Affaire des Pyrénées.
— Jean II, Gaston IV et Henri IV. — Jean II engage la Cerdagne et le
Roussillon. — Entrevue de Sauveterre. — Scanderberg et bataille de Troja. —
Siège de Barcelone. — Expédition en Angleterre de Marguerite d'Anjou et de
Pierre de Brezé. — Nouvelle expédition en Roussillon et second voyage du roi
dans le midi. — Jugement du comte de Dammartin. Arrêt sur l'usurpation du
Dauphiné. — Traité de Bayonne. — Entrevue de la Bidassoa. — Louis XI et Jean
II à Saint-Jean-de-Luz. — Troubles de Savoie. — États du Languedoc. —
Ordonnances de 1463.
Le
principal but du voyage du roi était de se rapprocher des Pyrénées. Depuis
longtemps une question dynastique agitait l'Espagne, et Charles VII, trop
occupé dans ses propres États, avait dû y rester étranger. Jean II ayant
épousé Blanche, fille unique de Charles le Noble, roi de Navarre, fut
solennellement reconnu et sacré roi avec son épouse, en 1425. Cette princesse
mourut quelques années après, laissant trois enfants : don Carlos, prince de
Viane ; Blanche, mariée à Henri IV, roi de Castille, et Aliénor, épouse de
Gaston IV, comte de Foix. Jean II s'étant remarié en 1444 à Jeanne Henriquez,
le prince de Viane réclama le trône de Navarre, qui lui revenait du chef de
sa mère, et alluma la guerre civile. Un parti nombreux soutenait Jean II
comme ayant été consacré par la religion et participant aux droits de
l'épouse. Jean, exaspéré de la révolte de son fils et s'en étant emparé,
déshérita ses deux enfants aînés et ne révoqua cette sentence que deux ans
après ; alors il relâcha don Carlos et soumit cette question à l'arbitrage de
son frère Alphonse, roi d'Aragon, qui se prononça contre le prince de Viane
et appela à la succession du trône de Navarre Aliénor et son époux Gaston de
Foix. Alphonse
étant mort l'année suivante, Jean II devint roi d'Aragon et confirma la
sentence d'exclusion de don Carlos et de Blanche, qui s'était réunie à son
frère pour revendiquer ses droits. En appelant Gaston de Foix au trône de
Navarre il se donnait un nouvel appui pour soumettre les Catalans, révoltés à
l'occasion de cette querelle. Ce secours fut loin d'apaiser les esprits, et
l'irritation ne fit que s'accroître quand le roi de Castille vint prêter
main-forte aux séditieux. Le
frère et la sœur, unis dans leur mécontentement, avaient fait espérer à Henri
IV la transmission de leurs droits ; ainsi la guerre civile s'était
compliquée de la guerre étrangère. Le prince de Viane étant mort le 23
septembre 1461, non sans soupçon de poison, la lutte continua en faveur de
Blanche, l'alliée des filles, et une armée castillane envahit une partie de
la Navarre. Telle
était la situation à l'époque de l'avènement de Louis XI. En octobre il avait
écrit à ses chers cousins et amis de Catalogne en leur envoyant Aymar de
Poisieu, dit Capdorat : il regrette vivement la mort de son beau-frère et
cousin le prince de Navarre. Selon les intentions de celui-ci, il les a
recommandés de tout son pouvoir à qui de droit, et son bon vouloir pour eux
leur est acquis. A cet effet, il leur envoie son amé et féal conseiller, un
de ses serviteurs, en qui il a le plus de confiance, afin qu'il les aide le
plus possible de ses conseils. Il est dans l'intention de les assister de son
mieux. Il sait que par leur courage et leur dévouement ils ont droit à toute
sa bienveillance. En ce même temps le roi envoie de Tours des pouvoirs à
Jean, comte d'Armagnac, à Pierre Doriole, son conseiller, et à Nicolas du
Breuil, son notaire et secrétaire, pour aller en Castille renouveler le
traité fait par Charles VII le 10 juillet 1451 Il fut en effet confirmé le 16
mars suivant, tant il désirait conserver la paix. Depuis
son avènement, le roi avait donné commission au maréchal de Cominges, à
maître Jean Dauvet, premier président du parlement de Toulouse, et à Jean
Bureau, trésorier de France, d'aller prendre possession en son nom de
Mauléon-de-Soule, que le comte de Foix, depuis douze ans qu'il en avait fait
la conquête sur les Anglais, retenait en sa main, par le seul droit qu'aurait
donné Philippe VI aux conquérants des places occupées par les Anglais. Gaston
avait atermoyé et simplement demandé qu'il ne fût exercé aucune juridiction
dans le Béarn. Cependant
Louis XI considéra que ce prince pouvait lui être utile pour la conservation
des provinces du midi et aussi peut-être pour l'agrandissement de la France
de ce côté. Outre le mémoire dont il a été parlé, le comte de Foix avait
envoyé au roi le sire de Montbardon, un de ses fidèles serviteurs, avec une
lettre du 9.4 décembre portant prière au roi d'avoir la bonté d'ouïr son
ambassadeur dans les explications qu'il lui donnerait. Louis conçoit donc le
dessein de s'attacher ce prince, et il entre en relation plus directe et plus
intime avec lui. On assure même que le comte, appelé secrètement à Tours, y
vint incognito et fut très-bien reçu au château de Montils. Quoi qu'il en
soit, le roi lui accorda pour le jeune Gaston, alors vicomte de Castellebon,
la main de sa jeune, sœur Madeleine de France, âgée de dix ans, laquelle
avait dû épouser Ladislas d'Autriche, roi de Bohême ; et il lui assura 100.000
écus de dot payables en plusieurs termes. Le 16 janvier, à Lescar, Gaston IV
donna des pouvoirs, pour la conclusion de cette affaire, à Tristan, évêque
d'Aire, à du Bosquet, chancelier de Foix, et à deux autres ambassadeurs,
puis, en prévision de ce mariage, outre le don de plusieurs seigneuries et le
titre vacant de prince de Viane, il cède à Gaston, son fils, ses droits au
royaume de Naples s'il lui advenait. Le
contrat fut passé à Saint-Jean-d’Angély, le 11 janvier, quand Louis XI s'y
rendit ; le roi le signa en son conseil, en présence du maréchal d'Armagnac,
des seigneurs du Lau, de Crussol, de Beauvau, de Jean Bureau et autres. Les
noces furent célébrées à Bordeaux le 7 mars, et le jeune vicomte resta auprès
du roi, attaché à sa personne. Gaston
IV continuait de poursuivre ses affaires. Pour faire face aux Catalans et à
la Castille il fallait à Jean II plus de forces qu'il n'en pouvait réunir ;
il chercha donc par son gendre l'alliance de Louis XI. Après un traité
préalable, signé à Olite en Navarre, le mardi de la semaine sainte 12 avril,
les deux rois convinrent de se voir et de se concerter à Sauveterre, dans le
Béarn, et ils s'y rendirent le 3 mai 1462. De leur entrevue résulta le traité
signé à Bayonne le 9 mai, par lequel le roi donne à Jean II d'Aragon l'appui
de 700 lances garnies pour l'aider à soumettre les Catalans, et de 400 de
plus s'il fallait. De son côté, Jean s'oblige à payer 300.000 écus d'or ; et
pour ce payement il engage au roi les comtés de Cerdagne et de Roussillon,
qui, dit-on, étaient plutôt aux Catalans qu'à lui, surtout Perpignan et
Collioure. Il y était dit aussi que Jean II ferait ses efforts pour amener sa
fille Blanche à entrer en religion et à renoncer à toutes prétentions. La
malheureuse princesse, ayant refusé, fut livrée à Gaston IV et à Aliénor, qui
l'enfermèrent dans le château d'Orthez où elle mourut, peut-être empoisonnée,
vers 1465, après avoir légué, dit-on, par testament ses droits sur la Navarre
à Henri IV, roi de Castille, son époux, qu'elle avait répudié. Dans
cette espèce de vente à réméré du Roussillon et de la Cerdagne, Louis XI dut
envisager l'acquisition précieuse pour la France de deux belles provinces ;
et dans la partie du traité qui concerne un peu la Navarre, il lui fut permis
de se rappeler que cette province avait été, sous plusieurs rois, unie à la
France, qu'elle pouvait l'être encore et que sa sœur Madelaine venait
d'épouser le seul prince qui pût porter le titre de Viane. Il n'était pour
rien dans les malheurs des deux aînés de cette famille, et ne pouvait que
reconnaître le droit d'Aliénor, également fille de Blanche et de Jean II.
Louis n'avait point à s'immiscer dans cette querelle ; il prit les choses où
elles en étaient et ne consulta que l'intérêt de la France. Ne voir
uniquement dans ce traité qu'une connivence contre les droits d'une princesse
de Navarre bien malheureusement déshéritée n'est pas équitable. Le Roussillon
et la Cerdagne devenaient des postes avancés d'où le roi pouvait observer ce
qui se passait en Espagne, s'y créer des relations commerciales ou autres ;
tirer avantage pour nos villes du midi du mouvement industriel de Barcelone,
et, dans le cas où il lui surviendrait quelques difficultés de la part des
villes ou des seigneurs méridionaux, les prendre à revers au besoin et les
tenir en respect. Ceux
qui croient au crime de cette maison de Foix et d'Aragon contre don Carlos et
Blanche[1] remarquent que le comte de
Foix, la comtesse et leur fils moururent tous avant Jean II, ou peu après et
sans avoir porté cette couronne de Navarre si enviée ; on peut ajouter que
Jean lui-même eut une vieillesse bien troublée, et que les deux sceptres
qu'il sut ainsi réunir furent plutôt pour lui une cause de labeurs, de
contradictions et de peines, que de jouissances ; tant il est vrai que les
convoitises de l'ambitieux lui profitent bien rarement Que dire si le crime
s'est mêlé à des traitements si rigoureux ? En supposant même que les jours du
frère et de la sœur n'aient été abrégés par aucun attentat, les sentiments
qui provoquèrent cette lutte ne peuvent qu'être réprouvés par une conscience
honnête. Louis XI, peut-être un peu trop prompt à contracter ses alliances, a
pu voir ensuite quel homme était Jean II. Alors il a dû reconnaître que ce
qui parait avantageux ne l'est pas toujours en réalité ; car nulle guerre ne
lui donna plus de souci que cette lutte des Pyrénées, où ce que l'on croyait
terminé était sans cesse remis en question. Lors de
son séjour à Bordeaux, le roi fit aussi un traité avec Jean de Foix Grailly,
comte de Candale, qui depuis longtemps était attaché aux intérêts anglais.
C'était le meilleur moyen d'affermir notre domination dans le midi. Voulant
réaliser sa promesse et garantie pour une partie des terres et seigneuries
que le captal de Buch possédait en France lors de la première conquête de la
Guienne, il donne donc au comte de Caudale à perpétuel héritage, le 17 mai
1462, les comtés, terres, villes et châteaux de Lavaur et de Girossans,
jusqu'à la valeur do 2.000 livres de rente. Il y eut opposition de la part
des consuls et des habitants de Lavaur, ainsi que du parlement de Toulouse ;
mais le roi, qui tenait à donner toute sanction à sa parole, fit enregistrer
ses lettres à la chambre des comptes en 1468. Le comte de Caudale posséda donc
paisiblement. L'appointement renfermait encore, entre autres conditions, que
le donataire devra obtenir congé du roi d'Angleterre, qu'il servait, et qu'il
ne serait tenu qu'à foi et hommage. Pendant
ce voyage du roi et toute cette année il y eut un nombre considérable d'actes
d'autorité, de faveur et de justice. Le 19 octobre Louis se porte médiateur
entre les ducs de Savoie et de Bourbonnais, et le 7 janvier il donne pouvoir
aux seigneurs de Croy et à Georges Havart, seigneur de la Rosière, de traiter
avec les ambassadeurs d'Édouard. Le 10 juin il écrit au parlement des lettres
de jussion pour enregistrer le don de haute, moyenne et basse justice par lui
conféré au comte de Tancarville. C'était le premier refus d'enregistrement de
cette cour. On voit le roi s'immiscer dans les intérêts les plus minimes
comme dans les plus graves, et déclarer en juin qu'à Limoges il partage avec
l'évêque l'exercice des droits seigneuriaux : dans le différend de ceux de
Tournay avec leur clergé, qui exigeait d'eux une dîme de fèves, il se
prononce, de Paris, 14 juillet, contre les doyens, chapitre et curés. On le
voit encore réformer pour excès commis la règle de l'ordre de Cluny par
l'entremise de l'abbé Jean de Bourbon, annuler en 1462 les actes d'un de ses
commissaires à Aurillac, comme contraires aux droits des habitants, confirmer
en octobre les privilèges des salines de Peccais, écrire pour le jugement des
causes de la chartreuse du Liget, confirmer les immunités de la
Sainte-Chapelle de Paris, et donner à la chambre des comptes jussion
d'enregistrer ses lettres favorables à la ville de Tours et au maréchal comte
de Cominges. Cependant
les affaires allaient mal en Italie. L'ambassade envoyée par Louis XI avait
reçu un bon accueil, non-seulement à Milan, mais aussi à Ferrare et à Venise
; Gênes même annonçait alors de bonnes dispositions ; mais tous les moyens
étaient employés par la cour de Rome pour venir en aide à Ferdinand. Le roi
René n'ignorait rien, et chaque grief venait immédiatement à la connaissance
de Louis XI. L'ambassade solennellement reçue à Rome ne dissimula point le
'mécontentement du roi. Elle fit observer que « l'abolition de la pragmatique
n'était pas chose entièrement consommée ; que le roi de France demandait
naturellement quelque retour de la part du saint-père ; que s'il obtenait que
Sa Sainteté accordât une juste protection à la maison d'Anjou en Italie, ou
du moins ne fit rien contre elle, il se pourrait que, désormais libre de
soins, il lui fût donné de défendre activement la religion contre les Turcs.
