HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE LV. — Dubois, principal ministre (7 août 1721 - 22 août 1722).

 

 

Desseins de Dubois. — Il s’empare des Postes et des Finances. — Le Visa. — Opérations au Visa. — Dubois concentre tout le pouvoir. — Préséance au Conseil. — Dubois se solidarise avec l’infante. — Il accepte un confesseur jésuite pour le Roi. — Nomination du P. de Linières. — Exil de Nocé. — Prévisions de Dubois. — Le retour à Versailles. — L’arrivée. — Nouveaux exils. — Algarade de Dubois avec Villeroy. — Scandale découvert. — Tentative d’accommodement. — Scène de Villeroy au Cardinal. — Villeroy sacrifié ii Dubois. — Altercation du Régent et de Villeroy. — Arrestation de Villeroy. — L’opinion publique. — Lettre au P. Daubenton. — Dubois principal ministre.

 

Desseins de Dubois

Le 7 août 1721, le cardinal Dubois écrivait au cardinal de Rohan : « Il faut trouver l’occasion de remettre les ecclésiastiques dans les places de gouvernement qu’ils ont longtemps occupées rn France presque seuls et dont on les avait éloignés[1]. » Bien qu’il n’ignorât pas que dans plusieurs États les cardinaux ne se distinguassent en rien de leurs collègues du ministère[2], en Espagne notamment[3], Dubois prétendait prendre en France un rang intermédiaire entre les princes du sang et les ducs ; c’était la seule réponse qu’il lui convenait de faire à ceux de ses envieux qui n’avaient pas manqué de dire que l’illustration du cardinalat était incompatible avec la charge de secrétaire d’État et même de conseiller d’État. Dans cette même lettre à Rohan, Dubois mettait sur les lèvres du duc d’Orléans les arguments favorables à maintien. « Il n’était pas raisonnable à l’entendre, d’exclure les cardinaux de la plus honorable et la plus intime fonction qu’un sujet du Roi puisse faire auprès de sa personne et que des cardinaux ont faite dans presque tous les autres États de l’Europe. Ce serait faire tort à la dignité du Roi de donner lieu de croire qu’il pût rien y avoir dans le service direct et immédiat de Sa Majesté qui fût au-dessous des plus grandes dignités, qu’il était d’ailleurs à Observer que les fonctions de ministre des Affaires étrangères étaient encore plus distinguées et même plus relevées que celles des autres secrétaires d’États[4]. » Toutefois, ne voulant rien brusquer, il cessa depuis son cardinalat d’entrer au Conseil de Régence où ses affaires furent rapportées par M. de La Vrillière, secrétaire du Conseil. » Cette retraite volontaire, en apparence seulement, fit sentir « la nécessité de joindre à ses fonctions un autre titre, celui de premier ministre, ainsi qu’il en avait été à l’égard de Richelieu et de Mazarin[5]. »

 

Il s’empare des Postes

Pour s’y hausser, Dubois estima tout d’abord nécessaire de se faire craindre. Parmi tous ceux qu’il avait tour à tour flattés et combattus, Torcy était le plus redoutable parce que seul capable de conduire la politique extérieure de la France autrement et mieux que Dubois. « L’abbé Dubois et lui sont ennemis acharnés, écrivait la vieille Madame ; ils ont eu des querelles terribles où ils se sont dit mutuellement leurs vérités ; on pourrait leur dire : « Accordez-vous canailles[6] ». Après la nomination de Dubois aux Affaires étrangères, Torcy avait compris que sa carrière était terminée. Néanmoins il conservait la surintendance des Postes, qui lui livrait le secret des correspondances et il on usait pour démasquer les intrigues de la fausse Mme de Gadagne, pour correspondre avec nos agents diplomatiques à Madrid, à Berlin et faire échouer les négociations engagées par Dubois. Celui-ci n’ignorait pas tout ce dont il était redevable à cet incommode surveillant, il notait au passage une impertinence de Torcy, une querelle avec lui, une négociation menée à son insu par l’ancien ministre[7]. Quand il se crut armé contre son discret adversaire, il mit le Régent en demeure de choisir entre lui et Torcy. En pareille circonstance, le prince hésitait peut-être, mais se décidait toujours en faveur de Dubois. Le 21 octobre 1721, la surintendance des Postes fut réunie au secrétariat des Affaires étrangères et Torcy invité à se retirer dans sa terre de Sablé.

 

et des Finances - Le Visa

Outre la Poste, Dubois tenait les finances dont le Contrôleur général, Pelletier de la Houssaye, était sa créature très soumise et où les frères Pâris dirigeaient les opérations avec énergie et probité Ces financiers avaient été chargés de la révision des fortunes des détenteurs d’effets relatifs au Système (26 janvier 1721). Comment recomposer les fortunes d’un grand royaume en jugeant la conduite morale de chaque citoyen et l’origine de chaque partie de ses biens ? Ce que n’eut osé un patriarche dans sa bourgade, comment le croire possible après une subversion sans exemple au milieu des vices, des fraudes et des subtilités d’une époque si corrompue[8].

 

Opérations du Visa

L’équité et le talent le plus rare présidèrent à l’opération du visa dont le travail de classement, fut sanctionné définitivement par arrêt du Conseil d’Etat du 23 novembre 1721. les pertes proportionnelles s’échelonnaient entre un sixième et dix-neuf vingtième. Les frais d’entretien des commis s’élevèrent à neuf millions et il fallut recourir parfois à des individus moins familiers avec la plume qu’avec l’épée, afin d’en imposer à ceux qui prétendaient se soustraire ou se défendre de la spoliation. Plus de cinq cent onze mille chefs de familles firent leurs déclarations et, déposeront deux milliards deux cent vingt-deux millions de papiers dont environ un tiers fut annulé et le reste converti en rente d’un taux désavantageux. On ne présenta au visa que 125.024 actions au lieu de 194.000 qui étaient émises, parce que précédemment la compagnie en avait elle-même supprimé une sur trois et retiré plusieurs, sous le nom de dépôt, des mains des actionnaires crédules. Suivant les déclarations, ces 125.024 actions avaient coûté neuf cents millions. Le visa les réduisit au nombre de 55.481 dont le prix moyen fut de huit cents livres. Cette mesure rendit une sorte de confiance aux porteurs de papiers ; ils se rendirent en foule repaître leurs yeux de l’incendie organisé vers la mi-novembre des archives du visa et des comptes de la banque. Le premier jour on brûla pour la valeur de quatre cents millions d’actions dans la cour de l’hôtel de Nevers. Une grande cage de for haute de dix pieds et large de même, grillée de tous côtés avec de gros fils de fer reçut les fardes de papier dont l'embrasement s’opérait sous la garde d’archers et d’invalides le fusil chargé[9].

Mais en soumettant les déclarations à la sainteté du serment, on multiplia les parjures sans découvrir la vérité. Afin de l’atteindre plus sûrement, un arrêt du conseil, daté du 14 septembre1721, ordonna le recours aux actes reçus par les notaires depuis dix-huit mois et opérant translation de propriété, emprunt ou quittance. Daguesseau s’y opposa, mais Dubois fit adopter cette mesure. Celui-ci se montra également ferme lorsque le chevalier Schaub prétendit pour les Anglais spéculateurs à Paris et enveloppés dans le commun désastre, un traitement de faveur ; il n’obtint qu’un refus bien net[10]. Les Anglais ne se découragèrent pas et Crawford finit par obtenir pour ses compatriotes le traitement des Français les plus favorisés, après un traitement beaucoup moins favorable[11]. Ceci n’empêchait pas de se plaindre très haut de la- mauvaise volonté de la France[12], mais Dubois tint bon et subit les reproches lès plus vifs de Schaub sans lui répondre autre chose sinon « qu’il n’y aurait qu’une force majeure qui pût le contraindre à accorder » ce qu’on lui demandait[13]. Crawford revint à la charge et essuya une telle bordée d’injures du cardinal qu’il se tint coi[14].

Une catégorie méritait moins d’indulgence encore, celle des agioteurs qui avaient réalisé leurs bénéfices à temps. Dubois ne voulut pas entendre parler à leur sujet d’une Chambre de justice, il préféra un procédé plus expéditif et d’un résultat plus certain. On choisit cent quatre-vingts noms et, sans les entendre comme sans les flétrir, on leur infligea une amende de 187 millions 893.661 livres. Les uns étaient dépouillés de leurs terres, de leurs hôtels, les autres contraints à racheter à très haut prix ces mêmes actions dont ils s’étaient si habilement défaits. Il faudrait toutefois se garder de croire que la haute main mise par Dubois sur les finances ait ramené la prospérité. Les méthodes du duc de Noailles avaient allégé la dette laissée par Louis XIV, celles de Law et de Dubois laissèrent l’État endetté en 1723 de six cent quatre-vingt-cinq millions de plus qu’au 1er septembre 1715[15].

