HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE XVIII.

 

 

Limites de Paris. — Procès de M. Le Blanc. — Impôt du cinquième. Résistance du Parlement. — Joyeux avènement. — Assemblée du clergé. — Ressentiments de l'Espagne ; son alliance avec l'Empereur. — Le duc de Richelieu et l'abbé de Montgon. — Retraite et retour de l'évêque de Fréjus.

 

LE caractère des personnes qui présidaient au gouvernement, et ce qu'on sait déjà des égarements de leur système monétaire, présageaient bien d'autres désordres. Le comte de La Marck, le plus sincère des amis du prince de Condé, en fut aussi le moins aveugle, et tâcha de le retirer à temps d'un édifice dont la chute prochaine était facile à prévoir, et de le mettre dans une situation où, quels que fussent les événements, il restât debout avec honneur. Allant droit à la source du mal, il osa proposer à M. le Duc de renoncer à l'administration du royaume, d'en déposer la chargé entre les mains, d'un substitut, et de se borner lui-même à la surveillance suprême dont s'était contenté le duc d'Orléans à la majorité du roi. Ce conseil, déguisé par tous les ménagements dus à l'orgueil d'un prince, forme un événement trop singulier dans la vie d'un courtisan, pour n'être pas sauvé de l'oubli. Il est vraisemblable que la cabale de Chantilly se fût emparée de cet expédient, et qu'elle eût volontiers ressuscité en faveur de Paris Duverney le ministère universel du cardinal Dubois, si elle se fût senti la force d'élever à ce point un homme aussi nouveau, dans un pays où les dignités ecclésiastiques avaient seules le privilège de tenir lieu d'ancêtres. La tentative infructueuse du comte de La Marck laissa donc les affaires en proie à l'incapacité du premier ministre et aux passions de ses créatures. On vit l'autorité publique, capricieuse ou vénale, passer et revenir tour à tour d'un excès odieux à un abaissement grotesque[1]. Elle en fut punie par des murmures qu'elle n'entendit pas sans inquiétude.

Henri III, chassé par les barricades, avait résolu de diminuer la grandeur d'une ville qu'il ne devait. plus revoir et qu'il appelait une tête trop grosse[2]. M. le Duc s'aperçut aussi de l'accroissement prodigieux que Paris avait reçu des plaisirs de la régence et de l'insufflation du papier-monnaie. Le nombre des habitants s'y était alors momentanément élevé à quatorze cent mille[3]. Cette tête colossale l'effraya, et il se flatta, comme Henri III, Louis XIII et Louis XIV l'avaient fait vainement avant lui, de la comprimer par une loi dont les bévues sont remarquables. La déclaration sur les limites de Paris[4] se réduisait aux deux expédients de ne souffrir que des masures à la circonférence, et de ne permettre dans le centre l'ouverture d'aucune nouvelle issue. La première de ces mesures, qui luttait contre une force invincible, n'eut point d'exécution ; et l'espace dévoué aux chaumières, tel, par exemple, que le faubourg Saint-honoré, fut précisément celui que repus lente orna de ses palais. La seconde défense, véritablement barbare, fut mieux observée. Elle a maintenu dans la capitale, durant le siècle dernier, ces masses hideuses, ces restes de cloîtres et de juridictions, et ces défilés malsains qui défigurent les anciennes cités, et qui, de nos jours, disparaissent avec une promptitude et une magnificence inconnues au vieil empire. Sans doute la dispersion ou l'agglomération des hommes sont des circonstances d'autant plus graves qu'elles échappent aux contraintes de la puissance publique et ne reconnaissent d'autre régulateur que l'état.des mœurs et des besoins. M. le Duc, qui pressentait vaguement le danger de la population progressive de Paris, ne se doutait pas qu'il en était la principale cause. Toujours la multitude s'accumulera autour du pouvoir arbitraire afin de profiter de ses bévues, et l'on fuira les provinces lointaines où les tyrannies subalternes s'exercent alors avec impunité.

En limitant Paris, la cour aspirait à énerver ce tribunal de l'opinion qui ne lui était pas favorable. Mais une aveugle passion lui fit bientôt contrarier cette vue politique. Sur la foi du présomptueux duc de La Feuillade, elle renvoya au parlement le procès de M. Le Blanc, secrétaire d'état de la guerre pendant la régence, et elle donna ainsi un corps, une voix et une arène à cette même opinion publique vague et invisible dans ses décisions. Ce ministre brillant et prodigue était recherché pour sa comptabilité, et Duverney portait dans ce dédale une lumière rigoureuse. Un parent de ce terrible accusateur est alors frappé par un assassin, et l'on suppose aussitôt que le coup était destiné à Duverney lui-même, et que le meurtrier est un émissaire de M. Le Blanc, tiré de l'armée d'espions dont, à l'exemple de Louvois, il avait environné son ministère. Mais le public savait que le véritable crime de M. Le Blanc était son attachement pour madame Berthelot de Pleneuf, et que madame de Prye, fille de cette dernière, n'aspirait à le perdre que pour désoler sa propre mère ; aussi ne vit-on pas sans indignation les ducs de la Feuillade, de Brancas et de Richelieu paraître au nombre des juges pour servir les trames de cette fille dénaturée. Le public fit déserter du tribunal, à force d'outrages, ces trois roués de la favorite, et le duc de La Feuillade mourut en trois jours de rage et de honte[5]. Le parlement, qui eût volontiers puni M. Le .Blanc de sa puissance, se plut à le venger de sa disgrâce. Oubliant ses torts passés, et dédaignant de lui en chercher de nouveaux, il l'acquitta presque avec autant de passion que ses ennemis en mettaient à le persécuter. Ce triomphe fut d'autant plus humiliant peur la cour, que le duc d'Orléans n'avait cessé de siéger à toutes les séances et de couvrir d'une protection déclarée le ministre de son père. Cet essai des formes légales apprit au cabinet.de Chantilly qu'il ne lui restait, pour faire le mal, d'autre ressource qu'une tyrannie brutale, et il ne tarda pas à profiter de cette amère leçon.