» Cette première ambassade, conduite par Joffredi, fut sans résultat. Cependant
les événements avaient marché. Jean de Calabre, n'ayant point profité de ses
deux victoires de Sarno et de San-Fabiano, avait ainsi donné à son adversaire
le temps de reprendre des forces. Alors vivait en Épire un célèbre homme de
guerre, Georges Castriot, vulgairement nommé Seanderberg, qui était la
terreur des Turcs ; le pape l'avait appelé, et il vint avec 800 chevaux.
Ferdinand, avec ce solide secours et les forces dont il disposait encore, se
mit en campagne, et le 18 août 1462, après une lutte acharnée, il gagna la
bataille de Troja. Cette défaite fut décisive pour Jean de Calabre ; il se
retira d'abord dans cette petite place, puis il en sortit, et vit
incessamment diminuer le nombre de ses partisans. Enfin, en 1463, ne croyant
pas pouvoir compter sur Piccinino, son lieutenant, il quitta l'Italie et
revint en Provence auprès de son père. Il avait bien laissé à Gênes Louis de
Laval avec quelques hommes d'armes, mais les factions des Frégose et des
Adorne s'étant réunies contre les Français, ceux-ci trop faibles, avaient été
obligés, non sans une sanglante lutte, de se réfugier à Savone. Louis
XI était occupé aux préparatifs de son expédition en Catalogne quand il
apprit ces fâcheuses nouvelles ; il reçoit en même temps des lettres de la
maison d'Anjou, où on le rend indirectement responsable du malheur de Jean de
Calabre, qu'il eût tant voulu prévenir. Il écrit donc au saint-père pour
exprimer son étonnement avant le départ de son cousin d'Italie. Il ne conçoit
pas que Sa Sainteté empêche la maison d'Anjou de recouvrer le royaume de
Naples. « N'a-t-il pas un parti tout prêt à offrir au neveu de Pie II,
et avec une aussi belle dot que celle que pourrait donner Ferdinand à sa
fille naturelle ? Sa Sainteté préférerait-elle l'alliance du bâtard
d'Alphonse d'Aragon à la sienne ? » Le roi
ne manque pas aussi de rappeler ce qu'il a fait pour le Saint-Siège. Il
charge de cette mission un de ses meilleurs amis, Louis Hugues de Alassipi,
dit de Bournazel, sénéchal de Toulouse, homme ferme et résolu : il lui donne
ses instructions. Ce que les convenances ne lui permettaient pas d'écrire,
son envoyé le dira verbalement : aux reproches se mêlent des menaces plus ou
moins directes. Le pape est peu ému de ces ouvertures. Il soutient son droit
de protéger qui lui plia : selon lui, à la mort (l'Alphonse la couronne (le
Naples appartiendrait au Saint-Siège ; telle était la pensée de Calixte III,
dont on invoquait le souvenir. On n'aurait point dû, dit-il, procéder par
invasion ; et si les prétendants avaient voulu son arbitrage ils devaient
préalablement déposer les armes et se montrer prêts à accepter sa décision.
Ainsi dans sa lettre au roi, dont il charge l'évêque d'Alby, il justifie sa
politique et se plaint même des formes de l'ambassadeur de France[2]. On
conçoit que dès lors la pragmatique et l'opposition du parlement aient eu
raison aux yeux du roi, et que pour décider Louis XI à s'armer contre les
Turcs la mission de Joffroy, alors évêque d'Alby, n'ait pas mieux réussi que
celle de Bournazel à Rome. Le roi pouvait être tenté d'appuyer Louis de Laval
retiré à Savone, et de faire flotter son drapeau à Gênes ; mais dans ce
moment toute son attention se porte vers les Pyrénées. Les
engagements de Sauveterre et de Bayonne ne tardèrent pas à modifier la
situation. Gaston fut nommé capitaine général de l'armée ; Jacques d'Armagnac
commanda les 700 lances promises, et le comte de Foix joignit à cette force
cent vingt hommes d'armes et mille arbalétriers qu'il leva dans ses terres et
arma à ses dépens. Les principaux chefs de ces troupes furent Jean d'Albret,
seigneur d'Orval, maréchal de France ; le bâtard d'Armagnac, aussi maréchal ;
de Crussol, sénéchal de Poitou ; Garguesalle, grand écuyer ; Gaston du Lion,
sénéchal de Saintonge, et Étienne de ; Vignolles, bailli de Montferrand. Jean
de Foix, comte de Candale, tint aussi à honneur de servir dans l'armée de
Catalogne sous Gaston IV, son parent. On vint d'abord à Toulouse, et de là chefs
et troupes se réunirent à Narbonne, lieu du rendez-vous général. On se hâta
de prendre la route des Pyrénées par Sigean. Les
Catalans, en effet, sous la conduite d'un chef hardi et capable, nommé
Palpas, avaient forcé dès 4461 la reine Jeanne d'Aragon à s'enfermer avec son
fils dans la forteresse de Girone, et les tenaient en grand danger d'être
pris. Les rebelles avaient bien offert de se donner à la France ; mais le roi
ne les écouta point. Le Roussillon et la Cerdagne s'étant révoltés et presque
aussi l'Aragon et Valence, Jean II se voyait perdu s'il n'était promptement
secouru, et le Roussillon redevenait espagnol. Le
comte de Foix avait donc trouvé à Narbonne, avec beaucoup de capitaines, plus
de mille lances, cinq ou six mille francs-archers ou arbalétriers, et une
bonne artillerie commandée par Gaspard Bureau. Il est bientôt en présence des
Catalans ; il emploie la ruse pour les faire sortir de leurs retranchements,
et les bat. Leur défaite entraîna la prompte soumission des places. Caret,
plus voisine de Perpignan, se rendit malgré sa bonne garnison. Palhas crut
pouvoir arrêter les Français au pied des montagnes de la Catalogne ; mais
Bolon, au bord du Teck, ayant été pris d'assaut, Rocabert, fils de ce chef,
eut beaucoup de peine à se sauver. La garnison et les habitants furent passés
au fil de l'épée. Cependant
Palhas serrait Girone de plus en plus, et la reine envoyait message sur
message pour hâter l'arrivée du comte de Foix. Une partie de l'armée resta en
Roussillon sous les ordres du sire d'Orval, fils aîné du sire d'Albret, et
l'autre entra en Catalogne, conduite par Gaston. Les Catalans furent
promptement défaits et fort maltraités au col du Pertuis, où l'armée eût pu
être arrêtée par cent hommes d'armes. Figuières ouvrit ses portes et Bascaro
se rendit, donnant aux Français des vivres et des munitions. Pendant ce temps
la reine était réduite aux dernières extrémités ; on marcha en toute hâte sur
Girone. Palhas, à l'approche des Français, décampa et s'alla réfugier à
Ostalric. Ainsi fut délivrée la reine Jeanne par le comte de Foix, gendre de
son époux. De ceux qui avaient pris les armes pour secourir Palhas et avaient
rompu leur ban, le comte en fit pendre trente du nombre des prisonniers faits
à Berges. Il fut aussi victorieux à Torelhes. Là marchaient à la tête de
l'avant-garde le maréchal de Cominges avec le sire de Crussol et les
Écossais. Un capitaine nommé Riquault parait avoir eu les honneurs de cette
rencontre, très-périlleuse à cause de la disproportion du nombre. On ramassa,
dit-on, plus de cinq cents armures sur le champ de bataille. Pallias ne tenta
pas d'autre action, et se retira à Barcelone. Le
comte de Foix, apprenant, la mort du sire d'Orval, son jeune parent, à qui il
avait confié l'armée de Roussillon, dut se replier, et ce mouvement de
concentration fit tomber plusieurs places en son pouvoir. Dans le château de
Montcade, situé sur le haut d'une colline, il prit un consul de Barcelone,
qui avait été barbier du roi d'Aragon « et un des principaux auteurs de la
révolte D. Il le fit pendre avec deux autres, tout aussi coupables que lui.
En marchant vers Saint-André, Gaston rencontra le roi d'Aragon, accompagné du
connétable de Navarre, de plusieurs officiers de distinction et d'environ 4.000
hommes de cavalerie et d'infanterie. L'entrevue fut fort belle ; le roi se
montra joyeux et reconnaissant. ll admira l'armée française, félicita les
chefs de cette expédition ; il s'étonna surtout que, malgré les fatigues et
les difficultés d'une pareille entreprise, on eût pu transporter une si
grosse artillerie à travers les montagnes. Jean
II, enorgueilli par les succès obtenus, ne consulta pas assez la prudence.
Ayant à se plaindre de Barcelone, il voulut en faire le siège. Les Catalans
commençaient à le haïr. N'avait-il pas violé tous leurs privilèges et manqué
à ses serments en introduisant les Français en Catalogne ? Tous, dès l'âge de
quatorze ans, prirent les armes, et ils étaient ainsi plus de 25.000 hommes
bien résolus. Un héraut étant allé les sommer de se rendre, ils osèrent le
tuer. Sur ces entrefaites ils envoyèrent un messager au roi de Castille, lui
persuadant « qu'il était leur légitime prince, que Ferdinand Ier n'étant
qu'un cadet, la couronne d'Aragon lui appartenait du moment que les filles de
Jean ter avaient été exclues ». Le parti des Beaumont parut sur la frontière
du royaume, et Barcelone arbora les couleurs de Castille. Une
armée d'une dizaine de mille hommes ne pouvait investir une place aussi forte
et entièrement accessible par mer. En outre, les assiégés étaient quatre fois
plus nombreux que leurs adversaires. Aussi assiégeait-on depuis trois
semaines sans grand résultat quand les Catalans projetèrent une sortie en
trois corps contre Aragonais, Français et artillerie. Le comte de Foix, qui
pressentait ce dessein, défend le matin d'aller au fourrage. Au début de leur
attaque les Catalans crurent un instant avoir pris l'artillerie. De grands
cris s'élèvent et attirent toute l'armée sur ce point. Alors les assiégés
furent obligés de s'en aller plus vite qu'ils n'étaient venus. Toutefois le
feu des remparts fut vif et il périt du monde. Le comte ne se décourage pas :
la mine souterraine avance ; tout à coup on apprend qu'une armée castillane
approche de la frontière. Vient-elle faire lever le siège ou se dirige-t-elle
sur Saragosse ? Les deux hypothèses sont également à craindre. Jean II était
si peu aimé que les Castillans pouvaient fort bien être reçus à Saragosse.
Alors ils n'avaient qu'à paraître pour faire lever le siège de Barcelone, et
tout eilt été perdu. Le
comte de Foix jugea prudent de partir. La nuit même il emmène l'artillerie,
fait charger le gros bagage, et le matin il met le feu au camp en se
dirigeant vers Villefranche. Cependant il a soin de laisser deux cents hommes
d'armes en embuscade pour tomber à l'improviste sur les ennemis dès qu'ils
sortiraient en désordre, ce qui effectivement arriva ; en sorte que quelques
centaines de Catalans furent tués et un grand nombre emmenés prisonniers.
Devant Villefranche on perdit Castel-Bayart, sénéchal de Bigorre, et Simonet,
ancien page du comte de Foix, tués de sang-froid, quoiqu'ils offrissent une
grande rançon. La ville le paya cher : prise de force, elle fut trois jours
livrée au pillage, et Jean de Cardonne, qu'on y trouva, fut écartelé par
ordre de Jean II. Alors tout ce pays parut soumis. On crut
effacer l'affront de Barcelone en marchant sur Tarragone. C'était encore une
faute. Les habitants se flattaient que les Français achèveraient de s'y
perdre. Ils faisaient des descentes pour harceler l'armée ; mais à plusieurs
reprises ils furent taillés en pièces. Quoique l'artillerie frit excellente,
et lançât des pierres assez grosses pour entamer le mur et écraser des
maisons, on se hasarda beaucoup trop tôt à donner un assaut, puis un second,
et on y perdit bon nombre de braves gens de guerre. Avant l'assaut général,
qui eût encore coûté beaucoup de sang, l'archevêque, frère naturel de Jean
II, demanda qu'on différât au lendemain, promettant qu'on se rendrait. Il
obtint en effet la soumission des habitants moyennant le payement de 30.000
florins pour frais du siège. On se
dirigea alors vers Saragosse : la ville avait des franchises, et ne se
souciait pas de recevoir de telles forces. Elle consentit, pour quelques
jours seulement, au séjour de l'armée, qui y entra conduite par le roi
d'Aragon lui-même, le comte de Foix l'y ayant précédé depuis trois jours.