 

Dubois concentre tout le pouvoir

Maître des Postes et des Finances, Dubois voyait toute l’administration du royaume concentrée entre ses mains, sous ses yeux, sur son bureau. Il lui fallait plus encore, car il était de ces hommes qui pensent n’avoir rien aussi longtemps qu’ils ne possèdent pas tout. Dès le mois d’octobre 1721 il se fait communiquer des mémoires Sur ce qui se pratiqua sous le ministère du cardinal Mazarin quand il fit fonction de premier ministre ; « ce qui fa il croire à tout le monde qu’il serait sûrement élevé aux mêmes honneurs[16]. » A la fin de décembre « on parla du retour de Law toutefois la difficulté est le rang qu’occupe le cardinal, désigné pour être premier ministre, et qui en fait fonction, depuis que les secrétaires d’Etat ont consenti à travailler sous ses ordres[17]. » Le retour à Paris du cardinal de Rohan fut l’occasion favorable, ménagée par Dubois, pour s’ouvrir l’entrée du Conseil de Régence. A raison du succès de sa mission à Rome, Rohan avait droit à une récompense.

 

Préséance au Conseil

Le 8 février 1722, peu avant d’entrer au Conseil, le Régent présenta au Roi le cardinal de Rohan, disant que quand des personnes de dignité avaient été dans les pays étrangers pour les affaires de l’Etat, l’usage était de leur donner des honneurs à leur retour comme l’entrée dans le Conseil. Le Roi dit qu’il le voulait bien Sur-le-champ on entra dans le Conseil et le Régent montrant au cardinal la place du comte de Charolais, qui ne viendrait pas, lui dit : « Monsieur, voilà votre place, qui est la première après les princes du sang. » Rohan la prit. Les ducs présents, entre autres le maréchal de Villars, le duc d’Antin, le duc de Noailles protesteront, disant que ceci se faisait contre leur dignité et contre l’usage. Le Régent répliqua qu’ils étaient anal instruits et qu’il y avait beaucoup d’exemples de cardinaux au Conseil à la suite des princes du sang. Le chancelier Daguesseau entra sur ces entrefaites et fut très surpris de voir Rohan assis au-dessus de lui. Il parla au Régent à demi-voix, qui lui répondit comme aux ducs que le Roi le voulait. Daguesseau céda. Dans ce moment survint le comte de Charolais qui trouva sa place prise, le Régent dit au cardinal de la lui céder et de prendre celle du chancelier et le chancelier la suivante, ce qui ne lui plut guère. Dès le jour même « on se donna de grands mouvements ». Il n’était pas possible de contester la préséance des cardinaux[18], les ducs furent avisés que le connétable de Lesdiguières avait obtenu de Louis XIII un écrit qui réservait ses droits lorsqu’il céda le pas au cardinal de La Rochefoucauld. Quoique aucun des ducs ne fut connétable, leurs députés sollicitèrent du Régent un ordre semblable à celui de Louis XIII et le chancelier fut chargé de le rédiger. Mais l’avocat Marais montra que cet ordre avait été annulé et lacéré[19], alors le Régent refusa tout et comme les ducs insistaient outre mesure, le Régent leur dit qu’ils pouvaient ne point venir au conseil s’ils le voulaient. « Nous prîmes la balle au bond, écrit d’Antin, et nous lui demandâmes, s’il ne le trouverait pas mauvais ; à quoi il répondit que non. Nous nous retirâmes[20]. » Les conjectures et les paris allaient leur train : Le chancelier s’en retournera bientôt à Fresne, disait l’un[21] ; Dubois doit entrer au Conseil dimanche prochain, disait l’autre[22] et on appelait Rohan, le cardinal Chausse-Pied, le cardinal la Planche[23].

Dubois laissait dire. Deux jours après l’incident il écrivait à Tencin : « Le cardinal de Rohan est entré au Conseil de Régence : il y a apparence que je le suivrai de près[24] », et ce nonobstant les « grands mouvements » des ducs, leurs conciliabules[25]. Les opposants, au nombre de quinze boudaient et ne paraissaient plus, de sorte que, le 22, Dubois vint prendre une place sans aucune opposition. Le Conseil se composait du Roi, du Régent, de M. le Duc, du comte de Charolais, du comte de Toulouse, du cardinal de Rohan, de l’évêque Bouthillier, Torcy, La Vrillière, Canillac, des Forts et Biron. Les ducs de Noailles et Saint-Aignan venus protester reçurent communication du Régent de l’ordre royal qui introduisait Rohan et Dubois[26]. Ils se retirèrent après que Noailles eut dit à Dubois : « Vous ne pouvez disconvenir, monsieur le cardinal, que le jour de votre entrée au Conseil sera une époque bien marquée dans notre histoire, puisque ce sera le jour que la haute noblesse du royaume s’en sera absentée[27]. » Le chancelier ne s’y trouvait pas, le maréchal de Villeroy conduisit Louis XV et se retira[28]. Le cardinal était triomphant[29] ; le Régent gouailleur, il comptait le nombre des absents et ajoutait : « C’est autant de pensions de vingt mille francs de gagnées[30]. » Le 28 février, comme le chancelier Daguesseau rentrait en son hôtel, le marquis de la Vrillière vint lui demander les sceaux qui furent donnés à M. d’Armenonville et le lendemain matin, Daguesseau partit pour sa terre de Fresne[31].

 

Dubois se solidarise avec l’Infante

Les ducs qui, par leur nombre, formaient dans le Conseil un groupe imposant comblaient, par leur retraite, les vœux du Régent et de son ministre. S’ils s’étaient flattés d’obtenir l’approbation du roi d’Espagne, et peut-être espéraient-ils que le duc de Saint-Simon alors à Madrid ferait triompher leur politique, les ducs s’étaient lourdement trompés. Plus alerte, et mieux servi, Dubois prévenait ses adversaires en remettant au duc d’Ossone, ambassadeur extraordinaire de Philippe V un mémoire sur les mauvaises intentions de cette noblesse rebelle par dépit du rapprochement survenu entre les deux branches de la maison de Bourbon. Dans ce mémoire Dubois envenimait de son mieux toute cette affaire. « Le duc d’Orléans, y était-il dit, aurait établi la maison de la Reine dès à présent et lui aurait fait donner le traitement entier de Reine sans des oppositions et des contradictions secrètes qu’il y a trouvées, et qui ont formé des cabales parmi ceux de la « Vieille Cour » qui ont été fâchés du mariage du Roi. Quelques-uns se sont découverts dans une occasion qui s’est présentée, qui paraissait n’avoir aucun rapport à cela. C’est lorsque le cardinal de Rohan, en revenant de son ambassade de Rome, a demandé d’avoir entrée au Conseil de Régence, comme tous ceux qui sont revenus des ambassades Font eu avant lui. Il s’est élevé une brigue dans laquelle ceux qui en sont les auteurs ont fait entrer le chancelier et les maréchaux de France, de sorte que le chancelier, les ducs et pairs et maréchaux de France qui étaient du Conseil de Régence ont fait d’abord difficulté sur la préséance du cardinal au-dessus d’eux dans le Conseil ; mais tous les exemples des règnes précédents s’étant trouvés favorables aux cardinaux, la cabale s’est portée jusqu’à prétendre que les cardinaux ne devaient pas avoir place dans les Conseils du Roi, et ils se sont tous absentés du Conseil, espérant que le Régent serait obligé de leur céder et qu’ils se rendraient maîtres du gouvernement. Mais le duc d’Orléans et les princes du sang ayant été instruits que deux d’entre eux avaient été assez imprudents de dire que s’ils avaient le dessus, il faudrait après la majorité renvoyer l’Infante et que ceux qui avaient paru devant les plus affectionnés à LL. MM. CC. paraissaient les plus mal intentionnés contre l'Espagne» il a ôté les sceaux au Chancelier et l’a renvoyé hors de Paris, et a exclus du Conseil de Régence les ducs et pairs et les maréchaux de France qui s’en étaient séparés[32]. » Ensuite on mettait le Roi d’Espagne en garde contre « ce que le duc de Saint-Simon, qui est fort entêté de la dignité de duc et pair, pourrait bien dire sur cette contestation. » Avertissement superflu, Chavigny, observateur attentif ne put noter autre chose qu’un attachement passionné de Saint-Simon pour la politique française du Régent et de Dubois[33]. Philippe V n’était pas homme à approuver l’incartade des ducs et il donna pleinement raison à Dubois. Il chargea Daubenton de dire qu’il n’approuvait en aucune façon et qu’il était fort surpris de la conduite de personnes ordinairement si sages[34].

