Accroissements de la
maison de Bourgogne. — Révoltes des Flamands. — Avènement de Louis XI. — Le
sacre. — Entrée du roi à Paris. -- Premiers actes administratifs. — Départ
pour la Touraine. — Le douaire de Marie d'Anjou et l'apanage de Charles de
France. — Insurrection de quelques villes. — Faveurs à beaucoup d'autres. —
Liberté commerciale et marine.
La
France sortait enfin de l'oppression des Anglais et des pilleries exercées
par les routiers et gens de guerre ; mais c'était un bonheur relatif et non
encore solidement fondé. Beaucoup était fait, mais davantage restait à faire.
Une ordonnance décrétait que les édits du roi et les arrêts du parlement de
Paris auraient cours dans tout le royaume ; mais comment faire exécuter une
pareille loi tant que les seigneurs affecteraient d'être indépendants en
leurs terres et de n'y pas obéir, surtout les hauts barons, les princes
apanagistes, et à leur tête les ducs de Bourgogne et de Bretagne, cernant la
France au nord, à l'ouest et à l'est ? Qu'importait la pragmatique, si les
élections ecclésiastiques ne se faisaient pas, si l'usage des évêchés et des
abbayes en commende prenait pied plus que jamais, si l'accord entre le
spirituel et le temporel ne se pouvait établir ? Il y avait sécurité pour les
étrangers et même pour les Anglais, mais au dedans couvait toujours une
conjuration féodale prête à éclater contre l'autorité du roi et à morceler la
France en souverainetés hostiles. Ainsi
les améliorations étaient plutôt à l'état d'essai que réalisées. L'union fait
la force. La grandeur de la France ne pouvait être que dans la concentration
du pouvoir royal ; et ce développement de l'autorité du roi, telle que
Charlemagne et saint Louis l'avaient comprise, ne pouvait se trouver que dans
l'émancipation de la bourgeoisie. Voilà ce que Louis XI comprit dès lors et
résolut d'exécuter. Pour réduire au silence les prétentions si vivaces de la
haute aristocratie et préparer cette vaste unité de la monarchie qui fait
aujourd'hui notre force et notre gloire, il fallait une volonté pleine
d'énergie et de persévérance. Soumettre
à une loi commune et à un niveau légal les grands seigneurs apanagistes était
une œuvre d'autant plus ardue que, sous les règnes précédents, à cause des
guerres civiles et étrangères et de l'occupation de la moitié de la France
par les Anglais, on avait été obligé de fermer les yeux sur les
envahissements du pouvoir féodal. Ajoutons à cela que ces princes qui, sauf
le duc de Bretagne et le comte de Foix, sortaient de la tige royale,
semblaient trouver dans leur origine un appui contre l'autorité du roi. Que
leur importait l'unité de la France ? Ce qu'ils voulaient c'était la
prépondérance de leurs droits personnels, et surtout, plus ou moins,
l'indépendance absolue. « Même
les comtes[1] s'étaient faits souverains dans
leur arrondissement ; à l'exemple des hauts fonctionnaires, ils s'étaient
emparés des péages et des revenus publics, et aussi du pouvoir judiciaire.
Étaient-ils ajournés au plaid royal, ils ne répondaient point à l'intimation.
On ne pouvait les contraindre, puisqu'ils disposaient de la force armée, et
que cette force, qui eût dû être un appui pour le souverain, ils la
dirigeaient presque toujours contre lui. » Jusque-là l'obéissance des
hauts barons avait plutôt été un acte de déférence qu'un hommage réel à
l'autorité du roi ; il fallait la rendre obligatoire. Les
conquêtes par les armes se font plus facilement et sont plus populaires que
celles de la civilisation. Il était plus facile, lorsque les Anglais se
déchiraient entre eux par leur guerre des Deux-Roses, de les vaincre et de
les chasser de nos villes, que de triompher des préjugés d'un autre temps, et
de soumettre au droit commun, sous le sceptre royal, les prétentions
hautaines des grands vassaux. La
permanence de l'armée délivrait les campagnes du pillage si fréquent des gens
de guerre, et à tous égards c'était une grande institution ; mais il eût
fallu en même temps établir un budget suffisant pour l'entretenir et ne pas
laisser au règne suivant le soin de mettre l'impôt et la dépense en
équilibre. Rendre la taille permanente c'était rompre des traditions
respectables ; c'était priver les populations d'un droit qu'elles
considéraient comme sacré ; c'était enfin donner l'exemple d'une hardiesse qui
devait un jour être fatale à la monarchie et conduire aux révolutions. Les
dispositions les plus importantes de cette ordonnance n'auraient pas dû
rester sans application, presque à l'état de lettre morte. En sorte que l'on
voyait encore longtemps après des chefs d'aventuriers et de compagnies
prendre le droit de servir pour leur propre compte, et se vendre à qui les
payait le mieux. Pendant
son séjour chez son oncle Philippe, Louis avait pu apprécier l'importance de
la maison de Bourgogne et l'extension qu'elle avait prise depuis moins d'un
siècle par toutes sortes de moyens. Cette puissance, en effet, s'était
successivement annexé les comtés de Flandre, de Bourgogne, d'Auxerre, de
Charolais et d'Artois, puis la basse Lorraine et le Brabant, ensuite le
Hainaut, et enfin la Hollande. C'est par héritage, quelquefois par une
interprétation forcée du droit, qu'on s'était procuré ces annexions de
territoire. N'était-ce pas aussi par un étrange oubli de la souveraineté que
la France avait si longtemps exercée sur ces pays ? Louis
Ier comte de Flandre, dit de Nevers et de Crécy, était petit-fils de Robert
III dit de Béthune, et de Yolande de Bourgogne. Il épousa en 1320
Marguerite de France, fille de Philippe V, et il fut tué à Crécy en 1346.
Philippe lui-même avait épousé Jeanne, fille d'Othon IV et de Mahaut,
comtesse d'Artois. Marguerite de France mourut en 1382 comtesse de Bourgogne
; elle eut un fils, Louis II dit le Mâle, qui succéda en Flandre à Louis Ier
son père, et dans les comtés d'Artois et de Bourgogne à sa mère. Sur son
refus d'épouser Isabelle, fille d'Édouard III, les Gantois l'enfermèrent en
janvier 1346 ; il s'échappa le 28 mars suivant, vint en France et épousa en
juin 1347 Marguerite, fille du Magnanime Jean III, duc de Brabant. Dès
l'année suivante il repassa en Flandre et fit sa paix avec le roi Édouard. Le
1er juillet 1357 il donna en mariage Marguerite de Flandre, sa fille unique,
qui n'avait que sept ans, à Philippe de Rouvre, dernier duc de Bourgogne de
la première branche, qui mourut sans enfants en 1361. En 1369, Marguerite de
Flandre, qui n'avait que dix-neuf ans, épousa Philippe le Hardi, premier duc
apanagiste de Bourgogne de la seconde race, depuis le 6 septembre 1363.
Marguerite étant morte le 16 mars 1405, son fils Jean sans Peur hérita de son
chef des comtés de Flandre, de Bourgogne et d'Artois. Les
duchés de Basse-Lorraine et de Brabant ne s'adjoignirent pas aussi
naturellement. Antoine, second fils de Philippe le Hardi et de Marguerite,
comtesse de Flandre, fut reconnu, à la mort de sa mère, duc de Brabant, de
Limbourg, marquis d'Anvers et comte de Rethel ; mais il ne prit le titre de
duc qu'après la mort de la duchesse Jeanne, fille du duc Jean HI et épouse de
Winceslas, duc de Luxembourg et frère de l'empereur. Jeanne, devenue veuve en
1383, gouverna paisiblement ses États pendant vingt-et-un ans, et en 1404
elle les donna à sa nièce Marguerite de Flandre douairière, pour les céder
ensuite par substitution à celui de ses fils qu'elle voudrait. Ce fils
préféré fut Antoine. Jeanne étant morte le 1 er décembre 1406, Antoine prit
alors le titre de duc. Jean IV, son fils, lui succéda en 1415, et il épousa
sa cousine Jaqueline en 1418 ; puis il se brouilla avec elle, et les états de
Brabant se prononcèrent contre lui. Jaqueline fit casser son mariage par
l'antipape Bene XIII. Jean 1V eut à lutter contre les Anglais amenés par le
duc de Glocester, ou plutôt Philippe le Bon, dont l'ambition s'était
éveillée, fit la guerre à Jacqueline, et battit plusieurs fois les Anglais.
Jean IV, resté presque étranger à ces événements, mourut à Bruxelles sans
enfants, le 17 avril 1427. Philippe let son frère, lui succéda et mourut
presque aussitôt célibataire. Alors Philippe de Bourgogne se fit reconnaître
duc de Brabant par les états du pays, au préjudice et malgré les réclamations
de Marguerite, duchesse douairière de Hollande, héritière plus rapprochée du
sang. Elle était, en effet, sœur de Jean sans Peur et d'Antoine, duc de
Brabant ; mais Philippe donnait pour raison qu'il était l'aîné de sa maison,
argument que plus tard Marie de Bourgogne refusera d'admettre quand il sera
produit par le roi. Plus
directement encore la force parait suppléer au droit dans l'adjonction du
comté de Hainaut. A la mort de Jean IV, Philippe, là encore, se fait
reconnaître comte de Hainaut. Ce fut
de noème, et pire peut-être, pour la Hollande. La malheureuse Jacqueline,
fille unique et héritière de Guillaume VI, fut livrée au duc de Bourgogne, en
1424, par les gens de Bruges, à son retour d'Angleterre. Philippe lui fit la
guerre pendant cinq ans. Elle traita forcément avec lui le 3 juillet 1428, et
le reconnut pour être après elle son héritier ou successeur. Ici, aucun autre
titre que la force n'apparaît. Elle essaye de se dégager de cette dure
étreinte en épousant secrètement François Borselen, stathouder de Hollande.
Par ordre du duc de Bourgogne, Borselen est arrêté, enfermé à Rupelmonde et
condamné à mort. C'est pour le racheter qu'en 1433 elle cède tous ses États
au duc Philippe, qui, s'il fut bon, ne le fut certainement pas pour elle. Elle
ne survécut que trois ans à cette cession forcée. Borselen, fait par elle
comte de Woorn, mourut en 1470. Il
semblerait que ces pays ainsi violemment annexés et arrachés aux familles
souveraines qu'ils avaient longtemps respectées pour faire partie d'une
puissance nouvelle et inconnue pour eux, eussent dû protester. Il n'en fut
rien ; car on peut à peine appeler protestation la faible résistance que le
nouveau pouvoir rencontra. Étaient-ils donc si mal gouvernés ? Il est une
autre cause de cette facile soumission : on leur fit toutes sortes de
promesses qui flattaient leur amour propre national. Assurances que l'on
condescendrait à tout ce qu'ils voudraient, serments solennels de leur
conserver inviolablement leurs coutumes, leurs lois, leurs libertés, leurs privilèges,
leur intervention dans leurs propres affaires, tout fut prodigué pour leur
ôter toute inquiétude ; aucunes promesses ne furent tenues. Ces pays, vraies
terres de promission[2], étaient alors bien déchus, à
cause du luxe et par l'oubli des grands principes qui sont la sauvegarde des
peuples. Les
ducs, devenus aussi riches, n'avaient pas toujours eu tant de fortune. En
1375, quand Philippe le Hardi « promettait une somme à quelqu'un de ses
serviteurs, il était obligé de lui abandonner une partie de son domaine pour
servir de gage à sa promesse, et de compenser l'intérêt par le revenu.
Philippe était plein de magnificence ; il n'en était pas moins dans une sorte
de dénuement, au point de ne pas laisser de quoi pourvoir aux frais de sa
sépulture. Il mourut en 1404, à soixante-trois ans, regretté de tous. Il
était le plus prudent des princes du sang, politique habile, célèbre par sa
grande prévoyance, craignant de trop grever les peuples, de les jeter dans
quelque révolte, sachant s'arrêter au point de s'en faire aimer et de gagner
leur confiance ; ayant mis la règle en ses États autant qu'on le pouvait en
ces temps-là[3]. » Jean
sans Peur, tout différent de son père, avait débuté, étant comte de Nevers,
par perdre contre les Turcs la bataille de Nicopolis, et s'y était fait
prendre par Bajazet. Il fut aussi imprudent, aventureux et audacieux en
politique, que Philippe avait été sage et précautionné. Il n'eut nul souci de
mécontenter les peuples par sa conduite anti-française, par ses exigences et
son mépris de leurs droits. Qu'attendre d'un homme qui, après une
réconciliation scellée de tant de protestations et de serments, fait
assassiner son cousin germain et se vante de cette action ? Dès
1403 les Liégeois se révoltèrent contre leur évêque Jean de Bavière, et
vinrent l'assiéger dans Maëstricht. Le duc, oublieux des plaintes de la
malheureuse Valentine de Milan, veuve de sa victime, court délivrer son
beau-frère ; sur cette masse d'ouvriers, ignorants l'art de la guerre, il
gagne la bataille de Tongres, où il en fut fait un horrible carnage sans
aucun quartier ni rémission. Les Liégeois durent s'humilier devant le duc. Le
premier article de leur capitulation fut le retrait de leurs franchises.
L'évêque médiateur de cette triste pacification en reçut le nom (le Jean sans
Pitié. Jean sans Peur ajouta l'insolence à l'oppression : en i409 il célébra
à Paris l'anniversaire de cette victoire. On voit par toutes ses violences,
ses trames perfides et ses tentatives sans scrupule, qu'au moyen du désordre
et de l'anarchie, il visait à atteindre la couronne. Ce prince, d'ailleurs de
chétive apparence, expia par un crime les erreurs de sa vie. Il fut livré à ses
tueur-tiers, dit-on, par la dame de Giac, qu'il aimait. La
catastrophe de Liège était d'un fâcheux augure pour les autres villes.