Elle était fort belle ; on voyait sous les guidons de la grande ordonnance
1,400 archers très-bien montés, le casque en tête, l'arc et la trousse sur le
côté, puis les capitaines des gens d'armes superbement vêtus, montés sur des
chevaux de prix avec des housses fort riches. Le maréchal de Cominges
marchait le premier ; venait ensuite le sire de Crussol, maréchal de Poitou ;
Gaston du Lion, sénéchal de Saintonge ; Garguesalle, grand écuyer ; Stevenot
de Vignolles, bailli de Monder-rand ; La Barde, sénéchal de Limousin ;
Conigham, avec ses Écossais ; d'Urfé, Poncet de la Rivière, chef de la
compagnie du sire d'Orval. Il n'y avait point d'homme d'armes qui n'eût six
chevaux. Après sept mois de campagne l'armée manquait de beaucoup de choses ;
tout leur fut vendu à très-haut prix. Notre
intervention eu Angleterre était loin d'avoir eu pareil succès. Louis XI,
sans vouloir prendre part à cette grande lutte, n'avait point délaissé sa
parente ; il lui avait secrètement fait passer quelques secours ; il écrivit
en sa faveur au roi et à la reine d'Écosse, et lui donna toute permission de
se retirer en France si elle s'y trouvait obligée. Le roi agissait faiblement
et ne pouvait se prononcer. Il savait Édouard et le comte de Warwick en
grande relation avec Jean d'Aragon. Une guerre eût exposé les côtes de France
à la dévastation. On le voit écrire au comte de Foix « qu'il a sait ce
que l'on médite eu Angleterre et qu'il est en mesure ». Les députés de
Warwick ou plutôt d'Édouard IV, qui s'était fait proclamer roi le 5 mars 1461,
étaient venus à Bordeaux ; et le roi, qui ne leur donna nul espoir
d'embrasser leur parti, fit cependant en sorte de les renvoyer satisfaits.
Après son entrevue avec Jean II, apprenant que la reine Marguerite avait
débarqué en France et qu'elle venait à sa rencontre, il écrit à l'amiral de
Montauban de venir se concerter avec lui. ! La
reine Marguerite se croyait encore populaire sinon à Londres, du moins dans
les provinces du nord de l'Angleterre ; elle se faisait un peu illusion,
comme il arrive parfois aux exilés. Enfin elle espérait, et sa confiance
s'appuyait sur le bon vouloir du duc de Bretagne et de Louis XI. Elle arrive
donc à Chinon, où se trouvaient aussi les représentants du parti contraire.
Mais elle intéressait tout le monde, le roi surtout et la reine mère. Le roi
René et le comte Charles du Maine adressaient au roi les plus vives
supplications en faveur de cette femme si courageuse, la fille de l'un, la
nièce de l'autre, leur proche parente à tous. Mais il fallait consulter la
raison d'État. Marguerite demande à lever un ou deux milliers d'hommes pour
former un noyau, et une avance de 20.000 livres. Comme gage de cette somme
elle promet de rendre Calais : son obligation est du 23 juin 1462. Louis y
souscrit volontiers, et charge Pierre de Brezé, sénéchal de Normandie, qui
venait de rentrer en grâce et en son office, de diriger cette expédition. De son
côté le duc de Bretagne tient à Nantes un conseil où assistent le chancelier
Chauvin et les plus notables du pays. Après une vive discussion il fut
convenu qu'on donnerait 60.000 écus à la reine et qu'on déclarerait la guerre
à Édouard. C'était faire beaucoup et aller loin. Louis XI resta dans de sages
limites, et ne se laissa point entraîner par cet exemple. « Songer en tout au
soin de ses affaires, c'est-à-dire de celles de la France, était constamment
sa règle. » Il voyait sans nul déplaisir le duc de Bretagne s'engager dans
cette voie ; toutefois il ne changea rien à sa propre résolution. Il fit
rendre à cette reine malheureuse tous les honneurs de la royauté, et pendant
son séjour à Chinon, la duchesse d'Orléans, Marie de Clèves, étant accouchée
d'un fils, Louis XI le tint avec Marguerite sur les fonts baptismaux. Cet
enfant, qui devait être un jour Louis XII, fut comme sa mère, « un des plus
grands ennemis qu'aient eus le roi et ses enfants[3] ». Le
recrutement des gens de guerre s'opéra donc en Normandie. Pierre de Brezé dut
passer en Écosse avec quelques vaisseaux, et le roi paya son voyage.
Cependant on sut qu'une flotte anglaise de deux cents voiles, ayant quinze ou
seize mille hommes de débarquement, se réunissait à Portsmouth sous les
ordres des lords Falcombridge, Kent et Audley. Le roi resta en Normandie tant
qu'il sut que la flotte était dans la Manche, et accorda aux villes normandes
beaucoup d'immunités. Alors il prépara pour le sire de Brezé et la reine tous
les moyens d'embarquement, et ii écrivit au vicomte de Pont-Audemer en
traitant Édouard de sujet rebelle et de soi-disant roi. Puis, ayant su que
cette flotte menaçait toutes nos frontières de Saintonge et de Bretagne, il
resta dans le Poitou, fit marcher les milices de ces contrées vers les côtes,
et se prémunit si bien, que cette grande manifestation fut sans résultat. Le
malheur semblait s'attacher à la reine Marguerite. Elle partit avec Pierre de
Brezé et 2.000 hommes. Ce secours aurait suffi si le nord de l'Angleterre lui
eût été aussi favorable qu'elle se l'imaginait. Mais ses défaites avaient
refroidi les partisans de la rose rouge. A son grand étonnement, le fort de
Tinmouth tira sur elle : car elle avait débarqué en octobre dans le
Northumberland. Il fallut se remettre en mer ; à peine y fut-elle, qu'une
affreuse tempête s'éleva. Son vaisseau fut poussé à Berwick, ville écossaise
; plusieurs navires échouèrent au-dessous de la côte d'Angleterre. Brezé se
jeta dans Holyland ou Lindisfarne, sur la côte de Northumberland, un peu
au-dessous de Berwick. Là, après avoir
brûlé ses vaisseaux, il s'enfonce dans Alnerwick avec le peu d'hommes qui lui
restaient, et s'y défend vigoureusement. Enfin Douglas, comte d'Angers, vient
avec quelques cavaliers à son secours, et le délivre. Comment
Marguerite eût-elle réussi ? Les Écossais, en lesquels elle espérait, étaient
eux-mêmes divisés par une guerre civile. Jacques II ayant été tué au siège de
Roxborough, le 3 août 1460, la reine, Marie de Gueldres, dont le fils n'avait
que sept ans, prit les rênes du gouvernement. Cette minorité d'abord paisible
fut ensuite troublée de plusieurs séditions. Le saint-père lui-même, dès les
premiers succès d'Édouard le félicita d'être arrivé par la bonté divine à
cette haute puissance — ad tantum regni fastigium —. On oubliait ainsi
que Henri VI, roi naguère de deux royaumes, était errant et fugitif. Marguerite,
réduite aux forces de son parti, revint donc en Angleterre avec quelques
aventuriers. Sommerset et Perey étaient venus rejoindre le roi et la reine.
Mais autour d'eux s'assemblent plutôt des pillards que des soldats prêts à se
battre. On n'avait plus d'argent pour leur solde. Il fallut pour vivre
rançonner le pays et fermer les yeux sur le pillage. Le comte de Perey fut
tué en combattant. Montaigu, chef des Yorckistes, marcha droit sur Exham, où
Henri VI se croyait fortement retranché dans son camp. Il le força, prit
Sommerset, qui eut la tête tranchée, et plusieurs autres chefs. Le roi et la
reine se sauvèrent de divers côtés vers l'Écosse. Henri, voulant, dit-on,
rentrer incognito en Angleterre, fut reconnu dans le pays de Galles, pris et,
après bien des ignominies, enfermé dans la tour de Londres. Jacques
Haryngton, principal auteur de cette capture, reçut, par édit du 29 juillet
1465, une splendide récompense. Quant à
Marguerite, elle erra dans les forêts, infestées de brigands, avec son fils,
le prince de Galles. Après plusieurs mauvaises rencontres, se trouvant face à
face avec un voleur : « Tiens, mon ami, lui dit-elle, sauve le fils de ton
roi. » Elle fut, en effet, conduite par lui au bord de la mer, et y trouvant
par bonheur un frêle esquif, elle s'y embarqua et vint aborder à l'Écluse, le
24 août, en très-mince équipage. Il était alors question d'une trêve entre le
duc Philippe et Édouard, et l'on attendait les ambassadeurs anglais. La reine
Marguerite eût bien voulu traverser cette négociation et se trouver en
présence de ses députés ; mais le duc lui envoya Philippe Pot, son intime
conseiller, pour la détourner de venir à Saint-Omer, où les ambassadeurs
devaient se rendre. Le duc de Bourgogne lui témoigna néanmoins beaucoup de
bienveillance, lui donna 2.000 écus, dont elle avait grand besoin, ajouta
quelques libéralités à l'adresse des dames de sa suite, et la fit
honorablement conduire à Toul, d'où elle alla rejoindre sa famille de
Lorraine. Elle resta sept ans dans le duché de Bar avec le prince de Galles,
entièrement occupée de l'éducation de son fils. On vit
alors les familles notables du parti de Lancastre et des hommes connus de
toute l'Europe, tels que les ducs d'Exeter et de Sommerset, le frère même de
celui qui avait été récemment décapité, errer sans aucune ressource en France
et aussi au nord dans les États de Bourgogne. Quelle leçon quand on songe «
qu'ils étaient les fils[4] de ces seigneurs qui, trente
ans « auparavant, avaient conquis le royaume de France et s'y gouvernaient
avec tant d'orgueil ! » C'était en effet un bien remarquable retour
des choses d'ici-bas, et un exemple bien frappant des voies de la Providence.
Ni le roi ni le duc ne furent insensibles à leurs infortunes ; ils ne virent
en eux que les victimes d'une soudaine révolution, et leur accordèrent les
secours que réclamait leur situation. Il
s'agissait toujours avec le duc Philippe de l'interprétation du traité
d'Arras. Les négociations, selon le caractère des envoyés de Bourgogne,
prenaient même parfois un peu d'aigreur par l'insistance qu'on mettait à
repousser certaines mesures d'ordre que le roi croyait avoir le droit
d'introduire dans les pays où les deux juridictions seigneuriale et royale
étaient en vigueur, et qu'il avait fait accepter, sans trop de difficulté,
partout ailleurs. On rapporte qu'un jour le roi, impatienté des plaintes qu'on
lui faisait et de l'amertume qui s'y ajoutait, répliqua avec vivacité :
« Mais est-ce que le duc de Bourgogne est d'une autre nature et d'un
autre métal que les autres princes et seigneurs du royaume ? » Ce à quoi Jean
de Croy, sire de Chimay, crut devoir répondre en faisant allusion aux
services que le duc Philippe avait rendus au roi lors de son exil. Or il
s'agissait d'une défense générale de donner aide aux Anglais sur toute
l'étendue des côtes et de commercer alors avec eux. Dans ces moments si critiques
pour la reine Marguerite la différence de politique était évidente : Louis XI
se gardait des Anglais ; le duc était occupé de traiter avec eux. Avec la
Bretagne les relations n'étaient pas moins délicates. Vers la fin de novembre
1462 vint une députation du duc François Il pour faire au roi des
remontrances contre la juridiction pour appels en ses États. Ce point était
difficile à régler, car sur toutes les marches de Bretagne et des provinces
de France il y avait des terres, seigneuriales ou non, tenant à la fois de la
juridiction ou de la coutume des deux pays ; on en citait même ayant
privilége ou exemption de l'une et de l'autre part à la fois. Beaucoup
d'autres affaires furent recommandées aux ambassadeurs, entre autres un
anoblissement d'un nominé Guillaume Caraboë, avec concession de pouvoir
succéder en un manoir noble, à son oncle Jean Lober. Ainsi le duc aurait eu
le droit d'anoblir, sous condition de contrôle, et ce prince s'en arrogeait
un autre encore plus dangereux ; car le 9 octobre 1462 il avait accordé par
lettres patentes à Richard d'Espinay la confiscation des biens de Théaude de
Chateaubriant, « afin qu'il en jouisse c comme le duc lui-même ». Cette
année le roi mit fin à un des scandales du temps. On sait que plus d'une fois
l'université, par abus de ses privilèges, avait suspendu les prédications et
les exercices d'école sans motifs suffisants. Sur la demande du roi, Pie II
défendit à l'université, sous de graves peines, un tel abus de pouvoir par sa
bulle du 13 février, à moins qu'elle n'eût pris l'avis de l'archevêque de
Sens et des évêques de Beauvais et de Paris. Nous mentionnerons encore les
actes par lesquels le roi accorde en août une charte à l'évêque du Puy, abbé
de Cluny ; en septembre il donne le domaine de Rochefort à Olivier de Coëtivy
et à Marie de Valois, son épouse, en compensation des terres de Royan ; en
novembre il fait don, gratuitement paraît-il, à Philippe de Bourgogne, de ses
droits sur le duché de Luxembourg ; et cependant on avait à faire le rachat
des villes de Picardie. Le
calme que les troupes françaises avaient rétabli en Catalogne et dans le
Roussillon ne fut pas de longue durée. Les. Catalans se révoltèrent de
nouveau, et l'on apprit qu'ils assiégeaient Canet. Leur irritation allait
toujours croissant : accoutumés, avec leurs comtes de Barcelone, électifs
jusqu'à 1412, à une existence politique indépendante, ils ne pouvaient
endurer un assujétissement qu'ils regardaient comme honteux. Aussi un grand
nombre prenaient-ils les armes. Il fallut que le lieutenant général du
Languedoc Clermont-Lodève et les sénéchaux de Carcassonne et de Limousin
vinssent prêter main-forte sur différents points aux garnisons françaises. Après
la campagne de Catalogne, Jean II eût bien voulu conduire ses auxiliaires de
France contre les Castillans ; mais il y avait alliance entre Louis XI et
Henri IV. D'ailleurs les Français ne s'étant engagés que contre les Catalans,
et ceux-ci étant soumis ainsi que le Roussillon, leur mission était remplie.
