HISTOIRE DE LA RÉGENCE

 

 

CHAPITRE IX.

 

 

Origine du système de Law. — Ses progrès. — Leur influence sur l'administration, sur le commerce, la marine et les colonies.

 

LE fameux système ne dut sa naissance ni aux fourberies d'un étranger ni au caprice du Régent ; il fut l'ouvrage de la dure nécessité. Après le lit de justice du 26 août, il fallut songer à gouverner sans le secours du parlement, c'est-à-dire sans impositions nouvelles. Le premier pas à faire était de connaître la situation des finances, trop sur les comptes menteurs qu'on avait publiés pour éblouir la nation et qui ont égaré tous les écrivains, mais sur les états réels du trésor. Il en résulta que la régence s'était arriérée, en trois ans, de cent trente millions ; que, sans parler de la guerre d'Espagne, les dépenses présumées de 1719 excéderaient les recettes de vingt-quatre millions[1], et qu'au bord de ce précipice il fallait soutenir encore et toutes les dettes de Louis XIV, et le remboursement des offices si largement supprimés. D'Argenson, jeté sur ce terrain mouvant et inconnu, y perdit son audace et ses ressources. Ennemi jaloux et implacable de l'Ecossais, il n'avait su que l'imiter, et venait de livrer le bail des fermes générales aux combinaisons d'une compagnie d'actionnaires. Le Régent, effrayé de l'inexpérience d'un tel guide, se vit poussé par la force vers ce système dont il avait depuis trois ans aimé la théorie par conviction et redouté l'essai par timidité. Car, il ne faut pas s'y tromper, l'état naturel de ce prince était l'irrésolution. Son courage l'attendait toujours aux extrémités.

C'est ici le lieu de faire connaître particulièrement ce personnage regardé alors comme l'espérance de l'état. Law était venu d'Angleterre sous le ministère de Chamillard, apportant des théories que l'esprit borné de ce ministre ne put cent-prendre, Retiré en Italie pendant la guerre de la succession, il avait continué de s'intéresser aux malheurs de la France dans une correspondance suivie avec le prince de Conti, qui fut élu roi de Pologne. A la paix, il reparut parmi nous ; et se fit écouter du contrôleur-général Desmarets, dont les besoins publics avaient amolli la rudesse. Tout était disposé pour l'ouverture d'une banque, lorsque la mort du roi mit le sceptre en d'autres mains. Law eut plus de peine à persuader les novateurs de la régence qu'à vaincre les routines du règne précédent ; car la banque dont il obtint le privilège en 1716, fut moins étendue que celle dont Desmarets avait approuvé les fondements. J'observe qu'il offrit à Louis XIV, comme au Régent, de consigner cinq cent mille livres de ses propres deniers pour être abandonnées aux pauvres, si le succès ne ratifiait pas ses promesses[2].

Ces premiers succès de Law attestent de grands efforts ; car avant lui la science du crédit public n'avait pas pénétré en France ; on n'y soupçonnait même pas la combinaison des changes, et cette ignorance avait causé des pertes énormes au gouvernement de Louis XIV, qui entretint si longtemps des armées hors de son territoire. Cependant l'Europe nous offrait de toute part d'éclatans exemples ; de même que les juifs persécutés inventèrent les lettres de change, la Suède écrasée sous sa monnaie de cuivre imagina les banques. La même institution, diversement modifiée, avait, en Hollande, décuplé le commerce ; en Angleterre, prêté au roi Guillaume le levier qui ébranlait le continent ; à Gênes et à Venise, soutenu les ruines des vieilles fortunes ; à Rome et à Naples, procuré des avantages paisibles et permanents. L'Autriche elle-même venait de former sa banque avec la complication et le faste particuliers au caractère germanique. Mais les principes de crédit sur lesquels reposaient ces divers établissements, réduits partout ailleurs à une sorte d'instinct commercial, n'avaient reçu qu'à Londres la sanction du génie. Locke et Newton ne dédaignèrent pas, dans une crise, importante, d'éclairer le parlement et de fonder dans les finances de leur patrie cette foi publique à qui le gouvernement anglais doit depuis si longtemps le double prodige de ses excès et de sa conservation[3]. C'est le privilège des vrais philosophes de laisser sur les matières qu'ils ont traitées une empreinte que la puissance du temps et celle des rois ne sauraient imiter. Law s'était profondément nourri de la pensée de Locke et de Newton ; il s'annonça comme le disciple de ces grands hommes ; il cita fréquemment leur autorité dans ses écrits, et ce fut presque en leur nom qu'il vint prêcher à la France des dieux inconnus.

Je dépasserais les bornes de l'histoire, si je développais ici une doctrine, nouvelle alors, mais familière aujourd'hui à tous les esprits cultivés. Law était né dans cette Écosse, où le génie méditatif des habitants allait produire la plus célèbre école des sciences spéculatives. Il s'était lui-même avancé dans sa théorie du crédit public vers des hauteurs que l'expérience n'avait pas encore éclairées. On croit qu'il s'égara en regardant trop la monnaie métallique comme une richesse réelle et le papier de banque comme l'équivalent parfait des métaux, et que si ces deux principes exagérés ne détruisirent pas son système, ils le laissèrent au moins sans défense contre les attaques dont il fut la proie. Mais en trompant l'imagination de Law, ses vastes calculs ne lui donnèrent point l'insensibilité trop ordinaire aux artisans de finance. L'amour des hommes respire dans ses projets, et il y répète avec complaisance qu'un ouvrier qui gagne vingt sous par jour est plus précieux à l'état qu'un capital en terre de vingt-cinq mille livres. Au reste, cette fusion du crédit et de la politique, de la force qui gouverne et de l'opinion qui juge, est un artifice tout moderne. On prévoit que le gouvernement sorti de ce mécanisme délicat sera modéré par nécessité, populaire par intérêt, attentif et indulgent par sa fragilité même. Il est pourtant douteux que notre nation puisse, sans quelque honte, s'accoutumer au bonheur sous des rois banquiers.