Dubois avait emporté au tombeau son inflexible économie. M. le Duc, entraîné par l'amour du faste et par l'obsession d'une cour avide avait outré les profusions du Régent. Duverney, instrument docile, mais calculateur intègre, n'abusait point soie maître sur l'épuisement du trésor, et s'il lui laissait ruiner l'Était, il voulait que ce fût sciemment et avec ordre. Cette sorte de probité a du moins l'avantage de prévenir des maux invétérés. Réduit à l'alternative de suspendre les rentes ou d'asseoir un impôt, Duverney n'hésita pas. Si le tableau qu'il exposa de la situation des finances peut passer pour un chef-d'œuvre de sagesse et de méthode, l'entreprise qui le suivit fut le comble de la témérité. Il réveilla le projet de dime royale qui dormait dans les écrits de Bois-Guilbert et de Vauban, et proposa de lever pendant douze années le cinquantième des revenus de toute espèce. Affronter ainsi les obstacles dont l'habitude des peuples hérisse toutes les nouveautés en finance, et marcher à l'égalité de l'impôt sur le débris des privilèges des castes et des provinces, était sans doute un noble courage. Mais quand on considère que Duverney n'accordait que six semaines à l'établissement d'une perception en nature, que la force des choses soumet à mille exceptions, et qui eût exigé un vaste code et plusieurs années d'épreuves, on ne peut que gémir de voir d'aussi grandes idées compromises par une absurde précipitation. Cette grossière ébauche ayant été approuvée dans un conseil où l'astucieux évêque de Fréjus ne proféra pas une parole, en ne s'inquiéta point des suffrages du parlement. La cour ne songeait qu'à punir cette compagnie de la victoire de M. Le Blanc, et traça un second édit qui ôtait à ses membres le droit de délibérer sur les affaires publiques avant dix années d'exercice[6]. Cette réserve n'avait rien d'injuste en elle-même ; mais il ne fallait pas lui prêter les couleurs de la vengeance, ni surtout l'associer à un impôt exorbitant qui, lancé en pleine paix, devait irriter la nation. Les deux lois furent apportées dans un lit de justice brusquement convoqué. On affecta même sans nécessité de jeter dans ce moule commode d'enregistrement plusieurs autres édits qui se trouvaient prêts[7]. Le premier président montra toute la complaisance qu'exigeait son élévation récente. La douleur et la contrainte perçaient au contraire dans les conclusions de l'avocat-général. Aucun magistrat ne voulut voter, et le peuple offrit partout au jeune roi un silence morne et un front désapprobateur. Ses ministres, l'entraînant d'une aussi triste séance aux fêtes de Chantilly, l'arrachèrent à ces reproches muets qu'il ne comprit alors et qui jamais ne le touchèrent.

Une autre entreprise ne fut pas mieux accueillie. En détruisant pas à pas la féodalité, nos rois s'en étaient réservé pour eux-mêmes l'abus le plus choquant, celui de faire, payer par les vassaux les événements heureux qui survenaient dans la famille du suzerain. Ainsi, en montant sur le trône, le nouveau monarque pouvait frapper d'une taxe de confirmation tous les actes précédemment émanés du sceau royal. Dans un état vaste et vieilli, la liste en était immense et le mélange bizarre. Le fisc atteignait de ses serres l'officier de justice et de finance, l'anobli, l'engagiste, la ville pour ses octrois, le manufacturier pour sa prise d'eau, l'artisan pour sa maîtrise, le cabaretier pour son débit. Ce tribut n'avait d'autre mesure qu'un tarif arbitraire. Comme il ne portait pas le nom d'impôt, on se dispensait de le soumettre à l'enregistrement, et de leur côté les cours de justice n'en protégeaient point la levée. Pour s'épargner la honte d'une perception si litigieuse, le gouvernement avait coutume de la vendre à des traitants, d'où l'on pouvait conclure que ce qu'on appelait le joyeux avènement était au fond une calamité publique. Le cardinal Dubois se garda bien d'en charger la minorité de Louis XV. Mais dès que la mort eut fermé les yeux de ce ministre, ses successeurs déployèrent cette ressource impolitique. M. le Duc, qui vint bientôt après,. se pressai de suspendre l'exercice de cette prétention domaniale. Mais cet acte de popularité fut une grande imprudence, parce qu'il ne put pas le soutenir. Le mauvais ménagement des finances l'obligea de tromper l'espoir qu'il avait donné, et ce retour fit tomber sur lui tout ce que rétablissement primitif avait d'odieux. Des partisans achetèrent vingt-quatre millions le joyeux avènement, et le peuple paya le double. C'est la dernière fois que la France a subi cette exaction gothique.

