HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE XX.

 

 

UN sentiment de justice naturelle prescrit l'indulgence pour ceux qui gouvernent durant l'enfance des rois. Le pouvoir emprunté qu'ils exercent sous le nom de régent ou de ministre perd en énergie et croît en difficultés. Leurs fautes sont aussi d'une conséquence moins grave, parce qu'on les attribue plutôt à la faiblesse de l'administration qu'au vice de la royauté qui paraît alors engourdie dans une sorte de sommeil, accident inévitable des constitutions héréditaires. Les régences passent dans les monarchies, comme les saturnales dans les mœurs romaines, sans altérer leur austérité habituelle. Le principe monarchique fut peut-être moins endommagé par les deux princes d'Orléans et de Condé que par Louis XIV vieillissant. La crainte, qui en était la première base, subsista pleinement dans l'âme des sujets, et cette vérité paraîtra bien neuve à ceux qui sont accoutumés à ne juger de la régence que par ce qu'en ont écrit les satiriques du dix-huitième siècle. Cependant j'ai retrouvé à cette époque toute la sévérité des maximes anciennes dans les actes et les correspondances des intendants, des gouverneurs et des cours de justice ; j'ai vu la peine de mort étendue à des cas nouveaux ; un violent arbitraire frappa les monnaies, les rentes et les offices ; le parlement de Paris fut exilé en corps pour la première fois, et vingt-six charges furent arrachées de celui de Rennes. J'ai cité deux faits qui ne dépareraient pas l'histoire des plus humbles servitudes. Un complice bien subalterne de l'intrigue de Cellamare ne put trouver d'asile au fond de la Bourgogne, même dans la maison paternelle. Un édit, hasardé an milieu de la chute du papier-monnaie, ordonna aux mécontents d'apporter leur or au trésor royal, et dans l'espace d'un mois la terreur y déposa quarante millions de livres, et, ce qui est étrange, la régence la plus téméraire fut aussi la plus paisible. L'honneur de ce phénomène si nouveau pour la France n'appartient pas tout entier à l'active fermeté du cardinal Dubois ; il est juste d'en rendre une part à la politique des deux règnes précédents, qui avait profondément énervé l'institution féodale toujours prête à donner une tête à la révolte, et l'institution municipale toujours prête à lui fournir des bras.

L'admiration, qui était la seconde base de la nouvelle monarchie, se composait ou de l'enthousiasme qu'inspirent l'héroïsme et les triomphes, ou de ce sentiment confus et religieux dont la vertu, la puissance et la grandeur en tout genre pénètrent le vulgaire. Quoique la fortune eût affaibli par degrés ce 'double prestige dans 'la seconde moitié du règne de Louis XIV, ce monarque imposait par la majesté de ses ruines, et sa cour, triste et décente, recueillait le respect. Sans doute le temps n'était plus où le monarque voyait dans ses voyages les habitants des campagnes border les chemins et se jeter à genoux .sur son passage[1]. Mais une autre sorte d'idolâtrie plus tendre et plus douce s'attachait aux pas du jeune Louis XV. Sa beauté, sa faiblesse, ses prétendus périls, fondaient ce culte populaire. Tant que la régence dura, il n'y eut pas de cour, à proprement parler.

Le Régent Philippe vécut en homme privé entre ses roués, comme le protecteur Cromwell l'avait fait entre ses saints. Mais au-delà de ce cercle honteux que les courtisans seuls pouvaient pénétrer, quelques nobles parties de la renommée et du caractère du duc d'Orléans, telles que sa bravoure et sa clémence, allaient au loin séduire la multitude[2]. N'oublions pas que le peuple qui voulait mettre en pièces le prince Cellamare, avait accueilli a avec une admiration singulièrement indécente[3] ce téméraire partisan Growestein qui faillit à enlever le dauphin aux portes de son palais. Si le Régent fut déchiré par les Philippiques, la même fureur n'épargna pas Louis XIV, et j'ai vu d'énormes collections de satires vomies contre ce monarque, et où l'on appelait sur sa tête auguste la hache de Charles Ier. Faut-il même le dire ? on comme plus de noms respectables parmi les censeurs de l'oncle que parmi veux du neveu ; et, par une bizarre ingratitude, le roi qui poussa la piété jusqu'à la superstition fut jugé le plus sévèrement par quatre prêtres : Fénelon, Du Guet, Castel de Saint-Pierre et Massillon[4]. L'église française de Rome refusa même à ses cendres le tribut qu'elle doit à nos princes[5]. Qu'on ne perde néanmoins pas de vue que dans ces parallèles j'exprime ce qui fut l'opinion des contemporains sans toucher aux arrêts de la postérité.

Les dix années qui venaient de s'écouler abaissèrent moins le trône qu'elles n'élevèrent les princes dont il était entouré. Un siècle auparavant, Henri IV avait dit aux états de Rouen : Je ne distingue point mes princes de ma brave noblesse, la qualité de gentilhomme étant notre plus beau titre. Louis XIV, qui contint sa famille sous une tutelle ombrageuse et qui se lut à la confondre avec ses enfants naturels, ne démentit point les paroles du Béarnais. Mais quand les ducs d'Orléans et de Bourbon gouvernèrent successivement le royaume, quand chaque jour put poser la couronne sur la tête du premier, on s'accoutuma dès lors à mettre un immense intervalle entre eux et le reste de ses sujets. La politique, croyant sans doute augmenter l'éclat du trône, favorisa cette première impression. Une loi statua que les gentilshommes ne dérogeraient point en devenant les fermiers des princes[6]. Un frère du duc de Bourbon, mécontent de la présence du chevalier de Cossé dans une assemblée publique, lui dit avec arrogance : Sortez, monsieur ; et celui-ci lui répondit : Monseigneur, vos ancêtres auraient dit aux miens, sortons. Cette différence de langage peint avec précision celle qui s'était opérée dans l'état des princes du sang. L'existence si équivoque des ducs et pairs servit aussi d'échelon pour étendre la distance entre les princes et la simple noblesse. Le duc de Bourbon affecta de relever cette dignité, et refusa obstinément d'en décorer La Vrillière, vieilli dans le ministère[7] tandis que le comte de Charolais la traitait avec le plus grand dédain[8]. Cette exaltation soudaine des princes du sang ne les investit pas d'avantages sans mélange. Plus on les orna de pompe, plus on sentit la nécessité de les priver de toute puissance réelle, et ils n'obtinrent un culte que sous la condition d'être d'immobiles simulacres. Ce système, rigoureusement suivi jusqu'à la chute de la monarchie, sema dans son cours des accidents qui ne furent pas étrangers à la grande catastrophe.

