HISTOIRE DE LA RÉGENCE PENDANT LA MINORITÉ DE LOUIS XV

TOME PREMIER

 

INTRODUCTION.

 

 

La Révolution française débuta modestement ; elle parut sortir d’un aveu d’insolvabilité. Vers l’année 1786, la monarchie succombait sous Je poids d’une dette de quatre milliards et demi et d’un déficit annuel de cinquante six initiions de livres. L’expérience ou l’habileté des financiers de l’ancien régime eussent, en peu d’années, acquitté cette dette si tous les Français en avaient supporté également la charge ; mais le Clergé et la Noblesse repoussaient loin d’eux toute imposition, et !e Tiers-État se refusait à souffrir de nouvelles taxes. Derrière le déficit, les moins clairvoyants eux-mêmes entrevoyaient la banqueroute ; il ne fallut pas moins que cette perspective pour décider la royauté à consulter la nation.

Une convocation des États-Généraux du royaume équivalait à l’humiliation la plus éclatante pour la doctrine du pouvoir absolu que la monarchie professait depuis cent soixante-quinze ans, presque sans une seule défaillance ; ainsi en jugèrent les citoyens appelés à prendre place dans cette solennelle consultation, ils tinrent la doctrine pour ruineuse, l’autorité royale pour décrépite et n’hésitèrent pas à s'emparer du pouvoir et à l’exercer, d’abord indirectement, ensuite et bientôt après, sans intermédiaire. L’audace était grande, mais elle s’inspirait d’une longue suite de revendications et de déceptions dont il ne paraît pas superflu de résumer ici les vicissitudes.

 

I. — Que la Royauté s'était affranchie de tout contrôle.

Au cours de sa glorieuse histoire, la France s’était, à plusieurs reprises, élevée jusqu’à la conception d’un gouvernement national conciliant l’autorité monarchique avec le droit populaire. Au début du règne de Charles VI, le chancelier Miles de Dormans reconnaît que « les rois auraient beau le nier cent fois, c’est par la volonté du peuple qu’ils règnent ; c’est la force du peuple qui les rend redoutables ». Tandis que les prédicateurs, les polémistes se livrent aux attaques les plus véhémentes contre la souveraineté royale, mettent en circulation les maximes les plus sévères à l’égard de la royauté, les légistes, les conseillers officiels font l’éloge du gouvernement absolu. Pierre Salmon rappelle à Charles VI que « le peuple a toujours l’œil au roi » et si celui-ci n’est homme droiturier et équitable, son royaume est tôt corrompu et détruit, néanmoins, lui dit-il, « gardez sur toutes choses que nulles grandes assemblées de nobles ni de communes ne se fassent en votre royaume ».

Le chancelier Gerson n’est pas moins hostile au contrôle d’une assemblée nationale, car « c’est expédient à l’état populaire qu’il soit en subjection » ; pour tenir les rois en haleine il ne recommande que le tyrannicide. « C’est, à l’entendre, une erreur de croire que les rois peuvent user à leur gré de la personne et du bien de leurs sujets, les grever arbitrairement d’impôts sans que l’utilité publique l’exige. C’est une autre erreur de croire que les rois sont affranchis de toute obligation envers leurs sujets, bien au contraire : selon le droit naturel et selon le droit divin, ils leur doivent fidélité et protection. S’ils manquent à ce devoir, s’ils se conduisent injustement, surtout s’ils persévèrent dans leur iniquité, c’est le cas d’appliquer cette règle de droit, qu’il est permis de repousser la force par la force. Sénèque n’a-t-il pas dit qu’il n’y a pas de victime plus agréable à Dieu qu’un tyran. »

Pierre d’Ailly, pour contrebalancer « ce grand pouvoir qu’on accorde au Roi », suggère l’élection d’un conseil aristocratique par le peuple entier ; tandis que Christine de Pisan refuse aux « gens de métier » tout droit électoral[1]. Et pendant que les uns dissertent et que les autres discutent, la royauté française, à la faveur des troubles civils du règne de Charles VI et des périls tragiques du règne de Charles VII, s’empare sans résistance et exerce sans contrôle un pouvoir arbitraire. C’est en vain que fia noblesse assemblée à Nevers, en 1441, essaie d’entraîner le clergé et la bourgeoisie « pour faire tous ensemble nouvelles ordonnances, et bailler gouvernement entier du royaume de par les trois États » ; Charles VII leur fait savoir que si jamais ils tentaient pareille chose, « il laisserait toute autre besogne pour leur courir sus ».

L’épreuve traversée et son issue victorieuse inspirent au représentant de la royauté cette intransigeance. En la conduisant de Bourges à Reims, à coups de prodiges, Jeanne d’Arc a, pour longtemps, sacré cette royauté française d’un caractère national et quasi divin. Une conviction s’impose à tous désormais : c’est que, le cas échéant, Dieu accordera un miracle pour la conservation du royaume de saint Louis et pour le salut du trône de ses descendants. La royauté s’identifie avec la patrie qu’elle symbolise ; le véritable roi de France c’est Dieu qui donne le royaume « en commande » au dauphin, son vicaire. Celui-ci reçoit avec la royauté une manière de sacerdoce dont il exerce jalousement les prérogatives merveilleuses et incommunicables. Louis XI ne manque pas de se confesser chaque semaine afin de pouvoir toucher les écrouelles ; Charles VIII se confesse deux fois la semaine dans le même but ; Louis XII, un sceptique, remplace l’attouchement par une distribution d’aumônes.

Louis XII est le seul monarque, qu’avant 1789, nous puissions nommer « un roi parlementaire[2] ». La pensée de s'appuyer sur des assemblées politiques et de partager avec elles son pouvoir ne lui vint sans doute jamais ; le pays ne réclamait pas des assemblées permanentes, n’en concevait pas le fonctionnement et l’utilité. Le peuple de France ne voyait dans les députés aux États que les délégués du Roi et ne s’expliquait leur réunion qu’à titre consultatif et exceptionnel. Peut-être s’est-on mépris sur le sens des revendications présentées aux États de 1484 par un député bourguignon, Philippe Pot, seigneur de la Roche[3] : « Comme l’Histoire le raconte, disait-il, et comme je l’ai appris de mes pères, dans l’origine, le peuple souverain créa des rois par son suffrage... N’avez-vous pas lu souvent que l’État est la chose du peuple ? Or, puisqu’il est sa chose... comment des flatteurs attribuent-ils la souveraineté au prince qui n’existe que par le peuple ?[4] » L’orateur voulait inculquer cette croyance que la royauté est une magistrature instituée en vue du peuple, mais pas plus que ses collègues, il ne réclamait un régime parlementaire et électif. Toute la vie politique se concentrait alors dans l’exercice des franchises locales, chaque ressort provincial n’imaginait rien en dehors et au-dessus de ses États, que la royauté toute seule. Ce particularisme donnait naissance à une sorte de fédération dans laquelle chacun prenait à tâche d’élever autour de soi les barrières économiques les plus infranchissables. Qu’importait aux gens du Languedoc les délibérations prises aux États de Bretagne, à ceux de Bourgogne ou d’Artois et en quoi les décisions des États-Généraux réunis à Senlis ou à Noyon pouvaient-elles influencer ou contraindre ceux qui affectaient de les ignorer ?

L’opinion publique se montre disposée à ne voir dans les États-Généraux qu’un mécanisme onéreux et superflu, de qui la nation n’a aucun service à attendre. Cette défaveur n’est pas ignorée de ceux qu’elle atteint : en 1484, ils se séparent sans attendre la fin de la session ; en 1506, ils se déclarent satisfaits que le Roi pût gouverner sans recourir à eux. Les États provinciaux eux-mêmes sont en décadence. Sous Charles VII et sous Louis XI, les agents de la royauté ne laissent échapper aucune occasion de faire observer à quels minces services répondent les grandes dépenses entraînées par la réunion de personnages tour à tour défiants ou obséquieux[5], et c’est presque soulager le peuple que de réduire les deux convocations annuelles à une seule[6].

La période des guerres de religion suivie de la Ligue fit mettre une sourdine aux prétentions de la royauté qui n’abandonna rien de ses droits prétendus[7]. Néanmoins, au sortir de ces années difficiles, il lui fallut compter avec une situation acquise. Il ne fallait rien moins alors que l’habileté d’Henri IV, cet art de franchise cauteleuse, de spontanéité réfléchie, pour ressaisir une prépondérance qu’on pourrait être tenté de lui contester. Il esquiva une convocation des États-Généraux dont le nom lui rappelait de fâcheux souvenirs, il se rejeta sur une réunion de notables, simple assemblée consultative dont les membres n’étaient pas élus par leurs Ordres mais mandés par le Roi, afin de l’aider à « recouvrer ailleurs ce qui ne se trouvera en nos finances ». On a cité maintes fois la harangue du Béarnais aux notables de Rouen, d’une brusquerie charmante et d’une adresse raffinée : « Je ne vous ai point appelés, comme faisaient mes prédécesseurs, pour vous faire approuver leurs volontés. Je vous ai assemblés pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour les suivre, bref, pour me mettre en tutelle entre vos mains, envie qui ne prend guère aux rois, aux barbes grises et aux victorieux. » Voila le grand mot prononcé : la royauté en tutelle ; et comme, autour de lui, le mot fait scandale, Henri ajoute : « Il est vrai, mais je l'entends avec mon épée au côté. » Si les notables avaient entretenu quelques illusions sur le rôle qui leur était préparé, ils savaient dès lors à quoi s’en tenir et la place qu’ils tiendraient dans l’État.

Le règne d’Henri IV s’écoula sans qu’il fut question d’Etats-Généraux ; la régence qui ouvrit le règne de Louis XIII et les intrigues des princes déterminèrent leur convocation, comme s’il était devenu nécessaire de rendre un témoignage public de leur impuissance et de la vanité d’un essai de gouvernement représentatif[8]. Réunie à Paris le 14 octobre 1614, l’assemblée fut congédiée le 24 février de l’année suivante. Elle comptait un peu moins de cinq cents députés, parmi lesquels on ne rencontre qu’un seul personnage hors de pair : l’évêque de Luçon, Richelieu. Le Tiers-État était si rempli de gens de loi qu’il parut et se posa comme un ordre judiciaire opposé à la noblesse et au clergé ; dans ses rangs, pas un député n’était qualifié du titre de marchand, quelques-uns à peine s’avouaient agriculteurs. Les hostilités entre les différents Ordres s’engagèrent au cours de la séance royale d’ouverture (27 octobre). Quinze jours, plus tard, un député du Tiers, Savaron, demanda la suppression des pensions profitables à la seule noblesse ; il fit observer que le peuple accablé par tant d’autres fardeaux pourrait un jour peut-être ne prendre conseil que de son désespoir et secouer le joug. Jadis  les Francs avaient fondé la monarchie en se soustrayant à l’obéissance des Romains qui les écrasaient d’impôts ; ne reverrait-on pas la même chose ? Cet avertissement frappa l’assemblée de stupeur, mais Savaron, s’adressant au Roi lui-même, demanda : « Que diriez-vous, sire, si vous aviez vu dans vos pays de Guyenne et d’Auvergne les hommes paître l’herbe à la manière des bêtes ? » Richelieu tenta d’apaiser le différend entre la Noblesse et le Tiers qui chargea Henri de Mesmes de ses intérêts. Celui-ci soutint « que les trois Ordres étaient trois frères, enfants de leur mère commune la France..., que la noblesse devait reconnaître le Tiers Etat comme son frère et ne pas le mépriser de tant que de ne le compter pour rien... et qu’au reste il se trouvait bien souvent dans les familles particulières que les aînés ravalaient les maisons et les cadets les relevaient et portaient au point de la gloire ». Mais les nobles demandèrent au Roi réparation, ne voulant pas, disaient-ils « que des enfants de cordonniers et savetiers les appelassent frères ». A quoi De Mesmes répliqua qu’ils « étaient bien honorés de prendre alliance dans le Tiers-Etat et fort aises quand le Tiers-Etat la prenait chez eux ».

Ensuite le Tiers-État fit parade d’un zèle gallican outré. Sachant que l’Ordre du clergé soutenait les doctrines ultramontaines, il demanda que le Roi fut « supplié de faire arrêter en l'assemblée de ses Etats, pour loi fondamentale du royaume... que comme il est reconnu souverain en son Etat, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n’y a puissance en terre quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume, pour en priver les personnes sacrées de nos rois ». Le Clergé prit l’alarme, le cardinal Du Perron argumenta, Miron, président du Tiers, répliqua, on s’adressa au Roi en son Conseil et après beaucoup de paroles et beaucoup d’intrigues, le Tiers reçut défense d’inscrire cette demande dans son Cahier.

La Cour assistait, ravie, à la dissension croissante entre les Ordres ; les maladresses et les sottises du Tiers-État dispensaient désormais de le craindre ; on ne le ménagea plus. En la séance de clôture, Richelieu énonça un programme de gouvernement, la noblesse complimenta, le président du Tiers fit des récriminations et de vagues menaces. On le laissa dire et, le lendemain matin, quand les députés des communes se présentèrent dans le lieu ordinaire de leurs séances ils trouvèrent la salle démeublée. Alors leurs yeux s’ouvrirent. « Nous commençâmes, avoue Fun d’entre eux, de voir et de remarquer comme dans un miroir, nos fautes passées et les plus gens de bien regrettaient infiniment la lâcheté et faiblesse de laquelle nous avions usé en toutes les procédures des Etats. » Ils s’obstinèrent pendant un mois, puis, un jour on leur fit savoir qu’il était temps de rentrer chez eux ; ils obéirent.

Ce furent les derniers États-Généraux de la monarchie. Entre 1615 et 1789 le nom fut encore prononcé parfois, mais l’institution fut considérée comme désuète ; nous verrons quelles répugnances et quelles appréhensions soulevèrent la convocation de 1789. Richelieu les ayant vu à l’œuvre ne les réunit jamais, il se borna à une assemblée unique de notables composée de membres désignés par le Roi[9]. Dès le premier jour, il leur signifia que la session devait « estre courte » (2 décembre 1626). Les notables semblèrent ne pas entendre et s’attardèrent fort à toute occasion ; voyant cela, le 27 février suivant, on les congédia. Le terrain ainsi déblayé, l’autorité royale allait jouer le rôle de la Providence. « Lorsque l’excès de nos douleurs donnera lieu à nos plaintes, disait l’évêque de Luçon au Roi, nous ne vous mettrons en avant que pour rechercher en votre autorité et mendier de votre bonté des remèdes à nos maux. » Arrivé au pouvoir, il veut prendre modèle sur les Conseils tels qu’ils existent en Espagne « composés de nombre de personnes qui se contraignent, en s’éclairant les uns les autres, à bien faire ». Ce n’est qu’une velléité, le tout-puissant ministre se borne à une réorganisation du Conseil secret dont le chef dirige, en fait, tout le royaume, car, dit-il, « si le souverain ne peut ou ne veut pas lui-même avoir continuellement l’œil sur sa carte et sur sa boussole, la raison veut qu’il en donne particulièrement la charge à quelqu’un par-dessus tous les autres[10] ».

Dès lors que le souverain délègue Richelieu, celui-ci prend pour règle « qu’il n’y a rien-de plus dangereux en un État que diverses autorités égales en l’administration des affaires », en conséquence il attire et retient tout dans ses mains. Pendant quelques années il ménage la magistrature, bien qu’il partage tous les préjugés de la Noblesse et du Clergé contre les « officiers » ; mais le Parlement s’étant avisé d’opposer son refus à l’enregistrement d’un édit, il est averti qu’il n’est « permis ni loisible aux cours de Parlement, ni à aucun autre officier, de prendre cognoissance des affaires d’État, administration et gouvernement  du royaume qu’au Roi seul, établi et proposé de Dieu, et auquel seul il en doit rendre compte (1631). » Désormais toute occasion devient bonne pour humilier, évincer, débouter le Parlement. Louis XIII a sa leçon faite et débite à merveille les réprimandes : « Je veux, dit-il, que les choses qui viennent de mon commandement ne soient plus mises en question, mais que chacun y obéisse... Vous n’êtes établis que pour juger maître Pierre et maître Jean..., et, si vous continuez vos entreprises, je vous rognerai les ongles de si près qu’il vous en cuira (1632) ». Tout ceci n’est que l’écho des maximes du cardinal qui écrit dans son Testament politique : « Il faut restreindre les officiers de justice à ne se mêler que de la rendre aux sujets du Roi, qui est la seule fin de leur établissement[11]. C’est pour en finir avec des prétentions sans cesse renaissantes que, le 21 février 1641, le Roi déclare « qu’il n’y a rien qui conserve et qui maintienne davantage les empires que la puissance du souverain » et « afin qu’une chose qui est établie pour le bien des peuples ne produise des effets contraires, comme il arriverait si les officiers voulaient entreprendre sur le gouvernement de l’État qui n’appartient qu’au Prince », celui-ci enjoint à ses Parlements « de cesser de prendre à l’avenir connaissance des affaires d’État et d’administration et gouvernement d’icelui, que nous réservons à notre personne seule et de nos successeurs rois, si ce n’est que nous leur en donnions le pouvoir et commandement spécial par nos lettres patentes ». Tous autres édits vérifiés en présence du Roi séant en son lit de justice seront pleinement exécutés, « sauf néanmoins à nos dits officiers à nous faire telles remontrances qu’ils aviseront bonnes être sur l’exécution des dits édits... après lesquelles remontrances nous voulons et entendons qu’ils aient à obéir à nos volontés ». Les édits et déclarations vérifiés en la forme ordinaire, hors de la présence du Roi, seront, quand ils regardent le gouvernement de l’État, enregistrés sans délibération ; mais quand ils concernent les finances, les officiers pourront s’ils « trouvent quelques difficultés en la vérification... nous les représenter, afin que nous y pourvoyions..., sans qu’ils puissent, de leur autorité, y apporter aucune modification ni changement, ni user de ces mots : nous ne devons ni ne pouvons, qui sont injurieux à l’autorité du prince ». Les remontrances repoussées, l’enregistrement aura lieu, « toutes affaires cessantes, si ce n’est que nous leur permettions de nous faire de secondes remontrances, après lesquelles nous voulons qu’il soit passé outre sans aucun délai[12] ». Sous sa forme impérieuse, ledit consent encore certaines concessions ; en tout ce qui n’est pas du ressort des affaires d’État, le contrôle du Parlement est reconnu et autorisé à s’exercer, même en présence du Roi ; les remontrances sont souffertes et, en matière de finances, elles peuvent être renouvelées. Tous ces ménagements aboutissent, sans doute, à l'enregistrement obligatoire, mais ce sont néanmoins des ménagements et destinés, dans peu, à disparaître.

Les troubles de la Fronde vont favoriser une réaction contre l’absolutisme. En 1650, un illuminé, François Davenne lance une brochure dans laquelle il écrit que « les hommes ayant élu leurs rois afin de leur administrer la justice, il est raisonnable de les ôter, quand, au lieu de [la] leur rendre, ils les molestent sous prétexte d’une injuste autorité, qu’ils ont usurpée par fraude[13]. » S’adressant au jeune Louis XIV, Agé de douze ans, l’auteur l’avertit que les peuples ne lui doivent que l’obéissance conditionnelle[14] ; et, vers le même temps, une mazarinade expose que tout empire ayant originairement commencé par une élection, ce ne sont pas les rois qui ont fait les peuples, au contraire ce sont les peuples qui ont fait les rois[15] ». Une autre pièce de même genre risque, en manière d’axiome « que dès lors qu’un roi abuse du pouvoir que Dieu lui donne en cette qualité et qu’il contrevient à son devoir, il cesse d’être roi et les sujets d’être sujets[16] » ; l’exemple des Francs qui élurent Mérovée et chassèrent son fils Childéric prouve assez que les Français ne peuvent être traites en esclaves[17].

Claude Joly, avocat au Parlement et, depuis, chanoine de Notre-Dame de Paris[18], publie un recueil de maximes politiques inspiré des théories libérales de la seconde moitié du XVIe siècle, ce qui lui attirera une condamnation du Châtelet[19]. Il y soutient « que le pouvoir des rois est fini est borné » ; « que la monarchie française n’est pas purement monarchie, à cause du pouvoir des États et des Parlements » ; « que le Roi tient son autorité des peuples », car « de tout temps, il y a eu des peuples sans rois, mais jamais il n’y a eu des rois sans peuples[20] ». A ces derniers seuls appartient le droit de consentir à l’impôt[21], dont le souverain n'a que la disposition. Cette constitution de monarchie tempérée s’inspire de la thèse de François Hotman, évoque le souvenir des assemblées tenues sous les rois des deux premières races, mais ne montre pas comment et pourquoi les États-Généraux auraient recueilli les droits et la succession politique de ces assemblées. Joly oppose à la tradition absolutiste la tradition libérale, et veut faire voir que si on remonte assez haut dans le passé, le droit royal s’efface devant le droit populaire[22].

L’échec de la Fronde et le mouvement de réaction absolutiste qui lui succéda emportèrent toutes ces affirmations hasardeuses ou prématurées. Cependant l’épisode politique coïncidait avec un réveil des préoccupations historiques, un retour d’attention vers les origines de l’histoire nationale, un souci d’aller chercher loin dans le passé des faits et des preuves favorables aux thèses soutenues. André Du Chesne, Mézerai initient les esprits à un ordre nouveau de recherches et c’est ainsi qu’on en arrive à reconnaître qu’une opération élective s’est accomplie vers le temps où les Francs occupèrent la Gaule. Cependant l’idée d’élection ne laisse pas que d’inspirer certaines alarmes ; si ce qui s'est fait jadis se renouvelait ne verrait-on pas la monarchie discutée, ébranlée peut-être ? Pour parer à cette éventualité, les théoriciens répandent l’opinion que cette élection primitive s’associait à une dépossession irrévocable de l’électeur. En usant de son droit il l’anéantissait, en sorte que l’élection entraînait un « transport éternel » au bénéfice de l’élu de qui la souveraineté ne dépendait plus désormais que de la naissance[23]. Lorsque, vers les dernières années du règne de Louis XIV, l’érudit Fréret s’avisera d’exposer de façon rigoureuse « l’origine des Français et leur établissement dans la Gaule », on l’enverra passer quelques mois à la Bastille[24].

Une confusion, peut-être intentionnelle, s’introduit généralement entre la source et la forme de l’autorité souveraine. Docilement, les contemporains répètent et glosent à l’envi cette maxime du cardinal Bellarmin : « Tous les princes de l’univers sont comme les vice-rois de Dieu et ses principaux ministres[25] ». Nicole ajoute qu’a encore que la royauté et les autres formes de gouvernement viennent originairement du choix et du consentement des peuples, néanmoins l’autorité du Roi ne vient point du peuple, mais de Dieu seul... ; ce n’est pas le seul consentement des peuples qui fait, les rois, c’est la communication que Dieu leur fait de sa royauté et de sa puissance qui les établit rois légitimes et qui leur donne un droit véritable sur leurs sujets[26] ». Bossuet inculque au Dauphin, son élève, que « les rois sont des dieux, qu’ils participent en quelque façon à l’indépendance divine[27] ». Boileau écrit à Racine qu’un prince tel que Louis « est vraisemblablement inspiré du Ciel, et toutes les choses qu’il dit sont des oracles[28] » ; en sorte que Voltaire donne bien la vérité moyenne lorsqu’il écrit que vers la fin du  XVIIe siècle, « la plupart des Parisiens, nés sous le règne de Louis XIV, regardaient un roi comme une divinité[29]. »

Du Parlement, il n’était plus question. Corps judiciaire qui s’était arrogé des fonctions politiques, le Parlement ne revendiquait plus sa part, si modeste qu’on consentît à la lui faire, dans le gouvernement de l’État. Si ses flatteurs lui avaient dit qu’il était « institué principalement pour cette cause et cette fin de réfréner la puissance absolue dont voudraient user les Rois[30] », la dure réalité lui apprenait qu’il n’avait désormais qu’à se taire et à obéir. Pris individuellement, ses membres étaient accessibles aux opinions libérales, antipathiques au despotisme, compatissants aux misérables, ce qui les avait entraînés maintes fois dans des cabales hostiles à la Cour. Mais, de leur part, toute opposition était viciée du fait que par l’acquisition de leurs offices ils ne pouvaient se hausser au ton qui appartient aux seuls élus du peuple. De plus, les attributions dont ils se réclamaient très haut avaient été des concessions souvent extorquées à la faveur des troubles de l’État, ou bien le prix de complaisances ou de services sur la nature, l’étendue et la réalité desquelles personne n’était fixé. « Puissance seconde » disait-on, « auguste Sénat », terme vagues qui garantissaient mal des coups répétés sous lesquels le Parlement semblerait bientôt anéanti.

C’est que, de même que les États-Généraux, en 1614, le Parlement sous la Fronde avait manqué l’occasion de faire compter avec lui. Une confiance passionnée montait vers « messieurs » qui n’v savaient pas répondre, tandis que la Cour, toujours vigilante et vindicative, saisissait les moindres occasions qui s’offraient à elle. Le 21 octobre 1652, déclaration royale faisant « très expresse inhibition et défense aux gens tenant notre Cour du Parlement à Paris de prendre à l’avenir aucune connaissance des affaires générales de notre État et de la direction de nos finances[31] ». Le 13 avril 1655, visite royale interdisant toute délibération sur les édits présentés car « chacun sait, dit le Roi, combien vos assemblées ont excité de troubles dans mon État et combien de dangereux effets elles ont produits[32] ». Le 8 juillet 1661, arrêt du Conseil d’en haut rappelant « aux compagnies qui se disent souveraines » que toute justice émane du Roi, que tout conflit de juridiction lui appartient, que les Compagnies ne sont instituées que pour rendre justice aux sujets[33]. Enfin, le 22 décembre 1665, le Roi donne le coup de grâce. A l'issue du lit de justice, quelques conseillers ayant demandé à rouvrir la délibération sur les édits qui venaient d’être enregistrés[34], et pendant que le président de Lamoignon s’employait à apaiser les esprits, Louis XIV lui-même prescrivit la convocation des Chambres. « Je sus, écrit-il, que le Président, pensant me faire un grand service, pratiquait avec soins divers délais, comme si les assemblées des Chambres eussent encore quelque chose de dangereux. Mais pour faire voir qu’en mon esprit, elles passaient pour fort peu de chose, je lui ordonnai moi-même d'assembler le Parlement, et de lui dire que je ne voulais plus que l’on parlât des édits vérifiés en ma présence, et de voir si l’on oserait me désobéir, car enfin je voulais me servir de cette rencontre pour faire un exemple éclatant ou de l’entier assujettissement de ma Compagnie, ou de ma juste sévérité à la punir[35]. » Après que le premier président eut parlé, toute la Compagnie demeura dans le silence, et, après quelque temps, personne n’ouvrant la bouche, M. Le Coigneux, président de la Tournelle, se leva, et chacun le suivit, l’un après l’autre, et ainsi la Compagnie se sépara sans qu’il y fût dit une seule parole, la consternation paraissant sur le visage de tous[36].

Et ce silence ne suffit pas encore. Deux ans plus tard, au mois d’avril 1667, une ordonnance supprima, en fait, le droit de remontrances. A l’avenir, toute ordonnance sera enregistrée par les Cours aussitôt après sa réception. Un délai est accordé pour faire parvenir au Roi des représentations ; à l’expiration de ce délai, les ordonnances seront réputées publiées[37]. Ce délai est une concession vite retirée. Une ordonnance du 24 février 1673 prescrit l'enregistrement préalable. Sans aucune exception, les Cours devront enregistrer édits, ordonnances et déclarations immédiatement après leur réception ; c’est seulement lorsque l’enregistrement sera acquis qu’elles pourront présenter leurs observations[38]. Le Parlement tenta d’obtenir ce délai qu’on lui retirait, il lui fallut obéir, et D’Aguesseau constate que depuis ce jour on ne trouve plus aucun exemple de remontrances jusqu’à la mort du Roi[39].

Pendant plusieurs années, la France, fascinée par les victoires et la magnificence de Louis XIV, adhéra sans réserve et avec enthousiasme, à l’absolutisme royal, trouvant en lui sa sécurité, sa force, et on doit le dire : sa fierté. Le Roi n’a plus qu’à constater son triomphe : « Il est constant, dit-il en s’adressant à son fils, que dans l’État où vous devez régner après moi, vous ne trouverez point d’autorité qui ne se fasse honneur de tenir de vous son origine et son caractère ; point de corps, de qui les suffrages osent s’écarter des termes du respect ; point de compagnie, qui ne se croie obligée de mettre sa principale grandeur dans le bien de votre service et son unique sûreté dans son humble soumission[40] ». Au Roi seuil, désormais « s’adressent tous les vœux, Un seul reçoit tous les respects, lui seul est l’objet de toutes les espérances. On ne poursuit, on n’attend, on ne fait rien que pour lui seul, tout le reste est rampant, tout le reste est impuissant, tout le reste est stérile[41].