Par un effet de l'imprévoyance attachée au ministère de M. le Duc, l'assemblée du clergé se trouvait, au moment du lit de justice, réunie depuis huit jours. L'autorité de ce corps, jadis plus formidable que les parlements, était à la vérité bien déchue, mais les rois n'avaient pas la prétention d'y tenir des lits de justice. Avant de dire l'explosion que fit dans son sein l'impôt du cinquantième, il convient de se retracer là situation des affaires ecclésiastiques en France depuis l'exaltation de Benoît XIII La' foi conduisait ce saint pape aux mêmes résultats que lui eût suggérés la plus saine politique. Nourri chez les dominicains dans l'opinion des thomistes, il eût été janséniste, si un pape pouvait l'être. En confirmant tous les anathèmes de la bulle Unigenitus, il déclara que la doctrine de saint Thomas ne les avait pas encourus. Cette distinction ouvrait une issue au retour des opposants sans blesser leur orgueil. Le cardinal de Polignac, aussi ami de la paix que rebuté du jargon des écoles, propageait cet heureux expédient. Déjà un commerce de lettres officieuses rapprochait le pape et le vertueux Noailles. Celui-ci alla même passer une nuit en prières sur le mont Valérien pour interroger la volonté du ciel[8]. Mais l'inspiration qu'il attendait ne lui vint pas alors, et ce fut la pieuse maréchale de Grammont qui acheva plus tard la réconciliation de l'archevêque, et prit la part que son sexe eut dans tous les temps aux révolutions religieuses. Cependant la seule approche d'une pacification fit frémir les chefs des constitutionnaires. Bissy et Rohan s'associèrent le cauteleux Fleury. Tencin se constitua l'agent du triumvirat. Ce prêtre ambitieux, qui avait appris à Rome et dans le conclave l'art, qu'on y a poussé si loin, de capter les vieillards en faisait auprès de l'évêque de Fréjus un usage qui mit le comble à sa fortune et le consola des revers de l'agiotage[9]. Les trois prélats ne rougirent pas d'écrire au pape pour le dissuader de toute réconciliation. En même temps leurs calomnies peignaient, le Saint-Père, dans toute L'Europe, comme un esprit aliéné, et n'épargnaient pas davantage le cardinal de Polignac[10]. Je n'avais aucune idée d'une méchanceté si vive et si souple, qu'on rencontre rarement dans les haines laïques.

L'indulgence de la cour de Rome anima les persécuteurs. La Sorbonne et les corps religieux recommencèrent à torturer les consciences. C'est surtout alors que l'église d'Utrecht se peupla de nos émigrants, et que vingt-six moines franchirent, en une nuit, les murs de la Chartreuse de Paris, et allèrent chercher en Hollande la liberté de nier la liberté de l'homme. La secte transplantée y a si bien réussi, qu'en 1761 la seule ville d'Amsterdam contenait deux mille jansénistes partagés en six petites églises[11]. L'aversion de M. le Duc pour le sang d'Orléans le tira de la neutralité qu'il avait gardée dans cette guerre. Il fit condamner par arrêt du conseil un écrit janséniste de l'abbesse de Chelles, qui ne semblait susceptible que des peines du ridicule. Cette fille du Régent manqua aux prouesses de la Fronde, dont elle eût surpassé les Amazones. Aussi violente dans ses plaisirs que dans ses austérités, elle mêlait, à vingt-six ans, des extrêmes que la duchesse de Longueville avait au moins séparés dans le cours de sa vie orageuse[12]. Les jansénistes, battus de toutes parts, eurent recours à l'intervention divine, arme dernière des sectes vaincues. Le passage d'une procession guérit' la maladie invétérée de la femme d'un artisan de la rue Saint-. Antoine. L'officialité constata le moyen surnaturel de la cure par la déposition d'une foule de témoins, entre lesquels figure, non sans exciter quelque surprise, l'auteur de la Henriade[13]. Le cardinal de Noailles proclame le miracle par un mandement ; les églises le célèbrent ; un poète de l'université le chante, et la sculpture le grave sur le marbre du sanctuaire. Les jésuites, assez avisés pour ne plus faire eux-mêmes de miracles que dans les Indes, rient en silence de ce travail perdu. Le temps était loin où, sous une reine dévote, l'application de la sainte épine avait écarté la foudre de Port-Royal. Le prodige non contesté de la femme La Fosse tomba doucement dans l'oubli comme un accident vulgaire, et je n'ai dû en parler que parce qu'il fut le prélude de la célèbre épidémie des convulsionnaires.

L'assemblée du clergé, réunie dans le feu de ces dissensions et secrètement soutenue par le précepteur du monarque, apporta des dispositions irascibles que l'édit du cinquantième enflamma promptement. A cette loi faite pour tous, il opposa des immunités consacrées par le temps plus que par la justice. On prétend même que quelques prélats sollicitèrent, dans ce débat domestique, une intervention ultramontaine ; mais je n'ai découvert aucun vestige de cette déloyauté. Cependant le clergé, trop habile pour ne paraître occupé que d'intérêts temporels, rompit le sceau que la déclaration de 1720 avait mis sur la bouche des querelleurs théologiques. Des clameurs il passa aux hostilités, et voulut soudainement des conciles provinciaux, qui eussent été alors autant de foyers de discorde et de chambres d'inquisition. Chaque jussion du gouvernement fut bravée par un excès nouveau. Après quatre mois de tourmente, un ordre du roi ferma l'assemblée, et un secrétaire-d’État, alla le lendemain arracher de ses archives le procès-verbal où elle avait déposé ses adieux fanatiques. Les députés signalèrent leur retraite en publiant une lettre au roi où respirait la même audace, et que supprima le parlement. Ainsi M. le Duc se créa pour ennemi ce corps vaste et riche, qui s'appelait le premier ordre de l'Etat, tenait à toutes les classes par des liens personnels, et poussait jusque entre les fondements de la monarchie ses droits, ses abus et ses préjugés.

