Deux doctrines se partagent la critique sur le caractère de l’invasion franque, et sur les conséquences qui en résultèrent dans l’état politique des peuples de la Gaule. L’abbé Dubos[1], et le petit nombre de ceux qui ont eu foi dans sa parole, ne voient dans ce grand événement qu’un simple changement de maîtres, et la substitution des tribus germaniques au pouvoir paisible et régulier que les empereurs avaient exercé sur la vieille Gaule, depuis le jour où Auguste, dans l’assemblée générale de Narbonne, la réduisit en province romaine (727 F. R.), jusqu’à celui où l’épée d’Odoacre mit fin à l’Empire d’Occident, et fit de Rome la capitale d’une royauté barbare (476 J.-C.). L’école opposée y a vu un bouleversement général où toutes les anciennes institutions ont péri sans retour. Selon eux, la hache d’armes qui accabla Syagrius à Soissons fit éclore du même coup un monde nouveau au milieu de la Gaule conquise ; et à leurs yeux, la conquête a été une véritable création qui n’a laissé subsister aucune trace du vieil ordre de choses qu’elle remplaçait. Cette doctrine est la base du système aristocratique du comte de Boulainvilliers[2]. Pour lui, tout se résume dans une idée dont il a rempli trois volumes : les Francs seuls ont accompli le mouvement ; seuls aussi ils devinrent quelque chose dans le nouvel état social fondé par leurs armes. Tel était de part et d’autre l’état de la question, quand Montesquieu parut, l’Esprit des Lois à la main (1748). Il se constitua tout d’abord l’arbitre naturel de ce grand différend, condamna l’abbé Dubos sans donner gain de cause au comte de Boulainvilliers, trouvant que l’un et l’autre avaient péché par excès, et imposa silence aux deux partis, en donnant une troisième solution du problème[3]. Sa grande voix domina la controverse. Toute la philosophie du XVIIIe siècle se mit docilement à la suite ; et Mably, qui prétendit seul avoir une opinion, se borna pourtant, avec sa mauvaise humeur ordinaire, à commenter celle du maître ; mais en y ajoutant, comme toujours, la double empreinte des erreurs de son jugement et des erreurs de sa critique[4]. Notre siècle, à son tour, s’y est soumis presque sans résistance ; et parmi les nombreux écrits que ces quarante dernières années ont vus ‘lettre, je n’en trouve aucun qui ait osé réclamer contre cette sentence arbitrale. M. de Montlosier, le premier qui ait rouvert la lice après les orages de 1789[5], ou n’a pas vu la difficulté, ou a jugé à propos de la passer sous silence. Il n’a guère fait que rajeunir les ingénieux sophismes du comte de Boulainvilliers, en essayant de les réconcilier un peu avec les faits, à l’aide d’une érudition presque toujours fautive et toujours incomplète. La forme du grand ouvrage de M. de Sismondi ne comporte point ces sortes de discussions. Elles ne sont entrées que tout récemment dans le plan des importants travaux de M. Augustin Thierry sur l’histoire de France[6] ; et M. Guizot, qui s’est donné la tâche de les approfondir dans ses judicieux et lucides Essais[7], a négligé cependant l’une des données les plus importantes du problème, je veux dire la question des impôts. Je ne crois pas avoir besoin de me défendre de lé prétention de refaire quelque chose après ces grands maîtres. Nulle part elle ne serait plus injuste, ni surtout plus déplacée. Mais qu’il me soit permis de combler, selon mes forces, les quelques lacunes qu’ils ont négligées, et d’apporter ainsi ma pierre au pied du monument que leurs savantes mains ont élevé avec tant de gloire. - Nous l’avons déjà remarqué, les Germains, dans leurs conquêtes, n’employèrent jamais ce système d’extermination qui semble avoir été celui de presque tous les conquérants de l’Asie. Les Huns et les Tartares égorgeaient de sang-froid, et pour le plaisir d’égorger. Chez le Germain, la colère survivait peu aux émotions du champ de bataille ; et après avoir entassé les morts partout où tombait sa hache d’armes, il pardonnait volontiers à ceux qui lui avaient échappé. Or, en renonçant au droit d’exterminer les vaincus, les Barbares s’imposaient l’obligation, ou de créer à leur usage une nouvelle forme d’administration, ou de laisser subsister celle qu’ils trouvaient établie parmi eux. Ce dernier parti était assurément le plus commode : ce fut aussi, nous le verrons, celui auquel ils s’arrêtèrent de préférence. Mais, avant de tracer le tableau général de l’administration des Mérovingiens, il est nécessaire d’examiner quelle idée les Germains se faisaient alors des droits de la conquête, et de voir au préalable quel sens ils attachaient à ce mot. Aussi loin que nous pouvons remonter dans leur histoire, nous les voyons adopter, à l’égard des vaincus, un système dont ils ne se départirent presque jamais dans le cours de leurs longues migrations. Ce système consistait à prendre pour leur usage une portion déterminée des terres conquises, et à frapper d’un impôt arbitraire celles qu’ils laissaient aux indigènes. Déjà, du temps de César, le suève Arioviste appliquait ce principe aux Séquanes, et le justifiait par le droit du plus fort[8]. Nous le retrouvons dans Tacite. Le tribut, dans la Germania comme dans les Commentaires, est à la fois la marque d’une infériorité politique et d’une origine étrangère[9]. C’était, en effet, une des maximes du droit public dans l’antiquité ; et les Romains eux-mêmes l’avaient constamment mise en pratique, ou sait avec quelle persévérante rigueur. Ils en subirent aussi toutes les conséquences, lorsqu’au lieu d’attaquer et de vaincre, ils furent eux-mêmes mis au pillage de toutes les nations qu’ils avaient décimées. Les Barbares, devenus les maîtres à leur tour, n’agirent pas, il est vrai, d’une manière absolument uniforme à l’égard des vaincus ; mais, au milieu des différences qui caractérisent la politique de chaque peuple en particulier, il est un fait général qui les domine, et qui se produit également partout, savoir : le prélèvement d’une partie de la richesse du sol au profit des vainqueurs. Cette part varia, selon les circonstances. Ainsi les Burgondes s’emparèrent de la moitié des cours et des jardins, et des deux tiers des terres labourables. Les esclaves furent partagés, et les forêts restèrent communes[10]. Les Wisigoths se contentèrent des deux tiers des terres, sans distinction[11]. Les Ostrogoths, les plus modérés de tous, ne prirent que le tiers des possessions territoriales de l’Italie, à l’exemple des Hérules, leurs prédécesseurs ; encore voulurent-ils Ide ce tiers, comme tous le reste, continuât d’être soumis à l’impôt[12]. Au contraire, les Vandales, en Afrique, s’emparèrent du tout, et réduisirent lès indigènes à l’état de serfs ou de colons[13]. Les seuls habitante des villes conservèrent leurs propriétés, mais chargées de taxes énormes. Quelquefois cependant les Barbares, au lieu de prendre à la fois, et dans des proportions déterminées, la terre et l’argent des vaincus, abandonnèrent la terre et se contentèrent du tribut ; surtout lorsque après leur établissement dans l’Empire, ils eurent moins pour objet de s’étendre que de s’enrichir. Ainsi les Wisigoths, déjà maîtres de l’Aquitaine, et pourvus d’un héritage aux dépens des Gallo-romains, ne demandèrent que le tribut à l’Espagne conquise[14]. Ainsi les Francs, après la soumission de la Bourgogne, laissèrent leurs terres aux Burgondes, en les frappant d’un impôt annuel[15]. Ils n’en agirent pas autrement à l’égard des peuples qu’ils vainquirent de l’autre côté des Alpes, lorsqu’ils intervinrent, à titre de partie prenante, dans les démêlés des empereurs de Byzance avec les Ostrogoths et les Lombard[16]. Ce fut encore leur système avec les Germains d’outre-Rhin[17] ; mais nous croyons, contrairement à l’opinion la plus répandue, qu’ils employèrent l’un et l’autre système à l’égard des Romains de la Gaule. Quelle que soit, en effet, la diversité des opinions sur le caractère de l’invasion franque, il est un point sur lequel tous les critiques sont d’accord : c’est qu’elle fut entreprise et consommée sans qu’il soit possible de découvrir aucune trace d’un partage régulier des terres conquises, analogue à celui dont il est question dans l’histoire des autres nations barbares établies dans la Gaule[18]. On peut juger par ce que nous avons dit ci-dessus, an chapitre de l’établissement des Francs dans l’Empire, combien peu cette opinion est fondée. Les premiers Francs s’étaient fixés dans la Gaule en qualité de fœderati ou d’hospites, comme les Wisigoths et les Burgondes, et ont dû recevoir à ce titre, comme les Burgondes et les Wisigoths, des bénéfices et des agri limitanei par concession impériale. La Loi des Ripuaires (tit. 160), parle, en effet, de sortes et de consortes ; et c’était, nous le savons, le mot latin consacré pour les concessions de cette nature. La Loi des Saliens a gardé l’expression germanique d’alod, qui a le même sens et la même origine, et qui par conséquent témoigne des mêmes faits. Il est vrai que nous ne voyons nulle part qu’il ait été accordé aux Francs une province spéciale, un territoire particulier, comme il en fut accordé aux Wisigoths, aux Alains et aux Burgondes ; et c’est là sans doute ce qui aura donné naissance à l’opinion que nous combattons. Mais, outre que cette circonstance est absolument indifférente, nous sommes fondés à croire, d’après la lacune qui existe dans la Notice de l’Empire, à l’article de la Germanie IIe et des deux Belgiques, que les Francs étaient déjà maîtres en partie de ces trois provinces, et qu’ils s’y étaient établis de l’aveu des empereurs, puisque quelques-unes de leurs tribus étaient alors, et depuis plusieurs années, à leur service. Quant aux conquêtes accomplies par Clovis au nord et au midi de la Loire, après le dernier démembrement de l’Empire, elles se firent avec l’aide et le concours des Gallo-romains, et par conséquent il est peu probable qu’elles se soient faites à leurs dépens. Les Francs, qui n’avaient affaire qu’avec les Wisigoths et les Burgondes, leurs ennemis, n’auront dépouillé — sauf les exceptions que nous n’avons aucun intérêt à contester, parce qu’elles ne seront jamais que des exceptions —, que les Burgondes et les Wisigoths. Ils se seront emparés naturellement des lots de terre que ceux-ci avaient autrefois enlevés aux indigènes ; ce qui, joint aux autres terres restées vacantes à la suite des événements désastreux dont la Gaule avait été si longtemps le théâtre, fit sans doute les principaux frais de l’établissement. Il ne faut pas oublier que la tribu de Clovis ne se composait que de quelques milliers de Barbares. Elle était à peine aussi nombreuse que l’armée de Syagrius vaincue à Soissons ; et la dépouille des morts et des fugitifs dut suffire, et au-delà, pour faire une position convenable aux vainqueurs. Nous savons d’ailleurs que les Francs, et probablement les autres Barbares qui les avaient précédés dans l’Empire, s’étaient emparés des terres publiques qui avaient appartenu autrefois aux empereurs ou à l’État, et que le domaine des rois mérovingiens en était presque exclusivement composé[19]. Ainsi, les Francs, entrés dans l’Empire aux mêmes conditions que les autres Barbares qui les y avaient précédés, s’y fixèrent aux mêmes conditions. Comme les Wisigoths et les Burgondes, ils obtinrent des terres létiques de la munificence des empereurs, et sans doute aux dépens des indigènes ; mais, comme ils étaient bien moins nombreux que les Wisigoths et les Burgondes, les terres désertes et ravagées de la IIe Germanie et des deux Belgiques auront amplement suffi à leur établissement. A mesure que la conquête s’étendit vers le midi, le système la suivit pour ainsi dire, et continua de s’appliquer de la même manière, non plus cette fois aux dépens des Gallo-romains, mais aux dépens des Barbares qui avaient déjà partagé avec eux. Ils prirent donc, comme leurs prédécesseurs, et quoi qu’on en ait dit, une portion de la terre conquise ; et quant au tribut, nous nous proposons de traiter la question avec quelque étendue, car il reste beaucoup à dire, à notre avis, sur la légitimité des résultats auxquels on s’est arrêté. Et, en effet, nous touchons ici à l’un des points les plus obscurs, les plus ténébreux de l’histoire de la première race. Et pourtant la question n’est pas nouvelle en France ; mais il est juste de dire que, dans le nombre presque infini des critiques qui l’ont traitée avant ces dernières années, il y en a peu qui l’aient comprise, aucun qui l’ait résolue. Il fut un temps où l’on trouvait plus commode de faire parler l’histoire que de l’interroger ; et, au lieu de chercher la vérité dans les faits, on s’obstinait à ne jamais y voir que ses préjugés. Chacun se croyait en droit de bâtir un système, et mettait son amour propre à le faire aussi complet et aussi absolu que possible. Des restrictions, des distinctions, n’en cherchez point au milieu de ce choc d’opinions ardentes et exclusives. Tout le monde a payé l’impôt ‘en France, sous la première race, s’écrie l’abbé Dubos ; et il fait deux volumes in-4° pour le prouver. Non, répond Montesquieu, il n’y eut point d’impôts sous les Mérovingiens, et dans tous les cas, les Francs ne l’ont jamais payé. On le voit, la France préludait dès lors, par la polémique de la controverse, au drame plus sérieux de 1789 ; et chacun, en interrogeant les vieilles chartres, n’avait d’autre but que de chercher des armes dans le passé de ses adversaires, pour les accabler des souvenirs de leur propre histoire. On retrouve cette fatale préoccupation à chacune des pages de Boulainvilliers, de Mably et de l’abbé Dubos. Montesquieu lui-même, malgré sa haute raison, n’en est pas exempt ; et pourtant, de tous ceux qui faisaient alors de l’érudition au profit d’un système, il était le seul peut-être, avec le savant Dubos, qui eût assez de lumière pour éclairer ce chaos, et montrer du doigt, comme il le dit quelque part, le lieu du soleil. Il est difficile, après avoir lu dans l’Esprit des Lois le beau livre qui traite des institutions civiles et politiques