Grand prêtre du culte royal, Louis XIV possède lui-même la foi que rien n’effleure et impose autour de lui le dogme auquel nul ne contredit. S’il n’a jamais dit : « L’État, c’est moi », c’est que Bossuet se chargeait d’écrire que « tout l’État est en lui[42], et c’est que le ministre Jurieu protestait au nom des protestants du royaume qu’il n’en est point « qui ne vénère et qui n’adore » cette image que Dieu a posée de lui-même sur la terre[43]. Le culte royal aboutit à l’idolâtrie du Roi qu’« on ne se contente pas de comparer à Dieu, on l’y compare d’une manière où l’on voit clairement que Dieu n’est que la copie[44] », et « qui considérera que le visage du Prince fait toute la félicité du courtisan, comprendra un peu comment voir Dieu peut faire toute la gloire et tout le bonheur des saints[45] ».

Que pèsent désormais, en présence d’une majesté qui confine à la divinité, toutes les garanties jadis imposantes : Lois fondamentales, États-Généraux, Parlements ? Louis XIV n’est pas éloigné d’apercevoir le simple rappel de leurs prétentions comme une attaque à ses droits et l’idée d’y souscrire lui apparaît sous l'aspect d’une faute de conscience. Parlant de ce « pouvoir qu'un peuple assemblé s’attribue, plus vous lui accordez, dit-il, plus il prétend ; plus vous le caressez, plus il vous méprise, et ce dont il est une fois en possession est retenu par tant de bras que l’on ne le peut arracher sans une extrême violence ; en sorte que le Prince qui veut laisser une tranquillité durable à ses peuples et sa dignité tout entière à ses successeurs ne saurait trop soigneusement réprimer cette audace tumultueuse[46]. » Non content de réduire au silence les Parlements, en matière politique, le pouvoir royal essaie de leur refuser toute collaboration dans la confection des Ordonnances générales sur la procédure civile, l’instruction criminelle, etc.[47] ; sa rancune pour le passé n’a d’égale que sa vigilance pour l’avenir. En 1697, des instructions envoyées aux intendants leur demandent d’« examiner toute la conduite du Parlement [de leur province] pendant la minorité du Roi... ; si elle a été mauvaise, savoir... si en un temps pareil elle demeurerait bonne[48] ».

Il ne suffit pas d’avoir réduit à néant les États-Généraux et réduit les Parlements au silence, il existe encore d’autre foyers d’opposition qu’une circonstance inattendue peut raviver. Le Clergé de France s’inspire parfois de maximes gallicanes entièrement favorables aux prétentions de la royauté, parfois aussi il consulte et ménage la Cour de Rome, laquelle « ne cherche, au dire de Louis XIV, que les prétextes et les occasions d’entreprendre, [et] ce qu’elle obtient par la nécessité des temps et dans les conjonctures où l’on croit avoir besoin de la ménager, est  ensuite regardé comme un droit[49]. » Aussi toute la politique religieuse tend à relâcher le lien disciplinaire qui rend trop tenace la résistance offerte par l’Église de France aux entreprises du pouvoir royal[50]. En tout ce qui n’est pas de foi, lit-on dans un écrit inspiré par lui, « c’est l’Église qui est dans l’État et non pas l’État dans l’Église,... et l’Église est subordonnée à l’État[51]. »

La Noblesse plus endettée et plus besogneuse que le Clergé se laissa asservir par nécessité et par vanité, car on tirait vanité de vivre des « bienfaits » du Roi et sous ses yeux, c’est-à-dire sous sa surveillance. Les grandes charges de Cour, compliquées de survivances, étaient venues à bout de « domestiquer » les plus rétifs et les plus turbulents. Pour les incorrigibles il ne restait que la retraite et l’oubli au fond d’une province, suprême disgrâce. Par cette Cour, Louis XIV achève l’œuvre de sa politique, c'est moins une Cour qu’une clientèle. Les princes du sang y donnent l’exemple de la soumission ; les nobles rivalisent entre eux de servilité. « Toute la France », comme ils disent, est là, saluant, marchant, piaffant, frondeurs repentis, fils de frondeurs oublieux ou ignorants d’un passé dédaigné. Les chefs, les comparses, tous doivent comparaître afin de ne pas s’attirer cette condamnation : « C’est un homme que je ne vois pas. » Le point d’honneur du Roi est d’avoir « grosse Cour », il l’aura, mais elle lui coûtera cher. Ainsi qu’on avait vu, à Rome, les empereurs nourrir la populace, on voit le roi de France nourrir sa noblesse ruinée.

Il en coûtait au service : achat de charges, équipement, réceptions consumaient tout l’avoir et les terres, l’une après l’autre, châteaux et maisons, changeaient de propriétaire. Le désordre et les dettes achèvent d’abîmer les fortunes qu’aucun travail, métier ou négoce, ne permettait de relever. Réduits aux expédients, les gentilshommes jouaient, faisaient des dettes, se mésalliaient, et comme ces expédients ne suffisaient point, ils s’adressaient au Roi. Lui disposait d’un très grand nombre de bénéfices, il les distribua avec plus de calcul que de discernement, mais accrut sa clientèle d’obligés faméliques, en sorte qu’il est possible que le Concordat de 1516 « qui mit dans les mains du prince la collation des biens ecclésiastiques » valut peut-être à la monarchie, nantie de ce fonds presque inépuisable, une prolongation d’existence de plus de deux siècles. De féodale devenue courtisane, la noblesse se précipita vers toutes les servitudes, se disputa toutes les gratifications. Ce qui palpitait encore de fierté et d’énergie s’apaisa dans cette mendicité[52].

Le Tiers-État n’était pas redoutable et on lui mesurait, goutte à goutte, l’influence. Laborieux et riche il était confiné et comme parqué dans le sentiment de sa dépendance. L’accès du pouvoir ne lui était consenti qu’à la condition de se sentir toujours prêt à en être précipité. « Il fallait faire connaître au public, par le rang même où je prenais [les ministres], que mon dessein n'étant pas de partager mon autorité avec eux, il m’importait qu’ils ne conçussent pas eux-mêmes de plus hautes espérances que celles qu’il me plaisait de leur donner[53] ».

Dans les provinces survivent quelques vestiges d’indépendance. Beaucoup de villes ont conservé les institutions symboliques de la vie républicaine du temps passé : un corps municipal composé de magistrats désignés à l’élection, une milice locale armée tant bien que mal mais par ses propres moyens, des attributions de justice et de police, une administration autonome répartissant les produits de l’octroi. Les hobereaux avaient été réduits à l’inaction dans les campagnes lorsque les villes continuaient à se gouverner. Plusieurs subsistent jusqu’à la fin du XVIIe siècle, offrant les caractères de petites démocraties soucieuses d’élire leurs magistrats responsables, de défendre leurs droits traditionnels et jalouses de leur indépendance. Malheureusement des plaintes s’élèvent contre les friponneries dont se rendent coupables ces officiers locaux : à Saint-Quentin, à Bordeaux, à Issoudun, à Dijon, ailleurs encore, mayeurs, jurats, consuls, sont coupables des pires tripotages : en Provence, ils volent ; dans le Dauphiné, ils pillent ; et les communes n’émettent d’autre vœu que d’en être délivrées. Le Roi s’empresse de leur donner, sur ce point, satisfaction, et, en 1683, peu de jours avant la mort de Colbert, un édit consacre la mise en tutelle administrative des municipalités. En 1692, les élections sont abolies, les charges municipales vendues, dans chaque ville, à quelques habitants. Les États provinciaux étaient moins déchus, il fallut plus d’efforts pour les réduire, mais on y parvint.

Ainsi les dernières années du siècle marquent le nivellement complet des institutions et des individus dans l’État où un seul pouvoir subsiste, la royauté, un seul maître, le Roi. Sous sa main se forme, au centre du royaume, un corps administratif d’une puissance singulière, le conseil du Roi[54]. Son origine est antique, mais la plupart de ses fonctions sont de date récente ; c’est tout à la fois notre Cour de cassation et notre Conseil d’État : judiciaire et administratif. Plus encore, il légifère sous le bon plaisir du Roi, tempère ou aggrave les lois existantes, fixe le montant et détermine la répartition de l’impôt. L’impulsion part de lui vers les agents supérieurs du gouvernement et le mouvement remonte vers lui de tous les pouvoirs secondaires. Cependant il n’a point de juridiction propre ; il s’efface devant la décision du Roi. Ceux qui le composent sont d’origine trop modeste pour porter la parole en leur nom, mais ils savent par expérience tous les détours et subtilités de la pratique des affaires et de la vanité des hommes. Puisque personne en France ne contredit plus aux ordres du Roi, le Roi donnera ses ordres rédigés par son conseil ; à ce prix on obtient tout ce qu’on exige et le conseil souvent, exigera tout et l’obtiendra. C’est à ces prodiges d’endurance qu’aboutit le despotisme.

En face du conseil du Roi prend place le contrôle-général, le premier gouverne et administre, le deuxième exploite et tous les deux travaillent à effacer cadres, souvenirs et droits du temps passé afin de mettre la France entière en la main du Roi. On est venu à bout de l’opposition parlementaire, on lassera l’indépendance provinciale. Déjà celle-ci a renoncé à la lutte armée, ensuite à la résistance ouverte, elle recourt maintenant à la force d’inertie dont viendra rapidement à bout la circonscription créée nouvellement et qu’on nomme : « généralité ».

La « généralité » avait pour objet l’exploitation financière du royaume et l’administration publique presque tout entière. La création de ces cadres nouveaux était presque aussi hardie que sera le découpage en départements en 1790. On vit une même province, — la Normandie, par exemple, — donner naissance à plusieurs « généralités », et telle « généralité », — celle de  Tours, — empiéter sur le Maine et sur l'Anjou[55]. On atteignit au nombre d’une trentaine de « généralités » mises chacune sous l'autorité d’un intendant à qui appartient toute la réalité du gouvernement. « Personne n’a été supprimé pour leur faire place, mais ils prennent à peu près la place de tout le monde[56]. » Devant eux, les gouverneurs de province ne possèdent plus qu’un titre sonore, des honneurs ruineux et des appointements mal payés ; les corps de justice ne se sentent plus à l’abri d’une dénonciation que suivra la réprimande. L'intendant est un homme du commun, sans famille et sans relations dans la province, envoyé par le ministre qui l’a tiré du conseil d’État le voyant jeune, intelligent et ambitieux. Le reste, c’est-à-dire son avenir, dépend de lui. Il est dans la province, l’émanation du conseil d’État dont il possède presque tous les pouvoirs et il opère par le moyen des subdélégués, ses commis qui lui doivent tout. « Le royaume de France, disait Law à d’Argenson est gouverné par trente intendants. Vous n’avez ni parlement, ni États, ni gouverneurs ; ce sont trente maîtres des requêtes commis aux provinces de qui dépendent le malheur ou le bonheur de ces provinces, leur abondance ou leur stérilité[57] ».

Vers la fin du règne, chaque intendant entretient dans chaque chef-lieu d’élection et dans chaque bailliage un subdélégué dont la résidence symbolise et réalise à la fois l’omniprésence de l’autorité royale. Le despotisme règne partout sans contrôle, mais non sans appel.

 

II. — Que la tradition libérale survécut à la liberté.

Entre la séance du Parlement du 22 décembre 1665 et la séance du 2 septembre 1716 le silence n’est pas troublé une seule fois dans les « Compagnies ». Cependant des murmures et des menaces se font entendre au-delà des frontières, des avertissements s’élèvent sur divers points du royaume[58]. « Les grands ne sont grands que parce que nous les portons sur nos épaules, nous n’avons qua les secouer pour en joncher la terre. » Les privilèges « ne sont que des ombres et des toiles d’araignée qui ne mettent à l’abri de rien[59] ». Ces violences de langage s’expliquent par l’excès des maux infligés aux Français réduits à fuir la France pour garder leur croyance religieuse ; mais ces imprécations dépassent le but. Si des discussions se poursuivent sur la nature, l’origine et l’étendue du pouvoir royal, ce sont des exercices académiques, parfaitement inoffensifs, où, d’un commun accord, le droit divin et le droit populaire sont confinés en d’inaccessibles lointains historiques, au berceau de sociétés imaginaires. Et voici que, soudain, éclate une révolution populaire. A Londres, en 1688, le peuple chasse un monarque, le, remplace, et change l’ordre dynastique. Il n’est plus question maintenant de théories et de situations irréelles, mais de faits concrets, d’intérêts immédiats et de personnages contemporains. Un problème de droit public a surgi, le problème de la souveraineté nationale.

Le ministre Jurieu, que la persécution ouverte de ses coreligionnaires a rendu aux réalités, s'érige en théoricien du droit de Guillaume d’Orange et de ses sujets. Tout de suite la querelle s’allume. Bossuet, Arnauld, Pierre Bayle s’enflamment. Jurieu leur réplique, expose, avec fougue et précision, la théorie de la souveraineté absolue de la nation[60]. « Les peuples, à l’entendre, font les rois et leur donnent leur puissance. Or, la cause doit être, en quelque sorte, plus noble que l’effet ; les rois assurément sont au-dessus des peuples, mais aussi les peuples, à certains égards, sont au-dessus des rois... Le peuple lait les souverains. Donc le peuple possède la souveraineté, et la possède dans un degré plus éminent ; car celui qui communique doit posséder ce qu’il communique d’une manière plus parfaite[61]. » En résumé, écrit Jurieu, « le peuple est la source de l’autorité du souverain ; le peuple est le premier sujet [en qui] réside la souveraineté ; le peuple rentre en possession de la souveraineté aussitôt que la personne ou les familles à qui il l’avait donnée viennent à manquer ; le peuple enfin est celui qui fait les rois[62]. » Pour terminer et par une jolie malice, Jurieu rappelle comment on se débarrassa des deux premières dynasties françaises sans attendre la disparition des héritiers maies. Toutes ces assertions consternaient les uns, révoltaient les autres. Mais « où donc est cette prétendue souveraineté du peuple que vous prônez depuis quelques mois, interrogea Pierre Bayle ; cette chimère favorite, le plus monstrueux et en même temps le plus pernicieux dogme dont on puisse infatuer le monde ?[63] » — « On ne peut pas plus bassement ni plus indignement flatter la populace », gronde Bossuet, qui voit « le fondement des empires renversé » par de semblables théories[64], sans parvenir à ébranler sérieusement la doctrine qu’il essaie de réfuter[65]. L’auteur anonyme des Soupirs de la France esclave est plus hardi encore. « Le Roi, dit-il, a pris la place de l’État... ; le Roi est tout et l’État n’est rien[66] » ; mais l’Angleterre, redresseuse des torts, va intervenir. Grâce à elle, la France recouvrera ses « anciennes libertés », substituera le gouvernement aristocratique à la monarchie.

Cette littérature passionnée trouvait des échos parmi les Réfugiés, mais aussi en France, en dépit des sages et des timides. A partir de l’année 1690, le revirement d’opinion devient perceptible[67]. En 1692, on peut noter un indice nouveau : une petite académie composée de treize associés forme le dessein de tenir chaque mardi une séance chez l’abbé de Choisy, au Luxembourg, pour discuter des sujets de morale et des questions politiques. Ces réunions ne se soutinrent pas une année entière. En matière de politique, la simple curiosité prenait un air d’opposition. Bayle et Saint-Evremond ne pouvaient parler ou écrire qu’à la condition de s’expatrier. Quelques années se passent et, en 1695, Fénelon  s’enhardit à écrire à Louis XIV une lettre fameuse, véritable réquisitoire qui n’épargne pas plus les ministres que le souverain de qui la royauté repose « sur les ruines de toutes les conditions de l’État » ; en sorte que « vos peuples, lui dit-il, que vous devriez aimer comme vos enfants et qui ont été jusqu’ici passionnés pour vous, meurent de faim. La culture des terres est presqu'abandonnée ; les villes et les campagnes se dépeuplent ; tous les métiers languissent et ne nourrissent plus les ouvriers. Tout commerce est anéanti... Au lieu de tirer de l’argent de ce pauvre peuple, il faudrait lui faire l’aumône et le nourrir. La France entière, n’est plus qu’un grand hôpital désolé et sans provisions... Vous êtes importuné de la foule de gens qui demandent et qui murmurent. C’est vous-même, Sire, qui vous êtes attiré tous ces embarras ; car, tout le royaume ayant été ruiné, vous avez tout entre vos mains, et personne ne peut plus vivre que de vos dons... Pendant qu’ils manquent de pain, vous manquez vous-même d’argent et vous ne voulez pas voir l’extrémité où vous êtes réduit... Vous craignez d’ouvrir les yeux ; vous craignez qu’on ne vous les ouvre ; vous craignez d’être réduit A rabattre quelque chose de votre gloire. Cette gloire, qui endurcit votre cœur, vous est plus chère que la justice, que votre propre repos, que la conversion de vos peuples, qui périssent tous les jours des maladies causées par la famine[68]. » En cette même année 1695 paraît le Détail de la France de Boisguilbert et peu après, à l’instigation de Fénelon[69], le duc de Bourgogne, son élève, sollicite et obtient de Louis XIV l'ouverture d’une enquête étendue à toutes les « Généralités » du royaume sous la direction et la responsabilité des Intendants.

Le petit volume de Boisguilbert passa si complètement inaperçu lors de son apparition que l’enquête des Intendants, en 1697, doit d’abord retenir l’attention. L’éducation du duc de Bourgogne avait réuni quelques-uns des hommes les plus vertueux et les plus capables du royaume : Beauvilliers, Chevreuse, Fénelon, et les sous-précepteurs étaient dignes de leur être comparés ; mais l'inspirateur de tout ce qui s’accomplit fut Fénelon, qui relégué dans son archevêché de Cambrai, après 1696, resta présent, en esprit, dans ce cénacle de réformateurs dans lequel sera introduit un peu plus tard le duc de Saint-Simon. De ce groupe qui gravite autour de l’héritier désigné de la monarchie sortent des écrits profonds ou amers. C’est qu’il s’y rencontre des réformateurs en arrière aspirant à rétrograder vers une constitution primitive imaginaire, vers un régime féodal-libéral leur invention ; il s’y rencontre aussi des réformateurs en ava progressifs hasardeux, conseillant des institutions dont le moindre tort eut été d’être improvisées. Entre le duc de Saint-Simon et l’abbé de Saint-Pierre tous s’accordent dans la critique du régime et suggèrent des transformations plus ou moins radicales et promptes. Tous dénoncent le pouvoir ministériel, l’invasion de la bureaucratie, l’avilissement des Conseils. L’idée de faire retomber la responsabilité des maux de l’État sur les ministres, souvent, exprimée par Fénelon et par Saint-Simon, sera avidement recueillie par le XVIIIe siècle et aura son écho dans les Cahiers de 89.

Avec les ministres, les intendants partagent l’animadversion des réformateurs qui dénoncent la fiscalité, la violence qui règne partout tarissant la richesse, détruisant la confiance. Même plaie à l’extérieur qu’au dedans. La politique Etrangère du Roi est parvenue à rendre l’Europe entière hostile à la France ; la guerre ne s’apaise que pour renaître parce que les Etats « n’espèrent plus de sécurité qu’en mettant un prince belliqueux dans l’impuissance de leur nuire ». Le peuple a besoin de la paix, il la demande, ainsi que la liberté commerciale et les réformateurs y ajoutent la liberté politique, telle qu’ils la conçoivent.

Pour comprendre l’importance durable de ces plans de réforme élaborés par Fénelon, il est nécessaire de se rappeler que si, pendant quelques mois, on put croire qu’ils seraient appliqués intégralement, leur abandon par suite de la mort du duc de Bourgogne, n’empêcha pas qu’ils exerçassent une influence capitale sur toute la philosophie et la politique du XVIIIe siècle[70]. Le prestige de Fénelon fut grand et durable sans doute, mais son autorité fut réelle. La séduction des idées et le charme du style survivaient à l’homme et plaidaient en faveur du prélat. Vivant, il avait su imposer sa transcendance à deux jeunes hommes d’un mérite éminent mais aussi dissemblables entre eux que le jour et la nuit : le duc de Bourgogne et le duc d’Orléans[71]. Absent, il avait su imposer à son élève la ferme volonté de « connaître à fond l’état du royaume » tant au dedans qu’au dehors[72] ; il lui avait suggéré l’enquête officielle de 1697 dont le programme fut dressé par le prince lui-même âgé de quinze ans[73].

Il n’est pas exagéré de dire que toute l’histoire économique du XVIIIe siècle est comme encadrée par ces deux monuments inestimables : Les Rapports des Intendants en 1697 et les Cahiers de 1789. Les quarante-deux volumes de format in-folio, dont le duc de Bourgogne s’imposa l’étude assidue, contiennent des documents précieux bien que, au dire du comte de Boulainviller[74], les Intendants se soient « arrangés de façon que la conscience du prince n’en pût être éclairée, ni son jugement instruit »[75]. Ils en disent assez néanmoins pour que cette lecture laisse sur lui une impression ineffaçable. Le voilà bien loin du Télémaque dans les pages duquel le maître à esquissé l’entreprise audacieuse de former le futur maître de la France très différent de son maître actuel.

Entre le Télémaque et les Tables de Chaulnes vingt ans se sont écoulés et dans cet intervalle Fénelon a résumé ses vues politiques dans l’Examen de conscience sur les devoirs d'un Roi, dans sa Correspondance avec le duc de Chevreuse, dans ses Entretiens avec Ramsay, enfin surtout dans le Plan de gouvernement, rédigé au mois de novembre 1711.

Tandis que « Bossuet, avec tout son génie, n’a pas vu que la machine se détraquait, n’a pas douté un seul instant de la perpétuité de la monarchie, Fénelon, plus clairvoyant, entendait les sourdes plaintes des peuples ; à la Cour même il avait démêlé ce qu’avait de fragile ce colosse monarchique. Il avait fait le diagnostic de la maladie mortelle de la royauté[76] ». Cependant « violer les droits de la subordination établie est, selon lui, un crime de lèse-majesté divine ; vouloir renverser la supériorité des rangs, réduire les hommes à une égalité imaginaire, envier la fortune et la dignité des autres, ne se point contenter de la médiocrité et de la bassesse de son état, c’est blasphémer contre la Providence, c’est attenter sur les droits du souverain père de famille qui donne à chacun de ses enfants la place qui lui convient[77] ». Ceci n’est point, assurément, doctrine révolutionnaire. Il y a plus : Fénelon refuse aux particuliers le droit de rien entreprendre sur la forme du gouvernement « sans le concours de la puissance souveraine », sinon pense-t-il, il n’existera « plus de règle fixe pour arrêter l’inconstance de la multitude et l’ambition des esprits turbulents, qui entraîneront sans cesse la populace sous le prétexte spécieux de réformer l’État et de corriger les abus. « Aucune révolte n’est tolérable, même contre les princes injustes : les juger, c’est se précipiter du despotisme dans l’anarchie à laquelle le régime monarchique est préférable[78].

Fénelon ne doute pas que tous les gouvernements portent « au dedans d’eux-mêmes les semences d’une corruption inévitable, et de leur propre chute et ruine[79] ». Ainsi donc ceci tuera cela. Ce que, par dessus tout, pendant un règne et dans une Cour pénétrés d’absolutisme, réclame Fénelon, ce qu’il inculque à son élève, ce sur quoi il revient sans se lasser, ce sont les « règles certaines », les « maximes de gouvernement », les souffrances du peuple. Il lui rappelle qu’un roi « peut tout sur les peuples, mais les lois peuvent tout sur lui. Il a une puissance absolue pour faire le bien, et les mains liées dès qu’il veut faire le mal. Les lois lui confient le peuple comme le plus précieux de tous les dépôts, à condition qu’il sera le père de ses sujets... Ce n’est point pour lui-même que les dieux l’ont fait roi ; il ne l’est que pour être l’homme des peuples[80] ». Ainsi les lois sont au-dessus des rois.

La religion aussi et ils ne doivent pas inquiéter ceux qui ne pensent pas comme eux-mêmes. « Sur toutes choses, recommande-t-il, ne jamais forcer ses sujets à changer leur religion. Nulle puissance humaine ne peut forcer le retranchement impénétrable de la liberté du cœur. La force ne peut jamais persuader les hommes ; elle ne fait que des hypocrites. Quand les rois se mêlent de religion, au lieu de la protéger, ils la mettent en servitude. Accordez donc à tous la liberté civile, non en approuvant tout comme indifférent, mais en souffrant avec patience tout ce que Dieu souffre, et en tâchant de ramener les hommes par une douce persuasion ». C’est au fils de Jacques II que s’adressent ces avis, mais le petit-fils de Louis XIV pouvait profiter à les recueillir.

La critique du gouvernement n’inspire pas seule les maximes de Fénelon qui voit plus haut et plus loin que l’état présent du royaume. Cette Salente idéale n’est pas irréelle, les règlements que son législateur lui destine ne soulignent pas seulement des erreurs, ils suggèrent des progrès. Rendre les paysans prospères sinon riches c’est le meilleur moyen de peupler le royaume parce que « presque tous les hommes ayant l’inclination de se marier, il n’y a que la misère qui les en empêche »[81]. Instaurer la liberté du commerce, nouveauté audacieuse qui apparaît dès le Télémaque : à Salente « tout y était apporté et tout en sortait librement » — et qui reparaît dans les Tables de Chaulnes. Instaurer la décentralisation par « l’établissement d’Etats particuliers dans toutes les provinces, comme en Languedoc »[82]. Rétablir l’association entre la royauté et la nation, inculquer à celle-ci le sentiment que ce pourquoi elle peine et elle souffre ce sont ses propres affaires. « Alors chacun dirait en soi-même :

Il n’est plus question du passé, il est question de l’avenir ». Plus de guerre, assez de conquêtes, la paix ! Tel est le cri de Fénelon pendant ces funestes années de la guerre de succession d’Espagne. « Il faudrait qu’il se répandît dans toute notre nation une persuasion intime et constante que c’est la nation elle-même qui soutient le poids de la guerre... Notre mal vient de ce que cette guerre n’a été jusqu’ici que l’affaire du Roi[83] ».

On a vu que le premier cri d’alarme de Fénelon fut jeté l’année même où Boisguilbert publiait un petit volume de format, in-12, ne comptant que 215 pages, et intitulé : Le Détail de la France, la cause de la diminution de ses biens, et la facilité du remède en fournissant en un mois tout l’argent dont le Roi a besoin et enrichissant tout le monde. L’auteur de cette panacée merveilleuse était président et lieutenant-général au baillage et siège présidial de Rouen. Après avoir traversé la littérature sans succès et l'agriculture avec gros bénéfices, Boisguilbert « sans rien faire de dérogeant à [s]a naissance, ni à la qualité d’honnête homme » s’était trouvé en mesure d’acheter des charges. Sa position de fortune n’en avait pas été améliorée et se trouvant atteint personnellement, dans une forte mesure, par la politique économique du gouvernement il puisa dans son tempérament agité et dans ses intérêts compromis le courage de dénoncer les causes de la désolation du pays en même temps qu’il trouva dans son expérience des remèdes à appliquer. Réputé extravagant, difficile à vivre, « incompatible », Boisguilbert ne redoute pas les conflits, il semble parfois les rechercher, en tout cas il ne fait jamais rien pour les éviter ou pour les apaiser ; aussi est-il servi à souhait. En quelques années il a réussi à se rendre hostiles le gouverneur de la province, l’intendant, la municipalité, le corps des marchands. Dénoncé au contrôleur-général il laisse dire, prend l’offensive, envoie mémoires sur mémoires, obtient d’être reçu par le ministre et lui débite tout ce qu’il a dans la tête et sur le cœur. Renvoyé chez lui, il se met à écrire. Comme le mal auquel il propose des remèdes ne fait qu’empirer après la désastreuse récolte des années 1693 et 1694, Boisguilbert rédige son premier ouvrage d’économie financière, ce Détail de la France qui, malgré ses quatre éditions, passa à peu près inaperçu, malgré le sous-titre assez factieux : La France ruinée sous le règne de Louis XIV, par qui et comment, avec les moyens de la rétablir en peu de temps[84].

Boisguilbert gardait l’anonymat et son livre s’imprimait sur une presse clandestine, mais l’auteur ne cherchait ni gloire ni profit, il se tenait pour satisfait pourvu qu’il dénonçât au peuple les causes de sa misère : la guerre, les traitants, les intendants, les ministres, et il se flattait que cette dénonciation serait, quelque jour, mise sous les yeux du Roi. La présence dans l’ancienne bibliothèque de Versailles d’un recueil d’extraits tirés du Détail de la France[85] autoriserait la supposition que le vœu de l’auteur fut accompli ; on sait d’ailleurs que Louis XIV ne se dérobait pas à la connaissance d’une situation dont il ne pouvait méconnaître la gravité chaque jour accrue[86].

En thèse générale, Boisguilbert voulait prouver que la richesse ne consiste pas dans l’abondance des métaux précieux, mais dans celle des denrées commerçables ; que, revenu et consommation étant une même chose, pour activer celle-ci et augmenter celui-là, il n’est besoin que de la liberté et d’une loyale concurrence, exempte d’égoïsme et de cupidité. Aux ministres qui vivent dans les anciennes erreurs et prolongent l’agonie de la France, il indique ces voies de salut : la liberté dans le Commerce, l’égalité dans l’impôt. La réforme est des plus aisées, elle n’exige ni révolution ni bouleversement, à la seule condition de venir d’en haut, et, si Louis le Grand le veut bien, la France réparera toutes ses pertes, triplera ses revenus, fournira les millions indispensables au soutien de la guerre et à l’obtention de la victoire contre l’Europe coalisée.