Les débats de cette nature se vident ordinairement dans le champ de l'intrigue, tant que d'autres causes n'y mêlent pas quelque influence populaire. Malheureusement une disette, qui n'avait point été assez prévue, causait des souffrances réelles et de plus grandes alarmes. Après qu'une extrême sécheresse eut donné, en 1724, de médiocres récoltes, des pluies fines et continues, depuis le milieu d'avril jusqu'à l'automne, n'accordèrent aux moissons de 1725 qu'une maturité imparfaite et longtemps douteuse. Le fléau s'appesantit particulièrement sur la Normandie, parce que cette riche province n'est point assez familiarisée avec l'industrie de l'indigence, et que, quand le blé lui manque, tout semble lui manquer[14]. Les villes de Rouen et de Lisieux aggravèrent leurs maux par d'inutiles séditions. Mais les besoins de la capitale, qu'ensanglanta une émeute passagère, firent surtout le tourment du premier ministre. La subsistance de cette énorme population nécessita des moyens violents. Les monastères furent dépouillés de leurs provisions, et les jeux de paume convertis en greniers. On sacrifia de grandes sommes[15] pour procurer à l'habitant de Paris du pain qu'il paya cependant neuf sous la livre. M. le Duc crut se laver de ses propres fautes en destituant le lieutenant-général de police et le prévôt des marchands[16]. Mais quelle indulgence un gouvernement méprisé pouvait-il attendre dans une sorte de calamité si fâcheuse, que la multitude y est toujours prête à calomnier jusqu'au bien qu'on lui fait ? Du sein de cette crise sortit une machination assez redoutable. Le parlement ordonna qu'on descendît la châsse de sainte Geneviève. Ce signal des malheurs publics ébranle les imaginations et, durant plusieurs jours, attroupe les citoyens aux processions de chaque paroisse. A l'époque de la Fronde, et pendant une disette, le grand Condé s'était servi de ce ressort comme d'une jonglerie politique[17]. Le même moyen fut alors employé contre son arrière-petit-fils. On répétait tout haut qu'un gouvernement ignorant et monopoleur était le véritable fléau dont il fallait demander à Dieu la délivrance ; et la révolte se promenait hardiment, sur deux lignes, en surplis et en simarres. On croira difficilement que madame de Prye ait dit alors : Le peuple est fou ; ne sait-il pas que c'est moi qui fais la pluie et le beau temps ? Les plaisants qui rajeunirent pour elle cette vieille impiété connaissaient mal l'inquiétude où la cour de Chantilly passa tout le temps de ces perfides solennités. Par une heureuse circonstance, le temps, qui avait été constamment pluvieux, montra quelques jours sereins, que les mécontents ne désiraient pas.

Ce fut ainsi entre la famine et la discorde que la nouvelle reine vint (le Strasbourg à Fontainebleau chercher son époux. Une magnificence outrée et des réjouissances extraordinaires voilèrent sur son passage la misère et le mécontentement. Moins le mariage avait eu l'approbation publique, plus il importait à la cour d'en simuler les apparences ; et ce vaste mensonge coûta cher au trésor royal. Le jeune roi reçut la compagne de son trône avec les émotions passagères de son âge, qui n'allèrent ni jusqu'à la passion, ni jusqu'à la confiance. Mais le duc de Bourbon, qui attachait son espoir au crédit de cette princesse, se vanta auprès des cours étrangères de l'enchantement du roi[18], avec autant de sincérité que des transports du peuple. Ce frêle avantage était acheté par les inquiétudes que donnait la colère légitime de l'Espagne, et par les soumissions qu'on prodiguait pour la fléchir. Aux premières paroles portées par l'ambassadeur. d'Angleterre, Philippe et sa femme exigèrent que le duc de Bourbon vînt à Madrid faire en personne les réparations convenables. Stanhope proposa l'envoi du comte de Charolais, et M. le Duc offrit celui d'un cardinal[19]. L'entremise du pape fut aussi implorée. En écoutant la lettre du roi, écrit Polignac, ce vénérable vieillard, de temps en temps, joignait les mains et levait les yeux au ciel[20]. Benoît XIII se hâta d'adresser au monarque espagnol un bref où sa voix pieuse, conseillait la paix et ordonnait l'oubli de l'injure. Philippe laissa entrevoir qu'il accepterait la médiation du Saint-Père, reçut le bref des mains du nonce, mais refusa de nouvelles lettres du roi de France qu'on y avait jointes. M. le Duc se ressouvint d'Alberoni et ne dédaigna pas d'évoquer ce démon d'intrigues. Alberoni, reconnaissant, travailla aussitôt à lui concilier l'affection du chanoine Guerra, confesseur d'Élisabeth[21]. La France vit encore s'intéresser à sa cause une puissance qui, sans avoir de nom dans les codes diplomatiques, n'en était pas moins redoutable. Elle résidait tout entière dans un moine octogénaire. Mais ce moine était Michel-Ange Tamburini, général de la compagnie de Jésus, c'est-à-dire maître absolu du cœur et de la volonté de vingt-cinq mille prêtres aussi puissants que rusés, aussi chers aux peuples que familiers chez les rois. A la prière des cardinaux Polignac et Gualterio, le pape engagea cet autocrate des jésuites à s'occuper de la réconciliation des deux couronnes ; et celui-ci envoya ses ordres au confesseur de Philippe V[22]. Ce que l'Orient fabuleux raconte du Vieux de la Montagne va se réaliser. A la voix de son chef, le fier Bermudez semble pénétré d'une âme nouvelle, et l'homme passionné est remplacé par le jésuite soumis. D'ennemi acharné de la France, il devient l'apôtre de la paix ; il écoute et dirigé lui-même les furtifs émissaires du prince de Condé. Il ne tient pas à lui que l'union ne se rétablisse par une ambassade du duc du Maine dont la présence devait plaire à l'Espagne pour laquelle il avait souffert ; dans l'entreprise de Cellamare. Enfin le confesseur espagnol est si bien transformé en Français que son zèle emprunté lui fait oublier toute prudence, et que bientôt nous le verrons se pendre sans regret pour la cause qu'il détestait.