des monarchies barbares[20], de ne pas être frappé, même sous le poids de l’admiration qui vous saisit, de ce qu’il renferme quelquefois de trop exclusif, j’ai presque dit de trop arbitraire. Les parties défectueuses des systèmes de Boulainvilliers et de l’abbé Dubos y sont mises en saillie, avec cette verve inimitable qui rappelle, entre deux citations des Capitulaires, le caustique et spirituel auteur des Lettres Persanes[21]. Mais il faut le dire, et c’est ici le lieu de le remarquer, Montesquieu avait plus souvent feuilleté les Capitulaires et les autres monuments, législatifs des deux premières races, que les vieilles chroniques qui leur servent de commentaire. C’est surtout, et avant tout, le grand jurisconsulte, le grand publiciste, qu’on doit chercher en lui ; et sans vouloir l’accuser, comme cette spirituelle Mme du Deffant, de faire de l’esprit sur les lois, il est impossible de ne pas se rappeler qu’Il faisait avant tout l’Esprit des Lois. On s’explique ainsi, jusqu’à un certain point, comment la direction habituelle de ses études a pu influer sur les erreurs ou les oublis de son livre. Noue nous voyons obligé de comprendre dans la première catégorie ce qu’il avance sur la question des impôts publics, durant la période mérovingienne. L’illustre publiciste se refuse à reconnaître, sous les Mérovingiens, l’existence d’un impôt territorial, assis sur la généralité des propriétés foncières, et perçu régulièrement par le prince, comme mettre du territoire et chef de la nation conquérante. Il prétend[22] que les charges de cette nature qui pesaient sur les Gallo-romains, au tempe des empereurs, furent converties, sous les Barbares, en services militaires, et que tout homme libre jouissait par ailleurs, et sauf cette exception, d’une franchise complète pour sa personne et ses propriétés. Il ne voit, à toutes les époques, dans les mots census et tributum qu’on lit à chacune des pages de Grégoire de Tours, dans le texte des Lois Barbares, dans les Formules de Marculfe et les autres monuments contemporains, que des redevances purement seigneuriales, de véritables rentes, payées de gré à gré au propriétaire par le colon auquel il abandonne la jouissance de sa propriété, et jamais l’indication d’un tribut public perçu au nom du prince[23]. Il est vrai que la plupart des critiques, qui avaient traité cette matière avant lui[24], ont fait un étrange abus de ces expressions, en y attachant constamment, et sans égard à la différence des temps, le sens qu’il se refuse aussi absolument à leur donner. Il est encore vrai que dans la Loi Barbare, les Capitulaires et les Formules de Marculfe, elles ont très probablement la signification qu’il leur prête ; mais il n’en est pas de même de Grégoire de Tours, et c’est à lui principalement que nous allons demander l’histoire de l’impôt public sous les Mérovingiens. de n’hésite point à le dire, cette question a exercé une immense influence sur les destinées de la première race ; et comme elle n’a point occupé jusqu’ici, dans les travaux de la critique, la place qu’elle tient dans l’histoire des faits, je crois devoir là traiter avec quelque étendue. Si je parais un peu trop prodigue de détails et de citations, on voudra bien se rappeler qu’à ce problème se rattache toute l’organisation politique de la vieille France avant 1789, et que c’est à Montesquieu que je réponds[25]. Avant d’aborder la question des impositions publiques sous les Mérovingiens, il est indispensable de rappeler en quelques mots, et dans ses traits essentiels, le système qui était encore en vigueur sous les Romains du Bas-Empire. Et comme c’est l’impôt foncier, l’impôt de la terre proprement dit, dont l’existence pendant la période mérovingienne a été surtout mise en question, nous ne nous occuperons ici que de l’impôt foncier sous les Romains, en négligeant tous les détails qui ne se rattachent pas directement aux exigences du sujet que nous avons à traiter. § 1. — De l’impôt territorial dans le Bas-Empire. L’impôt de la terre, le tribut public chez les Romains du Bas-Empire, au moins depuis le règne de Dioclétien, se prélevait suivant les besoins du service : 1° En nature, c’est-à-dire en produits agricoles et de consommation, tels que blé, orge, huile, vin, fourrages, lard, sel, etc. ; 2° En produits bruts ou manufacturés, tels que bois, charbon, chaux, fer, airain, habillements de toute espèce, etc. ; 3° En hommes et en chevaux pour le service des armées ; 4° En espèces d’or et d’argent qui tenaient lieu de tout cela, et qui en représentaient la valeur. La quotité de l’impôt foncier était fixée chaque année (anniversariis nicibus.
Cod. Théod. XI, tit. 16, l. 8), chiffrée de la main de
l’empereur (XI, tit. a, 1. 4), et adressée en cet état au préfet du prétoire (XI, tit. 16, l. 8), qui en faisait la
répartition entre les diverses provinces (XI,
tit. 5, l. 5), et envoyait à chacune en particulier l’extrait du rôle
qui la concernait (ibid., leg. 4).
Le gouverneur de la province le faisait afficher dans les lieux les plus
fréquentés de son ressort (ibid., leg.
5 et 4), et au moins quatre mois avant l’ouverture de l’indiction (XI, tit. 1, l. 54) ; c’est-à-dire avant la
mise à exécution des nouveaux rôles. Cette publication de l’édit impérial s’appelait indication, et la part d’impôt qui incombait à chaque contribuable s’appelait titre ou canon. La répartition se faisait, sous la surveillance du gouverneur de la province (XI, tit. 16, l. 5), par les principaux ou primates de la curie (XII, tit. 1, l. 117) ; d’après le nombre des jugères (XI, tit. 1, l. 10) ; la qualité du sol (ibid., legg. 4, 10, 17) ; le nombre des esclaves, des colons, des bêtes de somme et des bestiaux employés à son exploitation (XI, tit. 20, l. 6 ; XIII, tit. 40, l. 2) ; et il paraîtrait même, d’après une loi d’Arcadius et d’Honorius[26], que la valeur et l’importance des bâtiments d’exploitation, au moins dans les circonstances extraordinaires, et dans l’intérieur des villes, entraient aussi pour quelque chose dans la fixation du tribut. Le recouvrement ou la perception (exactio) se faisait par des exacteurs (exactores), choisis par la curie et avec le concours de tout le peuple assemblé (XII, tit. 6, l. 20). Dans le principe on les prenait tous indistinctement parmi les curialee (XI, tit. 7, legg. 42, 16) ; mais en 585, une loi des empereurs Gratien, Valentinien II et Théodose, décida, dans une pensée de bonne administration et de justice, qu’à l’avenir le gouverneur de la province serait chargé exclusivement de faire contribuer les personnages les plus puissants de son ressort (potentiores). Un décurion ou membre de la curie était chargé du même soin à l’égard de ses collègues, et enfin c’était le défenseur de la cité (defensor) qui devait recueillir lés contributions des plus pauvres contribuables (XI, tit. 7, l. 12). Le versement (conlatio, inlatio) se faisait à trois reprises différentes et de quatre mois en quatre mois (XI, tit. 1, l. 15), par paiements égaux ; de telle sorte que la somme des versements, à la fin de l’année, fût égale à la somme totale portée à l’article du contribuable sur le registre des impôts. A chaque versement le contribuable recevait du percepteur une quittance (securitas, cautio), qu’il remettait aux officiers chargés, entre autres soins, de celui de les recueillir (tabularii). Ceux-ci en faisaient mention dans leurs registres, et dès ce moment le percepteur (susceptor) restait responsable envers le fisc de la somme perçue (XI, tit. 4, l. 49, XII, tit. 6, l. 32). Les divers produits des contributions, denrées, espèces, produits manufacturés, etc., étaient portés, par les soins des contribuables et sous la surveillance des tabularii (XI, tit. 1, legg. 9, 11, 11) ou au trésor du prince, ou aux magasins préparés pour les recevoir (mansiones), ou à la frontière, pour l’entretien et l’usage des soldats qui la défendaient (XI, t., legg., 21). Dans les besoins urgents du trésor, et lorsque les circonstances, en exigeant un surcroît de dépenses, nécessitaient un surcroît de sacrifices, on ajoutait à l’indiction canonique et régulière une superindiction (superindicta), qui se répartissait entre les contribuables d’après le même principe et se prélevait par les mêmes moyens. Toutefois il faut remarquer, entre autres différences, que le prince seul, et sous ses ordres le préfet du prétoire (XI, tit. 4 6, legg. 7, 8, 9, 41), avaient le droit de frapper la superindiction, et que la répartition s’en faisait, non par les principales, comme celle de l’indiction ordinaire, mais par le gouverneur de la province en personne (XI, tit. 16, l. 4). Aucune propriété, quelle que fût d’ailleurs la dignité ou l’importance du propriétaire, n’était exempte du tribut ordinaire ou canonique (XI, tit. 1, legg. 20, 25, 26) ; excepté le patrimoine et la res privata du prince (ibid., legg. 1, 36.), les terres des vétérans (VII, t. 20, legg. 8, 11), et celles des soldats de tous grades, du moment où ils passaient sous les drapeaux (VII, tit. 20, 1. 4, et tit. 43, legg. 6, 7). Ce privilège s’étendait même, à certaines conditions et dans certaines circonstances, à leurs femmes, à leurs pères, à leurs mères, etc. (ibid.) Il n’en était pas de même des charges extraordinaires et des superindictions ; car non seulement la res privata et le patrimoine de l’empereur en étaient exempts (XI, tit. 16, legg. 1, 2, 5, 13) ; mais encore les sénateurs, et tous ceux qui faisaient partie de l’ordre des illustres (XI, t. 46, l. 23), les palatins, les proximi scriniorum et d’autres officiers du palais de l’empereur (XI, tit. 46, 1. 6, et VI, tit. 26, de proximis comitibus scriniorum), les églises (XI. tit. 16, legg. 21, 22), les évêques, les citoyens de Constantinople, etc. — Ce privilège lui-même cédait néanmoins quelquefois devant les nécessités de l’état (XI, Cod. Théod. tit. XVI, legg. 15, 18). Je ne parle ni de la glebalis collatio qui ne regardait que les sénateurs, ni de l’aurum coronarium, ni de la conscription ou recrutement (tironum exactio), ni de la lustralis collatio, ni des sordida munera, ni des portoria, ni des vectigalia, ni de quelques autres impôts qui n’ont pas trait directement à la question que nous voulons éclaircir. De temps en temps le Préfet du prétoire, qui était chargé de toute l’administration civile et financière de sa préfecture, envoyait dans les provinces des inspecteurs (inspectores), des répartiteurs (censitores, descriptores), avec mission de faire un nouveau recensement de la propriété, et de renouveler ou de rectifier les rôles (XIII, tit. 11) ; des discussores, pour presser les rentrées et contraindre les retardataires (XI, tit. 26) ; des perœquatores, pour examiner les griefs de ceux qui se croyaient surchargés, et, s’il y avait lieu, pour faire droit à. leurs réclamations (XIII, tit. 41, l. 7). Lorsque l’impuissance du contribuable était dûment constatée, le prince après enquête, allégeait la charge (XIII, tit. 44, l. 42), et la supprimait quelquefois, en faisant remise de toutes les sommes qui restaient dues sur les contributions de l’année, ou sur les exercices antérieurs (XI, tit. 28, l. 5). Tel était, dans ses traits essentiels, le système d’impôt territorial en vigueur chez les Romains dans les derniers temps de l’Empire. Or, nous croyons pouvoir affirmer qu’il n’en est presque pas un seul qui ne se retrouve dans l’histoire des premiers Mérovingiens. C’est ce que nous nous proposons de prouver tout d’abord, nous réservant de discuter plus tard les objections de ceux qui, sans contester ni nos assertions, ni la valeur des témoignages que nous invoquons à leur appui, ne s’en croiraient pas moins en droit d’attaquer par une autre fin de non recevoir le principe sur lequel nous nous fondons, et les conséquences que nous prétendons en tirer. § 2. — Des redevances ou impositions publiques chez les Germains d’outre-Rhin. Il est d’usage dans chaque communauté (civitatibus) que chacun offre, de son plein gré, du bétail ou du blé aux chefs de fa tribu. C’est à la fois, et un hommage à leur dignité, et une ressource pour leurs besoins[27]........ Mais il existe aussi des peines
graduées pour les délits d’un ordre inférieur. L’amende consiste dans un
nombre déterminé de chevaux ou de bêtes à cornes. Une partie de cette amende est payée au roi ou à la communauté ; l’autre