Plus calculateur que raisonneur, Boisguilbert débute avec calme, expose avec logique, puis s’emporte, s’étourdit, s’échauffe ; ii ne raisonne plus, il invective ; il ne réfute pas, il condamne ; il ne prouve pas, il affirme et voulant trop affirmer finit par faire remettre tout en question. Sans doute, il a dix fois raison de soutenir que la mauvaise assiette et l’inéquitable répartition de l’impôt font un tort immense au royaume et au roi ; que la fausse appréciation du rôle que l’argent est appelé à remplir dans la circulation cause bien des mécomptes et porte préjudice au développement économique de l’État ; que les entraves apportées au commerce des grains sont nuisibles à toutes les classes de citoyens. Ce sont là, à cette date de 1695, des innovations, presque des découvertes. Mais Boisguilbert décrit certains maux auxquels il attribue la misère du peuple, sans paraître s’apercevoir qu’ils n’en sont pas, même dans leur réunion, les seules et uniques causes. Ses remèdes sont également trop particuliers et inopérants pour les misères à guérir. Absorbé par les thèses qu’il soutient, Boisguilbert ne paraît rien voir et rien savoir en dehors d’elles. La désastreuse influence des fausses mesures et des détestables pratiques économiques n’a pas été seule à conduire le royaume au bord de l’abîme. D’autres erreurs et d’autres crimes coopéraient à cette funeste situation. Le dépeuplement et l’appauvrissement des campagnes, la disparition et l’exode des capitaux ou encore d’iniques mesures telles que la levée des milices et la persécution des protestants. Les exactions des troupes, les prodigalités des bâtiments ne semblent pas avoir été aperçues par Boisguilbert.

Boisguilbert ne se fait pas l’apologiste du régime dont il condamne certains excès ; on doit regretter toutefois le silence calculé qu’il s’impose sur telles mesures, lui qui déborde sur d’autres sujets. Il n’est pas douteux que ces ménagements ne soient voulus et on l’en doit blâmer. Impitoyable aux ministres disparus de la scène, il abuse de l’indulgence pour les ministres en place et cette diplomatie aide à comprendre en quelle piètre estime Boisguilbert était tenu par Vauban qui fit sa connaissance en 1694[87].

Les voyages continuels, les séjours que le service du Roi imposait à Vauban dans les pays frontières avaient révélé au maréchal l’étendue des maux dont souffrait le royaume. Dès l’année 1688 il semble s’en être ouvert à Louvois qui le reçut fort mal, ce qui ne le détourna pas d’observer et de réfléchir sur ce qu’il voyait. On sait qu’il rencontra plusieurs fois Boisguilbert, mais il leur fallut s’entourer de mystère. En 1696, Vauban s’enhardit à proposer au Roi un système de taxes progressives qui fut repoussé ; alors il se rejeta sur l'imposition « la plus légale et la plus productive » qu’il nomme « dîme royale sur toutes les natures de revenus » et consacra près de trois années à la préparation et à la rédaction de son Projet. A peine terminé, le manuscrit en fut envoyé au Contrôle général et au Roi[88] (fin 1699). « Sujet à trop d’inconvénients », le Projet ne reçut aucune suite et Boisguilbert, heureux de faire sa cour et de dénigrer un émule, s’empressa d’en adresser au Contrôle-général une réfutation en règle. Stimulé par son échec, Vauban employa trois années de plus à retoucher la forme de certains passages sans modifier, le fond de son travail ; en 1701, les corrections étaient terminées et, en 1706, il résolut de donner quelque publicité à son livre.

La situation de l’État s’aggravait d’année en année, l’inquiétude devenait poignante, Boisguilbert et Vauban se résolurent presque en même temps à faire appel au public. Dix années auparavant « il y avait encore, pour ainsi dire, de l’huile dans la lampe ; ... aujourd’hui tout a pris fin faute de matières[89] » écrit Boisguilbert dans son Factum de la France, ou moyens très faciles de faire recevoir au Roi quatre-vingts millions par-dessus la capitation, praticable par deux heures de travail de MM. les ministres et un mois d'exécution de la part des peuples, sans congédier aucun fermier général ni particulier, ni autre mouvement que de rétablir quatre ou cinq fois davantage de revenu à la France, c'est-à-dire plus de 500 millions sur plus de 1.000 anéantis depuis 1661, parce qu’on fait voir clairement, en même temps, que l’on ne peut faire d'objection contre cette proposition, soit par rapport au temps et à la conjecture, comme n’étant pas propre à aucun changement, soit au prétendu péril, risque, ou quelques autres causes que ce puissent être, sans renoncer à la raison et au sens commun ; en sorte que Von maintient qu'il n'y a point d'homme sur la terre qui ose mettre sur le papier une pareille contradiction et la souscrire de son nom sans se perdre d'honneur, et qu'on montre en même temps l'impossibilité de sortir autrement de la conjoncture présente[90]. Ce Factum — où il y a bien du fatras — n’est qu’une paraphrase du Détail de la France, mais exaspérée, ne ménageant plus personne, prodigue d’impertinences, et il est suivi d’un livret fort court, brochure d’une quinzaine de pages intitulées Supplément au Détail de la France[91], écrit plein de feu et d’entrain, ultimatum éloquent et emporté qui déchaîna les colères et consomma la disgrâce de Boisguilbert, frappé par arrêt du Conseil le 14 février 1707.

Un autre arrêt du même jour atteignait Vauban. Celui-ci n’ignorait pas les risques que la publication de son livre pouvait lui faire courir, il les bravait par dévouement au bien public. Lorsqu’il fut averti que deux ballots de bonnes feuilles imprimées étaient arrivés de Rouen (?) le maréchal les alla chercher aux portes de Paris, les transporta dans son carrosse et les ramena furtivement chez lui. La reliure imposa des précautions analogues et quelques exemplaires à peine avaient été distribués à des amis lorsque le chancelier, averti, fit condamner le livre[92]. A ne considérer que la nouveauté des idées et l’audace des remèdes Vauban laissait Boisguilbert loin derrière lui.

Tous deux demandaient le rétablissement de la dîme, mais Vauban faisait de celle-ci la base de tout son système financier, les impôts maintenus n’étant qu’accessoires. Boisguilbert n’y voit qu’un supplément utile seulement pour valoir au Roi un superflu de quatre-vingts millions de revenu qui le mettra à l’aise, lui permettra des dépenses de luxe et l’extinction progressive de sa dette. Après l’avoir déclarée « ridicule dans la proposition et impossible dans l’exécution[93] », Boisguilbert se décida à faire entrer la dîme dans ses projets de réforme financière.

« Vauban, le plus honnête homme de son siècle, avait fort l’air de guerre, en même temps un extérieur rude et grossier, pour ne pas dire brutal et féroce ; il n’était rien moins : jamais homme plus doux, plus compatissant, plus ménager de la vie des hommes ». Avare de son temps et de ses paroles, il trouvait aux chiffres une signification plus éloquente qu’à l’éloquence même et ce furent les chiffres, les lamentables statistiques qu’enregistrait son cahier de notes, qui gonflèrent son cœur et lui mirent la plume à la main. Devant les chiffres qui lui révèlent la grandeur des maux du peuple, Vauban trouve des paroles chaleureuses, une langue abondante et imagée pour traduire sa commisération. Pour entendre ce qu’il a consigné dans le Projet de dixme royale et dans les Oisivetés, il faut parcourir les nombreux Mémoires où il a consigné les réflexions d’une intelligence qui s’appliquait à tout. C’est là qu’on saisit comme les palpitations d’un cœur qui ne battait que pour la gloire du Roi et la félicité de ses peuples.

Au cours de ses voyages d’inspection militaire, Vauban ne néglige aucun détail, il voit, interroge, prend note, suggère des travaux à entreprendre, observe les méthodes agricoles, lit tout ce qu’il peut atteindre. C’est la lecture du Détail de la France qui a démontré à Vauban par de fortes raisons et posée comme un principe de sagesse et de richesse publique, la règle de la proportionnalité de l’impôt ; néanmoins l’influence de Boisguilbert ne s’est exercée que très peu sur la pensée de Vauban. Entre ces deux hommes animés d’un grand amour pour le peuple, les points de contact sont rares, les tempéraments diffèrent, mais le but reste identique. Tous deux demandent la réforme de l’impôt afin de voir cesser des rigueurs abominables et d’insupportables vexations. Le soulagement du peuple est aisé à obtenir ; il suffit de le laisser tirer profit pour lui-même de son bien et de son travail, ainsi il enrichira le pays en s’enrichissant lui-même. Boisguilbert possède un sentiment plus positif et une connaissance plus pratique des nécessités économiques d’un grand peuple et des lois fondamentales de la richesse ; il s’oppose à toute violence faite à la nature. Vauban a plus d’émotion, de grandeur et de génie, il croit plus à l’action du Roi qu’à celle des lois économiques. Vauban et Boisguilbert sont tous deux grands, tous deux supérieurs à leur époque, tous deux annonciateurs de l’ère nouvelle ouverte en 1789.

L’idéal social de Vauban s’arrange d’une exacte discipline et d’une hiérarchie fixée ; toutefois il veut une aristocratie ouverte, recrutée parmi les capacités, admise à commercer sans dérogation à son rang et cessant d’être confinée dans le service militaire. C’est que le Roi n’a pas seulement besoin d’une armée pour la guerre, il lui faut posséder une armée pour la paix, laborieuse, entreprenante, économe de ses deniers mais non de ses efforts, instruite des ressources et des besoins du royaume et de ceux des divers États. Vauban, qui ne sépare pas la royauté de la France, entrevoit les avantages que le Roi peut attendre d’une administration exacte, rapide, honnête et intéressée au progrès de la richesse générale. Des statistiques annuelles, méthodiques, lui apprendront chaque année le nombre de ses sujets, l’état de ses affaires en sorte que d’un coup d’œil il verra le progrès accompli ou le déchet survenu. S’il faut prendre des mesures énergiques, il n’y a rien de bon à attendre des bouleversements.

Vauban ne s’est pas élevé jusqu’à la notion de la liberté du travail et de l’indépendance professionnelle, premier besoin de l’économie politique. Il n’a pas non plus pressenti la puissance économique de la solidarité internationale des peuples et du développement du commerce extérieur ; du moins, a-t-il réclamé par de bonnes raisons pour le commerce intérieur les avantages d’une très grande liberté et le développement des moyens de transport. Ses idées sur le commerce avec l’Etranger sont timides, ce sont les idées de son temps, et sur le rôle de la monnaie dans les changes il est imbu des maximes du système mercantile. Il faut augmenter à tout prix la quantité d’argent qui se trouve dans le royaume, la prospérité est là et n’est que là. L’État peut et doit fixer le prix du blé grâce aux approvisionnements de ses greniers d’abondance. Le royaume ressemble à une vaste place de guerre dont le Roi assure la subsistance et les colonies ne sont que des villes de garnison, détachées au loin, et qu’oppriment les compagnies coloniales.

Ce qui se trouve de timide et de caduc dans ces conceptions ne doit pas donner le change sur ce qui s’y trouve, pour l’époque, de révolutionnaire. Ni Pontchartrain ni d’Argenson ne s’y sont trompés en condamnant cette Dixme royale que ne protégeaient même pas les services, la gloire et la popularité de son auteur. Sur un point encore Vauban rompait avec les maximes du gouvernement de Louis XIV. « Les rois, disait-il, sont maîtres des vies et des biens de leurs sujets, mais non de leurs opinions, parce que les sentiments intérieurs sont hors de leur puissance et Dieu seul les peut diriger comme il lui plaît ». La politique religieuse avait privé le royaume de quatre-vingts à cent mille personnes ayant emporté avec elles trente millions de livres « de l’argent le plus comptant » ; elle avait désorganisé certaines industries, compromis l’avenir de beaucoup de manufactures, il fallait savoir reconnaître l’erreur commise et la réparer : « Il faut, concluait Vauban, rappeler les huguenots à pur et à plein[94] ».

Pour porter sur des questions moins directement rattachées au gouvernement, les préoccupations de Boisguilbert et de Vauban formaient, en quelque manière, un des aspects techniques de la réforme libérale méditée par Fénelon et une préparation aux vœux économiques dont s’inspireraient les physiocrates du XVIIIe siècle et les rédacteurs des Cahiers de 1789.

C’est un des symptômes les plus manifestes de la réaction qui s’opère dans les esprits contre l’absolutisme que de pouvoir grouper des esprits et des tempéraments aussi divers que ceux de Fénelon, de Vauban et de Saint-Simon, un homme d’église, un de guerre et un homme de cour. Saint-Simon est devenu un de nos grands classiques après avoir été un incorrigible mécontent et un réformateur dédaigné. Imbu des idées de sa caste au moins autant que de son mérite personnel, il s’abandonne aux préjugés aristocratiques avec l’intransigeance d’un croyant aux vérités dogmatiques. Mais cet homme pétri de vanité et d’orgueil ne laisse pas de songer au soulagement du peuple et à l’intérêt général. On le verra écrire au cardinal de Fleury afin de l’apitoyer sur ce peuple, n’ayant à cela, a-t-il soin de dire, d’autre intérêt « que celui de la charité publique, le bien de l’Etat, l’honneur du Roy et l’acquit de sa conscience ». Pour se bien instruire de ce dont il veut parler, il a regardé et écouté « les curés et autres gens seurs[95] ». Mais il n’a pas attendu l’heure de la disgrâce définitive pour observer et s’instruire et son amertume soigneusement répandue à huis clos et canalisée dans ses manuscrits ne semble pas trop surprise ni alarmée de se trouver au diapason de l’opinion publique. Celle-ci commence à s’en prendre à la personne du Roi. Il y eut à Paris des placards injurieux et « une multitude de vers et de chansons où rien ne fut épargné[96] », et Saint-Simon s’entretient souvent de la situation difficile de l’État avec le duc de Beauvilliers et avec le duc de Chevreuse ; son système politique est en partie inspiré par le spectacle des événements contemporains, il marque une réaction consciente contre les institutions du despotisme.

Au même degré que Fénelon, il abhorre la politique de conquêtes grâce à laquelle un monarque « acquiert un grand prestige, il fait trembler ses voisins, il leur fait la loi, mais c’est aux dépens de son royaume ; tandis qu’au dehors tout retentit de ses exploits, de la terreur qu’il imprime, de la gloire qui l’environne et qu’il augmente chaque jour, tout au dedans gémit et pleure ; ses peuples accablés périssent de faim et de misère, et, indépendamment des revers si communs dans les armes, ce prince laisse un Estat ruiné et la haine et la jalousie de ses voisins pour héritage »[97]. Comme Fénelon encore il condamne la centralisation bureaucratique et le pouvoir arbitraire des intendants[98] ; mais par-dessus tout il déplore l'avilissement de la noblesse et son exclusion du gouvernement. Volontiers il ne verrait dans la noblesse que les ducs et pairs[99], mais il consent à y faire place à des gentilshommes pourvu que ceux-ci se résignent au second rang. Le premier acte d’un gouvernement réformateur devra être le rétablissement de la hiérarchie nobiliaire, la fixation des préséances, un conseil aura pour fonction de dissiper « l'extrême confusion qui s’est établie entre les rangs ». Création destinée dans sa pensée à « guérir les Français de celle lèpre d’usurpation et d’égalité qui séduit et confond tous les états et toutes les conditions[100] ».

Désormais plus d’anoblissements, suppression d’un grand nombre de charges inutiles qui font « un peuple entier anobli pour de l’argent[101] », ce qui « écrase le peuple, sur qui est nécessairement rejetée la taille, les logements de guerre et toutes les autres charges de l’État » ; seuls les services militaires pourront légitimer de nouveaux anoblissements[102]. Artistes, lettrés, savants ne doivent jamais avoir accès à la noblesse, pas plus que négociants et magistrats. Tout ceci n’est que puéril, mais c’est le seul remède que Saint-Simon songe à appliquer à cette « confusion prodigieuse » qui ne « lui présente plus qu’un chaos dont la face épouvante[103] ». A ce prix il espère restaurer l’ancienne tradition.

Amené à changer le présent afin de restaurer le passé, il épargne l’autorité royale garantie par la loi salique dont la force ne peut s’éteindre qu’avec la dynastie, et alors il lui faut reconnaître que « la disposition de la couronne appartiendra à la nation[104] ». Mais peut-être n’est-il entraîné à cet aveu que par sa haine à l’égard des légitimés que cette loi salique rend inhabiles à succéder. Comme la plupart des contemporains, Saint-Simon n’admet pas la possibilité concrète de l’extinction de la dynastie, et il va son train, réformateur irréel plus encore qu’idéal.

« L’inapplication de la noblesse accoutumée à n’être bonne à rien qu’à se faire tuer... et à croupir dans la plus mortelle inutilité[105] » ne le détourne pas de lui destiner la plus lourde tache et la plus accablante responsabilité. « Établissez, dit-il au Roi, comme dans tous les païs policés de l’univers des conseils sur chaque matière principale, sur le gouvernement de vos provinces, sur vos finances, sur les affaires estrangères, sur la marine militaire et politique, sur les matières ecclésiastiques de Rome et du clergé[106] ». Avec le temps, son programme se précise et il arrive à combiner sept conseils ressortissant tous au Conseil d’État composé du Roi et de cinq ministres « dont aucun ne sera de robe ni de plume et n’en aura jamais été[107] ».

Saint-Simon déteste l’absolutisme royal au point d’être amené à parler avec bienveillance d’une république comme la Hollande ou d’une monarchie constitutionnelle comme l’Angleterre[108]. Mais jamais il n’ira jusqu’à proposer l’adoption d’institutions libérales ; comme garantie contre le despotisme, il n’imagine et ne consent rien autre chose que la puissance de l’aristocratie.

Les Parlements, composés de roturiers qu’il méprise et de légistes qu’il hait, n’ont rien à espérer de lui, ils seront confinés dans leurs attributions judiciaires[109]. Quant aux États-Généraux « ils ne furent jamais, écrit-il, qu’une assemblée de remontrants et de plaignants sans pouvoir que de délibérer les moyens d’augmenter ou de changer les impôts, lorsque les rois ont bien voulu et à chaque fois le leur permettre ; et, le tout, sans que jamais les rois ayant été tenus de se conformer à leur avis ni à leurs requêtes[110] ». S’il lui arrive, dans un jour d’embarras, d’envisager un recours à ces états ce sera pour leur nuire et les discréditer. Ces États sont surtout « un grand nom qui séduit quelques personnes, un leurre auquel on peut prendre la nation et une multitude  ignorante qui les croit revêtus d’un grand pouvoir, tandis que le moindre nombre est instruit qu'ils n’ont aucun pouvoir par leur nature, simples plaignants et suppliants[111] ». Ceci n’est guère libéral, mais on ne peut refuser à Saint-Simon la clairvoyance lorsqu’il prévoit ce qu’une convocation des États-Généraux peut entraîner d’embarras. « Leur nom, dit-il, est d’autant plus grand qu’il n’a paru qu’en éloignement depuis un grand nombre d’années et il sera difficile de les faire se tenir à de simples remontrances, et de les amener à ne délibérer que sur les objets qui leur seront soumis. Le manque absolu de confiance réglera le fond et la forme des demandes, et la nation, en vue du soulagement qu’elle attend, se mettra tout entière du côté des États. » Ici, à quels désordres ne sera-t-on pas exposé. « Quelle confusion dans les propositions contradictoires qui se produiront ! Et qu’on ne dise pas qu’il y aura dans cette assemblée une foule de bonnes têtes remplies d’expédients : le malheur, et non la faute de la nation gouvernée depuis tant d’années sans avoir presque le temps ni la liberté de penser que chacun a ses affaires domestiques, ne peut pas permettre d’espérer qu’il se soit formé dans ce long genre de gouvernement un assez grand nombre de gens pour l’administration des affaires publiques, à travers les périls attachés à cette sorte d’application, et le dégoût de l’inutilité qui s’y trouvait jointe. »

Le grief de Saint-Simon contre les États-Généraux tient à leur constitution en trois Ordres entre lesquels il faut partager le pouvoir politique dont il exclut le clergé et la bourgeoisie. Cependant il ne les supprime pas, car ils sont anciens, mais il les annule. On leur présentera la loi qu’ils voteront par acclamation sans avoir eu le loisir ni le droit de la discuter. Dès lors, c’est pure bonté que de les convoquer tous les quatre ans ; il est vrai que, réduits au nombre de trente-six députés, ils ne représentent plus rien ni personne.

Des États particuliers, au nombre de douze, diviseront la France en autant de régions égales « non en étendue, mais en produit ». Les États de chaque région s’assembleront annuellement « pour administrer son commerce et sa finance ». Chacun des trois Ordres y enverrait douze députés et la présidence serait déférée à un lieutenant-général qui ne s’occuperait que de la police et n’assisterait pas aux délibérations. Les sessions se prolongeraient six semaines, sans mélange de fêtes et de banquets[112]. Toute l’administration de la région dépendrait de ces États particuliers qui exerceraient le contrôle financier le plus rigoureux et, à cet effet, aurait dans ses attributions, la nomination des trésoriers. Chacun de ces États particuliers déléguerait trois de ses membres aux États-Généraux à qui « on présenterait l’état des sommes à lever pour le Roi et les besoins de l’État » ; ils n’auraient qu’à voter ce budget, enguirlandé de très humbles remontrances sur l’issue desquelles ils ne devaient entretenir aucune illusion, se tenant prêts à « recevoir avec obéissance et soumission tout ce qu’il plairait au Roi de répondre et de statuer ».

Annulés au point de vue politique, les États-Généraux conserveraient une sérieuse influence en matière d’administration. A eux appartiendrait la répartition des impôts entre les douze provinces et, dans chacune d’elles, la répartition serait confiée aux États particuliers. Les trésoriers généraux seraient nommés par le Roi, mais on soumettrait leur nomination aux États-Généraux, devant lesquels ils rendraient leurs comptes. Dans l’intervalle des sessions, rassemblée serait représentée par trois députés en Cour, qui correspondraient avec les trois députés permanents de chaque assemblée provinciale. Pour Saint-Simon, les États-Généraux ne doivent être que les agents de la réforme financière : grâce à eux, on évitera les exactions et les brigandages qui accablent le royaume[113].

Dès le mois de juin 1711, deux mois à peine après que le duc de Bourgogne était devenu Dauphin de France et entré plus avant dans la confiance du Roi, la rumeur courait et arrivait jusqu’à Rome que Fénelon allait rentrer d’exil et être investi de quelque autorité[114]. Lui-même pouvait croire le moment tout proche de reparaître et d’initier de vive voix son élève à ces conseils qu’il allait lire furtivement et remettre dans leur cachette chez M. de Beauvilliers. Afin de n'être pas pris au dépourvu par les événements et de se trouver à pied d’œuvre sans plans arrêtés et concertés d’avance, Fénelon correspondait avec le duc de Chevreuse qu’il se destinait, sans doute, pour collaborateur ; ils jugèrent plus prudent de s’aboucher, la réunion eut lieu à Chaulnes, entre Roye et Péronne, au mois d’octobre. Fénelon s’y attarda un mois. Pour mettre de la méthode dans leurs délibérations, il avait par avance prescrit à son ami de préparer « des espèces de tables » contenant toutes les questions qu’ils voulaient résoudre ; elles ont gardé le nom de Tables de Chaulnes et le titre pompeux de Plans de gouvernement concertés avec le duc de Chevreuse pour être proposés au duc de Bourgogne[115]. Cette pièce fut, par les soins du duc de Beauvilliers communiquée au Dauphin.

Fénelon avait formé son élève à entendre de pénibles vérités. « Autrefois, lui disait-il, le Roi ne prenait jamais rien sur les peuples par sa seule autorité : c'était le Parlement, c’est-à-dire l’assemblée de la nation qui lui accordait les fonds nécessaires pour les besoins extraordinaires de l’État. Hors de ce cas, il vivait de son domaine. Qu’est-ce qui a changé tout cela sinon l’autorité absolue que les rois ont prise[116] ? » Ce despotisme les a conduits à nommer besoins de l’État leurs propres prétentions, et « si vous aviez des prétentions personnelles pour quelque succession dans les États voisins, vous devriez soutenir cette guerre sur votre domaine, sur vos épargnes, sur vos emprunts personnels ou, du moins, ne prendre à cet égard que les secours qui vous auraient été donnés par la pure affection de vos peuples, et non pas les accabler d’impôts pour soutenir des prétentions qui n’intéressent pas vos sujets, car ils ne seront pas plus heureux, quand vous aurez une province de plus[117] ». C’est le spectacle donné par la guerre désastreuse de succession d’Espagne qui provoque cette amertume à la vue du précipice où la France semble prête à tomber. « Si je prenais, dit-il encore, liberté de juger l'état de la France par les morceaux du gouvernement que j’entrevois sur cette frontière [à Cambrai], je conclurais qu’on ne vit plus que par miracle, que c’est une vieille machine délabrée qui va encore de l’ancien branle qu’on lui a donné et qui achèvera de se briser au premier choc[118]. » La misère et l’escroquerie subsistent seules. « Il paraît une banqueroute universelle de la nation. »

Quels remèdes y apportent les Tables de Chaulnes ? Fénelon propose la création d’une sérié d’assemblées. Un premier type sera installé dans chaque diocèse avec mission de fixer l’assiette des impôts et d’en régler la prescription conformément au cadastre. Un deuxième type d’assemblée constituera les États dans chacune des vingt provinces à créer, elle se composera de députés des trois Ordres ayant mission de « policer, corriger, destiner les fonds », ce qui permettra de proportionner les impôts aux ressources du pays, d’abolir la gabelle, les cinq grosses « fermes » la capitation et le « dixième ». Un troisième type sera l’assemblée des États-Généraux auxquels chaque diocèse déléguera un évêque, un noble et un roturier élus chacun par son Ordre. Les États-Généraux exerceront le contrôle sur les actes des deux assemblées inférieures, voteront la levée des subsides, discuteront les projets d’ordre militaire ou naval, corrigeront les abus. Leur convocation sera triennale et la durée de leur session illimitée. L’unification administrative, la réforme de l’impôt, la politique Etrangère, la gestion des intendants relèveront de leur compétence ; l’abolition des justices seigneuriales, de la survivance des charges et des pensions de Cour, la répression de la vénalité des offices de judicature, la révision des coutumes provinciales, la rédaction d’un Code unique leur seront dévolus, — et c’est déjà toute l’esquisse du programme que remplira l’Assemblée Constituante. Une place privilégiée encore, mais déjà plus exclusive est faite à l’aristocratie. Fénelon entrebâille la porte par où se glissera la démocratie. « Il faudrait, écrit-il au duc de Chevreuse, que le Roi entrât en matière avec un certain nombre de notables des diverses conditions et des divers pays. Il faudrait prendre leurs conseils... J’avoue qu’un tel changement pourrait émouvoir trop les esprits et les faire passer tout d’un coup d’une dépendance absolue à un dangereux excès de liberté. C’est par la crainte de ces inconvénients que je ne propose point d’assembler les États-Généraux, qui, sans cette raison, seraient très nécessaires et qu’il serait capital de rétablir ; mais comme la trace en est presque perdue et que le pas à faire est très glissant dans la conjoncture présente, j’y craindrais de la confusion. Je me bornerai donc d’abord à des notables que le Roi consulterait l’un après l’autre » ; ce qui serait une façon de « se ressouvenir de la vraie forme du royaume[119] ».

Pendant les années qui suivirent la mort soudaine du duc de Bourgogne, le nom de ce prince servit de recommandation à des plans de gouvernement auxquels il n’avait eu peut-être aucune part. Saint-Simon a laissé un mémoire volumineux sur les Projets de gouvernement résolus par M. le duc de Bourgogne, dauphin, après y avoir mûrement pensé[120]. En réalité, ce mémoire n’a point été écrit par lui comme, par moments, il le donne à croire, sous la dictée du prince dont il n’eût été en quelque sorte que le secrétaire. Composé plus de deux ans après la mort du Dauphin[121], il peut renfermer quelques opinions de celui-ci parmi beaucoup d’autres qu’il n’a peut-être jamais examinées avec son interlocuteur[122]. Si fréquentes et prolongées qu’on suppose les conversations de l’héritier du trône avec le duc et pair, — et comme elles étaient mystérieuses le nombre en a dû être forcément limité, — il n’est pas possible d’admettre que tant de questions et de si diverses aient été abordées et décidées entre eux et par eux dans l’espace de moins d’une année (avril 1711-février 1712). Lors donc que Saint-Simon se sert, presque à chaque page de ces formules : le Dauphin voulait..., le Dauphin a jugé à propos..., le Dauphin s’est résolu..., il s’en fait manifestement accroire, et cette prétention ne saurait être acceptée.