On avait encore d'autres preuves de la perfidie de Jean II ; il essayait
sourdement d'attirer les armes de l'Angleterre contre la France, et pour y
réussir il avait envoyé à Édouard IV un gentilhomme aragonais, nommé Boxados.
Ce dernier avait été pris, et l'on connaissait l'objet de sa mission. Louis
XI n'ignorait pas non plus tous les efforts tentés par le roi d'Aragon pour
mettre la désunion entre le roi de Castille et lui. Mais dans les circonstances
présentes il n'en fit rien paraître. Pour mieux s'assurer de l'amitié de
Henri IV, Louis XI lui avait envoyé son maître d'hôtel dit le Boursier
d'Espagne, puis le sénéchal de Toulouse, Hugues de Bournazel ; il chargea
ensuite un de ses conseillers, Philippe Royer, d'aller informer Jean II des
conventions faites entre le roi de Castille et son dernier ambassadeur. La
ville de Perpignan s'était soulevée à l'instigation du roi d'Aragon, et
tenait la garnison française assiégée dans le château. Évidemment, ce prince
sans foi visait à jouir du bénéfice des troupes françaises, tout en gardant
ses provinces et son argent. Il songeait aussi à ôter à ses sujets révoltés
l'assistance de la Castille, et il s'adressa pour cette fin au roi de France,
médiateur accepté de Henri IV. Louis
XI d'abord dut envoyer en Roussillon, en novembre 1462, 800 lances, qu'il fit
partir sous le commandement de Jacques de Nemours. Il lui avait fait épouser
Louise, fille du comte du Maine, son oncle : étant ainsi la nièce de Marie
d'Anjou et petite-fille d'Yolande d'Aragon, elle pouvait à quelque titré,
dans tin pays d'hérédité non salique, avoir des prétentions à la couronne de
Navarre. Il avait élevé récemment Jacques d'Armagnac à la dignité de duc et
pair, honneur réservé aux princes du sang ; et malgré l'opposition manifestée
le 15 mai, il maintint ce titre par lettres de jussion du 12 juin. Dans
les cas pressants, les ordres de Louis XI étaient pleins d'énergie et de
précision. Apprend-il qu'une conspiration est sourdement ourdie à Perpignan,
voici ses instructions à un de ses officiers : « Vous êtes sur le lieu ;
partez, si vous n'y êtes déjà allé. Examinez. Si vous trouvez que ainsi soit,
faites-en faire justice du plus grand jusques au plus petit. Dans tous les
cas vous pourriez aviser sur ceux de qui vous aurez suspection ; et au besoin
me les envoyer incontinent sous ombre de se venir excuser. Au regard des
vicomtes dont il est parlé, dites au beau cousin de Nemours de les envoyer
incontinent devers moi, et de ne leur bailler point les places qu'ils
demandent. Mettez toute l'artillerie dans le château de Narbonne, si elle n'y
est. Je vous prie de ne pas faillir à ce besoin ; mais demeurez jusqu'à ce
que la chose soit hors de danger, et que vous ayez toute satisfaction. » Le roi
part de Touraine vers Noël pour se rapprocher des événements du midi. Il
nomme lieutenants généraux du royaume pendant son absence Charles de Melun,
bailli de Sens, et le sire de Beauvati, seigneur de Précigny. Il prend sa
route par Poitiers sans aucun appareil. De là il va à la Rochelle, où il
rencontre sa mère. Elle avait voulu aller en pèlerinage à Saint-Jacques de
Compostelle en Espagne, pour s'assurer si le vœu des rois de France
d'entretenir perpétuellement deux cierges allumés devant l'autel était bien
réellement exécuté. C'était la dernière fois qu'il lui était donné de la
voir, car elle mourut à Poitiers en revenant de ce voyage. Le 6 janvier le
roi arrivait dans le Médoc, et y recevait des nouvelles de son armée des
Pyrénées. Le duc de Nemours lui mandait « que le 7 janvier le fort élevé
contre le château de Perpignan par les habitants avait été emporté d'assaut ;
qu'on avait empêché les troupes d'entrer alors dans la ville, de crainte du
pillage qui paraissait inévitable ; que les habitants étaient venus faire
leur soumission le lendemain, 8 janvier ; qu'après avoir reconnu leur faute
ils demandaient grâce au roi par son entremise ; que le dimanche 9 les
consuls et le 10 les bourgeois s'étaient jetés à genoux devant lui, criant
merci les mains jointes, et qu'ils avaient fait serment de lui être fidèles.
» Le roi ratifia les promesses du duc, et le Roussillon fut encore une fois
soumis. Il nomma le comte de Candale son lieutenant général pour le
commandement du pays et du corps d'armée qu'il y laissait ; il donna au
seigneur de Montpeyroux la charge de viguier de Roussillon et de Valespire ;
et plus tard, en octobre 1463, le château de Bellegarde s'étant soumis, il
lui en conféra le commandement. Louis, suivant son habitude de donner aux
églises quand il avait obtenu un succès, fit présent pour cette victoire de
1,200 écus d'or de la valeur de 1,670 livres à la collégiale de Saint-Martin
de Tours, et de pareille somme à l'abbaye de Notre-Daine de Selles en Poitou.
Il resta encore dans le Médoc pour préparer, par les moyens diplomatiques en
usage, les rapprochements, indemnités et conciliations qu'il méditait entre
les peuples et surtout entre les princes, accoutumés à se méfier les uns des
autres. Dans ce but il envoya l'amiral de Montauban à Henri IV, alors à
Almaçan, avec plein pouvoir pour prolonger la trêve jusqu'à un mois après
l'entrevue des souverains. Alors aussi les trois états de Guienne supplièrent
le roi d'y établir un parlement. De Bordeaux à Toulouse, en effet, la
distance était grande. Il y consentit, et le 10 juin 1462 de Chinon parurent
les lettres qui instituaient cette cour, « lui attribuant pour ressort les
pays et sénéchaussées de Gascogne, Guienne, Landes, Agenois, Bazadois,
Périgord et Limousin. » Pendant
son séjour à Bordeaux le roi reçut la visite inattendue d'Antoine de
Chabannes, comte de Dammartin, ancien serviteur de Charles VII. On sait que
Louis XI avait restitué à Geoffroy Cœur, son échanson, « la seigneurie de
Saint-Fargeau, le Coudre, la Pierreuse et autres, et la baronnie de Toussi
qui avaient appartenu à Jacques Cœur. Antoine de Chabannes, qui fut un des
juges, s'était fait adjuger lesdits biens pour la somme de vingt écus, »
ainsi qu'on le voit par une pièce extraite d'un inventaire des ordonnances de
Louis XI. A son tour il avait pour ennemi Charles de Melun, gendre du baron
de Montmorency et l'un des hommes en qui le roi témoignait le plus de
confiance. Charles de Melun convoitait la fortune du comte de Dammartin,
surtout la terre de Saint-Fargeau. Sachant que Louis XI devait en vouloir au
comte, il s'entendit avec les héritiers de l'argentier pour engager des
poursuites contre Chabannes. D'ailleurs, les biens mêmes sous le séquestre
étaient commis à sa garde. On accusait le comte d'avoir, par toutes sortes de
calomnies, de diffamations et de damnables rapports, entretenu avec ardeur la
division entre le père et le fils, fomenté les haines, causé les persécutions
infligées à Louis, et d'être ainsi l'auteur de tout ce que le dauphin avait
souffert, de son éloignement de la cour et surtout de sa sortie du Dauphiné.
Chabannes fit défaut à toutes les citations de justice ; mais, sachant les
trames qui s'ourdissaient contre lui, il désirait se recommander auprès de
ceux qui jusque-là lui avaient montré zèle et empressement. Un seul de ses
serviteurs, resté fidèle, nommé Voyant, consentit à risquer ce périlleux
message. Chabannes l'envoya donc fort secrètement à Avesnes, avec quatre
lettres pour le duc de Bourgogne, Joachim Rouhaut, l'amiral de Montauban, et
Boniface de Valpergue. Ayant été fort mal reçu des deux derniers, le bon
serviteur commençait à se décourager quand il fut aperçu du sire de Reilhac,
qui était passé secrétaire du roi Louis. « Comment, lui dit celui-ci,
vous avez abandonné votre maître, qui est probablement aujourd'hui dans une
grande inquiétude ? » Voyant prit alors soudain confiance, et lui expliqua en
secret les anxiétés du comte. Reilhac les connaissait mieux que personne, et
montra même à l'envoyé plusieurs demandes des courtisans qui espéraient la
confiscation des biens de Chabannes. Il ajouta : « Dites-lui que je n'ai
rien oublié de ce que je lui dois, et que je le servirai de tout mon pouvoir.
Qu'il se tranquillise, qu'il songe à sa sûreté et qu'il attende ; en peu de temps
tout s'arrangera. n Joachim Rouhaut lui témoigna toute sa sympathie, et lui
donna même pour Chabannes, son vieil ami, une petite lettre que le fidèle
serviteur cacha soigneusement. « Qu'il attende ! n est le dernier mot du
maréchal. Le duc de Bourgogne avait été inaccessible. Le
comte de Dammartin fut bien joyeux de ces nouvelles ; il se déroba de son
mieux aux regards do ses ennemis, et resta, dit-on, quelque temps dans le
Limousin, au château de Chalus. Le duc Philippe avait reçu sa lettre, et,
sachant apprécier la valeur de ce vaillant capitaine, il chercha, mais bien
inutilement, à se l'attacher. Impatient de cette situation équivoque,
Chabannes prit la résolution d'aller trouver le roi à Bordeaux ; ce dut être
vers le 16 mars 1463. Le moment n'était pas heureux, le roi commençant à
entrevoir les difficultés que lui ménageaient les grands de son royaume. Le
comte fut introduit auprès de lui par le sire de Bort, un de ses écuyers.
Louis fut surpris. « Comment ; après ce qui s'est passé, osez-vous vous
présenter devant moi ? — Sire, dit le comte en se jetant à ses pieds, je n'ai
jamais songé qu'à servir le roi, qui était mon seigneur et maître comme vous
l'êtes aujourd'hui, et je ne vous ai point desservi quand vous étiez dauphin.
— Que demandez-vous ? justice ou miséricorde ! — Sire, j'aime mieux justice.
— Eh bien, puisque c'est ainsi, je vous bannis pour toujours de mon royaume.
» Alors,
comme Chabannes lui représenta qu'il n'avait pas seulement de quoi sortir de
Bordeaux, le foi lui fit compter, non pas 1,200 écus comme on l'a dit, mais
120 écus d'or pour son voyage et 12 livres 10 sous tournois pour les archers
qui le conduiraient en Allemagne. De plus l'écuyer, sire de Bort, fut cité au
parlement de Toulouse, et suivant les registres de cette cour, « le samedi 18
juin 1463 Charles de Bort, écuyer, seigneur de Pierrefitte, fut, à la requête
du procureur général, condamné à demander merci au roi publiquement, à
l'issue de la messe, à genoux, la tête découverte et sans ceinture, disant
qu'indiscrètement il a accompagné en la ville de Bordeaux, dans les hôtel et
chambre où était le roi, et jusque devant sa personne, Antoine de Chabannes,
comte de Dammartin, et lui en demande pardon. » Le fait se passait, dit-on,
dans la semaine sainte. Cela s'accorderait avec la présence du roi à Bayonne
le jour de Pâques. Mais si, comme l'assure l'abbé Legrand, Chabannes erra
réellement quelque temps en Allemagne avant de venir se constituer
prisonnier, il faudrait attribuer sa visite au premier voyage du roi à
Bordeaux. Contre
la maxime non bis in idem, le procès du comte n'en fut pas moins continué.