Cependant la colère de l'Espagne l'avait déjà poussée à des partis extrêmes, et sa politique bouleversée ne voulait plus d'autre ennemi que la France. Jean V, quatrième roi de la maison de. Bragance, régnait en Portugal. Rassuré sur son trône par la conclusion de la paix d'Utrecht, il aurait dû, autant par intérêt que par dignité, demeurer neutre entre les anciennes puissances belligérantes. Mais ses caprices l'avaient jeté dans une route opposée. Les caractères singuliers abondent en Portugal et plaisent à cette nation. Jean V, dont elle a chéri tous les vices, et dont elle aime encore la mémoire, était peut-être le plus singulier de tous. Il la gouvernait avec une verge de fer, et l'on peut juger de ses autres violences par l'habitude qu'il avait de ne réprimander ses ministres qu'à coups de bâton. A ce despotisme s'unissaient une vanité extrême, une dévotion pusillanime et une soif de débauche incroyable. Un couvent d'Odivelas, peuplé de trois cents religieuses, était le théâtre de ses plaisirs. Le moine Fray Gaspard, son favori, élevait les enfants qui naissaient dans ce harem catholique. Trois d'entre eux, reconnus par leur père, ont, sous le règne suivant, rempli de leurs intrigues la cour de Portugal. Plus ses désordres étaient grands, plus le superstitieux monarque y mêlait de pieuses compensations[23]. Il résolut, dans un accès de remords, de donner à sa chapelle une magnificence inconnue aux autres cours de l'Europe. Il voulut que ses prêtres y eussent les droits des évêques et la couleur des cardinaux, et il fit solliciter à Rome le privilège de ce luxe innocent. Mais l'orgueil universel de Louis XIV ne put tolérer cette vanité d'un petit roi de Lusitanie, et il mit obstacle à ses poursuites. Jean V, dont les passions étaient sans frein, ne pardonna jamais à la France cette puérile contrariété. Le comté de Baschi, qui fut depuis notre ministre à Lisbonne, attribue à cette unique cause l'affront ménagé à l'abbé de Livry. Celui-ci, envoyé par le Régent pour résider comme ambassadeur appuis du monarque portugais, attendit vainement la visite d'usage que devait lui faite le secrétaire d'État, et fut rappelé sans avoir obtenu audience. Quoique cette chicane de cérémonial n'annonçât point encore sine rupture, c'en fut assez pour que Philippe V et sa femme se rapprochassent aussitôt de L'ancien ennemi de leur trône. Un double mariage satisfit promptement leur tendresse ou leur dépit Une fille du roi de Portugal fut unie à Ferdinand, le nouveau prince des Asturies ; et l'Infante, répudiée par la France, épousa le prince du Brésil. La même vengeance poursuivait ailleurs des projets plus dangereux.

A la nouvelle du renvoi de l'Infante, le simulacre du congrès s'était dissous à Cambrai par le refus de l'Angleterre de rester seule chargée de la médiation. On se souvient que, quelques mois avant cet événement, le baron de Ripperda négociait secrètement à Vienne. Caché dans la maison. du chirurgien de l'empereur, il ne conférait que la nuit avec les ministres. Les observateurs, qui soupçonnaient son intrigue, ne pouvaient le désigner encore que par le nom de l'homme noir. Le ressentiment de Philippe V ne s'accommodait plus de ces mystères, et Ripperda eut ordre de sortir de l'ombre et de brusquer un accord tenté vainement depuis onze années. Deux vues importantes disposaient Charles VI à ce dénouement inattendu. Privé d'héritier mâle, il avait tâché de prévenir le démembrement de ses États par une loi portée dans la forme solennelle d'une pragmatique. Mais il n'ignorait pas la vanité de tels oracles, et il travaillait à l'œuvre difficile de faire adopter d'avance par toutes les couronnes ce qui ne pouvait être utile qu'à une seule. L'empereur se flattait, d'un autre côté, de rappeler dans les Pays - Bas autrichiens 'cette prospérité commerciale qui avait rendu si fameuses les cités de Gand et d'Anvers. Les rapides progrès de sa compagnie d'Ostende semblaient justifier ce rêve brillant[24]. A peine sortie du berceau, elle avait en une seule année expédié pour le Bengale et la Chine douze vaisseaux chargés chacun de cinq cent mille florins en lingots d'argent et de plomb, et produit par ses retours un bénéfice de cinq capitaux pour un. Mais un début si éclatant devait lui faire craindre la jalousie des puissances maritimes, et l'explication que la force pourrait donner aux traités ambigus, de Munster et d'Utrecht. La facilité que des intérêts si pressants inspiraient à Charles VI, était accrue par l'abandon avec lequel Philippe se livrait à sa discrétion[25] aussi l'Infante n'avait pas, encore touché aux bords de la Bidassoa que déjà le traité de Vienne était signé. L'Autriche triomphait de la, division des Bourbons, et se vantait de leur avoir créé dans la branche espagnole le fléau d'une nouvelle maison de Bourgogne. Mais le contentement extraordinaire de Philippe V, et l'accueil presque suppliant qu'il fit aux anciens rebelles, révélèrent le secret de ses bizarreries sur le trône et de son obstina, Lion à l'abdiquer. On se souvint qu'autrefois, pour l'y retenir, l'autorité de Louis XIV avait eu besoin de celle d'un casuiste[26], et l'on ne douta pas que la reconnaissance de ses droits par Charles VI ne l'eût soulagé d'un grand remords. Dans l'ivresse de sa joie, il rendit à l'Espagne les courses de taureaux, qu'il avait défendues depuis son avènement. Je ne puis le taire ; à ce signal barbare la nation parut sortir d'un long deuil. Un luxe oublié, des équipages, des livrées neuves, un mouvement général de bonheur, de faste, de galanterie et de commerce, marquèrent le retour de ces jeux féroces. Des effets si disparates avec leur cause sont une de ces singularités qui entrent dans l'organisation de chaque peuple, et confondent la vanité des réformateurs.

