HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE II. — LES OPÉRATIONS MILITAIRES.

CHAPITRE V. — LA BATAILLE DES FLANDRES.

 

 

I. — LA RETRAITE ALLEMANDE.

LE 11 septembre, la Ire armée allemande, battant en retraite entre l'Oise et Soissons, avait atteint l'Aisne ; à sa gauche, l'aile occidentale de la IIe armée se retirait par Braisne et Fismes. Devant ces armées, les Alliés atteignent, le 11 au soir, la ligne Forêt de Compiègne - Villers-Cotterêts - Fère-en-Tardenois - Épernay - Châlons-sur-Marne.

Dès que les Allemands sont en retraite, le commandement français cherche à manœuvrer leur flanc ouest. Le 10, le 1er corps de cavalerie, qui a passé du général Sordet au général Bridoux, reçoit pour mission de chercher constamment à inquiéter les lignes de communication et de retraite de l'ennemi. Le 11 septembre, l'instruction 4814 à la 6e armée rappelle que la zone de marche de cette armée n'est pas limitée à l'ouest : si l'ennemi fait tête sur l'Aisne, il faudra déborder sa droite en franchissant la rivière.

Il se peut d'ailleurs que cette droite soit renforcée par des corps de réserve allemands, rappelés, soit d'Anvers que bloque le IIIe corps de réserve, soit de Maubeuge, qui avait été rendu le 8 septembre à midi au Vile corps de réserve. Aussi la gauche de Maunoury est-elle à son tour renforcée dès le 10 par la 37e division, prélevée sur la 5e armée, et le 12 par le 13e corps, prélevé sur l'armée Dubail.

Le 11 et le 12, la droite ennemie, qui a pris position derrière l'Aisne, a terminé son repli ; mais c'est maintenant la gauche allemande qui bat en retraite à son tour. Le 13, tandis que cette retraite s'achève, les colonnes françaises se heurtent sur divers points à des arrière-gardes tenant des positions organisées. Le 14, cette résistance s'accentue. L'ennemi tient un front jalonné par les hauteurs au nord de l'Aisne entre l'Oise et Berry-au-Bac, le canal de Berry-au-Bac à Courcy, les abords est de Reims, la Vesle jusqu'à Prunay, la Suippe à Saint-Hilaire, les collines de Champagne à la hauteur de Souain, l'Aisne à Vienne-la-Ville, les collines au nord de Verdun.

Ainsi, le 14, le front allemand est fixé. Seule l'aile droite ennemie est encore dans une situation très périlleuse. Non seulement elle est découverte sur son flanc extérieur (ouest), mais son flanc intérieur (est) ne parait relié au gros, dans le sud-est de Laon, que par une nombreuse cavalerie. Le commandement français tente d'enlever cette aile droite isolée. Le 14 septembre, l'instruction particulière n° 25 donne mission à la 6e armée française, à l'armée britannique et à la 5e armée française de l'attaquer, pendant que les 9e et 4e armées françaises refouleront sur la Meuse ou du moins contiendront le centre ennemi. Les armées de droite, 3e, 2e et 1re, couvriront le flanc de l'opération contre une attaque débouchant de Metz. Le 15, la bataille s'engage sur tout le front.

L'extrémité de la droite allemande paraissant être le 14 vers Nampcel, la 6e armée chercha à l'envelopper le 15 par Puisaleine et Carlepont. Le 16, une division du 13e corps étendit le mouvement jusqu'à la rive ouest de l'Oise et marcha sur Noyon. Mais les Allemands avaient fait une manœuvre analogue, et les Français furent violemment contre-attaqués le 17 dans leur flanc gauche. Quant à la lacune qu'on avait cru constater sur l'autre extrémité de la droite allemande, elle fut comblée par l'intercalation, entre la Ire et la IIe armées, de la Vile armée von Heeringen, qui avait été, comme on a vu, ramenée de Lorraine. Cette armée comprend d'abord le Vile corps de réserve, accouru de Maubeuge, et dont les premiers éléments conservent aux Allemands, le 13, le plateau de Craonne, puis le XVe corps, arrivé de l'est. Cette armée, par sa gauche que prolongeait le IIe corps de cavalerie, et la armée par sa droite bouchèrent le blanc par où la cavalerie française avait déjà pénétré jusqu'à Sissonne. Dés le 17, le front est consolidé, entre l'Oise et l'Argonne, et il va se maintenir sans grands changements pendant trente mois, malgré la violence des attaques menées de part et d'autre.