Cependant Jean sans Peur, si entreprenant contre tous les droits, avait
toujours redouté et ménagé ses bonites villes ; son fils était devenu plus
Flamand que Bourguignon, à cause du long séjour qu'il y fit. Ln Bourgogne le
gouvernement de la duchesse avait été doux, et le passage des armées rendit
l'Artois la moins heureuse de ses provinces. Philippe
dit le Bon, d'abord comte de Nevers, devint duc à vingt-trois ans et ne
songea qu'à venger la mort de son père. Secondé par Isabeau de Bavière, il se
jeta dans le parti anglais et lit avec eux le honteux traité de Troyes, cause
de tant de désastres. Son premier exploit contre la France fut Mons-en-Vimeu,
où il fut battu par le sire d'Harcourt. La guerre contre le duc de Glocester
et contre Madame Jaqueline de Hainaut et sa victoire de Brawhershausen en
Hollande refroidirent un peu son zèle pour les Anglais. Le duc ayant mis sur
les navires marchands un impôt que les gens d'Anvers regardèrent comme une
violation de leurs privilèges, tels que les ducs de Brabant juraient de les
maintenir, ils s'étaient révoltés. Philippe alors, fort occupé de son traité
d'Arras en 1435, différa de les punir ; mais comme les gens d'Anvers
paraissaient se tenir sur la défensive, le duc leur imposa une sorte de
séquestre, en interdisant aux bonnes villes, sous peine capitale, de
commercer ou entrer en relation avec eux. Ils furent réduits à demander
merci, se résignant à payer une forte somme. Le
singulier achat, ou plutôt la conquête du Luxembourg vint s'ajouter en 1443 à
toutes ces annexions plus ou moins licites. Le duc persista dans l'habitude
de ne tenir aucune des promesses faites aux peuples, de supprimer
insensiblement leurs privilèges et libertés, et de les pressurer d'impôts
nouveaux. Dès
lors, presque toujours par suite de tant d'exigences politiques et fiscales,
on voit les villes l'une après l'autre réclamer les armes à la main leurs
anciens droits et privilèges et une administration plus douce. Amiens se
révolta d'abord en 1436 par le regret de l'autorité de France. Les sires de
Brimeu et de Saveuse y rétablirent l'ordre, mais non sans verser beaucoup de
sang. La même année, après la malheureuse tentative de Philippe sur Calais,
Bruges et Gand se soulevèrent. On avait sollicité ces villes à la guerre ; il
devenait difficile de les calmer. Le duc étant rentré dans la ville de Bruges
pendant l'effervescence populaire, et malgré les conseils du maréchal de
l'Isle-Adam, courut grand risque de la vie ; les mutins massacrèrent sans
pitié les Bourguignons qu'ils avaient pris et le maréchal fut tué dans la
bagarre. Le duc fit incontinent barrer les canaux et les rivières, pour
entraver leur commerce. La
Flandre se voyant ruinée par une si cruelle guerre, la sédition de Bruges
entraîna celle de Gand. Manufactures et ateliers étaient oubliés. Les Gantois
prirent sérieusement les armes et promirent à ceux de Bruges de faire cause
commune avec eux. Mais, soit qu'ils écoutassent encore les plus sages, soit
pour tout autre motif, ils se calmèrent ; et le duc, qui ne voulait pas avoir
affaire à deux adversaires à la fois, ne leur montra nulle sévérité. Quand
les habitants de Bruges se virent si peu soutenus des autres Flamands, ils se
soumirent. Ils obtinrent merci moyennant finance ; mais ils durent subir la
perte d'une bonne partie de leurs libertés et l'exécution de quarante de
leurs concitoyens. A Gand
les tètes s'étaient montées contre les gens du duc et surtout contre ceux qui
avaient barré les canaux. Les esprits fermentèrent longtemps. On finit par se
révolter contre les gabelles nouvellement introduites (1450, 1451) ; puis
aussi contre les actes de trahison et de despotisme, comme la suspension de
leurs magistrats, la condamnation sans jugement de leurs principaux ouvriers,
et l'exil de ceux-ci. Les Gantois cherchèrent même à soulever les autres
villes ; mais quoiqu'on inclinât pour eux, on redoutait la force et
l'habileté du duc. Philippe connaissait toutes ces menées ; il se mettait sur
ses gardes, renforçait ses garnisons, et néanmoins tenait toujours une cour
très-brillante, comme s'il n'eût en qu'à songer au plaisir. Il attendait que
les Gantois prissent l'offensive ; ce qu'ils firent malheureusement pour eux
en avril 1452. Ils essuyèrent un premier échec assez grave près d'Audenarde ;
puis, après plusieurs combats, une bataille s'engagea à Rupelmonde, en juin
de cette même année. Leur déroute fut complète ; le sol était couvert de
leurs morts, et tous leurs prisonniers furent vendus. Ce fut
une grande pitié. Toutefois Duclercq leur attribue l'initiative des
hostilités et même le dessein d'ouvrir les digues de la mer pour submerger
l'armée de Bourgogne. Il est certain qu'il y eut une intervention de Charles
VII dont les députés pris pour arbitres entre Philippe et les Gantois
prononcèrent à Lille une sentence ; et que les gens de Gand en furent peu
satisfaits, à cause de la perte de leurs privilèges. En février il fut encore
question de paix ; mais en juin 1453 la guerre se ralluma. Philippe ayant
pris Gavre, la dernière ville des Gantois, ceux-ci marchèrent, au nombre de
45.000 hommes, pour la reprendre. Ils furent encore taillés en pièces devant
cette ville et subirent, le 23 juillet, les conditions qu'il plut au duc de
leur imposer. La
victoire rend quelquefois entreprenant. Liège, comme les autres villes,
devait en éprouver les effets. L'évêque de cette ville, nommé Heinsberg[4], fut mandé en 1455 à La Haye
par Philippe le Bon. Il fut d'abord reçu avec beaucoup de courtoisie ; niais
lorsqu'il songeait à s'en retourner, on lui en refusa la liberté. On
l'obligea, le plus poliment possible, à résigner son siège au profit de Louis
de Bourbon, jeune et bel homme, niais qui montra fort peu d'aptitude à la
direction de ses affaires. Ce fut d'abord un grand deuil dans tout l'évêché,
puis une cause de beaucoup de troubles. Les Gantois implorèrent alors le roi
de France et il leur promit sa protection. D'ailleurs,
pour châtier si sévèrement ses pays du nord, le duc de Bourgogne avait
profité du moment où Charles VII, trop occupé de ses conquêtes de Normandie
et de Gascogne, ne pouvait leur donner aucun secours. En réalité tout cela
n'était qu'une tactique d'envahissement contre la France. Le duc, en effet, « acquiert,
prend, hérite, achète et il cerne le royaume ; partout il u est déjà au
cœur... Dans cette mort du XVe siècle il gouvernait « des vivants[5] ». Il faut se souvenir
cependant que chez lui on brûlait les Vaudois. N'oublions pas aussi que ces
villes du nord, loin d'avoir un gouvernement régulier et uniforme, étaient
quelquefois soumises à plusieurs autorités. Ainsi Maëstricht se trouvait sous
la souveraineté indivise de l'évêque de Liège et de l'évêque de Brabant.
C'était la situation de bien des villes, même en France. Les
Gantois vécurent plusieurs années sous ce rigoureux régime. Enfin, deux ans
après la soumission du pays d'Over-Yssel en Hollande, il se fit en 1458, par
la médiation du dauphin Louis, alors à la cour de Bourgogne, une
réconciliation entre les Gantois et Philippe. Cette rémission si attendue fut
célébrée par de grandes réjouissances. Vers Pâques le duc fit une entrée
solennelle dans la ville, sans être accompagné ni du dauphin, ni de son fils,
ni du sire de Croy. Un meilleur avenir parut sourire à tous ; mais ces belles
villes manufacturières et commerçantes, que Louis apprit alors à si bien
apprécier, n'étaient pas au bout de leurs épreuves, sous une domination qui
ne comprenait ni leurs intérêts ni leurs besoins. Après avoir souffert tout
ce que l'oppression a de plus humiliant, ces malheureux peuples aspiraient à
un peu de calme et de sécurité ; et l'excès des impôts, qui leur avait
d'abord été si à cœur, leur parut à la fin leur plus douce peine. Pour
s'agrandir les ducs de Bourgogne ne ménageaient pas plus leurs parents que
les autres. En 1404 Jean sans Peur, devenant duc de Bourgogne, céda tous ses
autres titres à son frère Philippe II, alors âgé de quinze ans. Philippe II
fut donc comte de Nevers, de Rethel et baron de Donzi. Comme il prit parti
dans la guerre civile contre les Armagnacs, Charles VI, dans un moment où le
parti d'Orléans triomphait, l'obligea de recevoir garnison dans toutes ses
places du Nivernais et du Rethélois. Commandant 1.200 hommes d'armes à
Azincourt, il y fut tué, le 25 octobre 1415. De son épouse Bonne d'Artois,
fille aînée du comte d'Eu, il laissait deux fils en très-bas âge, Charles et
Jean. En 1421 Bonne fut recherchée en mariage par Philippe le Bon ; elle
l'épousa et mourut l'année suivante à Dijon. « Le beau-père en usa mal avec
ses pupilles[6] ; Philippe de Brabant étant
mort sans enfants en 1430, sa succession, en vertu de la substitution de ce
duché faite à leur père, revenait à Charles et à Jean, fils du feu comte de
Nevers, ses cousins ; mais Philippe le Bon s'empara du Brabant et l'unit à
ses États. Il promit bien de dédommager ses pupilles, mais il remplit mal
cette promesse. » Voilà
comment les ducs de Bourgogne s'étaient fait un royaume qui enveloppait à
l'est et au nord celui de France. Nous ne parlons point de leurs convoitises
sur Lyon et sur la Provence. Cependant il faut ajouter à ces riches provinces
déjà connues le Luxembourg, que le duc sut très-bien s'approprier malgré les
droits que Ladislas avait légués à la maison de France en faveur de
Madeleine, sa future épouse ; les prétentions sur les duchés d'Alsace, de Bar
et de Lorraine, qui ensuite coûtèrent si cher au duc Charles le Téméraire ;
enfin les prétentions de sa fille même sur le fief masculin du duché de
Bourgogne. Telle
était donc cette formidable puissance de Bourgogne qui se croyait si bien
l'égale de la France, que le duc Philippe stipula dans le traité d'Arras, en
1435, que tant qu'il vivrait il serait dispensé de rendre hommage au roi. Le duc
de Bretagne aussi marchandait son hommage à la couronne. Le devait-il, et
quel devait-il être, telles étaient les graves questions qui s'agitaient dans
son conseil. Les actes des XIIe et XIIIe siècles prouvent que l'hommage était
dû, puisque les ducs d'alors s'y soumirent. Pendant nos guerres civiles et
étrangères, la Bretagne avait flotté quelque temps entre la France et
l'Angleterre. Il est encore vrai que ses traditions d'indépendance, à cause
de son éloignement, s'étaient réveillées et fortifiées pendant nos longues
luttes contre les Anglais ; mais la Bretagne faisait partie du royaume de
France ; le duc était un des douze pairs ; et sans remonter plus haut, les
seigneurs de cette province rendirent certainement un hommage-lige à Louis le
Gros, à Philippe-Auguste et à saint Louis. Ils s'étaient facilement
accoutumés à ne dépendre de personne, et ils allaient jusqu'à prétendre que
leurs devanciers avaient eu tort de rendre hommage. Au fait, selon leur
historien[7], l'hommage était dû. Les
hésitations actuelles laissaient trop apercevoir un vif désir de se refuser à
toute soumission. La
Bretagne avait ses états, qu'elle appelait ses parlements, tenus tantôt dans
une ville, tantôt dans une autre, n'ayant presque d'autre mission que de
sanctionner les volontés du duc manifestées par le chancelier de Bretagne ;
en sorte que le duc se croyait le droit de traiter directement avec la cour
de Rome et le roi d'Angleterre, de juger souverainement et d'une manière
irrévocable les appels de son pays, de ne recevoir en ses États ni les
ordonnances du roi, ni les mandements du parlement de Paris. Et, en effet, si
le duc de Bourgogne, bien évidemment apanagiste, avait ce droit, pourquoi le
duc de Bretagne ne l'aurait-il pas eu ? Tel était à l'ouest l'autre grand
vassal du roi, tout aussi hostile que le premier à l'unité française. Charles
VII, en atermoyant, en évitant d'user de ses droits royaux et de mécontenter
ses irritables vassaux, avait laissé à son successeur toutes les difficultés
sérieuses à résoudre. Au sud,
dans la Guienne et le Languedoc, nous séparant des Pyrénées et des royaumes
d'Espagne, étaient le comté de Cominges, nouvellement réuni à la France, les
États du comte de Foix, de la maison d'Albret, du duc de Nemours et du comte
d'Armagnac. C'était le côté le mieux assuré de la monarchie, semblait-il, et
cependant l'on verra s'il y avait lieu de trop s'y fier. Ces
maisons, qui tenaient la royauté à distance et même en échec, étaient unies
entre elles par des alliances de famille. Leur parfaite entente mutuelle ne
manquait pas de s'accroître aussitôt que l'une d'elles croyait avoir à
résister au roi et à faire acte de souveraineté. Parfois elles traitaient
avec les Anglais ou autres étrangers, et elles pouvaient même leur ouvrir
leurs portes, en cas de guerre avec la France. A ces
dangers toujours existants, il s'en joignait d'autres qui en étaient la
conséquence. Si le roi s'était cru assuré de l'intérieur du pays, cette force
solide et compacte lui eût suffi, sans doute, pour avoir raison à l'est et à
l'ouest de toutes les tentatives d'insubordination à l'autorité royale ; mais
s'il y avait quelques seigneurs, comme le comte d'Eu, sur lesquels on pût
compter, combien y en avait-il d'une fidélité douteuse ? Charles d'Orléans,
allié à la maison de Clèves, n'inclinera-t-il pas de préférence pour le duc
de Bourgogne en cas de conflit ? Et Dunois, son frère, n'a-t-il pas vu avec