Chabannes étant venu se livrer lui-même au bailli de Mâcon, il fut mis en
prison. Une pièce authentique porte que du 9 août 1463 au 19 il fut enfermé
dans la Conciergerie avec son clerc et deux huissiers du parlement. Dans ce
procès on rapporte que Charles de Melun, ayant été chargé par le roi de
remettre au procureur général une enquête très-favorable au comte de
Dammartin, faite à Asti par maître Doriole, alors conseiller au parlement, il
osa supprimer cette pièce[5]. L'arrêt
du parlement du 20 août 1463 déclare le comte coupable de tous les crimes qui
lui étaient reprochés, qualifie de fausse et calomnieuse la déposition qu'il
avait faite devant le chancelier en 1446 ; le condamne à un bannissement
perpétuel comme convaincu de lèse-majesté, et à la confiscation de tous ses
biens. Une autre pièce donne par erreur à cette sentence la date du 2 juillet
1464, or cette année le 2 juillet se trouverait un lundi. L'arrêt porte « que
la cour, avant de prononcer la peine, a reçu une lettre du roi qui, préférant
miséricorde à justice, avait remis la peine de mort au coupable » : son
bannissement fut encore commué en la peine de tenir prison à la Bastille,
d'où l'année suivante il réussit à s'évader au commencement de la guerre du
bien public. Les
préliminaires de conférences durèrent plus longtemps que Louis XI n'avait
pensé. Le roi se rendit vers Pâques à Bayonne. Alors le comte de Foix,
Aliénor de Navarre, son épouse, et leur fille Marie vinrent l'y trouver. « Ce
prince parut à la cour avec une suite magnifique » Toutes les voies ayant été
aplanies par l'arrivée de Castille du sire de Montauban, les envoyés se
réunirent. Ceux de France étaient les sires de Cominges et de Crussol, pour
l'Aragon l'archevêque de Saragosse et Pierre Peratte, sire de Lanuça, homme
fort capable et employé dans les plus graves affaires. C'est alors que le roi
apprécia le mérite de cet homme d'État et se l'attacha par une pension qu'on
porte à 20.000 livres, chiffre probablement exagéré. Henri IV eut aussi ses
représentants et les conférences furent présidées par Louis XI. Dans cette
réunion Jean Il se fit personnellement remplacer par Jeanne Henriquez, sa
femme, qui répondit avec beaucoup d'esprit et de finesse aux prétentions
exagérées des délégués du roi de Castille, « qu'il fallait surtout considérer
ce qui s'était passé en Catalogne et en Navarre ; qu'au fait le roi son époux
avait plus à se plaindre que Henri IV. Jean Il et elle-même devaient beaucoup
à Louis XI : il les avait secourus contre leurs sujets rebelles ; elle
voudrait que le lien le plus étroit réunit les deux couronnes de France et
d'Aragon, mais elle regrette que dans le Roussillon et la Cerdagne le roi de
France fasse rendre la justice en son nom : elle ne croit pas que la France
ait le droit de considérer ces deux comtés comme lui appartenant, puisqu'ils
lui sont seulement engagés ». Il y avait dans ce peu de paroles justesse et
mesure. Enfin,
après d'assez graves discussions, les bases d'un traité furent posées par le
roi en ces termes : Le roi de Navarre tiendra le roi de Castille quitte de ce
qu'il prétend lui être dû pour certaines terres situées en Castille et pour
toutes les prétentions que Henri IV pourrait avoir sur le trône de Navarre,
tant à cause de la dot et du douaire de Blanche, autrefois sa femme, que pour
ses avances à l'effet de soutenir le prince de Viane. Jean II lui cédera en
indemnité le mérindat d'Estelle, ville et château compris. Il payera au roi
de Castille 32.000 pistoles et pardonnera aux Catalans qui avant trois mois
seront rentrés dans le devoir de soumission. Henri IV, de son côté, renoncera
à toute prétention sur la Navarre et, excepté certains lieux désignés,
restituera tout ce qu'il détient. Il cédera au roi d'Aragon la Catalogne et
Barcelone, sans être obligé de remettre ledit roi en possession, mais
seulement d'y coopérer sincèrement ; et il promettra, comme le devra
promettre Jean II en ce qui le concerne, de respecter les lois, usages et
franchises des pays qui lui auront été concédés. Les difficultés qui
pourraient s'élever de part et d'autre sur l'exécution de ces conventions
seront jugées souverainement par des commissaires nommés des deux parts à cet
effet. Enfin, trente-cinq jours après la signature du traité, les rois de
Castille et d'Aragon proclameront une amnistie générale. En
confirmation de cet arrangement, certains personnages dont on croyait la
présence incompatible avec l'ordre sont expatriés. On en nomme plusieurs :
Jean de Beaumont, Jean de Ixar, Jacques d'Aragon, Louis, fils du connétable
de Navarre, Ferdinand de Boléa, Charles d'Antieda : ils pourront, s'ils
veulent, vendre leurs biens et s'établir ailleurs ; s'ils les gardent ils
seront tenus de les faire régir par des hommes agréables au roi d'Aragon. Telle
fut la décision arbitrale de Louis XI ; et quoique le chancelier maître de
Morvilliers fût du voyage et qu'il ait travaillé à ces conventions, il est
néanmoins certain que pour cette politique, comme pour tout autre
appointement, le principal mérite des combinaisons revient au roi lui-même.
On le voit encore à Bayonne le 23 avril ; alors il en partit avec son frère
le duc de Berry, le comte et la comtesse et leur fils le prince de Viane, les
comtes de Dunois et de Cominges, le duc de Bourbon, le sire du Lau et
d'antres seigneurs de la cour, pour se rendre à Andaye, près Fontarabie, en
sa simplicité accoutumée. Henri IV, au contraire, y vint avec un magnifique
cortége, croyant se rehausser en étalant un luxe oriental. On remarqua
surtout l'or, les pierreries et les riches étoffes dont étincelaient Bertrand
de la Cuéva, principal ministre du roi et grand maître de Saint-Jacques, et
ceux de sa suite, tels que Jean Pachéco, marquis de Villena, et Alonzo
Carillo d'Aciiiia, archevêque de Tolède. L'entrevue
se fit au bord de la Bidassoa, à la fin d'avril ; alors étaient en présence
deux hommes bien différents : l'un, trop fidèle à l'usage de son temps,
s'attachait à l'étiquette, aux choses superficielles, n'etait guidé que par
la vanité et en toutes choses sérieuses se laissait conduire par quelques
conseillers ayant sur lui un pouvoir absolu par son défaut de réflexion et de
capacité ; l'autre au contraire, avec sa cape grise et simple en son
extérieur, ne faisait ni ne voyait rien comme les autres souverains de son
époque, cherchait à pénétrer le fond des choses, appréciait les hommes par
leur valeur réelle et les circonstances en vue de l'avenir, restait toujours
lui-même, consultant sans doute les hommes habiles, mais décidant de tout de
son chef ; enfin, il était rempli de grands desseins et ne connaissait de
mobile que ce qui pouvait un jour concourir à la gloire et au bonheur de la
France. Les
conventions faites à Bayonne furent alors signées et ratifiées par les deux
rois, dans cette entrevue qui ne dura guère plus d'un quart d'heure,
assure-t-on ; puis ils convinrent d'aller ensemble à Ustaritz, visiter dans
sa résidence la reine Jeanne d'Aragon. Ils partirent presque aussitôt pour
s'y rendre, comme la reine était venue pour les y recevoir. Bindant ces jours
d'entrevue, les seigneurs superbes et dédaigneux de la cour de Castille ne
cessèrent de gloser et de tenir des propos malicieux sur l'extérieur modeste
du roi de France et de ses compagnons de voyage, qui l'imitaient. Comme tout
mépris dégénère en licence, ils ne tardèrent pas à exercer leur violence
contre leur souverain lui-même ; ils préludèrent bientôt aux révoltes
féodales qui firent tant de niai en France. Henri
IV, malgré bien des mécomptes, n'avait encore connu que les douceur3 de la
royauté. Sa conquête de Gibraltar sur les Maures lui fut inutile. En 146 :1
les grands de Castille se révoltèrent contre lui et allèrent jusqu'à le
déposer, et plus tard, après d'amères vicissitudes, malgré son testament
formel et les droits positifs de la princesse Jeanne, sa tille, issue de son
mariage avec Jeanne de Portugal, la sédition aristocratique donna le sceptre
de Castille et de Léon à Isabelle, sa jeune sœur, qui porta ses deux
couronnes dans la maison d'Aragon par son union avec Ferdinand, fils de Jean
II. Ajoutons encore que plus tard, pour envahir la Navarre, Ferdinand s'est
prévalu de la donation par testament de Blanche à Henri IV, tant la force et
l'ambition sont ingénieuses à trouver des prétextes ! Si les
grands de Castille s'égayaient aux dépens de Louis XI et de sa suite, les
seigneurs français ne tarissaient pas de railleries contre le roi espagnol, «
qui était laid et de mauvaise façon, ne montrait ni esprit ni volonté, et se
laissait conduire absolument par ses conseillers, surtout par son favori
Bertrand de la Cuéva, homme de petite condition devenu riche et puissant en
gouvernant le roi[6]. » Louis XI ajouta à sa
visite plusieurs actes de munificence et de courtoisie : il envoya à la reine
d'Aragon les meilleurs produits du sol et de l'industrie de la France. Parmi
ses libéralités il aurait donné 200 marcs d'argent au secrétaire Alvarogomez et
à peu près autant au bachelier Rodrigue, du conseil du roi de Castille. Ses
présents auraient aussi été adressés à Bertrand de la Cuéva et aux autres
ministres influents du roi Henri, à l'archevêque de Tolède et au marquis de
Villéna. Quand on examine son budget il est permis de croire que l'on a
beaucoup exagéré ces dons ; cependant il est certain qu'il connaissait
très-bien, dit Comines, « toutes gens d'autorité et de valeur » qu'il y
avait dans tous les royaumes, aussi bien que ses propres sujets, et qu'au
besoin il savait aussi bien les récompenser ou les attirer à lui. Afin de
donner au traité l'appui moral de son autorité, Louis XI envoie à Barcelone
l'archevêque de Bordeaux pour exhorter les Catalans à se soumettre aux
conventions de Bayonne. Dans la lettre du 8 juin suivant, que les Catalans
écrivaient de Barcelone au roi, il n'est point parlé de cette mission, mais
ils s'y montrent polis et obséquieux ; ils lui annoncent que les Français
détenus sur leurs galères ont été délivrés, et sur leurs sentiments à son
égard ils le prient de s'en rapporter au témoignage de son héraut Normandie.
Outre cette sage intervention, Louis se prêta plus directement encore au
maintien de la paix : comme il était le 3 mai à Saint-Jean-de-Luz, le roi
d'Aragon vint l'y trouver[7] pour lui faire quelques
observations. « Le mérindat d'Estelle, disait-il, faisait partie du royaume
de Navarre, dont la comtesse de Foix et le prince de Viane son fils étaient
héritiers présomptifs. » Louis XI consentit encore à faire les frais de cette
conciliation, et par lettres patentes écrites de Muret en Cominges, le 24 mai
1463[8], il précise lui -même ses
volontés. Louis
XI rappelle que le roi d'Aragon, son oncle et allié, l'a d'abord informé du
soulèvement de la Catalogne et de Barcelone ; que sans préjudice de son
alliance avec son frère, cousin et allié, le roi de Castille, il lui a donné
assistance l'an dernier ; que le roi de Castille avait au contraire, avec un
assez grand nombre de troupes, donné aide aux séditieux, et qu'ainsi s'était
élevé un grave différend entre les rois de Castille et d'Aragon. Désirant de
tout son cœur apaiser ces débats tout en conservant de bonnes relations avec
Henri IV, il a, dans un but de conciliation et de dédommagement entre les
parties intéressées, donné au roi de Castille le mérindat d'Estelle, un des
principaux membres du royaume de Navarre ; qu'ensuite, en considération de ce
que le comte la comtesse de Foix et leur fils, époux de sa chère sœur
Madeleine, doivent succéder audit royaume de Navarre, il a, par lettres
patentes, cédé à sesdits cousins et cousines de Foix, par compensation, outre
la seigneurie de Mauléon de Soule, ses droits sur les comtés de Roussillon et
de Cerdagne ; et que, par impossibilité de leur bailler actuellement lesdites
terres et seigneuries, et par un effet de sa bonne foi, qui ne permet pas
qu'ils soient déçus, il leur cède ses cité, château, ville et sénéchaussée de
Carcassonne, ensemble les fruits et revenus d'icelle terre, pour en jouir
ainsi qu'il fait et y exercer toute autorité jusqu'au terme de deux ans ; que
si dans ces deux ans le mérindat d'Estelle leur est rendu, ils restitueront
la cession de Carcassonne, même du Roussillon et autres pays ; que sinon, «
il leur restituera les terres et seigneuries de Roussillon, de Cerdagne et de
Mauléon de Soule, pour la somme de 376.181 écus d'or, monnaie courante,
laquelle somme il a prêtée au roi d'Aragon sur les seigneuries de Roussillon
et de Cerdagne ; qu'ils restitueront alors les cité, ville, château et
sénéchaussée de Carcassonne, sans aucun délai pour quelque cause que ce soit.
