison et ce que tes frères ont amassé jusqu'à ce jour ; rien n'en restera, dit Jéhovah, et tes propres descendants seront pris pour être des eunuques dans le palais du roi de Babylone.

Une partie des lecteurs sera sans doute étonnée au premier abord de nous voir placer ainsi sous le règne de Sargon en Assyrie l'ambassade de Mérodachbaladan auprès d'Ézéchias. En effet, dans le texte de la Bible tel qu'il est parvenu jusqu'à nous, les choses se présentent autrement. Le grand morceau qui occupe plusieurs chapitres du second livre des Rois (le quatrième, suivant le système de division de la Vulgate), et se trouve ensuite, en termes identiques, inséré parmi les prophéties d'Isaïe, commence ainsi : Dans la quatorzième année du roi Ézéchias, Sennachérib, roi d'Assyrie, monta contre toutes les villes fortes de Juda et les conquit. Suit le récit de l'expédition de Sennachérib, la sommation adressée à Jérusalem et le désastre envoyé de Dieu qui détruisit l'armée assyrienne. Vient ensuite la narration de la maladie d'Ézéchias, reliée à ce qui précède par les mots : En ce temps Ézéchias tomba malade à mourir, et c'est après la guérison du roi que le texte sacré raconte l'ambassade de Mérodachbaladan. Jusqu'au jour où la lecture des documents assyriens originaux a donné les moyens de contrôler le récit biblique, cet ordre dans la succession des faits devait naturellement être adopté avec confiance, et c'est encore ainsi qu'ils sont présentés dans presque toutes les Histoires saintes, même celles qui paraissent encore actuellement. Cependant les fondateurs de la science assyriologique ont pu reconnaître de bonne heure, devant le témoignage précis des textes contemporains des événements eux-mêmes, que le verset où l'expédition de Sennachérib est rapporté à la quatorzième année d'Ézéchias renfermait une erreur de date, car la quatorzième année du roi de Juda (714-713 av. J.-C.) tombe en plein règne de Sargon sur l'Assyrie, neuf ans avant l'avènement de Sennachérib. Bientôt d'ailleurs il leur fut possible de constater dans le morceau biblique dont nous venons de rappeler l'ordonnance une interversion du récit, qui existait déjà, du reste, quand fut faite la traduction grecque des Septante.

En effet, l'attaque de Sennachérib contre le royaume de Juda est fixée d'une manière précise à la troisième campagne de ce monarque et à l'an 700 av. J.-C. par le texte des annales de son règne, inscrit sur un prisme de terre cuite que possède le Musée Britannique. Il est dit, en effet, qu'elle précéda d'une année l'installation d'Assournadinsoum comme vice-roi à Babylone, événement dont nous aurons à reparler un peu plus tard et qui est inscrit en 699 dans le canon astronomique de Ptolémée. Par conséquent, l'expédition du roi d'Assyrie contre la Judée eut lieu dans la vingt-huitième et non pas dans la quatorzième année d'Ézéchias.

La maladie du roi de Juda, suivie de la venue des envoyés de Mérodachbaladan, est, au contraire, antérieure et appartient en réalité à la quatorzième année d'Ézéchias. Il est facile de le prouver pour la maladie du pieux monarque au moyen du texte même de la Bible. En effet, le prophète Isaïe promet au nom de l'Éternel à Ézéchias malade que quinze ans seront encore ajoutés à sa vie[35], et il mourut après vingt-neuf ans de règne. Ce qui cause la douleur profonde du roi à l'idée qu'il va succomber à son mal, c'est de ne pas avoir d'héritier de son sang, et plus tard son fils Manassé, né postérieurement, lui succéda à l'âge de douze ans[36]. Enfin, Dieu prédit à Ézéchias, par la bouche d'Isaïe : Je te délivrerai, toi et cette ville, de la main du roi d'Assyrie, et je protégerai la ville à cause de moi-même et en considération de David, mon serviteur[37]. Donc la maladie du roi est antérieure à l'expédition des Assyriens et à la protection miraculeuse qui couvrit Jérusalem. On serait même en droit de s'étonner qu'un verset aussi formel n'ait pas depuis longtemps éveillé l'attention des interprètes, en les mettant sur la voie du bouleversement établi dans l'ordre des événements.

Quant à la venue des envoyés babyloniens, qui eut lieu réellement dans le même temps, elle est également datée par la mention que fait Sargon des ambassades de Mérodachbaladan. Et là encore les expressions du texte biblique contiennent, dans l'état actuel, une si choquante impossibilité, qu'elle rend l'interversion manifeste. En effet, la Bible[38] et le prisme assyrien. de Londres sont d'accord pour dire qu'à un moment de l'expédition de Sennachérib, Ézéchias tenta de se racheter, lui, et son peuple, en payant au roi d'Assyrie un tribut d'or et d'argent ; les deux sources indiquent même d'une manière conforme le chiffre de ce tribut. La Bible ajoute qu'après avoir pris tout ce qu'il y avait dans le trésor royal et dans le trésor du Temple, Ézéchias, pour parfaire un aussi énorme poids de métaux précieux, fut obligé de briser les portes du temple de Jéhovah, d'arracher les lames d'or dont elles étaient revêtues et de les donner au roi d'Assyrie[39]. Or, quand les ambassadeurs de Babylone arrivent à Jérusalem, il est dit : Ézéchias les accueillit, et il leur montra toute la maison, son or et son argent, tous ses aromates et ses huiles parfumées, tous ses vases précieux, et tout ce qu'il avait dans ses trésors[40]. Comment eût-il pu montrer avec orgueil des trésors aussi bien remplis immédiatement après qu'il venait de les épuiser pour fournir un tribut au roi d'Assyrie, et d'être même obligé de porter la main sur les richesses du Temple dans un moment d'urgente nécessité ?

Il est donc évident que le récit de la maladie d'Ézéchias et de l'ambassade de Mérodachbaladan, qui forme dans nos textes actuels les chapitres XX du second livre des Rois, XXXVIII et XXXIX d'Isaïe, précédait dans le texte primitif le récit de l'invasion de Sennachérib, actuellement chapitres xviii et XIX du second livre des Rois, XXXVI et XXXVII d'Isaïe, puisque ce sont ces deux événements qui ont eu lieu dans la quatorzième année du roi Ézéchias. La narration relative à Sennachérib, qui venait après, commençait sans doute seulement par les mots : dans la quatorzième année, après les événements précédemment racontés. C'est par les copistes qu'ont été ajoutés à la suite les mots : du roi Ézéchias, postérieurement à l'interversion, née sans doute d'une confusion entre les deux quatorzièmes années, celle du règne et celle après la maladie d'Ézéchias. Puis, trouvant deux fois de suite l'énoncé de la même date, on l'aura remplacée la seconde fois par les simples mots : en ce temps.

Et que des esprits trop timorés ne regardent pas comme une audace téméraire de toucher ainsi au texte sacré, et d'y signaler des transpositions aussi considérables. Comme l'a dit le savant abbé Le Hir, dont j'aime à invoquer l'autorité, quelque soin que les Hébreux aient apporté dans la transcription de leurs livres, il était impossible, à moins d'un miracle perpétuel, qu'il ne s'y glissât pas des fautes. Il paraît même que ces fautes sont anciennes. L'exactitude minutieuse dont les scribes hébreux se piquent aujourd'hui dans la reproduction du texte massorétique n'a pas toujours été la même. Les variantes qu'on remarque entre le texte des Juifs, celui des Samaritains et celui des Septante, dans le Pentateuque, en font foi. Les manuscrits hébreux dont s'est servi saint Jérôme étaient, sans contredit, plus corrects que celui des traducteurs grecs, et toutefois ils n'étaient pas sans tache. Il y a des fautes qui ont passé dans tous les manuscrits et dans toutes les anciennes versions, et dont on s'aperçoit par le sens ou par la comparai son des endroits parallèles.

 

III

C'est seulement au printemps de 710, dans la douzième année de Sargon et de Mérodachbaladan, que l'orage, longtemps amassé en silence, fondit sur le roi de Babylone. Le monarque assyrien, n'ayant plus rien à craindre du côté du nord ni du côté de l'ouest, où ses précédentes campagnes avaient assuré l'obéissance des populations et de leurs princes, pouvait désormais tourner ses efforts contre Mérodachbaladan, et il avait tout fait pour assurer le succès de son expédition, en accumulant les plus vastes préparatifs. Son adversaire n'était pas non plus demeuré inactif ; il s'était assuré le concours du nouveau roi qui venait de monter sur le trône d'Élam, Soutrouk-Nakhounta[41] ; il avait levé des troupes nombreuses, réparé les forteresses de la Chaldée et de la Babylonie, et rassemblé un matériel très-considérable. La guerre est racontée incomplètement, et avec un certain désordre dans l'enchaînement des faits, par la grande inscription du palais de Khorsabad, objet des études communes de MM. Oppert et Ménant, qui l'ont qualifiée de Fastes de Sargon ; mais l'autre inscription, plus développée encore, du même palais, dont, M. Oppert a donné la traduction dans l'ouvrage de M. Place[42], et qu'on appelle l'Inscription des Annales, à cause de la façon dont elle raconte les faits du règne de Sargon année par année, en fournit un récit plus complet et plus détaillé, où les événements se suivent dans un ordre plus exact. Nous prendrons pour guide ce document épigraphique, dont le développement égale un livre d'histoire, en laissant, autant que nous pourrons, la parole à la rédaction officielle du monarque d'Assyrie.

Conformément au plan stratégique presque constamment suivi par les rois assyriens dans leurs campagnes contre la Babylonie et la Chaldée, qui avaient l'appui des Élamites ou Susiens quand il s'agissait de combattre la puissance de Ninive, Sargon ne vint pas se heurter directement contre Babylone, qui, adossée à tout le pays en armes, lui eût offert dès l'abord une résistance presque invincible. Laissant derrière lui les forteresses de la Babylonie, en se bornant sans doute à les masquer par quelques corps détachés, il opéra le long du Tigre, marchant droit au sud, vers la basse Chaldée et les marais de la Characène, pour couper Mérodachbaladan et ses partisans des Élamites, se réservant de revenir ensuite sur Babylone et les villes voisines, qui, désormais isolées, devaient bientôt tomber en son pouvoir. On voit que les fameux mouvements tournants, dont il a été si souvent question depuis quelques années, ne sont pas une invention d'hier. Le plan de Sargon, fort habilement conçu, réussit entièrement.

Mérodachbaladan, dit l'inscription des Annales, apprit l'approche de mon expédition ; il arma ses places fortes, rassembla les divisions de son armée, et concentra toutes les troupes du pays de Gamboul dans la ville de Dour-Atkhar, et quand mon armée arriva, il en augmenta la garnison, en leur laissant 600 cavaliers et 4,000 fantassins auxiliaires, qui formaient l'avant-garde de son armée. Ils ajoutèrent des ouvrages nouveaux à ceux que leur forteresse possédait déjà, et ils ouvrirent un fossé communiquant avec le canal Sourappi[43]. Le pays de Gamboul, dont les inscriptions d'Assarahaddon[44] parlent encore avec des détails fort précis, était situé le long du Schattel-Arab actuel, c'est-à-dire du cours unique dans lequel les eaux du Tigre et de l'Euphrate se rejoignent avant de se jeter dans la mer ; les géographes arabes du moyen âge connaissent encore dans les marais de cette contrée une tribu de Djounboula. Quant au canal appelé Nahar-Sourappi, j'y reconnais le Maarsarès de la géographie de Ptolémée, le Marsès d'Ammien Marcellin, qui s'embranchait sur l'Euphrate un peu au-dessus de Babylone, et coulait parallèlement à ce fleuve, au travers des provinces de sa rive arabique, jusque vers l'endroit de son confluent avec le Tigre. Je marchai, continue le roi assyrien, jusqu'à l'heure du coucher du soleil, et j'enlevai 18.430 hommes avec tout ce qu'ils possédaient : chevaux, ânes, mulets, chameaux, bœufs et moutons. Le reste s'enfuit devant mes armes, et se dirigea vers le canal Oukni, l'inguéable, et les roseaux des marais[45]. Le canal Oukni, qui se décharge dans la mer, et qui se divisait en deux parties, supérieure et inférieure, d'ou l'on disait quelquefois les deux Oukni, est fréquemment cité dans les textes historiques en écriture cunéiforme, comme le plus important de ceux de la région touchant directement an golfe Persique. Il n'y a donc pas moyen d'hésiter à y voir le célèbre canal que les géographes classiques appellent Pallacopas, et qui, débouchant dans la mer auprès de l'emplacement de Térédon, était, en réalité, la vraie terminaison de l'Euphrate. Le colonel Chesney, dans sa belle exploration du grand fleuve asiatique, en a reconnu le cours et l'embouchure[46].

Le récit assyrien, où nous avons laissé le roi devant Dour-Atkhar, continue ainsi : Les fugitifs entendirent que j'assiégeais la ville ; ils laissèrent là leur courage, et se dispersèrent comme des oiseaux, emmenant des bords du canal Oukni leurs richesses en bœufs et en moutons. Je rebâtis la ville à nouveau, et je l'appelai Dour-Nabou (la citadelle du dieu Nébo). Je plaçai au-dessus de ses habitants un de mes officiers comme gouverneur, et je leur imposai comme tribut annuel 1 talent et trente mines d'argent, 2.000 médimnes de blé (de 63 litres chacun), 1 bœuf sur 20, et un mouton sur 10. Suit une longue énumération des villes des six districts du pays de Gamboul et des cantons voisins, qui firent alors leur soumission, et qui, suivant les expressions du texte, furent ajoutées aux domaines de la couronne d'Assyrie, c'est-à-dire furent organisées en une province directe, avec, à sa tête, au lieu d'un roi, un satrape (salat) assyrien[47].

Les tribus de Roukha, de Khindar, de Yatbour, de Bouqoud — mentionnée sous le nom de Peqoq par Jérémie[48], — apprirent la conquête de Gamboul ; elles se retirèrent aux approches de la nuit et se dirigèrent vers l'Oukni inguéable. Je jetai sur le canal Oumlias, le fleuve de leur... — évidemment un des canaux entre le Schatt-el-Arab et l'antique Pallacopas — un pont en troncs d'arbres et en clayonnages, et je fis construire deux forts (en tête de pont) au delà de la rivière. Je laissai les gens de ces tribus emmener ce qui leur appartenait, et ils s'en allèrent des abords de l'Oukni et baisèrent mes pieds. Ici encore se place dans le texte la liste des émirs (nasikati) des tribus susnommées, qui vinrent faire leur soumission au roi d'Assyrie ; leurs noms n'offrent aucun intérêt pour l'histoire, et je craindrais qu'une semblable énumération ne déroutât le lecteur en fatiguant son attention ; il ne faut pas abuser des noms insolites et bizarres. Je leur pris des otages, continue le roi, et je leur imposai des impôts pareils à ceux des Assyriens. Je les plaçai sous la main de l'officier supérieur de mes armées, satrape de Gamboul[49].