 

Il accepte un confesseur jésuite pour le Roi

Dubois fît plus encore. Philippe V, non content de demander que l’infante âgée de trois ans se confessât à un jésuite[35], avait prié de rendre le confessionnal du Roi à un religieux de cette compagnie[36]. Saint-Simon « qui avait toujours été plus lié avec les Jésuites que personne[37] » tenta d’éluder la demande, mais le P. Daubenton revint à la charge, persuadé que son insistance finirait par obtenir gain de cause. Le 2 mars, Dubois lui écrivit : « Il y a trois semaines, mon très révérend Père, que je diffère d’un jour à l’autre de dépêcher un exprès, espérant chaque jour de pouvoir vous donner la nouvelle de l’événement auquel vous vous intéressez avec tant de raison et de zèle. La résolution est prise, les difficultés, quoique grandes, n’ont point effrayé S. A. R. parce qu’il s’agit de faire le bien de la religion et de plaire à LL. MM. CC. M. le duc de Noailles faisait proposer par le maréchal de Villeroy le chancelier de Notre-Dame de Paris, le curé de Saint-Germain-en-Laye et l'abbé Vaurouy, nommé à l’archevêché de Perpignan. M. le cardinal de Rohan mettait sur les rangs M. Vivant, qui a été à Rome avec lui, et M. l’évêque de Fréjus souhaitait M. Paulet, supérieur du séminaire des Bons- Enfants, ou M. de Champagny, trésorier de la Sainte-Chapelle de Paris. Rien n’était plus contraire à la dispense et au maintien de la bonne doctrine que ce qui était proposé par le premier. S. A. R. s’est expliquée avec les deux autres, et leur a déclaré en confidence son intention. On craint qu’il en soit transpiré quelque chose, car les gens les plus opposés à cet établissement ont fait depuis ce temps-là des mouvements extraordinaires capables de causer du trouble dans le gouvernement, et qui ne peuvent avoir eu pour but que d’empêcher cette démarche ou d’interrompre la tranquillité publique que le mariage du Roi avait paru imposer. » Le cardinalat avait opéré sur le style épistolaire de Dubois une transformation à laquelle sa conversation était demeurée étrangère. Plus que jamais, même en public, les b... et les f... volaient sur ses lèvres[38], la correspondance au contraire s’imprégnait d’orthodoxie et d’édification. « Les difficultés ont été grandes, lisait-on dans la même lettre à Daubenton, mais les deux royaumes doivent être purgés des sectes contraires à la catholicité, pour qu’on trouve dans la durée de l’union admirable formée par S.M.C. la gloire de la religion et la prospérité des deux États. A des objets si grands et si religieux je fais vœu de travailler avec zèle jusqu’au dernier soupir. Si l’on s’en écartait tant soit peu, je ne resterais pas dans le ministère un quart d’heure, persuadé que nos princes oublieraient leurs affaires et celles de Dieu[39]. »

Cette affaire du confesseur de Louis XV devenait une grosse intrigue de Cour. Non seulement les prélats s’en mêlaient, comme le cardinal de Noailles, les tuteurs du jeune Roi, comme le Régent et le maréchal de Villeroy, mais encore les roués, comme Noce et les maîtresses comme Mme d’Averne[40] ; pour Dubois c’était simple question de politique, le confesseur jésuite était réclamé par Philippe V, on le nommerait donc, car en tout ceci il ne s’agissait que de bien persuader « le Roi Catholique [qu’il] avait dans le cardinal Dubois un ministre aussi zélé et aussi passionné pour la gloire de leurs Majestés Catholiques que s’il était Espagnol[41] ».

 

Nomination du Père de Linières

Les circonstances ne permettaient aucun retard. Le savant et vénérable abbé Fleury devait renoncer à une charge que ses infirmités ne lui permettaient plus de remplir[42]. Le cardinal de Noailles se chargea de présenter la démission au Régent qu’il pria « de ne point destiner cet office à aucun jésuite ». Le prince sembla le lui promettre, mais dès que le cardinal se fut retiré, il dit à l’entourage : « Comme je suis engagé de parole d’honneur avec le roi d’Espagne, je ne puis m’empêcher d’y nommer un jésuite[43]. » La Société de Jésus gardait une extrême réserve, mais « n’avait garde de manquer ce morceau[44] ». Elle présenta et fit accepter le P. de Linières, confesseur de Madame, « bon homme, vieux et rien de plus[45] ». Il fallut confesser le Roi pour la semaine sainte. Or le P. de Linières n’avait de pouvoirs que pour absoudre son unique pénitente ; le Régent envoya demander l’extension de ces pouvoirs pour entendre le Roi, le cardinal de Noailles répondit qu’il n’en ferait rien, étant résolu de n’en donner à aucun jésuite[46]. Ce refus fit éclat, chacun en parla à sa façon suivant le parti auquel il inclinait et tout cela, disaient les indifférents, prépare une belle querelle, dans laquelle les amis de l’archevêque assuraient qu’il se montrerait très ferme, quoique l’expérience du passé permit d’on douter[47]. Dans sa maison de campagne de Conflans, Noailles reçut le cardinal de Rohan, le P. de Linières, le P. Gaillard et se montra inflexible ; de son côté, le Régent fut intraitable et Dubois se crut élevé à la dignité de confesseur de la foi. « Je porterai l’iniquité de ce rétablissement des Jésuites, écrivit-il à Daubenton ; j’en fais ma gloire et mon honneur[48]. »

Le temps pascal avançait, il fallut prendre une décision ; le jour de Quasimodo, le petit Roi se confessa à l’abbé Chaperel[49] et en fut si content qu’il protesta ne vouloir plus d’autre confesseur[50] ce qui donna lieu à de plaisantes scènes, Chaperel en tira une pension de quinze cents livres et la promesse d’une abbaye[51], mais le P. de Linières se cramponnait à la place et son confrère, le P. Lallemant, avait donné l’assurance que la Cour de Rome saurait bien mettre le cardinal de Noailles à la raison[52]. Le 18 mai, l’abbé de Tencin obtint sans difficulté un bref papal conférant les pouvoirs nécessaires au jésuite. Mais le petit Roi n’en voulait point. Étant à la chasse au bois de Boulogne il dit : u Je compte partir le 21 mai pour Versailles afin de me disposer à faire «ma première communion le jour de la Pentecôte, en l’église de la paroisse de mon lieu natal, et ce sera M. Chaperel qui me confessera[53]. » Ce n’était qu’une fantaisie d’enfant ; plus redoutable était la colère des appelants. « Les mouvements des Jansénistes sont si violents sur ce sujet, écrit Dubois à Tencin, d ils ont formé tant d’intrigues dans le clergé et dans le Parlement que l’on a lieu de craindre un aussi grand scandale sur cette affaire que sur la Constitution[54]. » On éluda la difficulté. Le général des jésuites fixa la résidence du P. de Linières à Pontoise, localité appartenant au diocèse de Rouen dont l’archevêque de Bezons lui donna les pouvoirs en même temps on décida que Louis XV se transporterait de Versailles à Saint-Cyr, qui dépendait du diocèse de Chartres, et s’y confesserait ; « en sorte que le confesseur, le confessé et le confessionnal dépendaient de trois diocèses différents[55] ».

 

Exil de Nocé

Cette longue et délicate négociation se terminait à la satisfaction de Dubois qui allait maintenant entreprendre d’éloigner tous ceux qui lui étaient hostiles et pouvaient faire obstacle à son élévation. « M. le cardinal Dubois, nous apprend Barbier, s'appelle tout court le Cardinal, comme nos deux anciens grands ministres. Il n'a pas encore le titre de premier ministre, mais il en fait les fonctions. On dit qu’il est présentement le maître du Régent et qu’il le craint[56]. La première victime fut Noce, le roué, favori du Régent à qui il avait dit « qu’il pouvait bien faire d’un cuistre un cardinal, mais non pas du cardinal Dubois un honnête homme ». Dubois, qui redoutait cette franchise[57], fit donner la vieille Madame et la duchesse d’Orléans, en sorte que la menace parut assez sérieuse à Nocé pour qu’il vint trouver le Régent afin de l'empêcher, disait-il, de faire une mauvaise action en exilant un si fidèle ami.

« Peux-tu croire cela, lui dit le Régent, toi qui me connais si bien ?

« C’est parce que je vous connais que je n’en doute point ». Et le même jour, le roué reçut l’ordre d’aller en Normandie dans ses terres[58].

 

Prévisions de Dubois

Brancas, autre roué, n’avait pas attendu un ordre d’exil, il s’était depuis peu de mois retiré, converti et pénitent, à l’abbaye du Bec ; Canillac serait frappé bientôt. Dubois s’enhardissait et marchait à son but. Aussi bien la majorité légale du Roi approchait et ne permettait plus les atermoiements. Quelques mois à peine séparaient de cette échéance redoutable pour le Régent et pour Dubois si leur jeune maître, timide et sournois mais volontaire et opiniâtre, se dégoûtait du prince et du ministre, les chassait et les remplaçait. Il était temps de soustraire aux regards du Roi la vie licencieuse du Régent, parce qu’on devait craindre que celui-ci, élevé dans une extrême pureté de mœurs et poussé par la sévérité trop ordinaire aux vertus de la jeunesse, ne se dégoûtât bientôt d’un tuteur scandaleux. Dubois eut assez d’empire sur le duc d’Orléans pour obtenir de lui une rupture publique avec sa maîtresse, Mme d’Averne ; le ménage désuni simula une réconciliation et la duchesse d’Orléans s’y prêta, semble-t-il, par goût au moins autant que par vertu.