peine le dauphin accepter à Genappe des relations d'amitié avec François Sforza
de Milan ? La maison d'Anjou ne s'en prendra-t-elle pas à Louis, malgré son
zèle à la servir, de l'insuccès de Jean de Calabre dans la revendication du
royaume de Naples ? Le duc d'Alençon et le comte d'Armagnac, après avoir été
graciés par le roi, seront-ils de fidèles serviteurs ou des auxiliaires de
ses ennemis ? Louis XI va donner le Berry à Charles, son frère, que leur père
commun avait laissé sans apanage. Ce jeune imprudent, loin d'être satisfait
de cette concession, dont le parlement même s'alarme, sera l'âme des complots
qui s'ouvriront contre la royauté, et le jouet des factions. Les
troubles suscités par l'esprit féodal et les difficultés à le réprimer
étaient partout les mêmes en Europe. Qu'on observe plutôt ce qui se passe
alors en Angleterre et surtout en Castille. Ajoutons en Italie la lutte des
maisons d'Anjou et d'Aragon pour la couronne de Naples, les partis fort
irritables des Adorne et des Frégose à Gênes, les continuelles oscillations
de la papauté en matière de direction temporelle et d'influence politique, et
l'hostilité réciproque des ducs de Bourbon et de Savoie se réclamant
mutuellement redevance, le premier au second comme seigneur de Beaujeu et de
Beaujolais, le second au premier comme seigneur de Bresse. On voit en
Catalogne les trois partis de Jean d'Aragon, de Henri IV et des vieux
défenseurs des franchises barcelonnaises ; en Navarre, les anciennes factions
des Beaumont et de Grammont, et en France, outre les divisions nées des
prétentions féodales dont nous avons parlé, un parti anglais issu
naturellement de la longue occupation britannique. Telle
est la situation faite à Louis XI dès son avènement. Deux lignes de conduite
restaient à suivre : tolérer les échecs journellement faits à l'autorité et
aux droits royaux, se contenter d'un état de paix plus apparent que réel,
ajourner, comme avait fait son père, toutes les grandes solutions, au risque
de voir les abus et les empiétements se fortifier encore par la coutume et le
temps : ou alors continuer courageusement l'œuvre déjà si bien commencée par
Charlemagne, Philippe-Auguste,' saint Louis, Philippe le Bel, Louis X et
Charles V ; profiter de la disparition et transformation de l'esclavage pour
appeler toutes les forces viriles au service du pays ; affaiblir la
prépondérance de l'aristocratie de naissance, pour mieux faire apprécier la
valeur du mérite personnel ; chercher dans la bourgeoisie, que le travail et
l'industrie élevaient à la fortune, et dans les communes de plus en plus
affranchies, l'appui dont la couronne avait dorénavant besoin ; enfin
travailler résolument à fonder sur les ruines de la société féodale cette
belle unité française que nous avons sous les yeux à notre grand profit. Sans
hésitation Louis XI choisit le second. La
seule chance de succès pour la France c'était de rentrer sous le sceptre d'un
roi, homme de caractère, réellement supérieur, dans la force de l'âge,
infatigable au travail, ne sacrifiant jamais le soin de ses affaires à ses
plaisirs, connu par son courage et son habileté militaire ; jugeant très-bien
les plus dommageables préjugés de son temps et décidé à en faire justice ;
profond politique, quoique souvent dupe de son trop de confiance ;
reconnaissant des services rendus, peut-être jusqu'à l'excès ; frugal, bon
père de famille et sagement économe pour sa personne ; mais surtout bien
au-dessus de ses contemporains pour sa manière d'envisager dans l'avenir
l'intérêt de la France. Charles
VII étant mort, il y eut abandon général de l'ancienne cour. Ce délaissement,
à quoi le comparer, sinon à la dispersion des mouches quand le miel ne les
attire plus ? On va vers le dauphin pour être confirmé dans son office et
pour savoir comment s'y gouverner[8]. Presque seul, le grand écuyer
Tanneguy du Châtel, le neveu de celui qui sauva le dauphin des mains des
Bourguignons en 1418, était resté auprès de son maître pour tout régler et
présider aux obsèques. Il dut même avancer de ses deniers ce qu'il fallait
pour le transport du corps jusqu'à Notre-Dame des Champs. A Paris le service
funèbre fut célébré le 6 août. Le lendemain, vendredi, le corps fut mené à
Saint-Denis. Ce pieux devoir accompli, Tanneguy du Châtel partit pour la cour
de Bretagne. François II le nomma d'abord grand-maître de son hôtel ; mais ce
brave chevalier, vicomte de Bellière du chef de sa femme Jeanne de Raguenel,
ayant encouru la disgrâce du duc pour lui avoir donné de sages avis, revint
en 1466 auprès de Louis XI, et en fut accueilli comme un ancien et fidèle
serviteur. On
rapporte qu'après le repas funèbre Dunois prit la parole et dit : « Nous
avons perdu notre maître ; pour ce, que chacun se pourvoie. » Louis XI était
alors si éloigné du mauvais vouloir que ces paroles ferait supposer qu'on a
deux projets d'ordonnance de la première année de son règne[9], conçus en ces termes : « Louis,
par la grâce de Dieu, roi de France, à tous ceux qui les présentes verront sçavoir
faisons que, considérant les bons, grands et continuels services que notre
cher et féal cousin, conseiller et grand chambellan de France, le comte de
Dunois, a faits pendant longtemps à notre très-cher seigneur et père, à qui
Dieu pardoint, tant à l'entour de sa personne que autrement en plusieurs et
diverses manières, et espérons que aussi nous fera en temps à venir, confiant
en ses sens, capacités, vaillance, prud’hommie et bonne diligence, il nous
plaît et voulons qu'il soit et demeure en l'office de capitaine de notre
ville et chaste ! de Meulan, autant que icelui office par le trépas de
notredit seigneur et père et par suite de notre joyeux avènement pourrait
être vacant. » La seconde ordonnance dans les mèmes termes le nommait
capitaine de la ville et du château de Honfleur. La
nouvelle de la mort du roi fut promptement apportée à Genappe. Dès que le
dauphin en est informé il se prépare à rentrer en France. Le duc Philippe lui
donne rendez-vous à Avesne et promet de venir sous quelques jours l'y trouver
pour lui faire cortége avec toute sa noblesse qu'il va convoquer. Elle dut se
trouver réunie, le 8 août, à Saint-Quentin. L'équipage de Louis était fort
modeste. La princesse Charlotte, son épouse, quand elle partit pour être
reine de France, fut obligée d'emprunter les haquenées de la comtesse de
Charollais, et même ses chariots et fourgons ; et « de faict, dit Châtelain,
le duc envoya ses haghenées à la royne par un sien escuyer d'écurie nommé
Carnille de la Barre ; et partyt la royne du pays_ tout ainsi que avoit faict
son mary. » Louis
écrit aux principales autorités des provinces de France et de Brabant, à tous
les corps, princes, gouverneurs, sénéchaux et hauts dignitaires. Il n'oublia
pas son apanage et particulièrement les villes d'Embrun, de Valence, de
Vienne, de Romans, de Grenoble, ni le gouverneur et le lieutenant de
celui-ci. Le héraut, nommé, Guienne, laisse des lettres à messieurs du grand
conseil pour les remettre à messieurs de Courcillon, du Bouchage, d'Argental,
l'abbé de Saint-Antoine, de Clermont, de Robies, d'Uriage, de la Frete, aux
baillis des montagnes et autres. Personne n'est oublié. Il en fut de même
dans les autres provinces. Toutes ces lettres annonçaient son avènement et
exprimaient son désir de travailler activement au bonheur de la patrie, avec
le concours de tous. Elles étaient la première expression de son autorité, et
sont datées pour la plupart des premiers jours d'août. On voit
le roi, dès le 27 août, mander au maréchal de Xaintrailles d'aller prendre
possession en son nom de la Guienne, parce que cette province, la dernière
conquise, pouvait encore tenter l'Angleterre. On croit cependant que son
premier acte d'autorité fut l'ordonnance du 30 juillet, par laquelle il
confirma dans leurs postes tous les gens des comptes et du trésor. Étant roi
depuis le 22, il aurait laissé huit jours s'écouler sans user de sa
puissance, ce qui témoigne de son peu d'avidité du pouvoir. On
raconte que vers ce temps, lorsque la plupart des officiers de Paris et du
royaume[10] allaient vers le dauphin pour
être confirmés dans leurs offices et savoir comment s'y comporter, maître
Étienne Chevalier, trésorier des finances, l'un des exécuteurs testamentaires
de Charles VII, et maître Dreux Bude, audiencier de la chancellerie de
France, se dirigent vers Mehun-sur-Yèvre. Ils furent arrêtés à Montargis à la
requête d'un gentilhomme nommé Honaste de Morpédon, « et furent là un
espace de temps, jusqu'à ce que le roi les eut envoyés faire délivrer, eux et
leurs biens, et depuis ils furent par lui entretenus dans leurs offices de
trésorier et d'audiencier ». Si
Louis avait pu avoir la moindre inquiétude sur l'accueil qui lui était
réservé, il dut être bientôt rassuré ; car dans son trajet de Genappe à
Avesne, il recevait à chaque instant les députations des seigneurs et des
villes qui lui marquaient leur obéissance et les capitaines de différents
corps de troupes qui lui amenaient leurs compagnies. Il pria donc le duc de
ne point venir l'accompagner avec un cortège qui eût ressemblé à une armée,
mais seulement avec un certain nombre de gentilshommes et de seigneurs de ses
riches provinces du nord et de l'est, ceux surtout qui composaient sa maison.
On évalue qu'ils furent environ 4.000, magnifiquement équipés, nombre que
nous croyons un peu exagéré. Dans
l'église d'Avesne on célébra pour le repos du feu roi un service funèbre où
assistèrent en deuil le duc Philippe, les comtes de Charollais et d'Étampes,
Jacques de Bourbon et Adolphe de Clèves. Après le service, Louis, selon
l'usage de France, se vêtit de la pourpre, « le royaume ne devant jamais être
sans roi ». Trois jours après la mort de Charles VII, c'est-à-dire le 25
juillet, le parlement de Paris envoyait à Louis XI une députation conduite
par les trois présidents et le procureur général ; on avait vu partir aussi
maître Juvénal, chancelier de France, avec les députés de la ville de Reims,
accompagnés de l'archevêque. Ils vont jusqu'à Avesne à la rencontre du roi et
ils sont bientôt reçus. Le spécimen qui nous reste de l'éloquence du
chancelier nous prouve que la recommandation qu'on lui fit d'être bref ne
manquait pas tout à fait d'à-propos. L'archevêque
Juvénal des Ursins raconte la réception qui leur fut faite. « Le roi envoya
devers nous l'archevêque de Bourges, maitre Jean Cœur, nous dire d'être bien
brief. Nous entrâmes où il était, accompagné des seigneurs de Crouy, de
Montauban et de plusieurs, tant gens d'église qu'autres, et nous mîmes tous à
genoux. Il nous fit relever et nous dit lui-même que nous dissions ce que
nous voudrions et fussions brief ; et voici que je lui dis : Notre souverain
seigneur, nous venons humblement et respectueusement vous adresser nos
félicitations pour votre avènement, et aussi notre promesse d'obéissance de
cœur, de corps et de biens jusqu'à la mort. » Ici
l'orateur rappelle, pour les commenter, les paroles de Dieu à Samuel : «
Voici l'homme que je t'avais indiqué », paroles qu'il traduit ainsi : « Va à
Louis, qui est vrai roi de France ; tu dois l'oindre du saint chrême de la
sainte ampoule que j'ai envoyée à Remy pour consacrer le roi Clovis. » Puis
il trace les règles du gouvernement ; il les voit en quatre verbes
personnifiés en vertus : dico, la sapience ; duco, la prudence ; facio,
la puissance ; fero, la patience. Vient ensuite la plus singulière définition
de la formation de l'impératif de ces quatre verbes ; et cela pour expliquer
l'élection de Pharamond, qui était à la fois sage, prudent, vaillant et
patient. Il applique toutes ces qualités à la conduite antérieure de Louis,
et lui attribue surtout la vaillance, en souvenir de ses faits d'armes. A ces
éloges, se mêlent des conseils inspirés par la pauvreté du peuple, chargé de
tailles, aides et de plusieurs autres subsides, et ruiné surtout par les
pilleries et roberies que le nouveau roi est prié de faire cesser. L'orateur
terminait par une pressante invitation de venir au plus tôt se faire sacrer à
Reims. Louis répondit quelques bonnes paroles, mais c'était le moment de
régner et de gouverner, et non de faire de longs discours. Le roi
resta très-peu de jours à Avesne. Il termina d'abord les affaires les plus
urgentes, et s'étudia à tracer la ligne politique qu'il comptait suivre au
dedans et au dehors. Parmi les instructions qu'il donna alors à ses hommes de
confiance, tels que l'amiral de Montauban, le bâtard d'Armagnac, Jean Bureau,
Capdorat ou Aymar de Poisieu, on remarque l'ordre de prier la reine d'envoyer
monsieur Charles auprès du roi, et de faire publier à son de trompe « que si
aucuns ont donné argent pour être avancés aux affaires, ils doivent le
révéler sous peine de perdre leurs charges ». Il commande aussi aux gens des
comptes et du trésor royal à Paris, par lettres d'Avesne du 30 juillet, « de
besogner dorénavant au fait de leurs offices, tout ainsi qu'ils avoient
accoutumé de faire ; » et cette ordonnance de confirmation est contresignée
par l'archevêque de Bourges, l'amiral, les sires de Croy et de Baugy et
autres. Le 3 août il donne le comté de Cominges à Jean, bâtard d'Armagnac,
son cher et féal cousin, déjà nommé maréchal de France. Il le fait «
gouverneur et son lieutenant général ès pays de Guienne, parce que dès le
jeune âge il a donné bon service à son cher seigneur et père, que Dieu