Le reste des peuplades araméennes (Arime), gens pervers, et tous ceux qui habitent leurs districts, avaient placé leurs espérances en Mérodachbaladan et en Soutrouk-Nakhounta, et s'étaient dirigés sur le canal Oukni. Je ravageai comme la foudre leur pays, les cantons étendus qui sont leur demeure. Je rasai les palmiers de leurs plantations, leurs vergers, les récoltes de leurs districts, et je donnai leurs villages (à piller) à mon armée. J'envoyai celles-ci sur le canal Oukni, à l'endroit où devaient se réunir leurs bandes dispersées ; elle les combattit et les mit en fuite. Nous omettons la liste des quatorze villes fortes situées le long de l'Oukni, qui capitulèrent devant les troupes assyriennes et envoyèrent des députés pour se soumettre à Sargon. Il les réunit, elles aussi, à la nouvelle satrapie établie dans le pays de Gamboul[50].

Ici le récit passe brusquement à la prise de deux villes d'Élam, dont les gouverneurs furent emmenés captifs en Assyrie avec leurs garnisons, et à la soumission de tous les chefs du pays de Yatbour, qui paraît avoir été situé sur la rive gauche du Tigre. Sargon leur donna les deux villes élamites dont il venait de s'emparer, en échange de plusieurs forteresses de leur propre pays, qui furent annexées au territoire de l'Assyrie en même temps que les villes des Susiens situées sur le fleuve Naditi, l'Abou-Tib ou le Dawaridj de nos jours. La mention de localités aussi éloignées du point où se trouvait le roi est expliquée par une phrase qui termine cette partie du texte et où nous lisons, après les noms de quatre autres villes : Ces refuges fortifiés du pays de Rasi avaient en même temps cédé devant mes batailles puissantes, qui étaient entrées dans la ville de Bit-Imbi ; et Soutrouk-Nakhounta, leur roi, s'était replié avec eux dans les montagnes reculées pour sauver sa vie. Le pays de Rasi était un territoire toujours contesté entre les Assyriens et les Élamites ; les documents cunéiformes en déterminent la position d'une manière très-précise entre le Tigre et les montagnes de la Mésobatère, au nord de la Susiane et au-dessous de la Sittacène ; le prophète Ézéchiel le cite deux fois[51] en même temps que les pays des Moschiens et des Tibaréniens, sous le nom de Ros, où des commentateurs à l'imagination vive n'avaient vu rien moins que les Russes ! Une seconde armée assyrienne opérait donc sur la rive gauche du Tigre, attaquant directement la Susiane par le pays de Rasi, tandis que le roi en personne marchait par la rive droite du même fleuve, soumettait la Characène et pénétrait jusqu'à l'Oukni ou Pallacopas. Les mouvements de Sargon avaient été assez rapides pour lui permettre de surprendre en flagrant délit de concentration les contingents de la Chaldée, que Mérodachbaladan, pris au dépourvu par la promptitude de la conquête du pays de Gamboul, rassemblait sur la ligne du grand canal, et de les battre en détail avant leur réunion. Il continue ainsi son récit : Avec l'aide des dieux Assur, Nébo et Mardouk[52], je traversai l'Euphrate, suivi de la force de mes armées, et je dirigeai ma force vers la ville de Dour-Ladinna, au pays de Bit-Dakkour ; je refis à nouveau la ville de Dour-Ladinna, et j'y réunis mes soldats, l'élite de mes batailles[53]. Ayant soumis les provinces les plus méridionales, celles qui tiennent au golfe Persique, depuis le Schatt-el-Arab jusqu'à la lisière du désert arabique, et solidement occupé la ligne du Tigre et du Schatt-el-Arab, le roi d'Assyrie remonte désormais vers le nord et marche sur Babylone, que les Élamites ne peuvent plus secourir. Pour entrer de la contrée arrosée par l'Oukni ou Pallacopas dans la Babylonie proprement dite, il lui fallait en effet franchir l'Euphrate, dans la portion de son cours qui va rejoindre le Tigre avant de se jeter avec lui dans la mer. Le pays de Bit-Dakkour (ou É-Dakkour, suivant la lecture accadienne), qui formait une principauté indépendante depuis près d'un siècle, était au sud de Babylone, mais non à une très-grande distance de cette cité[54]. On pourrait assimiler avec une forte vraisemblance la ville qui y avait donné son nom à l'Idicara que le géographe Ptolémée place dans la Babylonie, au bord de l'Euphrate, entre Babylone et Orchoé (Érech).

La gloire des dieux Assur, Nébo et Mardouk, que j'avais répandue sur ces contrées, Mérodachbaladan, roi de Kar-Dounyas[55], l'entendit à Babylone au milieu de son palais ; la défiance dans ses forces le domina ; il fit sortir de nuit avec ses auxiliaires ses propres troupes, et dirigea ses pas vers le pays de Yatbour, touchant au pays d'Élam. Il avait donné en présent d'hommage son sceptre d'argent, son trône d'argent, son parasol d'argent, son... d'argent, les insignes de sa royauté, d'un poids considérable, à Soutrouk-Nakhounta l'Élamite, pour qu'il soutint son parti[56].

Suivent des phrases encore très-difficiles à traduire, et que M. Oppert lui-même ne nous semble pas être parvenu à rendre d'une façon pleinement satisfaisante. On en discerne du moins le sens général ; elles dépeignent Mérodachbaladan dérobant sa marche à la connaissance des Assyriens. Après avoir franchi le Tigre, sans doute avec la connivence des populations qui lui demeuraient favorables, sur un point où la garde en était insuffisante, il arrive dans le pays de Yatbour, mais il reconnaît l'impossibilité de s'y maintenir ; les forteresses du pays étaient, en effet, comme nous venons de le voir, occupées par des garnisons assyriennes ; les gens de Yatbour avaient fait leur soumission et ne se souciaient pas de recommencer la lutte ; enfin dans cette province il lui était impossible de se remettre en communication avec les Élamites, ses alliés. Aussi le texte ajoute-t-il : Lui et ses auxiliaires retirèrent leurs combattants de Yatbour ; il se rendit à la ville d'Iqbi-Bel et y resta en sûreté[57]. On verra tout à l'heure, par la marche de la campagne de l'année suivante, que cette ville d'Iqbi-Bel était située dans le pays même de Bit-Yakin ou dans ses environs immédiats, c'est-à-dire dans la région littorale qui s'étend de la rive gauche du Schatt-el-Arab à l'ancienne Susiane. Coupé des Élamites et obligé par l'habile stratégie de Sargon d'évacuer Babylone sans combat, de peur de s'y trouver enfermé et fatalement pris, Mérodachbaladan se repliait sur son ancienne principauté pour y livrer une dernière et décisive bataille ; il espérait d'ailleurs rétablir des rapports avec son allié de Suse et peut-être en recevoir des secours, la principauté de Bit-Yakin, qui paraît avoir formé une étroite bande de territoire étendue d'ouest en est, touchant par une de ses extrémités au pays d'Élam. Mais pour appuyer à une forteresse importante les débris de son armée, Mérodachbaladan était obligé de lui faire prendre position à l'autre extrémité de son pays, et dès lors sa communication avec Élam devenait tout à fait incertaine et précaire, menacée qu'elle était par l'armée assyrienne qui tenait la contrée de Yatbour ; aussi l'année suivante Soutrouk-Nakounta le laissa-t-il écraser sans faire un mouvement pour le secourir.

Pendant que Mérodachbaladan se dérobait ainsi, Babylone, dont les fortifications devenaient inutiles, ouvrait ses portes au vainqueur et envoyait des députés lui apporter sa soumission avant même qu'il eût encore paru devant ses murs. Les gens de Babylone et de Borsippa, les hommes qui entrent dans le palais, les docteurs instruits dans les livres et ceux qui marchent devant les... du pays, qu'il leur avait confié, apportèrent en ma présence les barques sacrées de Bel, de Zarpanit[58], de Nébo et de Tasmit[59] dans la ville de Dour-Ladinna. Les habitants de Babylone m'appelèrent, et je fis tressaillir les entrailles de la ville de Bel-Mardouk, juge des dieux. Immédiatement j'entrai à Babylone, et j'immolai solennellement des victimes aux grands dieux[60]. A dater de ce moment, Sargon, ayant fait acte de roi dans la ville de Babylone, en prit lui-même le sceptre, et ne le confia pas à un prince vassal ; il installa un simple satrape dans la grande cité. Aussi, à partir du commencement de 709, est-ce son nom, légèrement altéré en Arkéanos, mais reconnaissable encore avec une entière certitude, que nous voyons figurer dans le Canon babylonien conservé par l'astronome Ptolémée. Les contrats notariés passés entre particuliers dans les cinq dernières années du règne de Sargon portent tous une double date, celle de son règne babylonien. En voici un exemple, emprunté à un acte — tracé sur une tablette de terre cuite comme tous les écrits cunéiformes — que possède le Musée Britannique : Dans la ville de Calach, au mois de schebat, dans l'éponymie de Moutakkil-Assour, préfet de Gozan, l'an 15 de Sargon le second, roi d'Assyrie, et l'an 3 comme roi de Babylone ; cette date est des derniers jours de janvier ou des premiers jours de février 706 av. J.-C.

J'établis ma puissance, dit encore le monarque assyrien, dans le palais de Mérodachhaladan, et je reçus les tributs des pays d'Arime (les tribus araméennes de la Babylonie), de Bit-Amoukkan (encore une petite principauté chaldéenne) et de Bit-Dakkour. Les rois antérieurs avaient jadis creusé un canal à Borsippa ; je le refis de nouveau, à la gloire des dieux Nébo et Mardouk, allant jusqu'à la Ville de la main d'Oannès (un des noms mystiques de Babylone)[61].

Les gens de Havaran — qui n'est certainement pas le Haouran de Syrie, comme a pensé M. Ménant, mais le Ouady-Haouran, situé sur la rive droite de l'Euphrate, par le 34e de latitude — s'étaient soustraits à mes armes puissantes, étaient entrés dans la ville de Sippara, et avaient résisté à une troupe de Babyloniens envoyée contre eux. Dans ma puissance, je leur envoyai des officiers de mon année comme gouverneurs ; ils s'approchèrent d'eux avec confiance, et, grands et petits, ils ne fuyaient plus.

Au milieu du repos, au milieu de la tranquillité, arriva le mois de schebat, le mois du lever du maître des dieux ; je pris les mains des dieux Bel-Mardouk et Nébo, le roi des légions du ciel et de la terre, et je parcourus le chemin de la maison des trésors sacrés... J'offris des sacrifices aux dieux... des Soumirs et des Accads[62]. J'ai parlé tout à l'heure de ces fêtes solennelles du mois de schebat, et de l'étrange coutume d'y marier les jeunes filles par une enchère publique ; elles coïncidaient avec le renouvellement de l'année babylonienne.

Après avoir occupé, à la réduction du pays de Gamboul et des cantons arrosés par le Pallacopas, la belle saison de l'année 710, Sargon avait donc passé à Babylone l'hiver de 710 à 709 ; il y était au mois de février, lors des fêtes de schebat, et il y resta quelque temps encore, car ce fut seulement en mai qu'il ouvrit une seconde campagne pour expulser Mérodachbaladan de son pays de Bit-Yakin, où il s'était activement fortifié pendant tout l'hiver, tirant des secours en hommes et en argent des villes de Chaldée que le roi d'Assyrie avait négligé d'occuper pour marcher sur Babylone.

Dans ma treizième année, au mois d'aïr, je partis de la Ville de la main d'Oannès ; je relevai mon courage, et je disposai mes forces... Mérodachbaladan avait mis à contribution les villes d'Our, de Larsa et de Kisik, la demeure du dieu Lagouda ; il avait réuni ses forces à Dour-Yakin, et avait armé ses citadelles[63]. Le récit de la grande et décisive bataille livrée devant cette ville, située c près du fleuve et de la mer, a c'est-à-dire vers l'emplacement de la Charax du temps des Séleucides et des Parthes et de l'actuelle Moammerah, est malheureusement très-mutilé dans l'inscription des Annales[64] ; aussi le reprendrons-nous dans l'inscription moins développée des Fastes[65], où il est mieux conservé.

Mérodachbaladan mesura un plèthre (asla : 31m 50) en avant de son grand camp retranché, et à cette distance il fit exécuter un fossé, large de 200 pieds (63 mètres) et profond de 1 grande perche (9m 45), et il y fit entrer l'eau des canaux ; il mena une tranchée jusqu'à l'Euphrate[66], et divisa son cours par des coupures dans la plaine. Il couvrit d'un retranchement la ville, siège de sa rébellion. Il créa des inondations, en coupant (les digues). Lui et ses compagnons firent élever en l'air, comme des oiseaux, les insignes de sa royauté par ses hommes de guerre, et il disposa son armée en bataille. J'étendis mes combattants en même temps sur toute la ligne de ses canaux, et ils le mirent en fuite.

Les eaux des fleuves roulèrent les cadavres de ses soldats, comme des troncs d'arbres : Les Souti, — tribus de nomades chasseurs qui habitaient le désert voisin de la basse Chaldée — étaient présents à ce désastre.... et ils s'en allèrent. J'anéantis ses gardes et les gens de Marsan, et je remplis de la terreur de la mort le reste de ses bataillons. Il abandonna dans son camp les insignes de la royauté, le palanquin d'or, le trône d'or, le parasol d'or, le sceptre d'or, le char d'argent, les ornements d'or et des effets d'un poids considérable, et il s'échappa par une fuite clandestine. Il répara les brèches des murs de sa citadelle, et y renferma les débris de son armée. J'assiégeai la ville de Dour-Yakin, et je l'enlevai d'assaut. Je pris comme captifs et comme butin lui-même, sa femme, ses fils, ses filles, l'or, l'argent, les richesses de son trésor, tous les serviteurs de son palais, les dépouilles abondantes de la ville, et tout ce qui restait des hommes de différentes classes qui s'étaient soustraits à ma domination. Je détruisis par le feu Dour-Yakin, la ville de sa puissance ; j'en renversai les remparts ; j'en arrachai la pierre de fondation ; j'en fis un monceau de décombres.