 

Le retour à Versailles

A Versailles, l’isolement relatif de la Cour devait permettre à Dubois, d’après son calcul, d’exercer sur le jeune Roi une influence que rien ne viendrait distraire ou combattre. Afin de faire accepter par les Parisiens le départ de la Cour, on le leur présenta comme une fantaisie d’enfant qu’il fallait satisfaire. Tous les caprices de leur Roi étaient alors approuvés par les Parisiens qui se dirent, qu’en fait, Versailles est bien plus superbe pour un roi que Paris[59]. A Louis XV, il fut facile d’insinuer le désir de retourner à Versailles dont son cerveau d’enfant avait conservé la vision. Un jour on l’avait entendu dire au maréchal île Villeroy : « Mon oncle me fait aller ail Cours, à Saint-Cloud, à Vincennes. D’où vient qu’il ne me mène pas à Versailles, à Trianon ? J’aime tant Trianon. » — « Mon maître, dit Villeroy, dites-moi la vérité, cela vient-il de vous ? quelqu’un vous le fait-il dire ? » Mais l’enfant soutint à plusieurs reprises que cela venait de lui ; alors le maréchal parla de terres remuées, de canaux empestés qui pourraient être funestes à la santé d’un enfant, mais il n’obtint que ce mot : Bagatelle ! Bagatelle[60], lorsque Dubois eut pris ses mesures pour suggérer à Louis XV le retour à Versailles, celui-ci ne pensa plus à autre chose, en parla sans cesse[61], s’intéressa aux travaux de la restauration[62]. Le public se disait qu’on voulait accoutumer le Roi à l’infante qu’il n’aimait guère et mettre plus d’intimité entre Louis XV et le Régent[63]. Après plusieurs retards, le retour fut fixé au 15 juin. En même temps, on annonçait la cérémonie du sacre à Reims au mois de septembre, mais les vignerons champenois obtinrent le renvoi au 20 octobre[64]. La rumeur circula que le Roi viendrait passer l’hiver à Paris[65].

 

L’arrivée

Versailles était en liesse. Sept années plus tôt le départ de la Cour avait été sa ruine, les baux avaient été cassés[66], le domaine délaissé, les jardins abandonnés, et, d’un coup de baguette, ils reprenaient leur splendeur en même temps que renaissaient les querelles pour la désignation des logements dans le Château. Dubois se fit attribuer celui qu’avait jadis occupé Louvois. Le 14 juin, Louis XV reçut les adieux des Parisiens[67] et le lendemain, à trois heures de l’après-midi, il quitta les Tuileries. La foule encombrait le Cours la Reine et les paris l’ouvraient sur son passage : Il reviendra ! Il ne reviendra pas ![68] L’impatience d’arriver était si grande qu’en traversant le Cours, Louis ordonna au cocher de mettre ses chevaux au galop. En pénétrant dans l’avenue du Château, une troupe de jeunes gens de la ville, endimanchés, parés de flots de rubans bleus et blancs, entoura le carrosse aux cris de Vive le Roi ! qui ne cessèrent plus jusqu’à l’entrée dans les appartements[69].

Après une prière à la chapelle, où le Saint Sacrement était exposé[70], et malgré la grosse chaleur, le Roi voulut visiter tous les bosquets avec le Régent qu’il lassa de façon à n’en pouvoir plus[71] ; ensuite il revint dans la grande galerie et s’assit sur le parquet, tout le monde l’imita. Le charme mystérieux de Versailles opérait ; après trois jours, on sut que le Roi y passerait tout l’été et même l’hiver[72]. Il vivait là, heureux, couvé pour ainsi dire, par le Régent et le Cardinal qui ne le quittaient guère, accompagnaient ses promenades, le délivraient des perpétuelles gronderies du vieux maréchal dont il était excédé[73], sempiternel radoteur et radoteur depuis toujours[74], ingambe, alerte mais octogénaire et hors d’état de suivre son pupille leste, agile, toujours en train de monter, descendre, courir, sauter, ce dont ses muscles et ses joues portaient l’éclatant indice de santé[75].

 

Nouveaux exils

A Paris, on ignore presque tout ce qui se passe à Versailles, sauf qu’on y joue un jeu affreux, qu’on y fait l’amour partout et qu’il s’y passe des scènes de débauche infâme[76]. Plus rien n’y balance le crédit de Dubois[77], qui dès la nuit même de l’arrivée de la Cour, a frappé un grand coup. Le duc de Noailles, pour lequel Louis XV montrait du goût, est exilé ; Canillac également, ainsi que les maréchaux de Villars et d’Huxelles et le duc de Gramont[78]. Le maréchal de Bezons avait été envoyé dans ses terres, mais il restait une bataille plus incertaine à livrer.

 

Algarade de Dubois avec Villeroy

Défait du duc de Noailles, Dubois, qui ne pouvait avoir la même prise sur le maréchal de Villeroy n’oublia rien pour le gagner[79]. Ils avaient vécu plusieurs années en très bons termes, Villeroy témoignant une sorte de déférence pour les talents de Dubois[80], prenant intérêt à sa santé[81]. Le 4 juillet, le gouverneur adressait encore au cardinal une lettre affectueuse et même confiante[82], mais le vieillard savait de moins en moins se taire. Le 20 juillet, furieux de voir Dubois demander l’accès du conseil des finances présidé par les Villeroy depuis plus d’un demi- siècle, il éclata[83]. Rencontrant le cardinal de Bissy, il lui cria assez haut pour être entendu de l’autre cardinal qui se trouvait à deux pas : « Vous aussi donc, vous pliez le genou devant l’idole. Il faut être aisé à apprivoiser pour endosser le joug de M. le cardinal Dubois. Vous allez voir sur quel ton je lui parlerai à lui-même, » et, se retournant vers le ministre : « Vous voulez tout gouverner, Monsieur, mais je ne le souffrirai pas. » Dubois avait senti venir l’orage, il n’en fut pas ému. « Ce n’est, dit-il, ni à vous ni à moi de dire ce que nous ne souffrirons pas. Nous sommes sujets l’un et l’autre, et devons vouloir ce qui plaît à l’autorité souveraine. Si vous trouvez que j’abuse du pouvoir qui m’est confié, que je m’acquitte mal de mon devoir, ou que je me mêle de trop de choses, permis à vous d’y redire. Mais ce n'est pas à moi qu’il faut vous en prendre. C’est à celui de qui je tiens mon pouvoir. Apparemment les raisons qui vous font juger ainsi sont trop frappantes pour ne point emporter la conviction. Servez-vous en. Je vous donne champ-libre et, bon citoyen, je me plaindrais de vous si vous négligiez de les représenter dans tout leur jour. Quand vous aurez fait voir que ma conduite est fautive envers le Roy, l’État ou M. le duc d’Orléans, je me rendrai avec docilité à vos preuves, et je me joindrai à vous pour me faire dépouiller d’un ministère mal placé. Une seule chose qui me peine, par l’intérêt que je prends à vous et à votre réputation, c’est qu’un homme de votre âge et de votre élévation autorise ainsi des langages contradictoires et que vous vous déchaîniez contre moi le jour même que vous m’écrivez des lettres remplies de la plus haute estime. » La riposte fit « perdre la tramonte, tout sang-froid et toute mesure. Villeroy crut prendre une revanche en s’allant plaindre au duc d’Orléans, dont la réponse fut une nouvelle déconvenue : « En tout ceci, Monsieur le Maréchal, je ne vois que votre tort[84]. »

 

Scandale découvert

Dix jours après cette algarade Dubois tenait sa vengeance. Un scandale, dont le récit ne peut être fait dans sa crudité, éclatait à Versailles, le 31 juillet, et l’infortuné maréchal se trouvait réduit à solliciter des lettres de cachet contre ses propres petits-enfants. « La chose est trop horrible pour que je l’écrive[85] » se contente de dire la vieille Madame dont la plume cependant ne craint rien. La duchesse de Retz, petite-fille du maréchal a tenté de séduire le Roi-enfant et porté ses mains sur lui, en outre elle a livré la marquise d’Alincourt, sa belle-sœur, autre petite-fille du maréchal aux entreprises de Richelieu dans un bosquet. Cependant que le précepteur du Roi, Fleury, entendant des voix sous l’appartement de son maître, la nuit, au clair de lune, à entendu et vu six jeunes gens d’une vingtaine d’années chacun, quelques-uns mariés, et parmi eux deux petits-fils du maréchal, Retz et d’Alincourt, se livrer à des abominations[86]. Confus, humilié, le maréchal faisait pitié à tirer les larmes des yeux[87].

 

Tentative d’accommodement

Le cardinal jugea la circonstance favorable et se résolut à tenter un effort pour se ramener le maréchal. N’osant l'affronter, il s’adressa au cardinal de Bissy qu’il persuada sans peine du grand bien qui sortirait de la médiation entre deux puissances rivales et faites pour ne l’être pas. Bissy et Villeroy avaient été autrefois fort liés par l’influence de Mme de Maintenon ; Bissy eentrevit un grand service à rendre et peut-être la porte du Conseil de Régence s’ouvrir devant lui. Dubois pria Bissy de dire à Villeroy qu’il Tirait voir chez lui et Villeroy, pour ne pas demeurer en reste convint avec Bissy d’aller ensemble chez le cardinal Dubois (4 août).