La même époque qui déifiait les princes du sang marquait de traits nouveaux l'existence de la noblesse. De tous les éléments de la monarchie, la noblesse est le plus capricieux. On peut s'en convaincre par les résultats très-différents qu'elle a opérés dans les constitutions de l'Angleterre, de l'Allemagne et de la France. La défaite des grands vassaux changea les dangers de notre gouvernement. Après avoir redouté des nobles trop riches, il fût embarrassé de nobles trop pauvres ; et la suite de cette histoire nous apprendra que cette plaie a été mortelle. Colbert essaya de l'adoucir en ouvrant aux gentilshommes la carrière du commerce. Son espérance se fondait sin' un grand exemple. Pendant la tyrannie de Cromwell, les seigneurs avaient mis leurs enfants en apprentissage chez les marchands de la cité de Londres ; et à la restauration, loin de rougir d'un asile que la peur leur avait fait chercher, ces jeunes gens cultivèrent par goût ce qui avait été pour eux la ressource de là nécessité. Mais le génie des deux peuples était trop différent. Louis XIV laissa en mourant sa noblesse militaire en pleine banqueroute et couverte d'un arrêt de surséance de trois années, dernier bienfait d'un monarque aussi indigent qu'elle-même. Le Régent fut contraint de prolonger d'une durée presque égale ce répit humiliant[9]. Mais il tâcha en même temps de soulager la caste, soit par l'abolition du vingtième, soit par l'établissement de cadets gentilshommes dans le régiment des gardes, et auprès du pavillon de l'amiral[10]. On porta la complaisance jusqu'à exclure les roturiers de la gestion des haras[11] ; et dans cette décision, en apparence un peu burlesque, on retrouve une teinte des préjugés particuliers aux peuples sortis du Nord, chez qui les titres honorifiques d'écuyers et de chevaliers annoncent assez que Mute noblesse est venue du cheval. Paris-Duverney, quoique né dans la lie du peuple, obéit à la même politique en proposant dès-lors[12], l'institution de cette école militaire qu'il parvint à exécuter plus de trente années après, avec une bien rare persévérance. Mais les meilleurs secours arrivèrent à la noblesse d'une source moins prévue, je veux dire de la révolution des finances. Comme cet ordre de l'État, bien différent des patriciens usuriers de l'ancienne Rome, formait vraiment alors une corporation de débiteurs, le torrent des billets de banque leva les hypothèques de ses domaines à peu de frais, et il ne fut plus besoin de renouveler le scandale de la surséance. Le système de Law répara dans ce point l'édifice monarchique, et produisit l'effet de cette loi d'une salutaire violence, que les Romains sollicitèrent si souvent, et qui, chez les Hébreux, abolissait les dettes au retour de chaque siècle. Soit reconnaissance, soit entraînement général, les plus grands seigneurs se disputèrent les concessions des colonies, entrèrent dans les compagnies de finance et de négoce, et firent, sous le nom d'actionnaires, tout ce qu'ils avaient refusé de faire sous celui de commerçants. Le même temps[13] devait voir un bon gentilhomme, M. de Chassé du Ponceau, débuter sur le théâtre de l'Opéra, où il chanta durant trente-six années, aussi applaudi comme acteur qu'estimé comme honnête homme.

Au reste, la noblesse française rendit plus à la bourgeoisie qu'elle ne semblait lui ôter. On n'a point assez remarqué la vive lumière que fit briller au début de la régence l'établissement des conseils. Quoique sa durée fût courte, elle éveilla tant d'idées et ouvrit aux esprits un champ si neuf que ses traces ne s'effacèrent plus, et que les administrations de Dubois et de Duverney en gardèrent involontairement l'empreinte. La capitale en reçut quelques fondations utiles et ingénieuses[14]. Les villes de provinces, plongées jusqu'alors dans une grossière insouciance, commencèrent à s'occuper de commodités et d'embellissements, et à communiquer à la cité une part des agréments qui pénétraient dans les mœurs privées. Cette émulation était due au réveil de l'esprit municipal, de cette sève heureuse qui est plus féconde que les profusions royales, parce qu'elle agit à la fois et sans relâche sur tons les points de l'empire. La bienfaisance d'Henri IV tombait de trop haut sur le peuple ; la postérité pouvait seule jouir des sanglantes moissons qu'abattait la faux de Richelieu, et sous Louis XIV tous les yeux furent éblouis par l'irradiation du trône et par la grandeur théâtrale du maitre. Aussi avec quelle surprise ne dut-on pas entendre les chefs des conseils de la' régence, déposant l'orgueil et les préjugés du rang, proposer des plans populaires, proférer des paroles de justice et de pitié inouïes jusqu'alors, et animer l'ordonnance des affaires d'une chaleur patriotique qui était peut-être de la vertu ! On peut se former une image de cette fougue de générosité en se rappelant ce que fit une partie de la noblesse dans les meilleurs temps des états-généraux de 1789. Les travaux qui signalèrent les Montesquiou, les La Rochefoucault, les Beauharnais, semblent un commentaire du langage que parlaient, en 1716, les Noailles, les Canillac, les Broglie et les Berenghen. Ceux-ci n'avaient pas, il est vrai, pour auxiliaire l'élite d'un tiers-état devenu le centre des lumières et des richesses ; car probablement la vieille monarchie n'eût pas résisté à cette alliance, et se fût brisée près d'un foyer aussi ardent. Mais si le tiers-état, tel que nous venons de le désigner, n'existait pas encore, le moment de sa formation approchait, et la régence fut aussi son berceau.