Il résulterait de ce récit que le prince babylonien en personne fut fait prisonnier à Dour-Yakin ; mais l'inscription des Annales rectifie ce fait, car elle le montre voulant capituler, et quand sa soumission n'est pas acceptée, parvenant à s'enfuir. Et ce Mérodachbaladan, reconnaissant sa propre faiblesse, fut terrifié ; la crainte immense de ma royauté s'empara de lui ; il abandonna son sceptre et son trône ; en présence de mon envoyé, il baisa la terre. Il abandonna ses châteaux, il s'enfuit, et l'on ne revit plus sa trace. Son [fils], je l'appelai, il bénit ma gloire, et je lui accordai sa grâce[67].

Sargon demeura ainsi vainqueur de la Babylonie et de la Chaldée. Il avait soumis à son sceptre tout le pays jusqu'au golfe Persique, rejeté les Élamites jusque dans leurs montagnes, contraint Mérodachbaladan à la fuite. Lorsqu'il racontait ces événements dans les inscriptions triomphales dont il couvrait les murailles de son nouveau palais de Khorsabad, il croyait avoir à jamais réduit à l'impuissance les velléités de révolte de Babylone. Mais il se trompait, car il avait affaire à la fois à un peuple affamé d'indépendance, et à un homme qu'aucun revers n'abattait. Aussi devait-il voir de nouveau lui-même, avant de mourir, le pays qu'il avait péniblement soumis reprendre les armes.

Je ne m'étendrai plus autant sur les péripéties de la suite de cette histoire. Mais j'ai cru devoir ici suivre pas à pas le récit que nous a légué le vainqueur de Samarie et de Babylone, pour montrer jusqu'à quel degré les inscriptions officielles des rois d'Assyrie nous font pénétrer dans le détail des événements, et combien nous pouvons maintenant nous familiariser avec les actions militaires de ces conquérants, dont les figures apparaissaient déjà si terribles dans les pages de la Bible.

D'ailleurs, si quelque lecteur veut bien prendre la peine de suivre sur la carte la campagne que les Annales, gravées sur les murailles du palais de Sargon, racontent avec une si minutieuse précision, il sera frappé des rares qualités militaires qui s'y révèlent : habileté et hardiesse dans la conception d'un plan qui embrasse un échiquier de plus de cent lieues d'étendue, promptitude et précision des mouvements, emploi des grands cours d'eau pour assurer le ravitaillement d'armées qui opèrent en s'y appuyant constamment. Il y a là de la stratégie savante et perfectionnée dans toute la force du terme. On en pourrait dire autant de presque toutes les autres campagnes assyriennes dont nous possédons les bulletins détaillés ; et en même temps, les bas-reliefs qui représentent des sièges de villes révèlent chez le même peuple un développement des ressources de la poliorcétique, de l'emploi de certaines machines, et des connaissances de l'ingénieur militaire, qu'on croyait n'avoir existé que chez les Grecs postérieurs à Alexandre et chez les Romains. Trouver dès une époque aussi antique une science aussi avancée de la guerre est une chose qui sort des idées généralement reçues. En jugeant uniquement d'après les récits de l'invasion de la Grèce par Xerxès, et d'après les masses confuses qui furent dispersées sur l'Issus et à Arbèles, on a pris l'habitude de ne voir dans les armées de l'Asie antique que des troupeaux immenses et sans ordre, précipités en torrents sur des peuples également ignorants de tout art dans les choses de la guerre, et les écrasant sous leur nombre. Quant à la science de la grande guerre, on ne la fait commencer que bien plus tard. M. Thiers, injuste pour le conquérant macédonien, la refuse même à Alexandre, et veut qu'elle ne se soit montrée qu'avec Annibal. Il faut reconnaître aujourd'hui que si du temps des Perses, et surtout dans leur longue décadence, elle avait subi une éclipse comparable à celle qui se produisit depuis les invasions barbares jusqu'au temps des Nassau, elle avait existé chez les anciens Assyriens, et avait permis aux Assournazirpal, aux Teglathphalasar, aux Sargon, de tenir toute l'Asie Antérieure sous le joug d'un peuple assez peu nombreux. L'Assyrie n'a pas produit seulement d'impitoyables ravageurs, mais des généraux dignes de ce nom. Et je ne crois pas me tromper en disant qu'une série de traductions des principaux récits de campagnes que les monarques assyriens nous ont légués mériterait de trouver sa place dans la bibliothèque militaire entreprise par les ordres de l'illustre Président de la République à qui la France doit le rétablissement de son armée et la libération du territoire, bienfaiteur du pays qu'une coalition aussi ingrate que coupable a renversé du pouvoir contre la volonté de la nation.

 

IV

M. Oppert a découvert, il y a quelques années, au Musée Britannique, une tablette[68] sur laquelle se trouve écrit un rapport adressé par le prince royal d'Assyrie, Sennachérib, à son père, le roi Sargon, sur les premiers actes de la mission qui vient de lui être confiée d'aller combattre les rebelles du pays d'Accad. Elle provient des archives du palais de Sennachérib à Koyoundjik. La campagne du prince avait dû commencer au printemps de l'année 704 avant Jésus-Christ ; car c'est toujours à cette saison que les inscriptions nous montrent les monarques assyriens partant pour leurs expéditions en Babylonie ; et précisément en 704 (au commencement de l'année), le Canon de Ptolémée place le début d'une période d'anarchie à Babylone. Il n'enregistre pas le nom de Mérotlachbaladan, qui tint pourtant le pouvoir presque tout ce temps, parce que les Assyriens, après leur victoire, ne permirent pas d'inscrire son nouveau règne dans les listes officielles, à titre d'exercice régulier et légitime du pouvoir.

Mais bientôt Sennachérib fut rappelé de la Babylonie par les événements qui éclatèrent en Assyrie même. Nous apprenons, en effet, par le fragment d'un exemplaire du Canon des éponymes où les événements de chaque année étaient indiqués[69], que Sargon fut assassiné par un nommé Belkaspaï, de la ville de Kouloumma (on en ignore la situation précise), dans l'année éponymique de Pakhar-Bel, préfet d'Amida, et que son fils Sennachérib ceignit la couronne le 12 du mois d'ab de la même année, c'est-à-dire au commencement d'août 704. Entre le meurtre de Sargon et la prise de possession du pouvoir par son fils, il faut admettre le temps nécessaire pour que le prince eût reçu la nouvelle à l'armée de Babylonie et fût revenu aussitôt en Assyrie saisir les rênes du pouvoir, et ceci doit reporter au mois de juin la mort du conquérant de Samarie. La coïncidence de cet assassinat avec la révolte de Babylone, le service immense qu'il rendait aux insurgés, en retardant l'attaque des Assyriens et en leur donnant le temps de s'y préparer, ne permettent guère de douter qu'il n'ait été lié à la rébellion, et que le meurtrier de Sargon n'ait été un conspirateur chaldéen.

Quoi qu'il en soit, cette révolte, qui coïncidait avec l'assassinat du roi d'Assyrie, et qui peut-être ne s'étendit à Babylone qu'après sa mort — car, dans le rapport dont je parlais tout à l'heure, c'est seulement le pays d'Accad, c'est-à-dire les provinces plus méridionales, qui est donné comme insurgé, et non Babylone — cette révolte, dis-je, a ses péripéties racontées dans un fragment de Bérose qu'a conservé la version arménienne de la Chronique d'Eusèbe. On y apprend qu'elle eut pour premier auteur un certain Hagisès, dont le nom ne s'est pas encore rencontré dans les documents indigènes. Mais son pouvoir fut bien court, puisque, au bout de trente jours seulement, il fut tué par Mérodachbaladan, accouru, au bruit du soulèvement, du pays où il se tenait caché depuis cinq ans, sans doute du pays d'Élam. Ce fut dès lors le fils de Yakin qui dirigea la révolte, et, pour la seconde fois, il se trouva le protagoniste de la lutte de la nationalité babylonienne contre la puissance de l'Assyrie. Quelques savants[70] ont supposé que le Mérodachbaladan qui combattit contre Sennachérib n'était pas le grand vaincu de Dour-Yakin, mais un personnage homonyme, peut-être son fils. Rien n'autorise une pareille conjecture, et les expressions des documents officiels du règne de Sennachérib, comme celles du fragment de Bérose, me paraissent tout à fait formelles pour faire conclure que le fils de Sargon avait devant lui, comme adversaire, un prince déjà antérieurement connu ; que, par conséquent, il n'y a eu dans toute cette période qu'un seul et même Mérodachbaladan, qui se relevait après chaque défaite pour recommencer à se battre contre les Assyriens.

Naturellement, la première guerre de Sennachérib, quand il fut assis sur le trône, eut pour objet de réduire la rébellion de Babylone, qu'il ne voulait pas laisser s'affermir et durer. Dès le printemps de 703 il ouvrait la campagne, marchant droit sur Babylone. La guerre fut, du reste, très-courte, et décidée en une seule bataille qui se livra en avant de la grande cité et dans son proche voisinage, à Kis, localité qu'on doit reconnaître dans les ruines appelées actuellement Oheymir, à dix kilomètres environ au nord-est de Babylone. Kis fut plus tard englobée dans la grande enceinte de Nabuchodorossor, qui embrassait une étendue égale à celle du département de la Seine. La campagne de Sennachérib contre Mérodachbaladan est racontée sommairement, en termes identiques, par le grand prisme de terre cuite du Musée Britannique[71] et par le document, tracé sur la même matière, qu'on a pris l'habitude d'appeler, d'après sa forme et d'après le nom de celui qui le découvrit, le Cylindre de Bellino[72]. La seconde version contient cependant quelques détails de plus que l'autre ; aussi est-ce celle que je citerai.

Au commencement de mon règne[73], je vainquis, en vue de la ville de Kis, Mérodachbaladan, roi de Kar-Dounyas, et l'armée d'Élam. Au milieu de la bataille, il abandonna ses bagages, s'enfuit seul et se réfugia dans le pays de Gouzoumman, sur le canal Nahar-Agamme (le canal des marécages) ; il gagna les marais et sauva sa vie. Les chars, les fourgons, les chevaux, mulets, ânes, chameaux, et les autres animaux qu'il avait laissés au milieu de la bataille, tombèrent entre mes mains. J'entrai joyeux après dans son palais, à Babylone ; — la ville n'essayait donc pas de résister après la bataille perdue — j'ouvris son trésor, et j'enlevai l'or, l'argent, les vases d'or et d'argent, les pierres précieuses, les objets de prix, son bien, sa propriété, son riche trésor, son épouse, les femmes de son palais, les officiers, les grands de sa cour (mot à mot : les faces élevées), toute son armée et les hommes de service du palais ; je les fis sortir, et je les emmenai en esclavage. J'envoyai à sa poursuite mes soldats dans le pays de Gouzoumman, jusqu'au canal et dans les marais. Ils le cherchèrent pendant cinq jours, mais ils ne parvinrent pas à retrouver sa trace. Avec la force du dieu Assur, mon seigneur, j'assiégeai et je pris 79 villes fortifiées et châteaux de la Chaldée (le prisme dit seulement 66) et 828 bourgs de leur dépendance ; — le prisme ne dit que 420 ; il y a évidemment une erreur de copiste dans un des deux documents — j'en emmenai les habitants captifs. Les garnisons de soldats araméens et chaldéens qui étaient dans Érech, Nipour, Kis, Our, et dans la ville des révoltés (Babylone), je les fis sortir, et je les réduisis en esclavage.

Belibous, fils d'un astrologue de la Ville de la main du dieu Oannès (Babylone), qui avait été élevé avec les pages dans mon palais, fut porté par moi à la royauté sur les Soumirs et les Accads. On sait que cette dernière expression, qui remonte à une très-haute antiquité, désigne les deux éléments principaux qui constituaient la population de la Babylonie et de la Chaldée.

Bel-ibous (le dieu Bel l'a fait) est le nom que nous trouvons, altéré par les copistes en Elibus, dans le fragment de Bérose, et très-exactement conservé sous la forme Bélibus dans le Canon de Ptolémée. L'astronome alexandrin fait succéder Bélibus à l'anarchie de deux ans, c'est-à-dire à la révolte dirigée par Mérodachbaladan au mois de février 702 ; mais cette date est le résultat de l'arrangement systématique du Canon, depuis longtemps remarqué par tous les chronologistes, et l'on n'en peut conclure qu'une chose : c'est que l'avènement de Belibous, installé comme prince vassal par Sennachérib, eut lieu moins de six mois avant ou moins de six mois après. La campagne où fut vaincu Mérodachbaladan ayant commencé au printemps de 703, il est à présumer que ce dut être à la fin de la même année que le jeune homme choisi par Sennachérib fut placé sur le trône, à moins que le monarque assyrien n'ait attendu les fêtes solennelles du mois de schebat pour installer son vassal.

Sennachérib énumère ensuite dix-huit tribus sur lesquelles il lit, avant de rentrer en Assyrie, une immense razzia. Il se vante d'y avoir enlevé, et transporté dans ses provinces proprement assyriennes, 208.000 hommes et femmes, 7.200 chevaux, mulets et ânes, 5.330 chameaux, 70.200 bœufs et 800.600 moutons. Le système des transplantations en masse de nations vaincues, appliqué par Sargon et Sennachérib au royaume d'Israël, par Nabuchodorossor à celui de Juda, était un des principes de la politique de conquête des rois d'Assyrie, qui tenaient pour plus assurée la soumission de tribus ainsi dépaysées. L'énumération de celles sur lesquelles il fit porter ses ravages, après la défaite des Babyloniens, comprend les tribus de la Chaldée entre le Tigre et L'Euphrate, comme Damoun, Khindar, Rou'a, Peqod ; celles de la Characène, comme Gamboul, et aussi celles de la rive arabique de l'Euphrate, en remontant même assez haut sur le cours du fleuve, comme Havran, dont nous avons déjà parlé, et Hagaran, que je n'hésite pas à assimiler aux Hagaréens de ce passage de la Bible : Aux jours de Saül, ils (les Hébreux de la tribu de Ruben) combattirent les Hagaréens, les massacrèrent, et habitèrent à leur place dans leurs tentes, sur tout le pays qui est à l'orient de Galaad[74]. En effet, dans le verset qui précède immédiatement celui-ci, le texte biblique dit que les Rubénites s'étendirent alors jusqu'au fleuve de l'Euphrate, ce qui achève de déterminer l'extension territoriale des Hagaréens vaincus par eux, et relevés en partie de ce désastre à la fin du huitième siècle.