 

Scène de Villeroy au Cardinal

Bissy et Villeroy trouvèrent les ministres étrangers, dont c’était le jour d’audience du cardinal, attendant dans le salon le tour de chacun d’eux. « On voulut avertir le cardinal de quelque chose d’aussi nouveau que le maréchal de Villeroy chez lui, mais il ne le voulut pas permettre, et s’assit avec Bissy sur un canapé on attendant. L’audience finie, Dubois sortit de son cabinet pour conduire l’ambassadeur, et aussitôt avisa ce canapé si bien garni. Il ne vit plus que lui à l’instant ; il y courut, rendit mille hommages publics au maréchal, avec force plaintes d’être prévenu, lorsqu’il n’attendait que sa permission pour aller chez lui, et pria Bissy et lui de passer dans son cabinet. Tandis qu’ils y allèrent, il en fit excuse aux ambassadeurs sur ce que les fonctions et l’assiduité du maréchal de Villeroy auprès du Roi ne lui permettaient pas de s’absenter longtemps d’auprès de sa personne ; et, avec ce compliment, les quitta et rentra dans son cabinet. D’abord, force compliments réciproques et propos du cardinal de Bisssy convenables au sujet. De là protestations du cardinal Dubois et réponses du maréchal ; mais à force de réponses il s’empêtra dans le musical de ses phrases, bientôt se piqua de franchise et de dire des vérités, puis, peu à peu, s’échauffant dans son harnois, des vérités dures et qui sentaient l’injure. Dubois, bien étonné, ne fit pas semblant de sentir la force de ces propos ; mais comme elle s’augmentait de moment à autre, Bissy, avec raison, voulut mettre le holà, interrompre, expliquer en bien les choses, persuader le maréchal quelle était son intention. Mais la marée qui montait toujours tourna tout à-fait la tête au maréchal, et le voilà aux injures et aux plus sanglants reproches. En vain Bissy le voulut faire taire, lui représenter combien il s’écartait de ce qu’il lui avait promis et chargé de rapporter à Dubois, l’indécence sans exemple d’aller maltraiter un homme chez lui, où il venait que pour achever de consommer une réconciliation conclue. Tout ce que put dire Bissy ne fit qu’animer le maréchal, et lui faire vomir tout ce que l’insolence et le mépris peuvent suggérer de plus extravagant. Dubois, confondu et hors de lui-même, rentrait en terre sans proférer un seul mot, et Bissy, justement outré de colère, tâchait inutilement d’interrompre. Dans le feu subit qui avait saisi le maréchal, il s’était placé de façon qu’il leur avait bouché le passage pour sortir, et en disait toujours de plus belle. Las d’injures, il se mit sur les menaces et sur les dérisions, il dit à Dubois que maintenant qu’il s’était montré à découvert, ils n’étaient plus en termes de se pardonner l’un à l’autre ; qu’il voulait bien encore l'avertir que tôt ou tard il lui ferait du pis qu’il pourrait, mais qu’il voulait bien aussi, avec la même candeur, lui donner un bon conseil. « Vous êtes tout-puissant, ajouta-t-il ; tout plie devant vous, rien ne vous résiste ; qu’est-ce que les plus grands en comparaison de vous ? Croyez-moi, vous n’avez qu’une seule chose à faire, usez de tout votre pouvoir, mettez-vous en repos, et faites-moi arrêter, si vous l’osez. Qui pourra vous en empêcher ? Faites-moi arrêter vous dis-je, vous n’avez que ce parti à prendre. » Et là-dessus, à paraphraser, à défier, à insulter, cet homme qui très sincèrement, était persuadé qu'entre escalader les cieux et l’arrêter, il n’y avait point de différence. On peut bien s’imaginer que tant de si étonnants propos ne furent pas tenus sans interruptions et sans vives altercations du cardinal de Bissy, mais sans pouvoir en arrêter le torrent. Enfin, outré de colère et de dépit contre le maréchal qui lui manquait si essentiellement à lui-même, il saisit le maréchal par le bras et par les épaules et l'entraîna à la porte qu’il ouvrit, le fit sortir et sortit lui-même. Dubois, plus mort que vif, les suivit comme il put ; il se fallait garder de cette assemblée de ministres étrangers qui attendaient. Tous trois eurent beau tacher de se composer, il n’y eut aucun de ces ministres qui ne s’aperçut qu’il fallait qu’il se fût passé quelque scène violente dans le cabinet, et aussitôt Versailles fut rempli de cette nouvelle qui fut bientôt éclaircie par les vanteries, les récits, les défis et les dérisions publiques du maréchal de Villeroy[88].

 

Villeroy sacrifié à Dubois

Dubois entra dans le Cabinet du duc d’Orléans « comme un tourbillon, les yeux hors de la tête » demandant où était le prince. Saint-Simon, qui se trouvait là, répondit qu’il était dans sa garde-robe et Dubois s’y précipita criant : « Je suis perdu, je suis perdu ! » Le Régent l’entendit, accourut et lui demanda ce que c’était. La réponse, entrecoupée du bégayement ordinaire, fut le récit qu’on vient de lire et la conclusion qu’« il fallait que le duc d’Orléans vît tout à l’heure ce qu’il pouvait et ce qu’il voulait faire et choisit entre Villeroy et lui. Quelques questions posées pour éclaircir et constater les faits n’amenèrent ni variations ni détours dans les réponses du cardinal qui, à tous moments présentait l’option, à toute question renvoyait à Bissy qu’il proposait d’appeler. Saint-Simon consulté opina pour le renvoi du maréchal sauf à réfléchir mûrement sur l’exécution de façon à s’y prendre pour n’en avoir le démenti ni dans le temps ni dans la suite. Le lendemain, le Régent consulta M. le Duc qui opina que « si le maréchal de Villeroy demeurait dans sa place, il n’y avait qu’à mettre la clef sous la porte », ce fut l'expression dont il se servit, et il insista pour qu’on s’en défît incessamment. Alors le Régent, M. le Duc et Saint-Simon décidèrent d’organiser un guet-apens auquel la fatuité du gouverneur ne pouvait manquer de se prendre. Villeroy s’était mis en tête qu’une des prérogatives de son emploi consistait à empêcher que personne, sans excepter le Régent, parlât au Roi tête-* à-tête ou à l’oreille sans que le gouverneur vint fourrer son oreille entre le prince et le jeune monarque. Il y avait là matière à arranger un piège, qui devait être tendu lorsque tout serait prêt pour l’exécution et l’envoi à Villeroy où le vieillard se reposerait un jour ou deux à cause de son âge, mais sous bonne garde. Le duc de Charost serait nommé gouverneur[89].

Aucun reproche ne lui étant adressé, le maréchal se persuada qu’il n’en serait rien de plus, sa sécurité fut entière ; d’ailleurs il avait assez souvent répété que pour le séparer du Roi « il faudrait l'arracher par les pieds[90] » et cette perspective devait faire reculer le Régent sans aucun doute !

 

Altercation du Régent et de Villeroy

Le lundi 10 août, celui-ci alla à dix heures du matin travailler avec le Roi, comme il avait accoutumé de faire plusieurs jours marqués de chaque semaine[91]. Ce travail consistait à montrer à l’enfant la distribution d’emplois vacants, de bénéfices, de certaines magistratures, d’intendances, de faveurs, de lui expliquer en peu de mots les raisons des choix et des préférences, parfois il était question des finances ou de nouvelles étrangères, quand il y en avait à sa portée. Par ce moyen, au moment de sa majorité, Louis XV aurait comme une teinture des affaires d’État. A la fin de ce travail, où Villeroy se trouvait toujours et où, quelquefois, Fleury se hasardait de rester, le duc d’Orléans pria le Roi de passer dans un arrière-cabinet et, où il avait un mot à lui dire tête-à-tête[92]. Le maréchal s'y opposa à l’instant. Le duc d’Orléans, ravi, lui représenta avec politesse que le Roi entrait dans un âge si voisin de celui où il gouvernerait par lui-même, qu'il était temps de lui rendre compte des choses qu’il pouvait maintenant entendre et qui ne pouvaient être expliquées qu’à lui seul, quelque confiance que méritât quelque tiers que ce pût être, et qu’il le priait de cesser de mettre obstacle à une chose si nécessaire et si importante, que lui, Régent, avait peut-être à se reprocher de n’avoir pas commencée plus tôt, uniquement par complaisance pour lui. Le maréchal s’échauffant et secouant sa perruque répondit qu’il savait le respect qu’il lui devait, et pour le moins autant ce qu'il devait au Roi et à sa place, protesta qu’il ne souffrirait pas que S. A. R. parlât au Roi en particulier, parce qu’il devait savoir tout ce qui lui était dit, beaucoup moins tête- à-tête dans un cabinet, hors de sa vue, parce que son devoir était de ne le perdre pas de vue un seul moment, et dans tous de répondre de sa personne. Sur ce propos, le Régent le regarda fixement, et lui dit avec un ton de maître qu’il se méprenait et s’oubliait, qu’il devait songer à qui il parlait et à la force de ses paroles, qu’il voulait bien croire qu’il n’entendait pas ; que le respect de la présence du Roi l’empêchait de lui répondre comme il le méritait et de pousser plus loin cette conversation. Et tout de suite fit au Roi une profonde révérence et s’en alla[93].