Isolée de la noblesse et du clergé, la masse du peuple n'avait eu qu'une existence politique bien douteuse. Dans les assemblées générales, elle était représentée par des nobles ou par des magistrats qui en possédaient les privilèges. Dans les jours même de licence, les rôles d'instrument et de créature lui suffisaient, comme on le vit à la Fronde, qui ne fut au fond qu'un tournoi de gentilshommes où quelque dépit échauffa les acteurs. En vain les rois avaient affranchi les corps de la glèbe, les esprits y demeuraient attachés ; et ce fut vraiment Law qui les émancipa par le mélange qu'il fit des finances de l'Etat et des spéculations commerciales. Les plus habiles négociants de Marseille, de Lyon, de Nantes, et surtout du Havre, vinrent traiter les affaires publiques dans la direction de la banque royale et de la compagnie des Indes. Ces hommes, accoutumés à généraliser quelques idées et à promener leurs regards sur un vaste horizon, éclipsèrent aussitôt la légion d'anciens laquais, d'usuriers et de traitants qui composaient la corporation financière. Le luxe grotesque de ces derniers et leur impitoyable' voracité furent adoucis dans leurs successeurs par une sorte de pudeur et par des calculs où entrait la considération de l'avenir. Cette conduite plus mesurée affaiblit peu à peu la prévention populaire contre la profession des financiers, préjugé presque religieux, si l'on fait attention que le christianisme, né parmi des indigents, s'est toujours plu à flétrir le nom de publicain. La nécessité conduisait nos rois sur la même pente d'idées. Depuis que, privés de domaines, ils subsistaient d'impôts, la richesse prenait dans l'Etat la place qu'avait eue la force. Le banquier 'tenant les ressorts du crédit, le négociant levant les tributs. du commerce, offraient des ressources plus promptes que le possesseur de terres. Introduits par Law dans le maniement des affaires du trône, ils héritèrent de l'ancienne importance des châtelains et des bannerets, espèce d'hommes fort différente qui vivait sur des chevaux et se vêtissait d'écailles de fer. Le cardinal de Fleury trouva cet élément tout prêt lorsqu'il acheva la métamorphose de la France féodale en France fiscale.

J'ai laissé entrevoir précédemment les obligations et les périls dont cette nouveauté entourait le gouvernement. Les richesses se multipliaient par des signes convenus et des produits coloniaux, par une circulation plus active et une industrie mieux protégée. La distribution de ces richesses où réelles ou fictives s'opérait dans la société par des canaux inusités. Elle descendait volontiers des classes supérieures, qu'elle abaissa un peu, aux classes moyennes dont elle enfla les prétentions, et allait jusque dans les derniers rangs relâcher la dépendance du pauvre, en multipliant le nombre de ceux qui ont le besoin ou le désir d'employer ses bras. L'esprit national se colorait de ces nuances diverses. L'enceinte d'une bourse commune fut, au milieu de la capitale, une espèce de république où l'opinion se produisait aussi librement qu'elle le fit jamais sur la place d'Athènes ou dans le Forum romain. Cette puissance indépendante eut une diplomatie et des caprices que le gouvernement craignit et consulta. Elle imposa aux provinces et se les attacha par des rapports d'intérêt qui renaissaient et variaient chaque jour. Elle donna pour ainsi dire à toutes les parties de l'Etat une vie commune dont l'origine et le mouvement ne furent point dans la main royale. La vanité alla bien encore à la cotir solliciter des honneurs ; mais la cupidité, passion plus générale, s'arrêta à la ville, où coulaient les sources de la fortune. Cette supériorité que la ville commençait à prendre fut extrêmement favorisée par le séjour de sept années que le roi et le Régent y firent après la mort de Louis XIV. Dans ce mélange inattendu, l'égide de l'étiquette se rompit ; la grandeur se consola, par les plaisirs, des hommages qu'elle perdait, et l'on rechercha une vie commode et cachée. Quand le prince s'éloigna de nouveau, la nécessité de le suivre parut un devoir et presque un exil. La cour cessa d'être. la patrie des courtisans. On eût même dit que les. attraits de la ville avaient redoublé, car ce fut à cette époque que des contrats de mariage commencèrent à recevoir la stipulation que les femmes ne seraient point obligées d'habiter les terres de leurs maris. Cette révolution ne s'opérait pas sans apporter dans les mœurs, dans les préjugés et même dans les arts, des changements dont nous parlerons bientôt. Mais, disons-le dès à-présent, il sortit des dix années qui venaient de s'écouler un résultat général qu'on peut réduire à ces simples termes. L'influence de la cour sur la capitale diminua considérablement, et l'influence de la capitale sur le royaume s'accrut au même degré. Toute la destinée de la France jusqu'à la fin du dix-huitième siècle sera la conséquence de ces deux propositions.

Continuons cependant d'étudier l'esprit de la régence dans les autres parties de son administration, en comprenant désormais sous ce mot de régence tout l'espace qui sépare la mort du roi du ministère de Fleury. La France mérita éminemment le nom de pacifique, et tâcha de persuader à l'Europe que Louis XIV était bien mort tout entier. Non seulement elle voulut la paix pour elle-même, non seulement elle la ramena dans le nord et dans le midi ; mais encore elle s'attacha constamment à en prévenir la rupture, même entre ses rivaux. Je me suis convaincu que pendant dix années, sa diplomatie n'écrivit pas une ligne qui n'eût pour but le repos du monde. On eût dit qu'elle se croyait chargée d'accomplir ce vœu qu'Henri IV avait bien mieux promulgué par ses paroles que par ses actions. Dés politiques moins généreux ont reproché à la régence d'avoir outré cette doctrine en conciliant dans la paix de la Turquie les intérêts de la Russie et ceux de l'Allemagne, et en étouffant la discorde que la compagnie d'Ostende animait entre l'Angleterre et la maison d'Autriche. Les fautes d'une vertu si rare doivent obtenir grâce ; et quand même quelque mollesse en eût été le principe, les effets furent trop salutaires pour en traiter sévèrement les causes. Aussi je ne crois pas qu'aucune plume étrangère se soit mêlée aux invectives qu'il est d'usage, parmi nous, de prodiguer à l'inoffensive régence ; car je ne range point parmi les opinions de l'histoire les écrits nés dans la chaleur des disputes à Rome et en Espagne[15]. La campagne des Pyrénées fut moins une guerre qu'un débat de famille, soutenu par force et promptement calmé. Les tracasseries romaines seront les fruits éternels de la constance du Saint-Siège dans ses prétentions[16], et de l'âcreté naturelle des commerces théologiques.

