HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME PREMIER

 

CHAPITRE PREMIER. — Le Testament du Roi (Février 1712 - Août 1715).

 

 

Le Roi. — Le Dauphin. — Mort du duc de Berry. — Inaptitude du roi d’Espagne. — Les bâtards légitimés habilités à la succession. — La tradition constante. — Déclaration de l’habilité des bâtards. — Solitude morale du Roi. — Le duc du Maine. — Le roi d’Espagne. — Le duc d’Orléans. — Cabale formée contre lui. — Projet de lui enlever la Régence. — Dépôt du testament par le Roi. — Dispositions du testament. — Peu d’illusions que conserve le Roi à cet égard. — Dépôt du testament. — La santé du Roi. — Prétentions de Philippe V à la régence, peu encouragées par la cabale des princes. — Premiers rapports de Georges Ier avec le duc d’Orléans. — L’envoyé de Georges Ier. — Politique française de 1713 à 1715. — Politique anglaise de 1714 à 1715. — Instructions secrètes de lord Stair. — Il s’abouche avec le parti du duc d’Orléans. — Comment composé. — Procédés blessants de lord Stair. — Il parie la mort du Roi pour le mois de septembre, et poursuit son intrigue avec le duc d’Orléans. — Offres du roi d’Angleterre au duc d’Orléans. — Première apparition de l’abbé Dubois.

 

Le Roi

Louis XIV se survivait. Depuis l’hiver tragique de 1712, la Cour de France ne connaissait plus ni fêtes ni cérémonies. Le Journal du marquis de Dangeau donne l’impression pesante de cette existence monotone et mécanique. Chaque jour, quelquefois deux fois par jour, le Roi tient un de ses conseils, il entend la messe, dîne chez Mme de Maintenon ou bien y passe quelques moments, promène dans ses jardins qu’il embellit sans cesse, ou encore va courre le cerf. Versailles, Marly, Rambouillet, Fontainebleau sont comme les quatre points cardinaux entre lesquels s’écoule la vie laborieuse du vieillard qui « ne veut pas que ses voyages lui fassent perdre aucun conseil[1] ». Parfois il se dirige vers Saint-Cyr à l’heure de vêpres, se rend à la chapelle et psalmodie le verset alternativement avec le chœur. Rentré à Versailles, il gagne l’appartement de Mme de Maintenon et, comme il aime la musique avec passion et chante volontiers, il demande à Mlle d’Aumale ses airs favoris et fredonne une vieille chanson à boire :

Vive Bacchus ! vive Grégoire !

A tous deux honneurs sans fin.

Vive Grégoire !

Pour nous verser à boire.

Avec Mme de Caylus et Mme d’Auxy, Mlle d’Aumale joue Esther, par morceaux détachés, ou bien elle chante en s’accompagnant avec la basse de viole et la flûte[2]. Parfois, pour s’égayer, le Roi fait jouer par ses musiciens le Bourgeois gentilhomme ou quelques actes de Molière. L’après-dînée s’achève ainsi, mais les soirées sont interminables dans le désœuvrement d’une intimité trop guindée pour être amicale. Ce qui reste de la famille royale se réunit dans le Sanctuaire, chez Mme de Maintenon, pour l’après-souper. « On parle beaucoup du passé, mais on ne dit mot du présent, ni de la guerre ni de la paix ; on ne parle pas davantage des trois Dauphins et de la Dauphine, pour n’y pas faire penser le Roi. Dès qu’il se met à en parler, nous dit Madame, vite je cause d’autre chose en feignant de n’avoir pas entendu[3] ». On passé des limons, des orangeades ; un petit concert où quelques comédiens viennent un instant distraire. Le Roi « se fait raconter ses chasses par le comte de Toulouse, qui lui décrit aussi la façon dont il arrange ses maisons et aménage ses forêts[4] », notamment Rambouillet dont Louis XIV s’est épris[5] ; « avec les princesses il s’entretient de leurs maisons[6] » ou bien il apaise les querelles et fait taire les jalousies. Le maréchal de Villeroy, seul Etranger à la famille royale admis dans le Sanctuaire, rappelle les prouesses du jeune temps et Madame, par son bavardage, réussit quelquefois à faire rire son beau-frère[7] qui connaît l’affection jalouse mais sincère que lui porte cette virago. « De toute la famille royale, a-t-elle coutume de dire, le Roi est encore celui qui a meilleur cœur. S’il mourait tout serait sens dessus dessous, car nulle part il n’y a amitié ni confiance, quelque proche parent qu’on soit[8] ».

 

Le Dauphin

De toute la descendance légitime du Roi, il ne restait que le Dauphin, un enfant malingre ; dont le visage rappelait absolument celui de sa mère[9] qu’il avait failli suivre dans la mort. Pendant que neuf médecins s’empressaient autour de son frère aîné, atteint du même mal que lui, et le tuaient à force de saignées et d’émétique, leur gouvernante, Mme de Ventadour, défendait le puîné, le tenait chaudement et, avec du vin et des biscuits, lui sauvait la vie[10]. Il vivait donc, mais si délicat et si frêle que, n’osant le faire pleurer en le contrariant, on lui passait toutes ses volontés[11]. La vieille Madame, qui le trouve fort mal élevé, le dépeint avec « de très grands yeux noirs, le visage rond, une jolie petite bouche qu’il tient cependant un peu trop souvent ouverte, un nez si bien fait qu’il serait difficile d’imaginer mieux, de jolies jambes ainsi que les pieds ; en somme, plutôt joli que laid[12]. »

 

Mort du duc de Berry

De nouveaux deuils vinrent frapper la famille royale : le duc d’Alençon mourut en bas-âge[13], et la santé de son père, le duc Berry, miné par une fièvre lente[14], donnait de l’inquiétude. Ce Berry était un excellent prince, ignorant à ne savoir rien, absolument rien, sachant à peine qu’il était lui-même[15], colère, opiniâtre, débauché, paresseux-et gourmand, mais avec tout cela le meilleur homme du monde quand on ne le contrariait pas[16]. A la suite d’un accident de chasse, il fut saisi de frissons, pris de vomissements et mourut en peu de jours (4 mai 1714)[17], laissant sa femme grosse d’un enfant qui ne vécut que douze heures[18] ; enfin, la reine d’Espagne mourut elle aussi[19].

 

Inaptitude du roi d'Espagne

Sous ces coups répétés, Louis XIV prévit l’extinction prochaine de sa race et songea à y pourvoir. Il ne lui était pas possible de faire état des droits que Philippe V tenait de sa naissance puisque la renonciation solennelle qu’il en avait fait était la garantie de la paix conclue depuis peu de temps à Utrecht[20]. Sans doute, le roi d’Espagne n’était aucunement persuadé de la validité de son engagement et, à la nouvelle de la mort de son frère Berry, son premier soin avait été d’envoyer à Marly le cardinal del Judice avec mission de revendiquer son droit éventuel à la régence du royaume[21] ; mais les Anglais avertis de cette démarche avaient fait des représentations[22] et Louis XIV n’avait pu moins faire que de renvoyer le cardinal sans l’entendre[23].

 

Les bâtards légitimés habilités à la succession

A défaut de descendance directe, le Roi trouvait des héritiers légitimes dans la famille d’Orléans et dans la branche de Condé ; c’était le sang de France, mais les princes dans les veines desquels il coulait étaient méprisés ou dédaignés et devaient bientôt, élevés au pouvoir, achever de perdre l’ombre de respect qu’on leur témoignait encore. Leur indignité ou leur insuffisance d’une part, et, d’autre part, la tendresse qu’il ressentait pour ses bâtards entraînèrent Louis XIV à une décision hardie. Non content de les combler d’honneurs et de richesses, le Roi avait légitimé le duc du Maine et le comte de Toulouse, et marqué leur rang après les princes du sang, avant les princes Etrangers et les ducs et pairs. Cette complaisance fut étendue aux fils du duc du Maine, enfin, au mois de juillet 1714, le Roi déclara ses bâtards aptes à succéder à la couronne à défaut d’héritiers légitimes.

 

La tradition constante

Or, à défaut de constitution écrite qui n’existait nulle part[24], le royaume de France reconnaissait l’existence de certaines règles de droit public traditionnelles, supérieures à toute atteinte et désignées sous le titre de « lois fondamentales », dénomination superbe mais vague, personne n’ayant jamais vu le texte ni jamais su le nombre de ces lois. Tout au plus croyait-on que les lois fondamentales concernaient l’hérédité dynastique, l’incapacité et l’exclusion successorale des femmes, le droit des aînés, l’inaliénabilité du domaine royal. L’inhabilité des bâtards à la Couronne avait force d’axiome et paraissait ne pouvoir même pas être l’objet des entreprises de l’arbitraire le plus audacieux.

Si incertaine pour tout le reste, la notion de « loi fondamentale » semblait précise et inébranlable dès qu’il était question de la succession royale, laquelle, suivant les légistes, n’était pas « héréditaire ni paternelle, mais légale et statutaire, de sorte que les rois de France sont simplement successeurs à la Couronne par vertu de la loi et coutume générale de France[25] ». Les jurisconsultes apportaient maints exemples montrant que ladite, succession ne pouvait être empêchée par « exhérédation, confiscation, indignité ou cas que ce fût[26] ». C’était de cette tradition constante que méditait de s’affranchir Louis XIV.

 

Déclaration de l’habilité des bâtards

Toute l’affaire avait été conduite en grand secret. Dans l’après-dînée du 28 juillet 171/1, les courtisans apprirent, sans surprise, des bâtards que le Roi travaillait avec le chancelier[27] ; le lendemain, ils surent que le Premier Président et le procureur général avaient été mandés « pour une affaire de très grande importance et qu’on ne saurait que le lendemain » ; vers le soir, il « transpira » que les Légitimés recevaient « le rang de princes du sang dans toute son étendue[28] ».

Ce jour-là, le président de Maisons fit prier le duc de Saint-Simon « de venir sur-le-champ chez lui à Paris ». Le duc trouva le président tenant conseil avec le duc de Noailles. « Du premier coup d’œil je vis, raconte-t-il, deux hommes éperdus, qui me dirent d’un air mourant, mais après une vive quoique courte préface, que le Roi déclarait ses deux bâtards et à l’infini leur postérité masculine vrais princes du sang... capables de succéder à la Couronne au défaut de tous les autres princes du sang. A cette nouvelle, dont le secret s’était conservé sans la plus légère transpiration, les bras me tombèrent. » Après avoir bien pesté, les trois personnages reconnurent qu’il n’y avait point de remède à l’événement et nulles mesures à prendre. Saint-Simon, craignant que son absence n’eût été remarquée, regagna Marly en grande hâte, s’y glissa vers l’heure du souper du Roi. « J’allai droit au salon, dit-il, je le trouvai très morne. On se regardait, on n’osait presque s’approcher, tout au plus quelque signe dérobé ou quelque mot en se frôlant coulé à l’oreille. Je vis mettre le Roi à table, il me sembla plus morgué qu’à l’ordinaire, et regardant fort à droite et à gauche. Il n’y avait qu’une heure que la nouvelle avait éclaté[29], la bombe était tombée tout-à-coup sans que personne eût pu s’y attendre, chacun se jeta ventre-à-terre comme on fait aux bombes[30]. » Mais à chose sans ressource il faut prendre son parti et, dès que le Roi fut à table, le duc de Saint-Simon se rendit chez le duc du Maine et lui fit son compliment. Le Parlement enregistra l’édit, la Cour murmura en silence, Paris se déchaîna sans bruit ; en réalité l’événement passa presque inaperçu et Madame, loin de blâmer, approuva. « Du moment, dit-elle, que nous avons dans notre famille la sœur du duc du Maine et du comte de Toulouse[31], je préfère qu’on les élève plutôt qu’on ne les abaisse[32] ».