au plaignant lui-même ou à ses proches[28]. Telles étaient, d’après Tacite, les seules redevances publiques usitées chez les Germains avant leur invasion dans l’Empire : des chevaux, du blé, du bétail offerts en don au chef de la tribu par la peuplade en commun et par chacun en particulier ; l’amende encourue pour délit et payée par le coupable, partie à la victime ou à sa famille, partie au prince à titre d’expiation. On sait que ces usages, consacrés par le temps, suivirent les Barbares dans leurs longues migrations, et au Ve siècle nous les retrouvons avec eux sur la terre romaine. Là un système bien différent avait prévalu. Le génie de Rome qui avait tout réduit en formules, la paix, la guerre ; l’administration, la justice, avait porté la même précision et la même rigueur dans le gouvernement des finances. L’impôt, qui, chez les Barbares d’outre-Rhin, n’était encore qu’une simple marque de déférence où l’affection avait plus de part que l’obéissance ou le devoir, est devenu’, entre les mains de la fiscalité impériale, la plus dure, la plus inexorable, la plus générale des nécessités sociales. Par la double jugatio de la terre et des instruments (hommes ou animaux) employés à la culture, il frappe le simple possesseur ; par la glebalis collatio, la septem solidorum prœstatio, et l’aurum oblatitium, il frappe les propriétés sénatoriales[29] ; par la lustralis calatio, il atteint à la fois l’industriel et le marchand[30] ; par les vectigalia et le teloneum, la marchandise qui voyage ; par les munera extraordinaria, presque tous ceux que n’atteint pas l’impôt ordinaire[31] ; par les sordida munera, tous les petits propriétaires que leur dignité personnelle ou la grandeur de leurs possessions ne mettaient pas à l’abri de ces vexations[32]. Ces deux systèmes, inspirés par deux civilisations si différentes, se trouvèrent placés en présence pour la première fois après le partage dé l’empire d’Occident par les nations germaniques. L’un arrivait avec les Barbares du fond de leurs forêts, l’autre vivait encore dans les souvenirs et les traditions que l’Empire romain laissait après sa chute. Lorsque les états nouveaux, fondés sur ses débris, eurent reçu du temps, après la première secousse, l’espèce d’organisation dont ils étaient susceptibles, la vieille constitution germanique continua naturellement de présider aux rapports du chef germanique avec les compagnons qui rayaient aidé à vaincre et à conquérir. Nous dirons dans une autre circonstance à quelle époque et dans quel sens ces rapports furent modifiés par la position nouvelle où cette même conquête venait de les placer. Mais il devint nécessaire de régler à l’instant même les relations qu’elle avait établies entre les vainqueurs et les vaincus ; et c’est par là que devait s’annoncer la »substitution d’un système légal et régulier aux violences et au pillage qui avaient signalé les premiers moments de la victoire. Or les Barbares, soit modération, soit insouciance, soit impuissance peut-être, n’avaient presque rien dérangé dans la Gaule du moins, à l’organisation civile et politique du peuple vaincu parleurs armes. Ils avaient laissé aux Gallo-romains leur langue, leur religion, leurs lois, leurs tribunaux et leurs curies. Ils maintinrent avec le même scrupule, au moins dans ses divisions fondamentales, le cadre administratif inventé par les Romains, et ils se contentèrent d’en prendre fa direction, en occupant par eux-mêmes, ou par des indigènes dont ils se croyaient sûrs, toutes les positions que leurs prédécesseurs s’étaient réservées par le même motif. Mais du moment qu’il s’établissait de nouveau dans la Gaule une autorité centrale et un gouvernement, il fallait des ressources régulières et permanentes pour les soutenir. Le revenu des fermes royales, les dons volontaires et périodiques des fêtes de Noël et de Piques, les produits éventuels de la guerre, et les diverses prestations en nature mi en argent que l’on offrait au prince dans les réunions solennelles du Champ-de-Mars, ne pouvaient suffire aux frais d’un gouvernement qui avait la prétention de continuer celui des empereurs, et qui, à défaut de la force, en avait au moins les ruineuses profusions. Le choix entre les deux systèmes que les rois mérovingiens avaient sous les yeux ne pouvait être longtemps douteux. Celui des Romains était le plus productif ; et le seul du reste qui fût en rapport avec les institutions qu’on leur laissait. D’ailleurs les nouveaux maîtres de la Gaule ne gouvernaient pas au même titre les Romains et les Francs. Les premiers étaient leurs sujets, leurs provinciales, comme ils le disaient quelquefois ; les seconds étaient leurs compagnons, leurs leudes et presque leurs égaux. Et de même que la loi germanique continua de régler les rapports du roi et de ses leudes ; de même la loi romaine continua de peser sur les Romains avec le cortége des institutions qu’elle avait créées et qui en étaient désormais inséparables. Les registres des impôts subsistaient encore entre les mains des collecteurs impériaux, et on n’eut besoin en quelque sorte que dé les ouvrir. § 3. — Des impôts publics dans la Gaule sous le règne de Clovis. On les ouvrit dès le règne de Clovis[33]. C’est ce qui parait résulter de divers monuments, et entre autres des actes du concile assemblé par ses ordres dans la ville d’Orléans, en l’année 511 Le conquérant y accorde plusieurs privilèges cette église qui avait si puissamment contribué à ses victoires, et semble s’acquitter en quelque manière de sa dernière dette envers elle avant de descendre au tombeau. Pour ce qui est des offrandes ou des terres que le roi notre seigneur a daigné, par sa munificence, accorder à l’église, ou qu’il pourra accorder dans la suite, par l’inspiration de Dieu, à celles qui n’en possèdent point encore, en accordant en même temps l’immunité des terrés et celle des clercs, nous décidons que c’est là un acte de suprême justice ; de telle sorte que tous les fruits que la bonté divine daignera donner puissent être employés à réparer les églises, à nourrir les pauvres mi à racheter les captifs, et que les clercs ne soient points distraits par aucun autre soin des devoirs de leur profession[34]. Ces expressions ne paraissent pas susceptibles de deux interprétations. Elles supposent, ce semble, un impôt territorial établi sur la propriété foncière (agrorum immunitas), et des obligations personnelles communes à tous ceux qu’une immunité du prince n’en avait point affranchis (clericorum immunitas — et clerici in adjutorium clerici operis constringantur.) Néanmoins on pourrait, à la rigueur, supposer qu’il ne s’agit ici que de terres fiscales accordées à l’église par le prince (ex suo munere), sans aucune réserve de rente, revenu ou corvées, comme on le faisait quelquefois pour les concessions ordinaires[35]. Néanmoins nous ferons observer que le mot immunitas, que nous lisons dans le texte, s’applique toujours, dans le Code théodosien, à l’exemption du tribut public[36] ; ce qui forme au moins une présomption en faveur du sens que nous voudrions lui laisser ici. Toutefois, nous n’insistons point sur cette considération, qui pourtant n’est pas sans valeur, et nous pouvons l’abandonner, aussi bien que le texte qui nous l’a inspirée, sans aucun préjudice pour notre thèse. Dans un diplôme accordé par Clovis au monastère de Micy, près Orléans, nous lisons[37] : Tout ce qui appartient à notre fisc, entre le lit des fleuves (la Loire et le Loiret), nous le livrons sans réserve, par la sainte confarréation et par l’anneau ; et nous en cédons la propriété complètement et absolument (corporaliter), sans tributs, sans péage et sans exactions. Ici, les mots tributis, exactione, ne sauraient faire double emploi ; et si l’un signifie que le donateur renonçait à exiger aucune rente ou revenu de la propriété dont il se dépouillait, il faut que l’autre désigne l’exemption du tribut public. Cette conséquence est d’autant plus rigoureuse que le mot exactio était sacramentel en cette matière, comme on peut s’en convaincre en ouvrant le Code Théodosien, et que celui de tributa s’employait déjà, au siècle de Grégoire de Tours, pour désigner les redevances de colons à propriétaires[38]. Quant à l’expression naulo, elle ne présente aucune équivoque[39]. Le passage suivant de la vie de saint Rémy par l’archevêque Hincmar est encore plus concluant. Dubos fait observer avec raison[40] que ce monument historique, postérieur de quatre siècles à rétablissement des Francs dans la Gaule, équivaut néanmoins à un témoignage contemporain, puisque l’auteur n’a fait que reproduire, et compléter peut-être à l’aide de documents également authentiques, une histoire antérieure qu’il avait sous les yeux, et dont l’auteur avait vécu du temps de saint Rémy[41] : Mais comme le saint évêque avait cédé à l’évêque de Laon et à d’autres maisons consacrées à Dieu les ville que le roi et tes Francs lui avaient données dans le territoire de Soissons et de Laon, il ne possédait plus, dans tout le voisinage, qu’une seule petite villa, qui avait été donnée à saint Nicaise. C’est pourquoi, à la persuasion de la pieuse Clotilde, et sur la demande des habitants du lieu, qui se voyaient grevés d’un grand nombre de redevances (exenia), il fut décidé qu’ils paieraient à l’église de Reims ce qu’ils devaient au roi[42]. Ces exenia, dont le fardeau paraissait si lourd aux habitants du territoire de Reims, n’étaient point seulement des redevances particulières consenties de gré à gré entre les propriétaires et les colons, quoique l’expression, un peu vague[43], puisse à la rigueur se prêter à cette interprétation et qu’en effet elle s’y trouve comprise. C’était aussi sans doute l’impôt public que les colons (locorum incolœ) payaient au roi au nom des propriétaires à la glèbe desquels ils étaient attachés. Je trouve d’ailleurs dans Flodoard[44], la preuve que c’étaient de véritables impositions publiques qui se payaient au roi ; et Clovis ne faisait que substituer l’église de Reims aux droits que le prince avait exercés jusqu’alors. Flodoard, après avoir rapporté que le roi Dagobert avait accordé une immunité complète à l’archevêque Rigobert, en faveur de son église, ajoute : L’archevêque lui rappela que l’église de Reims avait joui d’une pleine et entière immunité de toutes espèces de charges publiques sous les rois ses prédécesseurs, depuis les temps du seigneur Rémy et du roi Clovis[45]. Il est évident que les functiones publicœ du texte nous reportent aux impôts romains, aux functiones publicœ du Code[46] et n’ont pas un autre sens : il suffit d’ouvrir le livre XIe du Code Théodosien pour s’en convaincre. D’un autre côté, nous ne trouvons nulle part, ni dans l’histoire de l’église de Reims par Flodoard, ni dans le testament de saint Rémy, ni dans sa vie par l’archevêque Hincmar, que Clovis ait accordé à l’église de Reims d’autre immunité que celle dont il est question dans les deux passages que nous venons de transcrire. Il est donc extrêmement probable que les exenia du premier et les functiones publicœ du second sont identiques. Il importerait fort peu, du reste, que la Charte invoquée par l’archevêque Rigobert n’ait jamais existé, comme le prétendent certains critiques. Le soin avec lequel il essaie de persuader au roi que la métropole de Reims a été exempte de toute fonction publique depuis les temps de saint Rémy et de Clovis, prouverait seul qu’il y avait des functiones publicœ dans la Gaule mérovingienne ; et cela nous suffirait. Le passage de la vie de saint Rémy s’explique d’ailleurs par un passage absolument semblable de la vie de sainte Tygria, où l’équivoque n’est plus possible ; car l’expression publici curiales, qui s’y rencontre, ne peut se rapporter qu’À des hommes,soumis à un tribut public[47]. Il ordonna en outre, avec le consentement et par l’avis de l’Eglise romaine apostolique, et par le conseil des évêques, que la ville de Suse serait désormais soumise à l’église de Maurienne, avec tous les habitants du lieu, que l’on appelle curiales publics. Il nous semble que nous trouvons encore quelque chose de semblable dans le diplôme suivant accordé par Childebert Ier au monastère de saint Serge d’Angers, et publié par les Ste Marthe d’après le cartulaire de l’abbaye : Il (l’abbé de saint Serge) s’est présenté devant nous et a remontré à notre Clémence que son monastère paie chaque année à notre fisc, pour des fermes (curtibus) qui appartiennent à ladite basilique, six sols de rente (solidos sex inferendales), et six autres sols pour sa quote-part du tribut dont le pagus est chargé (et alios sex de remissaria auri pagensis). L’expression remissaria est fort obscure, et je ne sache pas qu’il s’en rencontre un autre exemple dans les monuments du moyen-âge[48] ; mais comme le mot inferendœ désigne quelquefois une rente[49], nous ne voyons pas, ce que pourrait signifier le premier, si ce n’est une partie du tribut que le pagus tout entier devait payer au roi. Aurum pagense ne nous parait pas susceptible d’une autre interprétation, et rappelle involontairement le aurum publicum, la prœstatio auraria du Code Théodosien[50]. Que si inferendœ désigne au contraire l’impôt public, comme au temps des empereurs, nous en aurons d’autant plus raison. Il est néanmoins une autre explication, à la fois plus plausible peut-être et tout aussi favorable à notre thèse. On pourrait supposer que remissaria auri pagensis signifie le transport (remittere) du produit des impôts prélevés dans le pages jusqu’au fisc du roi (la convectio, translatio du Code) ; et alors l’expression solidi inferendales reprendrait sa signification naturelle et désignerait l’impôt public, comme elle le faisait sous les Romains. On a vu précédemment que les contribuables, sous les empereurs, étaient obligés de voiturer ainsi le produit des impôts jusqu’aux dépôts publics où on les renfermait, et nous savons que la même obligation existait sous les Mérovingiens. Cette interprétation n’aurait donc rien que de très plausible. Mais je me hâte d’arriver à quelque chose de plus décisif : 1° Je trouve dans Procope un passage fort important qui prouve que, au moins dans l’opinion de l’auteur, l’impôt public, tel que les Romains l’avaient compris et appliqué, était en vigueur dans la Gaule au moment où les Francs en prirent possession[51] : Les côtes de la contrée qui regarde la Bretagne, des îles de l’Océan, sont couvertes d’un grand nombre de hameaux habités par des pécheurs, des laboureurs et des marchands qui entretiennent un commerce maritime avec ces îles. Ils sont en tout soumis aux Francs ; mais ils ne leur ont jamais payé le tribut, en ayant été dispensés autrefois, prétendent-ils, à raison d’une autre charge à laquelle ils sont assujettis, et dont je vais parler maintenant. Ils racontent.... On conviendra qu’il ne saurait être question ici que du tribut public, et nous croyons qu’il serait superflu d’insister sur ce point. Nous ajouterons, comme tout à l’heure, que la vérité ou l’invraisemblance du récit en lui-même n’importe en rien à notre thèse ; la conclusion sera la même. Mais pour peu que le lieu où écrivait Procope paraisse trop éloigné des événements qu’il rappelle, nous trouvons dans nos propres annales des témoignages qui échappent à l’objection, et qui nous paraissent sans réplique. On en jugera. 2° Je lis dans Grégoire de Tours[52] : Le roi Childebert (le jeune), sur
l’invitation de l’évêque Maroveus, envoya à Poitiers Florentianus, maire
de la maison du roi, et Romulfus, comte du palais, pour faire le recensement
du peuple ; afin que rectifiant les rôles d’après les changements survenus, il
en pût tirer le tribut que l’on payait du temps de son père Sigebert.