Tel fut néanmoins le secours qu'implora le Régent, dans la situation désespérée où il se trouvait ; mais, à son grand étonnement, Law éluda une épreuve qu'il avait tant sollicitée, et proposa simplement de remplacer neuf cent millions de capitaux des rentes, par la création d'une somme égale de billets faisant office de monnaie, sans intérêt et sans remboursement. Le duc d'Antin montra les vices d'un expédient aussi trivial ; son auteur en convint, mais il ne consentit qu'avec peine à mettre en jeu sa vaste machine. Cette hésitation de Law à l'entrée du système est une énigme dont l'explication doit intéresser. Cet homme avait l'imagination trop vive et l'âme trop noble pour que le succès de, sa première banque et l'extrême opulence qu'elle lui assurait eussent pu le détourner des hasards d'iule entreprise plus glorieuse. Mais en venant en France, il ne s'était pas dissimulé la difficulté de concilier la garantie -d'une banque publique avec les caprices du pouvoir absolu. Le plan qu'il soumit à Louis xiy émit combiné de manière que le monarque ne pouvait attenter à la caisse sans se priver, par le fait, de ses revenus d'une année. Sous la régence, il osa davantage, et proposa de mettre la banque sous l'égide d'un gouvernement particulier, composé de membres des quatre tribunaux supérieurs, le parlement, la chambre des comptes, la cour des aides et la cour des monnaies[4]. Mais les principes de la cour sur l'unité monarchique, et sa défiance contre la magistrature, ne permirent pas d'écouter ce vœu d'un étranger. Cependant sa proposition n'était pas absolument nouvelle ; Henri IV avait, en 1607, tiré son conseil de commerce du parlement, de la chambre des comptes et de la cour des aides, sans que sa politique s'effrayât de cette réunion. Mais, depuis lors, l'extension donnée par Richelieu et par Louis XIV au pouvoir royal l'avait rendu ombrageux, jaloux, concentré, et la régence héritait de ce malaise propre aux états despotiques. Ainsi Law, privé de son point d'appui dans les cours souveraines, et témoin de l'instabilité de la régence, dut craindre de bâtir sur un sol aussi trompeur. Il parait même que lorsqu'il eut cédé aux instances du Régent, les mêmes inquiétudes le portèrent à refuser aux billets de la banque royale le caractère de monnaie invariable qui avait fait la force de sa banque particulière, et qui pouvait maintenant pousser trop loin les illusions de la multitude. L'omission ne fut aperçue qu'au bout de trois mois, et on la répara malgré lui[5]. Cette réticence de Law doit être comparée aux ressorts modérateurs dont un sage mécanicien arme ses ouvrages, pour prévenir les secousses ou tempérer une rotation trop rapide. Elle fait honneur à la sagacité de son esprit ; mais ce qui en fait encore plus à la générosité de son caractère, c'est qu'il livra sans réserve sa personne et sa fortune à une expérience dont il pressentait le péril, mais dont le Régent attendait son salut.

Quand les matériaux du système furent disposés entre Law, le Régent et le duc d'Antin, on en fit confidence au duc de Bourbon, dont il fallait toujours capter l'avarice et prévenir la bruyante ignorance. D'Argenson fut appelé à leur dernier conseil tenu, la nuit, dans un lieu retiré du Palais-Royal[6]. A la lecture d'un travail achevé à son insu, le garde des sceaux pâlit ; mais, en vieux courtisan, il dompta promptement un trouble dont il prévit tout le danger. En effet, la résolution était prise de le destituer s'il eût montré la moindre résistance. La délibération sortit de cette espèce de conjuration nocturne, fut envoyée le lendemain au parlement, qui la rejeta par une pluralité de quatre-vingt-quatre voix contre vingt-trois. Depuis le lit de justice, le parlement avait pris le parti de ne rien enregistrer, et la cour de tenir pour enregistré tout ce qui ne le serait pas. Ces contradictions, qui bouleverseraient tout autre pays, ne sont pas aperçues en France. Après avoir levé le voile qui couvrait l'origine du système, je vais enfermer dans un cadre plus étroit les événements publics qui en furent la conséquence.

Law ne séparait pas le rétablissement de la fortune publique de celui des fortunes particulières. Il se flattait qu'en multipliant les richesses par le crédit, et le commerce par la Circulation, l'État aurait, pour éteindre ses dettes, les profits de sa banque et l'accroissement naturel des impôts au milieu d'une plus vive reproduction. Sur cet amas de papiers engorgés et de valeurs inertes dont la France était inondée, il appliqua le double siphon qui devait leur imprimer un mouvement sanitaire, et qui en souleva jusqu'à la vase. Ces deux instruments furent la banque et la compagnie des Indes, dont la première offrit à tous les besoins une monnaie abondante et commode, et la seconde, à tous les désirs, un revenu fixe et des espérances sans mesure. Ces deux réservoirs, combinés pour s'alimenter l'un l'autre par des versements réciproques de billets et d'actions, communiquèrent entre eux d'abord par des canaux découverts, c'était l'habileté du système ; et ensuite par des conduits secrets, c'en était la fraude.