Saint-Simon ne fut pas au reste le seul à recourir à ce procédé. Quand l’abbé de Saint-Pierre fit paraître en 1725, son Discours sur la Polysynodie et en 1732 son Projet pour perfectionner le gouvernement des États, il en usa de même. « Il était, dit-il en parlant de celui qu’il appelle feu le Dauphin Bourgogne, un prince très appliqué à la science du Gouvernement, qui demandait aux hommes les plus vertueux et les plus habiles des mémoires pour bien gouverner, qui mettait à part et apostillait de sa main ceux qu’il approuvait pour les relire et les perfectionner. Or il n’est pas étonnant que quelques-uns de ces projets qu’il approuvait aient été connus de quelques personnes à qui il avait confiance...[123] » Et l’abbé s’empresse de publier comme approuvés par le duc de Bourgogne la Polysynodie ou gouvernement par les conseils, l’Aristomonarchie, scrutin perfectionné qui servirait à la fois d’Anthropomètre aux rois pour mesurer la valeur de leurs sujets, et de Bazilimètre aux sujets pour mesurer la valeur de leurs rois. Le comte de Boulainvilliers n’hésite pas à représenter le duc de Bourgogne comme « lui ayant mis la plume à la main » et le préambule de l’Édit de 1715, instituant les Conseils, assure que le projet en fut trouvé dans la cassette du duc de Bourgogne.

Il y eut ainsi une véritable exploitation attachée au souvenir du duc de Bourgogne qui studieux, réservé, « tâchait à connaître les hommes, à tirer d’eux les instructions et les lumières qu’il pouvait espérer. Il conférait quelquefois, mais rarement avec quelques-uns, mais à la passade, sur des matières particulières... Il se laissait aller sur les plans qu’il croyait nécessaires ; ii se livrait sur les choses générales ; il se retenait sur les particulières et plus encore sur les particuliers[124] ». Les quarante-deux volumes in-folio de l’enquête des Intendants lui avaient dû apprendre entre autres choses qu’interroger les fonctionnaires sur ce qui se passe dans leurs services n’est pas une manière très sûre d’atteindre la vérité, il lisait donc beaucoup, recevant de toutes mains car « quand il n’y aurait, disait-il, qu’une seule observation judicieuse dans un volume entier de spéculations chimériques, on ne doit pas regretter le temps qu’on a passé à le lire[125] ». Parfois une main inconnue s’enhardissait à déposer sur la table de travail du Dauphin un mémoire où les conseils étaient mélangés de vives critiques sur l’administration actuelle du royaume[126].

Le prince travaillait beaucoup, écrivait, et une partie de ses papiers trouvés, après sa mort, dans son bureau et sa cassette, fut détruite par Louis XIV[127] ; parmi ce qui échappa, l'abbé Proyart publia ce qui fut trouvé dans la succession du Dauphin fils de Louis XV, mais il semble qu’il « n’eut pas les coudées franches » et « qu’une conclusion pratique manque presque toujours aux maximes, aux principes cités » par ce biographe semi-officiel[128]. Ce qui nous a été conservé du duc de Bourgogne ne s’éloigne guère des considérations générales et n’arrive pas jusqu'aux propositions concrètes. À quelles résolutions pratiques se fut-il arrêté ? On ne saurait le dire puisqu'on ignore, là où il y avait matière à hésitation, de quel côté il penchait. Mort avant de régner, il s’y préparait par une réflexion assidue, il se préoccupait d’exercer son pouvoir avec justice et dans l’intérêt de son peuple : malheureusement nous ne savons par aucun document émané directement de lui quelles limites il entendait de lui-même imposer à ce pouvoir.

Saint-Simon l’a entendu dire maintes fois : qu’un roi est fait pour les sujets et non les sujets pour lui, « mot de père de la Patrie », bien en garde contre le despotisme. Mais dans quelles institutions entendait-il chercher une garantie contre la tyrannie, le despotisme ou la liberté ? Son biographe assure qu’à ses yeux « après le secours du ciel, rien n’était plus nécessaire à un roi qu’un ami fidèle... un ami généreux et sincère, un ami bien éprouvé qui soit autorisé et même obligé sur la foi de l'amitié de l’avertir quand il s’écarte de ses devoirs et que le mal se fait en son nom, sans qu’il y ait part ou qu'il l’ignore[129]. Et comme un ami fidèle est lui-même sujet à erreur et peut ne pas être au courant de tout, le Dauphin voulait encore qu’un roi cherchât la vérité dans le commerce des personnes qui peuvent l’en instruire, et qu'il l’accueille de quelque manière qu’elle lui soit présentée, lors même que ce ne serait pas avec ces ménagements que souhaiterait l'amour-propre. »

Mais un ami fidèle n’est pas une institution, Saint-Simon, suspect, lorsqu’il attribue au Prince ses propres desseins, peut être tenu pour sincère lorsqu’il dit formellement que le duc de Bourgogne était « ami des États-Généraux[130] » ; il est moins recevable lorsqu’il lui fait honneur d’avoir toujours pensé « que ce corps ne peut être qu’un corps de plaignants, de remontrants, et, quand il plaît au Roi de le lui permettre, de proposans[131] ». Fénelon, dans les Tables de Chaulnes se fait des États une conception très différente. S’il ne les assemble que tous les trois ans et leur refuse le pouvoir législatif, il leur reconnaît le droit de délibérer « sur les fonds à lever par rapport aux charges extraordinaires » et celui d’étendre « par voie de représentations » leurs délibérations sur toutes les matières de justice, de police, de finance, de guerre, d’alliances et négociations, de paix, d’agriculture, de commerce[132] » ; enfin, il ne limite pas la durée de leur session.

Le duc de Bourgogne eut-il partagé ces vues ? Il préférait les entretiens particuliers aux délibérations d’apparat, ne connaissant rien, disait-il, « de plus ignorant qu’une assemblée de savants ni de moins clairvoyant qu’une assemblée de sages » en sorte que « celui qui n’était que dans l’obscurité avant de consulter, se trouve dans les plus épaisses ténèbres, après l’avoir fait[133] ». Professant sur les assemblées cette opinion un peu dédaigneuse, il n’est pas probable qu’il eût pris son parti, comme le lui aurait proposé Fénelon, d’associer les États-Généraux à son administration, quoique Saint-Simon dise encore qu’il se serait servi de leur réunion, au moins comme moyen d’information et qu’il se serait plu « dans le sein de sa nation rassemblée ».

Ce qui n’est guère contestable c’est que le Prince eût rétabli les États provinciaux là où ils avaient été abolis, il eut supprimé les Intendants remplacés par des visiteurs. Sur ce point les Tables de Chaulnes et les Projets de gouvernement sont d’accord, en sorte que cette importante réforme eut été certainement appliquée, changeant la face et la marche générale de l’administration. Cet essai de décentralisation eut été complété par le transport à des conseils administratifs des pouvoirs accaparés par les ministres. Prôné par Saint-Simon, Chevreuse et Fénelon, le système des Conseils avait été adopté par le Dauphin et le projet tout rédigé en fut trouvé dans sa cassette[134], mais c’est tout ce qu’on en peut dire puisqu’il n’a pas été conservé.

Désireux de relever la noblesse, il lui réservait les principaux sièges de l’épiscopat, tenant pour « certain que la religion a quelque chose de plus respectable aux yeux du vulgaire quand il la voit annoncée par un homme de naissance ». Toutefois il reconnaissait que « c’est servir l’Église que d’élever à l’épiscopat des ecclésiastiques d’un mérite reconnu et d’une éminente sainteté, lors même qu’ils seraient des roturiers, car les talents et la vertu peuvent tenir lieu de la plus haute naissance. » De même il estimait avantageux que chaque régiment possédât un officier sorti du rang et rappelait avec satisfaction l’exemple donné par lui lorsqu’il avait promu un sergent au grade de capitaine.

Hostile à tous ceux qu’il voyait s’enrichir au milieu de la ruine générale, il éclatait un jour à l’occasion de l’impôt du dixième en sorte que « le feu et les malédictions lui sortaient des yeux et de la bouche[135] ». Le système des « fermes » l’indignait. « Emprisonner pour une modique somme un misérable, réduit à ne pouvoir la payer parce qu’il aura essuyé une longue maladie, ou parce qu’il sera chargé d’élever un troupeau d’enfants qui mangent du pain sans en gagner, c’est, disait-il, une cruauté que personne n’est autorisé à exercer au nom du Roi[136]. » Aussi se prononce-t-il nettement pour que les grêles, les inondations, les incendies, les épizooties donnent lieu à des modérations ou à des exemptions de subsides. Il se préoccupait aussi d’une plus juste répartition des charges publiques et accueillait toute pensée de réforme qui lui apparaissait équitable et judicieuse. On ignore ce qu’il pensait de l’universalité de l’impôt mise en avant par Boisguilbert et Vauban, mais on l’entendit dire : « J’aime à entendre raisonner Vauban... Ses vues sur les impositions publiques me paraissent offrir nombre d’avantages réels. »

Pénétré du sentiment de ses obligations envers Dieu, le duc de Bourgogne n’était pas éloigné de se croire tenu de lui amener les âmes de ses sujets et, pour y mieux réussir, de les tenir à l’abri de l’erreur. S’il n’allait pas jusqu’à approuver l’ingérence du magistrat dans la pratique religieuse des particuliers, il louait sans réserve la répression publique du blasphème, de la profanation et des écrits impies. La révocation de l’Édit de Nantes obtenait son entière approbation fondée non seulement sur les principes politiques mais les résultats obtenus « sans effusion de sang et sars désordre[137] ». Le retour à une politique de tolérance aurait eu, à ses yeux, le tort « d’imprimer à l’hérésie le sceau de la perpétuité en France ». Hostile aux protestants, il se montrait indulgent aux jansénistes, ayant su, pour ceux-ci, se mettre « en garde contre les accusations vagues et les soupçons mal fondés[138] » ; ce qui donna lieu de dire qu’ils l’avaient « gagné[139] ». On peut regretter, sans en être surpris, que le Dauphin ne se fût pas élevé jusqu’à la notion de la tolérance religieuse et que, partageant les idées de ses contemporains, il considérât, suivant son expression, comme l’un des sept sacrements de la politique, « le devoir d’étouffer dès sa naissance toute espèce de nouveauté en matière de religion » et de punir les novateurs sous prétexte d’épargner leurs futures dupes.

Imbu de cette opinion que « ce serait une très mauvaise politique d’augmenter sans discrétion la classe des gens de lettres[140], on peut prévoir qu’il aurait engagé sur ce point avec l'esprit général du XVIIIe siècle, une lutte dont il ne serait pas sorti vainqueur[141]. On peut regretter aussi que, des réformes qu'il projetait, quelques-unes ne fussent pas assez hardies et que d’autres puissent paraître un peu chimériques. Le souvenir de ces projets réformateurs ne peut laisser indifférent et ce n’est pas un spectacle banal que la préoccupation, chez l’héritier du plus haut potentat de la terre, de réviser l’origine du pouvoir qui lui sera transmis afin d’en limiter l'exercice aux droits incontestables tempérés par les devoirs les plus stricts. On a parlé sans équité des projets éclos et mûris parmi l’entourage du Dauphin, enfant précoce, enfant célèbre, a-t-on écrit, très doué, très appliqué, mais timide, moutonnier, bon élève, le plus brillant des élèves, mais toujours élève[142]. L'éducation avait transfiguré le duc de Bourgogne, l’étude l’avait illuminé, il appartenait au contact des réalités de la vie, à l’expérience, d’achever l’œuvre dont il était permis de tant espérer. A l’heure où la France, épuisée mais encore vivace, pouvait, à l’aide d’institutions nouvelles ou rajeunies, poursuivre sa destinée et trouver sous un régime traditionnel par son principe, moderne dans son application, la prospérité nécessaire, la disparition du Dauphin, guide clairvoyant et énergique, fut la plus terrible disgrâce qui la pût frapper. Par un phénomène bien rare, le peuple eut l'intuition de la grandeur de sa perte et associa longtemps la mémoire du duc de Bourgogne au souvenir d’Henri IV[143]. Il apprit ou il devina tout ce que ce jeune homme portait de compatissante tendresse dans son âme pour ceux en qui il voyait des enfants autant que des sujets ; il ne s'en consola jamais.

Tandis que Louis XIV se complaisait au spectacle de cette formidable machine d’administration toute-puissante pour l’oppression, un prince né de son sang, élevé sous ses yeux, admis dans ses conseils, initié à ses desseins s’était affranchi de la fascination de Versailles, avait prêté l’oreille à la voix plaintive d’une populace en haillons et sans pain, et préparé, résolu même, la destruction pièce à pièce de ce grinçant mécanisme, non par goût de contradiction ou recherche de la popularité, mais par conscience des devoirs contractés envers le peuple et envers l’État. Trop jeune pour avoir étendu ses investigations à tous les objets qui le sollicitaient, trop surveillé pour n’avoir dû s’interdire certaines recherches, trop consciencieux et trop intelligent pour ne pas réparer très vite, le moment venu, ces lacunes et ces insuffisances, le duc de Bourgogne demeure une figure touchante et énigmatique qu’une destinée impitoyable terrasse au moment où tous les yeux et tous les cœurs tournés vers lui en attendaient le salut de la France. De jour en jour, une transformation s’accomplissait en lui, il n’était plus cet homme « engoncé, contraint, embarrassé », il parlait, souriait, s’exprimait avec agrément, parfois avec éloquence, tellement que la Cour, elle-même, le regretta.

 

III. — Que le despotisme laissa la France épuisée.

Louis XIV avait réalisé le plein épanouissement du pouvoir absolu vers lequel, depuis des siècles, tendait la royauté. La misère des peuples fut la rançon d’un éclat qui a ébloui les contemporains et la postérité ; mais cette misère ininterrompue[144] fut si universelle, si effroyable qu’elle commença l’œuvre de lassitude, de rancœur et de sombre désespoir qui fut la première cause des événements d’où devait sortir la Révolution.

Toutes les ressources fondent dans Le creuset de la guerre, ou dans celui des bâtiments. En 1686, Desmaretz avoue que « tout l’argent qu’on a tiré du dedans du royaume et qu’on en tire encore journellement est porté au dehors pour faire subsister les troupes qui sont en Allemagne, en Alsace, en Flandre, en Luxembourg, en Italie, dont il en revient peu en France et fort lentement[145] ». Les finances sont tellement obérées que durant les années 1685, 1686 et 1687, en pleine paix, il a fallu trouver, en sus des revenus habituels, soixante-cinq millions de livres en recettes extraordinaires[146]. C’est à qui fera retomber sur autrui la charge dont on le menace, et on voit « les plus riches et les plus aisés des paroisses, pour se mettre à couvert de la taille, acheter des emplois qui les exemptent, et les plus pauvres demeurent surchargés[147] ». Pour profiter de l’exemption beaucoup se disent nobles qui ne le sont pas ; à Lyon, il suffit de se dire bourgeois[148], et cette qualité est aussi courue qu’ailleurs est recherchée la noblesse. Dans les pays de taille personnelle, qui représentent les trois quarts du royaume, l’arbitraire, la corruption, la fraude accablent tout ce que Vauban nommait « la partie basse du peuple ». En 1684, l’intendant du Dauphiné reconnaît que « les plus riches des communautés, et par conséquent les plus hauts en cote, ne paient presque jamais leur taille jusqu’à la dernière extrémité, parce que les collecteurs, qui craignent toujours de se faire des affaires avec les coqs de paroisse, trouvent moyen de leur épargner les frais de la brigade[149] en les faisant tomber fort injustement sur ceux qui n’y avaient pas donné lieu[150] ». En 1688, l’intendant de Poitiers écrit que « le grand abus des tailles ne vient pas de l’inégalité des impositions sur les paroisses, mais des injustices que commettent les collecteurs[151] ». En plus de la taille, il faut acquitter les frais de contrainte s’élevant au quart de l’imposition ou bien se laisser mettre en geôle dans un cachot, parfois dans un puits asséché où on est descendu au moyen d’une échelle[152]. Ces excès arrivent quelquefois à la connaissance du Roi qui désapprouve « un aussi grand nombre d’emprisonnements, la plupart sans règles ni formalités... sans contraintes ni écrous[153] ». Aussi « c’est une commune voix que la pauvreté des peuples, dans les provinces est fort sensible. Ce n’est pas une chose nouvelle que d’entendre les plaintes de la misère. La plupart des gens sages, ajoute Desmaretz, deviennent à peu près insensibles aux discours qu’on fait sur cela de tous côtés, par l’habitude d’entendre toujours la même chose, mais on peut dire qu’on n’a jamais parlé avec tant de raison de la misère des peuples[154]. »

La répercussion exercée par la politique religieuse sur la situation économique se fait sentir par une aggravation de misère. Le commerce et l’industrie sont frappés par l’émigration des individus et la sortie des capitaux ; le revenu des impôts s’en trouve sensiblement diminué et le recouvrement en est rendu impossible dans certaines localités. Le déchet est si grave qu’il fait suspendre le projet d’expulsion des Juifs du royaume, car le « commerce qui est déjà beaucoup altéré par la retraite des huguenots, pourrait tomber dans une ruine entière si l’on agissait trop ouvertement contre les Juifs[155] ».

Lorsqu’au mois de septembre 1688 éclate une nouvelle guerre, c’est un pays qu’on peut croire épuisé qui va soutenir ce redoutable effort. Le Peletier, en quittant le Contrôle général, ne peut cacher ses appréhensions[156] et il s’adresse au patriotisme des villes avec d’autant plus d’embarras que le Roi voulait « que la chose semblât venir de l’entière liberté des habitants des villes[157] ». Paris et Toulouse donnent l’exemple avec 400.000et300.000livres ; Rouen et Dieppe offrirent ensemble 140.000écus ; Reims, Châlons, Bordeaux, Bayonne, Clermont, Marseille s’exécutèrent à leur tour. La Bretagne « par des batteries adroites et secrètes » offrit des présents considérables[158]. Nantes et Saint-Malo donnèrent chacune 50.000écus, Vannes et Morlaix 100.000 livres. Les parlements, chambres des comptes s’inscrivirent pour des sommes importantes[159]. Le 24 novembre 1688, le président des États du Languedoc écrivait au Contrôle général : « Jugez de la consternation de toute la province : c’est la dernière goutte d’eau qui fait le comble de la mesure[160]. »

Les créations d’office prirent alors le développement d’une calamité nationale. Pontchartrain, élevé au Contrôle général, augmenta le nombre des officiers dans les cours supérieures, pensa à en créer de nouveaux, à étendre le nombre des généralités ce qui entraînait une multitude de charges nouvelles à négocier. On vit apparaître des receveurs et contrôleurs de consignation, des enquêteurs et commissaires examinateurs des greniers à sel, des contrôleurs des actes notariés, des receveurs d’octrois, des médecins et chirurgiens-jurés, des courtiers en vin, des jaugeurs de vin, des jurés gourmets en boissons, des jurés vendeurs de sel à petite mesure, des jurés mouleurs de bois, des jurés crieurs d’enterrements, des greffiers des baptêmes, des marqueurs de chapeaux, etc., etc. Pour tirer de ces créations le plus d’argent possible, on vendit le même office à deux ou trois acquéreurs qui l’exerçaient tour à tour. Dans la plupart des cas, ces offices représentaient une taxe nouvelle et un préjudice croissant pour les populations. Le titulaire ne sachant pas combien tout cela durerait se hâtait, par des perceptions vexatoires, de rentrer dans son déboursé, il y parvenait quelquefois en deux ans.

La confiance était à ce point ébranlée que l’État aguichait les acquéreurs d’offices par divers avantages, en particulier, par l’exemption des impôts. Ce fut, dès lors, à qui se ferait exonérer. Le 28 novembre 1691, M. de Miroménil, intendant de Tours envoyait au Contrôleur général la liste des personnes, privilégiés de nouvelle création, qui prétendaient être exemptés de l’« ustensile » : vingt-cinq officiers des bureaux des finances ; vingt receveurs des consignations, autant de commissaires aux saisies réelles, deux cent trente officiers d’élections, deux cents officiers de présidiaux, bailliages, etc., quinze cents jurés crieurs, cent experts jurés, quatre-vingts procureurs et greffiers des villes, seize cents greffiers des rôles, cinq cents contrôleurs d’exploits[161]. « Dans un an, écrivait le 11 novembre 1692, l’intendant de la généralité de Bordeaux, il n’y aura dans toutes les paroisses que les misérables pour payer les subsides[162]. » Le logement des gens de guerre n’était pas moins redouté. En 1690, les habitants de Gorze « exposent que, pour s’exempter des logements continuels des gens de guerre, presque tous les bourgeois qui avaient quelque chose ont acquis des offices de contrôleurs des exploits, experts-jurés, arpenteurs, greffiers des baptisme, et plusieurs autres dont l’énumération serait trop longue. Les autres habitants cherchent présentement à se mettre à couvert par des commissions pour la distribution des lettres, recette des consignations, distribution de papier timbré, garde du tabac, et autres de pareille qualité. Les fermiers et les traitants ont des arrêts du Conseil qui exemptent en général tous leurs commis[163]. » Dans la ville de Metz, il ne restait plus que deux mille deux cents maisons non exemptes, dont les trois quarts consistaient en boutiques ou chambres basses, de façon que chaque artisan allait avoir à loger six soldats au moins dans son arrière-boutique et à leur donner vingt sols par jour, le bois et la chandelle[164]. Le lieutenant-général en Bretagne, M. de Lavardin, se plaint de son côté de ne plus trouver de logements pour les troupes[165]. L’intendant de Provence dénonce une situation analogue et ajoute que les plus pauvres ne pouvant ni se faire exempter ni loger les soldats désertent la ville à l’approche de l’hiver[166].

En 1685, la paroisse de Saint-Maclou, à Rouen, renfermait cinq mille pauvres[167] ; en 1688, la misère devient si grande que les intendants n’en peuvent retenir l’aveu. En 1691, l’intendant de la généralité de Bordeaux déclare que les paysans, obligés de vendre le blé de la prochaine récolte pour payer la taille, seront sans aucune ressource et déjà « dans presque tous les endroits, il y a plus de la moitié et près des trois quarts qui demandent l’aumône[168] ». A la même date, l’intendant de Limoges se plaint de « la quantité prodigieuse de pauvres qu’il lui faut nourrir[169] » et il en compte six mille. Un mois plus tard, le prince de Condé, gouverneur de Bourgogne, écrit à Pontchartrain : « Je suis obligé de vous dire que j’ay trouvé plus de misère que je ne croyais. Dans tous les villages de la route que j’ay faite, je n’ay pas vu un seul habitant qui ne m’ait demandé l’aumône[170]. »

Le 12 janvier 1692, l’intendant du Limousin annonce que, dans sa généralité, plus de soixante-dix mille personnes de tout âge et des deux sexes seront réduites à mendier leur pain avant le mois de mars[171]. Trois mois plus tard, Pontchartrain est averti que dans la partie de la généralité de Moulins appartenant au diocèse de Limoges — cent dix paroisses —, on compte vingt-six mille individus réduits à la mendicité et cinq mille pauvres honteux[172]. Au mois d’avril l’intendant de Bordeaux lui écrit : « Je ne puis vous exprimer le nombre des paroisses qu’il y a où ceux qui sont le mieux font du pain avec du son ; les autres n’en ont point. Il y a près de trois mois jusqu’à la récolte ; il est à craindre qu’il ne périsse beaucoup de personnes de faim[173]. » Au mois de novembre, Vauban écrivait d’Embrun que les maladies et la faim allaient faire périr les trois quarts des populations du Dauphiné « si le Boy, par sa bonté, ne leur faisait donner ou prester quelque quantité de blé[174] ». Une correspondance du mois de septembre 1693 affirme que « depuis l’année 1690 la plus grande partie des provinces de Tarentaise et de Maurienne ont vécu de coquilles de noix moulues, dans lesquelles les plus aisés habitants ne mêlent qu’un dixième ou environ de farine d’orge ou d’avoine[175] ».

Et voici en quel état se trouve la Normandie. Le 4 mai 1693, le lieutenant-général, M. de Beuvron, écrit à Pontchartrain : « En cette province, la misère et la pauvreté est au-delà de tout ce que vous pouvez vous imaginer, et principalement dans le pays de Caux, qui est le long des côtes de la mer. Une infinité de peuple y meurt fréquemment de faim, et le reste languit et aura le même sort, s’il n’est secouru. Non seulement l’argent y manque pour acheter du blé, mais ceux qui en ont n’en trouvent pas. Beaucoup de ces peuples se sont voulu retirer à Rouen ; on ne peut les y recevoir, la ville étant accablée et surchargée de pauvres ; il y en a vingt-un ou vingt-deux mille à recevoir journellement l’aumône, sur Testât qui en est fait, et plus de trois mille demandant par les rues, et un très grand nombre d’artisans qui, faute de travail et ayant mangé si peu qu’ils avoient, vont être au même état. Le blé enchérit tous les jours, et par conséquent il faut augmenter le prix du pain, ce qui paraît injuste et cruel à ces habitants et aux pauvres, qui n’en veulent on ne peuvent pas concevoir les raisons. Cela les fait crier, comme si c’était un défaut de police, et les met au désespoir, et dont la plupart, n’ayant pas d’argent pour acheter leurs nécessités, ne songent qu’à exciter un pillage pour s’empêcher de mourir de faim. Tout ce qui s’achète pour sortir de la ville est pillé dans la campagne par un nombre infini de femmes et enfants et aussi d’hommes, qui n’ont pas figure humaine. Il faut même avoir toujours du monde sous les armes pour laisser le cours du marché libre et empêcher le pillage, et aussi dans les chemins et aux avenues de la ville, pour la sûreté de ce qui peut entrer ou sortir ; et les rues sont remplies de pauvres familles qui y couchent, sans aucune retraite. Cependant tout cela n’est rien en comparaison de ce qu’il y a dans les campagnes et par tout le pays de Caux, où le blé manque même pour ceux qui ont de quoi l’acheter. On y a donné de bons ordres de la part du Parlement suivant ce qui avait été fait autrefois ; on a défendu aux pauvres de sortir de leurs villages et ordonné une cotisation sur les habitants pour les nourrir, ce qui s’exécute un peu en quelques endroits et qui ne se peut aux autres, où ils n’en ont pas le moyen et deviennent tous aussi pauvres les uns que les autres, et où ils ne peuvent avoir du blé[176]. »

La mortalité devient effroyable. Le 6 juin 1693, on écrit de Limoges : « Il meurt tous les jours un si grand nombre de pauvres, qu’il y aura des paroisses où il ne restera pas le tiers des habitans[177] ; » et le 7 octobre, on avertit que « par la diminution des habitants dont il mourait une prodigieuse quantité non seulement Sans les villes mais dans quasi toutes les paroisses de la campagne » les envois de blé sont devenus moins urgents ; « il y a en effet telles paroisses où il se fait tous les jours dix à douze enterrements[178] ». Dans le Périgord il y a eu soixante mille décès en un an[179]. A Montauban, écrit l’évêque, « nous trouvons presque tous les jours, à la porte de cette ville et sur nos remparts, sept ou huit personnes mortes ; et, dans mon diocèse, qui contient 750 paroisses, il meurt bien 400 personnes tous les jours[180] ». « Dans le bas Armagnac, écrit l’évêque d’Auch, il ne nous reste pas le quart des âmes qui étaient il y a trois ans[181]. » Faute d’habitants, la solitude se fait, « en beaucoup d’endroits, il n’y en a pas suffisamment pour la culture des terres[182] » ; et tout ceci n’est que la confirmation des paroles de Fénelon : « Sire, vos peuples meurent de faim. La culture des terres est presque abandonnée ; les villes et les campagnes se dépeuplent ; tous les métiers languissent, tout le commerce est anéanti. »

A la suite de ces témoignages confidentiels puisqu’ils sont adressés au Contrôleur général, prend place l’enquête ouverte par les intendants dans leurs généralités à la demande du duc de Bourgogne. Le jeune prince reçut, pour son instruction des rapports dont on a parlé déjà et où les aveux ne sont, à coup sûr, jamais exagérés puisqu’ils sont faits par les auteurs souvent et parfois par les bénéficiaires des désordres et des plaies qu’ils mettent à nu. Boulainvilliers qui résume et, parfois, complète, ces renseignements officiels n’est pas suspect, lui non plus, d’un excès de tendresse pour ces « paysans, lesquels, selon lui, originairement, ne sont libres et propriétaires de leurs biens que par la grâce des seigneurs ». Néanmoins, partout nous rencontrons un tableau concordant avec celui qui est tracé dans les correspondances déjà étudiées.