Plusieurs, en effet, de ceux qui y étaient soumis étaient morts dans l’intervalle
; de sorte que le poids du tribut retombait sur des veuves, orphelins et des
vieillards[53]. Les envoyés de Childebert ayant établi une enquête à ce
sujet, déchargèrent les pauvres et ces invalides (infirmos), et soumirent au recensement ceux que leur condition y obligeait
selon l’équité ; après cela ils vinrent à Tours. Mais lorsqu’ils voulurent contraindre
le peuple à acquitter le tribut, disant qu’ils avaient en mains les rôles des
contributions qui constataient qu’elles avaient été acquittées sous les
règnes précédents, nous répondîmes en ces termes : Il est vrai que du
temps du roi Chlotaire, on dressa des rôles de la cité de Tours, et que les
registres furent portés au roi. Mais le roi, touché de la crainte du saint
évêque Martin, ordonna de les brûler. A la mort du roi Chlotaire, ce peuple
prêta serment au roi Charibert. Celui-ci jura de ne point imposer au peuple
de lois ni de coutumes nouvelles, et de le maintenir dans l’état où il avait
vécu sous la domination de son défunt père, et promit qu’il ne rendrait aucun
nouveau décret qui tendit à le dépouiller. Néanmoins, de son temps, le comte
Gaiso, en vertu d’un capitulaire dressé antérieurement, comme nous l’avons
dit, commença à exiger le tribut. Mais l’évêque Euphronius l’ayant forcé d’y
renoncer, il se rendit auprès du roi avec le fruit de cette inique exaction,
et lui montra le capitulaire dans lequel les cotes étaient marquées. Mais le
roi, gémissant et redoutant la puissance de saint Martin, le jeta au feu, restitua à la basilique de
saint Martin les pièces d’or injustement exigées, et protesta qu’aucun des
habitants de Tours ne serait soumis à aucun tribut public. Après sa mort, le
roi Sigebert eut cette ville sous sa puissance et ne la chargea d’aucun
tribut. Voilà maintenant la quatorzième année que Childebert règne. Depuis la
mort de son père il n’a rien exigé, et la ville n’a gémi sous le poids
d’aucun impôt. Maintenant il est en votre pouvoir de le lever ou de ne pas le
lever ; mais prenez garde d’attirer quelque malheur sur le roi en allant
contre son serment. Ils me répondirent : Voilà
dans nos mains le livre en vertu duquel ce peuple est imposé. Je répondis
: Ce livre n’a pas été apporté du trésor du roi, et il n’a point fait
autorité depuis plusieurs années. Ce n’est point merveille, si, par inimitié
contre ce peuple, quelqu’un l’aura conservé chez lui. Dieu jugera ceux qui,
après un si long intervalle, l’ont reproduit pour dépouiller nos concitoyens.
C’était Audin qui avait produit ce livre. Or, le même jour, tandis que ces
choses se passaient, son fils fut pris de la fièvre et mourut au bout de
trois jours. Après quoi, nous envoyâmes des messagers au roi pour le prier de
nous faire connaître sa volonté sur cette affaire. Incontinent nos messagers
nous firent passer des lettres royaux portant que, par respect pour saint
Martin, le peuple de Tours ne serait pas inscrit sur les rôles. Nous en
donnâmes publiquement lecture, et les hommes que nous avions envoyés pour
cette affaire revinrent aussitôt dans leur patrie Nous trouvons ici la solution de bien des difficultés, à commencer par celle qui nous occupe. Nous y avons, pour ainsi dire, l’histoire de l’impôt public dans la Gaule sous quatre rois consécutifs : Chlothaire I, Charibert et Sigebert ses fils, et Childebert II, fils de Sigebert. C’est une période de plus de quatre-vingts ans, de 511 à 596. L’évêque de Tours ne remonte pas au-delà du règne de Chlotaire I, parce que ce fut le premier des rois francs qui entreprit de soumettre le peuple de Tours au tribut. On aurait tort d’en conclure que, le tribut ne date que du règne de ce prince ; il en résulte seulement qu’il fit dresser de nouveaux rôles à son avènement, comme le firent plus tard ses successeurs. C’était un usage établi, et nous en trouvons la preuve dans le récit même. Clovis avait sans doute épargné la ville de Tours par considération pour saint Martin, l’apôtre des Gaules, et l’un des plus zélés partisans de la cause des Francs[54]. Nul doute, en effet, que la métropole de Tours n’ait été comprise au nombre de ces églises privilégiées dont il est question dans le passage des actes du concile d’Orléans, que nous avons rapporté plus haut, et qui avaient obtenu de la piété du barbare l’exemption de toutes les charges publiques[55]. Nous savons qu’il en était ainsi de la métropole de Reims[56], si nous en croyons Flodoard ; et le motif était le même. Au reste, le silence de Grégoire de Tours sur les impôts publics, pour les temps antérieurs à Chlotaire I, loin de rien préjuger contre leur existence, pourrait au contraire servir à la prouver. Il n’en aura pas fait mention sous le règne de Clovis, pour une double raison : 1° il n’entrait point dans son plan de traiter ces questions, et il n’y touche en cet endroit qu’en vue de l’église de Tours qui s’y trouvait intéressée ; 2° Clovis n’ayant apporté, sous ce rapport, aucun changement à l’ordre de choses qui existait avant lui, l’historien n’aura point eu à s’en occuper. Un fait d’aussi grande conséquence que l’eût été une abolition générale des impôts dans toute la Gaule, ou même un changement considérable dans leur nature et leur répartition, n’aurait point manqué d’éveiller l’attention des chroniqueurs et des légendaires, quelque insouciants qu’on les suppose. Cette considération nous parait de quelque importance, et peut-être n’y a-t-on pas assez réfléchi. Examinons, du reste, le récit en lui-même, et voyons ce qu’il renferme : I. Le roi Childebert, sur l’invitation de l’évêque Maroveus, envoya à Poitiers Florentianus, maire de la maison du roi, et Romulfus, comte du palais, pour faire le recensement du peuple ; afin que, rectifiant les rôles d’après les changements survenus, il en mit tirer le tribut que l’on payait du temps de son père Sigebert. Ces descriptores de l’époque mérovingienne ne sont pas autres que ceux du Code Théodosien. C’étaient des envoyés spéciaux chargés de faire de nouveaux recensements (descriptiones), et de constater tous les changements survenus dans la propriété depuis la dernière révision. Ou bien le prince les envoyait spontanément et lorsque son intérêt l’exigeait ; ou bien il les faisait partir, comme ici, à la demande des contribuables qui se croyaient lésés par l’ancienne répartition. Les répartiteurs et les enquêteurs,
dont les noms nous ont été donnés, s’ils se rendent coupables de négligence
ou de partialité, non seulement perdront leurs
honneurs, mais paieront en outre le quadruple de l’impôt en guise d’amende.
Et de plus, tout ce qu’ils seront convaincus d’avoir extorqué aux provinciaux,
ils le rendront au quadruple[57]. Ainsi s’exprime une loi d’Arcadius et d’Honorius, sous la date de 596 : Toutes les fois qu’après enquête, il aura été constaté que la répartition n’aura pas été faite avec justice, et que le répartiteur n’aura pas pu justifier son opération, qu’il soit lui-même contraint de payer immédiatement la somme qu’il aura voulu imposer indûment à autrui, et dans la même mesure[58]. C’est une loi de Valentinien, sous la date de 569. On le voit, les discussores du Code remplissent bien le même office que ces envoyés de Childebert qui, selon l’expression de Grégoire de Tours, omnia discutiebant per ordinem, et qui avaient mission de constater les changements survenus dans l’état de la propriété, farta ratione innovaturæ, comme le dit encore Grégoire de Tours, et comme le dit aussi la loi suivante d’Honorius et de Théodose le jeune[59] : Les localités (ou mieux les propriétés, loca) qui ne peuvent acquitter leurs contributions, nous ordonnons qu’on les soumette à une nouvelle révision, afin qu’elles soient portées sur les rôles pour la somme qu’elles peuvent payer, sans aucune fraude ou déguisement, et pour qu’on biffe dans les registres publics ce qui dépasse leurs moyens. On peut lire sur ce point tout le titre XI du treizième livre du Code Théodosien, de censitoribus et perœquatoribus. On y trouvera la perpétuelle vérification de ce que nous disons. Passons à un autre paragraphe. II. Plusieurs, en effet, de ceux qui y étaient soumis étaient morts dans l’intervalle, de sorte que le poids du tribut retombait sur des veuves, des orphelins et des vieillards. Les envoyés de Childebert, ayant établi une enquête à ce sujet, déchargèrent ces pauvres et ces invalides, et soumirent au recensement ceux que leur condition y obligeait selon l’équité. On peut se demander s’il est question ici des charges personnelles qui se résumaient presque toutes, sauf les sordida munera, dans les obligations des curiales ; ou bien du tribut ordinaire, comme nous le croyons, à cause du mot descriptores que nous trouvons dans la phrase précédente, du mot tributi que nous trouvons dans celle ci, et surtout à cause de ce qui suit. Or, dans l’une et dans l’autre hypothèses, nous allons prouver que le récit de Grégoire de Tours n’est, pour ainsi dire, que la reproduction des dispositions du Code sur la matière. D’après le texte de l’évêque de Tours, les veuves, les orphelins et les vieillards devaient être exempts du tribut, quel qu’il soit, dont il est ici question. Et en effet, je lis ailleurs dans le même historien[60], que les petits propriétaires (pauperioribus) et les familiers de l’église[61], n’étaient soumis à aucune charge publique. Examinons si nous trouverons les mêmes exemptions dans le Code ; et d’abord admettons, ce que nous ne croyons pas, qu’il s’agisse des charges personnelles. Je lis au titre 17 du XIIe livre du Code Théodos., l. 1 : Si quelqu’un a mérité d’être exempté à cause de la médiocrité de sa fortune, et qu’il en fournisse la preuve, qu’il jouisse de son exemption, si, à cause de la nécessité des circonstances, il a été contraint de prendre sa part des charges personnelles. Ainsi les petits propriétaires (qui propter censum tenuem) sont déclarés exempts des charges personnelles. On sait d’ailleurs que c’étaient ceux qui avaient moins de 25 arpents de terre, et qui, par conséquent, étaient affranchis des obligations de la curie. De plus, le petit peuple (plebs), dans l’intérieur des villes, était exempt de tout impôt, des charges personnelles aussi bien que du tribut. Que la plèbe urbaine, dit Constantin[62], ne soit point soumise à la capitatio, mais qu’elle soit exempte en vertu de la présente ordonnance. Il s’agit sans doute ici de la véritable capitation, c’est-à-dire de l’impôt par tête, que les Romains appelaient aussi humana capitatio, ou descriptio humana, par opposition à la jugatio, ou descriptio terrena, quoiqu’on ait voulu l’entendre à la fois de l’une et de l’autre. On peut supposer, en effet, que les petits propriétaires des villes, qui ne possédaient pas les vingt-cinq arpents exigés pour entrer dans la curie, et qui, par cela même, faisaient partie de la plebs[63], jouissaient de la double immunité de leurs terres et de leur personne. Le vague même de l’expression «usus employée par le législateur, favorise jusqu’à un certain point cette interprétation. Toutefois, nous devons avouer que Godefroy, sur la loi 2 du l. XIII, tit. 10 du Code Théodosien, pense qu’il n’est question ici, comme partout où il trouve les mots census, capitatio, que de la capitatio terrena ou jugatio. Mais d’abord il convient de remarquer que, même dans cette hypothèse, il faut restreindre l’exemption dont il s’agit aux petits propriétaires qui n’étaient pas membres de la curie, car il est bien entendu que les curiales ne pouvaient être exemptés en aucun cas. En outre, nous devons ajouter que l’opinion de Godefroy nous paraît sujette à plus d’un inconvénient, et que les expressions plebeia capitatio, exactio plebis, que nous trouvons employées en pareil cas, semblent indiquer un tribut auquel la plèbe seule, c’est-à-dire ceux qui n’avaient point de propriétés territoriales, était soumise, et dès lors ce ne peut être que la capitation. D’ailleurs, nous avons vu qu’une loi de Valentinien et de Théodose avait statué que le gouverneur de la province serait seul chargé à l’avenir de faire contribuer les plus riches contribuables ; les curiales exerçaient le même office envers leurs collègues de la curie, tandis que les plus pauvres ne devaient être contraints que par le Défenseur de la cité. (Cod. Théod., XI, tit. VII, 1. 12). Or, dans l’antiquité, les grands et les petits propriétaires demeuraient également dans les villes. Les campagnes n’étaient guère peuplées que d’esclaves et de colons, et si les petits propriétaires des villes avaient été exempts de la jugatio terrena pour leurs propriétés territoriales, on ne voit pas à qui le Défenseur de la cité aurait pu s’adresser. La loi de Valentinien et de Théodose aurait été sans motif. Nous pensons en outre, malgré la grave et imposante autorité de Godefroy, qu’il exista dans le principe une différence essentielle entre les mots capitatio et jugatio, et que les traces de cette différence originelle se retrouvent encore aujourd’hui dans leur union même. Le premier désigna d’abord exclusivement les têtes d’hommes et de bétail : la raison étymologique et la pratique des Romains avant l’établissement de l’Empire conduisent également à cette conclusion. Par la même raison, la jugatio désigna l’arpentage et par suite l’impôt territorial auquel il servit de base. Mais, dans la suite, lorsque (probablement sous le règne de Dioclétien) on assit tout le système des impositions publiques sur une unité imposable qui était partout la même[64], et qui fut dès lors appliquée comme une espèce de module invariable à l’estimation de toutes les propriétés, on fit entrer dans cette évaluation unique les évaluations particulières, résultant de la double opération de la jugatio et de la capitatio ; et ce fut seulement alors qu’on les employa indifféremment l’une pour l’autre, et que plus souvent encore on les employa simultanément, pour mieux marquer la double origine de la valeur unique qu’ils servaient à désigner[65]. Les mineurs âgés de moins de vingt-cinq ans, et les vieillards âgés de plus de cinquante-cinq ans, étaient, comme la plèbe et les petits propriétaires, exempts de toutes les charges personnelles sous les Romains. Vous affirmez que vos fils sont encore mineurs, et affranchis néanmoins de la puissance paternelle, et vous demandez avec raison qu’ils ne soient :pas détournés de l’étude des arts libéraux. C’est pourquoi nous voulons qu’ils ne soient pas astreints à celles des charges personnelles qui ne concernent point notre patrimoine, à moins qu’il n’y ait disette de citoyens[66]. C’est une loi de Dioclétien et de Maximien Hercule. Il est reconnu que les vieillards