Tandis que Louis XIV se justifiait à ses propres yeux en exposant « qu’il regardait comme un devoir indispensable envers ce nombre innombrable de peuples composant ce grand royaume de ne pas les laisser exposés aux troubles et à l’ambition qui déchireraient infailliblement les entrailles de l’État, si la succession à la Couronne ne se trouvait pas réglée et établie[33] », tandis que le président de Maison9 faisait fête dans son hôtel aux deux légitimés, Saint-Simon donnait libre cours, derrière sa porte bien fermée et la plume à la main, à son indignation. Elle compterait pour peu de chose s’il ne se trouvait avoir exprimé avec une précision rigoureuse, — résultat probable de ses entretiens —, la situation juridique créée par le nouvel édit.

« Que les rois, dit-il, soient les maîtres de donner, d’augmenter, de diminuer, d’intervertir les rangs, de prostituer à leur gré les plus grands honneurs, comme à la fin ils se sont approprié Je droit d’envahir les biens de leurs sujets de toutes conditions et d’attenter à leur liberté d’un trait de plume..., c’est le malheur auquel la licence effrénée des sujets a ouvert la carrière... Ce renversement général, qui rend tout esclave... accoutume bientôt à vouloir tout ce qu’on peut. Un prince arrivé et vieilli dans ce comble extrême de la puissance, oublie que sa couronne est fidéicommis qui ne lui appartient pas en propre et dont il ne peut disposer, qu’il l’a reçue de main en main de ses pères à titre de substitution, et non pas de libre héritage, conséquemment qu’il ne peut toucher à cette substitution[34]. »

 

Solitude morale du roi

Le 2 août, les nouveaux princes du sang prirent séance au Parlement, à la Grand’Chambre[35]. Ce jour-là même, à Marly, Louis XIV écrivit son testament[36]. Il vieillissait et son entourage commençait à craindre qu’il ne lui restât que peu de temps à vivre. Les revers de fortune et les catastrophes domestiques succédant à une prospérité inouïe l’avaient respecté dans son intelligence et sa volonté, mais la nature succombait. La perte du duc de Bourgogne lui imposait de nouveau la charge d’une part du gouvernement que ce prince avait assumée ; la disparition de la duchesse de Bourgogne laissait un vide impossible à remplir et tout l’art de Mme de Maintenon, les prévenances de Mlle d’Aumale, le gazouillement de la jeune Jeannette de Pincré, la verve piquante du duc du Maine n’y pouvaient rien désormais ; le ressort de cette âme si forte se détendait un peu plus chaque jour.

 

Le duc du Maine

Le duc du Maine prodiguait au Roi ses assiduités, l’entretenait Le duc du du détail de ses grandes charges, le persuadait de son désintéressement, de sa piété, de son zèle pour le service, enfin le distrayait par ses contes, ses plaisanteries fines auxquelles il excellait avec un tour charmant et si aisé que l’art y semblait Etranger et l’intention absente ; en même temps ce prince relevait d’un mot un ridicule, sans insistance et comme à regret, ou bien le pressait jusqu’à en faire jaillir la bouffonnerie, mais avec mesure encore et toujours suivant le temps, l’occasion, l’humeur du Roi qu’il connaissait bien et dont il savait ce que la tendresse, ou même la faiblesse pour lui, permettait de dire en sa présence. Mme de Maintenon favorisait en toutes choses cet élève qu’elle considérait comme un fils et à qui elle souhaitait tout ce que l’ambition la plus large pouvait souhaiter. Elle appréhendait au moins autant que lui un avenir qu’ils pressentaient prochain où la main puissante qui les soutenait viendrait à manquer ; quant au Roi, s’il devinait ces pensées et ces manèges, sa longue expérience du pouvoir lui laissait entrevoir l’inutilité des plus sages précautions. Quelques jours après la promulgation de l’édit du 28 juillet, il ne put se retenir de dire au duc du Marne : « Vous l’avez voulu, mais sachez que quelque grands que je vous fasse, et que vous soyez de mon vivant, vous n’êtes rien après moi, et c’est à vous après à faire valoir ce que j’ai fait pour vous, si vous le pouvez[37] ». Celui à qui s’adressait cet avertissement ne le pouvait pas. C’était un gentilhomme agréable et habile à qui manquaient deux vertus : la franchise et le courage ; on l’avait vu à l’armée insuffisamment brave, on le verrait poltron à la Grand’Chambre. L’étoffe manquait.

 

Le roi d’Espagne

Ses rivaux cependant paraissaient peu redoutables. Le premier vivait hors de France, régnant sur l’Espagne depuis 1701. « Prévenu de gravité dès le ventre de sa mère », il parlait peu et lentement, avec une sorte d’effort. Élève de Fénelon et de Beauvilliers, il n’avait jamais éprouvé la prétention de marcher sur les traces de son frère aîné, le duc de Bourgogne. « Né pour être réduit au rôle de sujet », docile et passif, il avait désappris l’action, abdiqué sa personnalité. Quand la politique eut besoin de lui, il n’avait pas vingt ans et le caractère était si complètement dissous qu’on ne trouva qu’une ombre. La royauté l’accabla, l’Espagne l’abrutit. Sans être imbécile il en donna l’impression. Brave à la guerre, il allait au feu comme un soldat à condition qu’on lui dit d’y aller, si on lui avait dit de se cacher il se fut caché. La chasse était son unique passion, il s’y ruait avec frénésie ; pour le calmer on le maria ; il abandonna le gouvernement à la Reine qui sauva sa couronne et régna à sa place, mais il la tua de grossesses. Dès qu’elle fut morte, il retourna chasser, rencontra le cortège qui transportait le cadavre à l’Escurial et, suprême témoignage d’affection, ralentit la chasse et arrêta son cheval pour regarder passer le convoi[38]. Il ruminait à ce moment quelle princesse remplacerait la défunte, et un rival si préoccupé semblait devoir faire bon marché de ses droits à la régence. Cependant il n’avait prononcé que contraint la renonciation exigée de lui à Utrecht et la tenait pour extorquée et inexistante, le prétendu droit qu’il pensait tenir de sa naissance étant si essentiel à sa personne que, le voulût-il de bonne foi, il ne pouvait s’en dépouiller. Et ce droit lui imposait un devoir d’ordre surnaturel : il devait conduire les âmes de ses sujets à la béatitude éternelle, leur épargner les erreurs, les impiétés, les scandales qui compromettraient leur salut et dont le duc d’Orléans promettait de tolérer ou même d’encourager les funestes exemples.

 

Le duc d’Orléans

Celui-ci, — le deuxième rival — était un autre homme. Il atteignait la quarantaine et décourageait l’indulgence. Grandi au milieu des mignons de son père et initié à leurs infamies, mal défendu par sa mère, souillé peut-être par son précepteur, le duc d’Orléans avait reçu en partage tous les dons de l’intelligence, toutes les curiosités de l’esprit, une bonté réelle et expansive, une bravoure, une endurance et des talents qui avaient brillé à la guerre. Sa dépravation morale déconcertait ses contemporains, indignait la foule, attristait sa mère et inspirait au Roi un dégoût marqué pour ce « fanfaron de vices » ; dégoût qui s’ajoutait à des impressions plus anciennes. Instruit jusque dans le plus petit détail de ce qui concernait sa famille, Louis XIV savait l’ambitieux désir de régner que nourrissait son neveu, désir que le duc de Bourgogne avait pénétré[39]. Ne voyant aucun jour en France pour satisfaire son ambition, Philippe d’Orléans s’était rabattu sur l’Espagne, guettant l’occasion propice[40], escomptant des chances qui lui échappèrent et revêtant à ce jeu une certaine allure de conspirateur[41]. Disgracié après deux brillantes campagnes, rentré à Paris, toléré à Versailles, il était celui qu’on peut soupçonner des pires desseins, accuser des crimes les plus noirs. La mort de la Dauphine, du Dauphin et de leur fils le rapprochait du trône, on la lui imputa[42], dès lors il ne mourut personne à la Cour qu’on ne l’en accusât[43] et s’il laissait, vivre un enfant en bas-âge qui paraissait rendre ses forfaits inutiles, ce n’était que calcul, disait-on, pour empêcher le retour en France du roi d’Espagne[44]. Louis XIV affectait du mépris pour ces clabauderies[45], mais les vices affichés du duc d’Orléans, ses débauches publiques lui inspiraient pour son neveu un éloignement insurmontable et le rendait indigne, à ses yeux, de la garde d’un roi mineur et du soin de son éducation[46].

Si, chez Philippe V, la volonté paraissait dissoute, chez Philippe d’Orléans elle était pourrie. Tous les entraînements lui plaisaient moins encore par faiblesse de caractère que par dégénérescence physique. Adulte et vigoureux, il succombait avant tout excès, un seul verre de vin suffisant à troubler sa raison. L’ivrognerie lui répugnait, cependant il s’enivrait afin de faire « le bon drôle » et, pris de vin, perdait toute notion de ses paroles et de ses gestes[47]. La débauche, l’inconduite et le blasphème ne lui suffisant plus il avait roulé jusqu’à l’orgie, l’inceste et l’athéisme[48].

Connaissant les limites de son tempérament, au lieu d’en déplorer et d’en surveiller la faiblesse, il s’en infatua et la débrida ; il érigea la débauche en principe, méprisa les bienséances, bafoua la probité chez les hommes et la pudeur chez les femmes, pour aboutir à cette conclusion que tout n’est en ce monde qu’artifice et mensonge, perfidie et préjugé. Ce fut avec ce bagage qu’il se produisit dans une Cour où le vice se dissimulait mais prospérait. Robuste et de mâle apparence, son rang l’eût dispensé d’être beau et gracieux pour suivre la carrière des succès libertins, vigoureux et ardent, il courait les aventures sans délaisser sa femme et défrayait la chronique avec ses bâtards tandis que la Gazette enregistrait les naissances de ses filles.

Le plaisir l'attirait moins que le scandale, et du scandale il recherchait l’éclat tapageur comme la plus sûre garantie d’une bravade adressée à l’opinion publique, d’un défi jeté à la morale commune. Cette préoccupation l’entraîna à des excès étranges et monstrueux qui révoltèrent et où il se complut ; dès lors, il souhaita éclipser les pires débauchés, les dépasser en outrances de toutes sortes et en impiétés d’un ragoût nouveau et inconnu, choisissant les jours les plus consacrés par la piété chrétienne pour tenir les discours et combiner les orgies les plus criminels. Bien qu’il fît profession de n’estimer personne, un sentiment de modestie qui ressemblait au respect le saisissait au souvenir des libertins fameux, il les considérait comme ses maîtres et ses modèles, désespérant d’atteindre à une si rare perversité. Le grand prieur de Vendôme obtenait de la part de ce blasé une sorte de culte et un sentiment de déférence ressemblant à de la vénération ; c’est qu’au cours d’une longue vie et chaque soir, depuis plus de quarante ans, Vendôme s’était couché ivre.