La soudaine alliance de Vienne et de Madrid alarma le cabinet de Chantilly. Il envoya, pour observer les dispositions de ces cours, deux ministres d'un choix étrange et d'un contraste parfait, le duc de Richelieu et l'abbé de Montgon. Ripperda, ignorant et grossier, avait dit hautement qu'il prendrait le pas sur l'ambassadeur de France, et que l'épée ou le bâton décideraient par ses mains cette question de cérémonial. Le duc de Richelieu, fameux par ses duels et par son arrogance, parut propre à traiter cette affaire sur le pavé de Vienne. La faveur de madame de Prye élevait l'ambition sans modérer la fougue de ce courtisan, qui, entre tous les personnages de notre histoire, s'était proposé pour modèle le plus impudent de tous, le duc d'Épernon[27]. Cette humeur altière faisait remarquer davantage l'intime liaison qu'il conservait avec Arouet, son camarade de collège et de plaisirs, jeune poète d'une célébrité vive et précoce. L'égalité parfaite qu'il affectait avec ce brillant plébéien scandalisait les grandes maisons, mais attachait sur Richelieu quelque chose de cette renommée fantasque dont Alcibiade avait si bien connu le prix dans la médisante Athènes. Quoi qu'il eu soit, il reçut le même jour son brevet d'ambassadeur et des lettres de répit contre ses créanciers, et, pour début de sa carrière publique, envoyé en spadassin, il partit en banqueroutier. La route suivie par l'abbé de Montgon n'avait pas des particularités moins curieuses. Ce gentilhomme, élevé à la cour, et enseigne dans la gendarmerie, brusquement frappé de la grâce, s'était converti avec un peu de ce fracas que les pécheurs de ce temps-là jugeaient nécessaire à l'édification commune. Le roi d'Espagne venait alors de quitter le trône pour la Thébaïde de Saint-Ildephonse ; et Montgon, qui avait passé de l'épée au sacerdoce, eut la confiance de témoigner au royal pénitent son désir d'aller prier et se macérer aux pieds d'un aussi grand modèle. Philippe, touché de cette sainte inspiration, lui offrit une place dans sa chapelle, et lui en réitéra la promesse même après avoir repris le sceptre et rompu ses rapports avec la France. Mais au moment d'aller en Espagne, lorsque tous les Français en étaient bannis, Montgon sentit combien cette exception pouvait être utile à son pays et à sa propre fortune, et il demanda de l'emploi au comte de Morville par une lettre où respire une ambition toute profane[28]. Ses services furent acceptés ; ou convint pour correspondre, non d'un chiffre, qui eût été suspect, mais d'un langage allégorique ; et l'intrigue passa les Pyrénées sous la haire du pieux voyageur. Richelieu et Montgon ne furent pas moins dissemblables dans la manière dont ils s'acquittèrent, l'un de sa somptueuse ambassade, l'autre de sa mission clandestine. Le jeune duc et pair imposa au baron de Ripperda, qui regagna promptement Madrid. Mais le reste de sa conduite fut celle d'un novice présomptueux. Assez téméraire pour lutter de finesse avec un cabinet vieilli dans les artifices de la diplomatie, et assez léger pour porter dans les affaires la corruption dont il payait, ses plaisirs, il échoua partout et tomba constamment dans les pièges qu'il voulut tendre. Dans le même temps, le chapelain français, rampant avec humilité et frappant sa poitrine, séduisait à Madrid le roi, le confesseur et les ministres, rendait à son gouvernement d'importants services, pénétrait tout et restait impénétrable. Par une dernière bizarrerie dans le sort des deux personnages, le grave Fleury, combla de faveurs le grand seigneur libertin et inconsidéré, et persécuta jusqu'au scandale le prêtre utile et dévot. Une partie de cette énigme s'expliquera lorsque j'aurai dit que le duc de Richelieu, courtisan aussi délié que négociateur médiocre, avant même de passer le Rhin pour se rendre à Vienne, avait déjà trahi ses bienfaiteurs, M. le duc et madame de Prye. Dans une correspondance fort secrète, il révélait au précepteur du roi les moindres détails de sa mission. Ses lettres sont, à la vérité, comme tout ce qui est sorti immédiatement de sa main, d'une trivialité insipide. Mais le vieillard de Fréjus, satisfait du dévouement .de ses créatures, ne se montra jamais difficile sur la forme de leurs hommages.