La finance ressemble à tous les arts destinés à mouvoir l'opinion des hommes. Elle a, comme eux, des moyens de séduire et des stratagèmes de profession dont il faut juger l'innocence par le but qu'ils se proposent, et non par la route qu'ils suivent. Law mit de bonne foi beaucoup d'adresse à fortifier les deux colonnes de son système. Pour décréditer les monnaies d'or et d'argent, il tourmenta leur valeur par des lois fréquentes, effrayant ainsi les capitalistes, et se réservant le droit alternatif de recevoir plus et de donner moins. Près de cinquante variations se succédèrent en peu de temps exemple inouï dans les annales du despotisme ; en sorte que les métaux, frappés sans relâche par la législation monétaire, ne trouvèrent de repos que dans les coffres de la banque. On défendit en outre aux messageries de les transporter ; on autorisa les créanciers à les refuser en paiement, et enfin la loi porta la décision, si absurde en apparence, qu'ils perdraient cinq pour cent dans l'échange contre le papier. Mais la crédulité alla plus loin que l'empirisme, et les feuilles symboliques l'emportèrent réellement de dix pour cent sur les véritables monnaies. On entendit même répéter partout cette formule lacédémonienne consacrée dans le jargon des hommes d'affaires de ce temps-là : Avez-vous de l'or ? Rien de fait.

Ce dégoût des métaux précieux n'était autre chose que le besoin d'une monnaie qui fût assez légère pour suivre le prodigieux mouvement de la compagnie des Indes. Les actions de ce commerce lointain devenaient elles-mêmes un immense commerce que Law dotait avec une savante gradation de tout ce qui pouvait entraîner les différents caractères des hommes. Ainsi, pour enivrer les imaginations mobiles, la compagnie réunit successivement aux possessions incommensurables de la Louisiane les trois commerces privilégiés de l'Afrique, des Indes et de la Chine, et ne dédaigna pas des pêcheries et des manufactures ; et en même temps, pour rassurer les esprits timides, elle acquérait le monopole du tabac, les gabelles d'Alsace et de Franche-Comté les bénéfices de la fabrication des monnaies, enfin les fermes et les recettes générales[7]. Ce colosse, devenu le seul négociant et le seul financier, formait une puissance dans l'État, et portait entre ses mains le dépôt de toutes les fortunes ; car, à chaque concession solide ou éventuelle que recevait la compagnie, elle émettait des actions, dont les unes étaient enlevées par des milliers d'acheteurs, et les autres allaient faire sortir de la banque les flots d'une monnaie nouvelle. Ce jeu était animé par l'obligation subtilement imposée aux acquéreurs des dernières actions, de représenter une plus grande quantité des anciennes, ce qui à chaque création agitait la masse entière des effets publics jusqu'au fond de leur abîme. Le concours devint surtout impétueux lorsque ta réunion des fermes eut couronné l'édifice du système et que l'État ; disposant d'un milliard cinq cent millions, remboursa tout à coup ses vieux créanciers. Alors ce peuple de rentiers, enfants indolents de l'habitude, se vit chargé d'un capital imprévu qui réclamait un emploi rapide, et la nécessité chassa ces traîneurs jusque vers les premiers rangs des volontaires de Law.

La Louisiane était le champ magique où se nourrissaient tant d'espérances, et ceux qui avaient peut-être préparé à dessein cet appât équivoque furent éblouis à leur tour par l'illusion commune. On décora de la noblesse le neveu de Cavelier de La Salle, qui avait découvert le Mississipi. On embarqua pompeusement des ouvriers pour aller recueillir les trésors de ce monde nouveau. Des estampes répandues parmi le peuple firent envier le bonheur de ces colons, qu'un burin lascif représentait partout jouissant de plaisirs sans obstacle et de richesses sans travail, au milieu des nudités de l'âge d'or, des présents d'une terre vierge et des licences de la vie sauvage. Comme il n'était pas sûr qu'un vieux militaire appelé La Mothe-Cadillac, qui avait autrefois commandé dans la Louisiane, en eût vu toutes les merveilles, on s'assura de sa discrétion sous les verrous de la Bastille. Mais, d'un autre côté, les archives du gouvernement conservent des mémoires où l'on calculait alors avec bonhomie la quantité de soie que devait mettre dans le commerce l'industrie de dix mille femmes de la nation des Natchez ; et la compagnie, sur la foi d'un visionnaire, dépensait de fortes sommes à la recherche d'un rocher d'émeraude dans la rivière des Akanças. L'effet de ces prestiges fut de porter à dix-huit mille livres l'action dont la valeur primitive était de cinq cents livres, et que Law délivra successivement aux prix de cinq cent cinquante livres, mille livres et cinq mille livres. Il avait trop de lumières pour n'être pas inquiet lui-même d'un succès aussi démesuré. Il tâcha inutilement d'en modérer l'essor en jetant sur la place jusqu'à trente millions de papier en une semaine. Tout fut emporté par un torrent qui roulait ses digues. Cette énorme différence entre le taux du premier achat et celui de la revente bouleversa toutes les têtes, et produisit, dans la manière d'obtenir actions et de s'en défaire, deux ordres de phénomènes auxquels rien n'a jamais été comparable.