La disgrâce qui suivit ses louches manigances en Espagne le ramena au Palais-Royal, oisif, inquiet, curieux. La chimie l’attira et des sciences naturelles, alors si vagues, il passa de plain-pied aux sciences occultes, c’était encore une manière de provocation ! Brave devant l’ennemi, une fausse idée de courage le jeta dans les évocations et les diableries ; car cet athée était crédule, niait Dieu et confessait Satan jusqu’à espérer de le voir et de le faire parler. Il s’y appliqua, passant des nuits entières dans des taudis, se livrant à de puériles et répugnantes supplications, sans résultat. Déçu mais non dégoûté, il s’adonna aux plus abjectes supercheries de la divination n’ayant désormais qu’un désir : acquérir la preuve que Dieu n’est pas, car il était trop intelligent pour ne pas sentir que nier n’est pas supprimer. Il ne voulait plus croire, il ne savait plus croire et cependant son incrédulité n’était qu’un doute et ce doute, dans les deux sens, l’importunait. Quand il eut épuisé les expériences, il conclut que si l’existence de Dieu échappait à la preuve positive, son inexistence y échappait aussi et, loin de reconnaître l’infirmité de sa raison, il pensa découvrir cette preuve qui le fuyait. Une âme mortelle arrangeait tout et la disparition complète de l’être humain, son anéantissement, le soustrayait à cette Providence qu’on reléguait dans une impuissante solitude. Nouvelle déception ! Après de longs raisonnements, le prince dut s’avouer que si cette âme mortelle existait, il ne pouvait la concevoir. Ainsi, d’expérience en expérience, il traversait tous les systèmes ; le déisme lui sembla un refuge, après l’avoir parcouru, il y renonça. Saint-Simon qui eut pour Philippe d’Orléans une manière d’attachement où l’affection avait peu de place et la vanité beaucoup, ne se méprenait guère sur cette incrédulité ostentatoire. Ces prêtres, ces capucins, ces moines que le prince, alerte et dispos, faisait trophée de tant mépriser, à qui il prodiguait les plus plates injures et les plus viles calomnies, s’il s’était senti malade et avait vu sa vie en péril, il se fut jeté entre leurs mains et prosterné à leurs pieds. Toujours le « fanfaron de vices ».

Tout était contraste et contradiction dans cette nature. Sa bravoure lui faisait affronter les balles et dédaigner les poignards parce que son fatalisme l’avait persuadé que rien ne pouvait le soustraire au destin. Son incrédulité s’arrangeait d’une croyance très ferme à la prédestination ; quoiqu’il pût faire, disait-il, son sort était décidé : élu ou réprouvé. Sa politesse admettait des interruptions que remplissait le débordement d’un langage d’une grossièreté inexprimable. Son rang lui imposait des devoirs de bienséance dont il s’acquittait avec décence sauf à publier au moyen de quel détour il s’y dérobait. Il lui arriva une nuit de Noël, à Versailles, d’accompagner le Roi à l’office de matines et d’assister à la messe de minuit et aux deux messes qui suivent celle-ci ; la Cour fut édifiée par l’application qu’il mit à suivre toutes les prières dans un livre ; mais ce livre, c’était un Rabelais. Tout autre qui eût agi de cette façon l’eut tenue secrète, Philippe d’Orléans s’en vanta bien haut : fanfaronnade ! Cependant Rabelais n’avait plus pour lui, depuis longtemps, l’attrait ou l’excuse de la découverte, et la musique de la chapelle du Roi, la meilleure qui fût en France, eut suffi à intéresser et à charmer un homme capable de composer, mais tout cela n’était que prétexte et occasion à scandaliser, il fallait faire l’impie et le « bon drôle ».

L’ennui, un incurable ennemi assombrissait cette Altesse, tour a tour éprise et rebutée des arts, des sciences ou des lettres. Peut-être n’avait-elle rien de plus que des aptitudes variées, sans aucun don supérieur : en rien elle ne dépassait la médiocrité de ceux qu’on nomme des « amateurs ». Sa physique consistait a employer quelques réactifs sur des métaux, sa chimie à cuisiner des élixirs, sa peinture n’a laissée aucune trace, ses illustrations de Daphnis et Chloé sont pitoyables ; somme toute, elle n’a excellé en rien de ce à quoi elle a touché. La société ne l’attirait pas, elle l’importunait plutôt ; le seul service que le prince lui demandait était de le distraire un moment de son ennui. La guerre lui plaisait surtout par ce quelle apporte d’imprévu et la débauche par ce qu’elle apporte d’oubli ; autres moyens de combattre l’ennui.

A peine découvre-t-on dans cette âme flottante, malsaine, un recoin salubre. Philippe d’Orléans était naturellement bon, il l’était jusqu’à la tendresse et jusqu’à la compassion. Sa mère, ses amis lui en faisaient un reproche et c’est que, chez lui, la bonté elle-même était corrompue par la faiblesse. On le voyait pratiquer le pardon des offenses non par esprit de miséricorde mais par indifférence pour l’injure. On l’entendait prodiguer les promesses non par désir d’apporter la joie ou l’espoir, mais par calcul poux se délivrer des solliciteurs. L’impudence avec laquelle il manquait aux paroles les plus solennelles lui avait nui plus que sa réputation de débauché et de blasphémateur. La tromperie lui était devenue si naturelle qu’on ne croyait plus ce qu'il disait ; on ne croyait même plus le contraire de ce qu’il disait[49].

 

Cabale formée contre lui

Il n’était que trop aisé de desservir un prince tellement décrié. On accusa Mme des Ursins d’avoir poursuivi sa vengeance contre lui en répandant l’accusation d’empoisonnement[50] ; plus lard on imputa cette noirceur à Mme de Maintenon désireuse de voir son élève sur le trône[51], mais il est bien hasardeux d’en décider car ces rumeurs, soi-disant recueillies par d’ardents adversaires, ne sont appuyées que sur leur témoignage isolé et fanatique. « Ces bruits ne pouvaient pas toujours durer ; on se lasse enfin de dire et de parler de la même chose. Ils tombaient donc ; mais tôt après ils reprenaient une nouvelle vigueur. On n’entendait plus s’entretenir d’autre chose, sans savoir pourquoi cela avait repris[52]. » Parmi ceux qui entretenaient ces rumeurs on trouvait l’ambassadeur de Philippe V. C’était un Napolitain de grande naissance, le prince de Cellamare, neveu du cardinal del Judice. Après l’échec et le départ de celui-ci, Cellamare avait recueilli sa succession à la Cour de France où il parut sans éclat, mais avec une politesse et une réserve qui lui attirèrent les menues faveurs de Louis XIV. Assidu à Versailles, invité à Marly, Cellamare fut reçu chez Mme de Maintenon et bien accueilli par le duc du Maine.

 

Projet de lui enlever la Régence

La cabale, une fois en possession de l’édit qui habilitait les bâtards à la succession, ne perdit pas de temps pour obtenir du Roi un testament par lequel seraient renforcées les dispositions de ledit ; de sorte que non seulement la personne du Roi mineur serait soustraite à un prince décrié et suspect, mais encore elle serait remise en dépôt entre les mains d’un prince sur lequel il calomnie s’exerçait plus aisément que la médisance. Le vieux monarque hésita sur la conduite à tenir. Pour triompher de sa répugnance à déshériter son neveu, un long mémoire fut rédigé, probablement sous l’influence du marquis de Torcy. On cherchait à y établir que la disposition des régences ne se règle, en France, ni par les droits du sang, ni par la volonté des lois, on montrait ensuite quelle imprudence ce serait d’escompter la soumission des Parlements ; ce qui s’était passe à l’occasion du testament de Louis XIII était suffisamment révélateur de ces dispositions subversives de gens dont « on savait par expérience combien le parchemin était souple quand on ne touchait pas à leurs gages ». Ensuite le mémoire recommandait au Roi, comme « la seule mesure convenable », la nomination, dès à présent, d’un régent par les États-Généraux. « Il est hors de doute, lisait-on, qu’une telle assemblée, convoquée pour ce seul objet, opérera sans trouble, se séparera sans résistance et fixera sur la tête la plus agréable au Roi une qualité au-dessus de toute atteinte[53] ; » la personne du duc du Maine doucement suggérée aux membres des États eut été désignée sans doute.

La prévention contre le duc d’Orléans ne s’en tint pas là ; elle suggéra l’institution d’un conseil de régence en une sorte de cour nationale qui serait composée d’un député de chaque Parlement et d’un délégué des États de chaque province. Le chancelier Voysin favorisait ce plan à tel point que, pour le faire aboutir, il n’hésitait pas à envoyer un homme à lui sonder sur ces questions les Gours étrangères. Mais Louis XIV, soit hostilité soit lassitude, adopta une méthode différente et résolut de consigner l’expression de sa volonté dans un testament. La journée entière du 31 juillet fut pluvieuse, le Roi ne sortit pas et retint le chancelier pendant de longues heures[54] employées sans doute à dicter la minute qu’il recopia ensuite de sa main. Le secret ne transpira point et la vie de Gour se poursuivit monotone et cérémonieuse. A quelques jours de là, le Dauphin tombe malade et « quoique cette maladie soit peu violente, la personne est si considérable qu’on ne laisse pas d’en être fort en peine[55] ». Un autre jour, le Dauphin « prend les chausses et en paraît encore plus joli »[56] ; un dimanche, le 26 août, le Roi mande à Versailles le Premier Président, de Mesme, et le procureur général Daguesseau, il leur parle longtemps dans son cabinet. « On croit, note Dangeau, que c’est pour une affaire très importante et qu’on ne sait point encore[57] ».

 

Remise du testament par le Roi

Lorsque le Roi et les deux magistrats furent seuls, Louis XIV prit dans un tiroir un grand et gros paquet cacheté de sept cachets. « Messieurs, dit-il en le leur remettant, c’est mon testament ; il n’y a qui que ce soit qui sache ce qu’il contient. Je vous le remets pour le garder au Parlement, à qui je ne puis donner un plus grand témoignage de mon estime et de ma confiance, que de J’en rendre dépositaire. L’exemple des rois mes prédécesseurs et celui du testament de mon père ne me laissent pas ignorer ce que celui-ci pourra devenir ; mais on l’a voulu, on m’a tourmenté, on ne m’a point laissé de repos quoique j’aie pu dire. Ho bien ! j’ai donc acheté mon repos. Le voilà, emportez-le, il deviendra ce qu’il pourra ; au moins j’aurai patience et je n’en entendrai plus parler. » A ce dernier mot, qu’il finit avec un coup de tête fort sec, il leur tourna le dos, passa dans un autre cabinet et les laissa tous deux presque changés en statues. Ils se regardèrent glacés de ce qu’ils venaient d’entendre, et encore mieux de ce qu’ils venaient de voir aux yeux et à toute la contenance du Roi, et dès qu’ils eurent repris leurs sens ils se retirèrent et s’en allèrent à Paris[58]. »

 

Dispositions du testament

L’acte qu’ils emportaient maltraitait à peu près également les deux compétiteurs à la Régence, Philippe V était sacrifié à la paix de l’Europe. Louis XIV ne voulait pas léguer à son successeur une de ces guerres interminables qu’il se reprochait d’avoir « trop aimé » ; cependant il n’ignorait pas que, chez son petit-fils, l’orgueil et l’obstination tenaient la place de l’intelligence ; asservi par sa première femme, on pouvait prévoir que celle qu’il allait épouser[59], exercerait sur lui un pouvoir aussi absolu. Mais celui de Gabrielle de Savoie avait été, somme toute, tutélaire, et personne n’imaginait à quel point serait tyrannique le pouvoir d’Elisabeth de Parme qui s’acheminait alors à petites journées vers l’Espagne. L’exclusion de la régence à l’égard de Philippe V pouvait devenir « la source de grands maux, ouvrir la porte aux intrigues et aux guerres intestines dans le royaume même[60] », cependant la parole donnée à Utrecht devait être observée. Toutefois, pour que le duc d’Orléans ne pût retirer de cette situation un avantage trop signalé, Louis XIV avait adopté aine disposition ingénieuse autant que juste qui respectait le droit et donnait satisfaction à la morale, il séparait la tutelle du roi mineur de la régence du royaume. Le duc d’Orléans présiderait un conseil dont les membres lui étaient imposés et dont il ne ferait que totaliser les décisions, le duc du Maine présiderait à l’éducation de l’enfant-roi et commanderait sa maison militaire. Entre Philippe V ahuri par les scrupules et Philippe d’Orléans énervé par les orgies[61], le duc du Maine s’insinuait comme une trouvaille providentielle. Par la prévoyance et la justice des dispositions comme par l’équilibre des mesures prises, Louis XIV se flatta peut-être d’avoir découvert line solution faite « pour éloigner tout ce qui pouvait troubler la tranquillité du peuple ».