âgés de cinquante-cinq ans ne peuvent être soumis contre leur gré aux charges
personnelles. C’est pourquoi, puisque vous prouvez que vous avez dépassé
votre soixante-dixième année, si vous réclamez contre votre nomination, vous
pouvez vous mettre à couvert par un ordre du
gouverneur de la province. C’est un droit qui vous est acquis[67]. C’est encore une loi ou plutôt un rescrit de Maximien Hercule et de Dioclétien. On peut y joindre la 20e et la 118e du tit. 1er, l. XII, du Code Théodosien. En supposant donc qu’il s’agisse, dans le texte de Grégoire de Tours, des charges personnelles (ce que nous ne pensons pas), nous trouvons dans la législation romaine les précédents et les motifs de l’immunité des petits propriétaires, des mineurs et des vieillards. Alors nous expliquerons le passage, en disant qu’à l’époque du dernier recensement à Poitiers, on avait compris dans la classe des curiales tous ceux qui réunissaient les conditions voulues pour y entrer, et entre autres sans doute tous ceux qui, ayant vingt-cinq arpents de terre en propriété, avaient plus de dix-huit ans et moins de cinquante-cinq. Mais dans l’intervalle plusieurs d’entre eux étaient morts, d’autres avaient franchi la limite de l’âge fixé par la loi, et le fardeau était ainsi retombé sur des veuves, des orphelins, des vieillards, parce que les anciens rôles étaient toujours en vigueur. Quelque plausible que cette explication puisse paraître, il en est une autre, nous l’avons dit, qui s’accorde tout aussi bien avec les dispositions du Code, et beaucoup mieux avec le texte de Grégoire de Tours. C’est celle qui consisterait à laisser au mot tributi son acception naturelle, et à dire que le poids de l’impôt, et spécialement l’impôt de la capitation, était retombé sur des veuves, des orphelins et des vieillards, contre la loi et l’usage. Nous voyons en effet que cette triple immunité était admise par les lois impériales. Les femmes qui vivent dans une
virginité perpétuelle, et la veuve qui
est déjà parvenue à un âge qui ne permet pas de croire qu’elle puisse encore
contracter de nouveaux liens ; nous voulons
qu’elles ne soient plus soumises à la nécessité du tribut de la plèbe. Qu’il
en soit de même des mineurs du sexe masculin jusqu’à l’âge de vingt ans, et
pour les femmes jusqu’à ce qu’elles prennent un mari[68]. C’est une loi de Valentinien et de Valens, qui fut bientôt modifiée dans un sens plus favorable encore, par cette autre Constitution des mêmes princes, sous la date de 570[69] : Qu’aucune veuve, qu’aucun mineur de l’un ou de l’autre sexe ne soit assujetti au tribut de la plèbe, jusqu’à ce qu’ils ne soient entrés dans l’âge où l’on n’a plus besoin de tuteurs ou de curateurs. Nous étendons cette immunité aux femmes qui se sont consacrées pour toujours au service de la loi divine. Il est remarquable que ces deux lois sont adressées à Viventius, préfet du prétoire des Gaules. Un passage du Digeste, emprunté au liv. II d’Ulpien, de censibus, trouve ici son application : Il est nécessaire de consigner l’âge dans les registres du recensement, puisque certaines personnes sont exemptes à raison de leur âge. Ainsi, dans les deux Syries, les mâles depuis l’âge de quatorze ans, les femmes depuis douze ans jusqu’à soixante-cinq, sont sujets au tribut[70]. Il faut remarquer ces expressions du texte de Grégoire de Tours : Et soumit au recensement ceux que leur condition y assujettissait selon l’équité. Il n’y a point de doute qu’il ne s’agisse ici de ceux que le Code appelle accrescentes, c’est-à-dire ceux qui avaient atteint, depuis le dernier recensement, l’âge qui les rendait sujets au tribut. Rien n’est plus propre à jeter du jour sur tout ceci que la loi suivante de Valentinien et de Valens, adressée à Modestus, préfet du prétoire d’Orient[71] : Si quelque part la liste des contribuables vient à éprouver quelque perte par la mort de quelques-uns de ceux qui y sont inscrits, et qu’il se trouve, dans une circonscription voisine ou limitrophe, ou dans la circonscription même, ou partout ailleurs, une personne de même condition qui, par son âge, a atteint le nombre d’années voulues pour figurer sur la liste ; que le nombre des censitaires reste au complet, et que celui qui vient de manquer soit remplacé par un autre qui en tienne lieu. Mais pour que cette substitution se fasse régulièrement, que votre autorité ne charge de ce soin que les juges, c’est-à-dire les recteurs des provinces ; de telle sorte que lorsque les plaintes des Défenseurs ou des contribuables seront parvenues jusqu’à eux, ils en prennent connaissance publiquement, en présence des parties et selon qu’il apparaîtra ; et que, coupant court à toute altercation, ils réparent les pertes des rôles, en remplaçant les morts seulement par des accrescentes. Le passage suivant de la vie de sainte Bathilde, reine des Francs et femme de Clovis II, reçoit une lumière précieuse des observations que nous venons de présenter, et leur prête en même temps un puissant appui[72] : Elle ordonna aussi, ou plutôt ce fut Dieu lui-même qui ordonna par sa bouche, que l’on fit cesser une coutume très mauvaise, très impie, et telle qu’un grand nombre d’hommes aimaient mieux laisser mourir leurs enfants que de les élever. Elle consistait à doubler l’impôt que chacun était dans l’usage de payer, autant de fois qu’il avait d’enfants ; ce qui causait à tous un dommage insupportable. La bonne reine, par sa merci, défendit cela pour l’avenir, et elle en attend une abondante et glorieuse récompense dans le ciel. Malgré l’obscurité de quelques expressions, il est facile de voir qu’il s’agit ici de la capitation, qui frappait à un âge déterminé les, enfants de l’un et l’autre sexe, comme le dit la loi romaine, et dont le fardeau était devenu tellement insupportable, que les pères, pour y échapper, renonçaient à élever leurs enfants. Poursuivons. III. Il est vrai que, du temps du roi Chlotaire, on dressa des rôles de la cité de Tours, et que les registres furent portés au roi ; mais le roi, touché de la crainte de saint Martin, ordonna de les brûler. L’expression descriptum, nous l’avons déjà fait observer, nous reporte aux descriptiones ou recensements des Romains. Il faut donc rappeler en quelques mots d’après quelle base ils se faisaient. Nous avons vu précédemment qu’il y avait deux espèces de recensements, ou, pour mieux dire, deux opérations différentes dans le recensement. La première consistait à mesurer, à arpenter les propriétés territoriales, pour en déterminer exactement le contenu, la nature et la qualité ; et c’est ce que le Code appelle proprement jugatio, et quelquefois capitatio terrena (Cod. Theod., l. 6, de conlat. donat., XI., tit. 20), ou même capitatio, sans autre désignation. La seconde comprenait le relevé des esclaves et du bétail employés à la culture, comme le prouvent les articles suivants du Code, que nous croyons devoir transcrire dans un but que le lecteur pourra apprécier tout à l’heure. Dans toute l’étendue du diocèse de Thrace, la capitation humaine est abolie à jamais, et l’impôt territorial y sera seul payé à l’avenir[73]. C’est une loi de Théodose et de Valentinien II. Que ceux à qui appartient le domaine des terres sachent que c’est à eux qu’il appartient aussi d’acquitter les charges publiques, aussitôt qu’ils en seront requis, soit par eux-mêmes, soit par leurs intendants, pour les colons attachés à la glèbe sur leurs propriétés et portés dans le livre du cens[74]. C’est une loi de Valentinien et de Valens. Une autre loi de Théodose le jeune et de Valentinien III parle du recensement des hommes et dés animaux d’exploitation[75] ; la loi 25 du tit. XLVII du Code Justinien, de agricolis et censitis, mentionne aussi les functiones terranæ, et les functiones animales. On peut ajouter à ces indications la loi 2 du tit. III du XIe livre du Code Théodosien ; la loi 5 du tit. I du livre VII, et la loi 45 du tit. XVI du Xe livre du Code Justinien, de annonis et tributis : il suffira d’y renvoyer le lecteur. Nous pouvons juger encore aujourd’hui, d’après une loi de Valentinien et de Valens, quelle était la quotité de cet impôt des têtes d’esclaves et de colons. Du cens des colons (agricolarum)[76]. Jusqu’ici l’unité imposable (capitis norma) a été exigée à raison d’un homme et de deux femmes ; désormais on ne l’exigera qu’à raison de deux et trois hommes (selon leur valeur plus ou moins grande sans doute), et de quatre femmes. Nous conclurons de tout cela que dans les deux derniers paragraphes empruntés à Grégoire de Tours, il s’agit plutôt de l’impôt par tête ou capitation que de l’impôt du sol ; car on ne peut pas supposer que les propriétés de toutes les veuves, de tous les orphelins et de tous les vieillards fussent exemptés du tribut ordinaire, sans exception. Une pareille interprétation serait inadmissible. § 5. — Que l’impôt par tête et par jugère continua d’être en usage sous les premiers Mérovingiens. Ainsi il est constant que chez les Romains du Bas-Empire le recensement comprenait non seulement la terre, mais encore les hommes et les animaux employés à son exploitation. Or, un passage très précieux de Grégoire de Tours (car nous le croyons unique), prouve qu’il en était de même sous les Mérovingiens. Le roi Chilpéric[77] fit faire de nouveaux recensements, et de très durs, dans
toute l’étendue de son royaume. C’est pourquoi plusieurs abandonnèrent les
cités qui lui appartenaient, et même leurs propriétés, pour se retirer dans les
royaumes de ses frères, aimant mieux errer à l’aventure dans les pays
étrangers, que d’être exposés à un pareil tourment. En effet, on avait
ordonné que le possesseur paierait
pour ces propres (proprium) une amphore de vin par arpent ; et de plus il y avait
beaucoup d’autres charges à acquitter, tant pour les autres terres (celles qui n’étaient pas des propres), que pour les serfs qu’on y employait, de telle sorte
qu’il était impossible d’y satisfaire. De son côté, le peuple du Limousin
se voyant accablé sous un pareil fardeau, se rassembla le jour des calendes
de mars, et voulut mettre à mort Marc le référendaire, qui avait reçu l’ordre
de dresser ces nouveaux rôles ; et il n’aurait pas manqué de le faire, si l’évêque
Ferreolus n’avait arraché ce malheureux à ce danger imminent. Mais la
multitude s’empara des registres et en fit un feu de joie. Le roi en fut très
irrité, et aussitôt il envoya de hauts dignitaires de sa cour qui causèrent
des dommages immenses au peuple, et l’effrayèrent à force de supplices et par
de nombreuses exécutions. On raconte aussi que des abbés et des prêtres
furent alors attachés sur des chevalets et appliqués à divers tourments, parce
que les envoyés du roi avaient affirmé faussement que, pendant la sédition,
ils avaient donné le conseil et l’exemple de brûler les livres. Le tribut
lui-même fut encore aggravé. Deux sortes d’impôts sont clairement désignées dans ce passage ; l’un qui frappe les propres ou alleux (propria), et les censives ou terres accensées (reliquæ terræ) ; car il ne peut pas être question des bénéfices ; c’est l’impôt territorial. L’autre qui frappe les serfs et les esclaves (mancipia) ; c’est l’impôt personnel, c’est la capitatio humana. Nous voyons de plus que quelquefois l’impôt se prélevait en nature, puisque Chilpéric exigeait une amphore de vin par arpent de vignes. Quelquefois, au contraire on l’exigeait en espèces, et le passage cité plus haut parie des pièces d’or (aurei) enlevées par le comte Gaiso au peuple de Tours. Le même usage existait, chez les Romains ; et il est tellement connu, que nous croyons superflu d’entreprendre de le prouver. Nous nous contenterons de transcrire ici une loi du Code où il est question du vin du tribut, parce qu’elle a un rapport particulier et tout spécial avec le récit de l’évêque de Tours. Le vin[78] que l’on doit fournir pour le service de notre maison, nous ordonnons que, conformément au décret de notre frère Constant, tous les possesseurs de l’Italie soient ex tenus d’y contribuer[79]. Quelquefois, au lieu de fournir la denrée demandée, le contribuable en donnait le prix en argent, et la suite de cette même loi de l’empereur Constance en offre la preuve. C’est ce que les. Romains appelaient adœratio, apochandi licentia ; mais il dépendait toujours du prince d’exiger la denrée en nature[80], et il en était encore probablement de même sous les Mérovingiens. Un passage de Digeste, emprunté au livre III d’Ulpien, de censibus, montrera avec quel soin minutieux et tyrannique on procédait chez les Romains à la confection des rôles ; et tout fait présumer que les rois francs n’étaient ni moins soigneux, ni moins oppresseurs. Dans le livre du cens[81], les terres doivent être portées de la manière suivante :