Cette bataille a pris les allures d'une guerre de siège. De chaque côté, dit un rapport du général en chef au ministre, on perfectionne les organisations défensives en améliorant les tranchées, abris et communications ; on multiplie les réseaux de fil de fer, on accroît le nombre des batteries lourdes pour le tir desquelles on établit de véritables plans directeurs ; sur de nombreux points du front on progresse à la sape et à la mine.

Dès le 13 septembre, un télégramme du général en chef (n° 5342) a recommandé aux armées de prendre des mesures méthodiques, d'attaquer avec tous leurs moyens, en organisant progressivement le terrain conquis. Le 17, l'instruction particulière n° 29 prescrit de profiter de cette organisation du terrain conquis pour constituer dans chaque armée derrière le front des réserves prêtes à l'offensive. La constitution de ces réserves peut permettre de donner du repos aux troupes et d'opérer des déplacements de troupes en vue de manœuvres ultérieures. Ainsi, avec la fixation des fronts et la guerre de siège, ou voit apparaître aussitôt le principe des relèves, l'échelonnement en profondeur, la constitution de réserves générales.

En même temps qu'on réalise ainsi entre l'Oise et la Meuse une économie d'effectifs, on y fait pour la même raison une économie de munitions. La consommation d'obus, qui depuis le 7 août était énorme, menaçait d'amener une crise grave. Dès le 24 septembre, le général en chef prescrit aux commandants d'armées de prendre des mesures énergiques. Le 27 septembre, sous le n° 7513, il réduit la dotation des armées en obus de 75, et avertit que, jusqu'au 20 octobre au moins, les armées qui opèrent entre l'Oise et la Meuse ne recevront pas de dotation supplémentaire, sauf au cas de missions comprenant une opération particulièrement importante. En conséquence, ces armées doivent rendre leur front inviolable aux attaques ennemies, mais n'entreprendre elles-mêmes d'opérations offensives qu'avec l'autorisation du général en chef. Elles utiliseront dans la plus large mesure les batteries de gros calibre.

Ces économies, soit en munitions, soit en hommes, ont beaucoup ralenti les opérations des armées du centre. En même temps, l'intérêt des opérations s'étant porté ailleurs, on dégarnit cette zone au profit de celle où on cherche la décision. A partir de la mi-septembre, on y prélève la valeur d'environ 13 divisions d'infanterie, et 7 de cavalerie (plus les régiments de cavalerie des corps) ; 5 états-majors de corps d'armée ; enfin toute l'armée britannique, sur sa demande, est enlevée du centre et portée à la gauche.

De son côté, le commandement allemand, par un raisonnement analogue, retira du front du centre presque toute la IIe armée, qui fut. le 10 octobre transportée à l'ouest de l'Oise, dans la région de Sain t-Quentin ; à la même époque, l'état-major de la IVe armée était transporté en Flandre. Mais, appauvrie de deux années, on a vu que cette région en avait reçu le 12 septembre une autre, la VIIe. Ainsi, au milieu d'octobre, les armées allemandes, de l'Oise à la Meuse, se succédaient dans l'ordre suivant : Ire, VIIe, Ille, Ve. Les armées françaises sont, dans le même ordre, la 6e sur les plateaux du Soissonnais, la 5e sa gauche sur les plateaux, sa droite dans la région de Reims, la 4e en Champagne orientale, la 3e de l'Argonne à Verdun.

Les principaux épisodes sur ce front ont été les suivants. Le 19 septembre, la 5e armée française est fortement engagée dans la région de Reims, dont la cathédrale est incendiée ; la lutte se poursuit le 20 et le 21. Le 20, l'aile gauche de la 6e armée est violemment attaquée entre Tracy-le-Mont et Soissons ; 2 divisions de réserve fléchissent, puis reprennent le 21 le terrain perdu. Le 26, les Allemands lancent une offensive sur tout le front. Le 29, le général en chef autorise les commandants des iee, 9e, 5e et 6e armées à exécuter des offensives partielles pour s'assurer de l'importance des prélèvements que l'ennemi parait opérer sur son front, et l'empêcher d'en faire d'autres :En même temps le maréchal French est invité à attaquer. Ces offensives ne réussirent pas à progresser. Le 5 octobre, la 9e armée fut disloquée et ses éléments répartis entre les armées voisines. Le 12 octobre, l'armée d'Esperey déclenche une offensive importante, qui dure trois jours, et qui est arrêtée le 15 sans avoir donné de résultat essentiel. Le 26 et 27 octobre, l'ennemi attaque énergiquement, mais inutilement, les positions de la même armée entre Craonne et Berry-an-Bac.