Il est aussi fort curieux de trouver dans la liste, ah milieu des tribus riveraines de l'Euphrate, une qui porte le nom de Nabat, car nous avons là l'origine de l'appellation de Nabatéens que les Arabes étendirent plus tard à toutes les populations araméennes de la Chaldée, et qui n'a rien à voir, que peut-être une communauté d'origine très-antique, avec les Nabatéens de l'Arabie Pétrée.

La grande razzia de Sennachérib décrivit donc un vaste demi-cercle partant des bords du Tigre, remontant, après avoir rejoint l'Euphrate, par la rive arabique de ce fleuve, jusqu'à son confluent avec le Chaboras, et ramenant ainsi les troupes aux frontières de l'Assyrie. Mais le conquérant ninivite ne prononce pas même le nom du pays de Bit-Yakin. Semblable réticence dans les habitudes de l'épigraphie officielle assyrienne est significative. Sennachérib n'était pas descendu plus au sud que Gamboul, et n'avait pas soumis le pays de Bit-Yakin, où Mérodachbaladan s'était, sans doute, finalement réfugié, après avoir échappé dans les marais à la poursuite des Assyriens.

 

V

On ne sait pas si dans la courte durée de son nouveau règne à Babylone, qui ne s'était pas prolongé plus d'un an, Mérodachbaladan avait renoué ses anciennes relations avec la Syrie et l'Égypte, et si une coalition formelle s'était établie entre lui et les princes de ces contrées. Mais, que ses excitations y aient eu ou non une part directe, lorsque l'on vit les embarras qui environnaient l'avènement de Sennachérib, l'assassinat de son père et l'insurrection de Babylone, ce fut une explosion générale dans la Phénicie et la Palestine. Toutes les nations coururent aux armes et secouèrent le joug de l'Assyrie, dont elles espéraient voir la puissance s'abîmer dans la crise. Ézéchias, roi de Juda, se laissa lui-même entraîner par le mouvement, et son oreille demeura sourde aux conseils de prudence que lui donnait Isaïe. Il se mit en guerre contre le roi d'Assyrie[75], et, voulant profiter des circonstances pour élargir le territoire de Juda aux dépens de voisins jusqu'alors couverts par la protection assyrienne, il battit les Philistins jusqu'à Gaza et ravagea leurs confins depuis la Tour des gardes jusqu'aux villes fortes[76]. En se jetant dans ces entreprises aventureuses, Ézéchias suivait les instigations du parti égyptien, qui était en même temps, comme nous l'avons déjà dit, le parti militaire dans le royaume de Juda, et il s'occupait de s'assurer l'appui de l'Égypte au cas d'un retour offensif du monarque assyrien. Aussi Isaïe, mécontent de cette tournure que prenaient les choses, condamnait-il plus vivement que jamais, au nom de Jéhovah, l'alliance avec les Égyptiens, et son regard prophétique distinguait dans un avenir prochain les malheurs que la politique du roi et de ses conseillers actuels allait faire tomber sur le pays[77].

Mais Sennachérib avait devant lui des dangers trop pressants pour s'occuper d'abord des affaires de Syrie. Nous venons de voir comment, dès le printemps qui avait suivi son avènement, il avait tourné ses efforts contre l'insurrection de Babylone et chassé Mérodachbaladan de la ville sacrée. L'année suivante tout entière fut donnée au soin de faire rentrer dans l'obéissance la Médie, également soulevée et menaçant les frontières de l'Assyrie propre. Ce fut seulement en 700 que Sennachérib, assuré de ces deux côtés, put porter sa vengeance suries pays au delà de l'Euphrate, et qu'il entreprit la grande campagne en Syrie et en Palestine, terminée par un désastre à jamais célèbre dans l'histoire.

On a des récits de cette guerre à la fois dans le prisme en écriture cunéiforme conservé au Musée Britannique[78] et, plus en abrégé, sur les taureaux ailés qui décoraient les portes du palais de Koyoundjik[79], dans la Bible, au second livre des Rois[80] et à celui d'Isaïe[81], enfin chez Hérodote[82]. La version officielle assyrienne, la version juive et la version égyptienne sont donc parvenues jusqu'à nous, chose unique ; en les comparant et en les combinant, on arrive à reconstituer le récit d'une manière aussi complète que pour un fait de l'histoire moderne. C'est ce que nous allons tenter, bien que ces événements ne touchent à notre sujet que d'une manière indirecte. Mais rien ne peut donner une plus haute idée de la véracité historique de la Bible que la comparaison de ses récits sur un épisode si important avec les bulletins de la grande armée de Sennachérib ; c'est à tel point que M. Albert Réville déclarait, il y a peu d'années, ne pouvoir attacher une grande confiance aux traductions des assyriologues, à cause de leur trop parfaite concordance avec les histoires bibliques ! Il me semble donc que le lecteur ne peut manquer d'y trouver un véritable intérêt, et que nous autres chrétiens, en face de nos adversaires qui prétendent toujours parler au nom de la science, nous ne devons jamais perdre une occasion de montrer comment, au contraire, les grandes découvertes de l'érudition moderne, ces découvertes qui sont la gloire du XIXe siècle, assurent à nos Livres saints une éclatante supériorité sur tous les livres d'histoire que nous ont légués les autres peuples de l'antiquité.

Le belliqueux monarque assyrien fondit d'abord sur les villes de la Phénicie, que leur situation exposait à son premier choc. Élouli, roi des Sidoniens, qui avait, quelques années auparavant, si courageusement tenu tête à Sargon[83], n'osa pas affronter une seconde fois une lutte semblable, et abandonna son pays natal pour se réfugier sur les îles au milieu de la mer. Sennachérib mit sur le trône, à sa place, un personnage du nom d'Ethbaal, qui se reconnut vassal et tributaire de l'Assyrie. Abdilith, roi d'Arvad ; Ourmilik, roi de Byblos ; Mitenti, roi d'Asdod ; Boudouel, roi d'Ammon ; Chamosnadab, roi de Moab, et Malikram, roi d'Édom, se bâtèrent de faire leur soumission[84]. La ville d'Ascalon prétendit tenir tête à l'orage, mais elle fut vaincue, et son roi Sidqa emmené captif. Sennachérib soumit les villes qui dépendaient alors d'Ascalon et qui toutes sont illustrées par des textes bibliques, Beth-Dagon, Joppé, Béné-Barac et Hazor. Il ne restait plus désormais entre l'Euphrate et l'Égypte qu'Ézéchias et le royaume de Juda qui ne se fussent pas courbés sous le joug.

Ézéchias n'était pas pour le roi d'Assyrie un sujet rebelle, comme les autres princes dont il vient d'être question. Mais le conquérant avait contre lui un grief suffisant pour justifier son agression ; il nous l'apprend dans le prisme de Londres : Les magistrats, les grands et le peuple d'Amgarroun avaient chargé de chaînes de fer leur roi Padi, mon vassal et le serviteur de l'Assyrie, et ils l'avaient livré traîtreusement à Ézéchias de Juda dans l'ombre de la nuit[85].

Mais ici une question difficile se présente. Quelle est la ville que le texte appelle Amgarroun ? M. Oppert y a vu la Migron biblique, et j'ai moi-même adopté cette opinion dans mon Manuel d'histoire ancienne de l'Orient. En effet, le rapprochement, au premier aspect, est très-séduisant ; pourtant, après avoir de nouveau mûrement examiné la question, après avoir pesé le pour et le contre, je crois devoir renoncer à l'assimilation proposée par le savant assyriologue, car elle me paraît soulever de trop grandes difficultés géographiques et historiques.

Et d'abord Migron ne figure dans la Bible, au temps même dont il s'agit, dans les prophéties d'Isaïe, que comme une toute petite ville, qui n'a certainement pas pu jouer un rôle de l'importance de celui que le prisme de Sennachérib assigne à Amgarroun. Migron était une bourgade de la tribu de Benjamin, située entre Ayath et Michmas, c'est-à-dire en plein royaume de Juda ; il n'est donc pas possible d'admettre qu'elle ait été, pendant toutes les premières années d'Ézéchias, indépendante de ce prince et possédant un roi particulier. Bien plus, Isaïe[86] la cite formellement parmi les localités de Juda dans un passage où il marque l'itinéraire que suivra Sennachérib, et certainement en cet endroit, si elle avait été la ville au sujet de laquelle la querelle s'était engagée entre Ézéchias et le roi d'Assyrie, un mot au moins y ferait allusion. Que si maintenant nous interrogeons le texte du prisme assyrien pour en tirer des indications sur le site de son Amgarroun, nous y voyons[87] que cette ville avait dans son voisinage immédiat Timnatha et Elthéca, et était couverte au nord par cette dernière localité contre une armée venant, comme alors celle des Assyriens, de Joppé et de Bené-Berac. Or, dans le livre de Josué[88], l'énumération des villes du lot échu à la tribu de Dan mentionne, dans un ordre qui va régulièrement du sud au nord, Élon et Timnatha, et Ékron, et Elthéca, et Gibbeton, et Baalath. Ce passage me parait décisif et me conduit à adopter désormais l'opinion de Hincks et de sir Henry Rawlinson, qui reconnaissent dans la ville dont Padi était roi l'Ékron de la Bible, une des cinq cités royales des Philistins. La forme Accaron, adoptée par les Septante, par Josèphe et par saint Jérôme, prouve que la vocalisation Ékron des Massorètes ne repose pas sur une tradition ancienne, et elle se rapproche beaucoup d'Amgarroun. En assimilant à Accaron la ville dont il est question dans le texte cunéiforme, rien n'est plus naturel que de voir mentionner son roi, aussi bien que de la voir citer à côté des places fortes philistines par Assarahadon et par Assourbanipal ; et la soumission temporaire de cette ville à Ézéchias, qui emmène Padi en captivité, coïncide avec les conquêtes du souverain de Juda dans le pays des Philistins, mentionnées par le livre des Rois.

Sennachérib, avant d'attaquer le royaume même de Juda, marcha d'abord contre les rebelles d'Accaron. Les Égyptiens étaient sortis de leurs frontières pour les défendre. Les rois d'Égypte, dit le texte du prisme[89], avec les archers, les chars et les chevaux du roi de Maréa — Meloukhi, la partie occidentale du Delta — s'étaient rassemblés en nombre immense et étaient venus à leur secours. Ils formèrent leur ligne de bataille près d'Elthéca et tentèrent le sort des armes. Dans l'adoration du dieu Assur, mon seigneur, je combattis contre eux, et je les mis en déroute. Les conducteurs des chars et les fils du roi d'Égypte, avec les conducteurs des chars du roi de Maréa, tombèrent vivants entre mes mains au milieu de la bataille. J'assiégeai et je pris les villes d'Elthéca et de Timnatha, et j'en enlevai le butin. On remarquera que dans ce passage il n'est aucunement question des Éthiopiens, qui étendaient alors leur suprématie sur l'Égypte, divisée en de nombreux petits royaumes, mais seulement des Égyptiens proprement dits. Ceux qui ont envoyé au secours d'Accaron sont deux personnages que l'on réunit sous l'expression commune les rois d'Égypte ; l'un est spécialement appelé le roi d'Égypte ou peut-être plus exactement le roi de la Basse-Égypte ; c'est le prince de Tanis, qu'Isaïe oppose si souvent au prince de Noph, c'est-à-dire au monarque éthiopien de Napata ; l'autre est le roi du pays de Mereh ou maréotique ; c'est probablement le prince qui régnait à Saïs. L'Éthiopie n'interviendra qu'un peu plus tard dans ces événements.

Après la bataille d'Elthéca, le récit du prisme montre Sennachérib entrant dans Accaron et tirant une vengeance terrible de la révolte de cette cité. Il empale autour des murailles les principaux habitants, puis il fait sortir de Jérusalem, à force de menaces, le roi Padi, qu'il réintègre sur son trône[90]. Mais Ézéchias de Juda ne se soumit pas. Alors Sennachérib pénètre dans ses États héréditaires et y porte partout le ravage. Forçant le roi juif à s'enfermer dans Jérusalem, il prend successivement quarante-quatre villes fermées de murs, sans compter les bourgs ouverts ; il enlève d'immenses troupeaux de chevaux, d'ânes, de mulets, de chameaux, de bœufs et de moutons, et il emmène en exil, suivant l'usage assyrien, 200.150 captifs de tout âge et de tout sexe[91]. Le territoire conquis sur Ézéchias est partagé entre Mitenti, roi d'Asdod, Padi, roi d'Accaron, et Ismibel, roi de Gaza. Ce sont là précisément les rois des villes philistines qu'Ézéchias venait de combattre. En leur donnant les districts qu'il enlevait à Juda, Sennachérib les remettait aux ennemis les plus ardents que ce royaume eût alors.

C'est seulement à ce moment que débute le récit du livre des Rois et le récit identique qui se trouve inséré dans les prophéties d'Isaïe. Dans la quatorzième année du roi Ézéchias, Sennachérib, roi d'Assyrie, monta contre les villes fortes de Juda et s'en rendit maitre[92]. J'ai déjà fait remarquer l'erreur de date que contient ce verset, en montrant l'interversion introduite dans le texte biblique, et en établissant que la leçon première avait été certainement dans la quatorzième année après la maladie d'Ézéchias.

Ézéchias, roi de Juda, envoya vers le roi d'Assyrie, à Lachis, en disant : J'ai péché ; retire-toi de moi, et ce que tu m'imposeras, je le paierai. Le roi d'Assyrie imposa à Ézéchias, roi de Juda, trois cents talents d'argent et trente talents d'or. — Ézéchias donna tout l'argent qui se trouvait dans le temple de Jéhovah et dans les trésors de la maison royale[93].