L’intendant de Picardie parle de la fabrique des serges qui, dans les villages voisins d’Aumale et de Grandvilliers, occupe onze cent soixante-dix métiers et produit plus de quinze cent mille livres de serges : « C’est la seule manufacture de cette espèce qui soit dans le royaume, et cependant la plupart des ouvriers meurent de faim, et sont contraints d’abandonner leurs métiers, soit à cause de la cherté des laines, soit parce que les impositions ordinaires et extraordinaires passent le produit de leur gain[183]. » — Dans la généralité d’Orléans, le commerce est tellement réduit et l’imposition tellement multipliée que l’on compte moins de marchands que d’officiers tant royaux que seigneuriaux, de finance et des hôtels de ville. Dans la Beauce « le meilleur pays du monde pour le rapport du froment, le paysan se contente de manger de l’orge avec du blé et du seigle ; les plus riches se passent avec, quelque salaison qu’ils font après les moissons ; les vignerons ne boivent que de l’eau et du vin mêlés, pour avoir les uns et les autres de quoi payer les subsides, payer les maîtres, et acheter ce qui est absolument nécessaire pour la subsistance des familles[184] ». — La généralité de Rouen contient environ sept cent mille âmes, mais « ce nombre diminue tous les jours. Les années de cherté ont emporté beaucoup de monde ; la guerre, les milices et enfin la misère en font sortir incessamment de la généralité, de sorte qu’on s’aperçoit que les hommes manquent pour le travail ordinaire, et plusieurs terres demeurent incultes pour cette raison...[185] partout le commerce semble se perdre, tant par la guerre que par l’abattement des peuples qui ne font aucune consommation... la capitation, l’ustensile, les milices, les eaux et fontaines, les eaux-de-vie, les diverses charges créées dans les paroisses et une infinité d’autres ont réduit le peuple à un état de misère qui fait compassion, puisque de sept cent mille âmes on peut assurer qu’il n’v en a pas cinquante mille qui mangent du pain à leur aise et qui couchent autrement que sur la paille[186] », heureux ceux qui ont des logements. — Dans la généralité d’Alençon on écrit que « les villes sont presque abandonnées ; on est touché de voir partout la moitié des maisons tomber, faute de réparations et d’entretien ; les propriétaires n’y sont pas à couvert, le plus souvent, et la pauvreté répand partout une effroyable tristesse et une surprenante férocité[187] » n’a-t-on pas vu dans cette généralité les taillables « obligés de payer des droits à ceux qui achetaient des charges pour s’exempter de la taille, c’est-à-dire aux riches qui accablaient les pauvres[188]. — Dans la généralité de Caen, on a vu la ville de Valognes perdre tous ses fabricants de draps sauf quatre, tous les autres ont disparu « à cause des tailles et impositions, et surtout à cause de la création de plusieurs charges, portant exemption ou fixation d’impôts, dont les riches se trouvent pourvus[189] ». Granville, Dieppe, Saint-Malo vivaient du commerce de la batellerie, « les traitants ont fait interdire la plus grande partie des petits havres[190]. » — En Champagne, on vit de blé noir et le chiffre de la population ne cesse de décroître. Troyes est tombée de 60.000 à 20.000 âmes ; Reims a perdu la moitié de ses métiers, dans l’élection de Sainte-Menehould le sol est en friche[191]. L’intendant a dû se résoudre à réduire la taille de 2.160.000 livres à 1.362.000 livres : la généralité n’en pouvait plus. — L’Auvergne pourvoyait l’Europe de papier de choix, mais « la quantité d’impositions qu’on y a mises a fait abandonner le travail a plus de la moitié des maîtres papetiers[192]. — La Touraine est plus misérable encore. Dans la ville de Tours au lieu de 8.000 métiers à soie, 700 moulins et 40.000 ouvriers, on compte 1.200 métiers, 70 moulins et 4.000 ouvriers subsistant à grand’peine. La tannerie est dans un pareil état puisque de 400 métiers il n’en reste que 54, et « la raison de cette diminution est du peu de consommation du gros bétail tant à cause de la diminution générale du peuple que de la grande pauvreté[193]. » Dans le Bourbonnais « la pauvreté est telle parmi les maîtres et par conséquent parmi les ouvriers que, quoique les blés soient au plus vil prix, ils manquent de pain[194] ». — La généralité de la Rochelle a perdu, en vingt ans, le tiers de sa population, la cause en est dans « la guerre, l’extrême pauvreté et misère des paysans, qui retranchent leur nourriture et leurs forces et les font mourir avant l’âge parce que la moindre maladie détruit aisément les corps consumés d’inanition et de souffrance[195] ». — Enfin, dans la généralité de Paris le « nombre des peuples est fort diminué[196] ».

La paix de Ryswick semble n’avoir apporté aucun soulagement. A Laval, le boisseau de blé pesant 32 livres se vend 42 sols ce qui ne s’était pas vu de mémoire d’homme ; aussi la population de 6 à 8.000 tisserands que renferme cette ville est à l’aumône[197] ; à Pontoise, les paysans ne se rendent plus au marché[198] ; à Tours, « la désolation est infinie par le nombre de plus de 3.000 hommes et femmes, presque tous ouvriers en soie à façon, qui sont sans aucun ouvrage, demandent l’aumône par attroupements[199] » ; en Bretagne, où l’argent devient plus rare de jour en jour, les gentilshommes venus aux États n’ont pas un sol pour payer leur dépense[200] ; en Flandre, les villes sont « tellement épuisées par les efforts qu’elles ont faits pendant la dernière guerre » que l’intendant demande pour elles quelques années « de repos pour respirer et se remettre[201] ».

C’est cependant à un pays épuisé à ce point que va être imposée une nouvelle guerre qui durera douze ans. Les premiers succès que doivent suivre des revers accablants ne font illusion à personne « Je suis si renfermée dans ma petite sphère, écrit Mme de Grignan, que je ne vois que misère, au lieu de ne voir que triomphe, victoires et prospérités[202]. » Ce mot misère reparaît, implacable, dans toutes les correspondances officielles. A Tours : « Ce qui fait dans cette ville la misère[203] » ; à Limoges : « Cette généralité a été si accablée par la misère[204] ; » à Pau : « La ville est des plus misérables[205] ; » En Provence : « La misère des peuples augmente tous les jours[206] ; » à la Rochelle : « La misère des peuples est si grande[207] ; » à Orléans : « La misère est plus grande que je ne puis la dépeindre[208] ; » à Montauban : « La misère devient extrême en ce pays-ci[209] ; » en Guyenne : « Le peuple est dans la dernière misère[210] ; » dans le Berry : « La misère des laboureurs de Picardie est commune à ceux du Berry[211] ; » dans le Bas-Poitou : « La misère est à un si haut point que la plupart des contribuables, réduits à la dernière extrémité, n’ayant rien à perdre, se rebellent contre les collecteurs qui sont journellement maltraités à coups de faux, fourches et autres instruments en fer[212]. » Vers le Roi monte une plainte universelle : « il aime ses sujets », dit l’un[213], pendant que d’autres sont persuadés de son « extrême tendresse... pour son peuple[214] ; » mais il ne manque pas de gens pour rendre le gouvernement et les administrateurs responsables de la souffrance générale[215].

Cette souffrance, l’hiver fameux de 1709, le « Grand Hiver », va la porter au comble[216]. On n’avait pas souvenance d’un pareil froid depuis l’année 1608, disent Madame et Saint-Simon. A Versailles, la violence des gelées fut telle, que l’eau de la reine de Hongrie, les élixirs les plus forts et les liqueurs les plus spiritueuses cassèrent leurs bouteilles dans les armoires des chambres à feu[217] » ; il devint impossible aux prêtres de célébrer la messe[218] ; le Roi dut même renoncer, bien qu’il lui en coûtât, aux promenades, revues, processions, parades ou autres cérémonies extérieures. La maladie et la mort faisaient de tels ravages dans l’entourage du souverain qu’au mois de février on ne reconnaissait plus la Cour de France[219]. A Paris, la souffrance fut extrême[220] et suspendit, en partie au moins, la vie extérieure. « Les spectacles cessèrent aussi bien que les procès[221] ; » le bois faisait défaut, le lieutenant de police d’Argenson en fit distribuer aux pauvres en quantité insuffisante[222].

Que pouvaient quelques fagots dans cette calamité où on vit le pain geler sur la table à mesure qu’on le mangeait, le vin geler dans la cave et où un magistrat parisien vit « deux pauvres petits savoyards trouvés morts, gelés de froid, au coin d’une porte où ils s’étaient cantonnés et embrassés l’un l’autre pour se réchauffer[223] ». Dans les provinces la pitié était aussi grande. Un bourgeois de Chartres écrit que « les hommes gelaient sur les chemins, en sorte que depuis Paris à Orléans, on dit que plus de trente hommes sont morts de froid. Des vaches, boucs, chèvres, moutons et agneaux d’un an ont été trouvés morts et gelés en leurs étables ; les volailles et pigeons morts, les pieds gelés ; les perdrix et oiseaux trouvés morts, les corbeaux tuant et mangeant jusqu’à des lièvres[224] ». Le Midi de la France ne fut pas épargné[225] et Mme de Maintenon décrit à la princesse des Ursins cet hiver « qui gèle tous les blés et toutes les vignes, qui ne laisse pas un fruit, non seulement pour le présent, mais qui fait mourir tous les arbres. Les oliviers en Provence et en Languedoc, les châtaigniers en Limousin, les noyers par toute la France[226] ». Les arbres et les arbustes des jardins, les légumes furent également détruits. La mortalité humaine dépassait ce qui s’était jamais vu. « Les gens du peuple meurent de froid comme des mouches » écrit Madame[227].

La disette consécutive à l’hiver se fit sentir pendant plus d’une année ; disette d’autant plus cruelle que « la bêtise et l’abrutissement[228] » des populations affamées étaient sans bornes pendant que la guerre, durant depuis huit ans, absorbait les grains pour la subsistance des armées aux frontières et privait la France de presque toutes les importations par voie de mer. La récolte de 1708 avait été médiocre, aussi dès le mois de septembre 1709 les rapports devinrent alarmants, au mois de novembre le blé atteignit le prix de 20 livres le setier à Paris. Deux mois d’un pareil hiver survenant dans ces conditions achevèrent le désastre ; ce fut partout une vraie panique. Un cri de terreur se répandit sur tout le royaume et les mandements épiscopaux, nécessaires pour solliciter la charité publique et ordonner des prières, achevèrent d’affoler les fidèles qui en écoutaient la lecture au prône paroissial. « La terre paraît comme morte, disait Fénelon ; elle ne promet ni fruits ni moissons et le printemps même ne la ranime point. » Plus confiant, Fléchier disait à ses diocésains : « Cessez de vous troubler : le pain ne vous a pas encore manqué… ; nous vivons, nous mangeons notre pain de chaque jour avec poids et mesure, même avec quelque inquiétude, mais enfin nous vivons. » Les appels à la charité se succédaient. Un Nouvel avis important sur les misères du temps passe en revue les provinces de l’Orléanais, du Blésois, le pays Chartrain, Je Vendômois, le Gâtinais, le Berry, la Touraine, et partout montre la famine. A Romorantin, le 18 avril 1709, plus de mille pauvres avaient déjà succombé. A Etampes, à Angerville, à Beaugency, à Blois la misère était indescriptible. La forêt d’Orléans était pleine de misérables vaguant comme des bêtes. Un père jésuite écrivait qu’à Onzain[229] il avait prêché à quatre ou cinq cents squelettes qui, ne mangeant plus que des chardons crus, des limaces, des débris de charognes et d’autres ordures, ressemblaient plus à des morts qu’à des vivants[230]. Il n’est pas douteux que la disette fut, dans une proportion très appréciable, plus apparente que réelle, et horriblement aggravée par la spéculation des accapareurs[231], les « blatiers », que l’on voyait arriver en nombre sur les marchés, avec leurs troupes de chevaux, enlever les grains à des prix inaccessibles pour le menu peuple et les faire passer en longs convois, sur des marchés plus favorables, ou jusqu’en pays étranger[232].

L’état du royaume défie tout essai de description. « Je suis outré de douleur écrit l’intendant Trudaine ; ce que je vois tous les jours, l’humanité, je ne dis pas le christianisme, ne le peut pas supporter[233]. » A Reims, douze mille pauvres ne vivent que du pain distribué par le bureau de la Miséricorde[234]. Des villages entiers du Charolais et leurs cultures sont abandonnés[235]. En Craonnais, sur les confins de la Bretagne, « il n’y a que des misérables qui n’ont ni les choses nécessaires à la vie pour se nourrir, ni paille pour se coucher, ni d’habits ni de toile pour se couvrir[236]. » Dans le Nivernais, c’est une multitude affamée et réduite au brigandage[237]. En Languedoc tout semble prêt à périr[238] ; en Maçonnais, en Dauphiné, en Provence, les moins malheureux se nourrissent d’avoine, les autres d’herbes cuites sans sel[239]. Au nord, dans la châtellenie de Bouchain, voici le tableau que trace l’Intendant : « Il n’est pas seulement resté une paille dans aucun village ; non seulement la récolte y a manqué, mais encore les mars qui étaient en terre et les fourrages ont été entièrement enlevés jusques à la paille, ou, pour mieux dire, jusques aux chaumes qui couvraient les maisons, dont quantité ont été renversées et démolies, les bestiaux pris, et les chevaux presque tous péris par les corvées continuelles, depuis « dix-huit mois et le défaut de nourriture. Enfin, pour comble de malheur, les maladies sont venues, et la mortalité a été tout l’hiver et est encore à un point qu’il est mort plus d’un tiers des habitants[240]. »

Partout se présente le même spectacle : en Autunois, les pauvres « la peau collée sur le dos[241] » ; dans le Bordelais, les paysans « faibles et languissants, le visage pâle, décharné[242] » ; en Bourgogne, des enfants de quatre à cinq ans broutant l’herbe dans les prairies comme des moutons[243] ; ailleurs, des adultes pâturant comme les bêtes, leurs visages décharnés pâles, livides, noirs, leurs corps chancelants faisant peur aux plus résolus[244] ». Partout « on voit les gens s’affaisser, littéralement morts de faim[245] » ; le chevalier de Laubépin compte trente-deux cadavres gisant en travers ou bien rangés le long de la grand’route depuis Roanne[246]. « L’Etat dans lequel est tombé ce royaume est si triste de quelque côté qu’on le considère, écrit Saint-Simon au mois de janvier 1712, qu’il n’est point de français, capable de quelque réflexion qui n’en ait les entrailles émues et point d’estranger raisonnable en qui la pitié n’ait succédé à la jalousie de la nation. Non seulement il est vrai de dire qu’il ne lui reste aucune partie saine, mais la vérité veut encore qu’on ajoute qu’il n’y a plus rien que d’entièrement méconnaissable[247]. »

Sous l’excès des maux il ne reste à la nation qu’à succomber sous les coups. Les émeutes se multiplient[248], des rumeurs perfides circulent. « Tout est à craindre des peuples qui meurent de faim et qu’on prend soin d’exciter, écrit Mme de Maintenon ; ils disent que le Roi enlève tous les blés et s’enrichit en les leur vendant bien cher[249]. » La coalition espère, par ces mensonges, détacher le peuple du Roi ou du moins ébranler la fidélité et rendre impossible la résistance au dernier effort qu’elle prépare pour désarmer son vieil adversaire, démembrer le royaume et réduire la France « si bas que les enfants des enfants n’auraient même pas la tentation de s’en relever ». Alors ce ne fut qu’un cri d’indignation et de vengeance, ce ne furent que propos de donner tout son bien pour soutenir la guerre, et d’extrémités semblables pour signaler son zèle. En un mot, les choses en vinrent à un point si extrême qu’il ne dut plus être permis de penser qu’à la patrie[250]. Mais voici que par un de ces renversements qui ne se voient qu’en France, la guerre maudite, fatale, qui avait conduit le royaume au bord de l’abîme, allait se transformer en victoire soudaine, triomphale, conduisant à une paix glorieuse et profitable.

C’est pendant ces jours d’angoisse patriotique qui séparèrent la mort tragique du duc de Bourgogne de la victoire de Denain, au mois d’avril 1712, que « tapi » dans son « trou d’entresol » de Versailles, Saint-Simon, brisé par la douleur mais s’oubliant lui-même et la perte de ses espérances pour ne songer qu’au bien public, eut l’idée d’écrire à Louis XIV une lettre anonyme, comme avait fait Fénelon, dix-sept années auparavant[251]. C’est un des ouvrages qui font le plus d’honneur à celui qu’on croyait capable d’entendre d’aussi dures vérités[252].

Votre État, lui dit-on, « vous le savez, n’a plus de ressources ; à peine sous l’ombre de Votre Majesté se peut-il soutenir contre vos ennemis ». Les trois ordres « qui forment le corps de votre nation » sont dégénérés. Le clergé « ne retrace en rien l’idée ni en général ni en particulier de cette ancienne Église gallicane si fameuse, si lumineuse, et dont les commencements de votre règne ont vu éteindre les restes » ; à un épiscopat médiocre répond un corps sacerdotal « tombé dans une abjection de pédanterie et de crasse qui l’a tout à fait enfoncé dans un profond oubli. »

La noblesse ruinée, ignorante, amoindrie, « avilie et confondue avec le plus bas peuple par des mésalliances honteuses pour avoir du pain », des propriétaires absents de leurs terres ou bien, s’ils y résident, à peine distincts des paysans.

Le tiers-état « tombé en général dans le même néant que les deux premiers corps ».

Des magistrats « contents de savoir juger les procès » et qui « s’en acquittent comme ils peuvent », en sorte que « la magistrature est généralement tombée dans le même abîme qui enfouit le clergé et la noblesse. Pour ce qui est du reste du tiers-État, sièges subalternes, corps de ville bourgeois, la misère, la mécanique, la grossièreté les a tous ensevelis sans éducation et sans étude que celle de vivre au jour la journée avec un pénible travail, de là on peut inférer ce que sont les artisans et les paysans de la campagne. »

Le royaume est dévasté par l’administration. « De degré en degré, de nécessité en nécessité, vous en êtes venu à des impôts sur les choses saintes, sur les sacrements de l’Église... Avec une guerre presque continuelle, votre peuple, Sire, a été affligé depuis peu de deux fléaux qui peuvent trop véritablement porter le nom de famine et de peste... Tel est le fruit de soixante et dix années de règne... Attendez-vous à changer la forme d’un gouvernement si ruineux, que la matière, c’est-à-dire le royaume ait manqué et qu’il n’y ait plus de monarchie... ? Quel compte, Sire, et pardonnez à ma tendresse pour vous si elle s’échappe, quel compte qu’un règne de soixante et dix ans pour soi tout seul en toutes manières, et jusqu’aux adversités mêmes par lesquelles Dieu essaie de vous rappeler à lui ; quel compte que tant de fleuves de sang dont vos ministres vous ont fait inonder l’Europe ; quel compte que tant d’autres déluges d’un sang d’une autre espèce mais non moins réel, je veux dire tant de trésors que ces ministres vous ont fait répandre, et qui vous ont réduit à force d'en répandre, de les rechercher jusque dans les os de vos sujets, dont la nudité et la défaillance rend les champs incultes, tarit l’espèce du bétail et ne laisse plus en proie aux durs exacteurs des impôts que les restes de leurs maisons délabrées dont ils démontent la charpente pour être vendue à vil prix ! Ce ne sont point, Sire, des figures et des exagérations. Et si Votre Majesté les regarde comme telles, autre compte, Sire, plus terrible que tous les autres que vous vous préparez, puisque vous répondrez de ce que vous ignorez comme de ce que vous connaissez, puisque la vérité ne fuit point les Rois qui l’aiment et qui la cherchent ; et puisque ne remédiant pas à ce que vous savez, vous remédierez bien moins encore à ce que vous ne savez pas, peut être à ce que vous ne voulez pas apprendre, très certainement à ce que vous avez mis en Etat qu’on n’ose et qu’on ne peut vous dire. »

Entre l’hiver de 1709 et l’été de 1712, la France toucha le fond de l’abîme, mais aussitôt la paix rétablie, elle retrouva une apparence de prospérité. Quelques jours avant la mort de Louis XIV, lord Stair écrivait au premier ministre Stanhope : « Ce royaume tombe en ruine. La capitation et le dixième qu’on vient d’imposer sans terme, achèvent de le perdre ; et le peuple est avili par la servitude à un point qu’on ne saurait concevoir[253]. » Allons donc ! Jugements d’Etrangers incapables de recourir à ces dotations subtiles, à ces analyses délicates que réclame le caractère de la nation française.

L’œuvre monarchique de Louis XIV ne demande pas une moindre pénétration pour être appréciée avec justice. L’institution qui avait succédé à la féodalité et incarné l’unité nationale dans la personne royale n’avait pas desservi la France, elle l’avait agrandie, unifiée et asservie. A l’intérieur, la monarchie avait épuisé les ressources financières, dilapidé les forces morales, tari les richesses, inspiré le goût et le besoin de la dépense sans inculquer les méthodes qui eussent produit des sources nouvelles et plus abondantes de prospérité agricole, commerciale et industrielle.  Le despotisme laissait la France épuisée au point de vue économique. Au point de vue religieux, il la laissait déchirée par des querelles, des rancunes et des haines, moins pacifiée qu’au temps d’Henri IV ; en sorte quelle ne mangeait pas à sa faim et ne priait pas à sa guise. Jamais elle n’avait été plus pénétrée de gallicanisme, plus férue de jansénisme, qu’au moment où on lui imposait l’ultramontanisme. A l’extérieur, le prestige de la France, un moment obscurci, brillait de nouveau. Ses frontières reculées et tracées par une ceinture admirable de forteresses avaient pris presque partout leur configuration définitive. C’est dans son attitude de défenseur de la France, face à l’Europe, que Louis XIV conserve sa durable grandeur. Trop souvent orgueilleux, violent ou injuste, il fut alors inspiré et soutenu par le souci de la dignité et de la grandeur du pays.

On lui a contesté le mérite d'avoir été l’inspirateur du siècle qui porte son nom ; il en fut le régulateur et, pour ainsi parler, le propriétaire, tant ce siècle est inséparable de celui qui l’accapara, le modela, le présida en vue de lui-même pour la postérité. Grâce à l’égoïsme de ce superbe ordonnateur, la France fut pendant un demi-siècle l’inspiratrice et la dominatrice de l’Europe ; et l’âme de la nation fut conquise à ce Roi dont les paroles et les gestes exprimaient tout l’orgueil, toute la fierté que chaque Français ressent à la vue des autres peuples. Elle lui pardonna tout, lui permit tout parce qu’elle l’aimait trop pour ne pas sentir que lui-même l’aimait aussi. C’était pour quelle fut la plus grande, la plus illustre et la plus belle qu’il jetait, en prodigue, son sang et son or dans le gouffre des guerres et des bâtiments. Un instinct profond de ces exigences cruelles faisait tout accorder, sans marchander, par le pays au maître qui parlait, qui agissait avec tant de dignité, de bonne grâce et de courage qu’il ajoutait quelque chose au sentiment de joie et à l’intime satisfaction qu’éprouvait chacun de se savoir si noblement servi et si magnifiquement représenté.

 

IV. — Du dessein de ce livre.

Cette majestueuse monarchie ne devait survivre à Louis XIV que trois quarts de siècle, et dès le lendemain du jour où le Roi eut cessé de vivre la ruine de l’institution se précipita. Ce ne fut d’abord, en apparence, qu’une révolution de palais ; en réalité c'était le début de la Révolution française dont la Régence fut le prologue. Si la Régence ne fut pas « tout un siècle en huit ans[254] », elle ouvrit à ce siècle un théâtre et lui traça un programme, car pendant ces huit ans elle fit, dans tous les sens, l’essai d’une révolution. Du long règne rempli de travaux, chargé de gloire, on ne sentait plus depuis trop d’années que la contrainte et les misères ; la mort du vieux monarque, l’avènement d’un enfant à la lisière parurent la promesse d’un immense soulagement. On s’ébroua, on entra « avec un mélange de joie et d’effroi dans l’inconnu, et, suivant l’usage, pour mieux s’étourdir, on s’y précipita[255]. » Ce fut une ivresse de liberté, une frénésie de critique, une jactance, une fanfaronnade, une provocation et comme un pavoisement de paradoxes. Après un silence de plus d’un demi-siècle, les plus plates sottises semblèrent ingénieuses et charmantes, chacun eut son mot à dire, son conseil à donner, son blasphème à lancer. Les vieux courtisans, domestiqués par une soumission trop ancienne pour être si rapidement secouée, branlaient la tête. « On peut désormais tout croire, disait l’un d’entre eux[256], les plus grands malheurs peuvent arriver. »

Tout de suite, la grande explosion de la Régence dévia en libertinage et, par sa violence, mit sur les dents la première génération révolutionnaire. Entre la politique et la débauche le choix fut bientôt fait ; les longues années de misère et de dévotion qu’il avait fallu subir laissaient place à une fringale de plaisir, mais fringale à en crever, et plusieurs, Dubois, le Régent, sa fille Berry, la duchesse d’Albret, d’autres encore, restèrent sur le carreau. A une hypocrisie méprisable succéda une impudence furibonde, le besoin et la joie du désordre autant pour jouir que pour scandaliser. Ce qu’on avait estimé modération sembla timidité, on cessa de se dire « libertin » pour se proclamer « incrédule ». En religion, le ricanement ; en morale, le cynisme ; en politique, le mensonge, devinrent la règle dont il y eut courage, et parfois péril, à s’affranchir. Au sein de cette fermentation, de ce bouillonnement, tout s’altère et se transforme : l’art, la littérature, la mode, les mœurs ; d’anciennes pratiques se dissimulent : la piété, la ferveur ; des notions nouvelles s’affirment : la tolérance, l’indifférence ; une conception inconnue surgit et s’impose : le crédit.

Tout cela achemine le royaume vers des changements et des réformes dont personne n’a encore la claire prévision. C’est à peine si, de loin en loin, on entend prononcer le mot de révolution, et toujours édulcoré, vidé de toute intention violente. C est bien cependant vers la Révolution française que se porte le mouvement qui conduira la France de 1710 à 1789. Nul n’est assez hardi pour l’appeler de ses vœux, mais un grand nombre espère en elle, confusément, comme en l’idéale redresseuse de torts, la bienfaisante réformatrice vers laquelle se tournent leurs obscurs et timides désirs. Imbus d’une forte culture historique, les hommes de ce temps no sont pas éloignés de tenir tout changement politique pour un dévergondage d’imagination et cette tendance les empoche d’envisager autre chose que ce qui s’est vu en France, de temps immémorial, dans les transformations du pouvoir, c'est-à-dire une réforme sur la base de l’ordre existant. C’est aussi cette tendance qui les détourne des grandes aventures portiques où sn précipiteront leurs arrières-petits-fils en 1789 et, faute d’avoir cette audace, ils s’embourbent dans le libertinage.

L’effervescence s’émoussera, et de cette ivresse libérale il semble que rien ne subsiste qu’une lassitude sans repentir pendant les années de convalescence que ménage le ministère du cardinal de Fleury. Mais si le pétillement est tombé, le mouvement persiste et se transmet ; les observateurs perspicaces ne s’y méprennent pas. Quinze années d’un repos bienfaisant pour l’État sont, au point de vue des idées, comme une lente et sure incubation, comme une sourde et continuelle pénétration des audaces émancipatrices qui ont apparu pendant la Régence : le rappel des protestants, la suppression des jésuites, la convocation des États-Généraux. Voilà, dès 1716, le programme qui s’achèvera au seuil de la Révolution.

Ce qui était à peine moins hardi de la part du Régent c’était l’affectation de prêter l’oreille à l’opinion publique et la promesse d’en tenir grand compte. Si la Régence évoque principalement le souvenir d’une licence effrénée et d’un agiotage éhonté, c’est un motif de plus de rechercher par quel biais un gouvernement tellement décrié et inconsistant a pu avoir une politique capable d’engager les destins de la France et l’avenir de la monarchie. C’est que, sous un régime despotique, les affaires étant livrées à un seul individu, si celui-ci se rencontre intelligent, aventureux et sceptique, l’État recevant sans résistance l'impulsion donnée s’en ira, à la dérive, vers les écueils. En livrant à une Cour judiciaire les attributions politiques auxquelles elle n’avait aucun droit et dont le feu Roi l’avait dépouillée, le Régent faisait plus que d’acheter le vote qui lui livrerait le pouvoir, plus que d’offrir au Parlement l’occasion impatiemment attendue d’une éclatante revanche sur l’oppresseur qui avait su le réduire au silence, le Régent ouvrait une voie à l’opposition qu’il lui faudrait bientôt combattre et réduire en recourant a des procédés non moins énergiques que ceux de Louis XIV. L’alternance presque régulière des remontrances et des exils du Parlement au cours du XVIIIe siècle est le meilleur commentaire de l’imprudent compromis qui, au cours des négociations secrètes entamées par le Régent pour aboutir à la cassation du Testament de Louis XIV, a restauré le droit parlementaire en face du pouvoir monarchique et dressé l’arrêt de la Cour par dessus la volonté du Roi. A partir du 2 septembre 1715, le Parlement ne cessera de mettre en échec l’autorité royale et, de concession en concession, l’acculera à la nécessité de recourir aux États-Généraux, dont la convocation donnera le signal de la Révolution.