absolve, comme à lui-même dans la Guienne et ailleurs. » « Il considère
qu'il est très-digne de récompense et n'a encore eu aucune provision de terre
ou seigneurie ». Pour cette aliénation le parlement fit de vives
remontrances. Par le même sentiment de reconnaissance il donne, le 6 de ce
mois, à Imbert de Bastarnay, seigneur du Bouchage, plusieurs capitaineries et
particulièrement celle de Blaye. D'Avesne,
le roi se dirigea vers Château-Thierry. Là, Thomas Bazin, évêque de Lisieux,
qui fut plus tard obligé de se démettre à cause de ses désobéissances, ne se
montra pas des moins empressés à venir à sa rencontre et à le féliciter. Il
le salua dans l'abbaye de Saint-Thierry, et lui représenta en peu de mots que
son peuple était presque ruiné par les guerres des deux derniers règnes ;
qu'il était temps de le soulager, et qu'il fallait rétablir la justice dans
les tribunaux inférieurs et supérieurs. Le roi répondit à ces remontrances
qu'il n'y avait point de discours qui lui plût davantage, qu'il allait
travailler à rétablir le royaume et à le remettre en un état plus florissant
que jamais. Il parla de la différence qu'il voyait entre les siens et ceux de
Bourgogne : il ne rencontrait que des hommes portant la misère peinte sur
leurs visages, des villages ruinés et une campagne déserte ; dans tout le
pays d'où il venait régnait l'abondance ; les hommes y paraissaient riches et
contents, les villages étaient peuplés, et il n'y avait pas un coin de terre
qui ne fût cultivé. Le roi ne se contente pas de remercier le prélat ; il le
prie de penser à ce qu'il venait de lui dire et de mettre par écrit ce qui
lui paraissait le meilleur et le plus avantageux au bien du royaume. C'est
alors que, par lettres contresignées du sire de Montauban, les privilèges de
la ville de Tournay sont confirmés. Le 5 août 1461, une procuration est
donnée au mandataire du duc de Milan auprès du roi pour renouveler le traité
fait à Genappe avec le dauphin. Datée du 6 août, une lettre du sénéchal de
Toulouse, d'Albigeois et de Cominges, est remise au roi et lui rend compte de
ce qu'il a fait pour conserver en son obéissance les places qui étaient entre
ses mains. Le 8, une lettre de recommandation du duc de Nemours est écrite au
roi en faveur de plusieurs officiers de la haute Auvergne, dignes d'être
continués dans leur emploi. Louis,
qui devait rester quelques jours à Château-Thierry, envoie devant lui à Reims
le sire de Montauban, amiral de France, en la place de Jean IV de Bueil,
comte de Sancerre, pour commander qu'on rendît de grands honneurs au duc de
Bourgogne. Dans ses instructions il ordonne qu'on s'avance le plus loin
possible à la rencontre de ce prince ; que l'archevêque et le clergé aillent
à son domicile le remercier de ce que, après Dieu et Notre-Dame, il a le plus
contribué à sauver le roi ; que les officiers lui viennent offrir les clefs
de la ville ; que tant qu'il y sera on lui rende les mêmes honneurs qu'au roi
lui-même. Il veut que dans le cas où les gens de Monseigneur commettraient
quelques excès, il soit dit de sa part à Tristan l'Hermite, continué dans ses
fonctions de prévôt des maréchaux, « de ne pas agir à leur égard, mais de
prendre note de ce qu'ils auraient fait, et de lui en faire un rapport, afin
qu'il en ordonne à son bon plaisir ». Cette lettre[11] fut collationnée et enregistrée
le 20 août. Il écrit encore à l'amiral, le 12, ces mots : « Nous avons reçu vos
lettres. Délibérez au plaisir de Dieu et de Notre-Dame, afin que le
couronnement ait lieu samedi prochain ; pour ce, donnez ordre que tout soit
prêt et qu'il n'y ait point de faute[12]. » Le roi attendit un peu à
Saint-Thierry, où le duc de Bourgogne devait venir le trouver. Louis
voulait inaugurer son règne par la cérémonie religieuse du sacre. Il suivra
l'antique usage de ses prédécesseurs. Louis VI, il est vrai, pour punir
l'archevêque de Reims d'avoir négligé, après son élection, de demander la
sanction royale au moins pour l'investiture de son temporel, et de n'avoir
point rendu son hommage-lige au roi, crut devoir se faire sacrer à Orléans
par l'archevêque de Sens. Mais pour cette solennité, avant comme depuis, la
cathédrale de saint Rémy avait prévalu. On
était donc allé querir solennellement la sainte ampoule, que l'abbé apporta
jusque dans l'église cathédrale, à cheval, sous un pli :de ou dais, précédé
de plusieurs hérauts et trompettes. Le 11 août 1.461, le roi fit dans la
ville une entrée magnifique. L'archevêque était allé jusqu'aux portes le
recevoir. Le lendemain samedi eut lieu le couronnement. Il se fit en
très-grande pompe. Louis, avant d'être sacré, malgré cette opinion que les
rois étaient chevaliers par le baptême, voulut être armé par le duc de
Bourgogne ; attention non de fantaisie, comme on l'a dit, mais de courtoisie,
puisque, selon le témoignage de Bossuet, Charles VII avait été à son sacre
armé chevalier par le duc d'Alençon. Il conféra ensuite la chevalerie aux
sires de Beaujeu et à Jacques de Bourbon, frères du duc de ce nom, aux deux
fils du seigneur de Croy et à Jean Bureau, trésorier de France. Non titrés,
les deux frères Bureau rendaient de grands services dans l'artillerie et les
finances. Alors il pria le duc Philippe de continuer cette promotion, et un
grand nombre de seigneurs et de gentilshommes reçurent l'accolade ; on croit[13] qu'ils furent au nombre de cent
dix-sept. Selon l'usage, le roi fit serment de garder inviolablement les lois
du royaume. Le
sacre eut lieu sous les yeux des doué pairs, suivant la coutume, présents ou
représentés. Les' pairs ecclésiastiques étaient le duc-archevêque de Reims,
le duc-évêque de Langres et les comtes-évêques de Laon, de Châlons-sur-Marne,
de Noyon et de Beauvais. Ils assistèrent tous en personne, excepté l'évêque
de Noyon que remplaça l'évêque de Paris. Il y eut de plus un patriarche,
quatre archevêques, sept évêques et un grand nombre d'abbés et de prélats.
Parmi eux on distingue l'évêque de Soissons, Jean Milet, ancien recteur de
Paris, qui siégea même après ce règne. Pendant que le chœur chantait le
psaume 132e, l'archevêque ceignit au roi le cremeau et l'oignit du saint
chrême. Après l'onction, les pairs le revêtirent d'une grande chape semée de
fleurs de lis ; alors l'officiant lui mit entre les mains le sceptre et la
main de justice, et l'archevêque de Bourges, maître Jean Cœur, lui ayant
ajusté une sorte de coiffe noire, « tous les « pairs lui posèrent la couronne
royale sur la tête ». On
remarquait dans l'assistance les comtes de Genève, de Saint-Pol, de Dunois,
de Wirtemberg, de Braine, et le fils du marquis de Saluces. Les pairs laïques
avaient à leur tête le duc de Bourgogne, premier pair et doyen. Tous les
autres étaient représentés, le duc de Normandie, par le comte d'Angoulême ;
le comte d'Artois, par le duc de Clèves ; le comte de Flandre, par le comte
de Nevers ; le comte de Champagne, par le comte d'Eu ; et le comte de
Toulouse, par le comte de Vendôme. Ainsi là figuraient deux belles provinces
autrefois nôtres, alors passées sous la puissance du duc Philippe. Ce prince
se fit remarquer par sa magnificence et l'éclat de ses gens. L'épée de
connétable fut portée par le maréchal comte de Cominges ; Joachim de Rouhaut,
nommé tout récemment aussi maréchal de France, remplit l'office de grand
écuyer, et Antoine de Croy, comte de Porcien, celui de grand maître de
l'hôtel du roi. Le chant du Te Deum termina la cérémonie religieuse. L'hommage
était la conséquence du sacre. Le duc Philippe, disons-le à sa louange,
n'hésita pas à rendre au roi l'hommage-lige. Voici très-exactement le serment
qu'il prononça : « Mon très-redouté seigneur, je vous fais hommage
présentement de la duché de Bourgogne, des comtés de Flandre et d'Artois., et
de tous les pays que je tiens de la noble couronne de France ; et vous tiens
à seigneur et vous en promets obéissance et services, non pas seulement de
ceux que je tiens de vous, mais de tous les autres pays que je ne tiens point
de vous, et d'autant de seigneurs et nobles hommes, de gens de guerre et
d'autres qui y sont que j'en pourrois croire. Je vous promets faire service
avec mon propre corps tant que je vivrai, avec aussi grande quantité que je
pourrai finer (réaliser)
d'or et d'argent[14]. » Après cela le duc de
Bourbon, les comtes de Nevers, de Vendôme et autres pairs, et ensuite un
grand nombre de seigneurs firent aussi leur hommage. La
cérémonie fut suivie du festin royal, où chacun prit place selon son rang :
d'abord les pairs ecclésiastiques à la droite du roi, puis les pairs laïques
et autres personnages à la gauche. Là, assure-t-on, le duc Philippe, mettant
un genou en terre, pria le roi, au nom du Christ, de pardonner à ceux qui
l'auraient desservi auprès de son père et de laisser leurs charges aux
officiers et gouverneurs sous le règne précédent. Il était généreux de la
part du duc de témoigner cette bienveillance à des seigneurs dont plusieurs
lui avaient été hostiles, mais on se demande si le roi ne souffrit point de
se voir ainsi la main forcée. Toutefois il accorda, n'exceptant de cette
amnistie que sept personnes. On a dit que, sous prétexte de ces sept, il ne
pardonna pas à un ; la vérité est qu'il pardonna au contraire à tous. Les
sept personnages sur lesquels se sont portées les conjectures sont : le comte
de Dammartin, le sire Pierre de Brezé, sénéchal de Normandie ; André de
Laval, le maréchal sire de Lohéac, le sire de Bueil, amiral ; Louis de Laval,
qui avait été gouverneur du Dauphiné, et le chancelier Guillaume Juvénal des
Ursins. Ce même jour (17 août), Louis XI donna au duc Philippe des lettres de mainlevée
adressées à la chambre des comptes et à ses officiers et baillis, à condition
que le duc donnera ses aveux et dénombrements dans le temps prescrit ; sages
précautions qui devaient prévenir toutes difficultés à l'avenir, si on les
avait observées. S'il se fût empressé d'accorder, comme on le désirait à la
cour de Bourgogne, ce que l'on appelait les enclaves du Mâconnais et de
l'Auxerrois, on l'eût certainement accusé de trahir les intérêts de la
France. Il attend sur ce point de faire un traité sérieux, afin de rendre au
: parlement toute sa juridiction. D'autres
faveurs lui furent demandées à Reims par les magistrats, interprètes naturels
de la population. Il était d'usage qu'à leur sacre les rois, pour se rendre
populaires, fissent de grandes promesses qui plus tard devenaient une cause
d'embarras. On demandait la suppression, ou tout au moins la diminution des
tailles, des gabelles et autres impôts pour leur ville et même pour le
royaume. Le duc de Bourgogne, qui pourtant ménageait si peu ses peuples au
'point de vue fiscal, semblait appuyer cette supplique. Le roi fit une
réponse pleine de sagesse ; sans rien promettre de ce qu'on lui demandait, il
se montre touché du sort du pauvre peuple. Il représente que la misère ne
venait pas des impôts, mais bien de l'absence du commerce et de l'industrie ;
qu'ils devaient désirer, comme les riches villes de Flandre et de Bourgogne,
d'acquérir de l'aisance, même de s'enrichir par le travail, et de pouvoir
ainsi payer facilement les charges publiques ; il promet, pour lui, de s'y
employer de tout son pouvoir. Si le labeur des champs enrichit la campagne,
c'est par l'industrie et le commerce que les villes deviennent florissantes.
Telles sont les idées économiques pleines de justesse que le roi désirait
rendre populaires, mais que son siècle comprenait encore trop peu. Cependant
Louis s'applique aux affaires du royaume. Songeant à l'organisation de la
justice en Normandie, on le voit, le 23 août, à Meaux en Brie, donner
commission à Guillaume Picard pour y exercer le greffe civil, comme il avait
fait du vivant du roi Charles. Voulant constituer la cour de l'échiquier, il
en donne mandat à messire Jean, évêque de Saint-Brieuc, président ; à Jean de
Courcelles, archidiacre en l'église de Paris et conseiller du roi au
parlement ; puis à maître Bertrand Briçonnet, comme greffier criminel. Il
désigne Jean de Montespédon pour bailli de Rouen ; Jacques Rouhaut pour
bailli de Caux ; Guillaume Hiner pour bailli de Caen et plusieurs autres. Par
lettres du 26 août Louis permet à Jean de Calabre, occupé à 'recouvrer le
royaume des Deux-Siciles, de différer deux ans de rendre hommage pour
certaines terres qu'il possédait en Lorraine. Un an fut ensuite ajouté à ce
premier délai, et, malgré toute sa courtoisie, son cou-. sin en fut peu
reconnaissant. Le vendredi 28 août le sire Louis d'Estouteville, capitaine de
Rouen, gouverneur de la Normandie, et de plus commissaire du roi, reçoit en
pleine assemblée les clefs de la ville, du château et du port, ainsi que le
serment au roi des officiers et citoyens. Peux mois plus tard Jean d'Estouteville,
seigneur de Bricquebec, fils de Louis, prend possession, au nom de son père,
des clefs de Rouen et de la capitainerie de la Normandie. Le 4 janvier
suivant, Louis XI confirme la charte de cette province et fixe la juridiction
générale du pays. Avant
d'entrer à Paris, le roi s'arrête à Saint-Denis le 30 août, et il y fait
célébrer un service pour son père. En cette cérémonie, le légat releva
Charles VII d'une excommunication qu'il avait encourue de son vivant, à cause
de la pragmatique sanction. Nous ne saurions blâmer Louis XI de cet acte.