Le 30 et le 31 octobre, l'armée de Langle est autorisée à attaquer sur le front Prosnes-Souain. L'attaque échoue devant les fils de fer et les mitrailleuses ; mais la principale activité de l'armée est sur sa droite, en Argonne, où, depuis le 26 septembre, les Allemands cherchent à refouler les forces qui relient la 4e et la 3e année. On peut dire que la bataille, sur ce terrain, a été ininterrompue jusqu'à la grande attaque allemande de juillet 1915. La lutte sous bois, compliquée d'une guerre de mines, dans des conditions où les Allemands avaient l'avantage de la position, et où ils écrasaient les tranchées françaises avec des minenwerfer auxquels nous n'avions rien à opposer, a été particulièrement meurtrière.

Enfin, sur le front de l'Aisne, les Allemands ont attaqué le 2 novembre la 69e division, qui avait relevé les Anglais dans une position difficile, dans la région de Soupir, et qui n'avait pas leurs ressources en artillerie lourde et en hommes. La 69e division fut rejetée sur l'Aisne ; le 6, le village et le parc de Soupir étaient repris par une contre-attaque.

Tandis que le front se fixait ainsi entre l'Oise et la Meuse, les Allemands tentaient, au lendemain même de la Marne, de prendre leur revanche sur la Meuse, en enveloppant la forteresse de Verdun. Dès le début de la guerre, le Kronprinz avait senti l'action de cette place sur son flanc droit. Pendant la bataille de la Marne, il avait manœuvré à l'investir. Entraîné dans la défaite générale, il avait dû suspendre sa manœuvre, mais il la reprit le 20 septembre, au sud-est de Verdun, où il jeta trois corps sur les Hauts-de-Meuse, et le 22 à l'ouest de Verdun, où il attaqua sur la rive gauche avec deux corps.

Du côté français, l'instruction particulière n° 25, du 14 septembre, avait donné pour mission à la 2e et à la 3e armée de garantir le flanc droit du dispositif général contre toute attaque débouchant de Metz. Elles s'appuieront pour cela sur la place de Verdun et sur l'organisation fortifiée des Hauts-de-Meuse.... Une attitude menaçante de la Ire armée, établie entre Moselle et Vosges, doit faciliter la mission des 2e et 3e armées.

Le transport de la 2e armée à l'ouest, le 18 septembre, fit retomber sur la 3e et la 1re armée tout le poids de la défensive à l'est de la Meuse. L'instruction particulière n° 30 leur prescrivait, ce jour-là, de conserver le contact de l'ennemi et de se montrer actives et menaçantes, afin de maintenir l'ennemi dans la région à l'est de Metz. La 3e armée devait refouler sous le canon de Metz les détachements allemands qui étaient encore en Woëvre et inquiéter les lignes de communication allemandes passant au nord de Verdun. L'attention de l'armée était attirée sur la nécessité de poursuivre l'organisation des Hauts-de-Meuse, et d'avoir constamment des divisions de réserve en mesure d'occuper cette position.

C'est dans ces conditions que l'attaque allemande se produisit. Sur la rive gauche, elle se heurtait à une suite de positions naturelles disposées en profondeur et flanquées à l'ouest par l'Argonne. Après avoir fait plier le 5e corps au sud de Varennes, elle dut s'arrêter le 24 devant la ligne des bois de Forges, de Cumières et d'Avocourt. — L'attaque de la rive droite ne rencontra sur les Hauts-de-Meuse que la 75e division de réserve française, le 8e corps ayant été retiré par un ordre du 19, c'est-à-dire la veille même de l'attaque, et envoyé à Sainte-Menehould. La préparation d'artillerie allemande se fit le 20 au soir, l'attaque d'infanterie le 21. Le Ve corps à droite, escaladant les hauteurs sur le front Saint-Maurice-les Éparges, arriva en vue du fort de Troyon, à la lisière du bois des Chevaliers. Il fut arrêté là le 24. Le IIIe corps bavarois, escaladant le promontoire de Hattonchâtel, marcha sur Saint-Mihiel et attaqua le 23 le fort du Camp des Romains, qui fut pris. Le XIVe corps allemand couvrait  face au sud le flanc de l'opération. Mais, dès que les rassemblements ennemis en Woëvre avaient été signalés, dans la journée du 20, le général Joffre avait prescrit au général Dubail de porter son 16e corps dans le flanc des Allemands qui attaqueraient les Hauts-de-Meuse. Le 16e corps s'engagea le 23 contre le XIVe allemand sur le front Beaumont-Nancy, et le rejeta sur le front Bois de Mortmare-Regnéville. En même temps le général Joffre rendait au général Sarrail le 8e corps, qui avait été mis en réserve générale à Sainte-Menehould. Ramené sur Saint-Mihiel, ce corps fut disponible dès le 24. Ainsi maintenus aux deux flancs, les Allemands ne purent exploiter le succès de leur centre, et se contentèrent d'occuper Chauvoncourt sur la rive occidentale.