le nom de chaque fonds de terre, celui de la cité, du pagus, et des
deux fonds les plus voisins. Pour la terre labourable qui aura été ensemencée
au moins une fois dans les dix dernières
années, on indiquera le nombre des jugères ; pour une vigne, le nombre
des ceps ; pour les plants d’oliviers, le nombre des jugères et des pieds
d’arbres ; pour une prairie qui aura été fauchée au moins une fois dans les
dix dernières années, le nombre des jugères ; pour les pâturages, le nombre
des jugères. Item pour les taillis, et que le propriétaire
fasse lui-même l’estimation du tout. Il est de l’équité de l’arpenteur (censitor), et il entre dans ses devoirs de dégrever celui qui, pour un motif ou pour un autre, ne peut jouir de la quantité qu’il a lui-même déclarée et qui aura été portée sur les registres. C’est pourquoi, si une partie de son champ s’est abîmée, il devra être dégrevé à proportion. Si ses ceps de vigne viennent à mourir, si ses plants d’oliviers se sont desséchés, il est injuste de maintenir toujours le même nombre sur les registres. Mais s’il coupe lui-même ses arbres ou ses ceps, il n’en doit pas moins payer pour le nombre total porté primitivement dans le cadastre ; à moins qu’il ne justifie sa conduite au tribunal de l’arpenteur (censitori). Lorsqu’on fera la déclaration des serfs, il est important de remarquer qu’il faut déclarer en détail de quelle nation ils sont, leur âge, leur emploi, leurs talents. Les viviers, et les prises d’eau destinées au même usage, doivent aussi être déclarés par le propriétaire. S’il existe des salines dans la propriété, il faut encore en faire la déclaration. Si quelqu’un néglige de déclarer un manant ou colon, il est passible de la peine portée contre ceux qui essaient de frauder le cens. § 6. — Que, sous les Mérovingiens comme au temps des empereurs, le prince faisait quelquefois remise de l’arriéré. Nous nous croyons fondé à conclure de tout ce qui précède que les Mérovingiens maintinrent dans les Gaules les deux grandes sources du revenu des empereurs, la jugatio terrena ou l’impôt par jugère et par arpent, et la capitatio humana, ou l’impôt prélevé sur les tètes d’esclaves et le bétail Passons à une autre question. On lit dans Grégoire de Tours[82] : Dans la ville des Arvernes, le roi Childebert, animé d’une piété généreuse, fit remise de la totalité du tribut, tant aux églises qu’aux monastères, aux autres clercs attachés à l’église et en général à tous ceux qui étaient employés à son service. Déjà, en effet, les exacteurs de ce tribut n avaient éprouvé de grandes pertes, parce qu’on ne pouvait le percevoir qu’avec de grandes difficultés, à raison du long espace de temps qui s’était écoulé (depuis la confection des rôles), du nombre des générations qui s’étaient succédé, et des divisions non moins nombreuses que les propriétés avaient éprouvées. Ce que le roi, par l’inspiration de Dieu, ordonna de réformer de telle sorte, en ce qui restait encore dû au fisc, que d’un côté l’exacteur n’en souffrit aucun dommage, et que de l’autre le serviteur de l’église ne fût détourné de son devoir par aucun empêchement. Commençons par remarquer qu’ici encore il est question d’impôt territorial ; l’expression possessionibus suffirait seule pour le prouver. On sait en effet, et rien ne serait plus facile que de le démontrer, que l’église, sous les Mérovingiens, était soumise au tribut comme elle l’avait été sous les empereurs. Il serait superflu d’insister sur ce point. — Les expressions du texte, totum tributum, feraient croire qu’il s’agit ici d’une remise complète et générale du tribut de l’année, si la suite du récit ne montrait qu’il est question. seulement des arrérages, quod super hæc fisco deberetur, des sommes qui n’avaient pas pu être recueillies à cause de la division des propriétés et du long espace de temps qui s’était écoulé depuis la confection des rôles, per longum tempus et succedentium generationes, ac divisis in multas partes ipsis possessionibus. C’est là ce que l’on appelait, du temps des Romains, indulgentia reliquarum. Il suffira d’en citer un exemple[83] : Nous faisons remise de tout l’arriéré à bous les contribuables, jusqu’au premier consulat de notre Clémence. Et pour faire disparaître jusqu’à la trace des sommes qui sont encore dues, nous ordonnons de rassembler tous les bulletins déposés, soit entre les mains des tabularii des cités, soit dans les bureaux des juges, soit dans ceux de notre palais ou bien encore au pouvoir des discussores, et de les livrer aux flammes. C’est une loi d’Arcadius et d’Honorius de l’année 401. L’analogie ne saurait être plus complète. § 7. — De la hiérarchie financière sous les Mérovingiens. – Que les comtes étaient responsables envers le fisc. Il nous reste à rechercher ce que c’étaient que ces exactores qui étaient chargée du recouvrement des impôts et qui en répondaient. Dans cette même année le juif Armentarius se rendit à Tours, accompagné d’un satellite de sa secte et de deux chrétiens, pour faire escompter les obligations qui lui avaient été fournies à l’occasion des tributs publics par Injuriosus, ex-vicaire, et l’ex-comte Eunomius. Dès qu’il les eut sommés de payer, il en reçut la promesse qu’on lui rendrait le principal avec les intérêts ; et ils ajoutèrent : Venez avec nous dans notre maison, et non seulement nous vous paierons ce que nous vous devons, mais encore nous vous témoignerons notre reconnaissance, comme il convient, par d’autres présents[84]. Il résulte de ce passage que le juif Armentarius avait prêté au vicaire Injuriosus et au comte Eunomius l’argent nécessaire pour avancer au roi le produit du tribut. Or, nous savons que le comte gouvernait la circonscription territoriale que l’on désignait par le mot de civitas, et nous savons par ailleurs[85] que le vicaire ou viguier administrait sous ses ordres un pagus ou portion du comté. Il semblerait donc que le soin de recouvrer les impôts et de les porter au trésor regardât le comte et ses officiers. Et en effet, d’autres indices viennent à l’appui de cette présomption. Ainsi nous voyons dans Grégoire de Tours[86] le comte Macao, à Poitiers, se rendre auprès du roi pour verser entre ses mains ce qu’il devait au fisc ; le comte Péonius, à Auxerre, envoyer son fils à la cour du roi, avec des présents, pour renouveler le bail de sa charge[87] ; le comte Becco, en Auvergne, présider à la répartition et au recouvrement du tribut[88]. Il nous parle encore d’un Medardus qu’il appelle tribun[89] ; d’un autre tribun nommé Animus[90] ; d’un troisième, qualifié tribunitiæ potestatis virum[91] ; d’un quatrième appelé Nunninus, occupé à transporter les tributs de l’Auvergne dans le pays des Francs[92] ; enfin, dans le livre I de la Gloire des Martyrs, chap. 44, il est fait mention de quelqu’un qui, en allant porter le tribut public au fisc, laissa tomber un sac d’argent sur la route, et ne le retrouva que par la vertu des martyrs Agricola et Vital[93]. C’étaient là les divers anneaux de la chaîne qui rattachait le fisc à la bourse des contribuables, et ils correspondaient, sans nul doute, aux discussores, exactores, compulsores du Code Théodosien. Il est encore question des compulsores dans le Code des Wisigoths, et de monitores dans l’histoire de Grégoire de Tours[94]. Le P. Lecointe, D. Ruinart et D. Bouquet[95], prétendent que les fonctions des uns et des autres consistaient à convoquer les Francs sous la bannière du roi, quand il s’agissait d’une expédition militaire, et à leur indiquer le lieu du rendez-vous. C’est en effet le rôle des compulsores du Code des Wisigoths ; mais nous doutons que ce fût celui des monitores de Grégoire de Tours. Nous croyons qu’il est beaucoup plus raisonnable de voir en eux des officiers fiscaux, préposés, sous les ordres du comte, à la perception des impôts, comme l’étaient leurs homonymes sous les empereurs. La loi de l’analogie est une des lois de la critique historique, et elle trouve ici son application. Enfin, nous avons encore la formule par laquelle les rois Mérovingiens investissaient en quelque sorte les comtes de leur dignité, et leur rappelaient en même temps les principales obligations de leur charge. Or, leurs attributions fiscales y sont clairement désignées, et entre autres l’obligation de faire porter chaque année au trésor du prince tous les profits qui lui revenaient dans les limites du comté[96]. Ainsi, cette terrible responsabilité qui sous l’Empire avait écrasé les curiales, retombait toute entière sur le comte qui en était devenu le président[97] ; et le principal vice des institutions de l’Empire avait disparu avec lui. § 8. — Que, sous les Mérovingiens comme sous les empereurs, la publication des rôles ou l’indiction se faisait au 1er Mars. Nous ferons, avant de finir, un dernier rapprochement. On sait que, sous les Romains, les versements se faisaient entre les mains des exacteurs, par tiers, et de quatre mois en quatre mois[98] ; et que l’indiction, c’est-à-dire ici la cote de chaque contribuable, devait lui être notifiée d’avance, et de six mois en six mois, par les soins du Préfet du prétoire[99]. Or, comme le commencement de l’indiction était limé aux kalendes de septembre, la descriptio, c’est-à-dire le relevé cadastral, et la publication des rôles, devaient se faire au premier mars. C’est en effet ce qui se pratiquait encore dans la Gaule sous les premiers Mérovingiens. Le roi Chilpéric fit faire de nouveaux recensements, et de très durs, dans toute l’étendue de son royaume... En effet, on avait ordonné que le possesseur paierait pour ses propres une amphore de vin par arpent ; et de plus il y avait beaucoup d’autres charges à acquitter, tant pour les autres terres que pour les serfs qu’on y employait ; de telle sorte qu’il était impossible d’y satisfaire. De son côté, le peuple du Limousin, se voyant accablé sous un pareil fardeau, se rassembla le jour des kalendes de mars, et voulut mettre à mort Marc, le référendaire, qui avait reçu l’ordre de dresser ces nouveaux rôles[100]... Et ailleurs : Roccolenus vint à Tours par
l’ordre du roi Chilpéric... On était alors
dans le saint temps de carême, pendant le quel
il mangea plus d’une fois de la gibelotte de lapereaux. Déjà il avait préparé
ses rôles pour frapper de nouveaux impôts, et sans doute des impôts injustes,
sur le peuple de Poitiers, aux prochaines calendes de mars ; mais la
veille il expira, et ainsi tombèrent son orgueil et ses menaces[101]. Il serait facile de multiplier ses autorités ; mais nous croyons avoir suffisamment démontré que le système des impositions romaines avait été soigneusement maintenu par les Mérovingiens, dans ses deux sources les plus productives : l’impôt de la terre, et celui des esclaves et du bétail employés à sa culture. II serait encore plus facile de prouver que les Mérovingiens avaient conservé aussi, à l’exemple des empereurs, la propriété des mines[102], celle des pâturages et des forêts[103] qui avaient fait partie autrefois du domaine, les produits de la douane dans les ports de mer[104], ceux du tonlieu et des péages sur les fleuves et les rivières[105], et en général les revenus de diverse nature dont les empereurs romains avaient joui avant eux. Il n’y eut, à vrai dire, de différence essentielle qu’en ce que nous pourrions appeler l’impôt du sang, c’est-à-dire le mode de recrutement usité pour l’armée. On sait quel était à cet égard le système des Romains. La tironum præbitio était une des charges ordinaires de la propriété, et se mesurait, comme l’impôt foncier lui-même, sur son importance et sa fertilité[106]. Il n’en fut pas de même sous les Mérovingiens. Les Francs, qui étaient tous soldats, se chargeaient eux-mêmes de la défense du territoire qu’ils venaient de conquérir, et se recrutaient parmi les bénéficiers, et plus abondamment encore parmi les aventuriers, qui ne cessaient d’affluer dans la Gaule depuis que la barrière du Rhin avait été renversée par les Barbares. Et toutefois il n’était point rare de les voir associer les indigènes à leurs expéditions ; et dans ce cas, ils leur envoyaient l’ordre de mais cher sous la bannière du duc ou du comte avec les Francs eux-mêmes. Nous savons que ceux qui s’y refusaient étaient passibles du ban ou d’une amende qui parait avoir été de LX solidi sous les Mérovingiens, à en juger par ce qui se pratiquait du temps de Charlemagne[107] ; mais nous connaissons mal les conditions d’âge, de rang, de position et de fortune qui exemptaient de ce service ou qui le rendaient obligatoire ; car les dispositions de la Loi Salique ne concernent probablement que les Francs. § 9. — Que les rois mérovingiens percevaient l’impôt comme chefs du gouvernement, et non à titre de propriétaires. Mais tout en admettant, d’après les