Le principal but des concurrents était de recevoir à leur source des papiers si productifs. La plupart des souverains de l'Europe y prétendirent et entretinrent à Paris des mandataires pour lesquels ils imploraient avec soumission les faveurs du Régent. L'un d'eux envoya même son fils à cette singulière école. Après ces agioteurs couronnés, venaient sans honte les plus grands seigneurs de la France. J'ai vu leurs vils placets souscrits des plus beaux noms de la monarchie. Un grand nombre est adressé par des femmes, et dans plusieurs la prose cède la place au langage des dieux, et l'avarice s'explique en madrigaux. Quand la part de ces adulateurs privilégiés était faite, le reste appartenait à la constance des plus robustes athlètes. Dès qu'une distribution nouvelle commençait, l'hôtel de la compagnie, regorgeant d'une foule acharnée, eût vainement essayé de fermer ses portes. On voyait ces âpres solliciteurs, étroitement serrés, s'observer entre eux d'un œil farouche et gémir sans plier sous le poids de l'or et des portefeuilles. Leur phalange s'avançait durant plusieurs jours et plusieurs nuits vers le bureau d'échange, comme une colonne compacte que ni e le sommeil, ni la faim, ni la soif ne pouvaient démolir. Mais au cri fatal qui annonçait la délivrance de la dernière souscription, tout s'éclipsait à la fois.

Un second théâtre attendait, pour d'autres hasards, les vainqueurs et les vaincus. Au centre d'un quartier populeux, entre les rues Saint-Denis et Saint-Martin, s'étend dans la même direction un obscur défilé de quatre cent cinquante pas de long sur cinq de large, bordé par quatre-vingt-dix maisons d'une structure commune. On l'appelle rue Quincampoix, et quoique sa grande renommée soit due aux témérités de la régence, il est juste de dire que les dernières exactions de Louis XIV y avaient déjà naturalisé l'usure et l'agiotage[8]. Tel fut l'ignoble carrousel où se célébrèrent les fêtes du système. On l'appela simplement la rue comme autrefois le monde subjugué appela Rome la ville. Le concours prodigieux des joueurs nécessita l'intervention de la police. Les deux extrémités de la rue furent garnies d'un corps-de-garde et d'une grille dont le son d'une cloche annonçait l'ouverture à six heures du matin et la clôture à neuf heures du soir. Les personnes distinguées des deux sexes entraient par la rue aux Ours, et le vulgaire par la rue Aubry-le-Boucher. Mais dès que la barrière était franchie, la plus fraternelle égalité reprenait ses droits. La possession du moindre réduit dans cette enceinte privilégiée passait pour le comble du bonheur, et la cupidité les avait multipliés avec une étonnante industrie. Chaque parcelle d'habitation se changeait en petits comptoirs. On en trouvait des labyrinthes jusque dans les caves, à la lueur des lampes infectes, tandis que d'autres banquiers, pareils aux oiseaux de proie, avaient attaché leurs guérites sur les toits. Une maison ainsi distribuée constituait une ruche d'agioteurs animée dans toutes ses parties par un mouvement perpétuel. Celle dont le revenu ordinaire était de six cents livres en rapportait alors cent mille. Les spéculations sur les baux en totalité furent une source facile de richesses.

Mais la rencontre des essaims étrangers et les plus vives négociations se faisaient surtout dans la rue. C'est là qu'un attroupement bizarre confondait les rangs, les âges et les sexes. Jansénistes, molinistes, seigneurs, femmes titrées, magistrats, filous, laquais, courtisanes, se heurtaient et se parlaient sans étonnement. L'avidité, la crainte, l'espérance, l'erreur, la fourberie remuaient sans relâche cette foule intarissable. Une heure élevait des fortunes que renversait l'heure suivante. La précipitation était si grande qu'un abbé livra impunément, pour des actions de la compagnie, des billets d'enterrement, et dans cette burlesque substitution les applaudissements se partagèrent entre l'effronterie du vol et la malice de l'épigramme. Le besoin changea des hommes en meubles, et parmi ceux qu'enrichirent ces métamorphoses on cita un soldat dont l'immense omoplate valait un bureau, et un petit bossu qui, soutenu par une muraille, devenait un pupitre commode sur lequel on transigea pour des milliards. L'historien du système raconte qu'un artisan dont l'échoppe était appuyée contre le jardin du banquier. Tourton, gagnait deux-cents- livres par joui-à toner son escabelle aux dames qui venaient contempler ce spectacle inouï. La colonie errante ou sédentaire de la rue Quincampoix offrait un mélange de tous les peuples. Parmi les étrangers se distinguaient les Lorrains, les Flamands, les Suisses et les Italiens, tandis que les contingents nationaux étaient principalement fournis parla Normandie, Lyon, la Guienne et le Dauphiné. Quant aux Parisiens, le système fut l'objet de leurs chansons tant qu'il réussit, et celui de leur confiance dès qu'il dégénéra. Les natifs de la moderne Athènes conservèrent leur réputation d'être les dupes les plus spirituelles de la terre.

Cette fermentation, si abjecte dans son foyer, épanchait pourtant au loin des grands et salutaires effets. La soudaine réhabilitation de tant de papiers déshonorée fit périr l'usure et jaillir de toute part des flots de richesses, Sans nulle industrie, et en se laissant machinalement aller au cours des choses, celui qui, en 1716, avait confié dix mille livres à la banque de Law, fut, avant la fin de 1719, propriétaire d'un million, non d'une monnaie idéale, mais de valeurs qu'il pouvait à l'instant convertir en or ou en terres. L'art et l'audace obtenaient en trois mois les mêmes fruits. Ce fut là l'origine de ces monstrueuses fortunes qui s'élevèrent non sur la misère publique, mais au sein de l'aisance générale. Seize cents saisies réelles furent levées dans la seule Généralité de Paris. Il n'y eut que deux cents lettres de surséance demandées à la chancellerie qui en délivrait annuellement quatre mille ; l'intérêt tomba au denier quatre-vingt ; le nombre des manufactures s'accrut des trois cinquièmes suivant les rapports des inspecteurs, et les négociants allaient engager dans les hospices tout ce qui restait de bras validés parmi les enfants et les vieillards. L'agriculture et le trésor public s'enrichirent de l'affluence des étrangers et de l'énorme progrès des consommations. Une soif de plaisirs nouveaux créa une industrie plus recherchée, et dévora jusqu'aux aliments du luxe de nos voisins[9]. On vit vendre à Paris la neige des montagnes de l'Auvergne[10], comme autrefois les califes avaient fait descendre celle du mont Liban dans la voluptueuse Egypte.