Il en est de l'état militaire d'une nation comme de Vanne particulière du soldat, qui exige d'autant plus de soin qu'on en fait moins usage. Qu'on ne s'étonne donc point de ce que les conseils de la régence s'occupèrent beaucoup de l'armée oisive. La solde fut augmentée, le régime des étapes changé, et la force proportionnelle de la Cavalerie diminuée. Notre artillerie, recréée sur un meilleur plan et enrichie de cinq écoles de théorie et de pratique[17], posa les bases de sa grande réputation. Mais la peine de mort, appliquée à la désertion dans la vue d'effrayer les coupables, décela une fausse combinaison. De tous les peuples c'est le Français, et de tous les Français c'est le soldat qu'il faut le moins défier. La désertion se multiplia dès qu'elle parut une preuve de courage, et la cruauté de la peine ne servit qu'à rendre le criminel moins odieux, sa fuite mieux préparée et sa capture plus difficile. En seize mois[18], on compta onze mille quatre-vingt-dix-neuf déserteurs, dont six cent vingt-quatre furent pris, et trois cent quatre-vingt-huit exécutés. Deux changements dans les rapports de l'armée avec les citoyens peuvent être' regardés comme un grand pas vers la perfection civile. On ordonna l'établissement de quatre cent quatre-vingt-huit casernes dans l'intérieur du royaume[19], et l'on abolit les tributs que les troupes percevaient sous différents prétextes. Par la première de ces mesures, la discipline, la fidélité, l'esprit militaire, furent en grande partie préservés des séductions de la paix et, pour ainsi dire, de la rouille domestique. Par la seconde, s'effacèrent les derniers vestiges de la domination soldatesque, incompatible avec l'équilibre d'un bon gouvernement. La régence n'agit point au hasard dans ces mémorables Innovations ; car, en 1725, le maréchal de Villars ayant proposé de remettre en vigueur les exactions militaires, quelle que fût alors la détresse des finances, on n'écouta pas ce barbare langage du plus inconsidéré des hommes. Enfin la législation militaire de cette époque se termina par l'institution de la milice. Elle apprit aux Français ce qu'avaient déjà éprouvé les Romains, que de la classe des laboureurs sort l'espèce de soldats la plus robuste, la plus brave et qui pense moins à mal faire[20].

Plus la régence avait prodigué d'attention à l'armée de terre, moins ses vues s'étendirent sur la marine. Cette alternative a presque toujours prévalu en France. Déjà, en 1681, on avait agité, dans le conseil du roi, la nécessité de notre marine militaire et proposé de la réduire, comme avant le cardinal de Richelieu, à quelques vaisseaux de garde ou d'escorte[21]. Louis XIV ne répondit à ces opinions pusillanimes que par l'ordre de la porter, l'année suivante, à cent vingt vaisseaux de ligne, effort qui avait plus d'éclat que de solidité. Notre marine, créée par Colbert sur les principes rigoureux de l'utilité maritime, fut bientôt corrompue par toutes les vanités de son fils. On eût dit qu'un laborieux comptoir se transformait tout à coup en arrogante gentilhommière. Les vices de la marine s'invétérèrent par des succès, jusqu'à ce que la terrible défaite de La Bogue lui enleva sa gloire et lui laissa ses préjugés. Ce colosse, désormais plus fatal à la France qu'à ses ennemis, se soutint encore vingt années par d'énormes sacrifices[22]. Mais enfin, en 1710, Louis XIV, accablé de ce fardeau, le vit échapper de ses mains. La paix d'Utrecht et l'affront de Dunkerque[23] scellèrent sa ruine. A la mort du roi, la moitié de la flotte était anéantie ; le cinquième des officiers avait à peine une ombre d'activité ; et le recensement de 1713 qui, du capitaine au mousse, comptait quatre-vingt-douze mille quatre cent cinquante gens de mer, n'étalait réellement qu'une fastueuse indigence. Le Régent aurait pu, en coupant les branches mortes ou parasites, rendre la vigueur à quelques parties saines de la marine ; mais le comte de Toulouse, grand-amiral, prince médiocre et débonnaire, était sans énergie pour faire lui-même les réformes, et sans ennemis qui les 'entreprissent malgré lui. On laissa donc le temps et la disette consumer sourdement la flotte. Des huit millions assignés aux dépenses, deux millions cinq cent mille livres étaient absorbées par les colonies et un million cinq cent mille livres par les galères, dont la population habituelle se composait de cinq mille forçats[24]. L'entretien des ports et le salaire des hommes épuisaient les quatre autres millions, et il ne restait absolument rien pour les armements, les radoubs et les constructions nouvelles. Aussi les soixante-six vaisseaux que la régence avait reçus, en 1715, se trouvèrent, en 1719, réduits à quarante-neuf. Enfin, en 1725, le prince de Condé fixa la force navale à cinquante-quatre vaisseaux et frégates ; et bien des carènes délabrées, hors d'état de tenir la mer, figurèrent sur cette liste fantastique. L'alliance' anglaise couvrait ce lâche abandon d'une excuse politique. Il semblait du moins que, par le développement du commerce, la culture des colonies et la renaissance d'une compagnie des Indes, on se préparât secrètement, pour l'avenir, le moyen de réparer les torts du présent. Mais nous montrerons, dans la suite, comment la marine acheva de périr par ces causes salutaires.