textes que nous avons invoqués, la permanence du système financier des Romains sous les Mérovingiens — et nous croyons qu’on ne saurait raisonnablement la mettre en question —, on peut se demander si c’était là un véritable tribut, dans l’acception que ce mot avait autrefois, lorsque l’Empire était encore debout ; ou bien une simple rente perçue par les Francs à titre de propriétaires du sol, sans aucune idée de pouvoir public ou de centralisation administrative. Les textes répondront. I. Le roi Chlothaire, dit Grégoire de Tours[108], avait ordonné par un édit (indixerat) que toutes les églises de son royaume paieraient au fisc la tierce partie des fruits. Tous les évêques y consentirent, quoiqu’à regret, et souscrivirent l’édit royal. Mais le bienheureux Injuriosus s’y refusa courageusement, et ne voulut point donner sa signature, disant au roi : Si vous voulez enlever ce qui appartient à Dieu, Dieu ne tardera pas à vous enlever votre royaume ; car il n’est pas juste que les pauvres, qui doivent trouver leur nourriture dans vos greniers, soient condamnés à les remplir. Et aussitôt il se retira fort irrité contre le roi, et sans prendre congé. Il s’agit ici, comme on le voit, d’un tribut imposé à toutes les églises du royaume de Chlothaire. Or, il n’est pas vraisemblable que toutes les églises appartinssent au roi. Il est même certain qu’aucune ne lui appartenait ; car ce ne fut que bien plus tard, et lorsque le système féodal eut pris pleinement possession de toute la Gaule, que certaines églises devinrent des propriétés privées. C’était donc comme souverain et non comme propriétaire qu’il demandait le tiers des produits des terres qui appartenaient à l’église. II. Le même raisonnement pourrait s’appliquer au fameux passage que nous avons déjà cité à propos de la description des cités de Poitiers et de Tours ; car enfin, si la propriété du sol appartenait au roi, pourquoi cette distinction entre les bénéfices et les propres, sur laquelle repose toute l’histoire de la première et de la seconde race ? Il est évident que, dans ce cas, toutes les possessions seraient des précaires ou des bénéfices, aucune ne serait un propre, et toutes nos idées se trouveraient renversées. III. La meilleure preuve que les rois francs ne considéraient pas toute la Gaule comme leur propriété, c’est qu’ils avaient un domaine particulier dont ils disposaient à leur gré ; et, malgré l’arbitraire bien avéré du gouvernement des Mérovingiens, on n’a jamais été jusqu’à dire qu’ils disposaient absolument, selon leurs fantaisies, des biens de leurs sujets. Quelquefois, il est vrai, ils détachaient un certain nombre de cités ou de pagi de la partie des Gaules qui leur était échue, en faveur de leur mère, de leurs sœurs on de leurs filles, à titre de dot, de douaire ou de morgengabe, comme on le voit par le traité d’Andlaw ; mais ils n’en cédaient jamais que les revenus[109], et toute la différence consistait en ce que le tribut, au lieu d’être versé dans le trésor du roi, était perçu au profit de la personne qui avait obtenu la concession. Je trouve dans Grégoire de Tours un passage auquel personne, que je sache, n’a fait attention, et qui est d’autant plus concluant, qu’il met en opposition deux choses que tout récemment encore on a bien voulu confondre, le tribut public perçu au nom du prince, et les revenus particuliers du roi et des membres de la famille royale. Chilpéric ayant rassemblé les grands de son royaume[110] pour assister au mariage de sa fille Rigonthe avec Reccarède, fils de Leuvigilde, roi des Wisigoths, chacun des convives, selon l’antique usage de la nation, fit un cadeau de noces à la fiancée. Les uns lui offrirent de l’or, les autres de l’argent, quelques-uns des chevaux, le plus grand nombre de riches tissus pour sa parure[111]. Mais la reine Frédégonde, sa mère, surpassa tous les autres par la magnificence et l’éclat de ses dons, et elle offrit à sa fille une si prodigieuse quantité d’or, d’argent et de vêtements précieux, que chacun s’en émerveillait. Elle ajouta encore à l’étonnement des spectateurs, en disant que tout cela était le fruit de son travail, du revenu de ses terres, du produit de ses rentes ; car il n’y a rien dans tout cela, reprit-elle, qui sorte du trésor public[112]. Il en résulte qu’indépendamment des revenus particuliers des princes et princesses de la famille royale, il existait encore dans la Gaule mérovingienne un impôt public perçu officiellement au nom du prince et versé dans son trésor. Il est impossible de donner une autre interprétation au passage de Grégoire de Tours. IV. Il nous semble que le passage suivant du même historien, quelqu’idée que l’on se fasse d’ailleurs de la vérité du récit en lui-même, prouve encore que, dans l’opinion de Fauteur, le tribut public sous les Mérovingiens ne différait pas du tribut public sous les empereurs. On en jugera : La fille de l’empereur romain
Léon était tourmentée de l’esprit immonde, et pendant qu’on la conduisait
d’un lieu saint dans un autre, il ne cessait de crier : Je ne sortirai point
d’ici à moins que l’archidiacre de Lyon ne vienne et ne me chasse lui-même de
ce corps qui m’appartient. L’empereur l’ayant appris envoie ses serviteurs dans
les Gaules. Dès qu’ils eurent découvert le saint homme, ils le supplièrent humblement
de vouloir bien se rendre à Rome avec eux pour visiter la jeune fille. Comme il
s’en défendait, et ne cessait de crier qu’il ne méritait pas que Dieu opérât
des miracles par son entremise, les conseils de son évêque parvinrent enfin à
vaincre sa répugnance, et il partit avec les messagers. L’empereur le reçut
avec les plus grands honneurs. Après s’être informé de la maladie de la
princesse, il se rendit dans la basilique du bienheureux apôtre Pierre. Il y
resta trois jours entiers en veilles et en prières,
sans boire ni manger, et le quatrième jour il chassa l’esprit immonde du
corps de la jeune fille au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, et par le
signe de sa croix. L’empereur, pour lui témoigner sa joie ; lui offrit trois
cents pièces d’or. Mais l’homme de Dieu, inspiré par des pensées plus nobles,
et dédaignant comme néant des richesses périssables : Si vous voulez
m’enrichir de vos dons, dit-il à l’empereur, accordez-moi quelque grâce qui
profite à toute la cité. Remettez, ajouta-t-il, le tribut au peuple dans un
rayon de trois milles autour des murs.... Quant
à votre or, il ne m’est pas nécessaire. Distribuez-le aux pauvres pour votre
bien et celui des vôtres. L’empereur y consentit, distribua l’or aux pauvres,
et accorda à la cité la remise du tribut. C’est pourquoi aujourd’hui
encore on ne paie au prince aucun tribut à une distance de trois milles
autour des murs[113]. V. Qu’on nous permette de citer encore une autorité, puisque enfin la question a paru douteuse à tant de critiques, et qu’au nombre de ceux qui l’ont résolue contre nous, se trouve le plus grand de nos publicistes. Des évêques réunis en synode dans la cité d’Auvergne écrivirent à Théodebert, roi d’Austrasie et petit-fils de Clovis, pour le prier de laisser la libre jouissance de leurs biens à ceux d’entre les sujets de ses oncles Chlotaire et Childebert, qui se trouvaient possessionnés dans ses états, à la condition de lui payer, comme au souverain de la terre, les tributs dont ces biens étaient frappés. Je traduis : A leur illustre et très excellent
seigneur et fils, le roi Théodebert, Honoratus, etc., évêques : Comme nous nous trouvions réunis, nous, vos
serviteurs et évêques de vos cités, dans la ville capitale des Arvernes, pour
interpréter les canons et pour expliquer la loi ecclésiastique à tous ceux
qui avaient besoin de nos conseils pour régler leur propre vie, nombre de personnes sont venues se présenter devant
nous pour chercher un remède à leur désespoir, dans l’espérance que notre
humilité, non moins pour la félicité de votre royaume que pour leur propre
consolation, se chargerait de porter leurs prières à votre Piété, et que par
notre entremise votre piété et votre justice daigneraient ordonner que personne
ne pût être dépouillé de ses biens ni de ses propriétés ; de telle sorte que
celui qui possède quelque chose dans un autre royaume que dans celui du
prince dont il est le sujet, ne soit pas exposé, comme il arrive, à se le
voir enlever par qui que ce soit. Pleins de confiance dans la piété et la justice
de votre Hautesse, nous espérons que vous ne nous refuserez pas cette
assurance ; et que si, comme nous le croyons, nous demandons, dans l’intérêt
de plusieurs, des choses justes et agréables à Dieu, vous travaillerez de
votre côté, en nous les accordant, à augmenter la prospérité de votre royaume
et à vous rendre d’autant plus semblable à la divinité par votre clémence et votre
piété. C’est pourquoi nous vous adressons, avec tout le respect que nous vous
devons, nos très humbles supplications, vous priant de vouloir bien nous accorder,
en vue de Dieu, ce que nous vous demandons, de telle sorte que les recteurs
des églises et en général tous les clercs, et même les séculiers, qui
demeurent dans les limites de votre royaume et qui cependant relèvent de
l’autorité de vos oncles[114] nos seigneurs, ne soient pas dépouillés de ce qu’ils
possèdent dans votre lot, de ce qui leur a appartenu en toute propriété dans
tous les temps ; afin que chacun, jouissant en paix de ce qui lui appartient,
n’ait à payer que le tribut qu’il doit au prince dans le lot duquel sa
propriété est située. Pour nous, nous croyons que votre trésor ne peut
qu’y gagner, si la propriété respectée et mise par votre piété à l’abri de
toute violence, acquitte, comme de coutume, les charges ordinaires qui
pèsent sur elle ; et votre clémence sera pour
nous-mêmes un sujet particulier de consolation, si votre Clémence daigne, en
nous accordant notre demande, nous fournir un nouveau motif de la bénir. (Ap. D. Ruinart, in append. oper. S. Gregorii episcop. Turon., p. 1334-5). On voudra bien remarquer qu’il s’agit ici de propriétés patrimoniales (de quod habere proprium semper visi sunt), et non de bénéfices ou de précaires ; et que par conséquent. On ne saurait voir dans le debita tributa du texte une rente particulière. Nous nous arrêterons ici. — Nous croyons avoir démontré : 1° Que l’impôt territorial et la capitation s’étaient maintenus dans la Gaule après la chute de l’Empire ; 2° Que la permanence du système financier des Romains était une conséquence naturelle du système général de gouvernement que les Francs avaient appliqué à la Gaule ; 5° Que l’assiette et la répartition du tribut se faisaient de la même manière, par les mêmes agents, d’après les mêmes principes et aux mêmes époques ; 4° Que les exemptions ou immunités étaient les mêmes, et s’accordaient aux mêmes conditions ; 5° Que l’impôt était exigé tantôt en nature, tantôt en espèces, selon les besoins du moment, comme du temps des empereurs ; 6° Que la responsabilité des recouvrements avait passé des curiales au comte de la cité ; 7° Que le tribut sous les Mérovingiens n’était pas une rente, mais un impôt. L’impôt survécut donc à la ruine de l’Empire, comme la loi romaine, comme la langue, comme la curie, comme le cadre de l’administration impériale elle-même. Essayons maintenant de retrouver les traces de cette savante combinaison administrative dans les monuments de la Gaule mérovingienne. |
[1] Histoire critique de l’établissement de la monarchie française, Paris, 1735, 6 vol. in-8°. — 1742, 2 vol. in-4°.
[2] Histoire de l’ancien gouvernement de la France, avec vingt-quatre lettres historiques sur les Parlements ou États-Généraux. — La Haye, 1727.
[3] Esprit des lois, liv. XXVIII et XXX.
[4] Observations sur l’Histoire de France. — Genève, 1765.
[5] Monarchie française. — 1814.
[6] Voyez la Revue des Deux-Mondes, livraison de décembre 1838, et Récits des temps mérovingiens, introduction.
[7] Essais sur l’histoire de France, 1 vol. in-8°.
[8] Cæsar, Comment., I, 31, 34, 36-44.
[9] Tacite, Germania, 43.
[10] Lex Burgond., tit. 54.
[11] Lex Wisig., lib. V, tit. 4, l. 19, et lib. X, tit. 1, l. 14.
[12] Cassiodore, Variar. IX, epist. 4, et passim.
[13] Procope, de Bell. Vand., V, 1, 2. — Histor. Miscell., I, 18. — Vict. Vitens., I.
[14] Procope, de Bell. Goth.
[15] Procope, de Bell. Goth., lib. I, p. 32, ex interpret. Christoph. Personæ. —1531, Basileæ.
[16] Frédégaire, Chronic. 45. — Procope, de Bell. Goth., lib. IV, c. 26, ad ann. 547.
[17] Frédégaire, Chronic. 74.
[18] Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale, t. 1, est le seul, à notre connaissance, qui ait paru hésiter.
[19] Dubos l’a supposé, mais le passage suivant le prouve : Erat quoddam vetus castellum..... a Julio quondam Cæsare nobiliter constructum..... vocitatum Castrum Bagaudarum ab antiquis, quod jam tunc locus dicebatur Fossatensis (S. Maur des Fossés). Itaque locus ille, sicut usque hodie, ita et tunc regalis erat fiscus. (Vit. S. Babboleni abbat., ap. D. Bouquet, t. III, p. 565).
[20] L. XXX et XXXI.
[21] M. le comte de Boulainvilliers et M. l’abbé Dubos ont fait chacun un système, dont l’un semble être une conjuration contre le tiers-état, et l’autre une conjuration contre la noblesse. (Esprit des Lois, XXX, 10.)
[22] Esprit des Lois, XXX, 13. Pour soutenir son opinion, il cite les monuments de l’époque carolingienne, qui ne prouvent rien pour la période mérovingienne dont parle Dubos.