» Qu'enfin, si en deux ans il ne leur avait baillé ni le mérindat ni les comté
et vicomté de Roussillon, de Cerdagne et Mauléon, ils posséderaient la
sénéchaussée de Carcassonne, jusqu'à ce que lui ou les siens les eût mis en
possession desdites seigneuries, ou leur eût compté la somme de 376.181 écus
d'or ; que cette somme vient en déduction de celles que, pour le mérindat,
ils recevaient chaque année de leur père, le roi d'Aragon. Cette
sénéchaussée comprenait encore les vigueries[9] de Béziers et de Gignac, mais
ici le roi ne donna en engagement que la sénéchaussée de Carcassonne
proprement dite, c'est-à-dire la partie occidentale. Le pays de Soule, qui
avait coûté plus de 50.000 livres tournois à reprendre, retourna ainsi à ceux
qui en firent la conquête. En
d'autres lettres du même jour, 24 mai, le roi autorise le comte de Foix à
pourvoir, pendant le temps de l'engagement, à tous les offices de la
sénéchaussée de Carcassonne, depuis la connétablie jusqu'au trésorier et
contrôleur de la recette ordinaire ; même aux offices de viguier à Narbonne,
à Limoux et autres lieux. Ses lettres sont contre-signées des sires Geoffroy
de Saint-Belin, Aymar de Poisieu et Hugues de Bournazel. Une
autre affaire litigieuse occupa alors le roi en Gascogne. Lorsqu'en 1461 les
choses eurent repris leur cours régulier et que les états furent réunis à
Grenoble, il s'éleva, comme on sait, entre les membres des trois ordres de
l'assemblée un débat sur ce point délicat de savoir si ceux « qui ont empêché
qu'il fût alloué aucune subvention au dauphin Louis, leur vrai et suprême
seigneur, ont contrevenu à leur serment et doivent être considérés comme
félons ». Déjà en 1456 le conseil delphinal avait décidé la question
affirmativement. Le roi nomma donc trois commissaires, Joffrey Alleman,
seigneur d'Uriage, Châteauneuf d'Albens, son maître d'hôtel, et Pierre Gruel,
seigneur de Saisieu, président de la chambre des comptes, pour informer à
l'égard de plusieurs de ses sujets du Dauphiné arrêtés pour cause de rébellion. Alors
furent mis en cause Jean Bayle, qui de membre du conseil delphinal en était
devenu président en 1459 ; Gabriel de Rossillon, seigneur du Bouchage, qui
mourut avant le jugement ; Jean Portier, Antoine Bolomier, intendant général
des finances, et Guillaume, bâtard de Poitiers, accusés de lèse-majesté à
l'égard du dauphin. Ce dernier étant mort devant Gênes au service du roi, sa
conduite fut cependant recherchée, et un arrêt du parlement de Grenoble, du
23 avril 1462, mit ses biens entre les mains du roi. Par celui du 11 juin
1463, Jean Bayle fut banni, perdit ses biens et ses pensions ; Antoine
Bolomier subit aussi l'exil et la confiscation de sa fortune. La terre de
Montelliez dans le Valentinois, qu'il tenait de Jacques baron de Sassenage,
fut rendue à celui-ci par un don de Louis XI. Jean Copier étant mort, sa
mémoire fut condamnée et le roi disposa de sa fortune. On allait évidemment
trop loin dans cette justice tardive, comme font toujours les réactions. L'arrêt
porté le 30 juin par la même commission à la suite de la même enquête, et
aussi sous les yeux du comte de Cominges, maréchal de France et gouverneur du
Dauphiné, montre les sentiments de la province pour Louis XI. «Vu les mandats
d'arrêt exécutés contre Charles Groslée, Charles Adhémar et autres ; examen
fait, 1° de la concession de Humbert II ; 2° de l'obligation imposée au roi
de nommer l'un de ses fils pour jouir en toute souveraineté de la province de
Dauphiné, qui ne doit être soumise au roi qu'au cas où le royaume serait un
jour joint à l'empire ; vu l'accomplissement de cette clause jusqu'ici ; vu
les lettres patentes de Charles VII transportant, le 28 juillet 1410, le
Dauphiné à Louis, son fils ; vu les actes de souveraineté que Louis y a très-légitimement
exercés jusqu'au moment de l'invasion faite par son père ; « Considérant
que les susdits seigneurs prévenus étaient natifs du Dauphiné, tenaient
plusieurs fiefs nobles du dauphin, et que lui ayant rendu hommage et prêté
serment de fidélité ils devaient lui obéir ; que nonobstant tous ces droits
Charles VII, en 1456, a envahi le Dauphiné et en a perçu les revenus du
dauphin ; que celui-ci, pont-se mettre à l'abri des conseillers de son père,
a dû fuir en Flandre jusqu'à la mort du roi, en protestant contre la violence
qui lui était faite ; que ses plus fidèles serviteurs ont été persécutés et
chassés de la province ; que ses adversaires ont même fait enquête contre son
administration, et loin d'assister le dauphin, dont ils connaissaient la
détresse, ils ont empêché dans l'assemblée des états qu'on ne lui fit aucun
don ; qu'ils ont eu des liaisons avec les exacteurs des deniers publics et se
sont même approprié les revenus des biens propres du dauphin ; qu'enfin pour
tous ces motifs ils sont coupables de félonie publique et notoire, et que
leurs biens féodaux et autres devaient être confisqués à leur seigneur Louis,
dauphin ; en conséquence, les juges, ayant à rendre une impartiale justice,
et tenant compte de toutes les nécessités des circonstances, après avoir
prêté serment sur les saints Évangiles, ont déclaré que ledit sire Adhérnar,
seigneur de la Garde, est condamné à rendre au receveur commis à cet effet
les garanties exigées par la justice pour suivre une telle affaire pendant
une année, et en outre tous les revenus qui auraient dû être payés an dauphin
pendant la première année de son absence et de son séjour en Brabant. » Dans le
voisinage du Dauphiné de graves événements s'étaient passés, et de ce côté
aussi on s'adressait au roi de France pour avoir secours et protection. C'est
pendant son séjour à Bayonne que Louis XE apprit les troubles de Savoie.
L'âge et les légèretés de sa jeunesse avaient altéré la santé du duc Louis,
et détruit en lui toute énergie d'esprit et de volonté. Son épouse, Anne de
Lusignan, fille de Janus et de Charlotte de Bourbon, exerça une grande
influence sur les affaires du duché. Elle fut mère d'une nombreuse famille de
huit garçons, tous distingués, et de sept filles, dont la plus jeune était la
reine Charlotte. C'était une femme d'un mérite supérieur et qui fit preuve en
toute occasion de tête et de cœur, Elle tâcha, par son activité, de suppléer
à l'indolence de son époux ; mais on était mécontent de l'ascendant des
ministres que de préférence elle appelait de son pays. Philippe
de Bresse, comte de Bauge ou de Bourg, cinquième fils du duc, avait montré de
bonne heure un 'caractère hardi, frondeur et emporté. Louis XI savait ses
démêlés avec le duc, la duchesse et le prince de Piémont Amédée, époux de sa
sœur Yolande. Pour tout calmer, il avait donné à Philippe de Bresse le gouvernement
de Savone à la place du Louis de Laval ; il ne garda pas longtemps cet
office, et le comte de Dunois y fut bientôt envoyé. Le
comte de Bresse se sentait appuyé du duc de Milan ; un tel soutien suffisait
pour le rendre entreprenant. En 1462 il se met donc à la tête des révoltés,
et, sous prétexte de réformer le pouvoir, il entre brusquement avec son
escorte dans la chapelle de Thonon. Là, pendant la messe, sous les yeux mêmes
de sa mère, il tue de sa main Jean de Varax, chevalier de
Saint-Jean-de-Jérusalem et maître de l'hôtel du duc. Il fait arrêter Jacques
de Valpergue, chancelier de Savoie, et par des commissaires de son choix il
le fait condamner à être jeté à l'eau. Valpergue fut assez heureux pour se
sauver de prison, et peu après prouva son innocence. Effrayés,
le duc et la duchesse se retirent à Genève ; le prince rebelle les y
poursuit. On ferme les portes ; mais il trouve moyen, par la connivence d'un
des syndics d'y entrer, et même ose pénétrer jusqu'à l'appartement du duc et
de la duchesse, les brave et se vante, dit-on, de sa vengeance contre les
ministres de Savoie. Le duc adressa d'inutiles plaintes aux magistrats de
Genève sur la trahison du syndic, et peu de temps après l'affreuse scène dont
son fils la rendit témoin, la duchesse mourut de chagrin, le 11 novembre
1462. La
princesse de Piémont Yolande, vivement émue de tant d'indignités, chercha du
secours contre ce beau-frère dénaturé, et écrivit au roi son frère. Louis
XI était déjà intervenu dans les différends de cette puissance avec la maison
de Bourbon pour une question de limites du côté de la Bresse ; il fallut
différer plusieurs fois la solution de cette affaire très-compliquée ; enfin
on était parvenu à s'entendre, et l'on avait reconnu cet arbitrage préférable
à une prise d'armes. Prié de venir au secours de son beau-père contre les
violences du jeune comte, Louis XI sentit la nécessité d'intervenir avec
fermeté ; il le fit sans rechercher en rien son propre avantage. Il écrit
donc immédiatement au duc Louis et à la princesse Yolande qu'à son retour des
Pyrénées il passera par Lyon ; qu'ils eussent à se tenir à Chambéry pour être
plus près ; s'ils ne s'y croyaient pas en sûreté, de venir en France, qu'ils y
seraient bien accueillis ; que Philippe de Bresse, son beau-frère, aurait à
s'expliquer avec lui ; « que s'il ne congédiait pas immédiatement les
gens dont il disposait et s'il ne sortait pas des États du duc, leur père, il
irait le chercher lui-même et le trouverait n'importe où ». Il ne
fut pas possible au roi de passer par Lyon ; mais pour assurer l'exécution de
ce qu'il ordonnerait, il envoya les sires de Crussol, sénéchal de Poitou, et
de Garguesalle, son premier écuyer, les deux hommes en qui il avait le plus
de confiance, celui-ci à Lyon, celui-là en Savoie. On arrêta d'abord les plus
mutins et on les amena à Montrichard. Il était plus difficile d'atteindre le
comte de Bresse, Le roi ne se contenta pas de lui ôter son principal appui en
resserrant les liens qu'il avait déjà avec le duc de Milan ; il prit ses
mesures pour s'assurer de son ambitieux beau-frère. On l'attira d'abord à
Lyon, sous prétexte d'une conférence ; de là, le 3 avril 1463, avant Pâques,
par beaucoup de promesses on le fit avancer davantage vers Chartres ; puis
une fois à Vierzon, on lui déclara qu'il était prisonnier du roi, et il fut
enfermé à Loches. Ce fut
une surprise, il est vrai ; mais en songeant que le comte n'avait rien
respecté, qu'il n'avait point obéi aux injonctions du roi, et qu'enfin, par
délégation, Louis XI se trouvait revêtu de l'autorité paternelle, deux ans de
détention sous le plus beau ciel de France ne sauraient être considérés comme
une trop dure expiation. Il avait fait couler le sang des amis de son père et
abrégé les jours de sa mère, et s'était ainsi mis lui-même en dehors du droit
commun. Philippe de Bresse reconnut plus tard ses torts ; car en 1471 il
rentra au service de Louis XI, et le servit très-fidèlement. Ce prince,
d'ailleurs, possédait des qualités remarquables que le roi sut très-bien
apprécier. Il fut le grand-père maternel de François Ier. Louis
restait dans les Pyrénées plus qu'il n'eût voulu ; connaissant davantage ceux
à qui il avait affaire, on le vit à Saint-Jean-de-Luz s'entourer d'une bonne
garde d'arbalétriers. Il retourna à Bayonne, « d'où il repartit bientôt après
pour se rendre à l'abbaye de Sordes[10]. » « Quand il fut à Acqs[11], les députés Pierre Farregui et
Pierre Estève vinrent de Perpignan le trouver, sous prétexte d'avoir
communication du transport fait par Jean II, mais en réalité pour élever une
sorte de protestation contre le droit souverain du roi sur la Cerdagne et le
Roussillon. » Louis
XI leur répondit nettement que le Roussillon et la Cerdagne lui avaient été
engagés par Jean II pour la somme de 300.000 écus qui lui étaient dus ; qu'il
avait sur tout leur pays d'autres droits à cause de la dot de sa grand'mère,
d'environ 600.000 florins qu'on devait encore[12]. D'ailleurs pour la défense du
château de Perpignan il avait eu à faire l'énorme dépense de plus de :300.000
livres qui ne lui étaient point remboursées. « Avaient-ils donc déjà oublié
leur soumission après le 7 janvier dernier ? Ils avaient été rebelles à leur
souverain ; il les avait conquis. Ce titre était péremptoire, et il était
résolu, sauf payement de la somme convenue, à unir ces peuples à la couronne
de France. » Au surplus, Elne, le seul évêché du Roussillon, avait été de
temps immémorial sous la métropole de Narbonne. Par l'acquisition de ces deux
comtés le Languedoc était couvert ; et les limites de France arrivaient aux
cimes des Pyrénées, frontières naturelles. Louis
XI accorda aux gens de Perpignan la confirmation de leurs privilèges, sauf
certaines restrictions que l'éloignement et la différence des mœurs rendaient
nécessaires. Ainsi, selon la volonté du roi, les juges n'eurent plus le droit
de prendre le tiers sur l'objet de leurs décisions. La loi qui voulait que
l'adultère fût promené par la ville ou obligé de se racheter est abrogée. Il
voulut bien qu'on pût donner par testament à qui on voudrait, niais en
gardant la forme prescrite par la loi. Les logements tenant aux murailles de
la ville ne pourront rester à la disposition des consuls ; il faut qu'au seul
soupçon de guerre les officiers en puissent disposer. Si les consuls sont
obligés pour acquitter les dettes de la ville d'imposer une taxe nouvelle sur
le pain, le vin, la viande ou autres denrées, le roi veut qu'ils lui en
demandent la permission : il permet que 'hôpital des pauvres acquière jusqu'à
4.000 florins de rente au-delà de ce qu'il en a ; mais il exige que les
formalités ordinaires pour tous soient observées ; en cas de cherté de
grains, les consuls pourront, comme ils font, armer des Niâtes pour aller
chercher du blé, mais ils n'emploieront pas celles du roi. Le droit des
habitants de ne pouvoir être forcés d'aller à la guerre lui parait abusif ;
ils marcheront comme les autres quand ils en seront requis de sa part : le
commandant du château pourra, sans payer aucun droit, faire entrer toutes les
provisions nécessaires à la garnison par les portes de la ville et du
château. Une cause, même pendante, devant les juges de la ville, pourra, pour
motif de suspicion, être évoquée par chacun devant le chancelier. On ne
devra, pour trafiquer avec les Sarrasins ou autres infidèles, se servir des
bulles du pape que muni de l'autorisation du roi. Il veut que, pour ce qu'on
nomme mal-paye, la forme de droit soit observée suivant l'usage. Les baillis,
viguiers ou gouverneurs ne pourront composer de la vie d'aucun homme. Le
lieutenant général ou le vice-roi seul pourront remettre provisoirement les
cas qui leur paraîtront rémissibles ; les lettres de grâce seront ensuite
obtenues sous le sceau du roi. Dans
ces dispositions, qui se rapprochent si bien de notre droit municipal actuel,
il est impossible de ne pas reconnaître à la fuis justice, raison et progrès.