 

Peu d’illusions que conserve le roi à cet égard

Ses illusions, s’il en eut, durèrent peu. Il venait de le laisser entendre aux deux magistrats, le lendemain il s’en ouvrit à la douairière d’Angleterre. Venue de Chaillot à Versailles sur égard les cinq heures, elle entra d’abord chez Mme de Maintenon, où le Roi la vint trouver[62]. « Dès qu’il l’aperçut : « Madame, lui dit-il, en homme plein et fâché, j’ai fait mon testament, on m’a tourmenté pour le faire », passant lors les yeux sur Mme de Maintenon : « J’ai acheté du repos. — J’en connais l’impuissance et l’inutilité. Nous pouvons tout ce que nous voulons tant que nous sommes ; après nous, nous pouvons moins que les particuliers ; il n’y a qu’à voir ce qu’est devenu celui du roi mon père, et aussitôt après sa mort et ceux de tant d’autres rois. Je le sais bien, malgré cela on l’a voulu, on ne m’a donné ni paix ni patience, ni repos qu’il ne fût fait ; oh bien ! donc, Madame, le voilà fait, il deviendra ce qu’il pourra, mais au moins on ne m’en tourmentera plus[63] ». L’humeur du Roi dura plus de huit jours et s’évapora ensuite peu à peu[64].

 

Dépôt du testament

Aussitôt que le Premier Président et le procureur général furent de retour à Paris, ils envoyèrent chercher des ouvriers qu’ils conduisirent dans une tour du Palais, qui est derrière la buvette de la Grand’Chambre et le cabinet du Premier Président et qui répond au greffe[65]. Ils firent creuser un grand trou dans la muraille de cette tour qui est fort épaisse, y déposèrent le testament, en firent fermer l’ouverture par une porte de fer, avec une grille de fer en deuxième porte, et murailler encore par dessus. La porte et la grille eurent trois serrures différentes, mais les mêmes à la porte et à la grille, et une clef pour chacune des trois, qui par conséquent ouvrait chacune deux serrures. Le Premier Président en garda une, le procureur général une autre, et le greffier en chef du Parlement la troisième. Le Parlement fut assemblé en même temps, à qui le Premier Président rendit le compte le plus propre qu’il lui fut possible à flatter la Compagnie et à la piquer d’honneur sur la confiance de ce dépôt et le maintien de toutes les dispositions qui s'y trouvaient contenues[66].

 

La santé du Roi

Après que les courtisans se furent entretenus de ce que pouvaient être ccs mystérieuses dispositions, la vie de la Cour de France se poursuivit immuable. Louis XIV avait une année encore à vivre et aucun indice ne permettait de présager sa fin prochaine. « Dieu merci ! écrit Dangeau qui l’observe et le contemple depuis plus de trente ans, il ne s’est jamais si bien porté[67]. » Quelques mois plus tard ce fut la santé du duc d’Orléans qui donna des inquiétudes. Ce prince s’évanouit, tout le monde se précipita : médecins, garçons bleus, quelques pelotons de courtisans, le Roi fut averti et envoya prendre des nouvelles, enfin tout s’expliqua : Le duc « avait, chez sa fille (la duchesse de Berry) bâfré comme un loup et lampé davantage encore[68] » ; c’est sa mère qui nous l’apprend. Quant au Roi, il venait d’entrer dans l’année dont il ne verrait pas la fin ; c’était un beau vieillard, alerte et laborieux, conservant ce grand air tempéré de bonne grâce qui avait fait de sa Cour la plus polie de l’Europe. Les Etrangers, même prévenus ou hostiles subissaient le charme. L’envoyé des Provinces-Unies, M. Buys, adversaire déclaré s’était, peu à peu trouvé séduit ; le ministre plénipotentiaire de la Grande-Bretagne, au sortir de sa première audience ne pouvait cacher son impression : « J’avoue, disait-il, que la vieille machine m’a imposé ![69] »

 

Prétentions de Philippe V à la Régence

Le diplomate qui usait de ce langage trop pittoresque se nommait lord John Dalrymple Stair ; il cumulait les fonctions d’envoyé extraordinaire et d’agent secret, et c’était sans doute le seul trait de ressemblance qui existât entre ce personnage et le prince de Cellamare, autre ambassadeur doublé d’un agent secret. Le cardinal del Judice avait agi avec une si rare maladresse[70] que la situation de son successeur s’en trouva, à ses débuts du moins, rendue délicate au point d’être périlleuse. Son maître lui faisait un devoir de découvrir les dispositions du testament en s’adressant soit à Torcy, soit «à Louis XIV lui-même. A condition que ses droits fussent proclamés, Philippe V consentait à la nomination d’un vice-régent pourvu que ce substitut « ne fût reconnu pour non affectionné et contraire à ma personne » disait l’instruction secrète donnée à l’ambassadeur. Le substitut redouté n’était autre que le duc d’Orléans auquel le roi d’Espagne voulait bien rendre son amitié mais non sa confiance. « Je ne rappelle point, disait-il, les sujets qui ont rapport à l’indignation que j’avais conçue contre lui précédemment, et mettant à part la considération du rétablissement de ce prince dans nos bonnes grâces, vous devez toujours, sans manquer au respect et à l’attention extérieure, le considérer comme ayant des prétentions à la tutelle et au gouvernement du royaume dans le temps de la minorité, et vous vous réglerez sur cette connaissance avec la circonspection et la dextérité convenables. » Non content de faire échec au duc d’Orléans, Cellamare devait organiser un parti favorable aux prétentions de Philippe V, « et vous me rendrez compte, lui disait ce prince du nombre et de la qualité de ceux qui y entreront, et des circonstances et dépendances qui y auront rapport, tant dans Paris que dans les provinces ». Un pouvoir particulier, signé par le roi d’Espagne autorisait son ambassadeur à émettre, au moment de la mort de Louis XIV, « les protestations nécessaires pour arrêter et invalider les résolutions contraires et faire connaître, dit-il, la ferme intention dans laquelle je suis de ne point souffrir qu’il me soit fait aucun préjudice, et de maintenir inviolablement nos droits royaux établis et fondés sur les lois de France, et qui ne me sont pas moins acquis par mon affection spéciale pour la nation[71] ».

 

Peu encouragés par la cabale des princes

L’ordre de pénétrer les dispositions du testament pouvait être donné à Madrid sans hésitation, il n’en était pas moins inexécutable à Versailles. Cellamare cependant ne se découragea point, il était italien et croyait à la toute-puissance de l’intrigue ; par dessus tout il songeait à exploiter la rivalité voisine de la haine existant entre la branche de Condé et la maison d’Orléans ; en outre, il espérait tirer parti de l’ambition du duc du Maine. Il les sonda et, craignant d’être mal compris, exposa son plan de régence par substitut qui souleva une risée générale. Tout ce qu’il put recueillir fut une vague promesse de concours sur la nature et les conditions duquel chacun évita de s’expliquer clairement et plus encore de se compromettre. Condés et bâtards, adversaires irréductibles du duc d’Orléans, se faisaient assez peu d’illusions pour donner au roi d’Espagne le sage conseil de ne jamais s’aventurer en France tout seul ou avec des troupes Etrangères, car on l’y traiterait en ennemi. Tout au plus serait-il possible de mettre à profit le temps qui s’écoulerait jusqu’à l’avènement du successeur de Louis XIV en attirant en Espagne des déserteurs français dont le nombre permettrait, peut-être, de former un petit corps d’armée[72]. Mais Philippe V, tout entier à sa haine contre Philippe d’Orléans, ruminait la composition d’un conseil de régence qui gouvernerait l’Espagne en son nom et lui permettrait de rentrer en France et d’y revendiquer la Régence du royaume[73].

 

Premiers rapports de Georges Ier avec le duc d’Orléans

Pendant qu’il s’abandonnait à ce rêve, le roi d’Angleterre envisageait une conduite très différente. Georges-Louis, électeur de Hanovre, avait été appelé au mois d’aout 1714[74] à recueillir la succession de la reine Anne et régnait sous le nom de Georges Ier. Ce prince et le duc d’Orléans étaient unis par un lien de parenté[75] et le duc d’Orléans en avait pris occasion de féliciter son cousin de son avènement à la couronne[76]. Il est douteux que l’affection rapprochât ces deux hommes qui ne s’étaient jamais rencontrés, mais il est certain que leur intérêt à tous les deux suggérait leur rapprochement. En effet, la paix d’Utrecht, signée le 11 avril 1713, abordait et réglait trois questions politiques délicates entre la France et l’Angleterre. Premièrement, la succession protestante à la couronne d’Angleterre à l’exclusion de la dynastie catholique des Stuarts était reconnue par Louis XIV en son nom propre et au nom de ses successeurs. Le roi de France qui avait prodigué ses finances, ses troupes et ses efforts pour la restauration de Jacques Il se détournait de Jacques III, s’engageait à lui interdire tout séjour ou même le simple passage dans le royaume, à plus forte raison à lui refuser conseil et assistance par terre ou par mer, argent, armes, volontaires, etc., s’il en était prié par le prince exilé et désireux de faire valoir son droit prétendu nu trône de la Grande-Bretagne.

Deuxièmement, la succession éventuelle de Philippe V au trône de France était rendue impossible par sa renonciation aux droits qu’il tenait de sa naissance, tandis que la renonciation du duc d’Orléans à toute prétention à la couronne d’Espagne assurait la séparation des deux couronnes. Troisièmement, le démantèlement de la place de Dunkerque, le comblement du port, la destruction des écluses incombaient à la charge du roi de France dans un délai de cinq mois afin que le commerce anglais n’eût désormais rien à craindre de ce nid de corsaires qui lui avait causé tant d’alarmes et infligé tant de pertes. La démolition de Dunkerque ne devait commencer qu’après que Louis XIV aurait été mis en possession de Lille, occupée par les Hollandais[77] ; mais tandis qu’on sacrifiait Dunkerque, l’intendant de Flandre, M. Le Blanc, suggérait à M. Pelletier, chargé des fortifications, la création d’un port à deux lieues de là, sous prétexte de nettoyer et remettre en état le canal de Mardyck[78]. Les Anglais n’avaient pas tardé à comprendre ce dessein, ils s’étaient récriés, avaient mis leurs espions en campagne[79], et pendant que la presse anglaise menait grand bruit au sujet des travaux du canal, le roi Georges portait sa principale attention sur le contenu du testament de Louis XIV. Si, comme la rumeur avait couru, les droits du duc d'Orléans à la régence étaient méconnus, il fallait s’attendre à voir reparaître Philippe V qui, sans doute, ne ferait pas plus de cas des engagements pris par son aïeul contre le Prétendant Stuart que des engagements consentis par lui-même contre son propre intérêt.