Les finances n'offrirent qu'un champ de bataille, une longue mêlée, où les intentions valurent mieux que les essais, où s'allièrent l'imprudence et le génie, où les douleurs ne surent si elles devaient plus accuser les remèdes neufs que les maux anciens, où la fortune, toujours brusque et toujours diverse, ne laissa ni mûrir les fruits ni germer les leçons. Mais, au sein de cette confusion, l'élan de la France vers les entreprises du négoce fut vivement secondé. Une loi d'une rare simplicité fit tomber les mille chaînes dont la plus tortueuse fiscalité avait chargé le commerce soit avec les colonies, soit avec l'étranger[25]. J'ai dit précédemment les causes qui ravivèrent l'industrie intérieure. La banque devint une science et se forma un langage. Le premier dictionnaire de commerce parut[26]. Les faillites, rangées parmi les intempéries du monde marchand, furent considérées d'un œil moins sévère ; et cette' indulgence légale qui s'introduisit à cette époque est l'indice certain des pays qui ont plus d'industrie que de capitaux[27]. L'agriculture ne fut pourtant point sacrifiée au commerce. La catastrophe du papier-monnaie fit mieux sentir la solidité des revenus territoriaux. La prudence multiplia les redevances en denrées, espèce de convention qui intéresse le propriétaire aux progrès de la culture. Enfin la liberté rendue par le Régent à la vente des laines repeupla les bergeries ; car la complaisance de Colbert pour l'avidité mal entendue des manufacturiers, avait presque anéanti cette portion si importante de la richesse agricole. Mais ce qui éternisera surtout la régence, c'est la facilité des communications qu'elle établit entre toutes les parties du royaume. Louis XIV, fameux par ses palais, ses canaux, ses forteresses et ses ports de mer, n'avait pas construit une seule rouie. Sous son règne, on ne voyageait encore qu'avec peine et danger sur des chemins tracés par le hasard et abandonnés aux accidents de la nature. L'usage des chevaux de poste finissait, pour les particuliers, à quelque distance de la capitale. Le transport des lettres se faisait dans une malle attachée sur le dos d'un cheval[28]. La plus grande partie de l'année, le roi et sa cour ne pouvaient voyager que sur la selle, et, s'il survenait un orage, un surtout de taffetas ciré était leur seule défense. Malheur au cavalier bien monté qui rencontrait le royal cortège ! Il était rare que quelque courtisan ou quelque garde ne le forçât, l'épée à la main, à changer de monture[29]. La régence mit fin à un état de civilisation si imparfait. Elle conçut pour les grandes routes un système régulier qu'elle confia à une administration particulière, et auquel on n'a pu reprocher que trop de magnificence. La première chaussée pavée fut construite de Paris à Reims, pour la cérémonie du sacre, par les ordres du cardinal Dubois. Ces grandes vues ont eu des suites plus grandes encore. Il en est sorti notre célèbre école d'ingénieurs civils où toute l'Europe envoie des élèves. La France, qui n'avait bâti que cinq ponts dans le dix-septième siècle, en vit élever cinquante-deux dans le dix-huitième, et, au lieu de quelques menues de maisons royales, l'empire possède aujourd'hui neuf mille lieues de grands chemins[30], c'est-à-dire d'une étendue égale au tour du globe. Ces communications si sûres et si douces ont achevé d'amollir les nobles et les riches, et d'éteindre le reste des mœurs féodales. Elles ont aussi donné un développement sans bornes à l'influence de la capitale sur les provinces.

Jamais temps n'avait paru moins favorable à la création d'un nouvel institut religieux. Les corps ecclésiastiques se décréditaient par d'oiseuses controverses. Les missionnaires, las du martyre ; trompaient les espérances que la religion et la politique avaient conçues de leur sublime dévouement. Le christianisme venait d'être banni de la Chine par leur faute ; le marquis de Bonnac les accusait de troubler le Levant ; M. de Campredon écrivait qu'à Pétersbourg ils s'étaient abrutis jusqu'à se battre dans leur église et à s'y déchirer avec les dents[31]. D'un autre côté, les aumônes commençaient à ne plus suffire à l'entretien des couvents de filles, indiscrètement multipliés sans dotation, et le Régent avait donné aux évêques le premier ordre pour la réunion des monastères indigents. Ce fut au milieu de ces symptômes de la tiédeur publique que se forma la congrégation des frères des écoles chrétiennes. L'année 1725 vit éclore la bulle et les lettres-patentes qui en scellèrent rétablissement. Un chanoine de Reims, Jean-Baptiste de La Salle, en était le fondateur. Frappé de l'abandon où reste l'enfance des pauvres, et de tous les maux qui en sont la suite, il imagina de rendre à la société ces jeunes sauvages en ouvrant des écoles gratuites où ils reçussent les premiers éléments de l'instruction civile et religieuse. Les maîtres qu'il appela portèrent le simple nom de frères. Un travail humble et constant, une vie dure et pauvre furent leur loi. Les signaux d'un instrument d'acier, que le maître tient dans sa main, font observer la discipline de la classe avec une grande économie de temps et de paroles. M. de La Salle s'attacha surtout à faire le plus grand bien avec le moins de frais, et je doute que les imitateurs qu'il a eus dans plusieurs états de la fédération américaine aient mieux résolu le problème que ce vertueux prêtre. Son institut, aussi modeste qu'utile, a triomphé de la terrible épreuve des révolutions ; il survit à la ruine de tant de corporations fastueuses dont la puissance, la richesse et le talent avaient cimenté les bases[32].

La même année transporta parmi nous une institution étrangère connue sous le nom de franc-maçonnerie. Le goût des choses mystérieuses n'est point naturel aux Français. Leurs annales ne font mention d'aucune société secrète, et la Ligue elle-même se trama au grand jour. Il n'en est pas de même de l'Anglais taciturne. Pendant la guerre civile de Cromwell, il inventa par nécessité les réunions de la franc-maçonnerie, et les conserva ensuite par inclination dans l'un et dans l'autre parti. Les signes et les emblèmes auxquels se ralliaient les associés furent empruntés de la loi mosaïque, et eurent le caractère sombre et religieux des événements et des hommes de ce temps-là. Quand les Jacobites vinrent en France, plusieurs d'entre eux étaient initiés ; mais la dévotion de Louis XIV, et la crainte de l'inquisition jésuitique, les détournèrent de l'exercice de leurs rites. Le duc d'Orléans, qui aimait les arcanes de toute espèce, les eût probablement favorisés sans les inquiétudes de sa régence et l'état de contrainte où sa politique le plaça toujours avec les réfugiés anglais. Ce fut donc seulement en 1725, sous le ministère de M. le Duc, que se tint la première loge française sous les auspices de fondateurs étrangers[33]. On peut aussi observer qu'à la même époque l'ordre sortit en Angleterre des ténèbres où il était resté caché[34]. Les premiers grands-maîtres de la maçonnerie gallicane furent lord Derwentwater en 1725, lord Harnouester en 1736, et le duc d'Antin en 1738. Cette origine britannique est d'autant moins douteuse que, dans une sentence du Châtelet, rendue le 14 septembre 1737 contre un aubergiste du port de la Rapée, pour avoir prêté sa maison à une réunion maçonnique, les initiés sont qualifiés du nom anglais de free-masons. Il s'en fallut bien que cette nouveauté fût introduite dans un esprit anti-monarchique, car Derwentwater, notre premier grand-maître, étant retourné à Londres, porta sa tête sur un échafaud pour la cause des Stuarts et de l'obéissance passive ; et le fameux prétendant Charles-Édouard fonda lui-même plusieurs loges pendant son séjour en France[35]. Au reste, notre nation a traité assez peu sérieusement le fond du dogme pour le confier, sous un léger déguisement, à la discrétion des femmes, et pour transformer en fêtes, en bals, l'agape des pauvres ouvriers chargés de reconstruire le temple de Jérusalem. Cette galante hérésie a fait le tour du monde et a été imitée partout, à l'exception de la seule Angleterre, où s'est maintenue l'austérité primitive. A la faveur de cette altération, la franc-maçonnerie s'était tellement propagée en France, que, même aujourd'hui, après la dispersion causée par les troubles civils, elle y compte encore huit cent quarante-trois loges et deux cent soixante chapitres. Je pourrai revenir dans la suite sur cette institution libre et singulière, lorsqu'elle intéressera la peinture des mœurs ou les accidents politiques. Il suffira de dire à présent qu'elle a exercé dans le siècle dernier un grand nombre d'esprits différents. Des charlatans lui ont prêté une antique origine et de frauduleux prestiges. Des visionnaires y ont cherché une perfection chimérique et une ténébreuse mysticité. Enfin, de notre temps, l'esprit de parti, en lui supposant des forfaits aussi atroces qu'absurdes, a seulement prouvé combien le fanatisme de la haine est voisin de l'imbécillité. Les hommes impartiaux se bornent à savoir que la franc-maçonnerie, révélée de toute part, est un jeu innocent où quelques plaisirs d'emprunt et un peu de bien à faire dédommagent de la stérilité des réunions et de l'ennui des solennités.