Non-seulement il devait souffrir cette absolution d'outre-tombe, accordée par
le pape, mais il devait la souhaiter pour le repos de l'âme de son père. Si
l'on veut bien surtout se reporter aux idées du temps on reconnaîtra qu'il
eût agi contre toute raison de s'opposer à ce suprême pardon. Peut-être
l'expérience l'avait-elle déjà éclairé sur la difficulté des élections
ecclésiastiques ; peut-être pressentait-il qu'il ne pourrait parvenir à
exécuter à l'intérieur ses grands projets pour la concentration de l'autorité
et l'unité de la France, s'il ne maintenait de tout son pouvoir la paix à
l'extérieur et surtout avec le Saint-Siège. Le roi
approche de Paris, où le duc de Bourgogne l'a précédé. Le même jour, 30 août,
aux Porcherons, à la porte même de la ville, il dispose de la terre de
Roqueferrière. Louis de Bourbon, comte de Vendôme, ayant été emmené
prisonnier en Angleterre, cette terre avait été donnée par importunité à
Agnès Sorel par Charles VII ; les héritiers (le celle-ci s'en étaient
emparés. Jean de Bourbon, fils de Louis, fort jeune au moment de cette
spoliation, avait grandi depuis, et ses réclamations n'avaient point été écoutées
; il profita de la circonstance et réclama de nouveau. Louis XI approuva la
justice de sa requête, et par lettres patentes restitua cette terre à la
famille de Bourbon-Vendôme, qui lui resta fidèle. Le
lendemain, lundi 31 août, le roi fit solennellement son entrée à Paris. Le
duc de Bourgogne et toute sa maison, composée de deux cent quarante
seigneurs, allèrent à sa rencontre au-delà de la porte Saint-Denis. A cette
porte, le prévôt des marchands, Henri de Livres, et les corps d'état de la
capitale, vinrent lui présenter les clefs de la ville. Il entra monté sur un
cheval blanc, sous un dais de drap d'or que portaient les échevins, au milieu
d'un splendide cortège et acclamé par une foule immense. En tête
du cortège étaient de front Adolphe de Clèves, seigneur de Ravestein,
Philippe de Horne, seigneur de Boussignies, et Philippe Pot, seigneur de la
Roche, chacun suivi de six pages richement vêtus et bien montés ; suivaient
vingt-quatre archers du comte d'Étampes, marchant deux à deux et derrière eux
les comtes de Nevers et d'Étampes ; ensuite venaient vingt-quatre archers ou
gardes du duc de Bourbon, autant du comte de Charollais, cent du duc de
Bourgogne, chaque troupe étant commandée par deux chevaliers. Le cortége
était fermé par un groupe de deux cent quarante gentilshommes des États du
duc, plus brillants les uns que les autres. Venaient ensuite les seigneurs de
la suite du roi, le maréchal de France, comte de Cominges ; le sire de
Montauban, amiral ; les comtes d'Eu, de la Marche et de Pardiac, tous trois
sur une même ligne ; les sires Alain Goujon, de Matignon, seigneur de
Villiers, Antoine de Châteauneuf, seigneur du Lau, et environ trente
gentilshommes de la maison du roi, vêtus comme lui de damas cramoisi et blanc
; marchent après soixante hérauts, précédant cent vingt gardes du roi avec
chacun un valet de pied à son côté ; puis cinquante-quatre trompettes. A
quelque distance étaient le maréchal de Bourgogne et le seigneur de Croy,
allant ensemble ; marchait seul le maréchal de Rouhaut, grand écuyer, portant
l'épée du roi. Le jeune Floquet, fils du bailli d'Évreux, portait le heaume
surmonté d'une riche couronne d'or ; ensuite venait le cheval de main du roi
couvert d'une housse de velours bleu, semé de fleurs de lis d'or. Après
le roi venait à quelque distance le duc de Bourgogne éclatant de pierreries
qu'on estimait valoir plus de trois millions, et suivi de neuf pages portant
une salade. A la gauche du duc et un peu en arrière, étaient le duc de
Bourbon et le comte de Charollais, presque aussi richement vêtus ; et enfin
un corps de deux mille chevaux terminait cette brillante suite. Partout
où le roi devait passer on voyait à chaque pas quelque beau spectacle, comme
cinq dames à cheval aux armes de la ville, représentant les cinq lettres de
Paris ; puis à la porte Saint-Denis était un navire, symbole des trois États,
d'où deux anges vinrent poser une couronne sur la tête du roi. Là on avait représenté
ses principaux faits d'armes, la prise de Dieppe par exemple ; ailleurs
quelques allégories ou mystères. Il se rendit ainsi à Notre-Dame, et après
avoir adoré Dieu, il promit avec serment, selon l'usage, entre les mains de
l'évêque Guillaume Chartier, d'accorder à la religion appui et protection.
Ensuite il s'en fut tenir au palais ce qu'on peut appeler une cour plénière,
et de là il alla prendre possession du palais des Tournelles, tandis que le
duc de Bourgogne se dirigeait vers son hôtel d'Artois. En
cette journée ne parurent point trois des plus grands princes du royaume. Le
duc Charles d'Orléans fut empêché par son grand tige ; le comte du Maine et
le roi René restèrent à Amboise auprès de la reine douairière Marie d'Anjou,
leur sœur. Pour le comte de Foix il justifia son absence. Pendant plusieurs
jours Paris, où étaient accourus une multitude innombrable d'étrangers, fut
rempli de toutes sortes de fêtes et de réjouissances. Louis XI pourvut au bon
ordre de la ville en ordonnant de ne point hausser le prix des objets de
consommation. Il défendit de prendre plus de deux sous (aujourd'hui environ 4
francs) pour un cheval. Plus
que tous les autres, les seigneurs de Bourgogne étalaient sous toutes les
formes le luxe et l'opulence. C'est à l'hôtel d'Artois qu'on voyait les plus
rares objets d'art et les chefs-d'œuvre de l'industrie. Comme la plus belle
de ces merveilles on allait y admirer les riches tapisseries d'Arras
rehaussées de soie, d'or et d'argent, celles surtout que le duc avait fait
faire pour son ordre de la Toison d'or et représentant Gédéon, qu'il
préférait à Jason. Au milieu du jardin de ce splendide hôtel était un
pavillon doublé d'un velours cramoisi semé de broderies d'or, parmi
lesquelles on distinguait les armes de chacune de ses provinces ou des
principales villes de ses États. Tous les meubles égalaient la magnificence
de ces ornements. Le
comte de Charollais désirait plaire aussi à cette grande ville où l'on
conservait tant de souvenirs de sa maison. Pour le dimanche 13 septembre il
fait annoncer des joutes dans la rue Saint-Antoine, devant le palais des
Tournelles. La foule y était si grande qu'il y périt quatre personnes
étouffées, et que beaucoup furent blessées. Avec le comte de Charollais il y
avait cinq autres tenants, savoir : le prince Adolphe de Clèves, le binard
Antoine de bourgogne, les sires de la Gruthuse, de Querdes et de Miraumont.
Le duc Philippe s'y montra à cheval ayant en croupe la duchesse d'Orléans, sa
nièce. Le comte de Charollais jouta, niais n'eut pas le prix. Après plusieurs
lances rompues, « parut dans la lice Frédéric de Wilten, sujet du duc de
Bourgogne, jeune écuyer d'outre-Meuse, avec son écu et son cheval, couvert
seulement d'une peau de daim. Il eut le prix. Sur un autre point il y eut un
tournois où il fut encore mieux combattu. Celui qui s'y distingua le plus,
était Philippe, Monsieur de Savoie[15]. » Tels étaient les plaisirs
dont alors on raffolait ; les historiens du temps nous entretiennent des pas
d'armes de Rasily, de Saumur, de Tarascon et autres lieux où combattirent le
roi René, Gui de Laval, le duc d'Alençon et beaucoup d'autres seigneurs. Louis
XI prenait peu de part aux tournois et autres divertissements qui attiraient
et charmaient la foule. Il restait en son palais des Tournelles, uniquement
occupé de ses affaires. Aimant la simplicité pour sa personne, il ne
considérait dans toutes ces splendeurs que ce qui pouvait accroître la
richesse du royaume. Ces belles soieries de Venise importées par la ligue
hanséatique et répandues par le commerce des villes de. Flandre et de
Brabant, il rêvait d'en acclimater la production sous le doux ciel de la
France. Ces tapisseries d'Arras, célèbres dans tout le monde, où les métaux
précieux se mêlaient aux plus délicats tissus, lui semblaient une industrie
merveilleuse avec laquelle son pays pouvait rivaliser. Trois éléments de
prospérité étaient nécessaires pour arriver à ce but, et furent le constant
objet de ses efforts : la paix, la concentration de l'autorité royale et
l'émancipation de la bourgeoisie. Louis
XI était resté quinze années éloigné de la cour, et même les cinq dernières
il les avait passées hors de la France. Comme on le sait, il s'était formé
contre lui un parti puissant qui ne manquait pas d'appui dans le monde
officiel. On s'était fait une longue habitude de le dénigrer ; peut-être même
le traiter avec mépris était-ce alors un titre pour arriver aux meilleurs
emplois. Il sentait bien qu'il ne pouvait atteindre tous ceux qui l'avaient
desservi, mais il voulait au moins que les officiers de l'État le plus haut
placés, surtout quand ils avaient fait parade de leur hostilité-envers sa
personne, sentissent qu'ils tenaient de lui leur office. Quelques hommes
distingués furent d'abord inquiétés et même écartés. S'il n'eut pas la main
heureuse pour les remplacer, du moins le mal fut vite réparé. Suivant son
droit, tous les officiers de la guerre et du civil durent obtenir de lui
leurs lettres de commission ou de confirmation. Cette mesure était surtout
nécessaire à une époque où, dans les fonctions publiques, les usurpations de
survie et d'hérédité avaient été si fréquentes. « Il écarta bien des
hommes loyaux et habiles qu'il eut par la suite et avec un peu d'expérience
la sagesse de rappeler presque tous[16]. » En effet, un certain nombre
d'hommes capables, momentanément privés de leurs charges, tels que l'ancien
amiral Jean de Bueil, comte de Sancerre, Guillaume Cousinot et autres, furent
ensuite à petit bruit réintégrés à leur poste. Pierre de Brezé, informé que
Louis XI aurait mis sa tête à prix, « se décida à la porter lui-même, et le
roi, qui « avait beaucoup d'esprit, le reçut à merveille[17]. » Par le fait même de leur
mérite beaucoup de ces exilés revinrent auprès du roi et furent par la suite
ses meilleurs amis, ses plus fidèles serviteurs et ses plus intimes
conseillers. Dans
les provinces l'impression produite par ce grave changement de politique
était diverse. Le parlement de Toulouse suspendit le cours de la justice
jusqu'à ce qu'il en reçût un mandement du roi lui-même. La ville attendit
douze jours les ordres de Louis XI avant de célébrer un service pour Charles
VII, malgré la lettre de faire part que le roi avait envoyée à toutes les
provinces. On se donnait ainsi le temps d'observer la conduite des autres
afin de régler la sienne. Pour reconnaître le nouveau roi, Carcassonne
n'attendit pas ses ordres ; le Ier août, sur l'invitation du chevalier de
Balzac, lieutenant du sénéchal Antoine de Chabannes, les officiers et
habitants de la sénéchaussée prêtèrent dans la cathédrale, et sur la sainte
hostie, serment de fidélité à Louis XI. Pendant
son séjour à Paris le roi continue ses actes administratifs et maintient le
respect de son autorité. Le parlement n'avait pas tenu compte des lettres de
grâce données par lui au seigneur de Rubempré lors de son entrée à Gand.