Dès l’audience de rentrée, à la Saint-Martin de 1715, Daguesseau proclamait la nécessité de la participation des citoyens aux affaires publiques, faute de quoi, ils « regardent la fortune de l’État comme un vaisseau qui flotte au gré de son maître, et qui ne se conserve et ne périt que pour lui[257]. « Serons-nous donc réduits, demandait-il, à chercher l’amour de la patrie dans les États populaires ? » Moins de deux années plus tard, l’édit de juillet 1717 rédigé par le même magistrat, envisageait le cas où l’extinction de la dynastie régnante livrerait la forme politique à l’élection populaire[258]. C’est comme une prévision lointaine des discussions qu’entendra la Constituante.

C’est ce premier éveil des esprits à la pensée d’un état politique et d’institutions sociales différentes de ce qui existait qu’on entreprend de raconter ici. La Régence est le prologue de la Révolution et, à ce titre, elle a paru mériter une étude minutieuse. Période de transition, elle liquide tout un passé et sème les germes d’un avenir. Mais l’avènement de la démocratie se fera attendre longtemps encore parce que les calamités de la fin du dernier règne n’ont pas altéré encore le tempérament politique de l’ancienne France. Les impertinences qu’on signalera sur le parcours du cortège funèbre de Louis XIV ne sont que la revanche des âmes basses devant le spectacle d’une grandeur abattue ; en 1716, le pouvoir royal reste hors d’atteinte et l’idée monarchique demeure intacte. Par dessus le bruit de ces imprécations éclate la clameur de tendresse qui entoure le petit roi Louis XV ; c’est là que se mesure le prestige encore entier de la monarchie. La Régence elle-même ne parviendra pas à le détruire, mais elle l’aura ébranlé.

Politique intérieure et Etrangère, finances, diplomatie, littérature, arts, mœurs, la Régence a laissé partout sa marque et on n’en saurait être surpris si on se rappelle que pendant ces années si courtes, au sortir d’une longue angoisse et à la veille d’une plus longue torpeur, la nation vécut et vibra plus bruyamment et plus vite, comme pendant une crise de croissance. Le plus pénétrant historien de cette époque, Lémontey, a fait observer que cette période de dix ans pendant laquelle la France fut gouvernée par les chefs des deux branches collatérales de la maison régnante « se fait remarquer par une prodigieuse variété d’évènements et par un jeu de passions qui intéresse sans relâche l’observateur[259]. » Ces événements fourniront la matière du présent livre, il serait superflu d’en parler ici. Depuis le temps où vécut et travailla Lémontey, cette histoire qu’il avait écrite après des recherches considérables et avec un art délicat, a été abordée à différentes reprises suivant des points de vue variés. L’œuvre de Lémontey conserve son mérite, étant de celles qu’on corrige, qu’on complète, mais qu’on ne supprime pas. Cette œuvre fut, malgré son éclat, presque éclipsée dès son apparition par le prestigieux récit du premier historien de la Régence, le duc de Saint-Simon. Les célèbres Mémoires n’étaient connus alors du public que par des extraits faits « sans discernement, sans liaison, sans aucune vue. historique ». Depuis cette époque, les éditions complètes, révisées, commentées se sont succédées consacrant le mérite littéraire de l’écrivain et multipliant les exemplaires de son ouvrage historique au point de rendre la lutte quasi impossible contre ce charmeur.

Inimitable portraitiste, Saint-Simon n’était pas plus apte à entendre les grandes affaires qu’il n’était propre à les raconter, il se laissait prendre à tout ce qui était superficiel et ne pénétrait pas au-delà. Les absurdités ne lui coûtent rien pourvu qu’elles servent ses haines et satisfassent ses vengeances ; c’est un artiste, ce n’est, à aucun degré, un historien. Rapproché par sa naissance, mêlé par ses relations mondaines à tout ce qui composait alors le personnel dirigeant de l’État, il a amassé des notes qui servirent a la rédaction de ses Mémoires et prodigué une correspondance qui dura toute sa vie. Lémontey, qui en avait eu connaissance, n’avait pas manqué d’observer qu’elle « offre à l’historien un aliment plus pur et plus substantiel » que ses autres écrits rédigés a loisir ; « quelquefois elle explique ou rectifie les injustices des Mémoires. Au lieu de réminiscences équivoques, on y entend, pour ainsi dire, en présence des faits, le langage de l’homme vrai et du citoyen courageux[260]. »

Mais la correspondance de Saint-Simon entrée presqu’entière et très volumineuse aux archives du ministère des Affaires Etrangères, au début du XIXe siècle[261], y a été l’objet de prélèvements Si considérables qu’elle n’est plus représentée aujourd’hui que par un nombre de lettres insignifiant. Les investigations de M. de Boislisle n’ayant pu venir à bout de découvrir le sort éprouvé par ces pièces, que certains étaient fort intéressés à faire disparaître, il semble illusoire désormais d’espérer la confrontation souhaitée par Lémontey. On peut toutefois prendre une idée des conséquences qui s’en seraient dégagées en se reportant à l’essai dans lequel l’historien d’une autre régence, P. Chéruel, montra, à l’aide de quelques débris de cette correspondance l’improbité systématique avec laquelle Saint-Simon a dénaturé les événements, calomnié les individus, altéré la vérité afin de satisfaire ses rancunes et de composer son propre personnage aux yeux de la postérité[262]. Atteint d’une sorte de graphomanie, Saint-Simon avait conservé lui-même cette correspondance compromettante pour sa mémoire ; il semble avoir été de ces hommes qui ne se résignent jamais à supprimer rien de leurs papiers et les dernières années de sa longue vie furent occupées par la rédaction de factums, le classement de sa correspondance et la composition de ses Mémoires. Ceux-ci n’étaient que le développement des notes dont il avait enrichi un exemplaire interfolié à son usage du Journal de Dangeau. L’existence de ce Journal, dont les copies étaient assez nombreuses et l’original hors d’atteinte préoccupait Saint-Simon pour sa réputation future. Il écrivit ses Additions de 1734 à 1738 ; s’y mit en scène à la troisième personne et fit un effort méritoire pour se montrer exact, impartial, véridique. Ce premier travail terminé, il dut réfléchir que Je Journal ferait son chemin indépendamment des Additions, que celles-ci ne contrebalanceraient pas l’impression produite par le Journal et, de 1740 à 1746, il rédigea ses Mémoires.

Ce serait un travail instructif de montrer la déformation subie par les additions à leur entrée dans les mémoires. Il est difficile d’imaginer le même homme racontant le même fait à une dizaine d’années de distance et émettant des jugements si divers d’esprit et de ton. L’anecdote se transforme, s’arrange, surtout elle se complète et s’envenime ; la perfection littéraire y gagne parfois, mais l’effort intense de l’auteur se révèle à la recherche d’un effet plus saisissant destiné à impressionner les lecteurs. Il songeait à eux en annotant le Journal, le complétant, le corrigeant et s’imposant un énorme travail de tables pour s’en rendre l’usage très facile. Aussi lorsqu’il a composé les Mémoires, Saint-Simon ayant ses notes prises dès 1694, ses généalogies, ses factums sur les bâtards, les ducs, le bonnet, etc., a eu devant lui, toujours ouvert, sans cesse consulté, son exemplaire annoté du Journal, comme une base chronologique certaine, un évocateur continu commode, lui permettant de donner à son récit l’apparence d’avoir été composé sous l’impression des événements. Il suit la trame, parfois emprunte des mots, des phrases entières à Dangeau, dont il se moque et qu’il dénigre avec persistance comme pour détourner son lecteur de s’adresser à ce loyal chroniqueur[263].

« Toutes les fois que nous avons vu contrôler Saint-Simon, sauf une, nous l’avons toujours trouvé dans le faux, dans l’exagération, dans l’erreur ou dans le mensonge. » Ce jugement rigoureux des éditeurs de Dangeau n’est pas démenti par les éditeurs de Saint-Simon. Chéruel montra Louis XIV et sa Cour vengés du dénigrement frénétique d’un « avorton », d’un « roquet », car c’est ainsi que le dépeignent ses contemporains[264], jaloux, hargneux, et assez peu intelligent ; il montra aussi, après Ch. Aubertin, Saint-Simon ami et flatteur de l’abbé Dubois dont l’astre se levait alors[265]. Boislisle soumit les Mémoires à une révision d’où la réputation du duc et pair sort en piteux état, médisant, calomniateur et pour tout dire en un seul mot : menteur. Et nonobstant les démonstrations accablantes, Saint-Simon conservera longtemps son prestige d’historien de la Régence.

Lémontey y aurait plus de droits. « Son livre est de ceux qui ne périront pas[266]. » Il offre les qualités solides et les défauts trop apparents de l’ancienne école historique. Une enquête étendue et approfondie forme la base de ce récit brillant, elle a suggéré des vues justes, des explications parfois certaines et toujours vraisemblables des problèmes politiques, une exposition lucide d’événements enchevêtrés ; mais c’est comme à regret que l'auteur fait connaître les autorités sur lesquelles il s’appuie, on sait que les archives des Affaires Etrangères lui furent largement ouvertes, peut-être a-t-il eu connaissance des papiers de Simancas[267], il faudra de plus minutieuses recherches pour l’établir. Composé sous le premier Empire, à partir de 1808 et destiné à faire partie d’une Histoire de France sous le règne de Louis XV et de Louis XVI, son livre ne pouvait satisfaire la censure du gouvernement de la Restauration, il lui fallut attendre les premiers jours de la monarchie de juillet. Mais c’était alors une œuvre posthume, le maniaque et critique Lémontey était mort en 1820[268]. Cependant son livre était achevé et on y retrouve, avec le fruit d’immenses lectures, les qualités d’un esprit caustique et d’un sceptique. En toute occasion l’auteur s’interdit d’épargner l’ancienne dynastie, partout il recherche les occasions de lancer ses épigrammes sur l’Église et son clergé. Papes, cardinaux, prélats de tous rangs sont malmenés avec une verve et une malice qu’on ne peut applaudir et qu’on hésite à blâmer, tant ceux qui s’attirent ces piqûres semblent parfois s’y être maladroitement exposés. Mais qu’est-ce cela en comparaison des diatribes de Saint-Simon, de ses fureurs épileptiques à la vue ou au souvenir d’un Novion, d’un Mesme ou d’un Dubois. Entre Lémontey et Saint-Simon il existe la même distance qu’entre une malice et la perfidie.

On ne saurait compter Duclos et Marmontel au nombre des historiens de la Régence. Duclos était breton, c’est dire qu’il avait plus d’ambition que de moyens et la prétention à une éminente vertu. Il se croyait un parfait honnête homme et un esprit supérieur, il se donnait pour tel, naïvement, comme persuadé par l’évidence. Sa vertu, dont il était trop fier, était de celles que la postérité égratigne, son esprit était vif, pimpant et superficiel. Se trouvant de loisir, il lut les papiers de Saint-Simon et s’en pénétra, façonna son style, l’égaya d’anecdotes d’après ce maître, en sorte qu’il n’apporta à peu près rien de nouveau qu’un abrégé élégant et suspect. Quant à ce qu’on a nommé « la valeur des mémoires de Duclos » elle est nulle, et voici pourquoi. A part quelques réflexions, quelques anecdotes, un long épisode sur l’histoire de Russie, Duclos a emprunté tout le reste à Saint-Simon qu’il suit pas à pas et qu’il calque, quand il ne l’imite pas ou qu’il désespère d’en approcher. Duclos semble doué d’un sens qui lui fait choisir, parmi les récits de Saint-Simon, les plus invraisemblables ; alors que Lémontey n’a pas manqué de consacrer une note à la fable « de la restitution de Gibraltar » manquée par l’aversion d’Alberoni pour le marquis de Louville[269]. Au point de vue historique, les Mémoires secrets n’existent pas et c’est presque en avoir trop dit que de leur avoir consacré un paragraphe ; au point de vue littéraire, ils ne soutiennent pas la comparaison avec le modèle dont ils s’inspirent et la bile de Duclos semble fade à qui a goûté au fiel de Saint-Simon[270].

Il semble superflu de rien dire des histoires de la Régence par Marmontel[271] et par Capefigue[272], dont les titres méritent à peine une place dans une liste bibliographique.

Le goût des Mémoires était si général au XVIIIe siècle qu’on doit s’attendre à rencontrer une littérature nombreuse sous ce titre. Quelques-uns ont été l’objet d’éditions suffisamment critiques pour que leur texte soit invoqué avec assurance. Dans ce nombre les Mémoires du maréchal de Villars tiennent une place distinguée. Venus par voie d’héritage dans la famille de Vogüé ils forment un document souvent utile à consulter dans l’édition du marquis de Vogüé[273]. Les Mémoires du maréchal de Noailles n’ont pas été repris depuis l’édition de 1776 par l’abbé Millot ; depuis, les papiers du maréchal encore conservés à la bibliothèque du Louvre ont péri en 1871[274]. Nous parlerons plus loin des Mémoires du duc d’Antin. Les Mémoires du maréchal de Berwick cessent de lui appartenir depuis l’avènement de Louis XV et sont l’œuvre d’un faiseur. Les Mémoires du maréchal de Tessé renferment quelques pièces utiles qui semblent encadrées dans un récit auquel le maréchal n’a eu aucune part[275].

Les Mémoires de Torcy sont d’une qualité très différente. Ils sont conservés à la Bibliothèque nationale, manuscrits français, supplément 10670 à 10672, et forment trois volumes in-folio, sous ce titre : Mémoires diplomatiques concernant les affaires Etrangères de l’Europe dans lès premières années qui suivirent la mort de Louis XIV, d'après les correspondances secrètes. Ces Mémoires furent rédigés par Torcy, de 1715 à 1718, communiqués par lui à Saint-Simon. « J’ai purgé ; dit celui-ci, le détail du récit que j'ai donné depuis la mort du Roi... Je les ai abrégés et n’ai rapporté que le nécessaire. Mais ce qui s’est passé en 1718 m’a paru si curieux et si important que j’ai cru devoir non pas abréger ni extraire, mais m’astreindre à copier fidèlement tout[276]. » C’est un admirable recueil de correspondances diplomatiques d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de Suède dont Torcy eut connaissance après sa sortie des Affaires Etrangères grâce à sa charge de directeur et, plus tard, de surintendant de la poste. Outre le secret de la poste, Torcy avait la haute main sur tous les correspondants plus ou moins avoués que la France entretenait à l’Etranger.

A ces Mémoires s’ajoutent ceux du prince de Cellamare, conservés au British Museum[277], ceux du marquis de San-Felipe, connus depuis 1756[278] ; ceux de Louville[279], enfin ceux du comte de Bothmar[280]. Il y faut joindre les chroniqueurs.

La place d’honneur appartient à Dangeau, dont le Journal se poursuit depuis le 1erseptembre 1715 jusqu’au 16 août 1720. Ce précieux monument d’un courtisan attentif, avisé, homme d’honneur et de sens rassis est un guide excellent dont la privation reste sensible malgré les suppléants qui se sont rencontrés[281]. Ils sont là quelques bourgeois de Paris l’œil ouvert sur ce qui se passe, écrivant chaque soir, avec un zèle qui ne se dément pas l’histoire contemporaine dont l’écho est parvenu jusqu’à eux. Ceux-ci sont les historiographes du Tiers-État, interprètes discrets mais avertis d’une opinion avec laquelle les gouvernants sont réduits à compter. Le regard de Dangeau s’égarait rarement sur Paris, celui des bourgeois chroniqueurs ne dédaigne pas de plonger dans le château, mais s’attarde et s’amuse au spectacle de la rue, du carrefour, de l’église, des galeries du Palais, de la Sorbonne, du quartier latin et du carreau des Halles. Ceux-ci sont, au XVIIIe siècle, les premiers reporters. Perdus parmi les classes laborieuses, ils en recueillent les voix, en traduisent les bruits, en interprètent les sentiments.

Le premier que nous rencontrons est un copiste, employé au département des manuscrits de la Bibliothèque du Roi et appointé cinquante livres par mois, Jean Buvat. Calligraphe émérite, qui grelottait dans sa mansarde et vendait ses meubles l’un après l’autre afin de manger à sa faim, Buvat oubliait ses maux en écoutant M. l’abbé Bignon ou M. l’abbé Sallier et, de retour dans son galetas écrivait ce qu’il venait d’entendre. « Il lui serait facile, à l’entendre, de se livrer à des réflexions politiques, mais il faudrait être en pays de liberté. » Il s’interdit donc les réflexions, et même il passe sous silence certains faits où il lui faudrait montrer le gouvernement en conflit avec ceux que le copiste entoure de confiance et de respect : les appelants et les magistrats ; à telle enseigne quelle lit de justice du 26 août 1718 est passé sous silence. Il faut dire adieu à la belle régularité des articles quotidiens de Dangeau, ici le désordre prévaut, des jours sont omis, d’autres sont désignés sans précision et l’édition complique ce désordre jusqu’au gâchis[282]. Quoiqu’il en soit, Buvat a voulu, et peut-être cru, faire œuvre historique. Son Journal s’ouvre et s’achève avec les dates extrêmes de la Régence qu’il considère comme une période distincte.

Au contraire Marais et Barbier entament un Journal le jour où leur vient cette fantaisie. Ceux-ci occupent un rang social plus relevé. Marais est un bourgeois lettré, ironique et frondeur, plus conservateur en politique qu’en religion. Cependant, même en politique il n’obéit qu’en critiquant, il est vrai qu’il critique en souriant. Fils d’un procureur au Châtelet, avocat, très répandu parmi la société parlementaire, il en partage les préventions et les aversions. Parmi la génération philosophique du XVIIIe siècle commençant, il occupe un rang estimable : ami de Boileau, biographe de La Fontaine, admirateur intransigeant et correspondant assidu de Pierre Bayle, défenseur du jeune Arouet, lié au président Bouhier, Mathieu Marais est un observateur avisé mais prudent qui estime qu’« il ne faut pas écrire contre ceux qui peuvent proscrire[283] ».

Buvat et Marais reproduisent sans se lasser tout ce qui leur semble digne d’être consigné dans leurs journaux : anecdotes, chansons, bons mots, scandales, cérémonies, tous ces riens fugitifs que la vie fait éclore, qu’elle colore, parfume et emporte sans laisser d’autre trace que celle d’une mention rapide dans le carnet d’un observateur. Barbier, autre avocat, n’a que vingt-cinq ans au début de la Régence et ouvre son Journal au mois d’avril 1718, le jour de l’incendie du Petit-Pont. Dès lors, il aura les yeux ouverts sur tout ce qui survient dans la comédie humaine, jouée sur la scène de Paris. Barbier est du nombre de ceux qui n’osent pas toujours dire leur avis à voix haute, même à voix basse, mais qui en ont un et qui plutôt que de ne pas le dire du tout préfèrent l’écrire et font de leur journal leur confident. Selon lui « il faut faire son emploi avec honneur sans se mêler d’affaires d’État sur lesquelles on n’a ni pouvoir ni mission[284] », car « en général, il est toujours dangereux à un sujet de jouer avec son maître ; il ne faut pas jouer de son mieux, crainte qu’il ne se fâche et qu’il ne jette les cartes au nez[285] ». L’esprit frondeur de Barbier se donne carrière sur deux points : la religion et les finances. La dilapidation des deniers publics l’indigne : « Notre pauvre argent ! » soupire-t-il ; la politique ultramontaine le met en gaieté, on a ici l’avant-goût des hautains sarcasmes du voltairianisme dans sa leur : les cardinaux en conclave « se débattent crochetoralement[286] » ou bien « le pape fait un tour de calotte[287] ». Ce n’est encore que le voltairianisme en boutons.

C’est aussi un Journal que tient l’abbé Dorsanne, secrétaire du Conseil de Conscience, mais le plus diffus, le plus inextricable des journaux[288]. Villefore[289] a tenté de l’élaguer et l’opération vaudrait d’être reprise non pour supprimer mais pour canaliser une source trop copieuse et que son volume rend trouble et rebutante. Les notes du président de Blancmesnil ne font que confirmer ce récit chaotique qui est à l’histoire composée par Lafitau[290], ce que la loyauté abrupte et dénigrée est à la fourberie satisfaite et récompensée. Comme Dorsanne, Jean Buvat, Mathieu Marais et Barbier, et Saint-Simon lui-même, tous sont jansénistes ; d’ailleurs, à les entendre, l’opinion publique est janséniste, et ceci n’est que trop vrai.

De sorte qu’il est impossible de faire l’histoire de la Régence sans prêter longuement attention à la querelle religieuse qui déchirait l’Église et partageait les esprits en partisans et adversaires de la bulle Unigenitus. Chose surprenante, s’il est permis à l’historien de contester le patriotisme du Régent, la moralité de Dubois, la probité de Law, la loyauté de Cellamare, lui sera-t-il défendu de mettre en doute la modération de Clément XI et l’opportune intervention des Jésuites, de rendre justice à Noailles et de rendre hommage à Jean Soanen. Aucune décision canonique ne le lui interdit, assurément, mais l’indulgence apitoyée, moins que cela, la vérité rigide est dénoncée comme une complicité janséniste et un reproche détourné à l’adresse de ses vainqueurs. A ces appelants si orgueilleux dans leur intransigeante conviction, refusera-t-on même la justice, même la pitié ! Vaincus supprimés, disparus, évanouis, encore veut-on qu’ils soient oubliés ; à ce prix seulement il sera permis de ne plus les maudire.

Dans une querelle aussi passionnée et aussi prolongée que celle dont nous racontons la crise qui précipita l’issue, nous croirions oiseux de chercher à ressusciter des polémiques depuis longtemps abandonnées, aussi bien que de préjuger l’issue du conflit si l’Église de Rome n’avait compté au nombre de ses partisans la Compagnie de Jésus. De même que les jansénistes, qu’ils accablèrent, les jésuites ont trouvé des panégyristes pour célébrer leurs prouesses, glorifier leurs méthodes, applaudir à leurs stratagèmes ; on peut, à deux siècles de distance porter sur la lutte et les lutteurs un jugement moins favorable ; nous avons cru ne devoir à tous que la vérité, plus amère parfois que le dénigrement.

Une autre source moins abondante que les Mémoires et journaux se trouve dans les Correspondances. Si elle se réduisait à celle de Madame, mère du Régent elle n’offrirait guère que des ordures, des extravagances et des ragots de la plus médiocre qualité. Plus variée, sans être telle qu’on la souhaiterait, la correspondance de la marquise de Balleroy nous a conservé un exemple, de ces nouvelles à la main, écrites sans apprêt et souvent sans assez de scrupule, qui apportaient à la province les rumeurs du grand Paris, matière pittoresque sur laquelle s’exerçait l’imagination du lecteur, mais trop souvent aussi celle du correspondant émerveillé par le joli spectacle qui se déroule devant ses yeux. En adressant cette pâture à la jeune marquise, un de ses informateurs lui écrit : « Qu’en dites-vous, Madame, de la situation présente ? Ne fournit-elle pas assez d’événements pour amuser dans la campagne ? On n’a jamais vu la roue de la Fortune tourner avec tant de rapidité. » Mieux informée est une correspondance anonyme, dont l’auteur à ses entrées à la Cour et qui saisit au passage bien des confidences, perçait bien des indiscrétions que les événements se chargeront de vérifier.

Mais ce titre de correspondances semble devoir être réserve à deux dossiers d’une valeur hors de pair : les lettres de Dubois et celles d’Alberoni.

Dès 1815, M. de Sévelinges avait publié suivant un ordre chronologique, une série de lettres et de mémoires de Dubois jadis en la possession de Le Dran, son exécuteur testamentaire. Celui-ci les avait donnés en guise d’étrennes à un collègue, Gérard de Hayneval, de qui les tenait M. de Sévelinges. Ces pièces avaient été extraites des registres conservés au ministère des Affaires Etrangères : Fonds d’Angleterre, tomes 277 et 278 (Dubois, I, II ; 1716) ; Fonds de Hollande, tomes 310 et 311 et Fonds d’Angleterre, tomes 300 à 303 (Dubois, II, III, IV, V ; 1717) ; Fonds de Rome.

Depuis cette époque, Lémontey, Ch. Aubertin, le P. Bliard et M. E. Bourgeois ont consulté et tiré le plus heureux parti de cette riche correspondance qui, au début, est l’œuvre exclusive de l’abbé. A mesure que son influence s’affermit, ses vues s’étendent et sa correspondance prend un développement qui rend nécessaire le recours aux secrétaires. A partir de 1718, son écriture devient rare ; dès 1719 elle cesse en général dans les pièces officielles, mais toujours et partout la pensée et le plus souvent l'expression continuent à être de lui ; Destouches, Chavigny, Pecquet, Le Dran et le neveu Dubois se relayent pour tenir la plume sous la dictée du maître. Les archives ont conservé les témoins innombrables de l’activité de Dubois : papiers, lettres, rapports, mémoires, objet de recherches méthodiques au cours de ces dernières années, de la part d’un hagiographe, le P. Bliard, en vue d’un panégyrique, et de la part d’un historien, M. E. Bourgeois, en vue de l’examen de la politique de la Régence. Ce dernier a fait connaître les fonds auxquels il a recouru aux Archives des Affaires Etrangères.

Fonds Angleterre, tome 277, fol. 20 : Instructions de l’abbé Dubois allant à la Haye, jusqu’au tome 345 contenant les Instructions données à Chavigny, le 3 août 1723.

Fonds Hollande, tome 310 au tome 335 ; principalement pour la période octobre 1716 à janvier 1718.

Fonds Espagne, tome 249 au tome 330 ; principalement pour les années 1720 à 1723.

Fonds Prusse, tome 48 au tome 70 ; correspondance relative aux affaires du Nord.

Fonds Russie, tome 7 au tome 14 ; en tenant compte des pièces dispersées dans les fonds Hollande, Prusse et Suède.

Fonds Rome, tome 586 au tome 615 ; qui fournissent en partie le tome II du recueil de M. de Sévelinges.

Fonds Turquie, tome 61 au tome 65 ; fonds Portugal, tomes 54 et 55 ; fonds Gênes, tome 6 ; fonds Parme, tome 74 ; fonds Venise, tome 174 ; fonds Saxe, tome Ier et suppl. ; fonds Pologne, tomes 170 et 171. Le fonds Autriche n’offre pas l’importance présumée d’après les intérêts dépendant de cette Cour où la France, à cette époque n’entretient qu’un représentant officiel dont l'insignifiance est complète. Tout ce qui importe de traiter à Vienne est confié aux envoyés de l’Angleterre, Stanhope, Schaub ou Saint-Saphorin.

A ces fonds distincts il faut ajouter certains fonds spéciaux des mêmes archives désignés sous le nom de Mémoires et documents, recueils de pièces de toute sorte utilement groupées, quoiqu’un peu au hasard. On y rencontre aux tomes 481 à 484 de France, toute la correspondance de Dubois relative au Congrès de Cambrai ; aux tomes 312 et 1251 les pièces ayant trait au choix d’un confesseur jésuite pour Louis XV ; aux tomes 1251 à 1253 quelques lettres et documents de Dubois désireux de devenir et de rester premier ministre ; enfin au tome 1233, fol. 300, un fragment d’un Journal de la main du Cardinal, dont M. E. Bourgeois signale une autre trace dans le catalogue à la vente Trémond, en 1852 : fragment autographe de son journal qu’il tenait pour lui seul. C’est une manière de réquisitoire contre Torcy et d’autres adversaires.

Au Dépôt de la guerre, se sont égarées quelques lettres à Berwick, commandant l’armée française en Espagne, en 1719 ; quelques autres sont signalées dans des collections privées.

Il faut revenir aux Archives des Affaires Etrangères pour mentionner divers recueils auxquels la politique de Dubois n’est pas moins redevable. Dans le fonds Mémoires et Documents, le tome 87 d’Espagne contient un Mémoire de M. de Montucla sur les négociations de la Quadruple Alliance et celles des années suivantes, et dans la même série les tomes 140-143 renferment un important travail sur les Négociations de la France pour le rétablissement de la paix entre la maison d’Autriche et la branche de Bourbon établie en Espagne, par le premier commis Le Dran ; où il examine différents points qui ont dû être débattus dans le cabinet de Dubois hanté par la pensée de regagner à la France l'alliance espagnole afin d’écarter le principal obstacle à l’obtention du chapeau. Le Dran traite 1° la question de la réconciliation entre l’Espagne et la maison d’Anjou ; 2° celle du rapprochement entre les branches d’Anjou et d’Orléans par les mariages franco-espagnols ; 3° enfin, celle de l’établissement des Bourbons en Italie.

Dans les Mémoires et documents, les tomes 445 et 457 de France contiennent (en double) des Mémoires contenant quelques observations sur les anecdotes les plus importantes qu'il a recueillies dans différentes négociations depuis 1712 jusqu’au mois de mai 1736, cet il n’est autre que Chavigny, le collaborateur assidu et lucide interprète de Dubois. L’autre collaborateur du cardinal, Le Dran, écrivit de sa main et donna à un ami un volume d’Anecdotes sur l’élévation de l’abbé Dubois aux premières dignités de l’Eglise et de l'Etat, in-4°, 1725. Trouvé dans l’inventaire de l’abbé de la Ville (guillotiné le 12 fructidor an III) le manuscrit relié en veau brun échut, sans nom d’auteur, à la Bibliothèque Mazarine (in-4°, H 2354) sous la rubrique : Vie du cardinal Dubois. Aubertin l’avait signalé, le P. Bliard en a tiré parti. Le commis Le Dran, le vicomte de Seilhac et le P. Bliard ont présenté avec plus de conviction que de succès le panégyrique de leur « grand homme » en qui le premier chérissait un bienfaiteur, le deuxième un compatriote et que le dernier présentait à ses lecteurs comme le marteau de l’hérésie.