Le roi accorde en même temps aux habitants de Perpignan des lettres
d'abolition, et à ceux qui avaient secondé les Français de justes
rémunérations. Selon le vœu du plus grand nombre, il nomma vice-roi du
Roussillon le comte de Candale ; le commandement de la citadelle fut donné au
vieux capitaine Charles Desmarets, et Louis XI dédommagea Charles d'Olins de
sa charge de procureur général du Roussillon par 6.000 livres de
gratification. Accompagné
du comte de Foix et de toute sa cour, le roi prit alors la route de Toulouse.
A Muret, le 24 mai, il donne audience au président du parlement de Paris,
Jean Boulanger, et au procureur général, Jean de Saint-Romain, qui étaient
venus à la tête d'une députation de leur corps se plaindre de nouveau de
l'abolition de la pragmatique, et des abus qui leur semblaient être la
conséquence de cette abolition. Ils signalèrent surtout l'émigration de
l'argent et l'empressement qu'on mettait à aller solliciter à Rome, à grands
frais, des bénéfices ou des grâces expectatives. Le roi n'était pas éloigné
d'approuver ces remontrances ; le pape n'ayant accordé aucune des faveurs
qu'il avait fait espérer pour la maison d'Anjou, le roi revint sur ses
concessions : il donne donc des lettres patentes « portant défense de plaider
ailleurs que devant le parlement de Paris sur les bénéfices conférés en
régale, et ailleurs que devant les juges royaux sur le possessoire des autres
bénéfices ». Il veut qu'après avoir entendu les gens de l'université, le
procureur général, au besoin et en cas de censures, en appelle au futur
concile, et qu'on fasse toute protestation nécessaire. Cette injonction était
faite nonobstant les déclarations du pontife qui, au concile de Mantoue et par
une bulle du 30 janvier 1459, avait expressément défendu cette sorte d'appel. Ces
mesures du roi ne furent point isolées. Le 17 février suivant, le roi
défendit aux collecteurs romains d'inquiéter en quoi que ce soit ses sujets ;
son ordonnance de Luxieu, 19 juin 1464, confirme encore celle de Muret et
rétablit de fait la pragmatique dans le Dauphiné ; elle rappelle « le droit
héréditaire des rois de France de conférer les bénéfices vacants en
régale..... Le roi et sa cour du parlement, dit-elle, doivent en connaître en
cas de débats et non d'autres juges ». Ses lettres du 30 juin s'opposent
vivement à la sortie de l'argent du royaume, et celles du 10 septembre
suivant se plaignent du grand nombre de grâces expectatives accordées par Pie
II avant sa mort. Le
retour de Louis XI par le Languedoc témoigne du désir bien naturel de revoir
cette province, où dans sa jeunesse et si utilement pour tous il avait
séjourné et rempli de graves missions par ordre de son père. De plus, les
habitants de Toulouse étaient dans le malheur. Alors, en effet, la ville fut
la proie d'un terrible incendie. Le samedi 7 mai le feu prit auprès des
Carmes. Il se communiqua si vite et l'embrasement fut tel, que, malgré tous
les efforts des malheureux habitants, il dura douze jours et consuma plus de
sept mille maisons. Des quartiers entiers, des églises, des colléges furent
anéantis et beaucoup de personnes y périrent. Le jeudi 26 mai, lorsque le
vaste foyer fumait encore, le roi fit son entrée solennelle dans la ville.
Les capitouls, à la tête de la bourgeoisie et du peuple, allèrent à sa
rencontre jusqu'au village de Braqueville ; ensuite le corps municipal défila
vers la porte de Muret. « Là les capitouls prièrent le roi de prêter le
serment que les rois de France avaient coutume de faire à leur première
entrée dans Toulouse, c'est-à-dire de conserver cette ville et tout son comté
dans ses privilèges, coutumes et liberté. Le roi s'étant découvert et ayant
ôté ses gants, fit le serment. » Il reçut les clefs de la ville, puis les
remit aux capitouls en disant : « Nous vous les commandons à garder ». Alors
ils lui présentèrent un dais magnifique sous lequel il fit son entrée aux
acclamations de la multitude. « Le roi fut touché jusqu'aux larmes des
malheurs de cette ville[13]. » C'est le 28 mai 1463 qu'il
rendit son ordonnance d'exemption de tailles pour cent ans en faveur des
habitants, et il leur donna tous les moyens qui dépendaient de lui pour
relever leurs ruines au plus tôt. Il fut
fait de nombreuses conjectures sur les causes de ce désastre. On s'en prit
d'abord aux Catalans. Ne se seraient-ils pas ainsi vengés de n'avoir pas été
secourus par les Français contre le roi d'Aragon ? On sut que c'était
simplement une imprudence d'un boulanger et de sa femme, et on les condamna à
mort. Ils allaient être exécutés sans l'intervention du roi. Il n'y avait eu
nulle mauvaise intention de leur part, donc point de crime ; leur supplice
n'eût été qu'un malheur de plus. Louis leur fit grâce : mais, assure-t-on,
ces infortunés moururent bientôt, tant ils avaient été effrayés. D'ailleurs
cette année fut pour Toulouse des plus calamiteuses. Au mois de septembre
suivant la peste y fit beaucoup de ravages ; il fallut transférer le
parlement à Béziers. L'annaliste de Toulouse, La Faille, nous apprend que,
neuf ans encore après, le roi accorda aux habitants l'exemption du droit
d'aubaine pour aider la ville à se repeupler, et engager les étrangers à s'y
venir établir. Là
étaient encore avec le roi, non pas les rois de Castille et d'Aragon, comme
on l'a dit[14], mais Charles de Berry, son
frère ; le fils du duc d'Alençon, comte du Perche ; Jean, bâtard d'Armagnac,
comte de Cominges et maréchal de France ; Jean de Foix, prince de Navarre,
fils puiné du comte Gaston ; Tristan l'Hermite, prévôt des maréchaux ; Antoine
du Lau, sénéchal des Landes et de Guienne, et beaucoup d'autres. Le
bruit courut alors que Jean V, comte d'Armagnac, avait traité secrètement
avec le roi de Castille. Le roi, qui crut en avoir la certitude, ordonna avec
trop de précipitation la saisie des terres du comte. Celui-ci, dans le mois
de juin, vint à Figeac, se justifier auprès de Louis. Il lui témoigne sa reconnaissance
et son dévouement, lui rappelle qu'il lui doit tout. Il offre pour sûreté de
sa parole et garantie de sa fidélité de livrer à Sa Majesté Lectoure,
Saint-Sever et toutes ses places. Le roi accepte, et donne mainlevée des
saisies déjà faites. Le comte, piqué de ce défaut de confiance, « quitte
la cour sans prendre congé ». Louis croit qu'il s'est enfui, et fait courir
après lui. On apprit bientôt qu'il s'était retiré à Capdenac. Ce lieu est si
rapproché de Figeac que le comte pouvait s'y être rendu sans nulle intention
répréhensible. Il s'y vit bientôt entouré et obligé de venir donner de
nouvelles explications, à son grand dépit. Louis
resta à Toulouse ou aux environs tout le mois de juin et une partie du
suivant ; de grandes affaires l'appelaient au nord, mais il tenait à régler
d'abord celles du midi, et à tout voir, s'il était possible, par lui-même.
Ainsi, le 30 mai, il décide que le parlement de Dauphiné reconnaîtra le
cardinal de Foix pour légat. On le voit le même mois confirmer les droits et privilèges
accordés à plusieurs établissements ; le 7 juin, étendre aux habitants de
Collioure en Roussillon les immunités de ceux d'Aigues-Mortes ; le II juin,
mettre un terme aux appellations téméraires dans le Dauphiné, avec ordre à
son procureur de ne les ajourner que devant leurs juges naturels ; le 13
juin, donner de nouvelles faveurs à l'archevêque de Narbonne, Louis d'Hat
:court, et le même jour permettre aux officiers royaux et aux nobles de
Languedoc de faire trafic de marchandises honnêtes, nonobstant les
ordonnances contraires ; enfin, le même mois, préciser les droits de l'évêque
d'Albi. Du même
temps sont datées les lettres sur les immunités de Perpignan, que contresignèrent
en son conseil le comte de Cominges, l'évêque d'Elne, le sire de Neufchâtel,
maréchal de Bourgogne ; le sire du Lau, sénéchal de Guienne ; le sire de
Crussol, sénéchal de Poitou ; le sire de Trainel et autres. Le IO juin il
assista à la procession de la Fête-Dieu, et la suivit sous le poêle avec le
prêtre. Parmi les seigneurs présents aussi, on cite Gaston IV, comte de Foix,
toujours remarquable par sa magnificence ; après une courte absence, il était
revenu auprès du roi. Ce jour même Louis XI ordonne à Miglos, sénéchal de
Carcassonne, de remettre sa charge au comte Gaston, qui pendant deux ans
devait y pourvoir, aussi bien qu'aux châtellenies de toute cette sénéchaussée.