 

L’envoyé de Georges Ier

L’âge avancé de Louis XIV et l’extrême gravité autant que L’envoyé de l’infinie complication des affaires que sa mort pouvait faire surgir d’un jour à l’autre décidèrent Georges Ier à entamer une négociation secrète. Les élections du commencement de l’année 1715 ayant donné au parti whig une majorité imposante, le roi désigna un membre connu parmi les plus déterminés de ce parti pour représenter son gouvernement auprès du cabinet de Versailles, lord Stair. C’était un Écossais mieux partagé des dons de l’intelligence que de ceux de la fortune, honnête homme cependant, d’une probité suffisante pour préférer une belle carrière à une opulente fortune ; avec cela attaché à la grandeur de son pays au point de méconnaître l’intérêt et l’honneur des autres États dès qu’ils se trouvaient en contradiction avec ceux de l’Angleterre. L’homme était tour à tour cauteleux et impertinent dans ses meilleurs jours, tortueux et grossier parfois, prompt à l’invective, au soupçon, au ricanement, poussant ses avantages à l’extrême, non content d’avoir raison et voulant qu’on avouât devant lui des torts vrais ou prétendus. En somme, dans une société polie, il représentait un gentilhomme mal élevé. Ce qui paraissait rudesse aux yeux de la société, était évalué comme une force au jugement des hommes d’État anglais et avait sans doute déterminé le choix du gouvernement et suggéré les instructions données à son représentant.

 

Politique française de 1713 à 1715

Les traités d’Utrecht, de Bade et de Rastadt n’avaient pas seulement mis fin à une guerre qui durait depuis plus de dix ans avec, pour la France, des revers où elle faillit périr ; ils avaient valu à notre politique nationale un grand et légitime triomphe : l’Empire d’Allemagne sortait de la lutte démantelé et un Bourbon de France était monté sur le trône d’Espagne[80]. L’empereur pouvait, certes, se consoler avec des compensations telles que l’Italie, le Milanais, le royaume de Naples, la Sardaigne et les Pays-Bas catholiques. Mais ici son acquisition était tempérée par une manière de partage avec les Provinces-Unies ou, si l’on veut, un contrôle de cette république. En Allemagne, il lui fallait se résigner à voir le Hanovre, le Brandebourg, la Saxe, la Bavière agrandis ou affermis aux dépens de l’Empire. En somme, au point de vue français, cette guerre tragique et épuisante aboutissait à une issue inespérée : la puissance française subsistait intacte, fortifiée d’alliances solides en Espagne et en Hollande, de frontières non moins solides sur les Alpes et sur le Rhin, d’un glacis bien défendu en Flandre par le réseau de forteresses de Vauban. Le traité d’Utrecht avait modifié toute la balance des forces. En face des convoitises d’une Autriche immense mais segmentée, la France se tenait vigoureuse, compacte, son unité territoriale presque achevée. Son ennemi traditionnel éparpillait sa force tandis qu’elle ramassait la sienne sans avoir beaucoup à craindre ni à attendre d’États environnants, trop faibles pour ne pas se trouver dans l’obligation de la redouter et de la rechercher[81]. Ce n’était pas avoir acheté trop cher une telle paix que de l’avoir payée de tant d’épreuves.

La France saignante, épuisée, s’était moins vite lassée de ses douleurs que l’Angleterre de ses dépenses. Dès 1711, les diplomates tories avaient proposé la paix dans le but de la conclure avantageuse au point de vue commercial, profitable au point de vue politique, quant au point de vue militaire ils s’en désintéressaient[82]. La paix qu’ils avaient su imposer était une paix de marchands pour l’Angleterre et, pour la France, aine paix de soldats et de diplomates. Villars et Torcy s’en réjouissaient pour leur pays, Louis XIV la trouvait « chèrement achetée[83] ». En effet, il voyait l’Angleterre établie à Gibraltar et à Port-Mahon, maîtresse de Terre-Neuve, de la presqu’île d’Acadie, du territoire de la : baie d’Hudson, étendant une main avide sur le Canada démembré et fermant l’Amérique du Sud au commerce français. C’était assurément beaucoup ; mais déjà le vieux roi préparait sa revanche. Par l’intermédiaire de Torcy, il adressait à tous nos représentants accrédités auprès des cabinets de l’Europe, des instructions dignes par leur lucidité, leur vigueur, leur prévoyance des plus beaux temps du règne. Bien que ses jours fussent comptés, Louis XIV entreprit l’exécution de cette tâche lointaine, et sa haute intelligence, à laquelle la vieillesse semblait apporter de nouvelles lumières, ne s’y montra pas inférieure. On est pénétré d’admiration en voyant de quelle façon il la conçut et il entreprit de la réaliser. L’étendue et la sûreté des informations, la maturité des jugements, la clarté, la vigueur et la solidité des conclusions, l’enchaînement logique qui les relie les unes aux autres font de ces Instructions un tableau achevé de  l'Europe et un modèle de diplomatie avisée et féconde[84]. Avec une ténacité inlassable, Louis XIV fortifiait cette paix d’Utrecht si précieuse mais si fragile depuis que l’avènement de Georges Ier et le triomphe du parti whig autorisaient toutes les appréhensions.

 

Politique anglaise de 1714 à 1715

L’électeur de Hanovre avait compté au nombre des ennemis les plus opiniâtres de Louis XIV, de sorte qu’on était en droit de tout craindre de la part du roi d’Angleterre épaulé par un parti qui ne se résignait pas à la paix d’Utrecht, mais qui la maudissait et, conduit par Townshend, Stanhope et Robert Walpole eut, de grand cœur, déchiré le traité et recommencé la guerre. Lord Stair partageait les sentiments de ses amis et y apportait l’emportement d’une nature bouillante. L’opinion publique s’était déclarée bruyamment en faveur du parti whig. A la nouvelle de l’avènement du roi hanovrien, « la joie déborda, les fonds montèrent prodigieusement, les marchands se promettant de grandes affaires et les soldats beaucoup d’occupation[85] ». L'ouverture du Parlement était fixée au 17 (= 28) mars 1715, et Georges Ier s’y rendit quelques jours après ; il déplora l’issue de la guerre, certaines clauses du traité et l’accroissement de la dette publique. L’animosité se tournait principalement, sans qu’on pût en donner la raison, contre Jacques III, qu’on nommait « le Prétendant ». Mais ce jeune homme inoffensif n’avait pas encore donné publiquement la mesure de son insignifiance, on lui prêtait des intentions agressives et des dessins redoutables. Cette animadversion s’affichait avec fracas et n’eut été que risible s’il n’avait été aisé d’y apercevoir l’expression de la haine nationale pour le champion de la dynastie Stuart, Louis XIV.

Le traité d’Utrecht approuvé par deux Parlements successifs devait être observé coûte que coûte, mais une semblable obligation n’était qu’un motif nouveau d’acharnement contre le grand monarque qu’on avait pensé tenir à merci et qui, après s’être redressé, restait debout, actif et puissant. Le prodigieux éblouissement de gloire, de bonheur et de beauté des années triomphantes du grand règne semblait illuminer de ses reflets le serein crépuscule dans lequel il s’achevait. Après les erreurs, les fautes, les revers accumulés pendant plus de vingt années, la France de Denain et d’Utrecht paraissait aussi majestueuse et terrible à ses ennemis que la France de Senef et de Nimègue. Un suprême effort venait de la montrer toujours capable de ces redressements prodigieux dont la soudaine explosion semble tenir du miracle. Le représentant de l’Angleterre à La Haye, Horace Walpole, exprimait avec justesse dans un mémoire adressé au premier ministre, lord Townshend, cette obsession de la puissance française : « L’expérience de deux guerres longues et d’une grande dépense, a fait voir, disait-il, que la France est une puissance égale aux forces unies du Roi [d’Angleterre], de l’Empereur et des États [de Hollande]. Et la paix présente étant si avantageuse à la France, il s’ensuit qu’aucune de ces trois puissances n’est en état ni n’oserait entreprendre d’attaquer la France sans la concurrence des deux autres ; et on peut fort raisonnablement supposer que tout unies qu’elles puissent être, elles ne renouvelleront point la guerre sans y être forcées[86]. »

 

Instructions secrètes de lord Stair

Les instructions données à lord Stair confirmaient ces vues. Arrivé à Paris le 23 janvier 1715, admis à faire son compliment à Versailles le 29, il exprima le désir de son maître « d’observer religieusement la paix dernièrement faite..., de faire tout ce qui pourra contribuer à établir et à cultiver une bonne et sincère amitié... Le Roy, mon maître, ajouta-t-il, croit une telle bonne intelligence absolument nécessaire pour le repos et le bien de son peuple et pour la tranquillité de l’Europe ; et il ne doute pas que Votre Majesté, ayant des sentiments semblables ne fasse de son côté les pas nécessaires pour lever tout d’un coup les ombrages et les jalousies qui pourraient encore rester à aigrir les esprits de vos peuples et qui pourraient être fomentées, à troubler un jour la tranquillité publique[87]. » Louis XIV ne releva pas cet avertissement déplacé, première incartade d’un diplomate mal éduqué. Peut-être le vieux Roi n’eût-il pas fait preuve d’une pareille longanimité s’il avait su que l’envoyé anglais, tout comme l’ambassadeur d’Espagne, avait mission « d’avoir connaissance du contenu du testament que notre bon frère a dernièrement fait et envoyé au Parlement de Paris, pour y être gardé en sûreté. Vous aurez à employer toute votre habileté et votre savoir faire, disait l’instruction secrète, ou auprès dudit duc [d’Orléans] ou  par quelque autre canal que vous pourrez pour parvenir à la connaissance de ce qui est contenu dans ledit testament. » En même temps, Stair devait « tâcher par tout moyen d'entretenir la plus étroite et la plus intime correspondance » avec le prince destiné à la Régence, profiter de chaque occasion pour l’assurer en notre nom combien nous sommes prêts à favoriser et soutenir son droit à la succession à la couronne de France, comme elle a été établie par les derniers actes de renonciation. Vous l’encouragerez à s’appuyer sur nous et sur nos royaumes pour avoir l’assistance la plus efficace, lorsque le cas arrivera et vous tâcherez de lui persuader... à vous faire ouverture de ses vues, afin de concerter par avance un plan sur lequel on agira, et l’on disposera les affaires en sa faveur[88]. »

 