Il va sans dire que les recueils contenant la correspondance de la diplomatie officielle, celle de d’Huxelles, de Châteauneuf, d’Iberville, de Saint-Aignan ne peut pas plus être négligée que les recueils d’Instructions données aux ambassadeurs et ministres de France et publiés, depuis 1884, par la Commission des archives diplomatiques.

La période historique comprise sous le nom de Régence est certainement une des plus favorisées de notre histoire moderne, car outre le travail auquel s’est astreint M. E. Bourgeois dans les pièces d’archives qui viennent d’être énumérées, nous possédons les résultats de longues et fructueuses recherches faites en Espagne, vers 1890, dans les archives d’Alcala et de Simancas dont la substance a passé dans le tome deuxième de l’ouvrage consacré à Philippe V et la Cour de France. Malgré l’épisode connu sous le nom de « conspiration de Cellamare », la correspondance de cet ambassadeur avec le ministre d’État Grimaldo offre peu d’intérêt. Saisie lors de l’arrestation de l’ambassadeur elle n’est plus jamais sortie des archives des Affaires Etrangères. Les Memorie delle cose accadute au même personnage sont conservés au Bristish Muséum et n’apportent que des informations de même ordre : nouvelles mondaines, disputes de rang et d’étiquette, pétition de la noblesse, affaire des légitimés. Cependant, le 13 août 1720, rentré à Madrid, Cellamare composa, à la demande de Grimaldo, un long récit de la conspiration avec les noms et le degré de responsabilité de chacun. On lit par-dessus ces mots : Reservada solo para V. Mag. y la Reyna — Sobre pedir à Chelamar una lista de les personages franceses que seguian el Partido español, en tiempo de la Regencia[291] —. Archives de Simancas, Estado, liasses, 4320, 4323, 4326, 4329, 4331.

Ces mêmes archives conservent, liasse 4327, la correspondance de dom Feliz Cornejo, secrétaire de l’ambassade d’Espagne à Pans, de 1715 à 1717. En outre, les liasses 4330, 4341, 4344, 4347, 4352 et la liasse 2733 des archives de Alcala de Henares sont remplies de la correspondance de Laulès, « cet Irlandais qui rétablit les relations diplomatiques entre la France et l’Espagne après la guerre de 1719. Toutes les lettres de 1720 et 1721 semblent destinées à envenimer la haine de Philippe V contre le Régent et à lui faire illusion sur les dispositions de la France ; on exagère les moindres désordres et représente le gouvernement du duc d’Orléans comme toujours prêt à crouler. Les lettres de 1720 ont un intérêt particulier, grâce aux faits précis qu’elles rapportent sur le luxe insensé, la cherté prodigieuse de toutes choses à Paris, aux beaux temps du système de Law, et les perturbations de toutes sortes qui en suivirent la décadence[292]. »

Enfin les archives de Simancas comptent vingt-sept liasses de pièces, 7513-7539, relatives au Congrès de Cambrai.

A ces documents viennent s’ajouter ceux dont W. Coxe a eu connaissance et qui lui ont servi à composer son Histoire de l’Espagne sous les rois de la maison de Bourbon, dans laquelle il a inséré nombre de lettres du Bubb, qui représenta l’Angleterre à Madrid pendant le ministère d’Alberoni.

Le nom de ce ministre nous transporte d’Espagne en Italie, car il faut reconnaître « qu’au moins pour le temps où Alberoni a été le maître de l’Espagne, sa correspondance n’abonde pas en renseignements neufs ou intéressants ». C’est que Alberoni avait substitué à la via de Estado la via reservada qui aboutissait directement au cabinet du Roi. Il faut donc chercher en Italie toute la correspondance privée et une partie du journal d’Alberoni conservés à Plaisance et publiés par M. Em. Bourgeois, en 1893, sous le titre de Lettres intimes de J.-M. Alberoni adressées au comte J. Rocca, ministre des finances du duc de Parme. A Naples où sont-venues les archives des Farnèse, dès 1738, on lit dans les liasses 50 à 59 et 62 à 64 du fonds Farnesiana, de nombreuses lettres du cardinal et des souverains de Parme. Enfin, M. A. Baudrillart a pu prendre connaissance d’une collection de minutes ou de copies, datées mais non signées formant une suite de lettres d’Alberoni au duc d’Ormond, relatives aux deux expéditions de 1719 sur l’Ecosse et sur la Bretagne. Elles permettent de déterminer très exactement la part de l’Espagne dans le soulèvement de cette province contre le Régent[293].

En Allemagne, des publications documentaires suppléent utilement à des éditions intégrales. Les livres de Weber, Arneth, Droysen, Dœbner sont dans ce cas.

En Angleterre, deux séries de documents renferment la presque totalité des pièces relatives à la grande négociation qui occupa les premières années de la Régence : le Public Record Office et les papiers de lord Stair. Au Public Record Office le fonds France (de 1715 à 1723) comprend les volumes 346-369 et il faut consulter, pour la période correspondante les fonds Holland et Germany. Lord Mahon en avait tiré bon parti pour son History of England from the peace of Utrecht to the peace of Versailles 1713-1783 et avant lui W. Coxe, dans les Memoirs of the life and administration of sir R. Walpole. Les papiers de lord Stair conservés à Oxenfoord Gastle ont fourni la matière de plusieurs publications. D’abord S. Hardwick, Miscellaneous State Papers from 1501 to 1726, en 1778, donna le Journal de Stair et sa correspondance avec Graggs, de 1717 à 1720 ; ensuite, en 1875, John Murray Graham publia The Annals and Correspondance of the first and second Earls of Stair ; enfin, au cours d’un séjour prolongé, M. Wiesener analysa ou traduisit la correspondance de Stair avec Stanhope et ses compatriotes diplomates ou hommes d’Etat ; il en sortit un livre remarquable : Le Régent, l’abbé Dubois et les Anglais d'après les sources britanniques, les seules qui paraissent avoir été connues par l’auteur. Celui-ci a porté si loin l’exclusivisme à l’égard des documents non anglais qu’il n’a même pas recouru au Journal de Dangeau pour certaines vérifications chronologiques élémentaires.

Cette énumération détaillée et, néanmoins, sommaire présente une vue d’ensemble des sources documentaires auxquelles l'auteur a recouru ; il n’y faut voir ni une bibliographie de l’histoire la Régence ni autre chose qu’une première initiation proposée au lecteur et comme un fil placé entre ses mains pour se guider dans l'étude d’une période historique. La table des matières permettra, au moyen de l’ordre alphabétique, de retrouver les titres des ouvrages cités. Ces titres ont été presque toujours transcrits entièrement ou abrégés de façon à demeurer reconnaissables, cette méthode a semblé préférable à celle des renvois devenus énigmatiques sous prétexte de brièveté. On s’est interdit, sauf quelques très rares exceptions, la transcription en note de citations, souvent curieuses et utiles, mais encombrantes et onéreuses. L’illustration du texte par des estampes du temps a dû être abandonnée pour les mêmes raisons.

 

Tel quel, ce livre contient, dans notre pensée, le premier chapitre d'une Histoire de la Révolution française.

 

H. LECLERCQ.

 

 

 



[1] L. Morin, La participation des artisans aux affaires publiques avant la Révolution, dans Bulletin du Comité des travaux historiques et scientifiques. Section des sciences économiques et sociales, 1902, p. 160-172.

[2] R. de Maulde-la-Clavière, Les origines de la Révolution française au commencement du XVIe siècle. La veille de la Réforme, in-8°, Paris, 1889, p. 34.

[3] E. Remy, Recherches historiques et critiques sur la légende de Philippe Pot, dans Bulletin d'histoire et d'archéologie religieuse du diocèse de Dijon, 1893, t. XI, p. 65, 212 ; 1894, t. XII, p. 6, 42.

[4] Ch. Jourdain, La royauté française et le droit populaire au moyen âge, dans Annuaire-bulletin de la Société d'Histoire de France, 1874, p. 142-154.

[5] Ch. Robillart de Beaurepaire, Les Etats de Normandie sous la domination anglaise, in-8°, Évreux, 1859, p. 128.

[6] Jean d’Auton, Chronique de Louis XII, édit. R. de Maulde-la-Clavière, in-8°, Paris, 1889, t. I : Année 1499.

[7] Elle eut alors des adversaires comme Bodin, Hubert Languet, Fr. Hotman ; voir Ed. Congny. Étude sur le XVIe siècle. Théories politiques, François Hotman. La « France-Gaule », dans Mémoires de la Société des sciences, des lettres et des arts de Seine-et-Oise, 1874, t. X, p. 241-322.

[8] Florimond Rapine, Recueil très exact et curieux de tout ce qui s’est fait et passé de singulier et mémorable en l’Assemblée générale des Estats tenus à Paris en l’année 1614 et particulièrement en chacune séance du tiers Ordre. Paris, 1651, Ch. Molle, Journal de ce qui s’est passé en la Chambre du Tiers-Etat aux Etats-Généraux de 1614, par Claude Le Doulx de Melleville, lieutenant général d’Evreux, dans Recueil des travaux de la Société libre d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres de l’Eure, 1889-1890, t. XLIII, p. 495-697 ; D’Avenel. Richelieu et la Monarchie absolue, t. I, in-8°, Paris, 1896 ; G. Hanotaux. Histoire du cardinal de Richelieu, t. II, 1re partie : Le chemin du pouvoir. Le premier ministère (1614-1617), in-8°, Paris, 1896 ; G. Picot, Histoire des Etats-Généraux, 2e édit., 1888, t. IV.

[9] Il y eut une assemblée à Rouen, voir É. de Beaurepaire, Louis XIII et l'Assemblée des Notables à Rouen en 1617, documents recueillis et annotés, in-8°, Rouen 1883.

[10] Maxime d'Etat ou testament politique d'Armand Du Plessis, cardinal duc de Richelieu, 1764, chap. VIII sect. VI. p. 289-290.

[11] Testament politique de Richelieu, chap. IV. Sect. III.

[12] Edit qui défend aux Parlements et autres Cours de justice de prendre à l'avenir connaissance des affaires d'Etat et d'administration, et qui supprime plusieurs charges de conseillers ail parlement de Paris, dans Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 529 suivantes.

[13] De la puissance qu’ont les rois sur les peuples et du pouvoir des peuples sur les rois, in-12 s. 1. 1650, 20 pages, p. 11 ; sur l’autour, voir C. Moreau. Bibliographie des mazarinades, in-8°, Paris, 1850, t. I, p. 35-43.

[14] Harmonie de l'amour et de la justice de Dieu. Au roi, à la reine régente et à messieurs du Parlement, in-12. A la Haye [Paris] 1650, p. 93.

[15] Discours chrétien et politique de la puissance des rois, in-4°, s. l. 1649, p. 4.

[16] Lettre à messieurs du parlement de Paris, écrite par un provincial [attribuée à Jean Beaudeau, marquis de Chanleu, gouverneur de Château-Chinon] : cette pièce passait, au jugement de Gui Patin, Lettres, t. I, p. 440, pour une des meilleures mazarinades.

[17] Lettre d'avis ; voir C. Moreau, Choix de Mazarinades, t. I, p. 398-399 ; réflexions analogues dans Manuel du bon citoyen ou Bouclier de défense légitime contre les assauts de l'ennemi, 1649 ; voir C. Moreau, Choix de Mazarinades, t. I, p. 451.

[18] Brissaud, Un libéral au XVIIe siècle, Claude Joly, 1007-1700, dans Recueil de l’académie de législation de Toulouse, 1897-1898, t. XLVI, p. 1 suivantes.

[19] Recueil de maximes véritables et importantes pour l’institution du Roi contre la fausse et pernicieuse politique du cardinal Mazarin, prétendu surintendant de l’éducation de Sa Majesté, 1662.

[20] Recueil de maximes, ch. V, p. 114. Voir H. Sée, Les idées politiques à l’époque de la Fronde, dans Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1901. t. III, p. 113-138.

[21] C’est la matière du chapitre XI du Recueil de maximes. Pour établir le droit des peuples à s’imposer eux-mêmes, P. Bayle. Dictionnaire philosophique in-fol. Rotterdam. 1713, t. II, p. 98, cite ce chapitre de Cl. Joly.

[22] Sur l’opinion qui voulait faire venir la formule : « tel est notre plaisir » d’une réminiscence des anciens placita, voir L. de Mas-Latrie : De la formule « Car tel est notre plaisir », dans la chancellerie française dans Bibliothèque de l’Ecole des Chartes. 1881, t. XLII, p. 560-564 ; G. Demante dans même recueil, 1893, t. LII, p. 86-96.

[23] Silhon, De la certitude des connaissances humaines, in-8°, Paris, 1661, t. III, ch. II, p. 326-329.

[24] Champollion-Figeac, Vie de Fréret, au tome Ier de ses Œuvres, in-8°, Paris, 1826. Le mémoire fut lu à l’Académie le 11 novembre 1714. Fréret fut arrêté et enfermé le 26 décembre, à la Bastille, d’où il sortit le 31 mars 1715.

[25] Le Monarque parfait où le devoir d’un prince chrétien, composé en latin par feu M. le cardinal Bellarmin et mis en français par Jean de Linnel [pseudonyme probable de Guillaume Colletet], in-8°, Paris, 1626, p. 3, 11.

[26] Nicole [sous le pseudonyme de Chanteresne], De la grandeur, 1ère partie, ch. XII-XV. De l’Education d’un prince, in-12. Paris, 1670, p. 182-186.

[27] Politique tirée de l’Ecriture Sainte, IV, 1, 2, dans Œuvres complètes, in-8°, Bar-le-Duc 1863, t. VII, 630.

[28] Boileau à Racine, A Bourbon, 19 août 1687, dans Œuvres de J. Racine, édit. P. Mesnard 1805, t. VI, p. 591.

[29] Siècle de Louis XIV, ch. XV, dans Œuvres complètes, édit. F. Didot, t. IV, p. 132.

[30] La grant monarchie de France, composée par messire Claude de Seyssel, lors évêque de Marseille, in-8°, Paris, 1519. p. 5.

[31] Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XVII, p. 399.

[32] P. Chéruel, Histoire de France sous le ministère de Mazarin (1651-1661), in-8°, Paris, 1882, t. II, p. 253-256.

[33] Arrêt du Conseil d'en haut, 8 juillet 1661, dans Isambert, op. cit., t. XVII, p. 403 suivantes.

[34] P. Chéruel, Histoire de l'administration monarchique en France, depuis l'avènement de Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV, in-8°, Paris, 1855, t. II, p. 90 suivantes.

[35] Œuvres de Louis XIV, Mémoires, t. II, p. 48.

[36] Journal d'Olivier d'Ormesson, 2e partie, fol. 117, dans P. Chéruel, op. cit., t. II, p. 99 suivantes. ; il s’agissait d’édits concernant la modération du prix des charges, enregistrés antérieurement en présence du Roi et qui touchaient aux intérêts pécuniaires des parlementaires ; L. Vian, Louis XIV au Parlement, d'après les manuscrits du Parlement, dans Mémoires de la Société des sc. mor., des lett. et des arts de Seine-et-Oise, 1883, t. XIII, p. 103-115.

[37] Isambert, op. cit., t. XIX, p. 70.

[38] Ibid., t. XIX, p. 72.

[39] Œuvres de Daguesseau, 1779, t. III, p. 545.

[40] Œuvres de Louis XIV. Mémoires, t. II, p. 9.

[41] Ibid., t. II, p. 16.

[42] Politique tirée de l’Ecriture Sainte, l. VI, art. I, proposition 1.

[43] Jurieu, Les derniers efforts de l’innocence affligée, in-12, La Haye, 1682.

[44] Mme de Sévigné, Lettres, du 13 juin 1685, édit. Monmerqué, in-8°, Paris, 1862, t. VII, p. 402.

[45] La Bruyère, Les Caractères, La Cour, édit. G. Servois, in-8°, Paris, 1865, t. I, p. 329.

[46] Œuvres de Louis XIV. Mémoires, t. II, p. 26.

[47] P. Clément, Lettres, Instructions et Mémoires de Colbert, in-4°, Paris, 1861, t. VI, appendice, p. 352 ; Glasson, La codification en Europe au XVIIe siècle, dans Revue politique et parlementaire, 1894, p. 401 suivantes.

[48] P.-A. Chéruel, Histoire de l'administration monarchique en France depuis l’avènement de Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV, in-8°, Paris, 1855, t. III, p. 355 suivantes.

[49] Louis XIV au cardinal d’Estrées, 27 mai 1703, dans Œuvres de Louis XIV. Lettres, t. VI, p. 124.

[50] Ch. Gérin, Louis XIV et le Saint-Siège, 2 vol. in-8°, Paris, 1894, H. Iung, La France et Rome, Etude historique, XVII-XVIIIe et XIXe siècles, d’après des documents tirés des archives de France et de l’Etranger, in-12. Paris, 1874 ; A. Le Roy, Le Gallicanisme au XVIIe siècle. La France et Rome de 1700 à 1715 ; histoire diplomatique de la bulle Unigenitus jusqu’à la mort de Louis XIV, in-8°, Paris, 1892.

[51] Le Voyer de Boutigny, Dissertation sur l’autorité légitime des rois en matière de régale, in-4°, Paris, 1682.

[52] P. de Vaissières, Gentilshommes campagnards de l'ancienne France, in-8°, Paris, 1904.

[53] Œuvres de Louis XIV, Mémoires, t. I, p. 36

[54] A. de Tocqueville, L’ancien régime et la Révolution, in-8°, Paris, 1857, p. 75-77.

[55] A. Leroux, Inventaire des archives de la Vienne, série C. (Généralité de Limoges), in-8°, Paris, 1891, préface.

[56] E. Lavisse, Histoire de France, in-8°, Paris, 1905, t. VII, part. 1, p. 166-167.

[57] A. de Tocqueville, op. cit., p. 78-79 ; voir Ch. Godard, Les pouvoirs des Intendants sous Louis XIV, in-8°, Paris, 1901.

[58] Bouchez, Le mouvement libéral en France au XVIIe siècle (1610-1700), in-8°, Lille, 1908.

[59] H. Sée, Les idées politiques à l'époque de la Fronde, dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1901, t. III, p. 113 suivantes., comparez l’épigraphe des Révolutions de Paris, dans A. Tuetey, Bibliographie de l’histoire de Paris pendant la Révolution française, in-4°, Paris, 1894, t. II, p. 519, n. 10249.

[60] Jurieu, Lettres pastorales adressées aux fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, in-12, Rotterdam, 1689, t. III, lettres, XV-XVIII ; Le même, Examen d'un libelle contre la religion, contre l'Etat et contre la religion d'Angleterre intitulé : « Avis important... », in-8°, La Haye, 1691.

[61] Jurieu, Lettres pastorales, p. 367 suivantes.

[62] Ibid., p. 390 ; voir R. Lureau, Les doctrines politiques de Jurieu 1637-1713, in-8°, Bordeaux, 1904.

[63] Avis important aux Réfugiés sur leur prochain retour en France, in-8°, Amsterdam 1790, p. 97 ; voir Desmaizeaux, La Vie de Bayle, in-12, La Haye, 1732, t. I, p. 238 suivantes. ; t. II, p. 1-35 ; J. Denis, Bayle et Jurieu, in-8°, Paris, 1886 ; Ch. Bastide, Bayle est-il l’auteur de l’avis aux réfugiés, dans Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, 1907, t. LVI, p. 544-588.

[64] Cinquième avertissement aux protestants sur les lettres du ministre Jurieu, in-8°, Paris, 1889. p. XXXI.

[65] G. Lacour-Gayet, L'éducation politique de Louis XIV, in-8°, Paris, 1898, p. 311.

[66] Les soupirs de la France esclave qui aspire après la liberté, in-12, Amsterdam, 1691, p. 30. Ce pamphlet fut publié en livraisons par Jurieu qui en fut peut-être l’auteur.

[67] H. Leclercq, Les Martyrs, t. XI, in-12, Paris, 1911. Préface, p. XXXVI.

[68] Lettre de Fénelon à Louis XIV, édit. A. A. Renouard, in-8°, Paris 1825 ; publiée pour la première fois par D’Alembert, Histoire des membres de l’Académie Française, in-12, Paris. 1787 t. III, p. 351 suivantes.

[69] A défaut d’autre suggestion celle-ci se lisait dans l'Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, qui condensa les instructions données au prince depuis plusieurs années : ch. IX : « Il ne suffit pas de savoir le passé, il faut connaître le présent. Savez-vous le nombre d'hommes qui composent votre nation, combien d’hommes, combien de femmes ; combien de laboureurs, combien d’artisans, combien de praticiens, combien de commerçants, combien de prêtres et de religieux, combien de nobles et de militaires ?... connaître la nature des habitants des différentes provinces, leurs principaux usages, leurs franchises, leurs commerces et les lois de leurs divers trafics au dedans et ail dehors du royaume... savoir les divers tribunaux établis en chaque province, les droits des charges, les abus de ces charges... » C’était ce qu’il appelait des « dénombrements ».

[70] A. Chérel, Fénelon au XVIIIe siècle en France (1715-1820). Son prestige. — Son influence, in-8°, Paris, 1917.

[71] Il est superflu de rappeler la confiance du duc de Bourgogne, quant à celle du duc d’Orléans il avouait « que si par de ces hasards qu'il est impossible d’imaginer, il se trouvait le maître des affaires ce prélat vivant et encore éloigné, le premier courrier qu’il dépêcherait serait pour le faire venir et lui donner part dans toutes ». Saint-Simon. Mémoires, édit. A. de Boislisle, t. XIX, p. 209.

[72] Cl. Fleury, Portrait de Monseigneur le Dauphin, in-12, Paris, 1714.

[73] Mémoire de M. le duc de Bourgogne, envoyé par ordre de Sa Majesté à MM. les Maîtres des Requêtes Commissaires départis [ce qui était leur titre officiel] dans les Provinces, dans Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XV, écrite sur les mémoires de la Cour, enrichie des écrits du même Prince, in-12, Paris, 1792, t. I, p. 311-348 ; « l’Instruction que nous avons donnée, monsieur de Beauvilliers et moi », ibid., p. 349.

[74] « Car c’est ainsi qu’il écrivait son nom dont il était très jaloux » M. Marais au président Bouhier, Paris, 2 janvier 1726, dans M. Marais, Journal et Mémoires, in-8°, Paris, 1863, t. III, p. 384. Nous nous en tiendrons à l’orthographe reçue.

[75] H. de Boulainvilliers. Etat de la France, dans lequel on voit tout ce qui regarde le Gouvernement ecclésiastique, le militaire, la justice, les finances, le commerce, les manufactures, le nombre des habitants, et en général tout ce qui peut faire connaître à fond cette Monarchie : Extrait des Mémoires dressez par les Intendants du Royaume par ordre du roi Louis XIV, à la sollicitation de Mgr le duc de Bourgogne, père de Louis XV, à présent régnant. Avec des Mémoires de l’ancien gouvernement de cette Monarchie jusqu’à Huques Capet, 3 vol. in-fol., Londres, 1727-1728 ; un résumé dans J.-E. Horn, L’économie politique avant les physiocrates, in-8°, Paris, 1867, p. 5-15. Voir A. de Boislisle, Note sur les Mémoires dressés par les Intendants en 1697 pour l’instruction du duc de Bourgogne, dans Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1873, p. 149-160, 167-175 ; Mémoires des Intendants sur l’état des Généralités dressés pour l’instruction du duc de Bourgogne, t. I, Paris ; in-4°, Paris, 1881 ; Description des pays de Bresse, Bugey et Gex, dressée par l’intendant de Bourgogne en 1698... pour le duc de Bourgogne, dans Bulletin de la Société de géographie de l’Ain, 1891, t. VI, p. 16, 33, 87, 120, 172, 207.

[76] M. Cagnac, Fénelon, Etudes critiques, in-12, Paris, 1910, p. 111.

[77] A. M. Ramsay, Essai de politique où l’on traite de la nécessité, de l’origine, des droits, des bornes et des différentes formes de la souveraineté, selon les principes de l'auteur du Télémaque. La Haye, 1719, devenu Essai philosophique sur le gouvernement civil, selon les principes de feu M. François de Salignac de La Mothe Fénelon, Archevêque, duc de Cambrai, Londres 1721.

[78] H. Sée, Les idées politiques de Fénelon, dans Revue d'Histoire moderne et contemporaine, 1899, t. I, p. 545-565 ; G. Gidal, La politique de Fénelon, in-12, Paris, 1906.

[79] Essai philosophique sur le gouvernement civil, dans Œuvres complètes, édit. Gaume, in-8°, Paris, 1851, t. VII, p. 141.

[80] Télémaque, édit. Mazure, in-12, Paris, 1888, p. 87.

[81] Ibid., p. 217.

[82] Tables de Chaulnes, dans Œuvres complètes, t. VII, p. 183.

[83] Œuvres complètes, t. VII, p. 321.

[84] E. Daire, Notice historique sur la vie et les travaux de Boisguillebert, dans Collection des principaux économistes, in-8°, Paris, [Guillaumin] 1846, t. I, p. 103 ; J. E. Horn, L'Economie politique avant les physiocrates, in-8°, Paris, 1867 : E. Aubergé, Introduction à une étude sur Boisguilbert, économiste du XVIIIe siècle, dans Bulletin de la Société d'archéologie, des sciences, lettres et arts du département de Seine-et-Marne, 1872-1873, t. VI, p. 443 ; A. de Boislisle, Boisguilbert et les contrôleurs généraux, dans Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, (1899) p. 573-599 ; A. Jourdan, Discours [sur l’abbé de Saint-Pierre, P. de Boisguilbert et Vauban] dans Séance publique de l’Académie des sciences, agriculture, arts et belles-lettres d’Aix, 1890.

[85] Aujourd’hui à la Bibl. nat., ms. franç. 1733, petit in-4° de 146 pages.

[86] Saint-Simon, Mémoires, édit. de Boislisle, t. VIII, p. 306, note 6, p. 571-572.

[87] A. de Boislisle, Mémoire sur le projet de Dîme royale et la mort de Vauban, dans Comptes-rendus de l’Académie des sciences morales et politiques, 1875, t. CIV, p. 229-247, 522-537 ; dans la lettre du 26 avril 1704 à Chamillard, Vauban dit que Boisguilbert est « un peu éveillé du côté de l’entendement, mais cela ne l’empêche pas qu’il ne puisse être capable d’ouvrir un bon avis ; quelquefois les plus fous donnent de fort bons avis aux plus sages ».

[88] Bibl. nat., ms. franç., 7758.

[89] P. de Boisguilbert, Factum de la France, ch. I, p. 248.

[90] Sur la date de publication : 1705 ou 1706, voir Horn, op. cit., p. 72, A. de Boislisle, dans Mémoires de Saint-Simon, t. XIV, p. 594, note 1.

[91] Voir A. de Boislisle, op. cit., t. XIV, p. 594, note 4.

[92] Arch. nat., Conseil privé, carton V6807, dixième arrêt du 14 février 1707.

[93] Boisguilbert à Chamillard, 13 juin 1700. Boisguilbert s’oubliait jusqu’à imputer la Dîme non à Vauban mais à son « faiseur », un chanoine de Tournai, relégué à Rouen et que le maréchal employait pour corriger son style.

[94] L. Say, Vauban économiste, dans Comptes-rendus de l’Académie des sciences morales et politiques, 1891, t. CXXXVI, p. 556-581.

[95] P. Faugère, Ecrits inédits de Saint-Simon, in-8°, Paris, 1882, t. IV, p. 178-179.

[96] Saint-Simon, Mémoires, édit. Chéruel, t. VI, p. 407-408.

[97] Saint-Simon, Parallèle des trois premiers rois bourbons, p. 26-27.

[98] Ibid., p. 285 ; Lettre anonyme au Roi (avril 1712) dans Ecrits inédits, t. IV, p. 37.

[99] Saint-Simon, Mémoires, t. XIII, p. 385 suivantes.

[100] Saint-Simon, Projets de gouvernement du duc de Bourgogne, édit. P. Mesnard, 1860, p. 55 suivantes.

[101] Ibid., p. 91-92.

[102] Ibid., p. 93.

[103] Projects de restablissement du royaume de France (janvier 1712), dans Ecrits inédits, t. IV, p. 193.

[104] Mémoire sur les légitimés, dans Ecrits inédits, t. II, p. 121.

[105] Mémoires, t. XI, p. 427-428.

[106] Lettre anonyme, dans Ecrits inédits, t. IV, p. 43 suivantes.

[107] Projets de gouvernement, p. 61 suivantes.

[108] Saint-Simon, Mémoires, t. XVII, p. 12-13.

[109] Ibid., t. X, p. 392, suivantes, p. 473.