[23] Il reconnaît néanmoins que les Francs ont été quelquefois soumis à l’impôt, en ajoutant, avec raison cette fois, que ce ne fut là qu’une vexation temporaire. (Esprit des Lois, XXX, 12.) Et Mably, comme toujours, le répète après lui. (Considérations sur l’histoire de France, t. I, p. 242.) Mais ni l’un ni l’autre n’ont vu la portée de ce fait.
[24] Lindenbrog, Collect. legg. barb. in notis. — Bignon, Formul. Marculf. — Daniel, Histoire de France, et le savant Ducange lui-même.
[25] L’Académie des inscriptions et belles-lettres avait mis au concours en 1830, la question suivante : Rechercher quelles furent les impositions publiques dans les Gaules, depuis l’origine de la monarchie des Francs jusqu’à la mort de Louis-le-Débonnaire. Le prix ne fut décerné qu’en 1837, et il fut partagé entre MM. Baudi di Vesme, de Turin, et Guadet.
Nous ne connaissons le travail de M. de Vesme que par le remarquable extrait qui en a été inséré dans la Revue Bretonne de droit et de Jurisprudence, et qui ne traite que des impositions de la Gaule dans les derniers temps de l’Empire romain. C’est seulement au moment de mettre sous presse, et encore par simple extrait, que nous avons pu nous procurer le mémoire de M. Guadet. Nous avons reconnu avec une vive satisfaction, à travers une analyse que nous aurions désirée plus explicite, que les idées fondamentales de ce judicieux travail ne s’éloignent pas de celles que nous avons nous-même adoptées ; mais nous osons espérer que nous avons conduit jusqu’à la démonstration la théorie à laquelle le nom de M. Guadet doit rester attaché, et qu’on trouverai encore dans ces recherches quelques rapprochements utiles qui auraient pu trouver place dans les siennes. Peut-être même résultera-t-il de cette nouvelle discussion d’un principe déjà si souvent controversé, quelque vérité nouvelle dont la science, nous le croyons du moins, pourra se servir utilement lorsqu’elle reprendra en sous-œuvre l’édifice de la monarchie mérovingienne. Déjà l’impulsion est donnée, et les matériaux chaque jour amoncelés par d’intelligents et infatigables travailleurs, n’attend plus que la main qui doit les fondre dans une puissante et harmonieuse unité. Nous avons voulu apporter aussi notre pierre au futur architecte, en donnant ici le résultat de nos recherches sur la question des impôts publics sous les Mérovingiens.
[26] XI. Cod. Theod., de Conlatione donatar., XX, 3.
[27] Tacite, Germanie, XV.
[28] Tacite, Germanie, XII.
[29] VI. Cod. Theod., II, de senatoribus.
[30] XII. Cod. Tbeod., I, de lustrali collatione.
[31] XI. Cod. Theod., XVI, de extraordinariis numeribis, legg. 15, 18.
[32] Cod. Theod., tit. 16, de sordidis numeribus.
[33] L’histoire de Childéric et d’Ægidius, telle que Frédégaire nous la raconte, suppose qu’il existait déjà des impôts publics dans la Gaule sous l’administration des prédécesseurs de Clovis :
Wiomade ayant appris par son esclave que Childéric revenait, alla au devant de lui jusqu’au château de Bar, où il avait été reçu par les habitants. Aussi leur fit-il remise, par le conseil de Wiomade et pour célébrer son retour, de tout ce qu’ils avaient coutume de payer au trésor public. (Fred., Epitom. XI.)
[34] Sirmond., Concilia eccles. gallic., t. 1.
[35] Marculf., l. II, form. 30.
[36] XI. Cod. Theod., tit. XII : De immunitate concessa, et alias passim.
[37] Chlodov. diplom., de condicione cœnobii Miclacens. apud Aurellanos. — D. Bouquet, IV, p. 616. — Nous traduisons corporaliter par absolument, entièrement ; c’est ce qui se trouve exprimé dans le traité d’Andlaw, Greg. Turon, IX, 20, par omni corpore facultatis.
[38] Greg. Turon, de Glor. confess., CIII. — Id., Histor. Franc., X, 19.
[39] Cang., in v° : Portorium pro trajectione, en français, Notis.
[40] Histoire critique de l’établissement de la monarchie française, t. II, éd. in-4°.
[41] C’est sans doute celle dont parle Grégoire de Tours, II, 31. — Et c’est probablement aussi celle qui a servi à Flodoard, comme il est aisé de s’en convaincre en comparant les deux textes.
[42] Vit. S. Remig. remens. Episcop., ap. D. Bouquet, III, p. 373.
[43] Ducange, in v°.
[44] Histor. remens. eccles., II, 11.
[45] Flodoard, Histor. remens. ecclesiœ, II, 11.
[46] XI, Cod. Theod., tit. I, l. 36, et alias passim.
[47] Vit. S. Tygriæ (ap. Bolland, 25 jun.).
[48] Ducange, in v. Remissaria.
[49] C’est du moins la signification qu’il parait avoir dans cinq diplômes accordés par les rois Childebert I, Chilpéric I, Thierry II et Clovis II, à l’abbaye d’Anisole, et rapportés par D. Martenne, dans l’Amplissima Collectio, t. 1.
[50] Cod. Theod., XII, tit. 7, de auri publici prosecutoribus.
[51] Procope, de Bell. Goth., IV, 20.
[52] Greg. Turon, IX, 30.
[53] Je traduis par vieillards, invalides, les debiles, et un peu plus bas, les infirmi du texte. Je lis dans le Code Theod., VII, tit. 20, l. 4 : Intra viginti etiam stipendia dimissus, quoniam imbecilli et debiles censibus non dedicantur, eodem beneficio utantur.
[54] Nous devons donc croire que le roi Dagobert, an lieu d’accorder le privilège, comme le prétend l’auteur de la vie de S. Eloi, ne fit que le renouveler (Ex vit. S. Eligil Noviomens. Episcop., c. 32, ap. Acherium, t. 5, Spicilegii.)
[55] En effet, Grégoire de Tours, c. 29, des Miracles de S. Martin, rapporte, au sujet du roi Charibert, une autre histoire qui prouve pie le peuple de S. Martin était exempt de tout impôt — Un passage de l’Historia ecclesiastica Francorum confirme cette supposition (Greg. Turon, Histor., VII, 42.)
[56] Flodoard, Histor. remens. eccles., II, 21.
[57] Cod. Theod., XIII, tit. 11, l. 7.
[58] Cod. Theod., XI, tit. 26, l. 1.
[59] Cod. Theod., XIII, tit. 11, l. 12.
[60] Greg. Turon, V, 27.
[61] Je traduis ainsi junioribus ecclesiæ, faute d’une expression plus exacte. Le canon 8 du premier concile de Macon appelle ainsi les clercs intérieurs à l’ordre des sous-diacres. V. Sirmond., Concil. eccles. gallic., t. 1. — L’expression se retrouve dans le testament de S. Rémy : Subdiaconibus solidos duodecim, rectoribus, hostiariis et junioribus solidos octo jubeo dari.
[62] Cod. Justin., XI, tit. 48. — C’est la reproduction de la loi 2 du Code Théodosien, XIII, tit. X, de censu.
[63] XII. Cod. Theod., I, 35, et passim, les mots plebei et curiales, mis en opposition.
[64] Il paraîtrait, d’après une loi de Majorien, habilement commentée par Baudi di Vesme, que cette unité imposable était de mille solidi.
[65] XI. Cod. Theod., VII, 11. — XIII, 10, VIII.
[66] Cod. Justin., X, 30. — Plus tard, une loi de Constantin, de l’an 320, fixa à dix-huit ans l’âge auquel le fils d’un curiate devait entrer dans la curie. III, Cod. Theod., tit. 1, l. 7.
[67] Cod. Justin., X, 49.
[68] Cod. Theod., XIII, tit. 10, l. 4.
[69] Cod. Theod., XIII, tit. 10, l. 5.
[70] Digest., L, tit. 15, l. 3.
[71] XIII. Cod. Theod., tit. X, l. 7.
[72] Vita. S. Balthildis, reginæ Francor. (ap. D. Bouquet, t. 3, p. 572).
[73] Cod. Justin., XI, 51, de colonis thracensibus.
[74] Cod. Theod., XI, tit. 1, l. 14.
[75] Cod. Theod., XI, tit. 20, l. 6.
[76] Cod. Justin., XI, tit. 47, l. 10.
[77] Greg. Turon, V, 29.
[78] Cod. Theod., XI, tit. I, l. 6.
[79] Ceci peut servir à expliquer une disposition curieuse de l’édit. de 614. Chlothacharit II edictum ann. 614 (ap. Baluz., t. I.)
[80] Cod. Theod., XI, tit. 2, l. 4.
[81] Digest., L. 15, l. 4.
[82] Greg. Turon, X, 7.
[83] Cod. Theod., XI, tit. 28, l. 3. — On peut lire à ce sujet une Novelle précieuse de Valentinien III. Inter lege novell. Theod. A., tit. 2, ad calcem. Cod. Théodos.
[84] Greg. Turon, VII, 23.
[85] Greg. Turon, Histor., X, 5.
[86] Greg. Turon, Histor., X, 21.
[87] Greg. Turon, Histor., IV, 41.
[88] Greg. Turon, de miracul. S. Julian., 16.
[89] Greg. Turon, de miracul. S. Julian., 16.
[90] De miracul. S. Martin., XI.
[91] Histor., X, 21.
[92] Greg. Turon, de glor. confessor., 41.
[93] Dans le testament de saint Rémy, il est encore fait mention d’un certain Friaredus, tribun (Flod., histor. Remens. eccles., I.). Hludowici I capitula Langobardica (ap. Pertz, t. III, p. 228.)
Les tribuni de l’époque mérovingienne ne sont autres que ceux de la Notitia, quoique leurs fonctions diffèrent peut-être en quelque chose. Voici quelle était la place qu’ils occupaient dans le cadre de l’administration impériale :
Du primicerius, ou chef des notaires impériaux, dépendait toute ta hiérarchie des grades et des dignités civiles et militaires, même les Ecoles du palais et les troupes légionnaires (V, Not. utriusque imperii.) Après lui venait le secundicarius (X. Cod. Theod., X, 2, de petitionibus), qui est aussi appelé dans la loi II du tit. 10, liv. 6 du Code Théodosien, sequens primicerium tribunus et notarius. Ammien Marcellin, l. XXVI, les appelle tous les deux les summates notariorum. Et en effet, c’était de leur autorité que relevaient tous les notarii et tribuni de l’Empire. Il en est tait mention dans les lettres de Symmaque, 30, V ; 36 et 39, X, et au tit. X du Ve liv. du Cod. Théod. J. Godefroy sur le tit. III du liv. I du Code, montre, par de nombreux exemples, que tes tribuns étaient spécialement chargés de porter les ordres du prince dans les provinces, et il les compare aux missi dominici des temps postérieurs. Le rôle que nous les voyons remplir dans Grégoire de Tours s’accorde parfaitement avec cette donnée. Toutefois, les tribuns n’étaient pas seulement des officiers fiscaux ; c’étaient les subordonnés du comte, chargés à ce titre d’exécuter ses ordres, de quelque nature qu’ils fussent. (Ex vit. S. Dalmatii, Ruthan. Epicop., ap. D. Bouquet, III, p. 420.)
[94] Greg. Turon, III, 13.
[95] Sur le passage de Grégoire de Tours.
[96] Marculf., form. VIII, 1. — Il y avait parmi les comtes du palais un comte spécialement chargé de l’administration financière. — Vit. S. Wandregisili abbat. fontanellensis, ap. D. Bouquet, p. 561.
[97] Vit. S. Præjecti episcop. Avernensis, ap. D. Boug., t. III, p. 593. — Un peu plus bas Genesius est appelé Comes.
Dans une autre vie de S. Præjectus, ibid., p. 596, Genesius est appelé vir inctytus et SENATORIA dignitate præclarus.
[98] XI. Cod. Theod., tit. 1, l. 15 ; et XXV, l. unic., de quadrimenstruis brevibus, et alias passim.
[99] XI. Cod. Theod., tit. V, legg. 3, D : Per dimenstrum tempus.
[100] Greg. Turon, V, 20.
[101] Greg. Turon, V, 4.
[102] Vit. Dagobert., reg. 40.
[103] Greg. Turon, de miracul. S., 17.
[104] Vit. Dagobert. reg. 18.
[105] Ex vita S. Remacli, ad ann. 656.
[106] V. Cod. Theod., tit. VII, l. 13, de tironibus.
[107] Cap. III, 87.
[108] Greg. Turon, IV, 2.
[109] Ils ne cédaient que le revenu des cités ; mais ils cédaient quelquefois la propriété absolue des terres du fisc. Cette différence est capitale et ressort très nettement du passage suivant du traité d’Andlaw : Ut quidquid domnus Guntchramnus rex, filiæ suæ Chlotielde contulit, aut adbuc Deo inspirante centulerit, in omnibus rebus atque corporibus, tam civitates quam agri, et redditi in jure et dominatione ipsius debeat permanere ; et si quid vel agris fiscalibus vel speciebus atque præsidio pro arbitrii sui voluntate facere aut cuiquam conferre voluerit, in perpetuo auxiliante domino conservetur, neque a quocumque ullo unquam tempore convellatur.
[110] Greg. Turon, VI, 5.
[111] Greg. Turon, VI, 5.
[112] Greg. Turon, IV, 2.
[113] Greg. Turon, de glor. confess., 63.
[114] Le texte dit patrum vestrorum, honoris causa, sans doute, car Chlotaire et Childebert, dont il est ici question, n’étaient que les oncles de Théodebert.