Quand le Roi sortit de la messe, le maréchal aborda le Régent pour lui donner un éclaircissement sur ce qui s’était passé, le Régent lui dit qu’il n’avait pas le temps de l’écouter, mais qu’il n’avait qu’à se rendre à trois heures chez lui et qu’il l’entendrait. Au delà de la chambre à coucher du duc d'Orléans se trouvait un grand et beau cabinet, à quatre grandes fenêtres sur le jardin, et de plain-pied, à deux marches près, deux faces en entrant, deux sur le côté, vis-à-vis de la cheminée, et toutes ces fenêtres s’ouvraient en portes, depuis le haut jusqu’au parquet. Ce cabinet faisait l’angle et, en retour était un cabinet joignant où le prince travaillait. Le mot était donné. Artagnan, capitaine des mousquetaires gris, se trouvait dans cette pièce avec force officiers sûrs de sa compagnie et d’anciens mousquetaires qui ignoraient ce qui se préparait. Il y avait aussi des chevau-légers répandus en dehors le long des fenêtres, et dans la même ignorance.

 

Arrestation de Villeroy

Villeroy arriva avec son fracas accoutumé, mais seuil, sa chaise et ses gens restés au loin, hors de la salle des gardes. Il entre en comédien, s’arrête, regarde, fait quelques pas. Sous prétexte de civilité on l’environne. Il demande d’un ton d’autorité ce que fait M. le duc d’Orléans. On lui répond qu’il est enfermé et qu’il travaille. Le maréchal élève le ton, dit qu’il faut pourtant qu’il le voie, qu’il va entrer, et comme il s’avance le marquis de La Fare, capitaine des gardes du duc d’Orléans se présente devant lui, l’arrête en vertu d’une lettre de cachet qu’il tient à la main et lui demande son épée. Le maréchal demanda à voir le Roi, on n’avait garde de le lui permettre ; il demanda à voir le Régent et La Fare rentre dans le cabinet. Le Blanc, secrétaire d’État de la guerre fait répondre que le duc d’Orléans ne veut point le voir. Une chaise à porteurs qu’on avait tenue cachée, se plante devant le maréchal, on l’y pousse, on l’y enferme, on l’emporte par une des fenêtres latérales dans le jardin, La Fare et d’Artagnan aux portières, chevau-légers et mousquetaires à la suite. On accélère l’allure, au bas de l’escalier de l'Orangerie, devant la grande grille ouverte attend un carrosse attelé de six chevaux ; on approche la chaise et Villeroy se coule dans le carrosse. D’Artagnan y monte à côté de lui, un officier de mousquetaires et M. du Libois devant lui, vingt mousquetaires avec leurs officiers à cheval autour du carrosse, et touche, cocher[94].

Ce ne fut pas un petit embarras que de porter cette nouvelle au Roi, quand on jugea que le prisonnier pouvait avoir fait deux ou trois lieues et qu’on était assuré de ne plus le revoir, le Régent monta chez le Roi, fit sortir de son cabinet tous les courtisans, et n’y laissa que fort peu de monde de ceux à qui leurs charges donnaient les entrées. Au premier mot le Roi rougit ; ses yeux se mouillèrent : il se mit le visage contre le dos d’un fauteuil, sans dire une parole, ne voulut ni sortir ni jouer. Le Régent se retira, laissant à M. le Duc et à Fleury le soin de justifier une mesure si mal accueillie. On fit sur-le-champ fermer le cabinet du Roi pour l’empêcher de voir personne, on contremanda les gardes du corps et les carrosses qui attendaient l’heure de la promenade et l’après-midi se passa à raisonner sur l’événement. Le soir, le Roi soupa à son ordinaire sans laisser voir sur son visage aucune altération, ni rien qui pût faire juger de ce qui se passait en lui ; à la fin du souper, il joua avec les jeunes seigneurs à qui il faisait ordinairement cet honneur, mais quand il se fut retiré, il passa la nuit à pleurer. Saumery, son sous-gouverneur, qui avait couché dans sa chambre à la place du maréchal, essaya en vain de le consoler, il sanglotait ! On lui proposa un verre d’eau pour calmer l’oppression causée par la douleur, il répondit qu’il était assez grand pour en demander s’il en avait besoin. La journée du lendemain fut morose et quand vint le soir, l’enfant ne voulut jamais donner l’ordre quand le capitaine des gardes, fils du maréchal se présenta devant lui[95].

 

L’opinion publique

La nouvelle faisait grand bruit à Versailles[96], mais de ces bruits qui ne durent qu’un instant, en réalité l’affaire ne devait pas faire beaucoup plus d’éclat, que si on avait congédié le dernier officier de la Cour[97]. « A Paris, on fut bien instruit de l’événement et on regretta le maréchal, « ce bon vieillard », comme l’appelle M. Marais, qui croit « que le voyage de Versailles n’a été fait que pour cette expédition surprenante[98]. » C’est aussi l’opinion de Barbier qui fronde paisiblement : « Voilà la récompense des soins du maréchal pour l’éducation et pour la conservation de la santé du Roi. Il ne l’abandonnait jamais. Le silence du Roi à cet égard n’est pas une marque d’un bon caractère ; on dit cependant qu’il pleura le soif ; mais il est assez grand pour n’en pas rester là. D’ailleurs la jeunesse, ordinairement, n’aime pas la vieillesse. M. le cardinal Dubois et M. le Régent, qui sont à présent toujours avec le Roi, l’endoctrinent d’une autre manière, et l’ont apparemment dégoûté peu à peu de son gouverneur avant de faire coup : coup hardi contre les lois ! On ne doit point ôter le gouverneur du Roi ; on dit même que l’on a déjà nommé M. lent maréchal de Berwick. Il est inouï qu'on mette le Roi à la garde et aux mains d’un étranger. Mais enfin voilà un des premiers fruits du voyage de Versailles[99]. »

Une semaine se passe pendant laquelle le Roi fit sa première communion[100] (15 août) et le duc de Charost fut nommé gouverneur[101]. Mais Dubois avait d’autres soucis. Le jour même de l’exil de Villeroy un manifeste fut rédigé et destiné aux Parisiens. Buvat n’a pas manqué de prendre note de cette pièce et Marais aussi, qui l’attribue à Fontenelle qui n’y montre que « sa stérilité[102] » : « L’autorité royale n’est, disait-il, comptable qu’à Dieu et de ses desseins et de l’exécution de ses projets. Cependant les rois et les dépositaires de leur puissance veulent quelquefois par bonté manifester les raisons qui les font agir.

Il est de certaines circonstances où la sagesse les sollicite de renoncer à leurs droits pour confondre les malintentionnés et ne pas scandaliser les faibles. Telle est la conjecture présente... » En même temps, le cardinal rédigeait un acte d’accusation formel contre le maréchal destiné à être placé sous les yeux du Roi[103], et une lettre explicative adressée à nos représentants à l’étranger : Destouches[104], Tencin[105], Lozelière[106].

 

Fuite de Fleury

On commençait oublier Villeroy, qui s’acheminait vers son gouvernement de Lyon, quand éclata une nouvelle aussi singulière que celle de sa disgrâce. Le précepteur du roi, Fleury, ancien évêque de Fréjus avait disparu : fugitif, disaient les uns, enlevé, soutenaient les autres. Sous prétexte du besoin de repos, Fleury monta en chaise et partit sans que personne s’aperçut de son absence qu’au moment de la leçon du Roi (17 août). Il laissait deux lettres destinées au Régent et à M. le Duc, mais nul ne savait où il s’était retiré. Ceux-ci le croyaient à la Trappe[107], ceux-là à Issy, tous se trompaient. Fleury délivré de la tyrannie d’un bienfaiteur incommode n’avait cru pouvoir mieux faire que de décamper. Au premier moment l’émoi fut vif à Versailles, la désolation du jeune Roi était plus embarrassante que la disparition du vieil évêque. Dans l’après-midi du 18 le secret de sa retraite s’ébruita. Fleury s’était rendu à Basville chez M. de Lamoignon. Belle-Isle et Le Pelletier des Forts y coururent. Ils en rapportèrent une lettre au Roi parlant d’un mal de tête et du besoin de repos. Le Roi répondit par ce billet : « Vous vous êtes assez reposé ; j’ai besoin de vous ; revenez donc au plus tôt[108]. » Et Fleury revint le soir même.