La régence, qui reçut les francs-maçons, faillit à expulser les Juifs. Un arrêt du conseil du 21 février 1822 ordonna le recensement des Israélites dans les généralités d'Auch et de Bordeaux et le séquestre de leurs propriétés territoriales. Depuis que ce peuple singulier, le père des religions et le rebut du monde, avait été banni de la France vers la fin du quatorzième siècle, nos historiens ont gardé sur sa destinée un silence si profond qu'on peut douter si cette agression de la régence fut une avanie méditée ou une méprise involontaire. Les Juifs qu'il le attaqua étaient de ceux qu'on appelle Juifs méridionaux ou portugais. Leurs ancêtres avaient rempli le Languedoc d'académies célèbres, et traduit les livres arabes qui ont fait passer aux modernes l'antique héritage des sciences. Forcés par les tuteurs de Charles VI à se réfugier dans la Péninsule, ils y virent leur culte proscrit par les lois sanglantes de Ferdinand et d'Emmanuel, et se trouvèrent placés entre les devoirs de leur croyance et les bûchers de l'Inquisition. Ce fut alors, en 1550, que notre roi Henri. II rouvrit à ces malheureux les portes de la France et leur permit d'y acquérir des terres. Quoiqu'ils eussent la faculté d'habiter dans tous les lieux du royaume, il paraît qu'ils s'arrêtèrent aux villes de Bayonne et de Bordeaux, où ils fondèrent les premières banques et donnèrent une vie nouvelle au commerce maritime. En même temps, d'autres colonies de ces fugitifs transportaient également dans la Hollande, l'Angleterre et la Toscane leurs richesses et la science d'un vaste négoce accru par leur propre dispersion. Le Régent, mieux instruit, révoqua son arrêt, et leva l'espèce d'équivoque qui entourait encore l'existence des Israélites ; car dans les lettres-patentes qu'il leur accorda ils turent, pour la première fois, qualifiés de Juifs, tandis que dans celle d'Henri II on les avait, par respect pour les préjugés du temps, déguisés sous le titre de marchands portugais et de nouveaux chrétiens. Le retour des Juifs méridionaux en France ne précéda que de deux années celui des Juifs allemands ou septentrionaux, non que ces derniers eussent été rappelés, mais parce que les lieux de leur retraite, tels que Metz, l'Alsace et la Lorraine, furent successivement réunis è la couronne. Ils y payaient chèrement l'hospitalité. Parqués et taxés à l'égal des troupeaux, ils croupissaient dans l'ignorance et le fanatisme, mettaient leur morale au niveau de tant d'humiliation, conservaient les rêveries du rabbinisme, ainsi que l'usage de la barbe longue, et détestaient comme des esprits forts, les Juifs portugais qui les méprisent. L'avilissement de cette race ne lui fut pas inutile en France, et quelques règlements firent à la fois son opprobre et sa sécurité. Les commandants la protégèrent comme une mine qu'on exploite impunément. Les rois, sans en excepter Louis XV, frappèrent de temps en temps les synagogues de taxes arbitraires et firent don de ces avanies à quelque courtisan. Le clergé, à l'exemple des papes, la regarda comme un monument de la vérité des prophéties, et attendit la conversion générale des Juifs avec autant de foi que les Juifs eux-mêmes attendent l'arrivée d'un Messie. L'abjuration de quelques déserteurs satisfit de temps en temps cet orgueil de prosélytisme, et le Régent ne dédaigna pas de prendre part à la célébration d'une de ces pieuses conquêtes. Quand la dévote Leczinska vint épouser le monarque, les députés de la synagogue de Metz furent admis en sa présence, lui offrirent une coupe antique, et la comparèrent, dans leur harangue, à Esther, à Judith et à la reine de Saba. Cette tolérance s'exerçait dans le même temps où l'on proscrivait les chrétiens protestants, et dans les mêmes provinces où jadis, pillée par les rois et massacrée par les peuples, accusée d'immoler des enfants et d'empoisonner les fontaines, la postérité d'Abraham multipliait sous les fléaux et se montrait infatigable à reprendre, par des vices, ce qu'on lui ôtait par des crimes.

 

 

 



[1] 1661. Relation du duc de Saint-Aignan.

[2] Une lettre du Régent que je me reproche de n'avoir pas citée plus tôt, prouve qu'il avait au moins dans sa raison, si ce n'est dans sa conduite, d'excellents principes de gouvernement. Il est vrai, écrivait-il au duc de Saint-Aignan, le 2 août 1717, que par le penchant de mon cœur je voudrais rendre tout le monde heureux, et que personne ne sortit mécontent d'avec moi. Mais l'expérience me fait sentir que le plupart des hommes abusent de cette disposition d'un prince ; que cette idée si douce en elle-même a de grands inconvénients dans la pratique, et qu'enfin en gouvernant on doit prendre pour base de sa conduite la fermeté préférablement à la douceur, en faisant respecter et sentir avec justice l'autorité souveraine à ceux qui ne sont pas assez raisonnables ni assez sages pour se rendre à la douceur et à l'équité.

[3] Expressions du duc de Saint-Simon dans ses notes sur Dangeau.