Ayant alors agi selon le droit reconnu au fils aîné du roi de France,
maintenant qu'il est revêtu de l'autorité, il déclare que la cour n'eût pas
dû méconnaître sa prérogative ; et par lettres de Paris, en septembre 1461,
il casse l'arrêt de condamnation du parlement du 3 mai 1460. Le 15 septembre
il gratifie officiellement le conseil delphinal du nom de parlement, et
envoie pour le présider Guillaume de Corbie. Alors deux arrêts expédiés par
Jean, bâtard d'Armagnac, comme gouverneur du Dauphiné, datés du 28 septembre
1461, prouvent que le roi le maintient dans cette dignité. Le soin de son
autorité ne lui fait pas oublier celle de son père. Vers le temps du siège de
Metz, Charles VII avait accordé certains privilèges à la ville d'Épinal ;
Louis confirma ces libertés, à la date du 1er septembre. Dans ce même mois il
accorde à Guillaume Fillâtre, son conseiller, élu évêque de Tournay, en
considération du mérite et des vertus qu'il lui connaît, des lettres de
légitimation lui donnant le droit de disposer de ses biens. Nous citerons
encore les lettres du 9 de ce mois qui rappellent le règlement de Charles V,
et, fondées sur le serment prêté au sacre, annulent les aliénations qui
auraient été faites des biens de la couronne. Ainsi Louis XI casse et révoque
tous dons, cessions et transports faits par ses prédécesseurs et par
lui-même, des places, terres, seigneuries, rentes et revenus quelconques du
domaine royal ; ordonnance faite sur délibération des gens du conseil et
enregistrée le 1 er février. Le
parlement de Paris étant en vacances lors de son avènement, le roi, à cause
des circonstances, l'avait convoqué pour le 9 septembre. Ce même jour,
mercredi, après la messe du Saint-Esprit, Pierre de Morvilliers, chancelier,
remplaçant Jean Juvénal des Ursins, le chevalier Rétie de Tourettes, premier
président en la place de Yves de Scépeaux, les second et troisième
présidents, maîtres Thihout et le Boulanger, et tous les autres membres,
prêtent serment. A cette cérémonie assistaient les archevêques de Reims et de
Bordeaux, les évêques de Paris, d'Albi, d'Auxerre, de Meaux et l'abbé de
Saint-Denis. Le parlement se composait alors des douze pairs, de huit maîtres
des requêtes de l'hôtel du roi, et de quatre-vingts conseillers tant clercs
que laïques. Pour que le nombre de cent ne soit pas dépassé, le roi annonce
la suppression par extinction de deux offices ; en sorte qu'il y ait quarante
conseillers clercs et autant de laïques, en y comprenant les présidents. Pour
se prémunir contre les faveurs qu'il serait tenté d'accorder, il veut que si
par inadvertance il donnait à quelqu'un un office de conseiller clerc, ses
lettres fussent considérées comme non avenues. Dès la veille de la cérémonie
de rentrée, c'est-à-dire le 8, ses lettres avaient confirmé dans leurs
charges les seigneurs de l'illustre compagnie. Il y déclare « que,
connaissant le grand et « incomparable bien de justice bien gardée par
laquelle le roi règne, le peuple sujet vit et demeure en paix ; le commerce a
son cours et l'agriculture est florissante ; et sachant qu'il faut y avoir
gens notables et bien expérimentés, il maintient chacun des officiers du
parlement, en considération des services qu'ils ont rendus sous le règne du
feu roi son père ». Le parlement modifie lui-même son règlement ; d'après un
ancien usage, tous les prélats pouvaient assister à ses séances. Il décide
que dorénavant les archevêques et évêques n'entreront plus en conseil dans la
cour et n'y prendront place qu'autant qu'ils seront pairs ou autorisés par
quelque droit déjà ancien. Ayant
mis ordre aux affaires les plus urgentes, Louis songe à quitter Paris pour
visiter l'intérieur du royaume, et surtout à revoir sa mère, restée à
Amboise, où Charles VII l'avait à peu pris reléguée. Le 23 septembre, il se
rend à l'hôtel d'Artois, pour y saluer le duc qui lui avait donné une si
généreuse hospitalité. Selon Duclercq, sitôt que le duc de Bourgogne fut
informé de l'approche du roi, il se leva de table et alla à pied dans la rue
au-devant de lui ; dès qu'il le rencontra, il se mit à genoux et le salua ;
le roi descendit de cheval et ramena le duc jusqu'en son hôtel, tous deux
étant à pied. Quand ils furent arrivés, devant toute la foule des seigneurs
Louis remercia le duc Philippe a de tous les a biens et honneurs qu'il avoit
reçus de lui n ; et ajouta qu'il savait bien « que s'il n'y eût pas été,
il est possible que par aventure il ne fût pas en vie ». Dans
ces conférences d'amitié, rien de ce que le duc put demander ne lui fut
refusé. Le roi lui accorda donc une solution satisfaisante sur le payement
des anciennes dettes, et sur le libre entrecours des marchandises entre les
deux États : il y ajouta de très-grands privilèges pour les sujets du duc qui
voudraient trafiquer en France, beaucoup de faveurs et de bienfaits aux
ministres de la cour de Philippe ; il érigea même Charni en comté pour le
sire de Beaufremont, sénéchal de Bourgogne. Toutefois le parlement, croyant
agir dans l'intérêt du roi, refusa d'enregistrer les lettres relatives à
l'entrecours des marchandises ; et le nouveau chancelier Pierre de Morvilliers
signifia à l'évêque de Tournay que le duc s'était engagé par le traité
d'Arras à ne conclure ni alliance ni traité sans en faire part au roi. Aussi
Philippe ayant fait le mois suivant un traité de commerce avec Édouard IV, il
en envoya une copie pour le roi à Jean Geoffroy, évêque d'Arras. Louis
XI partit le lendemain 24 septembre pour la Touraine. Le duc l'accompagna
assez loin hors de la ville. Leurs adieux montrèrent tant de confiance et
d'effusion que tout le monde en fut attendri. Le duc et son fils partirent
eux-mêmes de Paris le 30 septembre et prirent chacun une direction toute
différente : le premier retourna en ses États par les terres (le Saint-Pol ;
le comte (le Charollais, accompagné de trois cents gentilshommes, traversa la
Champagne. Il s'arrêta à Troyes, où, en qualité de prince du sang, il délivra
un prisonnier, nommé Pierre Servant, qui venait (le tuer son beau-frère ;
puis il visita les deux Bourgognes et alla faire un pèlerinage à
Saint-Claude. Il avait promis de revenir à Tours, comme à un rendez-vous de
chasse, pour y passer quelque temps auprès de Louis XI. Au
commencement d'un nouveau règne tous s'attendent à quelque grâce nouvelle, et
il n'est pas toujours aisé, surtout venant après un prince qui s'était tant
laissé dominer par ses courtisans, de satisfaire toutes les ambitions. Le roi
y faisait pourtant tous ses efforts ; il nomma donc le sire de Crussol grand
pannetier, bailli de Chartres, et ensuite gouverneur du Dauphiné et grand
maître de l'artillerie ; Gaston du Lion, sénéchal de Saintonge, puis de
Toulouse et de Guienne ; le maréchal de Rouhaut, sénéchal de Poitou quand la
place fut vacante ; le sire du Lau, seigneur de Châteauneuf, sénéchal des
Landes, lequel eut aussi une compagnie d'hommes d'armes ; le sire de
Montauban fut amiral et aussi grand maître des eaux et forêts ; et Jean de
Fontenelle, capitaine de Rouen. Le roi
nomma sénéchaux : Lardit, de Bar ; Stenart, de Rouergue ; Pierre d'Aussigny,
de Périgord ; Jean de Stuer, de la Barde en Limousin ; Bernard de Dons, à
Beaucaire ; Jean de Bar, seigneur de Baugy, fut bailli de Tours ; Charles de
Melun le fut de Sens ; Jean de Garguesale, de Troyes ; Josselin Dubois, des
montagnes d'Auvergne ; Guillaume de Bische, de Saint-Pierre-leMoustier ;
Rolland de Lescouet, de Montargis ; Jean du Pont de Rostreven, du Cotentin ;
Thomas Styger de Caen ; Jacques Rouhaut, frère du maréchal, fut bailli de
Caux et capitaine de Corbeil ; Jean Villiers de l'Isle-Adam fut prévôt de
Paris à la place de Robert d'Estouteville. Il nomma encore Philippe de Melun
gouverneur de la Bastille ; Jean Coustain capitaine de Vincennes ; Remy de
Miremont gouverneur de Montpellier, et Jean Ber d'Auxi, grand-maître des
arbalétriers. Le roi eut-il tort de chercher ainsi à fortifier son autorité ?
Il est vrai que plus tard, dans son acte testamentaire officiel à son fils,
il le regretta. Ce ne fut point d'ailleurs un système d'exclusion. Loin
d'éloigner de lui les serviteurs de son père, il chercha à se les attacher,
prenant même pour secrétaire intime le sire de Reilhac, qui tout récemment
l'avait été de Charles VII. Après
avoir pourvu à l'administration de Paris et des alentours, Louis s'occupa des
provinces. Jean Gentian conseiller clerc et aussi général pour la justice des
aides, ayant été récemment élu évêque de Lavaur, le roi donna sa place de
conseiller général à Louis Letellier, aussi conseiller au parlement de
Toulouse. Il venait de confirmer le 2 octobre la juridiction de cette cour
sur la ville et le pays de Bordeaux, afin que le ressort du parlement de
Paris ne s'étendit plus de ce côté. Quelques membres du parlement du
Languedoc, des officiers de justice, des viguiers, châtelains et autres
fonctionnaires des diverses sénéchaussées de ce pays, furent remplacés. Le
roi avait nommé, le 3 septembre, Hugues Mancip, seigneur de Bournazel, à la
place vacante de sénéchal : il supprima, mais pour le rétablir ensuite,
l'office de juge-mage de Toulouse, et toutes les autres charges semblables du
ressort du parlement de cette ville. L'office de juges d'appeaux civil et
criminel de cette sénéchaussée fut aboli, et cette juridiction attribuée au
sénéchal de Toulouse ou à son lieutenant. Par lettres données à
Mehun-sur-Yèvre le 20 octobre 1461 le roi confirma le parlement de Toulouse
avec les officiers qui le composaient. Il se réserva par le même acte la
nomination des premier et second présidents, de trois conseillers clercs et
de trois huissiers. Enfin, quelque temps après, il nomma premier président
Jean Dauvet et second président Adam Cousinot, par qui le parlement de Paris
fut ensuite présidé, et procureur général Antoine de Morthon. A Amboise, le
28 octobre, le roi confirme le comte du Maine dans le gouvernement de
Languedoc et de Guienne. Louis
s'étant assuré du bon ordre de la justice dans le royaume, songe à ses
devoirs de famille. Le douaire de Marie d'Anjou était insuffisant : le feu
roi avait oublié d'y pourvoir convenablement. Par lettres de Maillé en
Touraine, 16 octobre 1461, et enregistrées le 12 novembre au parlement et à
la chambre des comptes, il aède et transporte à sa mère pour assignation et
sûreté du douaire de celle-ci, montant à la somme de 50.000 livres tournois,
la ville, le château et la châtellenie de Chinon et ses appartenances pour
1,200 livres ; le grenier à sel de Montpellier aussi pour 1.200 livres ; !le
revenu de la sénéchaussée de Beaucaire pour 2.000, le grenier de Narbonne
pour 3.000, le quart du sel de Poitou et de Saintonge pour 14.500, l'impôt de
dix deniers qui se prend sur chaque quintal de sel dans tous les pays de
Languedoc, de Pézenas et autres lieux, et toutes valeurs très-bien spécifiées
jusqu'à la somme de 50.000 livres tournois de rente. Louis
n'oublia pas son frère, à qui Charles VII n'avait rien assigné. Par lettres
de Montrichard en novembre 1461, enregistrées au parlement le 27 du même
mois, « considérant que feu a son père, que Dieu absolve, n'a encore
constitué aucun apanage à son frère ; que celui-ci est parvenu à l'âge d'en
avoir provision honorable, et voulant lui donner un état comme il convient à
celui qui est fils et frère de roi, il lui donne à lui et à ses hoirs mâles
issus de légitime mariage, à toujours, le duché de Berry, avec toutes les
villes, forteresses, places, collations et patronages de bénéfices, justice
et seigneuries hautes, moyennes et basses, profits et revenus quelconques,
tout ainsi que les avait feu le duc de Berry, son oncle le dernier trépassé,
sans rien réserver à lui et à ses successeurs rois de France, sauf les foi et
hommage-lige, la souveraineté, le ressort, la juridiction royale, la
connaissance des causes des églises cathédrales, et en général tous les privilèges
de fondation royale, qui ne doivent ni ne peuvent être séparés de la couronne
de France, et avec clause de réversibilité. » Les lettres sont contresignées
Jean de la Loère. Il semble qu'il y eût là de quoi satisfaire le jeune
prince. Louis XI y ajouta même 12.000 livres de rente. On verra comment il
lui en sut gré. Le roi
ne négligeait point non plus de témoigner son bon vouloir à la maison
d'Anjou. Sans parler de, ce qu'il avait déjà fait pour aider Jean de Calabre
en Italie et de sa sympathie pour la reine d'Angleterre, Marguerite d'Anjou,
il érige en comté, le Ier novembre, la seigneurie de Beaufort, et en fait don
à son oncle, le roi René. Enfin il accorde en janvier au comte d'Eu le droit
de fouage dans toute sa pairie. Dans ce
beau et riant pays de Touraine, si bien fait pour inspirer l'oubli des
injures et la clémence, et où il était heureux de se voir de retour, il donna
deux grandes abolitions datées du même jour, 12 octobre. Le duc d'Alençon,
qui avait été justement condamné sous Charles VII et subissait sa prison au
château de Loches, implora son pardon. Dans les lettres de grâce accordées
par Louis XI, le roi rappelle que Charles, frère unique du roi son
grand-aïeul, fut tué à Crécy ; que Pierre, fils de celui-ci, fut donné en
otage pour le roi Jean et paya 60.000 vieux écus d'or ; que blessé ensuite
dans une bataille, il en mourut ; qu'enfin le père du duc actuel fut tué à
Azincourt, et lui-même, pendant l'invasion anglaise, resta dépouillé de ses
terres pendant trente ans. Certes ; ce sont là des motifs dignes d'inspirer
l'indulgence. Le roi d'ailleurs était son filleul. Il fut donc réintégré dans
ses honneurs et dans ses biens. Le duc
fit une déclaration datée de Tours, 14 octobre 1461, par laquelle il affirme
« que lui, Jean d'Alençon et pair de France, comte du Perche, vicomte de
Beaumont et seigneur de la Guerche, ayant été rétabli dans ses droits,
honneurs et biens, contre l'arrêt prononcé à Vendôme le 10 octobre 1458,
moyennant certaines réserves comprenant la garde et le gouvernement de ses
fils et filles, parce que le roi les veut marier à son gré, ne fera rien, ni
pour l'établissement de ses enfants, ni pour autre chose, qui puisse déplaire
au roi ; que s'il agissait autrement, il consent que la grâce qui lui a été
faite soit nulle et de nul effet ». Malheureusement de nouveaux griefs
vinrent ensuite se joindre aux anciens. Louis
XI n'avait pas autant de raison de s'intéresser à la maison d'Armagnac ;
cependant le comte était fils d'Isabelle de France. On sait que Jean V avait
été convaincu d'entretenir des relations suivies avec les Anglais alors
qu'ils étaient nos ennemis. Ce qui ne laissait aucun doute, c'est qu'il
vivait maritalement avec sa sœur Isabelle. Il fut même assez audacieux pour
se procurer à prix d'argent d'un célèbre faussaire, une bulle apocryphe du
pape qui l'autorisait à se marier avec elle, ce qu'il fit publiquement.