Le chiffre de ce tribut est aussi mentionné dans l'inscription du prisme[94], qui détaille de plus les présents joints par Ézéchias aux talents d'or et d'argent qu'il devait fournir : 30 talents d'or, 800 talents d'argent, des vases de métal, des escarboucles, des perles, de grandes pierres d'onyx, des coffres d'ivoire, des trônes sculptés en ivoire, de l'ambre gris, des dents d'ivoire, du bois de fer et du bois d'ébène. La différence des chiffres de 300 talents d'argent dans la Bible et de 800 dans le texte assyrien, qui paraît au premier abord établir un désaccord entre les deux récits, est au contraire une preuve à la fois de leur indépendance et de leur parfaite conformité. M. Brandis[95] a en effet remarqué très justement que le grand talent des Hébreux et le talent faible de Babylone et de l'Assyrie se trouvaient précisément dans le rapport de 8 à 3 ; la différence dans l'expression de la somme entre les deux documents est donc celle qu'on trouverait pour nos 5 milliards entre une relation française qui les exprimerait en francs et une relation prussienne qui les exprimerait en thalers. Mais pour l'or le compte est le même dans les deux sources, parce que les Hébreux, dès le temps des rois, comme l'ont également établi les travaux de M. Brandis, avaient pris l'habitude de compter les sommes de ce métal en talents babyloniens. Le tribut payé par Ézéchias à Sennachérib s'élevait donc, en poids, à 909 kilogrammes d'or ou 2.817.900 fr., et 24.940 kilogrammes d'argent ou 5.339.800 fr., en tout 8.150.700 fr. En tenant compte de la valeur réelle des métaux précieux, qui était alors cinq ou six fois ce qu'elle est aujourd'hui, c'était une jolie contribution de guerre pour un petit État comme le royaume de Juda, et l'on voit que les Assyriens avaient inventé bien avant les Prussiens l'art de faire de la guerre une spéculation financière.

Le récit assyrien place la livraison du tribut plus tard. Il se pourrait qu'il y dit là encore dans le texte biblique quelques versets sortis de leur place, car le récit du livre des Chroniques, mieux d'accord avec la version officielle du monarque ninivite, représente Ézéchias comme n'étant rien moins que disposé à céder et à payer tribut. Quand le roi de Juda voit que Sennachérib menace Jérusalem, il prend le conseil des principaux de sa capitale, obstrue les sources des environs de la ville, afin de priver d'eau les assiégeants, restaure les murs et en répare les brèches, rebâtit de nouvelles tours, fortifie Millo, arme ses guerriers, et relève tous les courages par son propre exemple[96]. C'est alors que le roi d'Assyrie, apprenant ces préparatifs, envoie les principaux de ses officiers à Jérusalem, car lui-même était à Lachis, et toute sa puissance avec lui[97], afin de sommer la ville et de décourager peuple et roi de s'opposer plus longtemps à la supériorité des dieux de l'Assyrie et à la vaillance invincible de son souverain. Les envoyés haranguent la multitude qui se presse au sommet des murs et lui parlent en hébreu ; mais les officiers d'Ézéchias les prient d'exposer l'objet de leur mission en araméen, langue qu'ils comprennent également et qui n'est pas entendue du peuple.

Cependant il faut reconnaître que les données des livres des Rois et des Chroniques ne sont point absolument inconciliables. On peut très-bien admettre qu'Ézéchias, surpris par la rapidité de l'attaque de Sennachérib, paya d'abord le tribut exigé et l'envoya au quartier général du roi devant Lachis, puis qu'après le départ des troupes assyriennes de devant Jérusalem il se hâta de mettre la ville en meilleur état de défense, pour prévenir le retour d'une semblable exigence. La nouvelle de ces travaux suffisait pour irriter le conquérant, qui y voyait presque un acte de révolte, et il y en avait assez pour motiver, même après le paiement du tribut, la sommation que le livre des Rois raconte aussi, en la plaçant à ce moment.

D'après ce livre[98], elle était portée par le tartan ou généralissime des armées assyriennes, sorte de ministre de la guerre qui tenait le premier rang dans l'empire après le roi ; par le chef des eunuques, personnage qui avait autorité sur tout le palais, et par le rab-sak ou grand maître de l'état-major, qui avait dans ses fonctions — d'autres exemples nous le montrent dans les inscriptions[99] — l'office habituel des missions du même genre. Ézéchias envoya pour conférer avec eux son préfet du palais, son secrétaire et son archiviste. Le récit concordant des Rois et d'Isaïe fait porter la parole par le rab-sak, dont le discours commence ainsi : Dites à Ézéchias, ainsi parle le grand roi, le roi d'Assyrie : Quelle est cette confiance sur laquelle tu t'appuies ?Tu dis de vaines paroles, tu parles de tes conseils et de ta force pour la guerre. Maintenant en qui t'es-tu confié pour t'être révolté contre moi ?Vois, tu t'es confié sur l'appui de l'Égypte, ce roseau brisé, qui entre dans la main de celui qui s'appuie sur lui et la perce ; tel est Pharaon, roi d'Égypte, pour tous ceux qui se confient à lui[100].

Ces dernières paroles contiennent une allusion manifeste et directe à la victoire que Sennachérib venait de remporter à Elthéca ; M. Oppert l'a déjà fait remarquer, et il a très-justement insisté sur cette circonstance qu'ici, comme dans le prisme de Sennachérib, il n'est encore parlé que d'un prince d'Égypte, sans aucune allusion à l'Éthiopie. Du reste, ajoute l'éminent philologue, toutes ces paroles portent le cachet de la rédaction assyrienne, comme la suite des exhortations de l'officier ; il insiste sur la faiblesse d'u Dieu d'Israël, et il rappelle la phrase habituelle des textes, qui ne se trouve pourtant pas dans ce récit, que e la crainte immense du dieu Assur entraîne les peuples. L'orateur ninivite ne se laisse pas détourner par les prières discrètes des fonctionnaires juifs ; il crie plus haut encore et développe, en hébreu, devant le peuple qui l'écoute sur les murs, ses idées sur le bonheur matériel que leur apporterait la domination du roi assyrien, et sur la faiblesse des dieux auxquels d'autres villes ont eu confiance.

Conformément aux ordres d'Ézéchias, le peuple ne répond rien aux paroles que lui a adressées le rabsak de Sennachérib. Les officiers du palais de Juda se rendent attristés auprès du roi, qui déchire ses habits en signe de deuil ; mais les consolations prophétiques d'Isaïe relèvent son courage. Isaïe, qui avait si vivement blâmé la politique de guerre comme une transgression aux volontés de Jéhovah, quand il était encore possible de garder la paix, est maintenant l'âme et le soutien de la résistance ; il combat les défaillances en rappelant les promesses divines et affirme au nom de l'Éternel que les Assyriens ne prendront pas Jérusalem. Pendant ce temps les envoyés de Sennachérib retournent auprès de leur maitre pour lui rendre compte de l'inutilité de leur mission ; il avait quitté Lachis et s'était dirigé plus au sud, jusqu'à la frontière d'Égypte.

En effet, si le récit officiel du prisme de Sennachérib garde sur toute cette partie des événements un silence calculé pour dissimuler le désastre qui termina l'expédition, les sculptures du palais de Koyoundjik à Ninive comblent la lacune du document écrit. Deux grands et célèbres bas-reliefs, transportés au Musée Britannique[101], représentent l'un le siège, l'autre la capitulation de Lachis, ce dernier avec une inscription explicative[102]. Lachis prise, Sennachérib s'était transporté devant une ville que la Bible appelle Libnah. M. Oppert a établi, par une discussion des plus ingénieuses et des plus probantes, qu'il ne s'agit pas ici de la Libnah de la tribu de Juda, située immédiatement à côté de Lachis, mais de Péluse d'Égypte ; devant laquelle Hérodote fait aussi arriver Sennachérib et dont on ne connaît pas jusqu'à présent le nom hiéroglyphique.

C'est là qu'intervient pour la première fois la mention de l'Éthiopie et de son roi, qui n'avaient jusqu'alors en aucune façon figuré dans le récit. (Le roi d'Assyrie) entendit dire au sujet de Tirhaqa, roi de Kousch : Voici qu'il est sorti pour te combattre[103]. Taharqa ne régnait pas encore à cette époque en Égypte, où la dynastie éthiopienne était alors représentée par un prince tout à fait annulé, Schabataka, dont aucun récit ne prononce même le nom au milieu de ces événements ; il était donc demeuré complètement étranger à l'appui que les princes vassaux du Delta avaient fourni à la révolte de la Palestine contre les Assyriens. Mais, en qualité d'héritier présomptif de la couronne d'Égypte, il ne pouvait laisser envahir le pays par le roi d'Assyrie, et il venait d'y entrer pour aller au-devant de lui. Cette nouvelle causa une vive émotion à Sennachérib et commença à le faire songer à la retraite. Prêt à renoncer au projet d'invasion de l'Égypte, qui l'avait amené jusqu'à Péluse, il voulait du moins brusquer les choses dans le royaume de Juda, pour assurer de ce côté les résultats de son expédition. Il envoya donc sommer de nouveau Jérusalem et le roi Ézéchias[104], dont Isaïe soutint encore une fois la constance en promettant du secours de Jéhovah une prompte délivrance[105]. Ta demeure, ta sortie et ton entrée, disait alors le prophète en s'adressant au nom de Dieu au roi d'Assyrie, je les connais, de même que ton arrogance contre moi. — Parce que tu as été arrogant contre moi et que tes bravades sont montées à mes oreilles, je mettrai ma boucle dans tes narines et mon mors entre tes mâchoires, et je te ferai retourner par le chemin par lequel tu es venu. — ... Ainsi dit Jéhovah touchant le roi d'Assyrie : Il n'entrera pas dans cette ville, il n'y jettera pas de flèche, il ne se présentera pas contre elle avec le bouclier et ne dressera pas de terrasse contre elle. Je protégerai cette ville pour la délivrer, à cause de David mon serviteur.

Le roi et le peuple ajoutaient d'autant phis de foi aux paroles d'Isaïe, que lorsqu'étaient venus les premiers envoyés du monarque assyrien, il avait prédit que ce prince entendrait une nouvelle qui le ferait retourner dans son propre pays[106], et que cette annonce se réalisait déjà par la nouvelle de l'approche du roi éthiopien Taharqa. Bientôt ses prophéties reçurent la plus éclatante des confirmations. L'ange de Jéhovah descendit dans le camp des Assyriens ; une maladie épidémique, causée probablement par les exhalaisons des marais du Delta, éclata dans leur armée, et la décima d'une telle manière qu'il n'y avait plus moyen de continuer l'expédition. D'après la Bible, il mourut jusqu'à 185.000 hommes de cette armée[107] ; et quoique les chiffres soient la partie la moins sûre du texte biblique, celle où les copistes ont introduit le plus d'altérations, il est certain que le désastre eut de si grandes proportions et fut si subit, que ce ne furent pas les Hébreux seuls qui y virent une intervention miraculeuse de la Divinité. Alors Sennachérib, roi d'Assyrie, leva son camp, s'en alla et s'en retourna, et demeura à Ninive[108]. Le royaume de Juda était sauvé comme l'Égypte, et tandis que le premier rendait, pour cette délivrance, de justes actions de grâces à Jéhovah, les Égyptiens, comme ils le racontèrent plus tard à Hérodote, en attribuaient le bienfait au dieu Phtah de Memphis.

Voici en effet le récit que recueillit l'écrivain d'Halicarnasse dans son voyage en Égypte : Après Anysis régna un prêtre de Vulcain (Phtah) nommé Séthon. Il négligea la caste militaire égyptienne et ne tint aucun compte d'elle, comme s'il n'eût dû jamais avoir besoin de son appui ; il la traita même ignominieusement et retira les douze aroures de terres de première qualité que les rois antérieurs avaient assignées à chaque guerrier. Mais après cela, quand Sennachérib, roi des Arabes et des Assyriens, dirigea sur l'Égypte une immense armée, la caste militaire refusa de marcher au secours du roi. Le prêtre, ne sachant plus que faire, entra dans le temple, et devant la statue se lamenta des dangers qui le menaçaient. Au milieu de ses larmes, le sommeil le saisit, et il vit en songe son dieu debout auprès de lui, et l'encourageant, lui promettant qu'il ne lui arriverait aucun mal de résister à l'armée des Arabes, car lui-même se chargeait d'envoyer des vengeurs pour sa querelle. Confiant dans les promesses de cette vision, le roi rassembla tous les Égyptiens qui voulurent le suivre, et vint camper à Péluse, à l'entrée du pays. Aucun guerrier ne l'avait suivi, mais seulement des gens de métiers, des ouvriers et des marchands. Quand ils furent arrivés à Péluse, une nuit, des multitudes de mulots envahirent le camp des ennemis, rongeant les carquois, les arcs et les courroies des boucliers, de telle façon que les ennemis furent obligés de fuir le lendemain sans armes, et qu'on en tua beaucoup dans la déroute. Aussi, encore maintenant, voit-on dans le temple de Vulcain (le temple de Phtah, à Memphis) une statue en pierre du roi, tenant un mulot sur sa main, avec l'inscription : En me voyant, apprends à être pieux envers les dieux[109].

Dans ce récit populaire, qui a toute la tournure des contes de ciceroni, on reconnaît la tradition du désastre de l'armée assyrienne, raconté dans la Bible ; mais les circonstances en ont pris une forme puérile. Quand au roi Séthon, qu'Hérodote met ainsi en présence de Sennachérib, on doit y voir Séti III, prince tanite, dont le musée du Louvre possède une stèle. C'est celui que le prisme assyrien appelle spécialement le roi d'Égypte, par opposition au roi de Marée, et que la Bible nomme Pharaon.

Il est de règle chez tous les peuples que les bulletins officiels ne racontent jamais les échecs. Aussi ne serons-nous aucunement surpris de voir le prisme de Sennachérib passer sous silence tous les événements qui remplirent la fin de l'expédition, la tentative sur Péluse et la peste qui ravagea l'armée. Après le récit des premiers faits de l'invasion du royaume de Juda, sa rédaction, très-visiblement embarrassée, nous transporte brusquement à Ninive, où le roi d'Assyrie est déjà revenu, sans qu'on dise pourquoi ni comment, et où Ézéchias lui envoie un tribut[110]. Ce tribut est celui dont nous avons parlé plus haut, celui que la Bible, dais le livre des Rois, fait payer par Ézéchias avant la sommation du rab-sak assyrien. Lequel des deux récits met le fait à sa véritable place ? Ézéchias promit-il un tribut pour hâter l'évacuation de son territoire par Sennachérib, quand celui-ci se retirait de Péluse ? On ne saurait le dire dans l'état actuel de la science, et c'est le seul point qui reste encore obscur dans le récit de ce grand événement. Pourtant il faut remarquer que la donnée de la Bible est plus vraisemblable que celle du document ninivite. Et le roi, dont la vanité était capable de supprimer des relations officielles toute une série de faits, pour ne pas avouer un désastre, ne devait pas avoir scrupule de mentir dans les mêmes relations et d'essayer de donner le change, en représentant comme apporté à Ninive après la fin de la guerre un tribut qui avait été, dans la réalité, payé au camp de Lachis avant l'échec final.