Outre cela, dans le même mois il accorda d'autres faveurs au monastère de
Figeac ; le lei juillet il prononça encore à Toulouse une abolition générale
pour tous les habitants du Languedoc, puis le 3, à Saint-Junien sur la
Vienne, on lui voit accorder à ce petit lieu un droit d'appétissement sur le
vin et octroyer par deux lettres aux consuls et habitants de Limoges
plusieurs notables avantages. Avant
de partir du Languedoc, il avait commis, par commandement exprès, le seigneur
de Clermont-Lodève, son lieutenant dans le pays pour le comte du Maine ;
maître Jean Dauvet, premier président au parlement de Toulouse ; Guillaume
Varie, général des finances ; maitre Étienne Petit, trésorier général du
Languedoc, et Jean de Reilhac, 'son secrétaire, trésorier de Nîmes, pour
assembler les états de la province à Montpellier, le 30 juillet, à l'effet de
changer les tailles et l'équivalent des aides en certaines impositions qui
seraient levées sur les denrées et marchandises, suivant un tarif proposé par
le roi. Les états s'étant réunis à l'époque et au lieu indiqués, l'assemblée
consentit à cette proposition, et ils donnèrent à ferme pour deux ans la
perception de ces droits, pour la somme de 186.000 livres par an, ce qui
faisait les 100.000 livres nettes que le roi tirait de la province pour les
tailles, et 70.000 livres pour suppléer à l'équivalent. Moyennant cette
levée, les tailles et tous les autres subsides furent supprimés en Languedoc,
excepté la gabelle sur le sel. Les
états votèrent en outre la somme de 3,130 livres pour les épices, auxquels
prirent part surtout le seigneur de Clermont et Antoine Crespin, archevêque
de Narbonne, qui présida cette assemblée. Le roi nomma des juges souverains
dans chaque diocèse, afin de terminer les contestations qui pourraient
s'élever au sujet de la perception de ces droits. L'assemblée adopta toutes
ces propositions avec certaines réserves : il fut convenu qu'on essayerait
d'abord de ce changement pendant un an, que la levée de la taille, décidée
par les états de Béziers de mars dernier, cesserait, que les biens des gens
d'église et des nobles seraient exempts de cette levée ; enfin on stipula que
les procès faits à cette occasion seraient écrits en français ou en langue
commune ; que les parties pourraient plaider elles-mêmes et se passer du
ministère d'un avocat, et quelques autres conditions encore, qui furent
toutes agréées. Ces
combinaisons financières à titre d'essai ne durèrent pas. Aux états du
Languedoc réunis au Puy, le 15 avril 1464 après Pâques, où furent, comme
commissaires, le seigneur de Clermont-Lodève, Guillaume Varie, Étienne Petit,
Nicolas du Breuil, secrétaire du roi, et Hervé de Dauves, clerc des comptes,
il y eut approbation du changement des tailles et de l'équivalent en certains
droits ; mais on révéla les inconvénients de cette perception et les ruses
fiscales des fermiers ; on demanda donc de faire cesser ce mode de
prélèvement. On conclut le 21 avril, après de longues discussions, « d'imposer
sur la province, suivant la manière auparayant usitée, la somme de 186.000
livres, en sorte qu'il y eût 115.000 livres pour l'aide ou la taille, et le
reste pour l’équivalent qui fut rétabli ». On y ajouta, comme à
l'ordinaire, 3.000 livres pour épices. Après
les deux voyages du midi, c'est aux frontières du nord que Louis XI porte son
attention. A peine est-il arrivé à Paris que, dès le 20 juillet, on le voit
enjoindre par lettres patentes aux ecclésiastiques de France et autres gens
de mainmorte, ainsi qu'il l'avait fait dans son apanage étant dauphin, de
fournir les aveux et déclarations de tous leurs biens. Il ne paraît à
Amboise, le 24 du même mois, que pour y confirmer le don du comté de Guines
fait à Antoine de Croy, et pour y prononcer une abolition ou amnistie en
faveur de la ville de Perpignan, ainsi que le rappel des bannis avec
restitution de leurs biens. La suite fera voir que cette rémission augmenta
la hardiesse de ses ennemis des Pyrénées au lieu de les calmer. Il n'oublia
pas non plus de récompenser Jean, comte de Cominges, d'avoir dépensé 6.000
livres tournois pour la guerre de Catalogne ; par lettres datées d'Amboise,
juillet 1463, il lui donna la sénéchaussée de Toulouse enclavée dans le comté
de Cominges, et la 'seigneurie de Saint-Béat, dans le Languedoc. Dès le 4
août il est de retour à Paris, où il crée un quatrième office de conseiller
en la chambre du trésor. Il
reste en ces parages, d'où on le suit par la date de toutes ses lettres de
Paris à Chartres, à Poissy, à Bonneval, à Argenteuil et à Pontoise. De ces
différents lieux il fait don, le 10 août, d'un hôtel dit de la Reine à
Charles, sire de Melun ; et il dispose en faveur de plusieurs des terres
d'Antoine de Chabannes ; le 6 septembre, il donne à maître Cerisay, vicomte
de Carantan, l'office de procureur général en son échiquier, et il autorise
Dieppe à s'affranchir de quelques droits sur le sel, et à lever des aides
pour réparations à ses murs et fortifications. Le 11 de ce mois, Louis XI
ratifie le transport fait par le duc Philippe à Jean de Bourgogne, son neveu,
des comtés, prévôtés et seigneuries d'Auxerre, de Péronne, de Montdidier, de
Roye et d'autres ; le 15 septembre, il accorde aux gens de Compiègne
plusieurs grâces, exemptions et privilèges en récompense de ce qu'ils ont
souffert et de leur fidélité. Bien
long serait l'examen de toutes ses ordonnances. A cette époque, où nul droit
ni autorité n'étaient déterminés, le roi avait à s'occuper de tout, même des
statuts de la moindre corporation d'ouvriers. Ses lettres patentes sont
presque toujours la confirmation ou concession d'immunités pour des villes,
des associations ou des personnes qu'il doit rémunérer, et assurément
beaucoup de ses faveurs se justifient d'elles-mêmes. Souvent aussi elles
avaient en vue de réformer des abus, comme on le voit le 14 octobre lorsqu'il
restreint les privilèges des monnayeurs, diminue autant que possible les frais
de perception et poursuit impitoyablement les exacteurs. Nous
voudrions que les exonérations qui impliquent une surcharge pour les autres
contribuables eussent été alors moins fréquentes. C'est peut-être à cela
qu'il faut attribuer les plaintes qu'on a faites sur les subsides de ce
temps, malgré la stricte économie que le roi observait et imposait dans sa
maison. Dans toutes ses ordonnances on y découvre un esprit de sagesse, de
religion, de justice, de conservation et surtout de prévoyance ; un esprit
enfin fort semblable à celui de saint Louis, son modèle, et remarquable en ce
qu'il' est bien supérieur aux vues mesquines de l’époque où il vivait. Il
pressent déjà cette égalité de tous devant la loi, qui devait un jour devenir
la base de nos institutions modernes. En
résumé, l'objet de ses ordonnances est ecclésiastique et civil. Que ne
fait-il pas en faveur du clergé de France I Les droits et libertés des
églises, il les confirme sur leur demande. Ainsi fait-il le 21 janvier pour
toutes celles de l'ordre de Cîteaux, et le 30 avril pour celles du
Roussillon, sitôt qu'il entre en cette province. D'autres fois ce sont des
avantages qu'il octroie, comme le témoignent ses lettres à l'abbaye de
Saint-Saturnin, celles de juillet pour concession de bois dans une forêt royale
au chapitre de Notre-Dame de Loches, et en septembre à l'abbaye de Beaulieu.
Il fait d'autres concessions aux Célestins de Paris, au monastère
d'Argenteuil et à l'abbaye de Maubuisson ; le 19 novembre, aux religieux de
Saint-Michel ; le 16 décembre, au chapitre de Bayeux, à l'abbaye de
Vaux-de-Cernay, et en février, aux religieux du couvent de
Moncel-lez-Pont-Sainte-Maxence. Nous trouvons des lettres de sauvegarde, de
septembre, pour Saint-Framboust-de-Senlis, pour celle de Bourg-Dieu, près
Bourges, et d'octobre pour le doyen et le chapitre de Lannoy et de Tournay.
Mais il insiste pour que tous les chapitres et communautés donnent à la
chambre des comptes les aveux exacts de tout ce qu'ils possèdent. Au
civil, les concessions royales ne sont pas moins grandes. Louis accorde en
mai 1463 un don aux officiers du parlement de Bordeaux, et ensuite des grâces
et des privilèges aux communes de Dampierre, de Pont-Rémy, et à l'hospice de
Rouen ; d'exemption de han et d'arrière-ban aux vingt-cinq échevins nobles de
Poitiers ; il confirme le II juin les droits de pêche et de chasse comme il
les avait établis en Dauphiné dès le 21 décembre 1448 ; et aussi le même mois
les privilèges de Villefranche en Périgord, de Castelsarrasin, de Montauban
et de plusieurs autres cités du midi ; et les statuts faits pour l'élection
des consuls dont se devait composer l'administration des municipalités ; en
juillet, il confirme encore les usages de Bordeaux et de sa banlieue en
matière de succession ; en novembre, toutes les immunités de Nismes ; en
décembre, les exemptions des gens de Meaux et les privilèges d'Abbeville ;
surtout il n'oublia point sa ville natale ; par lettres patentes il dota
Bourges d'une université semblable à celle d'Orléans, malgré toutes les
réclamations rivales. Le 8 janvier, il gratifie du droit de retrait les gens
de Doullens ; en février, de libre franchise les marchands se dirigeant
d'Arras à une foire annuelle ; en mars, de statuts et de privilèges la petite
ville de Sommière, et il confirme aussi les franchises du pays de Cominges et
celles de Beaucaire. Ses
dons ne sont pas moins nombreux que ses grâces, et nous en avons déjà donné
bien des exemples. ta justice dans l'administration lui tenait aussi
grandement à cœur ; alors il s'occupait de réunir les sommes nécessaires à la
négociation importante qu'il méditait, et « obligé d'emprunter pour la
très-évidente utilité de « la chose publique, » il s'engage par acte, de
Paris, 25 août, à restituer ces prêts avec indication des moyens. Il donne en
décembre des lettres de légitimation aux enfants naturels du comte de Nevers,
ainsi qu'il l'avait fait en septembre pour Louis de Bourbon, fils naturel de
Charles, duc de Bourbonnais ; en mars surtout, il fait restituer à l'hôpital
de Barcelone un legs qu'on avait confisqué par droit d'aubaine. Enfin,
par lettres patentes, des foires sont établies en juin à Buzet, plus tard à
Tricot et à Crèvecœur ; en octobre, les abus sont réprimés dans le notariat ;
les pairs de France ont à répondre au parlement seul ; les droits de la
royauté sont déterminés dans l'exercice du pouvoir. En novembre, l'alliance
suisse est ratifiée ; en ce mois encore, le roi achète au sire Hardouin,
seigneur de Maillé, pour 5,300 écus d'or la terre de Montils, autrement dite
Plessis-du-Parc : il était bien naturel que Louis XI possédât sa résidence ;
puis en février, pour complaire au sire Hardoin, les terres de Maillé et de
Rochecorbon sont unies à la vicomté de Tours. Alors furent déterminés la
juridiction de la chambre des comptes, et en mars la compétence et le ressort
du parlement de Bordeaux. Le 10 mars, la permission d'ouvrir les mines de
Theis, Allevard et Vizille, et de fabriquer l'acier en payant des droits
royaux est donnée. Ainsi,
préciser les droits du trésor et la composition des cours de justice,
constituer l'autorité municipale, confirmer et étendre les droits, la
juridiction et les privilèges ou franchises des villes, établir des foires et
des marchés dans les plus grands centres comme dans les plus petits, appuyer
toutes les concessions faites par ses prédécesseurs aux villes et aux
corporations ecclésiastiques ou laïques ; faciliter l'industrie, la libre
circulation et le commerce entre les villes et les provinces par la
suppression des entraves, par la puissance de la loi sur chacun, enfin par
tous les moyens à sa disposition, telle est la constante préoccupation de
Louis XI. Avant lui, les édits royaux n'avaient souvent aucun résultat ; mais
pour lui, il ne perd pas de vue un seul instant ses ordonnances, et veille
attentivement à leur exécution. Il envoie des commissaires dans les provinces
à la recherche de la noblesse des francs-fiefs et des nouveaux acquêts. Il
tient tellement au respect des droits par lui concédés que, le 15 juillet
1,163, il, donna ordre au parlement d'enregistrer ses actes concernant la
ville de Valence. Sa promptitude à donner satisfaction à tout légitime
intérêt prouve aussi la confiance des populations en sa bienveillance. Telles sont les ordonnances d'une seule année, encore nous a-t-il fallu en omettre un grand nombre d'un caractère tout personnel ou trop restreint. Ces lettres, continuées sans interruption, sont le complément de sa politique, toujours si française. |
[1]
Legrand.
[2]
Legrand.
[3]
Legrand.
[4]
Barante, t. VIII, p. 325.
[5]
Barante.
[6]
Barante, t. VIII, p. 32.
[7]
Don Vaissette, t. V, p. 27.
[8]
Trésor des chartes, registre 199, acte 30.
[9]
Dom Vaissette.
[10]
Dom Vaissette.
[11]
Legrand.
[12]
Legrand.
[13]
Dom Vaissette.
[14]
La Gaule chrétienne, t. XIII, p. 51.