Cette influence de Fleury et sa présence assidue au travail du roi importunaient le ministre et la favorite. Ils crurent que le moment de secouez le joug était venu, et ils employèrent à ce dessein la jeune reine, qui, livrée à Duverney, secrétaire de ses commandements, et à la marquise de Prye, l'une des daines de sa maison, se laissait conduire par eux avec une docile simplicité. Selon le plan concerté, le roi est un jour retenu par sa femme ; M. le Duc survient avec le portefeuille, et propose un travail qui est accepté, tandis que l'évêque de Fréjus attend vainement dans le cabinet du monarque. Le prélat, qui juge à l'instant le motif et les conséquences de cette nouveauté, prend congé du roi par une lettre respectueuse, et se réfugie an village d'Issy dans la maison des Sulpiciens, où il s'était fait une retraite. Ce Moyen extrême lui avait une fois réussi ; mais il n'était pas sans inquiétude sur une seconde épreuve qui allait décider s'il resterait maître du royaume et du monarque. Il ne comptait d'autre appui que l'affection de son élève, et l'amitié naturellement circonspecte de deux courtisans, le duc de Charost et le chevalier de Pezé. Ce dernier devait d'heure en heure l'informer par des courriers des diverses périodes de la crise prête à éclater. A la nouvelle du départ, la Confusion fut grande dans toute la cabale de M. le Duc, qui avait trop fait pour ne pas offenser Fleury, et trop peu pour le détruire. Mais le fort de l'orage s'exerça dans le cœur timide et ulcéré du roi. La reine, écrit le chevalier de Pezé[29], l'a fait inviter par M. de Nangis à passer chez elle ; mais il n'y est resté que trois minutes. De là il est revenu se mettre sur sa chaise, tout seul, où il est depuis plus de trois quarts d'heure sans avoir proféré une seule parole. Fleury dut l'explosion qui suivit, non à la tiède assistance de ses amis, mais à la brusquerie du duc de Mortemart, gentilhomme de service, qui, impatienté de la situation pénible où il voyait son 'maitre, lui conseilla hardiment de faire revenir l'évêque, et offrit d'aller lui-même en intimer l'ordre au prince de Condé. L'une navrée du jeune souverain reçut avec avidité le soulagement qu'on lui présentait. Mortemart courut chez le premier ministre, et lui signifia la volonté royale dans dés termes un peu empreints de l'irritation dont il était encore ému. M. le Duc, sans audace et sans prévoyance, subit l'humiliation de rappeler lui-même son rival[30] ; et Fleury, qui de la part d'hommes résolus aurait dû craindre là catastrophe de Villeroi, revint triomphant d'une tracasserie de pygmées. Il eut la modération de conseiller ce qu'il pouvait ordonner, c'est-à-dire l'éloignement de la marquise de Prye et de Duverney ; et M. le Duc eut la faiblesse ou l'orgueil de les défendre. Mais les deux favoris feignirent pour trop peu de temps une retraite apparente, comme un sacrifice fait à la nécessité. Vain palliatif ! le coup était porté. Les gens sensés regardèrent désormais comme indestructible l'empire de l'évêque de Fréjus sur l'esprit du roi. On alla jusqu'à soupçonner qu'il était cimenté par quelque prestige, dont l'adroit vieillard avait fasciné l'enfance de son élève. Je rapporterai à cette occasion un passage singulier des manuscrits de Saint-Simon, non comme une preuve du fait, mais comme un témoignage de l'opinion qu'on s'en formait. Le saint abbé Vittement, sous-précepteur du roi, dit à Bidault, après sa retraite à la doctrine chrétienne : La toute-puissance de l'évêque de Fréjus durera autant que sa vie, et son règne sera sans mesure et sans troubles. Il a su lier le roi par des liens si forts, que le roi ne les peut jamais rompre. Ce que je vous dis là, c'est que je le sais bien. Je ne puis en dire davantage ; mais si le cardinal meurt avant moi, je vous expliquerai et ce que je ne puis faire pendant sa vie. Vittement parla de même à d'autres personnages ; mais le cardinal lui a survécu[31].

 

 

 



[1] Entre cent exemples de ce trafic avilissant de la puissance royale, je citerai des lettres patentes du 16 mai 1724 qui établissaient le monopole des balances à peser les hommes dans la banlieue de Paris. (Archives de la ville de Paris.)

[2] Henri III n'avait pas eu cette crainte le premier. Suivant les chroniques de Jean de Troyes, Louis XI ayant voulu faire, le 20 avril 1474, devant les ambassadeurs du rot d'Aragon, une revue de tossa les habitant de Paris en état de porter les armes, il s'y en trouva cent mille vêtus d'écarlate avec des croix blanches. Le roi soupçonneux en fut épouvanté, et se garda bien de renouveler un spectacle qui révélait aux Parisiens leur nombre et leur force.

[3] Germain Brice, qui écrivait en 1715, comptait encore à Paris huit cent mille habitants, dont cent cinquante mille domestiques, vingt-quatre mille maisons, vingt mille carrosses au moins, cent vingt mille chevaux, dont il meurt dix mille par année.

[4] Du 18 juillet 1724.

[5] Mémoires du maréchal de Villars.

[6] Cette rigueur fut adoucie par une autre loi du 20 décembre suivant qui réduisit à moitié le terme de dix années et en dispensa ceux qui étaient actuellement pourvus d'offices.

[7] Les autres édits qui furent enregistrés dans ce lit de justice du 8 juin 1725, concernaient le rétablissement de l'intérêt au denier vingt, la clôture du visa, la confirmation de la compagnie des Indes, la liquidation de ses comptes avec la banque, et la création de maîtrises.

[8] Lettre du cardinal de Polignac, du 20 juin.

[9] Malgré mes prévoyances, il ne m'est pas même venu en pensée de mettre à couvert, dans les pays étrangers, la plus petite portion des millions que j'ai eus à ma disposition. (Lettre de Tencin au comte de Morville, du 11 janvier 1724.)

[10] C'est être dans un bois que d'avoir affaire à ces messieurs, dit le cardinal de Polignac en parlant de ces prélats, dans une lettre au comte de Morville, du 25 avril ; et dans une autre lettre du 19, adressée au même ministre, il s'exprime ainsi : M. d'Embrun se distingue parmi les prélats qui se déchaînent contre moi, pendant qu'il m'écrit ici des flatteries, suivant son louable caractère. Voilà la récompense des honnêtetés que je lui ai faites à votre considération ; car il ne les méritait ni par lui-même ni par son procédé à mon égard.

[11] Mémoires manuscrits du prince de Croï, tome XVIII, p. 54.

[12] Cette princesse extraordinaire s'occupait alors dans son abbaye de Chelles, à broyer la poudre à canon et à tirer des feux d'artifice qu'elle composait elle-même ; puis de ses mains enfumées de pyrotechnie, elle écrirait des pamphlets contre la bulle. On eut bien tort de donner de l'importance à une adversaire aussi risible dont la religion n'était que la vanité de faire un peu de bruit. Je m'en tiens à l'avis de Johnson, qui, s'exprimant avec la singularité particulière au génie de sa nation, compare la femme théologienne à un chien qui danse, dressé sur ses pattes de derrière.