Il s’abouche avec le parti du duc d’Orléans — Comment composé

Lord Stair ne perdit pas de temps ; on voit, en effet, que la réponse du duc d’Orléans à ses premières ouvertures porte la date du 2 février 1715. Ce n’était pas une nouveauté dans la vie de Philippe d’Orléans que ces conciliabules ; en 1708, on le voit sonder le cabinet anglais sur les dispositions qu’il en devrait attendre au cas d’une candidature au trône d’Espagne. Les tractations se faisaient alors par l’intermédiaire de James Stanhope, général des troupes anglaises, le même qui occupait, en 1715, le poste de secrétaire d’Etat et à qui Stair adressait ses dépêches. Sait surprise, soit calcul, le duc d’Orléans mit une sorte de vivacité dans l’expression de ses sentiments et sut persuader lord Stair de sa profonde affection à l’endroit de Georges Ier[89] qui n’en douta pas et parut satisfait et rassuré[90]. Dès ce moment, l’ambassadeur multiplia les bons procédés, et reconnut dans le prince français « l’homme le plus poli que j’aie jamais vu, dit-il, le mieux élevé, le plus instruit en toute chose[91] », Philippe d’Orléans, de son côté, gardait une extrême réserve. « Point de discours sur la Régence avec nul autre, aucun plan formé avec ses conseillers ordinaires pour soutenir ses droits[92] » ; attitude calculée pour déjouer l’encombrante sollicitude du duc de Saint-Simon. Avec ses intimes, les roues, compagnons d’orgie dont il faisait plus de cas que du trop vertueux duc et pair, le prince s’ouvrait de ses desseins, de son plan pour s’assurer, à tout événement de la Régence[93]. Ces confidents s’appelaient Effiat, Nocé, Canillac et le président de Maisons ; à peine un groupe auquel il suffit d’agréger le duc de Noailles pour en faire un parti. Neveu par alliance de Mme de Maintenon, Noailles n’en était pas moins tenu à l’écart par Louis XIV. Instruit, spirituel, entreprenant, doué à merveille, Noailles poussait le goût et le besoin de l’action jusqu’à l’agitation stérile. Impatient de tenir les plus grands rôles de l’État, il se rabattit sur l’intrigue d’une cabale, au terme de laquelle son imagination lui laissait découvrir une carrière éclatante, des charges, des emplois, et plus que tout, le Pouvoir. Stair le rencontra et tomba sous le charme : « Il a lu un bon nombre de nos livres, écrivit-il, c’est un homme franc, très intelligent, un parfait anglais[94]. »

Canillac se chargea de faire rencontrer le duc d’Orléans et Noailles dans le salon du président de Maisons. Des goûts communs et des haines semblables les rapprochaient, ils s’entendirent et ainsi se forma un trio qui, par ses ambitions du moins, méritait le nom de triumvirat : Philippe d’Orléans apportait les droits de sa naissance, Maisons son crédit à la Grand’Chambre, Noailles son savoir-faire, ses relations avec les jansénistes par son oncle, son influence sur le régiment des gardes françaises par son beau-frère, ses accointances avec les libertins par son ami Longepierre[95]. Et pendant qu’ils liaient partie, Saint-Simon combinait des plans dont le succès lui semblait certain et la profondeur admirable[96]. On le laissait faire !

 

Procédés blessants de lord Stair

La situation politique apparaissait de plus en plus instable, grâce en partie à l’attitude de lord Stair. Celui-ci croyait tout ce qui flattait sa passion. A l’issue de sa première audience royale, un évêque de Rennes lui avait succédé qui n’avait pas manqué de bénir le monarque pour cette bienfaisante paix grâce à laquelle la France commençait à guérir des maux dont il faisait une désolante énumération[97], et Stair en tirait cette conclusion que la France était prête à périr. Reçu dans les meilleures sociétés grâce à son titre et à sa naissance, Stair ne manquait pas d’y découvrir la plus extrême lassitude du régime et ignorant cet enthousiasme artificiel avec lequel les Français s’expriment sur les pays voisins quand ils s’adressent aux Etrangers, il entrevoyait des symptômes d’émancipation. « C’est une chose inconcevable, écrivait-il à Stanhope, combien ils détestent ici leur condition et raffolent de la nôtre. On me parle très librement de tout[98]. » Enivré par ces confidences auxquelles il était seul à ajouter foi, il concluait : « Ce royaume tombe en ruine[99] », et il s’employait discrètement à rendre la catastrophe inévitable. « Le nez au vent avec un air insolent, il soutenait les plus audacieux propos sur les ouvrages de Mardyck, les démolitions de Dunkerque, le commerce, et toutes sorte de querelles et chicanes, en sorte que l’on le jugeait moins chargé d’entretenir la paix et de faire les affaires de son pays, que de causer une rupture. Homme d’esprit, du reste, et qui haïssait merveilleusement la France[100] ». Il entreprit, dès son arrivée, le ministre Torcy sur la question de Mardyck[101], porta ses réclamations jusqu’au Roi[102], fit tant que moins de deux mois après son arrivée la rupture parut inévitable et peut-être imminente. Ses rencontres avec le ministre étaient orageuses[103], jusqu’au jour où Torcy lui interdit l’entrée de son cabinet et rompit sur cet avertissement : « Monsieur l’ambassadeur, si jamais, en me parlant, vous vous écartez du respect qui est dû au Roi, je vous ferai jeter par les fenêtres[104]. »

 

Il parie la mort du Roi pour le mois de septembre

Cet ambassadeur vraiment extraordinaire portait intérêt à la santé du Roi au point de faire le pari que le vieillard ne dépasserait pas le mois de septembre[105]. Louis XIV ne modifiait en quoique ce fut sa manière de vivre, cependant il s’amaigrissait peu à peu ; son appétit qui avait toujours été égal et considérable, diminuait. Ce déclin frappa des Etrangers et, en Angleterre, des paris s’ouvrirent en public sur la fin prochaine du vieillard ; beaucoup parièrent qu’il se soutiendrait à peine jusqu’aux premiers jours du mois de septembre. Un jour que Torcy lisait à haute voix quelques gazettes qu’il n’avait pas parcourues auparavant, il lui arriva de s’arrêter court et de reprendre la lecture comme fait un homme qui saute un passage. Le Roi s’en aperçut, en fit la remarque et voulut tout entendre. Torcy dut obéir, c’était l’article des paris anglais. Sur l’heure même, Louis XIV s’y montra indiffèrent, mais le 18 juin, a son souper, il dit ; « Si je continue de manger d’aussi bon appétit que je fais présentement, je ferai perdre quantité d’Anglais qui ont fait de grosses gageures que je dois mourir le premier jour de septembre prochain[106]. » Là dessus, un courtisan, M. de Cheverny fit une longue rapsodie de pareils bruits sur la santé du Roi qui avaient couru dix-huit ou vingt années auparavant[107]. Tout semblait dans l’existence royale destiné à la perpétuité. Travail, promenade, prière, repas, délassement, chaque chose reparaissait au moment déterminé avec une régularité mécanique. L’imprévu, l’inusité trouvait sa place dans le programme immuable. Pendant l’octave de la Fête-Dieu, le Roi assiste chaque jour au salut de la paroisse et accompagne la procession jusqu’au reposoir. Quelques jours après, au début du mois de juillet, il passe la revue de ses gardes du corps, les voit à pied, en fin connaisseur et témoigne sa satisfaction : « Jamais, dit-il, il ne les avait vus si beaux[108]. » Il s’amuse quelques instants avec le Dauphin qui grandit et commence à parler avec gentillesse[109], il discute l’enregistrement de la bulle Unigenitus avec le Premier Président et le procureur général, passe de nouvelles revues et gagne ainsi le commencement du mois d’août. Il n’abandonne rien de ce qui a fondé son immense prestige en Europe, il reste l’arbitre suprême et universel ; la mode elle-même recherche ses décisions. Le 1er août, la duchesse d’Orléans et la princesse de Conti viennent après son souper lui soumettre un nouvel habillement, mais il leur déclare « qu’il n’aime ni leurs tabliers ni leurs écharpes[110] ».

 

Poursuit son intrigue avec le duc d'Orléans

Pendant ces mois d’été, le duc d’Orléans et lord Stair poursuivent en grand secret leurs négociations. Le duc vivait dans  un isolement injurieux, à ce point qu’« il était évité de presque tous ceux qui sortaient de sa table[111] ». Insouciant et crédule, il se répétait qu’il aurait son heure et sa revanche, des nécromants l’en avaient assuré et il s’y préparait à sa manière, par l’intrigue qui flattait son goût pour tout ce qui ressemblait au mystère, à la cabale, à la conspiration. Sa bravoure à la guerre allait jusqu’à la témérité, sa pusillanimité devant une maîtresse allait jusqu’à la poltronnerie[112], mais le point d’honneur pouvait tout sur son âme. Du moment qu’on vint à bout de le persuader que la résignation à la perte de ses droits à la régence ferait mettre en doute son courage, il résolut de ne jamais souffrir pareil affront, délaissa la peinture, la chimie et l’occultisme pour se jeter dans la politique.

Il semblait destiné à réussir tant ses dons extérieurs dégageaient de séduction. De moyenne taille et gros sans être gras, l’air et le port aisé, le visage agréable, très coloré dans le cadre d’une perruque noire[113], le duc d’Orléans avait un sourire et des gestes d’une grâce infinie, une élocution facile, nette et sonore. Son esprit qui touchait à tout en tirait le suc et en conservait la fleur, c’est ainsi qu’il exposait avec aisance et clarté les sujets qui s’y prêtent le moins : finance, politique, guerre, administration. Improvisateur, il évitait la banalité ; causeur, il possédait la réplique ; conteur, il affinait l’épigramme ; né un siècle plus tard, il eut brillé à la tribune entre Barnave et Vergniaud. On le verra dans peu conduire et entraîner la Grand’Chambre avec l’adresse d’un parlementaire consommé. C’est qu’il mettait tant d’affectation à s’inspirer d’Henri IV, à l’imiter, à lui ressembler que l’art si fin des harangues de son aïeul ne lui paraissait pas moins enviable que sa bravoure et sa galanterie. Au crépuscule d’un long règne où l’éloquence politique avait été impitoyablement étouffée, c’était une découverte surprenante d’en rencontrer le goût, l’estime et les moyens chez le propre neveu de Louis XIV.

Cette tendance était faite pour lui concilier la sympathie de lord Stair, très pénétré de la valeur des institutions libérales de son pays, et capable de lui en dépeindre le fonctionnement et les avantages. Cependant leurs entretiens étaient forcément rares et écourtés. Stair s’était conformé avec tant d’exactitude à ses instructions  qu’en l’espace de moins de six mois il s’était rendu impossible ; on le mit dès lors en une sorte de quarantaine[114]. Non seulement Torcy le tenait à l’écart, mais le maréchal de Villeroy l’évitait, les courtisans l’ignoraient et le roi de la Grande-Bretagne se trouvait obligé de lui recommander de ne plus soulever pendant quelque temps de questions irritantes. Il eut été imprudent de lui faire accueil au Palais-Royal et le duc d’Orléans communiquait avec l’atrabilaire écossais par des intermédiaires, l’abbé de Thésut et l’abbé Dubois, peu empressés à se compromettre.