La nation emportée dans ce torrent d'affaires et de délices oublia la bulle et les remontrances ; la conspiration des bâtards et la guerre d'Espagne. Elle eût vu avec une égale indifférence décimer le parlement, détrôner Philippe V, décapiter le duc du Maine, et introduire le schisme anglican. Alors mourut la veuve de Louis XIV aussi obscurément que l'eût fait la veuve de Scarron, vieille fée, dit Saint-Simon, dont la baguette était rompue. Saint-Cyr même, qui l'écoutait comme un oracle et la vénérait comme une fondatrice, sentit plutôt le vide que le regret de sa perte, et trouva peu de larmes pour ses cendres dans tous ces jeunes cœurs qu'elle avait éloignés d'elle par une étiquette froide et hautaine. Un affreux incendie détruisit en entier la ville de Sainte-Menehould. Plusieurs de ses habitants, atterrés de ce grand désastre, restèrent pour toujours privés de la raison. Le même fléau dévora la ville de Rennes. Neuf cents maisons furent consumées. On découvrit sous les décombres des scories brillantes et variées, sorties, comme l'airain de. Corinthe, des combinaisons fortuites de la combustion. Le luxe façonna et la mode répandit ces lamentables débris. Ce fut par des parures de femmes et par quelques futiles bijoux que la plupart des Français apprirent la destruction de la capitale d'une grande province.

Des esprits ainsi disposés rendaient tout gouvernement facile. La régence figurait en quelque sorte ce personnage fantastique qui doit un jour, par la transmutation des métaux, arriver à la puissance universelle. Au dehors, notre diplomatie, marchant les mains pleines d'or, abaissait tous les obstacles ; l'armée puisait dans l'abondance sa force et sa fidélité ; notre considération politique s'établissait par l'admiration des étrangers pour nos finances[11] ; et l'on voyait Londres et Amsterdam contrefaire notre rue Quincampoix avec la grossièreté des plagiaires. Au dedans, les courtisans étaient comblés de faveurs ; les mécontents se rapprochaient d'un ennemi prodigue ; le peuple bénissait la suppression de la plupart des impôts sur les comestibles ; l'administration s'honorait par d'utiles travaux, tels que le canal de Montargis, le pont de Blois, l'église de Saint-Roch à Paris, et le début d'un système de grandes routes d'une magnificence jusqu'alors inconnue[12] et par l'entière composition des compagnies de maréchaussée aussi corrompues que les janissaires par des habitudes vénales et domestiques[13]. Un autre bienfait plus susceptible d'éclat était l'établissement de l'instruction gratuite dam l'université de Paris[14]. Rollin le célébra par un discours qui fut le germe de son excellent Traité des études. L'université signala sa reconnaissance dans une procession générale, spectacle assez rare pour piquer la curiosité même après la fameuse procession de la ligue. Ce mélange de moines, de docteurs et d'artisans, ces costumes grotesques, parure des premiers temps de la monarchie, ces figures studieuses étrangères à toutes les formes de la représentation, semblaient, confondre en un seul tableau diverses époques de notre civilisation. Mais le ridicule des détails est ce qui frappa le plus les Parisiens. On entendait les ris dti jeune roi et des femmes de la cour qui, placés dans le pavillon des Tuileries voisin du pont Royal, virent défiler pendant plusieurs heures cet immense et bizarre cortège[15].

Le temps manqua seul à l'exécution de plus vastes desseins. Law entreprit de remplacer tous les impôts par un denier royal qui prélèverait le centième des biens et produirait deux cents millions, somme alors suffisante pour les dépenses publiques. Il prétendait établir la levée de ce tribut avec quatre millions de frais et mille employés, au lieu de cette foule de perceptions inégales et oppressives qui coûtaient à l'état vingt millions et livraient le peuple à la cruelle industrie de quarante mille préposés. Le travail de l'Ecossais[16] est remarquable par la grandeur des idées, par l'éclatante vivacité du style et par une liberté d'esprit bien étonnante dans l'homme qui était alors assis sur le volcan du système. Tous les édits étaient dressés et l'on ne pense pas sans effroi au bouleversement qu'eût laissé dans sa chute une expérience aussi téméraire. Plus d'audace, s'il est possible, signala cet autre projet d'abolir la vénalité par le remboursement de toutes les charges de magistrature, et de substituer un parlement amovible aux vieilles compagnies souveraines. Cette idée porte trop l'empreinte des passions françaises pour qu'on soit surpris d'apprendre qu'elle appartenait moins aux méditations de Law qu'aux suggestions de l'abbé Dubois et du duc de La Force. Mais quelques bons citoyens s'effrayèrent de perdre la seule digue qui pût contenir les caprices de la cour et la conspiration permanente des opinions ultramontaines. Saint-Simon fit dans cette circonstance le sacrifice, si rare pour lui, de ses ressentiments à sa probité, et le Régent, dont l'attribut suprême était de discuter sans agir, épargna les parlements plutôt par indolence que par politique. Dans la caducité d'une monarchie formée au hasard de pièces irrégulières, c'était pourtant un utile lien qu'un corps nombreux qui avait conservé d'anciennes traditions, des mœurs graves et une autorité respectée. On pouvait le comparer à ces tours gothiques dont la vue est importune et l'habitation incommode, mais qui soutiennent le reste de l'édifice.