 

VI

Mais si le roi d'Assyrie a cherché à tromper ses sujets et la postérité, en taisant le désastre éclatant de son armée, il n'est point parvenu à effacer de ses annales la trace du contre-coup de cet événement. Sur la nouvelle de ce qui venait de se passer en Palestine, la Chaldée et la Babylonie s'agitèrent ; et, en rentrant en Assyrie avec ce qui restait de l'armée, naguère si formidable, dont la maladie avait fait fondre les bataillons, Sennachérib se trouva en face d'un soulèvement qui commençait dans les provinces méridionales. Encore une fois, Mérodachbaladan en était Pâme et l'instigateur. Du fond de sa principauté de Bit-Yakin, il avait appelé à la guerre toutes les tribus de la Chaldée et le peuple de Babylone. Il avait trouvé un auxiliaire particulièrement zélé dans un jeune scheikh d'une des tribus araméennes les plus voisines de la grande cité, Souzoub, fils de Gatoul, qui devait bientôt le remplacer comme chef des mouvements babyloniens. Même le vice-roi installé quatre ans auparavant à Babylone comme représentant de la domination assyrienne, Belibous, se souvenant de son origine babylonienne plus que de son éducation parmi les pages de la cour de Ninive, pactisait avec l'insurrection.

Sennachérib ne perdit pas un instant. Il rassembla en hâte une nouvelle armée et la dirigea vers le sud, pour étouffer le danger dès sa naissance et atteindre Babylone avant que les Chaldéens y fussent entrés et s'y fussent fortifiés. Il y parvint en effet avant eux, arrêta Belibous et l'envoya dans les prisons de l'Assyrie. Ceci se passa sans résistance sérieuse ; car, dans ses inscriptions, le roi ninivite ne fait pas même à Belibous l'honneur de le nommer et de mentionner son châtiment. Nous connaissons cette partie des faits uniquement par un fragment de Bérose. Le prisme de Sennachérib ne commence le récit qu'après, au moment où la vraie guerre s'ouvre et où l'armée assyrienne rencontre une résistance armée de la part des Chaldéens[111].

Dans ma première campagne, je me recommandai au dieu Assur, mon seigneur ; je rassemblai la totalité de mon armée[112], et je décidai une expédition contre le pays de Bit-Yakin. Pendant ma marche, je vainquis, dans la ville de Bittout, Souzoub, de la tribu de Kalban, qui demeurait près du canal Nahar-Agamme. Quant à lui-même, son glaive évita la bataille avec moi, son courage l'abandonna ; il se déroba furtivement, comme un lépreux, et on ne revit plus sa trace.

Je me tournai d'un autre côté, et je dirigeai mes pas sur Bit-Yakin. Ce Mérodachbaladan, que j'avais vaincu dans ma première campagne et dont j'avais brisé la superbe, redouta le choc de mes armes puissantes et l'attaque imminente de mes irrésistibles batailles. Il réunit les dieux protecteurs de son pays dans leurs arches sacrées ; il les embarqua sur des vaisseaux, et s'envola comme un oiseau vers la ville de Nagit-Raqqi, qui est au milieu de la mer. — C'était une ville de la côte d'Élam, située, comme beaucoup d'autres de la même région, dans une des îles, nombreuses alors, qui ont été réunies depuis au continent par le progrès des alluvions, très-rapide sur tout ce littoral du golfe Persique. — Je fis sortir de la partie du pays de Bit-Yakin voisine du Nahar-Agamme, et du milieu des marais, ses frères, la race de sa maison paternelle, qui avaient abandonné les bords de la nier, avec le reste des hommes de son pays ; je les réduisis en esclavage. Je détruisis ses villes, je les démolis, je les changeai en monceaux de décombres. J'inspirai le tremblement à ses amis les hommes d'Élam.

A mon retour, j'assis sur le trône de la domination Assournadinsoum, mon fils aîné, le rejeton élevé sur mes genoux. Je lui confiai toute l'étendue du pays des Soumirs et des Accads.

L'avènement d'Assournadinsoum au trône vassal de Babylone est placé par le canon de Ptolémée dans les premiers mois de 699. Par conséquent, la campagne au retour de laquelle ce prince fut institué avait eu lieu dans l'hiver de 700 à 699. Dans sa hâte de prévenir l'entrée des Chaldéens à Babylone, et sans doute aussi de compenser par un prompt succès de ce côté l'effet du désastre qu'il venait d'éprouver en Palestine, Sennachérib n'avait pas attendu l'époque du printemps où les rois d'Assyrie mettaient d'ordinaire leurs troupes en mouvement.

Onze ans de paix succédèrent à ces événements. Sennachérib restait à Ninive, comme dit la Bible, et n'était pas soucieux de s'exposer encore, avant d'avoir réparé ses forces, aux dangers des tentatives de conquêtes lointaines. Pendant ces onze ans, les annales de son règne ne mentionnent qu'une seule expédition dans les montagnes qui séparent la Médie de la Susiane et jusque chez les Daïens de la Perse septentrionale. Il établit les captifs ramenés de cette expédition dans le pays autour de Samarie, qu'il possédait toujours, et où il transplanta aussi de nombreuses colonies de prisonniers des différentes villes de la Babylonie et de la Chaldée. A l'époque du retour des Juifs de la captivité de Babylone, la Bible[113] nomme encore les descendants des exilés Daïens parmi les colons étrangers de l'ancien royaume d'Israël qui dénoncent au roi de Perse les travaux de Zorobabel, après que celui-ci leur a refusé le droit de prendre part à la construction du Temple. Quant à Babylone, épuisée par ses deux insurrections successives, elle ne bougeait pas, non plus que la Chaldée. Assournadinsoum étant mort après six ans de pouvoir, deux vice-rois, vassaux de l'Assyrie, lui avaient succédé paisiblement, l'un en 693, que le Canon de Ptolémée appelle Rêgebelus (sans doute Ri'ou-Bel), l'autre Mousesimardouk, en 694. Nous ne connaissons leurs noms que par la liste que donne l'astronome d'Alexandrie, et Sennachérib se borne à constater que pendant tout ce temps Babylone était soumise à son sceptre.

Mais, après onze ans, les inscriptions du prisme de Londres nous montrent le roi d'Assyrie entreprenant une nouvelle expédition contre le pays de Bit-Yakin. Il la compte comme sa sixième campagne ; mais on ne peut pas la placer avant 688, puisqu'il coïncida avec la première révolte de Souzoub, fils de Gatoul, à Babylone même, laquelle est le commencement de la seconde anarchie de huit ans, que le canon de Ptolémée fait partir de cette même année 688 avant Jésus-Christ. Il parait que Mérodachbaladan, retiré depuis 699 dans le pays d'Élam, et mis en possession par le nouveau roi de ce pays, Koudhir-Nakhounta, d'un district de la côte, était parvenu à déterminer les habitants de Bit-Yakin et les plus ardents patriotes de la Chaldée et de la Babylonie à y émigrer en masse, pour fuir la domination assyrienne. C'est le parti suprême que Bias conseillait aux Grecs de l'Ionie, lors de la conquête de Cyrus. Sennachérib, furieux de cette émigration qui dépeuplait une partie de ses provinces, poursuivit les fugitifs, afin de les contraindre à revenir sous son autorité[114].

Dans ma sixième campagne, les hommes du pays de Bit-Yakin avaient méprisé les forces de ma puissance en murmurateurs ; ils avaient réuni les dieux protecteurs de leur pays, dans leurs arches sacrées, et ils avaient franchi la grande mer du soleil levant. Ils avaient établi leurs demeures dans la ville de Nagit, au pays d'Élam. Je traversai la mer dans des vaisseaux syriens. L'inscription découverte sur l'emplacement de Ninive, au monticule de Nébi-Younès, dit que les vaisseaux avaient été construits à Ninive, sur le Tigre, et à Toul Barsip, sur l'Euphrate ; leur nom de vaisseaux de Syrie désignait donc seulement un type particulier de bâtiments. M. Smith[115] a trouvé de curieux détails sur cette flotte et sa navigation dans une inscription encore inédite du Musée Britannique. Les vaisseaux étaient montés par des matelots de Sidon et d'autres marins expérimentés de la Phénicie. On les fit descendre par les deux fleuves jusqu'à leur confluent, devant la ville d'Ouboua. C'est là que l'armée assyrienne s'embarqua, et en cinq jours de navigation elle atteignit l'embouchure commune des deux fleuves, appelée la Bouche-de-Salut (Bab-Sallimati). En entrant dans le golfe Persique, Sennachérib offrit du haut de son navire un sacrifice solennel au dieu des eaux, Nouah ; il jeta dans la mer, comme offrande, de petits modèles de vaisseaux en or et des poissons du même métal. Après ces détails empruntés à d'autres sources, je reprends le récit du prisme. J'occupai les villes de Nagit et de Nagit-Dihbina, et le district de Khilmou, la ville de Nila et le district de Khoupapan. J'attaquai le pays d'Élam, j'emmenai captifs les hommes du pays de Bit-Yakin et leurs dieux, et les hommes du pays d'Élam. Je n'y laissai pas le moindre reste debout ; je les fis embarquer sur des vaisseaux, et repasser sur la rive opposée ; je dirigeai leurs pas vers l'Assyrie. Je détruisis les villes de ces districts, je les démolis, je les consumai par le feu, je les changeai en déserts et en monceaux de ruines.

Il n'est pas question de Mérodachbaladan dans ce récit, mais l'inscription de Nébi-Younès ajoute à la suite des mêmes faits[116] : Après cela, les notables babyloniens qui étaient avec Mérodachbaladan l'abandonnèrent et s'enfuirent en cachette ; ils appelèrent à leur secours le roi d'Élam, qui établit à Babylone Souzoub, fils de Gatoul, sur le trône, au-dessus d'eux. C'est, en effet, pendant que Sennachérib était occupé à l'expédition dont on vient de lire le récit qu'éclata dans Babylone même l'insurrection de Souzoub, soutenue par les Élamites, comme une diversion et un moyen de couper l'armée assyrienne de son pays. Celle-ci abandonna aussitôt les districts de la frontière de Susiane, et se retourna contre les révoltés ; deux grandes batailles, l'une sous les murs d'Érech, l'autre près de Babylone, dispersèrent leurs forces, et Souzoub fut pris par Sennachérib, qui lui laissa la vie[117].

 

VII

Mérodachbaladan, qui était déjà vieux alors, puisqu'il occupait depuis quarante-trois ans la scène de l'histoire, dut mourir bien peu après ces événements, car il n'est désormais plus question de lui. Deux ans plus tard, en 686, c'est son fils aîné, Nabousoumiskoun, que nous voyons à la tête de la principauté de Bit-Yakin, soit qu'il eût été installé par le roi d'Assyrie, en vertu du principe de cette monarchie de respecter les droits d'hérédité des fils des vaincus, soit qu'il y fût rentré aussitôt après le départ de Sennachérib. Fidèle aux traditions de son père, il s'associe à la nouvelle révolte de Souzoub à Babylone, fait cause commune avec l'adversaire des Assyriens, et lui amène les contingents de ses villes de Soulai, de Samouna et de Doummouq ; puis, dans la dernière bataille, qui achève de décider le sort de la guerre, il succombe en martyr de la cause de l'indépendance chaldéenne.

Cette seconde révolte de Souzoub éclata aussitôt après que Sennachérib fut rentré en Assyrie après la campagne de l'année 687, où il avait pénétré dans le pays d'Élam, comme revanche de l'intervention des Élamites dans les affaires de Babylone[118]. Dans ses inscriptions, le monarque assyrien prétend avoir arrêté volontairement le cours de ses succès, parce que les augures cessaient d'être favorables. Toujours est-il qu'il avait fait une prompte retraite, et que la fin de l'expédition avait eu l'air d'un insuccès plutôt que d'un triomphe ; il y avait là de quoi réveiller les espérances des Babyloniens. Sur ces entrefaites, Souzoub était parvenu à s'évader de la prison dans laquelle il était enfermé[119]. Il apparut dans la cité de Bel, et le peuple, chassant la garnison assyrienne, le proclama roi[120]. Son premier soin fut de s'assurer le secours du roi Oumman-Menan, qui venait de succéder, sur le trône d'Élam, à son frère Koudhir-Nakhounta[121]. Cette alliance était, en effet, indispensable à Babylone, pour tenir tête à la puissance des Assyriens. Le monarque élamite répondit à l'appel de Souzoub, en passant sa frontière à la tête d'une nombreuse armée, où il avait joint à ses propres troupes des auxiliaires tirés des pays de Parsouas, la Perse orientale, et d'Ellibi, le canton de la Médie où s'éleva plus tard Ecbatane. Sur sa route, il fut rejoint par les tribus nomades de la Chaldée, par les milices des grandes villes de la même contrée, et par le fils de Mérodachbaladan, conduisant les soldats de Bit-Yakin[122].

Ils marchèrent vers Babylone, dit la relation du prisme, auprès de Souzoub, de la tribu de Kalban. Le peuple de Babylone vint, de son côté, au-devant d'eux, et ils marchèrent unis. Comme des bandes innombrables de sauterelles qui se répandent dans la plaine pour la dévaster, ils se ruèrent contre moi. La poussière, soulevée par leurs pieds, était semblable au nuage épais des pluies de l'automne, qui envahit les vastes cieux, cachant ce qui était devant moi. Près de la ville de Khaloule, sur les bords du Tigre, ils s'établirent en ligne en face de mon camp, et voulurent tenter le sort des armes[123].