[110] Mémoire sur la renonciation, dans Ecrits inédits, t. II, p. 186.

[111] Mémoires, t. XI, p. 293.

[112] Projets de gouvernement, 1860, p. 4.

[113] H. Sée, Les idées politiques de Saint-Simon, dans Revue historique, 1900, t. LXXIII, p. 1-22.

[114] Fénelon, Œuvres complètes, t. VIII, p. 6,

[115] Ibid., t. VII, p. 182, suivantes.

[116] Examen de conscience sur les devoirs de la Royauté, art. III, n. XVIII ; Fénelon au duc de Chevreuse, 4 août 1710. Œuvres complètes, t. VII, p. 331, suivantes.

[117] Examen de conscience sur les devoirs de la Royauté, art. III, n. XIV.

[118] Mémoire sur la situation déplorable de la France (1710) ; voir E. de Broglie, Fénelon à Cambrai d'après sa correspondance (1699-1715), in-8°, Paris, 1884, p. 249.

[119] De Bausset, Histoire de Fénelon, 3e édit., t. IV, p. 48-140. Voir G. Tréca, Les doctrines et les Réformes de droit public en réaction contre l'absolutisme de Louis XIV dans l'entourage du duc de Bourgogne, in-8°, Paris, 1909.

[120] Bibl. nation., Supplém. franç. 1260 ; Projets de gouvernement du duc de Bourgogne, Dauphin. Mémoire attribué au duc de Saint-Simon et publié pour la première fois... par M. Paul Mesnard, in-8°, Paris, 1860 ; voir O. d’Haussonville, La duchesse de Bourgogne et l’alliance savoyarde sous Louis XIV, in-8°, Paris, 1908, t. IV, p. 257 suivantes ; R. Tabournel, Le roi de l’avant-règne : le duc de Bourgogne, dans Revue des Etudes historiques, 1901, t. LXVII, p. 340-347.

[121] Composé entre le mois de mars 1714 et le mois d’août 1715.

[122] Sur la véracité de Saint-Simon on peut rappeler P. Chéruel, Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, in-8°, Paris, 1865 et A. de Boislisle, Fragments inédits de Saint-Simon, dans Annuaire-Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1880, p. 117-144 : il donne comme ayant été prononcé un discours qui demeura en portefeuille ; autre preuve dans Revue des Questions historiques, 1903, t. LXXIII, p. 448 et suivantes.

[123] Abbé de Saint-Pierre, Œuvres complètes, 1732, t. III, p. 191.

[124] Saint Simon, Mémoires, édit. Chéruel, 1857, t. X, p. 104-105.

[125] S. Proyart, Vie du Dauphin, père de Louis XV, 1782, t. I, p. 360.

[126] Bibliothèque du Musée Calvet, en Avignon. Papiers inédits de la marquise d’Huxelles.

[127] Bibliothèque du Sénat, ms. 168, fol. 69 : Traits de M. le Dauphin auparavant duc de Bourgogne.

[128] P. Mesnard, op.cit., p. LXVII-LXVIII.

[129] S. Proyart, op. cit., t. II, p. 52.

[130] Faugère, Ecrits inédits de Saint-Simon, in-8°. Paris, 1880, t. II, p. 419.

[131] Saint-Simon. Mémoires, édit. Chéruel, 1856, t. X, p. 111.

[132] Fénelon, Œuvres complètes, édit. de Saint-Sulpice, t. VII, p. 233.

[133] S. Proyart, op. cit., t. II. p. 67.

[134] « Le plan en avait déjà été tracé par notre très honoré père », lit-on dans le Préambule de l’Edit de 1715.

[135] P. Faugère, op. cit., t. II. Mélanges, t. I, p. 481.

[136] S. Proyart, op. cit., t. II, p. 6.

[137] S. Proyart, op. cit., t. II, p. 107.

[138] S. Proyart, op. cit., t. II, p. 305.

[139] Fénelon, Œuvres complètes, t. VII, p. 365.

[140] S. Proyart, op. cit., t. II, p. 77.

[141] O. d’Haussonville, op. cit., t. IV, p. 341.

[142] C. A. Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. II, p. 134.

[143] C. Rollin, Traité des Etudes, t. III, p. 41 : le duc de Bourgogne « dont la France regrettera éternellement la perte... était surtout éloigné de tout faste et de toute dépense inutile... ». Voir Histoire littéraire de l'Europe, novembre 1727, p. 22 ; Voltaire, Siècle de Louis XIV : « Il aurait mérité d’être célèbre, même s’il n’eut été qu’un simple particulier ». Michelet, Histoire de France, t. XVI, p. 305-306 : « Quelque ombre que jette sur ce caractère sa bigote intolérance, on ne condamnera pas entièrement la faveur unanime dont les opinions diverses l’ont entouré. On doit considérer sa naissance, son éducation, la Cour où il vécut, le mur insurmontable dont furent entourés sen esprit ami du vrai, son âme sympathique... Il était né justement identique à ce qu’il eût fallu changer... Il n’eut ni appui, ni levier... Comptons-lui sa droite intention, sa vie pure, l’amour du devoir, le désir du bonheur des hommes. Il fit peu, mais voulut. L’histoire est et restera attendrie de sa mémoire ».

[144] A. Feillet, La misère du temps de la Fronde et saint Vincent de Paul ou un Chapitre de l’histoire du Paupérisme en France, in-8°, Paris, 1862 ; P. Clément, La police sous Louis XIV, in-8°, Paris, 1866 ; F. Rocquain. La misère au temps de Louis XIV, dans Etudes sur l’ancienne France, in-12, Paris, 1875, p. 239-270.

[145] A. de Boislisle, Correspondance des Contrôleurs généraux des finances avec les Intendants des provinces, in-4°, Paris, t. I (1874) : Mémoire de M. Desmaretz sur l’état présent des affaires (1686), p. 543-547.

[146] Mémoire présenté au Roi par M. Le Peletier après avoir quitté les finances par lequel il rend compte de son administration (juin 1691), ibid., t. I, p. 556.

[147] Mémoire de M. Desmaretz sur l’état présent des affaires (1686), ibid., t. I, p. 546.

[148] Lettre de M. de Bérulle, intendant de Lyon au Contrôleur-général, 26 décembre 1687, ibid., t. I, p. 132, n. 506.

[149] Brigadiers et soldats logeant chez les contribuables non payants.

[150] Lettre de M. Lebret, intendant en Dauphiné au Contrôleur général, 6 décembre 1684, ibid., t. p. 35, n. 130.

[151] Lettre de M. Foucault, intendant à Poitiers au Contrôleur général, 8 avril, 1688, ibid., t. I, p. 147, n. 562, note.

[152] Lettre de M. le Vayer intendant à Soissons au Contrôleur général, octobre 1684, ibid., t. I, p. 32, n. 124.

[153] Lettre du Contrôleur Général à M. de Saint-Contest, intendant à Limoges, 10 décembre 1687, ibid., t. I, p. 131, n. 502.

[154] Mémoire de M. Desmaretz sur l’état présent des affaires (1686), t. I, p. 545.

[155] Lettre du Contrôleur-général à M. de Bezons, intendant à Bordeaux, 6 mai 1688, ibid., t. I, p. 148, n. 567.

[156] Mémoire présenté au Roi par M. Le Peletier (juin 1691), ibid., t. I, p.554-557.

[157] Lettre du Contrôleur-général à M. de Vaubourg, intendant en Auvergne, 14 avril 1689, ibid., t. I, p. 179, n. 686.

[158] Lettres de M. de Pomereu, commissaire du Roi en Bretagne, au Contrôleur-général, 3, 17, 27 avril, ibid., t. I, p. 177, n. 677.

[159] Le contrôleur-général aux Intendants, 5 août 1689, ibid., t. I, p. 190, n. 740.

[160] Le cardinal de Bonzy au Contrôleur-général, 24 novembre1688, ibid., t. I, p. 165, n. 634.

[161] M. de Miroménil, intendant à Tours au Contrôleur-général, 28 novembre 1691, ibid., t. I, p. 268, n. 1016.

[162] Lettre de M. de Bezons, Bordeaux, 15 septembre 1691, ibid., t. I, p. 268, n. 1016, note.

[163] M. de Sève, intendant à Metz, au Contrôleur-général, 21 mai 1695, ibid., t. I, p. 391, n. 1431.

[164] Lettres des 24 et 26 octobre 1695, ibid., t. I, p. 391, n. 1431, note.

[165] Lettre du 27 août 1695, ibid., t. I, p. 391, n. 1431, note.

[166] Lettre de M. Lebret, intendant de Provence, 12 septembre 1693, ibid., t. I, p. 391, n. 1431, note.

[167] M. de Marillac, intendant à Rouen, au Contrôleur-général, 16 février 1685, ibid., t. I, p. 42, n. 162.

[168] M. de Bezons, intendant à Bordeaux, au Contrôleur-général, 15-17-24 mai ; 15-16 juin 1691, ibid., t. I, p. 245, n. 942.

[169] S. A. R. Mgr le Prince, au Contrôleur-général, 2 juin 1691, ibid., t. I, p. 248, n. 953.

[170] M. de Bouville, intendant à Limoges, au Contrôleur-général, 26 et 29 mai 1691, ibid., t. I, p. 248, n. 952.

[171] M. de Bouville, intendant à Limoges, au Contrôleur-général, 12 janvier 1692, ibid., t. I, p. 274, n. 1038.

[172] M. de Châteaurenard, intendant à Moulins, au Contrôleur-général, 6 avril 1692, ibid., t. I, p. 274, n. 1038, note.

[173] M. de Bezons, intendant de Bordeaux, au Contrôle général, 19 avril 1692, ibid., t. I, p. 254, n. 1072.

[174] Lettre de Vauban, 30 novembre, ibid., t. I, p. 295, n. 1114, note.

[175] M. Bouchu, intendant en Dauphiné, au Contrôleur-général, 26 septembre 1693, ibid., t. I, p. 337, n. 1235.

[176] M. de Beuvron, lieutenant-général en Normandie, au Contrôleur-général, 4 mai 1698, ibid., t. I, p. 319, n. 1187.

[177] M. de Bouville, intendant de Limoges, au Contrôleur-général, 6 juin1693, ibid., t. I, p. 319, n. 1186, note.

[178] M. de Bonville, intendant de Limoges, au Contrôleur-général, 7 octobre 1693, ibid., t. I, p. 319, n. 1186, note.

[179] M. de Bezons, intendant de Bordeaux, au Contrôleur-général, 6, 9, 17 et 29 octobre, 9 novembre 1693, ibid., t. I. p. 340, n. 1241.

[180] M. l’évêque de Montauban, au Contrôleur-général, 16 avril 1694, ibid., t. I, p. 360, n. 1308.

[181] M. l’évêque d’Auch, au Contrôleur-général, 6 septembre 1694, ibid., t. I, p. 360, n. 1308, note.

[182] M. Sanson, intendant à Montauban, au Contrôleur-général, 28 mai 1693, ibid., t. I, p. 391, n. 1432.

[183] Boulainvilliers, Etat de la France, 1757-1728, t. I, p. 72.

[184] Ibid., t. I, p. 132.

[185] Ibid., t. II, p. 3.

[186] Ibid., t. II, p. 13.

[187] Ibid., t. II, p. 46.

[188] Ibid., t. II, p. 44.

[189] Ibid., t. II, p. 28.

[190] Ibid., t. II, p. 30.

[191] Ibid., t. I, p. 207.

[192] Ibid., t. II, p. 266.

[193] Ibid., t. II, p. 155.

[194] Ibid., t. II, p. 239.

[195] Ibid., t. II, p. 118.

[196] Ibid., t. I, p. 30.

[197] Lettre de l’intendant de Tours, au Contrôleur-général, 29 septembre, 21 et 23 octobre 1699, dans A. de Boislisle, Correspondance des Contrôl.-génér., t. II, p. 4, n. 13.

[198] 5 novembre 1699 ; ibid., t. II, p. 10, n. 35.

[199] 16 novembre 1699 ; ibid., t. II, p. 12, n. 44.

[200] 17 novembre 1699 ; ibid., t. II, p. 13, n. 47.

[201] M. Dugué de Bagnols, intendant en Flandre, au Contrôleur-général, 19 novembre 1699, ibid., t. II, p. 14, n. 48.

[202] Lettre de la comtesse de Grignan, 31 août 1702, ibid., t, II, p. 117, n. 421.

[203] M. Taschereau, de Baudry, lieutenant-général de police à Tours, au Contrôleur-général, 24 mars 1700, ibid., t. II, p. 32, n. 109.

[204] M. de Bernage, intendant à Limogez, au Contrôleur-général, 15 juin, 24 et 30 juillet 1700, ibid., t. II, p. 42, n.146.

[205] Af. Lebret fils, intendant du Béarn, au Contrôleur-général, 8 octobre 1701, ibid., t. II, p. 38, n. 323.

[206] M. Lebret, intendant de Provence, au Contrôleur-général, 7 janvier 1704, ibid., t. II, p. 166, n. 560.

[207] M. Bégon, intendant à La Rochelle, au Contrôleur-général, 31 mai 1704, ibid., t. II, p. 185, n. 616.

[208] M. de Bouville, intendant à Orléans, au Contrôleur-général, 1er et 22 novembre 1704, ibid., t. II, p. 207, n. 683.

[209] M. Le Gendre, intendant à Montauban, au Contrôleur-général, 24 juin 1705, ibid., t. II, p. 258, n. 838.

[210] Lettre de Guyenne (envoyée à M. Desmaretz), septembre 1706, ibid., t. II, p. 358, n. 1120.

[211] M. de Montgeron, intendant de Berry, au Contrôleur-général, 13 avril 1707, ibid., t. II, p. 394, n. 1226.

[212] M. de Mahé, receveur des tailles à Fontenay-le-Comte, 15 mai 1707, ibid., t. II, p. 421, n. 1769.

[213] L'évêque de Nantes au Contrôleur-général, 2 janvier 1706, ibid., t. II, p. 296, n. 945.

[214] Les curés de l’élection de Cahors au Contrôleur-général, 13 novembre 1705, ibid., t. II, p. 283, n. 911.

[215] A. de Boislisle, Le Grand Hiver et la disette de 1709, dans Revue des Questions historiques, 1903, t. LXXIII, p. 444-447 ; H. Wallon, Les événements de 1709 d'après Saint-Simon, dans Journal des Savants, 1904, t. II, p. 77-80, 232-239 : J. Tissier, L'hiver de 1709 dans le diocèse de Narbonne, dans Bulletin de la Commission archéologique de Narbonne, 1894, t. III, p. 565-594 ; Chauvet, Extrait des registres paroissiaux de Salles relatif à l’hiver de 1709, dans Bulletins et mémoires de la Société archéologique et historique de la Charente, 1898, t. XLII, p. CXXXI ; N. Gautier, L'hiver de 1709. Relation de Léonard Blanchier, maître chirurgien à Bouex, dans même recueil, 1892, t. XXXVI, p. LXXV ; Egreteaud, Hiver de 1709, note extraite du registre de l’Etat-civil de Saint-Cyr du Dauret, dans Recueil de la Commission des arts et monuments historiques de la Charente-Inférieure et Société d'archéologie de Saintes, 1893-1894, t. XII, p. 118 ; Les indications bibliographiques données par A. de Boislisle, op. cit., 1903, t. LXXII, p. 445, note 5 ; A. Forterre, L'hiver de 1709 [à Aps], dans Bulletin de la Société départementale d'archéologie et de statistique de la Drôme, 1892, t. XXVI, p. 98 ; E. Monst, La disette de 1709 à Lons-le-Saulnier, dans Mémoires de la Société d'émulation du Jura, 1898, t. LXI, p. 285 ; A. Braudin, L'hiver de 1709, dans Bulletin et compte-rendu des travaux de la Société d'histoire et d'archéologie de Brie-Comte Robert, Mormant, Tournan et la vallée de l'Yères, 1902-1903, t. II, p. 102-105 , Taillefer, L'hiver de 1709 dans Bulletin de la Société archéologique du midi de la France, 1805, t. VIII, p. 88, N. Perrossier, Note sur le grand hiver de 1709, dans Bulletin d’histoire ecclésiastique et d’archéologie religieuse des diocèses de Valence. Gap, Grenoble et Viviers, 1888-1889, t. IX, p. 255. Delgrange, 1709 à Rumegies, dans Bulletin de la Société d’études de la province de Cambrai, 1908, t. XII, p. 95-98 ; Bouchel, Le grand hiver de 1709 à Serval, dans le Soissonnais, dans Bulletin de la Société archéologique, historique et scientifique de Soissons, 1903-1904 ; 3e série, t. XII, p. 133-135 ; Loir ; Documents concernant la commune de Couchy-les-Pots, canton de Bessons-sur-Metz (Oise) dans Bulletin de la Société d’études historiques et scientifiques de l’Oise, 1907, t. III, p. 253 ; J. Polisson, La misère à Touzac en 1709, dans Revue de Saintonge et d’Aunis, 1906, t. XXVI, p. 309-317.

[216] Ibid., 1903, l. LXXIII, p. 442-509 ; t. XXIV, p. 486-542.

[217] Saint-Simon, Mémoires, édit. de Boislisle. t. XVII, p. 105-196.

[218] J. Vanière, S. J. Praedium rusticum, édit. 1774, 1. VIII, p. 206-211 : sacra ipsa quierunt.

[219] Sourches, Mémoires, édit. de Cosnac et Bertrand, t. XI, p. 267.

[220] Mercure historique et politique, t. XLVI, p. 185-186, 291-292.

[221] Dangeau, Journal, édit. Soulié-Dussieux, t. XII, p. 307 ; Madame, Correspondance, édit. Jaeglé, t. II, p. 79.

[222] M. Daguesseau fils, procureur général au Parlement de Paris au Contrôleur général, 19 janvier 1709, dans A. de Boislisle, Correspondance, t. III, p. 87, n. 274.

[223] Menin, Pot-pourri, édit. P. d’Estrées, dans Souvenirs et mémoires, 1900, p. 439-440.

[224] Jean Bouvart, Journal dans Magasin pittoresque, 1854, p. 170-172 ; dans P. Clément, La Police sous Louis XIV, in-8°, Paris, 1866, p. 349.

[225] A. de Boislisle dans Revue des Sociétés savantes, 1875, 6° série, t. II, p. 394.

[226] Lettres de Mme de Maintenon, recueil Bossange, t. II, p. 13-14, lettre du 25 novembre 1709.

[227] Madame, Correspondance, édit. Brunet, t. I, p. 111.

[228] Ce sont les expressions mêmes de Boisguilbert.

[229] Loir-et-Cher, arrondissement de Blois, canton d’Herbault.

[230] Cette circulaire conservée dans le Journal de Bouvart a été publiée par le Magasin pittoresque, juin 1854.

[231] N. Delamare, Traité de la police, t. II, p. 707, 954, 1007 ; Dupont de Nemours, Analyse historique de la législation des grains, 1789, p. 75-83.

[232] Mme de Maintenon, Lettres, édit. La Beaumelle, 1789, t. VIII, p. 190-194, deux lettres de la princesse d’Harcourt, 19 août et 8 septembre 1709.

[233] M. Trudaine, intendant à Lyon au Contrôleur général, 26 mars et 16 avril 1709, dans A. de Boislisle, Correspondance, t. III, p. 115, n. 345.

[234] Lettre des officiers de la ville de Reims, 2 mai 1709, ibid., t. III, p. 139, n. 390.

[235] Benêt, dans Bulletin du Comité. Section d’histoire et de philosophie, 1884, p. 163-176 ; 1890, p. 242-250.

[236] M. l’évêque d'Angers au Contrôleur général, 23 janvier1709, ibid., t. III, p. 91, n. 281.

[237] M. l'archevêque de Sens au Contrôleur général, 5 mai 1709, ibid., t. III, p. 144, n. 399.

[238] Lettre de l’évêque de Carcassonne, 18 avril 1709, ibid., t. III, p. 130, n. 378 ; L. Charpentier, Un évêque de l'ancien régime, 1899, p. 119-124.

[239] L'évêque de Mâcon au Contrôleur général, 2 juin 1709, ibid., t. III, p. 125, n. 364.

[240] M. de. Bernières, intendant en Flandre, au Contrôleur général, 22 février 1710, ibid., t. III, p. 273, n. 706.

[241] E. Martène et U. Durand, Voyage littéraire de deux religieux bénédictins, In-4°, Paris 1717, p. 164.

[242] M. de la Bourdonnaye, intendant à Bordeaux, au Contrôleur général, 11 mai 1709, op. cit., t. III, p. 152, n. 410.

[243] Lettre de M. Carré, procureur général au Parlement de Dijon, 4 mai 1709, dans Correspondance, t. II, p. 136, n. 383.

[244] Revue des Société savantes, 1890, p. 246.

[245] Madame, Correspondance, édit. Jaeglé, t. II, p. 35, septembre 1709.

[246] Dangeau, Journal, t. XVI, p. 403-404 et 411 note.

[247] Projects de restablissement du royaume de France, dans Ecrits inédits de Saint-Simon, publiés par P. Faugère, in-8°, Paris, 1882, t. IV, p. 193.

[248] A. de Boislisle, dans Revue des Questions historiques, 1903, t. LXXIII, p. 501-509.

[249] Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, dans Recueil Bossange, t. IV. p. 288.

[250] Projects de restablissement, p. 194.

[251] Anonyme au Roy, dans Ecrits inédits, t. IV, p. 10-59 pour la discussion de l’authenticité : Avant-propos, p. I-XV. L’autour dit au début : « Je sçais que Vostre Majesté... en a reçu assez souvent en sa vie, n’a pas laissé souvent aussi de les lire. »

[252] « Vous pensez, Sire, à une régence, à lui former un conseil... de quelque manière que vous ayez regardé toute votre vie les Etats généraux du royaume votre ancien sentiment change dès que les exemples... vous montrent que les meilleurs et les plus authentiques dispositions des Rois n’ont rien de solide après eux sans le concours des Etats généraux ; en un mot Votre Majesté pense à les assembler. »

[253] Oxenfoord Castle, Stair Papers, Lord Stair à lord Stanhope, 21 juillet 1715.

[254] Michelet, Histoire de France, t. XVII, Préface.

[255] Ch. Aubertin, L'esprit public au XVIIIe siècle. Etude sur les Mémoires et les Correspondances politiques des contemporains, 1715 à 1789, in-8°, Paris, 1873, p. 52.

[256] Le duc d’Antin.

[257] Fr. Monnier, Le chancelier Daguesseau, sa conduite et ses idées politiques avec des documents nouveaux et plusieurs ouvrages inédits du chancelier, in-8°, Paris, 1859, p. 153.

[258] Isambert, Recueil des anciennes lois françaises, t. XXI, p. 144-148 : édit du 2 juillet 1717 ; voir M. Marais, Journal et Mémoires, t. II, p. 210, 6 juillet 1717.

[259] P.-E. Lémontey, Histoire de la Régence et de la minorité de Louis XV jusqu'au ministère du cardinal de Fleury, in-8°, Paris, 1832, t. I, p. 2.

[260] Ibid., t. I, p. 34.

[261] A. Baschet, Le duc de Saint-Simon, son cabinet et l'historique de ses manuscrits, in-8°, Plon, 1874

[262] P. Chéruel, Saint-Simon et l'abbé Dubois, dans Revue historique, 1876, t. I, p. 140-153.

[263] Eudore Soulié et Louis Dussieux, Note sur la date des éditions de Saint-Simon, dans Journal de Dangeau, 1860, t. XVII, p. 487-490.

[264] Recueil Maurepas, XIII, 401, dans Journal de Dangeau, t. XVII, p. 397, note.

[265] Ch. Aubertin, L'Esprit public au XVIIIe siècle, in-8°, Paris, 1873.

[266] A. Baudrillart, Philippe V et la Cour de France, in-8°, Paris, 1890, t. II, p. 15.

[267] « J’ai appris que six cents volumes de documents originaux, que j’achevais à peine de compulser, avaient passé entre les mains des puissances dont Paris a reçu les armées à la fin de mars 1814. » P. Lémontey, op. cit., t. I, p. 1.

[268] [Mme Lenormant], Madame Récamier, les amis de sa jeunesse et sa correspondance intime, in-8°, Paris, 1872, préface.

[269] Lémontey, op. cit., t. II, p. 394-398 ; P. Bliard, La question de Gibraltar (1720-1721), dans Revue des Questions historiques, t. LVII, p. 192-210.

[270] L. Mandon, De la valeur des « Mémoires secrets » de Duclos, dans Mémoires de l’Académie de Montpellier, 1870-1873, t. V, p. 245, suivantes. ; L. Le Bourge, Duclos, sa vie et ses ouvrages, Bordeaux 1902, p. 181-190.

[271] Marmontel, Histoire de la régence du duc d'Orléans, 2 vol. in-8°, Paris, 1805, (terminée dès 1788).

[272] J.-B. Capefigue, Philippe d'Orléans, Régent de France, 2 vol. in-8°, Paris, 1838. A. Houssaye ; Michelet ; F. Funck-Brentano, La Régence (1715-1723), in-4°, Paris, 1909.

[273] Villars, Mémoires, édit. de Vogüé, t. IV-VI, (1896).

[274] Louis Paris, Les papiers de Noailles à la Bibliothèque du Louvre ; dépouillement de toutes les pièces, 2 vol. in-8°, Paris, 1875.

[275] On a depuis publié sa correspondance : De Rambuteau, Lettres du maréchal de Tessé, in-8°, Paris, 1888.

[276] Saint-Simon, Mémoires, édit., in-12, (1905), t. VIII, p. 316 ; E. Bourgeois, La collaboration de Saint-Simon et de Torcy, dans Revue historique, 1905, t. LXXXVII.

[277] British Museum, State papers, 8756, Memorie delle cose accadute a Don Antonio Giudice Principe di Cellamare, cavallerizzo maggiore della Regina Elisabeta Farnese, Gentiluomo della Caméra ed Ambassiadore del Re Filippo V nella Corte di Francia.

[278] Mémoires pour servir à l'histoire d'Espagne sous le règne de Philippe V depuis 1699 jusqu'en 1725, trad. de Maudave, 4 vol. in-12, Amsterdam (Paris), 1756 et l’article de Weiss sur cet ouvrage dans Biographie universelle (Michaud), t. XXXVII. p. 384 (les Mémoires fourmillent d’inexactitudes).

[279] Mémoires secrets sur l'établissement de la maison de Bourbon en Espagne, 2 vol. in-8°, Paris 1818. Sous le titre de Mémoires c’est une compilation dont l’auteur est le comte Scipion du Roure, faite à l’aide des quatre volumes in-folio de la correspondance du marquis de Louville, conservée au château de Louville et du recueil de Lettres relatives à Philippe V qui appartient au duc de la Trémoille.

[280] Memoiren des Grafen von Bothmar über die Quadrupel Allianz, (aux archives de Hanovre ; voir T. Weber, Die Quadrupel-Allianz vom Jahre, 1718, in-8°, Wien 1867, préface), publiés par R. Dœbner, Forschungen zur deutschen Geschichte, Göttingen, 1886, t. XXVI, p. 219-261.

[281] G. Boissier, Saint-Simon, in-12, Paris, 1892, p. 87-99 : Saint-Simon et Dangeau. On mentionne ici le Journal inédit du duc de Croy (1718-1784), édit., Grouchy et Cottin, in-8°, Paris, 1906-1907 : Ce tome I, va de 1718 à 1761 et ne s’astreint à la forme de journal qu’à une date postérieure à la Régence.

[282] Journal de la Régence (1715-1723) par Jean Buvat, édit. E. Campardon, 2 vol. in-8°, Paris, 1865 ; par exemple l’éditeur intercale en juin 1717, (p. 278-281), trois pages qui se rapportent aux événements de juin 1718 ; il insère en décembre (page 348) un concilient du mois de janvier précédent.

[283] Journal et Mémoires de Mathieu Marais, avocat au Parlement de Paris sur la Régence et le règne de Louis XV, édit M. de Lescure, in-8°, Paris, 1894. Après le lit de justice du 2 septembre 1715, on passe au 17 juin-10 septembre 1717 (p. 206-241) et de là au mois d’avril 1720 où commence le Journal (p. 242).

[284] Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, in-12, Paris, t. II, p. 32 ; février 1728.

[285] Barbier, Journal, t. V. p. 274.

[286] Barbier, Journal, t. I, p. 358.

[287] Barbier, Journal, t. II, p. 70.

[288] A. Dorsanne, Journal, contenant tout ce qui s'est passé à Rome et en France dans l’affaire de la Constitution Unigenitus ; avec des anecdotes pour connaître les intrigues et le caractère de ceux qui ont demandé la dite constitution, 2 vol. in-4°, Rome (Paris), 1753.

[289] Anecdotes ou mémoires secrets sur la Constitution Unigenitus, in-12, 1733, par J. F. Bourgoing de Villefore.

[290] Lafitau, Histoire de la Constitution Unigenitus, 2 vol., Avignon, 1737.

[291] A. Baudrillart, op. cit., t. II, p. 579-583.

[292] Ibid., t. II, p. 11.

[293] Ibid., t. II, p. 14.