[13] Voltaire, dans sa lettre du 20 août 1725, parle lui-même de cet incident : Le miracle du faubourg Saint-Antoine m'a donné un petit vernis de dévotion. Je suis cité dans le mandement ; j'ai été invité en cérémonie au Te Deum chanté en actions de grâces de la guérison de madame La Fosse. Voltaire avait d'autres droits à l'affection de la secte. Le nonce Maffei avait dénoncé à la cour de Rome son poème de la Henriade, et les jésuites, dans leur journal de Trévoux, en attaquèrent le neuvième livre, comme exhalant les poisons de l'hérésie jansénienne.

[14] Le duc de Saint-Simon, qui habitait alors ses terres en Normandie, s'exprime ainsi dans sa lettre à l'évêque de Fréjus, du 25 juillet 1725 : Au milieu des profusions de Strasbourg et de Chantilly, on vit en Normandie d'herbes des champs. Je parle en secret et en confiance à un Français, à un évêque, à un ministre et au seul homme qui paraisse avoir part à l'amitié et à la confiance du roi, et qui lui parle tête à tête, du roi qui ne l'est qu'autant qu'il a un royaume et des sujets, qui est d'un âge à en pouvoir sentir ta conséquence, et qui, pour être le premier roi de l'Europe, ne peut être un grand roi, s'il ne l'est que de gueux de toutes condition, et si son royaume se tourne en un vaste hôpital de mourants et de désespérés à qui on prend tout chaque année en pleine paix. Saint-Simon finit par dire qu'avec deux cent mille livres de rente, sa femme ne pourra aller aux eaux sans vendre ses nippes.

[15] Le compte du chevalier Bernard, pour cet objet, se monte à dix millions six cent quatre-vingt-treize mille six cent soixante-cinq livres, et fut apuré le 31 mai 1729.

[16] Voici l'ordre du 24 août donné par le roi au corps de ville pour élire un nouveau prévôt des marchands : Notre intention est que vous y procédiez incessamment, et qu'en y procédant, vous donniez vos suffrages au sieur Lambert. Archives de la ville.

[17] Le prince de Condé, fils de M. le Duc, rapporte lui-même ce fait dans l'Essai sur la vie du grand Condé qu'il a composé. Il y traite franchement de superstition le culte de la châsse de sainte Geneviève, et l'on s'aperçoit qu'il a hérité de l'humeur de son père contre la patronne de Paris.

[18] Sartine répondit à une dépêche de ce genre du comte de Morville : Il faut avouer que l'amour fait de grands changements, si Sa Majesté est devenue tendre et empressée de plaire à la reine. Lettre du 27 septembre 1725.

[19] Lettre de Stanhope, du 6 août 1725.

[20] Lettre à M. le Duc, du 8 mars.

[21] Lettre de M. le Duc, du 25 septembre. — Lettre d'Alberoni, du 5 novembre.

[22] Lettre du général au père Bermudez, du 21 avril ; réponse du père Bermudez à son général, du 25 mai.

[23] Tremblant également pour son corps et pour son âme, Jean V se rendait au couvent d'Odivelas toujours accompagné de son médecin et de son confesseur. Il n'entrait dans la cellule du jour qu'après que le premier lui avait tâté le pouls, et n'en sortait que pour se jeter avec effroi aux pieds du second, qui lui donnait l'absolution. Cette sacrilège bouffonnerie recommençait presque tous les jours. (Manuscrits du comte de Baschi.)

[24] On ne sait pas que l'origine de la compagnie d'Ostende est due à un Français, à un de ces intrépides Bretons qui semblent nés pour la domination des mers. En 1718, le capitaine Mervielle, de Saint-Malo, ramena de la Chine à Dunkerque deux vaisseaux richement chargés. N'ayant pu obtenir de la compagnie des Indes la permission de vendre en France sa cargaison, il conduisit ses navires à Ostende où il trouva un débit avantageux. Attaché par ce bon accueil, il continua ses armements dans ce port, et y donna part à des Flamands encouragés par son exemple. Charles VI érigea cette société en compagnie de six mille actions, le 19 décembre 1722. Mervielle alla vivre à Bruxelles avec de grandes richesses.

[25] Le traité entre l'empereur et l'Espagne fut conclu à Vienne, le 30 avril 1725. Une lettre écrite le lendemain par le chevalier du Bourg, assure que les ministres autrichiens en rédigèrent seuls les articles, et que pendant ce temps Ripperda, qui le signa, était dans sa chambre occupé à faire carder des matelas.

[26] Le père Robinet, jésuite. (Lettre de Saint-Simon au cardinal Gualterio, du 14 septembre 1727.)

[27] C'est Voltaire lui-même qui le lui rappelle dans une de ses lettres : Le duc d'Epernon, dont je vous ai vu autrefois si entiché. (Œuvres de Voltaire, tome LXII, p. 18, édit. de Kehl, in-8°.)

[28] Cette lettre, dont j'ai lu l'original, est du 3 mai 1715. L'abbé de Montgon fait de grands efforts pour en expliquer la cause dans ses mémoires. Mais il se garde bien d'en insérer le texte dans sa volumineuse compilation.

[29] Lettre du chevalier de Pezé à l'évêque de Fréjus, du 19 décembre 1725.

[30] Je n'ai pas retrouvé la lettre de Fleury au roi ; mais voici celle que lui écrivit M. le Duc pour le rappeler : Votre lettre, Monsieur, m'a surpris à un point que je ne puis dire. Le roi désire votre retour, et m'ordonne de vous mander qu'il veut que vous reveniez. N'ayant pas le temps de vous en dire davantage, je me remets à la première fois que nous nous verrons, et je me contente, pour le présent, d'exécuter les ordres de Sa Majesté.

L. H. DE BOURBON.

[31] Mémoires historiques.