La fortune des batailles fut favorable au roi d'Assyrie. Le cœur rempli de courroux, je montai en hâte sur mon char de bataille le plus élevé, qui balaie les ennemis. te pris dans mes mains l'arc puissant que le Dieu Assur m'a donné... Je me ruai comme le feu dévorant sur toutes ces armées rebelles, comme le dieu Bin, l'inondateur. Par la grâce du dieu Assur, mon maître, je marchai vers ma proie pour la détruire ; comme une tempête dévastatrice, je versai la stupeur sur mes adversaires. Par l'adoration du dieu Assur, mon maître, et la tempête de la bataille, j'ébranlai la force de leur résistance, et je fis chanceler leur fermeté. L'armée des rebelles sous mes attaques terribles se replia, et leurs chefs réunis délibérèrent, réduits au désespoir[124].

Sennachérib raconte ensuite comment il acheta la trahison de Khoumba-Oundasa, le chef d'état-major (nagir) du roi d'Élam, qui lui révéla les plans de son maître, et lui donna les moyens de remporter, dans une seconde bataille, une victoire facile sur l'armée des Susiens et des insurgés chaldéens[125]. Celle-ci fut complètement vaincue et dispersée dans cette nouvelle bataille. Sur la terre mouillée, les harnais, les armes prises dans mes attaques, nageaient dans le sang des ennemis comme dans un fleuve ; car les chars de bataille, qui enlèvent hommes et bêtes, avaient, dans leur course, écrasé les corps sanglants et les membres. J'entassai les cadavres de leurs soldats comme des trophées, et je leur coupai les extrémités. Je mutilai ceux que je pris vivants, comme des brins de paille, et pour punition je leur coupai les mains. Oumman-Menan et Souzoub échappèrent à grand'peine au vainqueur, et se réfugièrent dans le pays d'Élam. Parmi les prisonniers saisis les armes à la main sur le champ de bataille se trouvait Nabousoumiskoun, le fils de Mérodachbaladan ; Sennachérib le fit  décapiter aussitôt qu'on l'eut amené en sa présence[126].

Alors le roi d'Assyrie prit une résolution implacable ; voulant en finir avec ces insurrections continuelles, qui épuisaient les forces de son empire, il décida d'en rendre le retour impossible, en anéantissant leur foyer, et de détruire Babylone par le fer et le feu, sans plus avoir d'égard pour son caractère de ville sacrée. L'ordre fut exécuté dans toute sa rigueur, et les temples mêmes ne furent pas respectés. 11 fut exécuté comme il avait été conçu, avec la froide cruauté d'une mesure de terreur mûrement préméditée, et cela quand le premier moment de colère était déjà passé, plusieurs mois après la victoire ; car la destruction de Babylone n'était pas encore entamée au mois de mars 685, lorsque fut écrit le prisme du Musée Britannique, où Sennachérib raconte seulement la défaite de Souzoub et des Élamites[127]. Mais dans la grande inscription, un peu postérieure, qu'il a fait graver sur les rochers de Bavian[128], il s'étend avec une complaisance féroce sur les détails du traitement terrible infligé à Babylone. La ville et ses temples, depuis leurs fondations jusqu'à leur sommet, je les ai détruits, démolis complètement, livrés aux flammes ; les forteresses et les temples des dieux, les tours à étages en briques cuites et en briques crues, je les ai abattues et renversées dans le canal Nahar-Arakhtou. Le pillage avait précédé la destruction ; les statues des dieux avaient été enlevées des temples pour être portées en Assyrie. Parmi les trophées de ce sac de Babylone, Sennachérib cite les images du dieu Bin et de la déesse Sala, conquises en Assyrie par Mardochidinakhé, quatre cent dix-huit ans auparavant, et le sceau royal de Teglath-Samdan Ier, que l'on gardait depuis six siècles dans la grande cité[129].

Mais on ne parvient pas à effacer de la carte, en un jour, une ville telle que Babylone, même quand on emploie les procédés terribles des rois d'Assyrie. On peut la livrer aux flammes, en abattre les temples et les monuments publics ; mais aussitôt que l'armée dévastatrice s'est retirée, les débris de la population sortent de leurs retraites et viennent habiter de nouveau sur les ruines de leurs demeures ; la ville se rebâtit graduellement, et, au bout de quelque temps, il faut encore compter avec elle. C'est ce qui advint pour Babylone. Quand Sennachérib mourut, assassiné par deux de ses fils, quatre ans après avoir cru détruire à tout jamais la ville sacrée, elle s'était assez relevée déjà pour que la question de son gouvernement devint une des premières et des plus sérieuses préoccupations de son successeur Assarahaddon. Voyant que la violence et la terreur n'étaient point parvenues à leurs fins, il essaya de la douceur et de la bienveillance, et pendant tout son règne il s'occupa de réparer les ruines faites par son père. Ne cherchant plus à découronner Babylone de son antique gloire, il la mit comme capitale sur un pied d'égalité complet avec Ninive. Il y fixa même sa résidence habituelle, cherchant à éviter par là le double danger de la confier à un vice-roi d'une fidélité douteuse, ou d'en humilier et d'en irriter les habitants en les soumettant à un simple préfet étranger. C'est dans cette ville qu'il emmena Manassé, roi de Juda, quand il l'eut fait prisonnier. II en commença la double enceinte, conçue dans des proportions gigantesques, que Nabuchodorossor acheva plus tard, et il jeta les bases de la splendeur donnée à la nouvelle Babylone, qui devait atteindre son apogée sous les rois de la dernière dynastie chaldéenne[130]. Et quand, en mai 668[131], il abdiqua la couronne d'Assyrie en faveur de son fils Assourbanipal[132], il se réserva la possession de Babylone, où il vécut encore quelques mois[133]. Les treize ans de son règne furent donc une trêve dans la lutte séculaire de Babylone contre l'Assyrie, qui allait reprendre bientôt après, aussi violente que jamais.

Dans les annales d'Assarahaddon, nous voyons reparaître le nom de la famille de Mérodachbaladan qui continuait à gouverner l'État de Bit-Yakin et à en sauvegarder la pleine indépendance avec l'appui des Élamites. Au prince mis à mort par Sennachérib avait succédé son frère Nabozirnapsatiasir — je demande pardon au lecteur pour ce nom interminable et bizarre ; il veut dire : le dieu Nébo favorise le germe de sa vie. — Ce second fils de Mérodachbaladan resta paisiblement sur le trône jusqu'à l'époque de la troisième campagne d'Assarahaddon (676 av. J.-C.). Mais un dernier frère, nommé Nahid-Mardouk, trahissant la cause dont son père avait été l'inébranlable défenseur, la cause pour laquelle son frère aîné avait donné sa vie, se rendit furtivement à Ninive, rendit hommage au souverain de l'Assyrie et lui demanda d'être mis en possession de la couronne, en promettant de remplir les obligations d'un vassal. Assarahaddon marcha sur le pays de Bit-Yallin ; Nabozirnapsatiasir essaya vainement de résister, il fut détrôné ; il est même à croire qu'il périt dans la guerre, car les documents émanés du roi assyrien disent qu'il ne sauva pas sa vie[134].

Le dernier de la race de Mérodachbaladan fut son petit-fils, Nabobelsoume. Continuant les traditions de résistance irréconciliable à la domination assyrienne auxquelles son père Nahid-Mardouk avait été seul infidèle, il s'unit, en 951, à la grande révolte de Samoulsoumoukin, second fils d'Assarahaddon et roi vassal de Babylone, contre son frère aîné, Assourbanipal, roi d'Assyrie[135]. Il était alors, comme son père et son grand-père, roi de la mer ; mais des garnisons assyriennes occupaient les places fortes de son pays. Se soulevant un des premiers, il les contraignit à capituler et prit une part des plus actives à la guerre contre l'Assyrien, qui dura quatre ans. Après la défaite finale des insurgés, la reprisé de Babylone par Assourbanipal et la mort de Samoulsoumoukin, qui se brûla vivant dans son palais (648), le petit-fils de Mérodachbaladan se réfugia dans le pays d'Élam avec un groupe de patriotes babyloniens et chaldéens[136]. Assourbanipal fit de l'extradition de Nabobelsoume une des conditions de la paix que lui demandait Indabigas, le roi élamite qui avait aidé les Babyloniens dans leur révolte[137]. Celui-ci allait le livrer quand il fut assassiné par le parti exalté qui, parmi les Susiens, voulait continuer la guerre[138]. Pourtant les négociations se prolongèrent encore pendant plus d'une année entre le roi d'Assyrie et le nouveau souverain d'Élam, nommé Oummanaldas. La correspondance diplomatique échangée alors entre les deux cours de Ninive et de Suse, et dont on a retrouvé plusieurs dépêches tracées sur des tablettes de terre cuite, dans la salle des archives du palais de Koyoundjik, roulait principalement sur l'extradition de Nabobelsoume, et Oummanaldas hésitait à livrer son hôte[139]. Enfin le roi d'Assyrie, perdant patience, envahit la Susiane et porta au cœur de ce pays une guerre terrible, qui dura deux années entières (645-644). Nabobelsoume et les patriotes chaldéens, à la bravoure desquels Oummanaldas avait fait appel, partagèrent sa fortune dans les batailles et se retirèrent avec lui dans les montagnes, devant la marche envahissante des Assyriens ; mais après le sac de Suse et la dévastation de tout le pays à l'entour, le peuple d'Élam demanda la paix à grands cris, et l'armée commença à se débander. Oummanaldas rentra en négociations avec le roi d'Assyrie et offrit de livrer les réfugiés. Nabobelsoume, désespéré, se fit tuer par son écuyer. Oummanaldas envoya le corps au monarque ninivite en implorant sa merci ; et le cadavre du dernier représentant de cette vaillante et patriotique famille, dans laquelle s'était incarnée la passion de l'indépendance chaldéo-babylonienne, fut le gage de la réconciliation entre l'Élamite et l'Assyrien. Assourbanipal exerça sur la dépouille sans vie de Nabobelsoume une vengeance indigne d'un grand roi, comme il l'était à certains points de vue, mais qui montre du moins quel adversaire il reconnaissait en lui. Il fit décapiter le cadavre et jeter le corps à la voirie, en défendant de lui donner la sépulture[140].

Un petit bas-relief du style le plus fin, conservé au Musée Britannique, et provenant du palais de Koyoundjik[141], représente Assourbanipal banquetant au milieu de ses femmes, dans les jardins du harem de Ninive. La tête de Nabobelsoume, salée et préparée, est suspendue à l'un des arbres du jardin, en face du roi, de manière à ce qu'au milieu de la fête il puisse assaisonner ses plaisirs du spectacle de la dépouille de son antagoniste vaincu. Les monarques assyriens étaient de ceux qui pensent que le corps d'un ennemi mort ne sent jamais mauvais.

Telle fut la fin tragique de la race de Mérodachbaladan. Trente-neuf ans après (605 av. J.-C.), elle était vengée, et avec elle tous ceux sur qui la puissance militaire de l'Assyrie avait promené ses dévastations. Le Babylonien Nabopolassar et le Mède Cyaxare prenaient Ninive et assouvissaient des haines nationales accumulées pendant plusieurs siècles, par une destruction sans autre exemple dans l'histoire, car la cité assyrienne ne devait plus jamais se relever de ses ruines. En annonçant au monde étonné cette catastrophe[142], avec des accents d'un incomparable éclat, le prophète Nahum se faisait, dans ses malédictions, l'écho de la conscience éternelle et des sentiments de tous les opprimés, courbés trop longtemps sous le joug du colosse ninivite.

Jéhovah est un dieu jaloux et vengeur ; Jéhovah est vengeur et plein de courroux ; Jéhovah se venge de ses adversaires et garde rancune à ses ennemis. Jéhovah est patient, grand en sa force, mais il ne laisse pas le crime impuni. Jéhovah est dans la tempête, sa voie est dans le tourbillon, le nuage est la poussière de ses pieds...

Le destructeur monte contre toi, ô Ninive ! Garde ta forteresse, observe le chemin, affermis tes reins, et recueille toutes tes forces...

Pillez l'argent, pillez l'or ; son trésor est infini ; dépouillez-la de tout ce qu'elle a de précieux. —. Elle est vidée, pillée et détruite ; les cœurs sèchent d'effroi, les genoux tremblent, les reins sont pénétrés de douleur, toutes les faces deviennent noires et défigurées. — Où est maintenant cette caverne de lions ? où sont ces viandis de lionceaux, où se retiraient le lion, la lionne et leurs petits, sans que personne les y vînt troubler ? — Le lion enlevait sa proie pour repaître ses petits ; il l'étranglait pour ses lionnes ; il remplissait de proie sa retraite et son antre de carnage. — Je viens à toi, dit le Dieu des armées ; je réduirai en fumée tes chars de guerre ; l'épée dévorera tes jeunes lions ; je retrancherai tes ravages de la face de la terre, et l'on n'entendra plus la voix de tes ambassadeurs.

Malheur à toi, ville de sang, pleine de mensonges, pleine de déchirements, qui ne cesses pas tes rapines...

Voici ton peuple ; ce ne sont plus que des femmes au milieu de toi ; les portes de ton pays s'ouvrent à tes ennemis ; le feu consume tes barrières. — Puise de l'eau pour le siège, répare tes forteresses ; entre dans la boue, pétris l'argile ; fais chauffer le four aux briques. — Là, le feu te consumera, le glaive t'exterminera comme une vermine, quand même tu serais nombreux comme l'insecte, épais comme un vol de sauterelles. — ... Tes princes sont comme les sauterelles, tes capitaines comme les essaims de grillons qui se logent dans les clôtures au temps du froid. Le soleil brille, ils délogent, et l'on ne sait plus où était leur place.

Ô roi d'Assur, les pasteurs de ton troupeau se sont endormis ; tes vaillants ont été ensevelis dans le sommeil ; ton peuple est dispersé sur les montagnes, et il n'y a personne pour le rassembler.

Il n'y a point de remède à ta blessure ; ta plaie est mortelle ; tous ceux qui ont appris ton sort ont battu des mains ; car sur qui ta méchanceté ne s'est-elle pas étendue en tout temps ?

Mais Babylone, enivrée de sa victoire, oubliait, après la chute de Ninive, ce qu'elle avait dû souffrir et combattre pour reconquérir l'indépendance. Elle entrait à son tour dans la voie des conquêtes et devenait le fléau des nations, jusqu'au jour où la colère divine lui infligeait un châtiment plus prompt encore et presque aussi terrible que celui de Ninive.

 

 

 



[1] Publié dans le Correspondant, en mai et juin 1873.

[2] II Rois, XX, 12. — Le copiste a répété la fin du nom de Mérodachbaladan pour celui de son père. Nous nous expliquerons un peu plus loin sur la nature des fautes et des interversions qu'on est obligé de reconnaitre dans le texte biblique tel que nous le possédons.