 

Offres du roi d’Angleterre

Lord Stair était d’autant plus avide d’approcher le duc d’Orléans, de le faire parler, qu’il croyait, comme son gouvernement, que la Cour de France était disposée à favoriser une nouvelle tentative du Prétendant ; le diplomate prisait assez haut sa propre finesse pour ne pas douter qu’un entretien lui apporterait quelques lumières sur ce sujet[115]. Stanhope prenait soin de faire savoir au prince que ses moindres confidences seraient entourées d’un secret inviolable ; mais soit défiance persistante, soit qu’il n’eut à faire aucune confidence, le duc d'Orléans restait distant, impénétrable. L’interdiction faite à Stair de jamais parler de lui dans ses dépêches était superflue ; mais cette réserve piquait au vif celui qui rêvait à tout ce qu’il saurait faire jaillir d’une conversation, elle provoquait des avances de plus en plus significatives. Le 14 juillet, Stanhope prenait ses mesures pour que le duc d’Orléans fut bien persuadé qu’on n’exigeait de lui que « des assurances » sur l’affaire de Mardyck, en revanche le roi Georges était « très déterminé à prendre de concert avec [le duc] toutes les mesures possibles pour lui procurer la régence ; et, en cas de mort du jeune Dauphin, lui assurer la succession de la couronne de France. C’est à M. le duc d’Orléans lui-même, ajoutait le ministre anglais, à nous suggérer quelles mesures on pourra prendre[116] ». Le jour même où son chef lui expédiait cette dépêche, Stair notait dans son Journal que le confident Thésut témoignait depuis peu de temps beaucoup de froideur. Thésut était une manière de personnage ; Stair, qui veut être renseigné, descendra jusqu’à s’aboucher avec un infime prestolet, un certain  abbé Dubois et, le 24 juillet, se ménage une entrevue avec lui, loin de toute surveillance, de toute indiscrétion, en forêt.

 

Première apparition de Dubois

Ce Dubois s’est incrusté dans un recoin du Palais-Royal ; tel un renard qui guette une poule[117], il attend son heure et, sexagénaire, ne désespère pas de sa Fortune. Il passe pour « le plus grand fourbe, le plus grand hypocrite de Paris : il se garde donc bien de dévoiler les fourberies des autres ; c’est déjà beaucoup de sa part de n’y rien ajouter de son crû[118]. » Il n’est encore qu’une sorte de policier-amateur, celui qui pénètre les secrets afin qu’on les lui confie, l’homme qui ne compromet pas ceux qui se servent de lui parce qu’on le désavoue, sauf à le payer. Dubois n’ignore pas les accointances et les sympathies de son maître dans le parti jacobite et c’est tout ce que Stair veut arracher à sa discrétion ; mais il résiste aux séductions, se montre touché, se déclare ignorant et se dérobé. Stair est joue et laisse voir de l’humeur, mais il se rassure bien vite en se répétant que Louis XIV n’est pas en mesure d’accorder un secours d’argent à Jacques Stuart[119] et que, au pis aller, l’été avance et les jours du vieux monarque sont comptés[120].

 

 

 



[1] Journal du marquis de Dangeau, avec les additions inédites du duc de Saint-Simon, édit. E. Soulié et L. Dussieux, in-8°, Paris 1858, t. XV, p. 164 (1714).

[2] O. d’Haussonville et G. Hanotaux, Souvenirs sur Mme de Maintenon, t. I, Notice biographique, in-8°, Paris, (1902), p. LXII-LXV.

[3] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 24 mars 1712, dans Correspondance de Madame, E. Jaéglé, in-8°, Paris, 1890, t. II, p. 173.

[4] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 16 décembre 1712, op. cit., t. II, p. 190 ; Saint-Simon, Mémoires, in-8°, Paris, 1905, t. VII, p. 105.

[5] Dangeau, Journal, t. XV, p. 165, (1714).

[6] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 16 décembre 1712, op. cit., t. II, p. 190.

[7] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 19 mars 1712, op. cit., t. II, p. 173 ; Versailles, 16 décembre 1712, op. cit., t. II, p. 190.

[8] Madame à la duchesse de Hanovre, Marly, 19 novembre 1712, op. cit., t. II, p. 189.

[9] Madame à la duchesse de Hanovre, Marly, 17 avril 1712, op. cit., t. II, p. 176.

[10] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 10 mars 1712, op. cit., t. II, p. 170.

[11] Madame à la raugrave Louise, Versailles, 27 octobre 1712, op. cit., t. II, p. 222 ; en 1714, il eut des convulsions, Mme de Maintenon à Mme Ursins, 19 août, dans le recueil Bossange, t. III, p. 101.

[12] Madame à la raugrave Louise, Versailles, 18 novembre 1714, dans Correspondance, édit. G. Brunet, t. I, p. 152-153.

[13] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 16 avril 1713, dans Correspondance, édit., Jaéglé, t. II, p. 195.

[14] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 16 avril 1713, op. cit., t. II, p. 195.

[15] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 21 mai 1712, op. cit., t. II. p. 179.

[16] Saint Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XV, p. 136, (1714).

[17] Dangeau, Journal, t. XV, p. 134-140.

[18] Dangeau, Journal, t. XV, p. 167, Saint-Simon, Mémoires, in-12, Paris, 1905, t. VII, p. 55. Le Roi s’était rattaché à l’espoir d’avoir un prince, mais ce fut une fille.

[19] Elle était sœur de la duchesse de Bourgogne, elle mourut le 14 février 1714, voir L. Perfy [L. Herpin]. Une reine de douze ans, Marie-Louise-Gabrielle de Savoie, reine d'Espagne, in-8°, Paris, 1905.

[20] M. R. de Courcy, Renonciation des Bourbons d'Espagne au trône de France, in-8°, Paris, 1889 ; E. Kirkpatrik de Closeburn. Les renonciations des Bourbons et la succession d'Espagne, in-8°, Paris, 1907 ; S. de Bourbon, Le traité d'Utrecht et les lois fondamentales du royaume, in-8°, Paris, 1914.

[21] Grimaldo au cardinal del Judice, 23 mai 1714, dans M. R. de Courcy.

[22] L'Espagne après la paix d'Utrecht, in-8°, Paris, 1891, p. 171.

[23] Louis XIV à Philippe V, Versailles, 14 août 1714, dans M. R. de Courcy. L'Espagne après la paix d'Utrecht, p. 190, British Muséum, ms. 8756, Mémoires inédits du prince de Cellamare, 1re partie, fol. 10 ; Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XV, p. 256 ; 5 octobre 1714.

[24] A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, I. Les mœurs politiques et les traditions, in-8°, Paris, 1885, t. I, p. 187-188.

[25] De Lhommeau, Maximes générales du droit français ; sur la maxime 6e ; dans J. Hitier, La doctrine de l'absolutisme, in-8°, Paris, 1903, p. 117.

[26] J. du Tillet, Recueil des guerres et traictez d'entre les Roys de France et d'Angleterre, in-fol., Paris, 1602, p. 197.

[27] Dangeau, Journal, t. XV, p. 199 ; 28 juillet 1714.

[28] Dangeau, Journal, t. XV, p. 200 ; 29 juillet 1714.

[29] Saint-Simon, Mémoires, in-12, Paris, 1905, t. VIII, p. 77-79.

[30] Dangeau, Journal, t. XV, p. 201 ; 29 juillet 1714.

[31] Marie-Françoise de Bourbon, légitimée de France, mariée le 18 février 1692 à Philippe d’Orléans, alors duc de Chartres, Saint-Simon, Mémoires (1905). t. VII, p. 83.

[32] Madame à la raugrave Louise. Fontainebleau, 2 septembre 1714, op. cit., t. II, p. 221.

[33] Isambert, Decrusy et Taillandier, Recueil général des anciennes lois françaises, in-8°, Paris, 1830, t. XX, p. 619, suivantes : Edit qui, en cas de défaillance des princes légitimes de la maison de Bourbon, appelle à la succession du trône les princes légitimés, 28 juillet 1714.

[34] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 89-90.

[35] Dangeau, Journal, t. XV, p. 202-203, additions, et Saint-Simon, Mémoires, t. VII, p. 95-96 ; J. Buvat, Journal de la Régence, édit. Campardon, in-8°, Paris, 1865, t. I, p. 503-510.

[36] Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XX, p. 1623 : Testament de Louis XIV (nous le donnons au chapitre IVe). Pour l’emploi, de la journée du 2 août 1714, voir Dangeau, Journal, t. XV, p. 202.

[37] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 106 ; édit de Boislisle, t. XXV, p. 17.

[38] Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XV, p. 85 ; Madame à la Duchesse de Hanovre, Versailles, 11 mars 1714, op. cit., t. II, p. 210.

[39] Journal inédit de J.-B. Colbert, marquis de Torey, pendant les années 1709, 1710 et 1711, édit. Fr. Masson, in-8°, Paris, 1884, p. 194.

[40] Lémontey, Histoire de la Régence et de la minorité de Louis XV jusqu'au ministère du Cardinal Fleury, in-8°, Paris, 1832, t. I, p. 300, note 1.

[41] A. Baudrillart, Philippe V et la Cour de France, t. II, Philippe V et le duc d’Orléans, in-8°, Paris, 1898, p. 55-94.

[42] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 21 février 1712, op. cit., t. II, p. 168.

[43] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 10 mars 1712, op. cit., t. II, p. 170.

[44] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 10 mars 1712, op. cit., t. II. p. 170-171.

[45] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 20 février, 8 avril 1712, op cit., t. II, p. 168, 175.

[46] Em. Bourgeois, La diplomatie secrète au XVIIIe siècle. Ses débuts. Le secret du Régent et la politique de l'abbé Dubois, 1716-1718, in-8°, Paris, 1909, t. I, p. 5-8.

[47] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 21 février, 14 avril 1712, op. cit., t. II, p. 168-169, 175.

[48] Madame à la duchesse de Hanovre, Versailles, 27 mars 1712, op. cit., t. II, p. 174.

[49] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, chap. XXVII.

[50] Madame à la duchesse de Hanovre, Marly, 20 février 1712, op. cit., t. II, p. 168.

[51] Madame à la duchesse de Hanovre, Marly, 8 avril 1712, op. cit., t. II, p. 175.

[52] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 100.

[53] P. E. Lémontey, op. cit., t. I, p. 14-15.

[54] Dangeau, Journal, t. XV, p. 201 ; 31 juillet 1714.

[55] Dangeau, Journal, t. XV, p. 208 ; 14 août 1714.

[56] Dangeau, Journal, t. XV, p. 214 ; 24 août 1714.

[57] Dangeau, Journal, t. XV, p. 215 ; 26 août 1714.

[58] Saint-Simon, Mémoires (1905). t. VII, p. 107 ; édit. de Boislisle, t. XXV, p. 18-19 : L’original du testament a disparu, mais il existe une copie figurée faite par Gilbert de Voisins lors de l’ouverture, le 2 septembre 1715 (Arch. nat., carton K 187, n° Ib). L’original était « un acte en papier commun compris entre quatre feuilles, dont le dernier feuillet n’est point écrit, ledit acte finissant au milieu de la quatorzième page, recouvert d’une cinquième feuille de papier blanc, lequel paraît avoir été enfermé de toute sa grandeur sans être plié en une feuille de papier cacheté de sept cachets du cachet particulier du feu Roi, sur laquelle se trouvent ces mots qui paraissent de la main du feu Roi : Ceci est notre testament, et au-dessous Louis. Les cachets avaient été exécutés par Pajot d’Ons-en-Bray, intendant général des postes. Le général de Grimoard dans Œuvres de Louis XIV, t. II, p. 472, suivantes, dit que le testament fut écrit de la main de Voysin sous la dictée nous en reparlerons ; le greffier Gilbert de Voisins dit formellement qu’il était autographe. Le peu d’illusions que le Roi se faisait sur le sort réservé à son testament n’est pas seulement attesté par Saint-Simon et par Duclos, Mémoires secrets, édit. Michaud et Poujoulat, p. 470 (qui l’a sans aucun doute emprunté à Saint-Simon), mais encore par Madame, Correspondance, édit. G. Brunet, 1904, t. I, p. 271 ; celle-ci écrivait dès 1716 : « Le feu Roi n’a jamais pensé que son testament fut maintenu ». Il a dit à plusieurs personnes : « On m’a fait écrire mon testament et plusieurs choses ; je l’ai fait pour avoir du repos ; mais je sais bien que cela ne subsistera pas. »

[59] Dangeau, Journal, t. XV. p. 214 ; le mariage fixé au 25 août fut retardé jusqu’au 16 septembre. Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 137.