Il est naturel de penser que l'entreprise de Lave, unie dans ses bases au commerce des Indes, dut avoir sur la marine et sur les colonies des effets plus immédiats et plus positifs. Essayons de les tracer avant de continuer le tableau des phases financières du système. La puissance maritime de la France, tour à tout agrandie et dévastée par Louis XIV, avait apporté à la régence des ruines qu'elle méprisa. On vît la marine abandonnée sans honte au ministère qu'un enfant de quatorze ans, le comte de Maurepas, faisait gérer par son tuteur. Les bons citoyens pleurèrent à l'aspect de nos derniers vaisseaux qui, après avoir porté si loin la gloire des Duquesne et des Tourville, pourrissaient dans nos ports comme les restes d'un luxe hors de mode. Le premier effet de ce coupable abandon fut de relâcher le lien des colonies à la métropole. Une émeute de femmes, causée par une loi monétaire, troubla Saint-Domingue. La Martinique, où l'autorité royale n'avait pour défenseurs que cent quatre-vingts soldats invalides, courut un plus grand danger. Les habitants, soulevés contre les règlements du commerce, jetèrent brusquement dans un vaisseau, qui revenait en France le commandant et l'intendant de la colonie[17]. La régence ne fut, pas en état d'armer deux frégates pour rétablir es officiers déportés[18]. Il lui fallut humblement redemander l'île aux deux chefs de l'insurrection ; et s'estimer heureux de ce que Hauterive ; procureur général, et Dubuc, que les colons avaient nommé gouverneur, apportèrent dans la pacification autant de droiture et de patriotisme qu'ils avaient déployé de vigueur et d'habileté dans la conduite de la révolte. Le peu de confiance qu'inspirait le gouvernement se déclara surtout d'une manière bien naïve à l'île Bourbon. On venait d'y introduire la culture du café, et le succès en fut si grand que les habitants effrayés résolurent 'de la détruire, ne doutant pas que la possession d'un tel trésor ne dût bientôt les faire tous égorger par les colonies rivales[19]. La compagnie ne persuada pas sans peine à, ces pauvres gens de s'exposer à une prospérité dont la patrie ne leur semblait pas digne.

La vive impulsion donnée par Law aux entreprises commerciales rattacha les colonies ébranlées ; les mers lointaines revirent le pavillon français comme aux plus beaux jours de Colbert[20]. Nous primes possession de l'Île-de-France, sentinelle redoutable entre l'Inde et l'Afrique. Depuis que Louis XIV avait cédé Terre-Neuve, nos pécheurs, errants sur des mers difficiles, essuyaient toutes les insultes du pavillon britannique. Mais en faisant fortifier l'Ile-Royale, le Régent leur assura un asile respectable ; et cette précaution prouva du moins que le dévouement de ce prince et de son ministre Dubois à la cause du roi Georges n'allait pas jusqu'à lui sacrifier les grands intérêts de l'État. La Louisiane principalement tira une vie nouvelle de cette soudaine révolution. Ces immenses solitudes, rarement traversées par quelques aventuriers canadiens, et ne renfermant d'autres Européens qu'un petit nombre de soldats oubliés dans quatre à cinq postes et devenus presque sauvages, n'étaient dans le vrai qu'une possession idéale. Les Français qui, durant le privilège de Crozat et les deux premières années de la compagnie d'Occident, vinrent y chercher la fortune, dédaignaient de pénétrer dans les terres. Campés sur des îles de sable ou des dunes mobiles, ils bornaient leur ambition à un trafic clandestin avec les Espagnols, et à la vue de cet Océan qui du moins touchait à leur patrie. Le caractère national était loin de les dégoûter de cet état précaire. En France, les paysans n'émigrent jamais, et les autres n'émigrent point en famille. Quand ceux-ci se retrouvent sur un autre hémisphère, un besoin violent d'être ensemble les agglomère dans des bourgs ou près des fleuves. Leur antipathie pour les établissements épars- et les travaux solitaires de l'agriculture est telle, qu'ils préfèrent des métiers durs et malsains, un commerce misérable et la vie vagabonde des rameurs, des flibustiers, et même des chasseurs indiens. Ainsi, l'on vit la caravane française errer successivement à l'île Daupine, à l'île Sugère, à la Maubile, aux deux Biloxis, mais toujours attachée au rivage comme une écume étrangère poussée par l'Océan.

Les choses changèrent lorsque la compagnie distribua ses concessions. Plusieurs personnages, considérables par leurs places ou leurs richesses[21], se chargèrent à l'envi de ces dons périlleux. On désigna par le nom de duchés et de marquisats du Mississipi les établissements qu'ils élevèrent chez les Yasous, les Natchez et les Akanças. Ce dernier poste, qui formait les états de Law, avait un circuit de cent lieues dont une ville devait occuper le centre. Dans ce temps-là, quatre-vingts faux-sauniers jetaient les fondements de la Nouvelle-Orléans, à trente lieues dé la mer, sur une de ces digues que le fleuve construit lui-même du limon de ses eaux. Ils lui donnèrent le nom du prince qui les avait fait déporter, con' me autrefois les combattants du cirque saluaient César avant de mourir pour ses plaisirs. Cette ville, que les gazettes françaises décoraient déjà de huit cents maisons et de- cinq paroisses, comprenait cent pauvres cabanes de bois de cyprès. Des sauvages débonnaires et plus cultivateurs que nous, labouraient quelques arpents autour de sen enceinte ; des morceaux de carton, diversement découpés pour l'usage d'un peuple qui ne savait pas lire, tenaient lieu de banque et de monnaie ; et Dieu, au culte duquel on avait d'abord prêté une portion de magasin, fut relégué dans une tente. Ainsi commença, en 1719, la capitale de la Louisiane, principal monument du Régent de France, et appelée peut-être sons d'autres lois à de belles destinées.