[3] Prisme de Sennachérib, col. 4, l. 21 : W. A, I. i, 40. — Inscription de Sennachérib à Nébi-Younès, l. 22 : W. A. I. i, 43. Prisme d'Assarabaddon, col. 2, l. 40 : W. A. I. i, 45.

[4] Col. 3, l. 59 : W. A. I. i, 39.

[5] On doit une grande partie des notions précises que l'on possède maintenant sur les relations de l'Assyrie et de Babylone avant le VIIIe siècle aux travaux récents de M. George Smith.

[6] W. A. I. i, 35, 3, l. 24.

[7] Cylindre de Bellino, l. 36 ; Layard, Inscriptions, pl. 64.

[8] W. A. I. iii, 3, 3-5.

[9] W. A. I. iii, 4, 2.

[10] W. A. I. iii, 4, 3.

[11] Inscription de Sennachérib à Bavian, l. 48-50 : W. A. I. iii, 14.

[12] W. A. I, ii, 65, col. 2, l. 14-24.

[13] Voyez George Smith, dans les Transactions of the Society of Biblical archœology, t. I, p. 75.

[14] Monolithe de Nimroud, col. 4, l. 16-21 : W. A. I. i, 23.

[15] Layard, Inscr., 15, l. 23-29 ; 76, l. 14-20 ; 91, l. 73-83. — W. A. I. ii, 65, l. 45-68.

[16] Stèle de Samsi-Bin, de col. 3, l. 70, à col. 4, l. 45 : W. A. I. i, 34.

[17] W. A. I. ii, 52, 1.

[18] W. A. I. i, 35, 2.

[19] W. A. I. i, 35, 1.

[20] Il ne faut cependant pas placer à cette époque, comme l'ont fait quelques érudits, une destruction de Ninive par Bélésys et Arbace — pure fable de l'invention de Ctésias — et une interruption de la série des rois assyriens pendant quarante ans. Sir Henry Rawlinson et les savants de l'école anglaise ont eu parfaitement raison de rejeter cette hypothèse. Après l'avoir admise dans mon Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, une étude plus approfondie des documents assyriens, et en particulier des annales de Teglathphalasar II, m'a obligé de reconnaître qu'elle est démentie par les faits les plus positifs.

[21] II Rois, XV, 20.

[22] W. A. I. ii, 67, l. 57-62.

[23] II Rois, XVI, 11-16.

[24] W. A. I. ii, 67, l. 1-5.

[25] Layard, Inscr., 52. — W. A. I. ii, l. 5-15.

[26] Layard, Inscr., 17, l. 8-11. — W. A. I. ii, 67, l. 15-17.

[27] W. A. I. ii, 67, l. 23-25.

[28] W. A. I. ii, 67, l. 26-28.

[29] Inscription des taureaux de Khorsabad, l. 10-12 : Botta, Inscriptions, pl. 40. — Inscription des Barils, l. 6 : W. A. I. i, 36.

[30] Oppert, Inscriptions de Dour-Sarkayan, p. 27.

[31] I, 196.

[32] Inscription des Annales, Khorsabad, salle XIII, plaque 4. — Inscription des Fastes, l. 123.

[33] Inscription des Annales, Khorsabad, salle II, plaque 3. Inscription des Fastes, l. 23.

[34] Inscription des Annales, Khorsabad, salle II, plaque 3.

[35] II Rois, XX, 6 ; Isaïe, XXXVIII, 5.

[36] II Rois, XXI, 1.

[37] II Rois, XX, 6 ; Isaïe, XXXVIII, 6.

[38] II Rois, XVIII, 14.

[39] II Rois, XVIII, 16.

[40] II Rois, XX, 13 ; Isaïe, XXXIX, 2.

[41] C'est la leçon de ses propres inscriptions, à Suze ; celles de Sargon l'appellent Soutikrak-Nakhoundi.

[42] Cette traduction occupe les pages 29-39 dans le tirage à part intitulé : Les Inscriptions de Dour-Sarkayan.

[43] Khorsabad, salle V, plaque 10 ; Botta, 113.

[44] Prisme, col. 3, l. 53-69 ; col. 4, l. 1-7 : W. A. I. i, 46.

[45] Khorsabad, salle V, plaque 10 ; Botta, 113. — Porte H, montant 2 ; Botta, 65 bis.

[46] Voyez Frazer, Mesopotamia and Assyria, p. 34.

[47] Khorsabad, salle II, plaque 22 ; Botta, 85. — Porte O, montant 1 ; Botta, 66.

[48] L, 21.

[49] Khorsabad, porte O, montant 1 ; Botta, 66. — Salle II, plaque 25 ; Botta, 86. — Salle XIII, plaque 7 ; Botta, 157.

[50] Khorsabad, porte O, montants 1 et 2 ; Botta, 66. — Salle II, plaque 25 ; Botta, 86. — Salle XIII, plaque 7 ; Botta. 157.

[51] XXXVIII, 2 ; XXXIX, 1.

[52] Le grand dieu national de l'Assyrie et les dieux protecteurs spéciaux de la ville de Babylone, que Sargon représente comme ses auxiliaires contre Mérodachbaladan.

[53] Khorsabad, porte O, montant 2 ; Botta, 66.

[54] Prisme d'Assarahaddon, col. 2, l. 43 : W. A. I. i, 45.

[55] Le nom de Kar-Dounyas, la forteresse du héros Dounyas, est une désignation de Babylone exclusivement propre aux Assyriens et qui se rattache à des légendes aujourd'hui perdues. Il est évident, du reste, que le nom de Kar-Dounyas avait un caractère plus profane et moins relevé que celui de Babylone. Les rois d'Assyrie affectaient de ne donner que le titre de roi de Kar-Dounyas aux princes babyloniens qui s'intitulaient dans leurs propres monuments roi de Babylone. C'est à eux-mêmes que les monarques ninivites réservaient l'appellation sacrée de vicaire des dieux à Babylone, quand ils parvenaient à être maîtres de cette cité sainte.

[56] Khorsabad, porte O, montant 2 ; Botta, 66. — Salle II, plaque 28 ; Botta, 87.

[57] Cf. l'inscription des Fastes, I, 125-126.

[58] Déesse épouse de Bel-Mardouk, adorée avec lui dans la pyramide de Babylone. C'est la Mylitta d'Hérodote, la déesse que l'on croyait honorer au moyen des pratiques infâmes signalées par l'historien grec comme par les prophètes hébreux.

[59] Déesse des lettres, épouse de Nébo.

[60] Khorsabad, porte O, montant 2 ; Botta, 66. — Salle II, plaque 23 ; Botta, 87.

[61] Khorsabad, salle II, plaques 28 et 29 ; Botta, 87 et 88. — Salle V, plaque 9 ; Botta, 112.

[62] Khorsabad, salle II, plaque 29 ; Botta, 88. — Salle V, plaque 9 ; Botta, 112.

[63] Khorsabad, salle V, plaque 9 ; Botta, 112.

[64] Khorsabad, salle II, plaque 31 ; Botta, 89. — Salle V, plaques 8 et 7 ; Botta, 111 et 110.

[65] L. 127-134.

[66] Il faut entendre ici ce nom comme étendu au Schatt-el-Arab.

[67] Khorsabad, salle V, plaque 7 ; Botta, 110.

[68] Cotée K. 181. — Voyez Oppert, Mém. présent. par div. sav. à l'Acad. des Inscr., 1re sér., t. VIII, 1re part., p. 545.

[69] W. A. I. ii, 69, 5.

[70] Voyez entre autres Schrader, Die Keilinschriften und das Alte Testament, p. 215.

[71] Col. 1, l. 19-40 : W. A. I. i, 37.

[72] L. 6-14 ; Layard, 63.

[73] Le prisme dit : Dans ma première campagne.

[74] I Chroniques, V, 10.

[75] II Rois, XVIII, 7.

[76] II Rois, XVIII, 8.

[77] Isaïe, XXX.

[78] Col. 2, l. 34-83 ; col. 3, l. 1-41 : W. A. I. i, 38 et 39.

[79] W. A. I. iii, 12, l. 18-32.

[80] Chapitres XVIII et XIX.

[81] Chapitres XXXVI et XXXVII ; voyez aussi le chap. XXXII du second livre des Chroniques.

[82] II, 141.

[83] Le siège de Tyr, commencé, comme celui de Samarie, par Salmanassar et terminé sous Sargon, avait duré cinq ans d'après le morceau emprunté par Josèphe aux Annales tyriennes de Ménandre. Ce morceau n'en indique pas l'issue, et Sargon se vante d'avoir soumis Tyr. Mais il en parle toujours si brièvement, même dans ses documents les plus développés, qu'il est à croire que sou succès n'avait été que bien incomplet.

[84] A ces rois, les documents officiels de Sennachérib ajoutent Menahem d'Ousimouroun. Sir Henry Rawlinson, suivi par plusieurs autres, suppose qu'il s'agit ici de Samarie, où l'on aurait conservé des rois vassaux de l'Assyrie, après la ruine d'Israël. Mais je ne saurais partager cette manière de voir. Il me parait impossible de confondre Ousimouroun avec Samarie, dont le nom est toujours écrit Saminira dans les textes cunéiformes. La ville dont le nom ressemble au sien, mais en diffère, et dont nous connaissons plusieurs rois par les documents assyriens, est certainement une cité phénicienne, et sa place constante dans les listes de villes tributaires, qui suivent un ordre géographique régulier, me conduit à l'identifier à l'Orthosia des Grecs. Après la prise par Sargon, Samarie, en réalité, n'est plus mentionnée dans les textes de l'Assyrie, et ici encore la Bible ne reçoit pas de démenti de ces textes.

[85] Prisme, col. 2, l. 69-72.

[86] X, 28.

[87] Col. 2, l. 73-83.

[88] XIX, 43 et 44.

[89] Col. 2, l. 13-83.

[90] Col. 3, l. 1-11.

[91] Col. 3, l. 11-23.

[92] II Rois, XVIII, 13 ; Isaïe, XXXVI, 1.

[93] II Rois, XVIII, 14 et 15.

[94] Col. 3, l. 34-37.

[95] Münz-Mass-und Gewichtswesen Vorderasien, p. 98.

[96] II Chroniques, XXXII, 2-8.

[97] II Chroniques, V, 9.

[98] II Rois, XVIII, 17.

[99] W. A. I. ii, 67, l. 66.

[100] II Rois, XVIII, 19-21 ; Isaïe, XXXVI, 4-6.

[101] Layard, Monuments of Nineveh, second series, pl. XX-XXIV.

[102] W. A. I. i, 7, 8, i.

[103] II Rois, XIX, 9 ; Isaïe, XXXVII, 9.

[104] II Rois, XIX, 10-13 ; Isaïe, XXXVII, 10-13.

[105] II Rois, XIX, 14-34 ; Isaïe, XXXVII, 14-37.

[106] II Rois, XIX, 7 ; Isaïe, XXXVII, 7.

[107] II Rois, XIX, 35 ; Isaïe, XXXVII, 36.

[108] II Rois, XIX, 36 ; Isaïe, XXXVII, 37.

[109] Hérodote, II, 141.

[110] Col. 8, l. 29-41.

[111] Prisme, col. 3, l. 42-65 : W. A. I. i, 39.

[112] Cette expression est curieuse ; elle laisse entrevoir Sennachérib levant les derniers contingents de ses troupes pour combler les vides laissés par l'expédition de Palestine.

[113] Esdras, IV, 9.

[114] On a plusieurs récits de cette expédition, entre autres dans le prisme du Musée Britannique (col. 4, l. 21-34 : W. A. I. i, 40) et dans l'inscription de Nébi-Younès, actuellement à Constantinople (l. 21-26 : W. A. I. i, 43). Le fond de notre narration est emprunté au prisme.

[115] Zeitschr. fur Ægypt. Sprach. und Alterthumsk., 1870, p. 38.

[116] L. 27 et 28.

[117] Inscription de Nébi-Younès, l. 27-35 ; W. A. I. i, 43. — Prisme, col. 4, l. 35-42 ; W. A. I. i, 40.

[118] Prisme de Sennachérib, col. 4, l. 43-79 ; W. A. I. i, 40.

[119] Prisme, col. 5, l. 8-10 ; W. A. I. i, 41.

[120] Prisme, col. 5, l. 10-18.

[121] Prisme, col. 4, l. 80 ; col. 5, l. 14.

[122] Prisme, col. 5, l. 19-34.

[123] Prisme, col. 5, l. 44-49.

[124] Prisme, col. 5, l. 56-69.

[125] Prisme, col. 5, l. 66-74.

[126] Prisme, col. 5, l. 75-85 ; col. 6, l. 1-24 : W. A. I. i. 41 et 42.

[127] Le prisme est daté du 20 du mois d'adar de l'année éponymique de Bel-emouranni, préfet de Karkemisch.

[128] W. A. I. iii, 14.

[129] W. A. I. iii, 4, 2.

[130] W. A. I. i, 49.

[131] Le 12 du mois d'air de l'éponymie de Sakan-la-arme.

[132] W. A. I. iii, 17, l. 8-20. — Smith, Hist. of Assurbanipal, p. 9.

[133] Smith, Assurbanipal, p. 42 et suivantes.

[134] Prisme d'Assarahaddon, col 2, l. 31-44 : W. A. I. i, 45.

[135] Voyez tous les textes relatifs à cette révolte dans Smith, Assurbanipal, p. 151-204.

[136] Voyez la proclamation d'Assourbanipal aux anciens sujets de Nabobelsoume, dans Smith, Assurbanipal, p. 189 et suivantes.

[137] Smith, Assurbanipal, p. 178 et suivantes.

[138] Voyez la dépêche annonçant cet événement, dans Smith, Assurbanipal, p. 197 et suivantes.

[139] Voyez la dépêche publiée dans Smith, Assurbanipal, p. 232 et suivantes.

[140] Tous les textes relatifs à ces faits sont rassemblés dans Smith, Assurbanipal, p. 205-265.

[141] Place, Ninive et l'Assyrie, pl. 57, n° 2.

[142] La prophétie de Nahum contre Ninive est certainement postérieure aux guerres d'Assourbanipal, auxquelles elle fait directement allusion. Elle doit donc avoir été prononcée vers le moment où Nabopolassar et Cyaxare marchaient contre la ville.