Quoique ses crimes eussent été frappés de la peine capitale par le parlement,
ils lui avaient été remis à Rome, où il était allé en vrai pénitent. Le pape
Pie II se contenta de lui infliger une sévère pénitence. Le roi Charles VII
lui avait déjà accordé de circuler librement dans Paris et autour de la ville
; c'était une demi-abolition ; Louis XI fit le reste. Plus tard il faussa ses
promesses comme avait fait Jean IV, son père. Quant à Isabelle, elle prit le
voile à Barcelone dans un couvent de l'ordre de Saint-Dominique. Les
largesses du roi s'étendirent aux églises, qu'il avait surtout en vénération.
Ainsi, par lettres d'Amboise, 3 novembre, en qualité de roi de France et de
dauphin de Viennois, il veut que son trésorier du Dauphiné, Hugues Coct, sur
les deniers à lui octroyés par les états au mois d'octobre dernier, « prélève
pour ses chers et bien amés religieux, abbé et couvent de Monseigneur
Saint-Sauveur de Redon, 600 écus d'or qu'il donne à cette église ; » le même
jour il destine pareille somme aux religieux, abbé et couvent de Notre-Dame
de Boulogne, 600 écus d'or aussi pour les doyen, cardinaux, chanoines et
chapitre de Saint-Jacques en Galice, et enfin 1,200 pour les recteurs de
l'église de Sainte-Pétronille à Rome. C'était beaucoup d'argent, peut-être
trop, puisqu'on avait les villes de la Somme à racheter, à moins qu'il y eut
restitution de prêts non mentionnés. Plusieurs
fois Louis avait emprunté, par la nécessité de sa situation. Il eut toujours
à cœur de se montrer reconnaissant envers ceux qui lui étaient venus en aide.
On connaît plusieurs des préteurs. Dès le 2 septembre il rappelle par ses
lettres « qu'à sa demande, et dans ses grandes nécessités et affaires, son
cher et bien ainé Perolle de Bourillon lui a prêté 3.000 écus d'or, somme
dont il n'a eu ni compensation ni restitution ; il désire s'acquitter et
reconnoître cet acte de libéralité et plusieurs autres services ; en
conséquence, il lui cède, pour lui et ses successeurs, les villes, châteaux
et seigneuries de Sarrasin et de Pourgeniez, pour en recueillir tous les
fruits. Il veut que, dans le cas où lesdits revenus ne monteroient pas à 600
livres tournois, ledit Bourillon et les siens prennent le surplus des mains
du trésorier de la ville de Grenade. Il veut que cette concession soit
irrévocable, sauf le cas où 5.000 écus seraient soldés ». Voici
bientôt d'autres lettres datées d'Amboise, octobre 1461, où le roi dit encore
que « Ticole d'Anglade, son cher et bien amé écuyer, à sa requête et pour
subvenir à grandes nécessités qu'il avoit lors, lui a prêté 7.000 écus d'or,
dont il n'a eu depuis aucun payement. Pour reconnoître ceci et beaucoup
d'autres services, rendus par lui à son père et à lui-même depuis plus de
quinze ans, l'ayant servi sans varier en toutes ses affaires pendant qu'il
était absent, en Dauphiné et en Flandre ; et cela jusqu'à abandonner biens,
parents et amis pour lui être utile, il lui lègue à lui et à ses hoirs à
toujours le profit et revenu du satin d'Agen et les lieux du château Culier
et Mondar assis en la sénéchaussée d'Agenois, avec toutes les juridictions,
haute, moyenne et basse, excepté le droit du ressort et souveraineté. » Louis
y ajoute une rente de 200 livres à solder sur la sénéchaussée de Toulouse. Il
veut qu'il ne soit point touché à cette concession, à moins que préalablement
les 7.000 écus d'or ne soient payés. La
construction de l'église et du couvent des Carmes à Tours est encore un
témoignage de sa gratitude. Ayant été obligé, en 1446, de fuir la cour de son
père et aussi de se dérober à toute poursuite, il rencontra un carme de Tours
qui revenait de la quête assez bien monté : « Mon frère, lui dit-il, après
quelques paroles de bienveillance réciproque, vous voyez un gentilhomme bien
pressé et au dépourvu. C'est la Providence qui vous met sur.ma voie. Si vous
consentez à me venir en aide en me prêtant votre monture et votre bourse, un
jour, soyez-en certain, je vous rendrai le tout avec usure. » Le bon frère,
décidé sans doute par la franchise de ces paroles, et sans oser lui demander
qui il était, lui donna sa mule et dix écus, fruit de sa collecte. Devenu roi,
Louis n'oublia point ce service. Dès qu'il fut à Tours il fit rechercher et
emmener le bon religieux ; il le remercia et lui déclara que, pour
s'acquitter de sa promesse, il était prêt à lui accorder ce qu'il désirerait.
Alors le carme demanda au roi de faire bâtir un couvent où il pût être réuni
avec ceux de son ordre. Ce fut chose décidée, et le roi fit construire le
couvent sans retard. Louis pourvut encore à l'entretien des religieux par le
don du greffe de Tours et des revenus du four banal d'Amboise. Le couvent a
été détruit ; mais on voit encore l'église des Carmes, située près de la
Loire sur le port Bretagne, en face du gracieux coteau de Saint-Cyr. Combien
d'autres témoignages de la gratitude de Louis XI ne signale-t-on pas ! Ainsi
nous voyons que, le 21 novembre, un neveu du sire Aymar de Poisieu, religieux
en l'abbaye de Saint-Antoine de Viennois, écrit au roi pour le remercier des
biens qu'il a reçus de lui. Louis
était très-résolu à traiter avec douceur les cités, les communes et la
bourgeoisie et à y chercher un appui : telles étaient les intentions
manifestées avant son sacre dans sa réponse aux magistrats de Reims. Le
peuple avait cru y voir une promesse, comme à tout avènement, de diminuer ou
d'abolir les impôts. Le roi, qui ne pouvait qu'avec de l'argent remplir la
grande tâche qu'il s'était imposée, se vit bientôt dans la nécessité de
porter les tailles jusqu'à trois millions. Quand les collecteurs voulurent
les percevoir, il y eut résistance dans plusieurs villes et même des émeutes.
A Angers, le 29 août, le peuple se souleva pour ce motif ; les maisons de
deux officiers du fisc furent pillées. Le désordre dura plusieurs jours, et
beaucoup d'excès furent commis, A Reims, le 28 septembre, on alla plus loin ;
ce fut une sorte de guerre sociale. Les petites gens, ne pouvant entraîner
les plus notables bourgeois dans la sédition, se portèrent envers eux à des
actes de violence, et le sang fut répandu. Charles
VII avait rétabli en général, en 1455, toutes les foires de son royaume
interrompues pendant la guerre, et il semblait avoir ainsi accordé
l'affranchissement du sou pour livre prélevé sur toute marchandise vénale :
mais Reims n'étant point nommé dans ces lettres, les habitants n'avaient
point joui de cette faveur. Les ordonnances du roi ne furent même point
publiées à Reims, sous le prétexte que la ville appartenait, non au roi, mais
à l'archevêque. Louis XI ayant envoyé dans cette ville maitre Raulin Cochinard[18] pour faire travailler aux
fortifications de cette cité devenue presque ville frontière, le peuple vit
là le motif d'un nouvel impôt et en fut exaspéré. Ainsi, vers la Saint-Rémy
on se précipita sur les enchérisseurs des gabelles. « Il en fut tué
plusieurs et on brûla en pleine rue les contrats qu'ils avaient avec le roi.
» Louis
XI sentit la nécessité d'établir aussi solidement son autorité sur le peuple
que la discipline dans l'armée. Le crime était évident ; il résolut avec
raison de punir et surtout de s'en prendre aux meneurs et aux chefs du
mouvement. Il envoie donc à Angers pour commissaires le seigneur de Précigny
sire de Beauvau, et Jean Fournier, conseiller au parlement. Les plus
coupables, les nommés Raout, Hastivel et quelques autres, furent promptement
saisis, jugés et exécutés. A Reims, où les gens du roi avaient été le plus
maltraités, il envoya le maréchal de Rouhaut et Jean Bureau. Un certain
nombre d'hommes d'armes conduits par le sire de Mouy s'introduisirent dans la
ville sous divers déguisements, et ils firent à l'improviste un grand nombre
de prisonniers. Cette surprise, appelée la miquemaque dans les
registres de la ville, est du 7 octobre, jour même de leur entrée. Les
commissaires, dès leur arrivée, assemblèrent les bourgeois pour leur faire
connaître les ordres de roi. Le chef de la révolte fut écartelé. Six des plus
mutins eurent la tête tranchée. Deux hommes et une femme furent pendus et
plusieurs exilés. La
sévérité ayant été exemplaire, l'indulgence eut son cours tout en paraissant
continuer les enquêtes. Les Rémois prièrent le duc Philippe d'intercéder pour
eux. Le duc écrivit au roi le 13 novembre, et après avoir reçu l'assurance de
leur parfaite soumission, Louis XI leur accorda l'abolition du passé et de
plus la conservation de leurs privilèges, ainsi que la confirmation de leurs
franchises foraines. Leurs droits furent désormais bien déterminés : même,
comme l'affranchissement du sou par livre se faisait attendre, le roi déclara
en 1471 qu'il voulait que les marchands forains et habitants « de Reims
jouissent dudit affranchissement durant les foires de Couture et de
Saint-Rémy ». Ceux d'Angers furent compris dans les mêmes lettres de grâce. A
Alençon, l'amiral de Montauban, qui y était envoyé, condamna et fit exécuter
un chef nommé Abot ; il en bannit quelques autres et obtint pour la ville
l'abolition du passé. Les habitants d'Aurillac, qui avaient refusé de donner
leurs chartes au maître des requêtes commissaire royal, sans se porter à des
voies de fait, s'étaient pourvus devant le roi lui-même. On les blâma, mais
ils en furent quittes pour quelque amende. Une
pièce du mois de novembre constate encore la grâce accordée aux malheureux
Pinel, femme Gervaise et Jean Petit, alors poursuivis comme coupables ; et à
l'occasion du vendredi saint le roi fit grâce entière à un séditieux nommé
Vertain Tonnelier et à ses complices, qui restaient sous le coup de la
justice. Les auteurs des recueils mentionnent qu'ils ne peuvent citer toutes
les lettres d'abolition de ce règne, à cause de leur multiplicité. Disons
encore que toutes les faveurs accordées par Charles VII, dès qu'elles
consacrent un principe de gratitude et d'équité, Louis XI les maintient et
les confirme, citant souvent textuellement les ordonnances 'paternelles ;
tant il était loin d'avoir l'aversion qu'on lui a supposée pour la mémoire de
son père ! Ses
libéralités envers les princes et grands seigneurs, les pensions et
gratifications qu'il leur a données, témoignent son désir de se les
concilier. Outre les 12.000 livres de rente qu'il ajouta à l'apanage de son
frère, il donna de grosses sommes aux ducs d'Orléans et de Bourbon, aux
comtes d'Angoulême et de Dunois. Il céda le comté de Guines à Antoine de
Croy, et fit des largesses à beaucoup d'autres. Il alla même si loin dans
cette voie, que, sur le compte de Pierre Joubert, receveur général, ses dons de
cette année s'élèvent à plus de 200.000 livres. L'attention
du roi se porta sur les communes et les villes. Aussi le voit-on empressé de
leur octroyer les faveurs qu'elles lui demandent ; Angoulême, Montargis,
Verneuil, Cambrai, Valence, Soissons, Acqs, Libourne, Turenne, Bergerac sont
presque en même temps gratifiées de ses lettres royales, et il les protège et
affectionne d'autant qu'il attend d'elles plus d'efforts aux points de vue
industriel et commercial. Il
confirme, de Paris le 23 septembre, les privilèges des trois états de
Bordeaux et leur en accorde d'autres ; d'Etrechy, les exemptions civiles des
habitants d'Orléans sont maintenues. D'Amboise, il règle les conditions de
l'annexion de la seigneurie et de la ville de Montrichard. Après avoir
confirmé et augmenté les libertés de la ville de Cléry à son arrivée à Tours,
il règle le Ier novembre, avec don de privilèges nouveaux, l'administration
civile et maritime de la Rochelle, et l'exercice de ses droits, coutumes et
franchises. Ainsi de Paris, où il fait toutes concessions possibles aux
habitants et corps constitués, jusqu'à Tours, où ses édits en faveur des
villes, des églises, des chapitres et des abbayes sont les plus nombreux, on
peut, comme dans tous ses autres voyages, le suivre à la trace de ses actes
de libéralité. La sollicitude s'étendit Udine jusqu'à Savone. Suivant
en cela l'exemple de Charles V, qui par lettres du Louvre (1372) avait anobli des magistrats
d'une bonne ville, Louis XI confère l'anoblissement au corps de ville, maire,
échevins et conseillers jurés de Niort, et lui accorde un siège royal. En
mars 1461 la même faveur fut octroyée au corps municipal de Bourges ; par
lettres de Tours il confirme aux habitants de Condom les franchises qu'il
leur avait concédées en 4439, et spécialement le droit de fortifier leur
ville ; enfin le 25 novembre 1461, pour une très-faible redevance (42 livres), il prend sous sa protection le
doyen et le chapitre de Toul et les villages qui en dépendent. Ce
qu'il a fait pour Niort comment ne le ferait-il pas pour Tours ! Cette cité
lui est chère à plus d'un titre. Là, il aime à résider, non-seulement à cause
de la beauté des lieux et de la douceur du climat, mais encore parce qu'il
s'y trouve également à portée de surveiller ses frontières de l'ouest, du sud
et du nord. Ce pays n'était-il pas rempli de grands souvenirs ' ? C'était là
qu'on vénérait le tombeau de l'apôtre des Gaules, où Clovis et Charlemagne
vinrent s'incliner ; là, le saint et savant abbé de Saint-Martin, Alcuin,
avait fondé une illustre école où s'étaient formés de remarquables disciples,
entre autres Frédégise, son successeur, qui fut grand chancelier du palais
impérial. Déjà en
octobre, par lettres de Tours même, Louis XI avait confirmé les privilèges
jadis octroyés à cette ville. Quelques-uns des motifs de cette seconde
ordonnance en feront connaître l'esprit : « Considérant, dit-il, qu'au
château de ladite ville, notre très-cher seigneur et père prit le sacrement
de mariage avec notre très-chère et très-aimée dame et mère, et nous aussi
avec feu Marguerite d'Écosse ; nous rappelant la joyeuse, grande et bonne
réception qui nous a été faite par les habitants, et qu'à notre entrée il a
régné très-bon ordre pour le logement, prix des vivres et entretien de tous
nos officiers ; sachant qu'en ladite ville sont grand nombre de notables
hommes, bourgeois, marchands et autres, qui ont fort bien conduit les
affaires d'icelle ; voulant pour ce motif, et autres considérations,
augmenter les honneurs et prérogatives de cette ville, à l'exemple des autres
; et pour donner courage et volonté aux habitants de se bien et mieux
gouverner, nous leur donnons par grâce spéciale, et leur octroyons par ces
présentes, les droits et libertés qui suivent. » Ainsi,
par lettres de Saint-Jean d'Angely, en février, il accorde aux habitants de
Tours de nommer leur maire et vingt-quatre échevins ; il veut que ces
magistrats soient anoblis, que ceux des habitants possesseurs de 500 liv.
puissent acquérir des fiefs nobles dans le royaume sans payer aucune finance
de franc-fief, ce qui occasionna la résistance de la chambre des comptes et
les lettres de jussion du roi du 3 décembre 1462 ; que les magistrats et les
habitants, ainsi que leurs biens, soient sous la protection du roi en la
personne du bailli de Touraine. Tous les gens du pays, privilégiés ou non,
seront tenus de contribuer aux charges de la ville ; les magistrats et
habitants ne pourront être cités en première instance que devant les juges de
leur ville ; ils seront tenus pour affranchis de tout ost, chevauchées, bans
et arrière-bans ; ils pourront lever des droits de barrage et de pavage sur
toutes les voitures entrant dans la ville, et cela sans exception ni privilège.