[4] Principalement dans son discours de réception à l'Académie française, où son éloge du Régent était un faisceau de traits dirigés contre le feu roi.

[5] Il est bien à souhaiter, pour l'honneur de notre nation, qu'on oublie qu'il n'y eut point de service fait à Rome pour Louis XIV. Lettre du comte de Morville au cardinal de Polignac, du 24 octobre 1734.

[6] Arrêt du 18 mars 1720.

[7] M. de Chavigny fut envoyé à Hanovre par le cardinal Dubois, le 4 août 1723, pour gagner madame de Platten, favorite du roi d'Angleterre en lui promettant l'érection d'un duché-pairie en faveur de M. de La Vrillière, dont le fils épousait mademoiselle de Platten. Dubois et le Régent moururent peu de temps après, et le roi Georges, avec toute la chaleur d'un amant, peut-être d'un père, pressa M. le Duc de satisfaire à la parole donnée. Mais quelque ménagement qu'eût celui-ci pour le monarque anglais, il refusa avec opiniâtreté ; il prétendit que toute la noblesse serait révoltée de voir créer duc un secrétaire-d'État ; il supposa même, contre toute vérité, que le jeune Louis XV lui avait dit : Feu M. le Régent a bien fait de créer des ducs la veille de ma majorité, car le lendemain ils ne l'auraient pas été. Lettre de M. le Duc au roi d'Angleterre, du 24 janvier 1724.

[8] En voici un exemple dans une de ses lettres au cardinal de Fleury, du 27 juillet 1718 : Je suis très-obligé à Sa Majesté de la bonté qu'elle a de me permettre de chasser. Je n'en profiterai point. Il suffit qu'elle ait envie de conserver les plaines cette année pour que, loin d'en ôter une pièce de gibier, j'y en misse. Ce n'était que l'indécence de voir un duc, et un duc aussi impertinent que mons. de La Trémouille, avoir la préférence sur nous dans des choses qui se sont toujours pratiquées autrement. Elle sait bien qu'avec ces gens-là il faut être en garde contre la moindre bagatelle.

[9] Déclaration du 14 juillet 1714 et du 14 juin 1717.

[10] Ordonnances des 20 mai et 18 novembre 1716.

[11] Registres du conseil du dedans, séance du 7 octobre 1715.

[12] 31 décembre 1721. Duverney assignait alors pour les frais de l'établissement la ferme des fiacres et des chaises à porteurs. Mazarin avait eu une inspiration semblable.

[13] Le mois d'août 1721.

[14] En 1716, le Régent établit à Paris les dépôts de pompes à incendie et y attacha un corps de pompiers commandés et instruits par un chef ; en 1717 il fit construire plusieurs fontaines pour l'usage de la partie orientale de la ville ; et en 1718, le 6 mars, il ouvrit au Louvre une académie d'arts mécaniques pour le perfectionnement des métiers, et la fabrication des instruments, outils et machines.

[15] Le Régent fut maltraité dans les Mémoires du comte de Saint-Philippe et dans les Pamphlets que l'abbé Norici, Florentin, fabriquait à Rome dans le Palais du cardinal Aquaviva.

[16] A tous les exemples des prétendons ultramontaines dont j'ai déjà parlé, il faut joindre le suivant. Le pape Benoît XIII, ayant convoqué à Rome, en 1755, un concile pour quelques réformes ecclésiastiques, y appela les évêques de Dol et du Puy, comme suffragants du Saint-Siège. Mais la cour, ne leur reconnaissant point cette qualité, les obligea de rester en France.

[17] Les deux ordonnances du 5 février 1720.

[18] Depuis le 16 juillet 1716, jour de l'ordonnance, jusqu'au 30 novembre 1717.

[19] Arrêt du 12 septembre 1719.

[20] Fortissimi viri et milites strenuissimi, ex agricolis gignuntur, minimeque male cogitantes. PLINIUS, lib. XVIII, cap. 5.

[21] Mémoire confidentiel remis au roi par le comte de Maurepas en 1745.

[22] La marine de Louis XIV coûta, année commune, de 1683 à 1688, douze millions ; de 1688 à 1697, vingt-cinq millions ; de 1698 à 1700, quatorze millions ; de 1705 à 1753, vingt-deux millions, et de 1713 à 1716, dix-sept millions.

[23] Louis XIV ne put amener l'Angleterre à signer une pais particulière qu'en s'obligeant à détruire le port et les fortifications de Dunkerque. Le crime de cette ville était d'avoir armé, pendant la guerre de la succession d'Espagne, jusqu'à sept cent quatre vingt-douze corsaires. M. Le Blanc, qui fut depuis miliaire de la guerre, était le commissaire français chargé de cette démolition. Il faut lire sa correspondance pour se faire une idée de l'arrogance et des prétentions de l'Angleterre lorsqu'on a eu le malheur de lui montrer la moindre faiblesse.

[24] Cette évaluation est donnée par M. de Maurepas en 1745. Mais le dénombrement de 1713 porta les forçats à six mille sept cent vingt. Ainsi la France aurait eu, sous Louis XIV, un tiers de plus de galériens que sous Louis XV. Les causes de cette différence peuvent être si diverses, qu'on ne sait à quel règne en distribuer le blâme ou la louange.

[25] Règlement de 1717.

[26] Par Savary, en 1723.

[27] La trop grande rigueur des lois contre les faillites est cause que le failli s'expatrie, et que, pour s'assurer d'avance un asile, il paie ses créanciers étrangers an détriment des régnicoles, qui perdent tout. Cette remarque est tirée des manuscrits de Law.

[28] C'est en mémoire de cet usage que la voiture de nos courriers s'appelle encore la malle, et le cheval qu'on y attache le mallier.

[29] Relation du duc de Saint-Aignan.

[30] Travaux des Ponts et chaussées, par M. Courtin, in-8°, 1812. L'empire romain n'avait eu que vingt-sept grands chemins formant une étendue de quatre mille cinq cents lieues. Outre les grandes routes, la régence fit le pont de Blois, les canaux de Loing et d'Orléans, tous les plans du canal de Bourgogne, et négocia, avec les papes détenteurs d'Avignon, la construction de celui de la Provence. Cette négociation se traina plusieurs années, comme tout ce qui se faisait à Rome, dans un labyrinthe d'intrigues et de corruption. Le duc de Bourbon y avait un intérêt secret.