L'établissement d'une colonie si simple chez les anciens ou chez les barbares est pour nous un problème difficile. Law, homme d'un génie vraiment supérieur, et qui avait jugé en un coup d'œil le caractère français, acheta dans le Palatinat douze mille Allemands pour peupler son duché. Quatre mille lui furent livrés ; des fléaux cruels en firent périr un grand nombre ; mais la postérité de ceux qui survécurent forme encore aujourd'hui la partie la plus saine des cultivateurs de la Louisiane[22]. Le gouvernement suivit d'autres directions. Louis XIV avait imposé, à chaque bâtiment de Crozat qui toucherait au Mississipi, l'obligation d'y déposer six filles ou garçons. Le Régent appliqua la force des enrôlements militaires aux promesses que les particuliers souscrivaient à la compagnie. Il autorisa les tribunaux à convertir la plupart des peines en déportations outre-mer, et il ordonna, pour la même destination, une chasse générale des vagabonds. Cette mesure troubla les deux mondes ; car d'un côté les injustices violentes dont elle fut le prétexte excitèrent en France de sanglantes émeutes, et d'un autre côté, les colons volontaires, épouvantés de 'ce débordement d'hommes corrompus, obtinrent par leurs clameurs qu'on en fermât l'écluse[23].

La naturalisation des femmes qui donne seule à une colonie la durée, les mœurs et l'esprit de famille, rencontre encore plus d'obstacles, et ce que la régence essaya pour les surmonter est une leçon utile à recueillir. Un ramas de prostituées et de coupables flétries par la justice fournit la matière du premier envoi. Leur sexe fit leurs recommandations et les prétendants les enlevèrent avec fureur[24]. Mais un second embarquement tiré des mêmes égouts reçut un accueil bien contraire. Les inclinations perverses des premières femmes s'étaient trop déclarées, et la plupart avaient été chassées par leurs maris. La nouvelle recrue fut donc repoussée avec horreur. On vit cinq à six cents de ces malheureuses sans liens et sans ressources, abhorrant le travail et le repos, se répandre avec intrépidité sur un théâtre de mille lieues, passer des bras du planteur dans ceux du sauvage, étonner de leurs débauches des régions inconnues même à la charité des missionnaires, opposer à des malheurs inouïs un courage surnaturel, et telle de ces amazones accomplir en peu d'années un cercle d'aventures qui fatiguerait l'imagination des plus hardis romanciers. L'inutilité de ces tentatives accrédita la fausse opinion que le climat de la Louisiane rendait stériles les fenianes européennes. Une troisième expédition répara ces fautes, soit qu'en effet le choix des sujets fût meilleur, soit qu'on eût plus habilement fardé les apparences. Ces filles étaient conduites par des religieuses et furent cloîtrées en arrivant. Chacune avait un modique trousseau et un coffre qu'elle tenait de la libéralité de la compagnie, ce qui les fit appeler, dans toute l'Amérique, les demoiselles de la cassette. Cette dénomination devint une sorte de noblesse coloniale qui n'eut rien de chimérique, puisqu'elle tirait son origine d'une supériorité présumée de mérite et d'honnêteté. On peut regarder celles qui en furent revêtues comme les véritables fondatrices de la colonie ; car les vices ne fécondent rien.

Tandis que des Français cherchaient une patrie sur le continent américain, on transportait à Paris dix sauvages et une reine de la nation des Missouris. La cour, pour éblouir ses nouveaux alliés, les combla de présents et de caresses. Ils prirent un cerf à la course dans le bois de Boulogne ; ils exécutèrent sur le Théâtre-Italien des danses de leur pays. La reine fit abjuration dans l'église de Notre-Dame, et épousa un sergent appelé Dubois que l'on créa officier en considération de cette alliance. La nouvelle convertie était de la race du soleil, institution bizarre, opposée à toutes les autres coutumes des sauvages, et qui donne aux femmes de cette famille le droit de vie et de mort sur leurs maris. La cruelle épouse se pressa d'user, à son retour, de cette prérogative, et renversa les espérances qu'on avait fondées sur le règne du sergent.

 

 

 



[1] États du trésor royal fournis au Régent par Couturier.

[2] Mémoires de Law.

[3] Ce fut à l'occasion d'une refonte des vieilles monnaies proposée au parlement par le sous-trésorier Lwndes que les deux philosophes écrivirent.

[4] Mémoires du comte de La Marck.

[5] Arrêt du 12 avril 1719, art. 3.

[6] 4 décembre 1718.

[7] La réunion des fermes générales à la compagnie des Indes fut arrêtée, comme l'avait été le système, dans le petit conseil du Palais-Royal, composé des mêmes personnes et du duc de La Force. Quand on fut d'accord sur tous les points, on y appela d'Argenson, le s6 août. Ce ministre, qui avait fait le bail des fermes, dévora ce nouvel affront avec la patience d'un homme plus décidé à garder sa place que son honneur.