Le roi veut qu'ils puissent s'assembler par la seule convocation du maire et
des échevins sans la présence des officiers royaux ; qu'il leur soit permis
de lever jusqu'à 10.000 livres d'impôts pour les besoins de la cité et de
nommer un percepteur ; il accorde aux magistrats municipaux la justice, la
prééminence, les prérogatives déjà octroyées à la Rochelle, en sorte que le
règlement fait pour cette ville puisse servir pour Tours. Ils pourront lever
le dixième sur le vin vendu au détail et deux sous six deniers par pipe de
vin étranger, acquérir une maison commune, accepter des legs jusqu'à 400
livres tournois pour réparation des ponts ; lever l'impôt du sel pour
fortifications ou ponts environnants. Les métiers non jurés le seront
dorénavant, les magistrats de la commune contraindront les habitants à paver
devant leurs maisons et à nettoyer ; les coutumes rédigées par le parlement,
selon l'ordre de Charles VII, et confirmées seront publiées au siège du
bailliage, et pleine foi sera ajoutée au contrôle des privilèges de la
Rochelle. Louis
XI n'avait garde d'oublier l'importance de l'église de Tours, et sa dévotion
au tombeau de saint Martin l'y portait naturellement. Ainsi, par lettres
patentes d'Amboise, en novembre 1462, il confirme toutes ses anciennes
franchises ; elle plaidera sans aucun milieu devant le parlement. Là, les
statuts des corps de métier seront maintenus en tout ce qu'ils contiennent
d'honnête et de pratique : les teinturiers, par exemple, devront teindre les
soies avec le plus grand soin, et il leur sera défendu de mettre en la cuve « aucune
liqueur par quoi la soie puisse plus peser qu'elle ne doit ». Ces
avantages et privilèges de Niort, de Tours et de la Rochelle donnent la mesure
des droits dont un grand nombre de villes furent appelées à jouir sous Louis
XI, à l'exemple des anciens municipes sous la domination romaine dont la
tradition s'était conservée dans le midi. Ces bonnes villes, ainsi les
appelait-on, étaient les plus nombreuses du royaume. Elles avaient un sceau,
une maison commune où l'on s'assemblait pour délibérer sur les intérêts de la
cité, un trésor alimenté par les revenus communaux et les impôts qu'il leur
était permis de lever ; elles possédaient des propriétés ; enfin elles
élisaient, selon certaines règles, leur maire, leurs échevins ou consuls, les
officiers commis au service du consulat, à la garde de la ville et à la
perception des deniers municipaux, ainsi que les procureurs chargés de
défendre leurs intérêts. A ces franchises fondamentales se joignaient
souvent, par surérogation, d'autres immunités, comme par exemple
l'anoblissement ou le droit d'acquérir et de posséder partout des fiefs.
Quelques villes moins considérables, pour avoir généreusement résisté aux
Anglais ou rendu d'autres services à la France, telles que le Mans,
Saint-Jean d'Angely et Ypres, obtinrent du roi ces avantages. S'il est une
région que Louis XI se plut à favoriser jusqu'à la fin de sa vie, ce fut
celle de sa résidence : ainsi, le 1er avril 1483, quand il décharge du
bailliage de Touraine son grand échanson Jean du Fou, il déclare expressément
que ledit bailliage sera désormais appelé gouvernement et il confère la
dignité de gouverneur de Touraine « à son ami et féal cousin Gui Pot, comte
de Saint-Pol ». Les
grandes villes ou communautés lettrées et commerçantes attiraient aussi les
faveurs du roi. Toulouse, où on l'a connu plus jeune, et Montpellier ne sont
point oubliées dès octobre ; non plus que les grandes abbayes de Cîteaux, de
Saint-Julien et de Marmoutiers de Tours ; il a soin de rappeler à l'égard de
cette dernière les ordonnances de Radulphe en 933, de Charles V en 1370 et de
Charles VII en 1423. Des confirmations et concessions sont accordées sans
cesse à Bordeaux et aux villes des environs, telles que Villeneuve-d'Agen,
Blaye, Castillon, Carcassonne, Saint-Emilion, Béziers, Sauveterre, Bazas, et
Bayonne. Ses lettres vont chercher les îles de Ré et d'Oléron aussi bien que
les églises de Bordeaux et les cathédrales environnantes. Son regard atteint
les plus petits lieux comme les plus grands. Pendant le séjour qu'il fit à Bordeaux
en mars 1461, outre les droits et privilèges que la ville avait avant la
seconde conquête, il lui accorde encore tous les avantages qu'elle tenait des
rois d'Angleterre. Tous
les corps de métiers ayant dans chaque ville une association dirigée par des
règlements différents, souvent, à l'occasion d'une nouvelle confirmation, on
ajoutait de nouveaux statuts aux anciennes règles ; et soit pour les
communes, soit pour toutes les corporations ecclésiastiques ou laïques, la
sanction du roi devait rappeler les anciennes immunités. Nous ne pouvons sans
prolixité mentionner tous ces actes royaux ; mais parmi eux nous en citerons
quelques-uns. Le roi confirma donc en août les privilèges des chevaliers de
Saint-Jean de Jérusalem ; en octobre, ceux du clergé d'Angers. On le voit
réglementer la métallurgie, et adresser des lettres de Tours en décembre aux
maîtres de mines et de forges. Il descend aux corporations d'ouvriers, et
accorde des droits ou privilèges aux différents corps de métiers, à Paris
d'abord, puis ailleurs de proche en proche. Il sent la nécessité de tout
préciser et de répandre de plus en plus l'esprit d'association, tout en
conservant ce qu'il y a de bon dans les coutumes. Il réglemente ainsi les
archers, arbalétriers, tailleurs, pourpointiers, drapiers, ferronniers, et
cordonniers de Paris, de Rouen, de Poitiers, de la Rochelle et de Bordeaux. Les
barbiers pratiquaient alors la chirurgie, et ils étaient à cette époque les
seuls chirurgiens pour l'armée et pour la population. On a remarqué, aux
nombreux récits de batailles et à la description de tant de blessures
diverses toujours clairement caractérisées, qu'Homère connaissait très-bien
l'anatomie du corps humain. La chirurgie, au lieu d'avancer, avait fait bien
des pas rétrogrades, et la confrérie des barbiers était loin d'en savoir
autant que l'antique poète. « Tous, dit Pastoret, se mêlaient de chirurgie.
Charles V les avait exemptés du guet, afin qu'ils fussent toujours chez eux
la nuit. Charles VII, de Montils (1444), constate les privilèges qu'on leur avait accordés
; il veut que son premier barbier soit maître et garde dudit métier, qu'il
institue dans les bonnes villes du royaume des lieutenants examinateurs et
maitres ; qu'il préside à la communauté. » Aussi, parmi les corps de métiers,
Louis XI se préoccupa-t-il surtout des barbiers de tout le royaume. Il
ordonne, « qu'aucun barbier n'exerce, ni sa femme, ni sa veuve, sans avoir
prouvé aux examinateurs son savoir-faire ; qu'aucun n'applique son métier à
homme ou femme infecté de ladrerie ; que nul n'exerce sans avoir passé à
l'examen des jurés. » Autant qu'il peut le roi préserve les populations
des dangers trop fréquents de l'incapacité. Louis
XI a entrevu l'avenir d'un œil encore plus sûr par les idées qu'il eut sur la
liberté du commerce. C'est dans ce sens qu'il règle le différend entre les
gens de Paris et ceux de Rouen sur la navigation marchande de la Seine.
Autrefois les foires de Brie et de Champagne avaient eu beaucoup de célébrité
; mais les guerres civiles de la fin du XIVe et du commencement du XVe siècle
les rendirent impossibles : elles se transportèrent à Genève et s'accrurent
de toutes les pertes des nôtres. Pendant son séjour en Dauphiné Louis avait
remarqué que le numéraire sortait ainsi du royaume et que les villes s'en
étaient appauvries. Il conçut le dessein de ramener en France la vogue des
anciennes foires de Champagne. Pour ce projet, l'importance et la belle
situation de Lyon attirèrent son attention. Les marchands, en effet, devaient
préférer se réunir plutôt à Lyon qu'à Genève, à cause des grands débouchés
que la France leur donnait. Il y établit donc quatre foires et y ajouta
l'exemption de tous droits avec liberté à tous marchands étrangers, excepté
temporairement aux Anglais, d'y venir trafiquer. Mais sous des peines sévères
il défendit aux marchands français d'aller aux foires de Genève. Les
négociants des autres pays purent, en payant les droits ordinaires, résider à
Lyon, avec l'assurance que, s'il survenait une guerre, « ils ne devaient
craindre ni saisie, ni confiscation, ni représailles, pourvu qu'ils ne se
mêlassent que de leurs marchandises. » Les
commerçants de Brabant, de Flandre, de Hollande et de Zélande, étant venus
trouver le roi à Saint-Jean d'Angely, il leur accorde pour leur négoce avec
la France par terre et par mer de nouvelles exemptions et de nouveaux droits.
Il leur donne plus de facilité pour le jugement de leurs procès, et renonce
en leur faveur à ses droits royaux d'aubaine et de naufrage. Ils eurent aussi
la permission de posséder une maison à la Rochelle et de ne payer dans cette
ville et dans les autres que les droits accoutumés. Par ses relations
commerciales avec les riches villes de Flandre Louis espérait trouver en
elles un appui. Il reçut donc parfaitement les députés liégeois venus à Tours
pour le complimenter ; et il leur avait promis sa protection et sa médiation
dans leurs difficultés avec Louis de Bourbon, leur évêque. C'était la
politique déjà suivie par Charles VII le mois de mai précédent. Pour
concilier les intérêts et calmer le différend, il envoie donc à Liège un
délégué. Il y arriva le 40 décembre et fut accueilli avec enthousiasme ;
parmi les beaux présents qu'on lui fit on remarquait une vaisselle d'argent
du poids de 43 marcs. L'évêque étant à Treit, il s'y rendit et l'affaire
s'arrangea en apparence. On convint de nommer des arbitres pour tout régler
de part et d'autre, et l'envoyé français revint après un séjour de quatre
mois. Dans ses relations avec la Flandre le but du roi était aussi d'augmenter la prospérité industrielle et commerçante des bonnes villes de son royaume : il chercha à y établir des manufactures rivales, et pour cela fit venir d'habiles ouvriers d'Italie et de Flandre, où ils étaient en grand nombre. Pour venir en aide à l'accomplissement de ses grands desseins Louis XI favorisa la marine et eut soin de conférer des privilèges et des preuves de sa protection envers ceux qui s'y livraient ; d'acheter des vaisseaux, d'en faire construire dans ses ports sur les meilleurs modèles du temps ; et ainsi, sans posséder un armement naval considérable, il se rendit redoutable sur mer plus qu'aucun de ses prédécesseurs ne l'avaient été. Alors un gentilhomme gascon, le vice-amiral Guillaume de Casenove dit Coulon, l'homme de mer le plus distingué de cette époque, n'acquit pas moins de réputation que Duguesclin n'en avait eu sous Charles V. |
[1]
Pardessus.
[2]
Comines
[3]
Barante, t. II, p. 463.
[4]
Michelet.
[5]
Michelet, t. V, p. 311.
[6]
Art de vérifier les dates, t. II, p. 574.
[7]
Dom Lobineau, t. I, p. 661.
[8]
Jean de Troyes.
[9]
Pièces de Legrand.
[10]
Jean de Troyes, Chronique, p. 14.
[11]
Pieces de Legrand, folio 253.
[12]
Ms. fonds Gaignières, n° 375 ; n° actuel, 20,490.
[13]
Pierre Mathieu.
[14]
Extrait du Livre des ducs et pairs de France, t. III, p. 69, n° 237.
[15]
Legrand, liv. IV, folio 16.
[16]
Barante, t. VIII, p. 299.
[17]
Michelet, t. V, p. 222.
[18]
Pièces de Legrand, n° 1447.