 

Lettre du père Daubenton

Rassuré sur le sort de M. de Fréjus, Dubois prit la plume et écrivit au P. Daubenton. Il sentait la nécessité d’exploiter son succès : « Son Altesse Royale, lui disait-il, a été particulièrement blessée d’une opposition secrète qu’elle a trouvé de la part de plusieurs seigneurs dans toutes les occasions où elle a voulu faire rendre à l’infante les distinctions qui lui sont dues. M. le duc de Noailles n’a été exilé que parce qu’il avait dit que le bruit et l’éclat que faisait le mariage du Roi et de l’infante ressemblait et aurait le même sort que le succès de M. Law, et finirait certainement par une pareille catastrophe... Le maréchal de Villeroy au lieu de favoriser la familiarité et la communication journalière entre le Roi et l’infante, y faisait naître chaque jour quelque obstacle et a enfin fait deux actes d’une impudence éclatante sur ce sujet, ayant dit d’une part à des courtisans dans la chapelle pendant la messe du Roi, où assistait la Reine, qu’elle avait quelque esprit, mais qu’elle était laide et petite, même au-dessous de son âge, et, d’autre part, m’ayant reproché ce mariage en présence du cardinal de Bissy, qui est un prélat très vertueux et qui en fut indigné, ce qui étant relevé de ma part avec vivacité fut accompagné de la sienne de beaucoup de circonstances et de discours très odieux qui ne laissèrent au cardinal ni à moi aucun doute sur sa mauvaise volonté[109]. »

 

Dubois principal ministre

Dubois avait évincé, exilé tous ses adversaires, abaissé tous les obstacles, il ne pouvait attendre longtemps le couronnement de cette vive et habile campagne. Pendant que, suivant son habilite, le Régent se divertissait à faire jaser Saint-Simon sur les premiers ministres[110], il accordait cette distinction à l’homme auquel il ne voulait, ne pouvait et ne savait rien refuser. Schaub soutenait Dubois avec la même ardeur et presque le même crédit qu’eût pu avoir Stanhope ; le comte de Hoym s’y employait aussi de son mieux[111]. Le projet avait été dressé le 15 août sous la dictée du cardinal par Pecquet qui présenta au Régent, à l’insu de tous, les arguments nécessaires au rétablissement de cette grande charge, les bienfaits de la centralisation, la capacité exceptionnelle de Dubois et les services rendus par lui à l’Europe et à l’église[112]. Le Régent admit les conclusions, mais il se réserva la présidence des Conseils et les honneurs d’un rang que Villeroy comparait à celui d’un lieutenant-général du royaume. Les confidents tombèrent d’accord de n’en plus parler au duc de Bourbon et les patentes furent préparées en grand secret.

Aussi indolent qu’il était vaniteux, le Régent hésitait à abandonner le plus clair de son autorité. Dubois, dévoré d’inquiétude, redoutait l’opposition de M. le Duc, mais il gagna à prix d’argent Mme de Prie, celle-ci expédia au cardinal un courrier pour lui dire que M. le Duc ne s’opposait plus, et le soir même, à neuf heures, 22 août 1722, le duc d'Orléans présenta le cardinal à Louis XV en qualité de principal ministre. Le lendemain, Dubois prêta serment entre les mains du Roi. C’était le titre, l’autorité qu’avaient exercé Richelieu et Mazarin, et la dignité lui valait deux cent mille livres par an[113] ! « Pour le coup, écrit l’avocat Barbier, voilà une belle fortune ! Cet homme est d’une politique infinie pour son ambition[114]. » Parmi les applaudissements et les propositions que suscita cette nomination, un officier se proposa pour la charge de capitaine des gardes du premier ministre, qui répondit : « J’ai mon bon ange, je n’ai besoin que de lui pour me garder ». Cela parut d’un homme d’esprit et de courage[115]. »

 

 

 



[1] Arch. des Aff. Etrang., Rome, t. 631, fol. 148 : Dubois à Rohan, 7 août 1721 ; Bibl. de l’Arsenal. Papiers Dubois, 2026 : Rang des cardinaux de France.

[2] Bibl. de l’Arsenal, ms. 2026, fol. 119, 237, 278.

[3] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 305, fol. 75 : Mémoire joint à la lettre du 27 septembre 1721.

[4] Arch. des Aff. Etrang., Rome, t. 631, fol. 148 : Dubois à Rohan, 7 août 1721 ; C. de Sévelinges, op. cit., t. II, p. 190.

[5] Bibl. Mazarine, Le Dran, Vie Anonyme de Dubois, fol. 324.

[6] Madame à la raugrave Louise, 2 novembre 1719, dans Correspondance, édit. Brunet, t. II, p. 177.

[7] Arch. des Aff. Etrang., France, Mémoires et Documents, t. 1233, fol. 300 : Journal intime de Dubois.

[8] P.-E. Lémontey, Histoire de la Régence, t. I, p. 349.

[9] Buvat, Journal de la Régence, t. II, p. 306.

[10] Public Record Office, France, vol. 363 : Schaub à lord Carteret, Paris, 13 décembre 1721.

[11] Public Record Office, France, vol. 364 : Schaub à Carteret, 11 juillet 1722 ; Barbier, Journal, t. I, p. 218, juin 1722.

[12] Public Record Office, France, vol. 364 : Crawford à lord Carteret, septembre 1722.

[13] Public Record Office, France, vol. 359 : Schaub à lord Carteret, Paris janvier 1723.

[14] Public Record Office, France, vol. 368 : Crawford à lord Carteret, Paris, 5 et 6 février 1723.

[15] P.-E. Lémontey, op. cit., t. I, p. 354, note 1.

[16] Bibl. Mazarine, Le Dran, Vie anonyme de Dubois, fol. 360-371.

[17] Arch. des Aff. Etrang., Prusse, t. 70, fol. 148 : Chambrier à Frédéric-Guillaume Ier, 26 décembre 1721.

[18] Recueil des pièces de l’histoire de Louis XIII, in-12, Paris, 1716, t. II, p. 553.

[19] Brionne, Mémoires, in-12, Amsterdam, 1719, t. I, p. 179 ; M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 235-237, 239-240.

[20] Mémoires du duc d’Antin, cités par Lémontey, op. cit., t. II, p. 63.

[21] Buvat, Journal, t. II, p. 337 ; février 1722.

[22] Barbier, Journal, t. I, p. 189 ; février 1722.

[23] M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 237 ; 8 février 1722.

[24] Dubois à Tencin, 10 février 1722, dans Lémontey, op. cit., t. II, p. 63, note 1.

[25] Buvat, Journal, t. II, p. 338 ; M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 246.

[26] Bibl. nationale, Fonds Lancelot, ms. 187, fol. 190.

[27] Ibid., fol. 191 ; Bibl. Mazarine, Vie de Dubois, ms. 2354, fol. 386.

[28] Buvat, Journal, t. II, p. 347 ; Barbier, Journal, t. I, p. 192.

[29] Arch. des Aff. Etrang., Rome, t. 636, fol. 344 ; Dubois à Tencin, 24 février 1722.

[30] Arch. des Aff. Etrang., Prusse, t. 70, fol. 172, Chambrier à Frédéric-Guillaume Ier ; M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 23 février, dans op. cit., t. II, p. 426.

[31] Buvat, Journal, t. II, p. 347 ; M. Marais, op. cit., t. II, p. 248 ; Barbier, op. cit., t. I, p. 192 ; D'Argenson à Mme de Balleroy, 1er mars, dans op. cit., t. II, p. 431.

[32] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, Mémoires et Documents, t. 150, fol. 181 : Mémoire de Dubois remis au duc d’Ossone, 2 mars 1722.

[33] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 315, fol. 122 : Chavigny à Dubois, 13 mars 1722.

[34] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 315, fol. 145 : Daubenton à Dubois, 14 mars 1722.

[35] Saint-Simon à Dubois, 22 janvier 1722, dans E. Drumont, Ambassadeur d'Espagne, p. 243.

[36] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 314, fol. 202 : Daubenton au P. du Trévou, 8 mars 1722.

[37] M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 2 février 1719, dans op. cit., t. II, p. 13.

[38] Saint-Simon, Mémoires, t. XIX, p. 305.

[39] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 314, fol. 116 : Dubois à Daubenton, 2 mars 1782.

[40] Arch. des Aff. Étrang., France, Mémoires et Documents, t. 125, fol. 110.

[41] Arch. des Aff. Étrang., Espagne, Mémoires et Documents, t. 150, fol. 192 : Mémoire de Dubois au duc d'Ossone, 3 mars 1722.

[42] Buvat, Journal, t. II, p. 356.

[43] Buvat, Journal, t. II, p. 356.

[44] Barbier, Journal, t. I, p. 209 ; M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 27 mars 1722, dans op. cit., t. II, p. 411.

[45] Saint-Simon, Mémoires, édit. Chéruel, 1358, t. XIX, p. 311 ; Buvat, Journal, t. II, p. 366.

[46] Barbier, Journal, t. I, p. 209.

[47] M. Caumartin de Boissy à Mme de Balleroy, 4 avril 1722, dans op. cit., t. II, p. 447 ; M. de Balleroy à sa femme, 7, 10 avril, op. cit., t. II, p. 447, 449.

[48] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 325, fol. 10 : Dubois à Daubenton, 2 avril 1722.

[49] M. de Balleroy à sa femme, 20 avril, dans op. cit., t. II, p. 455 ; M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 271.

[50] Buvat, Journal, t. II, p. 371-372.

[51] Buvat, Journal, t. II, p. 372 ; M. de Balleroy à sa femme, 20 avril, 1722, dans op. cit., t. II, p. 455. Voir P. Bliard, Le choix d'un confesseur du Roi, 1722, dans La Quinzaine, 1902, t. XLVIII, p. 207-229.

[52] Arch. des Aff. Etrang., France, Mémoires et Documents, t. 125, fol. 179-180.

[53] Buvat, Journal, t. II, p. 381.