[60] Arch. des Aff. Etrang., Angleterre, t. 287, fol. 115 : M. de Torcy à M. de Saint-Jean, 28 mars 1712.

[61] Madame à la raugrave Louise, Versailles, 2 décembre 1714, op. cit., t. II, p. 223.

[62] Dangeau, Journal, t. XV, p. 215 ; 27 août 1714.

[63] Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XV, p. 216 ; le même, Mémoires (1905), t. VII, p. 108 ; édit. de Boislisle, t. XXV, p. 20-21, 341 ; cet entretien est confirmé, sinon pour les paroles au moins pour leur sens par Berwick, Mémoires, édit. Michaud et Poujoulat, p. 437, et par une lettre de Madame à la raugrave Louise, 8 octobre 1716, édit. G. Brunet, t. I, p. 271-27 ? : « le Roi ne croyait pas qu’on respectât son testament ».

[64] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 109 ; édit. de Boislisle, t. XXV, p. 23.

[65] Les démolitions et remaniement n’ont pas laissé subsister cette niche qui devait se trouver dans la tour Bonbec, au voisinage du greffe, voir le plan du premier étage du Palais conservé aux Arch. nat., N3 Seine 4152.

[66] Saint-Simon, Mémoires (1905) t. VII, p. 109 ; édit. de Boislisle, t. XXV, p. 24 et p. 381-390, le texte du procès-verbal de dépôt du testament le 12 septembre, un peu différent et plus précis.

[67] Dangeau, Journal, t. XV, p. 243 ; 17 septembre 1714.

[68] Madame à la raugrave Louise, Versailles, 2 décembre 1714, op. cit., édit. Jaéglé, t. II, p. 223-224 ; Dangeau, Journal, t. XV, p. 286 ; 28 novembre 1714 ; Saint-Simon, Mémoires (1905) t. VII, p. 154-155.

[69] L. Wiesener, Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais, d’après les sources britanniques, in-8°, Paris, 1891, t. I, p. 23.

[70] Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XV, p. 255-256 ; le même. Mémoires, édit. de Boislisle, t. XXV, p. 88, et p. 400-419 : la disgrâce du cardinal del Judice ; voir A. Baudrillart, Philippe V et la Cour de France, in-8°, Paris, 1890, t. I, p. 587-590.

[71] Arch. des Aff. Etrang., Espagne, t. 245, fol. 45-69 : Pouvoirs et Instruction de Philippe V, en date du 19 mai 1715 (saisis en décembre 1718 avec les papiers de Cellamare) ; voir Lémontey, op. cit., t. I, p. 18-19 ; A. Baudrillart, op. cit., t. I, p. 670-672 ; J. Vatout, La conspiration de Cellamare, in-12, Paris 1832, t. I, p. 382-396.

[72] Cellamare au card. del Judice, 15 juillet 1715, et Cellamare au marq. de Grimaldo, 2 septembre 1715, dans Lémontey, op. cit., t. I, p. 23 ; J. Vatout, op. cit., t. I, p. 390-394.

[73] Saint-Aignan à Torcy, 12 août 1715, dans Lémontey, op. cit., t. I, p. 24.

[74] 1er août (vieux style) = 12 août (nouveau style) 1714. Dangeau, Journal, t. XV, p. 210.

[75] Madame, mère du duc d’Orléans était cousine germaine de Georges Ier.

[76] Public Record Office, France, t. 346 : le duc d'Orléans au roi d’Angleterre. Marly, 15 novembre 1714 ; voir L. Wiesener, Rapports secrets du duc d'Orléans avec George Ier du vivant de Louis XIV, dans Revue de la Société des Etudes historiques, 1884, 4e série, t. II, (t. LV de la Collection) p. 198, suivantes ; le même. Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais d'après les sources britanniques, in-8°, Paris, 1801, t. I, p. 1-51.

[77] J.-R. de Torcy, Mémoires et Négociations, de 1687 à 1713, édit. Michaud et Poujoulat, 3e série, t. VIII, p. 687.

[78] Dangeau, Journal, t. XV, p. 262, avec l’Addition de Saint-Simon ; A. de Saint-Léger, La question de Dunkerque et du canal de Mardyck à la fin du règne de Louis XIV, documents tirés du Public Record Office, publiés avec une introduction et des notes, dans Union Faulconnier, Société historique et archéologique de Dunkerque et de la Flandre maritime, Bulletin, 1903, t. VI, p. 493-595 ; V. de Swarte, Claude le Blanc, intendant d’Auvergne, intendant de la Flandre maritime, secrétaire d'Etat au département de la Guerre (1669-1728), sa vie, sa correspondance, particularités administratives, dans Mémoires de la Société dunkerquoise pour l’encouragement des sciences, des lettres et des arts, 1899-1900, t. XXXIII, p. 3-234 ; A. Rossaut, Le port de Dunkerque avec la paix d’Utrecht, notes d’histoire locale, dans même recueil, 1897-1898, t. XXX, p. 237, suivantes.

[79] Dangeau, Journal, t. XV, p. 262 ; 16 octobre 1714.

[80] H. Hippeau, Avènement des Bourbons au trône d'Espagne, correspondance inédite du marquis d'Harcourt, in-8°, Paris, 1875 ; Dangeau. Journal, t. XIV, p. 425, Berwick, Mémoires, édit. Michaud et Poujoulat, 3e série, t. VIII, p. 422.

[81] A. Sorel, L'Europe et la Révolution française, t. I, p. 289.

[82] Voltaire, Siècle de Louis XIV, édit. E. Bourgeois, in-12, Paris, 1890, p. 423 ; Seeley, L'expansion de l'Angleterre, trad. Rambaud, in-12, Paris, 1885, p. 157-159 ; W. Coxe, L'Espagne sous les rois de la Maison de Bourbon, trad. Muriel, in-8°, Paris, 1827, t. II, p. 160.

[83] Saint-Simon, Parallèle des trois premiers rois Bourbons dans Écrits inédits, édit. P. Faugère, in-8°, Paris, 1880, p. 90, p. 348.

[84] E. Bourgeois, Le secret du Régent et la politique de l’abbé Dubois, in-8°, Faris, 1909, t. I, p. 43-44 ; Instructions données aux ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie : Sorel, Autriche (1884), p. 154 ; Lebon, Bavière (1889), p. 151, 18 janvier 1715 ; Geffroy, Suède (1885), p. 248 ; 4 avril 1715 ; Arch. des Aff. Etrang., Hollande, t. 254, fol. 287 : Instructions à M. de Châteauneuf.

[85] Lecky, A History of England in the eighteenth Century, in-8°, London, 1878, t. I, p. 166.

[86] Public Record Office, Hollande, vol. 373, fol. 46-49 : Réflexions sur la situation politique jointes à une dépêche du 31 décembre 1715.

[87] Public Record Office, France, vol. 349 : lord Stair à lord Stanhope, Paris, 29 janvier 1715.

[88] Public Record Office, France, vol. 352 : lettres de L. Stair, L. Stanhope, S. Robert Sutton.

[89] Public Record Office, France, vol. 346 : le duc d'Orléans à Stair, Versailles, 2 février 1715 ; Oxenfoord Castle, Stair Papers, t. II : lord Stair à lord Stanhope, Paris, 8 et 9 mars 1715.

[90] Oxenfoord Castle, Stairs Papers, t. II : lord Stanhope à lord Stair, 4 (=15) avril 1715.

[91] Oxenfoord Castle, Stairs Papers, t. II : lord Stair à lord Stanhope, Paris, 8 mars 1715.

[92] Saint-Simon, Mémoires, édit. Chéruel, 1887, t. XI, p. 241.

[93] Lenglet-Dufresnoy, Mémoires de la Régence, 1749, t. I, p. 6.

[94] Oxenfoord Castle, Stair Papers, t. II, lord Stair à lord Stanhope, Paris, 8 mars 1715.

[95] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 376-384.

[96] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 385.

[97] Hardwicke, Miscellaneous State Papers from 1551 to 1726, in-4°, London, 1778, t. II, p. 528 : Stair's Journal.

[98] Oxenfoord Castle, Stair Papers, t. II ; lord Stair à lord Stanhope, Paris, 8 mars 1715.

[99] Oxenfoord Castle, Stair Papers, t. II ; lord Stair à lord Stanhope, Paris, 21 juillet 1715.

[100] Saint-Simon, Mémoires (1905), t. VII, p. 311.

[101] Public Record Office, France, vol. 349 : lord Stair à lord Stanhope, Paris, 29 janvier 1715.

[102] Dangeau, Journal, t. XV, p. 381 ; 13 mars 1715.

[103] M. de Torcy à M. d’Iberville, 8 juillet 1715, dans Lémontey, op. cit., t. I, p. 30.

[104] Duclos, Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV, la Régence et le règne de Louis XV, in-8°, Paris, 1836, t. I, p. 471.

[105] Dangeau, Journal, t. XV, p. 420 ; Lord Mahon, History of England from the peace of Utrecht to the peace of Versailles 1713-1783, in-8°, Leipzig, 1853.

[106] J. Buvat, Journal de la Régence (1715-1723), édit. Campardon, in-8°, Paris, 1865, t. I, p, 37 ; voir G. Mareschal de Bièvre, Georges Mareschal, seigneur de Bièvre, chirurgien et confident de Louis XIV (1658-1736), in-8°, Paris, 1906, p. 342.

[107] Saint-Simon, Additions au Journal de Dangeau, t. XV, p. 420.

[108] Dangeau, Journal, t. XV, p. 449, 456 ; 9 et 24 juillet 1715.

[109] Dangeau, Journal, t. XV, p. 449, 10 juillet 1715.

[110] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 1 ; 1er août 1715.

[111] Saint-Simon, Mémoires, édit. Chéruel, 1881, t. XII, p. 125.

[112] Madame à la duchesse d’Hanovre, Versailles, 12 mai 1712, op. cit., édit. Jaéglé, t. II, p. 178.

[113] Voir le portrait du duc d’Orléans par Santerre, au musée de Versailles, n° 3701.

[114] Saint-Simon, Mémoires (1905) t. VII, p. 311 ; L. Wiesener, Lord Stair et M. de Torcy. 1715-1720, dans Revue de la Société des Etudes historiques, 1883, 4e série, t. I, p. 177-213.

[115] Oxenford Castle, Stair Papers, t. III, B : lord Stair à lord Stanhope, 18 juillet 1715.

[116] Public Record Office, France, vol. 340 ; lord Stanhope à lord Stair, Whitehall, 3 (= 14) juillet 1715.

[117] Madame à la raugrave Louise, 27 septembre 1718, dans Correspondance, édit. G. Brunet, t. II, p. 4.

[118] Madame à la duchesse de Hanovre, Marly, 19 novembre 1713, dans Correspondance, édit. E. Jaeglé, t. II, p. 202.

[119] Hardwicke Papers, Stair's Journal, 31 juillet 1715.

[120] Hardwicke Papers, Stair’s Journal, 11 août 1715.