[8] Des juifs et des courtiers habitaient cette rue. D'accord avec les caissiers de l'état, ils y achetaient à perte les ordonnances de paiement. Des banquiers voisins leur prêtaient les fonds pour chaque affaire à deux pour cent par heure, ce qui fit appeler ce commerce les prêts à la pendule. Ces courtiers, en attendant les vendeurs dans la rue, s'entretenaient des nouvelles publiques qui intéressaient leur négoce, et les spéculations du système y entrèrent naturellement.

[9] Les perles et les diamants devenaient si abondants qu'on en défendit l'usage. On ne put trouver à Gênes, pour l'ameublement de Dubois, ni damas ni velours. Le France avait tout acheté. Correspondance de Chavigny. Il y a trois cent mille habitants de plus à Paris. On a été obligé de faire des logements dans les greniers et dans les magasins. Paris est si plein de carrosses qu'on ne peut passer dans une seule rue sans embarras et sans blesser ou tuer quelqu'un. Lettres de la princesse de Bavière. De 1719 à 1721 la recette de l'Opéra, qui était annuellement de soixante mille livres, fut portée à sept cent quarante mille cent quatre-vingt-huit livres.

[10] Le privilège de ce commerce fut assuré au nommé Bonnefond, bourgeois de Paris, par un arrêt du conseil du 20 mai 1719. Le prix de la neige du Mont-d'Or fut fixé à huit sous la livre. Registres du conseil de commerce.

[11] Je ne puis finir sans me réjouir avec vous de l'heureux état où sont vos finances. Leur rétablissement si prompt et si surprenant fait l'admiration de toute l'Europe. Lettre de Stanhope à Dubois, du 8 octobre 1719.

[12] Arrêt du 3 mai 1720.

[13] Edit du mois de mars 1720.

[14] Arrêts du conseil des 14 avril 1719 et 15 mars 1720. On attribua à l'université la vingt-huitième partie du bail des postes et messageries qui fut liquidée à cent vingt mille cinq cent vingt-huit livres annuellement. Les traitements furent fixés à quatorze cents livres pour les professeurs de théologie, douze cents livres pour ceux de philosophie et de rhétorique, et mille livres pour les autres. Le nombre des élèves s'accrut beaucoup, et la rivalité avec les collèges des jésuites s'exerçant à armes égales concourut puissamment à la perfection des études.

[15] Comme cette procession générale de l'université ne se reproduira jamais sous les mêmes formes, on sera probablement satisfait de retrouver ici l'ordre de sa marche.

Les cordeliers, les augustins, les carmes, les jacobins.

Les maîtres-ès arts en robe noire avec le petit chapeau sans fourrure.

Les bénédictins de Saint-Martin-des-Champs et autres ecclésiastiques en aubes et chappes.

Les bacheliers en médecine en robe noire avec un chaperon ber-miné, précédés du second massier.

Les bacheliers en la faculté des droits.

Les bacheliers en théologie en robe noire et fourrure, précédés du second appariteur.

Les docteurs régents en la faculté des arts en robe ou chappe rouge, arec l'épitoge ou le chaperon doublé de fourrure.

Les quatre procureurs des nations ; vêtus d'une robe rouge ber-minée blanc et gris, comme celles des électeurs de l'empire, précédés chacun du second massier de leur nation.

Les docteurs en médecine aussi en robe et chappe rouge, avec l'épitoge ou le chaperon doublé de fourrure, précédés de leur premier massier, vêtu d'une robe bleue fourrée de blanc.

Les docteurs en la faculté des droits en robe rouge, avec leur chaperon herminé, précédés de leur massier habillé de violet.

Les docteurs en théologie, pareillement en fourrure et robe noire ou violette avec un bonnet de même, précédés de leur premier appariteur en robe de drap violet fourrée de blanc.

M. le recteur, en robe violette et mantelet royal, avec la bourse ou escarcelle de velours violet, garni de glands et de galons d'or et le bonnet noir, accompagné du doyen de théologie aussi en robe violette et fourrure, précédé des quatre premiers massiers des quatre nations de la faculté des arts.

Le syndic, greffier et receveur de l'université, en robe rouge et fourrure.

Les libraires-imprimeurs, les papetiers, les parcheminiers, les écrivains, les relieurs, les enlumineurs.

Les grands messagers, jurés de l'université, précédés de leur clerc, lequel porte une robe de couleur de rose sèche et une tunique sur laquelle sont les armes de l'université, en forme d'un héraut d'armes ayant un bâton royal d'azur, semé de fleurs de lis d'or.

[16] 10 juin 1719.

[17] Mai 1717.

[18] Mémoires du duc d'Antin.

[19] Rapport de Desforges, boucher à la compagnie des Indes, du mois d'octobre 1720.

[20] La compagnie expédia, dans l'hiver de 1719 à 1720, pour Pondichéry. Surate, la Chine, Mocka et la mer du Sud, dix-huit vaisseaux, dont les cargaisons valaient vingt-cinq millions, et trente autres vaisseaux pour la Louisiane, le Sénégal, la Guinée et Madagascar. Lors de la vérification du mois de mai 1720, il fut reconnut qu'elle possédait cent cinq bâtiments outre les brigantins et frégates, et que son fonds excédait trois cents millions.

[21] Law, Le Blanc, d'Asfeld, Bellisle, Paris, Mézières, Dumanoir, Chaumont, d'Artaguete, etc.

[22] Lettes Edifiantes, tom. VI.

[23] Le 9 mai 1720, arrêt qui excepte la Louisiane de la déportation des criminels et vagabonds prescrits par les ordonnances des 8 janvier et 12 mars 1719 et 10 mars 1710.

[24] Dumont raconte dans ses mémoires qu'on fut au moment de se battre pour la dernière, qui ressemblait bien moins à une fille à marier qu'à un soldat aux gardes.