[54] Arch. des Aff. Etrang., Rome, Dubois à Tencin, cité par M. Boutry, Intrigues et missions diplomatiques du cardinal de Tencin, in-8°, Paris, 1902.

[55] Arch. des Aff. Etrang., France, Mémoires et Documents, t. 139, Sur le gouvernement du royaume de France, sous la régence du prince Philippe, petit-fils de France, duc d'Orléans, après l’avènement du roi Louis XV au trône, à l’âge de cinq ans et demi, le 1er septembre 1716 jusqu'en 1726, par Le Dran, ancien chef du Dépôt des Aff. Etrang., : M. Marais, op. cit., t. II, p. 305 : Barbier, op. cit., t. I, p. 223.

[56] Barbier, Journal, t. I, p. 213-214.

[57] Barbier, Journal, t. I, p. 143.

[58] Buvat, Journal, t. II, p. 370 ; Barbier, Journal, t. I, p. 214 ; M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 272-274.

[59] Barbier, Journal, t. I, p. 222, juin 1722.

[60] M. Marais, Journal et Mémoires, t. I, p. 316, juillet 1720.

[61] Journal du Marquis de Calvière, dans E. et J. de Goncourt, Portraits intimes du XVIIIe siècle, in-12, Paris, 1878, p. 18, 6 avril 1722 ; M. Marais, op. cit., t. II, p. 292.

[62] Buvat, Journal, t. II, p. 381.

[63] M. Marais, op. cit., t. II, p. 272 ; avril 1722.

[64] M. Marais, op. cit., t. II, p. 278 ; avril 1722.

[65] Ibid., t. II, p. 288 ; M. de Balleroy à sa femme, 27 juillet 1722, dans op.cit., t. II, p. 470.

[66] M. Marais, op. cit., t. II, p. 288, 294 ; mai-juin 1722 ; Jeandel, Locations à Versailles sous la Régence, dans Mémoires lus à la Sorbonne, Histoire, philosophie, sciences morales, 1861, p. 167 ; J.-A. Le Roi, Mémoires adressés par Blouin, gouverneur de Versailles, au duc d'Orléans, régent du royaume (1715-1717), dans Revue des Sociétés savantes des départements, 1867, 4e série, t. V, p. 77 ; P. Favier, Plan des jardins du Château de Versailles sous la Régence (1720) avec la promenade officielle des ambassadeurs, dans Mémoires de la Société des sciences morales, lettres et arts de Versailles, 1894, t. XVIII, p. 218.

[67] M. Marais, op. cit., t. II, p. 297 ; 14 juin 1722.

[68] M. Marais, op. cit., t. II, p. 298 ; 15 juin 1722.

[69] Buvat, Journal, t. II, p. 400 ; 15 juin 1722 ; P. Narbonne, Journal, p. 68, 69, 179.

[70] Barbier, Journal, t. I, p. 222, juin 1722 ; M. de Balleroy à sa femme, 22 juin 1722, dans op. cit., t. II, p. 462.

[71] Barbier, Journal, t. I, p. 222, juin 1722 ; M. Marais, op. cit., t. II, p. 298, 15 juin 1722.

[72] M. Marais, op. cit., t. II, p. 299 : 18 juin 1722.

[73] Arch. des Aff. Etrang., Prusse, t. 70, fol. 153, 218 : Chambrier à Frédéric-Guillaume Ier, 12 janvier, 13 juillet 1722.

[74] Barbier, Journal, t. I, p. 222, juin 1722 ; Public Record Office, France, vol. 364 : Schaub à lord Carteret, Paris, 12 août 1722.

[75] M. Marais, op. cit., t. II, p. 310 ; 4 juillet 1722.

[76] M. Marais, op. cit., t. II, p. 316-319, 23, 31 juillet 1722.

[77] M. Marais, op. cit., t. II, p. 310, 316.

[78] Buvat, Journal, t. II, p. 400-401 ; Barbier, Journal, t. I, p. 221-222 ; Saint-Simon, Mémoires, t. XIX, p. 319 ; M. de Balleroy à sa femme, 18 juin, op. cit., t. II, p. 463-461.

[79] Saint-Simon, Mémoires, édit. Chéruel, 1858, t. XIX, p. 322.

[80] Arch. des Aff. Etrang., Vienne, t. 135, fol. 272 ; Villeroy à Dubois, 19 août 1719 ; ibid., Angleterre, t. 339, fol. 178 : Villeroy à Dubois, 20 octobre 1721.

[81] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 308, fol. 32 : Villeroy à Dubois, 24 novembre 1721.

[82] Arch. des Aff. Etrang., Portugal, t. 157, fol. 150 : Villeroy à Dubois, 4 juillet 1722.

[83] Public Record Office, France, t. 364 : Schaub à lord Carteret, 29 juillet 1722 ; Arch. des Aff. Etrang., Prusse, t. 70, fol. 226 : Chambrier à Frédéric-Guillaume Ier, 3 août 1722.

[84] Public Record Office, France, t. 364 : Schaub à lord Carteret, 29 juillet 1722.

[85] Madame à la raugrave Louise, Saint Cloud, 6 août 1722, dans Correspondance, édit. G. Brunet, t. II, p. 375.

[86] M. Marais, op, cit., t. II, p. 319-323 : 31 juillet, 2 août 1722 ; Barbier, Journal, t. I, p. 227-228 ; Buvat, Journal, t. II, p. 410 ; Madame à la raugrave Louise, 6 août, dans op. cit., t. II, p. 373-375 : M. de Balleroy à sa femme, 5 août, dans op. cit., t. II, p. 472-473.

[87] Madame à la raugrave Louise, loc. cit., p. 378.

[88] Saint-Simon, Mémoires, t. XIX, p. 329-331.

[89] Ibid., t. XIX, p. 331-343.

[90] Arch. des Aff. Etrang., Turin, t. 138, fol. 22, 23 : Dubois à M. Lozelière, 11 août 1722 ; Prusse, t. 70, fol. 230 : Chambrier à Frédéric-Guillaume Ier, 12 août 1722 ; Public Record Office, France, vol. 364 : Schaub à Carteret, 12 août 1722.

[91] Saint-Simon, Mémoires, t.XIX, p. 344-345.

[92] D’après M. Marais, op. cit., t. II, p. 327, il voulait annoncer au Roi les fiançailles de Mlle de Beaujolais.

[93] L. Pérey, Le président Hénault et madame du Deffand, in-8°, Paris, p. 113-115.

[94] Saint-Simon, op. cit., t. XIX, p. 346-347 ; L. Pérey, op. cit., p. 113-115, P. Narbonne, op. cit., p. 70.

[95] L. Pérey, op. cit., p. 115.

[96] Saint-Simon, Mémoires, t. XIX, p. 348 ; Buvat, Journal, t. II, p. 411.

[97] Arch. de Dresde, 1722, t. III : le comte de Hoym au roi de Pologne, 91 août 1722.

[98] M. Marais, op. cit., t. II, p. 324-325.

[99] Barbier, Journal, t. I, p. 231-232.

[100] M. Marais, op. cit., t. II, p. 330 ; Barbier, op. cit., t. I, p. 234 ; Buvat, op. cit., t. II, p. 414 ; M. de Balleroy à sa femme, 21 août, dans op. cit., t. II, p. 481.

[101] M. Marais, op. cit., t. II, p. 328.

[102] M. Marais, op. cit., t. II, p. 339 ; Buvat, Journal, t. II, p. 412-413.

[103] Arch. des Aff. Etrang., France, Mémoires et Documents, t. 1252, fol. 22 ; C. de Sévelinges, op. cit., t. II, p. 269.

[104] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 342, fol. 190 : Dubois à Destouches, 12 août 1722 ; C. de Sévelinges, op. cit., t. II, p. 265.

[105] Arch. des Aff. Etrang., Rome, t. 641, fol. 221 : Dubois à Tencin, 12 août 1722.

[106] Arch. des Aff. Etrang., Turin, t. 138, fol. 21 : Dubois à Lozelière, 12 août 1722, voir P. Bliard, Dubois cardinal et premier ministre, t. II, p. 425-426.

[107] Saint-Simon, Mémoires, t. XIX, p. 348-349 ; Buvat, op. cit., t. II, p. 414, Barbier, op. cit., t. I, p. 235.

[108] Saint-Simon, op. cit., t. XIX, p. 350-353 ; M. Marais, op. cit., p. 330-332 ; Barbier, op. cit., t. I, p. 235-236 ; Lémontey, op. cit., t. II, p. 70.

[109] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 320, fol. 145 : Dubois à Daubenton, 18 août 1722.

[110] Saint-Simon, Mémoires, t. XIX, p. 362-389.

[111] Hoym à Dubois, 22 août, dans C. de Sévelinges, op. cit., t. II, p. 285.

[112] Arch. des Aff. Etrang., France, Mémoires et Documents, t. 1252, fol. 18 ; C. de Sévelinges, op. cit., t. II, p. 276.

[113] Buvat, Journal, t. II, p. 415.

[114] Barbier, Journal, t. I, p. 237.

[115] M. Marais, Journal, t. II, p. 336.