[31] Le cardinal de Polignac écrivait de Rome au comte de Morville, le tg décembre 1724 : Quant aux discordes scandaleuses dont me parle M. Campredon, je n'en suis pas surpris. Elles seront toujours entre les missionnaires d'habits différents, et la Moscovie n'en sera pas plus exempte que la Chine. Le duc de Saint-Simon, dans une lettre au cardinal Gualterio, du 14 septembre 1727, s'exprimait ainsi : Que de choses à dire sur la Chine et sur la rage de ces pères de se mêler d'affaires d'état et de succession à la couronne, qui les envoient en l'autre monde, sans être martyrs, avec le compte à rendre de la destruction de la religion ! Ce n'est jamais en se mêlant des choses temporelles qu'elle s'est établie, et ce n'est pas merveille que des routes si opposées à l'Écriture et aux exemples des saints, ne soient accompagnées que de malédiction.

[32] M. de La Salle eut pour émule une sainte femme, la veuve du sculpteur Théodon, qui fonda, dans le faubourg Saint-Antoine à Paris, les Filles de Sainte-Marthe, consacrées à l'instruction des jeunes filles pauvres, et au service des malades. En 1722, le cardinal de Noailles les érigea en communauté. Cette institution favorable aux bonnes mœurs, a aussi franchi la révolution. M. Hérault, lieutenant-général de police, avait coutume de dire que le faubourg Saint-Antoine lui coûtait par année trente mille livres de moins qu'à ses prédécesseurs, et qu'il en était redevable aux écoles de Sainte-Marthe.

[33] Ils étaient au nombre de trois : lord Derwentwater, le chevalier Maskeline et M. d'Heguettye. La maison d'un traiteur de la rue des Boucheries servit de temple. Il parait que notre franc-maçonnerie ne cessa d'être errante que sous la présidence du duc d'Antin. Histoire du Grand-Orient de Paris.

[34] Au commencement d'avril (1724), l'ancienne société ou confrérie qu'on nomme des maçons libres, établie à Londres, tint une assemblée générale ou plusieurs personnes de qualité qui y sont agrégées assistèrent, parmi lesquels étaient le comte d'Alkeith, faisant la fonction de grand-maître, le duc de Richemond. On y reçut cinq compagnons nouveaux avec les cérémonies marquées par les statuts de cette société, lesquels, en qualité de maçons libres, furent admis à porter des tabliers de cuir, le marteau et la truelle à la main. Ces nouveaux maçons étaient milord Carmichael, le chevalier Thomas Pendekgrass, les colonels Carpenter, Pagel et Sunderson. L'assemblée finie, ces messieurs maçons s'en retournèrent chez eux, marchant dans les rues avec leurs tabliers de cuir et autres marques de la profession, excepté que leurs habits n'avaient nulle tache de chaux ni de mortier. Nous ignorons l'origine, le motif et l'utilité de cet établissement, ne l'ayant point remarqué dans l'histoire, et nos dictionnaires n'en faisant nulle mention. Journal de Verdun, juin 1724, p. 436.

[35] Ce prince fonda, en 1747, le rite des Écossais fidèles, ou de la vieille Brie, qui s'est conservé dans le midi de la France ; et le 15 lévrier de la même année, il établit à Arras le chapitre primordial de rosecroix jacobites. On remarque dans la bulle d'institution, qu'il confie le gouvernement du chapitre à un estimable avocat d'Arras appelé Robespierre, qui fut le père du conventionnel.

Deux lettres de l'Ecossais Ramsay au cardinal de Fleury jettent aussi quelque jour sur le berceau de notre maçonnerie.

En voici des fragments :

Daignez, monseigneur, soutenir la société des free-masons dans les grandes vues qu'ils se proposent, et V. E. rendra son nom bien plus glorieux par cette protection, que Richelieu ne fit le sien par la fondation de l'Académie française. L'objet de l'une est bien plus vaste que celui de l'autre. Encourager une société qui ne tend qu'à réunir toutes les nations par l'amour de la vérité et des beaux-arts, est une action digne d'un grand ministre, d'un père de l'Eglise et d'un saint pontife. Comme je dois lire mon discours demain dans une assemblée générale de l'ordre, et le donner lundi matin aux examinateurs de la chancellerie, je supplie V. E. de me le renvoyer demain avant midi par un exprès. Elle obligera infiniment un homme qui lui est dévoué par le cœur. Lettre du 20 mars 1737.

J'apprends que les assemblées des free-masons déplaisent à V. E. Je ne les ai jamais fréquentées que dans la vue d'y répandre des maximes qui auraient rendu peu à peu l'incrédulité ridicule, le vice odieux et l'ignorance honteuse. Je suis persuadé que si on glissait à la tête de ces assemblées des gens sages et choisis par V. E., elles pourraient devenir très-utiles à la religion, à l'état et aux lettres. C'est ce dont je croie pouvoir convaincre. V. E., si elle daigne m'accorder une courte audience à Issy. En attendant ce moment heureux, je la supplie de vouloir bien me mander si je dois retourner à ces assemblées, et je me conformerai aux volontés de V. E. avec une docilité sans bornes. Lettre du 22. Le cardinal de Fleury a écrit en marge quelques mots an crayon, dont le sens est que le roi ne veut pas qu'on s'assemble.

Des négociants français, anglais et hollandais ayant tenu loge ensemble à Constantinople, l'archevêque de Carthage, l'abbé Barustrelly, vicaire de Smyrne, et quelques moitiés les dénoncèrent aussitôt à la Porte, comme coupables de magie et de conspiration. L'ambassadeur de France s'exprimait ainsi sur cet événement : Vous verrez la façon dont les gens d'église savent se défaire de ceux qui leur blessent les yeux, et jusqu'où l'ignorance des Turcs peut porter la superstition, la crainte et la crédulité, puisque la chose a été an point de leur faire appréhender qu'on eût dessein de détrôner le grand-seigneur par le moyen de sortilèges. Le reis-effendi m'a cependant fait dire qu'il ne croyait pas aux sorciers, mais que dans un pays où la populace était aussi respectable, on ne devait rien souffrir qui pût lui donner de l'ombrage. Lettre de M. Desalleure, au marquis de Puysieulz, du 24 novembre 1748.

Les choses ont un peu changé dans le Levant. Au moment où j'écris, les Grecs viennent de reconstruire une grande partie de l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, et ils ont peint sur les murailles intérieures tous les emblèmes de la franc-maçonnerie, malgré les clameurs des moines latins.