Cependant la place de Verdun restait aux trois quarts investie, et l'ennemi enfoncé en coin à Saint-Mihiel. Le coin de Saint-Mihiel fut l'objet d'une pression constante dans les forêts des Hauts-de-Meuse, vers le bois de Mortmare, au bois Le Prêtre, tandis que la pointe du saillant était attaquée à Chauvoncourt. D'autre part, pour aérer Verdun par le nord, une attaque avait lieu le 22 octobre et nous donnait Ornes, le bois des Caures, les bois d'Hautmont et Brabant. Sur la rive gauche, le 29 octobre, une attaque nous amenait sur la crête de Cuisy au bois des Forges, sans nous donner ni le village ni le bois.

 

II. — LA COURSE À LA MER.

NOUS avons laissé l'aile droite allemande résistant sur l'Aisne, tandis que les Français cherchaient à manœuvrer sur l'extrémité libre (ouest) de cette aile. De leur côté, les Allemands se renforçaient sur ce point dangereux. Le 17, le général Joffre, dans l'instruction n° 5 657, disait au général Maunoury : D'après les renseignements recueillis, il semble que l'ennemi exécute des glissements de troupes vers le nord-ouest, à l'abri de l'organisation défensive puissante établie sur tout le front. Il y a lieu de constituer, à l'aile gauche de notre dispositif, une masse capable, non seulement de parer au mouvement débordant de l'ennemi, mais aussi d'assurer l'enveloppement.

L'échec des Allemands sur la Marne ne changeait pas leur dessein, et l'état-major, sous son nouveau chef, continuait à penser qu'il fallait d'abord assurer la sécurité du front occidental par une offensive victorieuse. De là une série de tentatives des deux adversaires pour déborder réciproquement leur extrémité occidentale, qui, prolongée par chaque tentative, remonta constamment vers le nord jusqu'à ce que la rencontre de la mer mit fin à ces tentatives. De là, le nom de course à la mer donné à cette phase des opérations.

La première tentative de Maunoury pour déborder la droite de von Kluck se fit, comme on l'a vu, sur la rive gauche de l'Oise, à Carlepont. Le général Maunoury porta à cet effet, à l'est de la rivière, deux brigades et un groupe du 13e corps. Mais le reste du corps, demeuré sur la rive droite, fut attaqué le 17 par le IIe corps de réserve allemand, l'ennemi faisant une manœuvre analogue à celle des Français. Le général Maunoury dut alors retirer du front le 4e corps, et le porter à la gauche du 13e.

La 6e armée n'ayant pas réussi à envelopper l'ennemi, le commandant en chef décida le 18, par l'ordre particulier n° 31, de former à sa gauche une nouvelle armée, qui comprendra le 13e corps et le 4e, qui sont déjà à l'ouest de l'Oise, le 14e et le 20e prélevés sur les armées de l'est et transportés par voie ferrée, le corps de cavalerie Colineau acheminé par voie de terre. Cette armée sera commandée par le général de Castelnau, et portera le nom de 2e armée. Sa mission est définie par l'ordre particulier n° 32, du 19 septembre. Elle doit se rabattre sur l'aile droite allemande pour dégager la Ge armée, et permettre à cette armée et par conséquent à l'ensemble de nos forces de reprendre le mouvement en avant.

Les débarquements de la 2e armée seront couverts par un groupe de 4 divisions territoriales sous les ordres du général Brugère.

Or, deux jours avant le transfert de la 2e armée de Lorraine à l'ouest de l'Oise, c'est-à-dire le 16 septembre, le commandement allemand avait pris une mesure analogue, et il avait transféré la Vie armée de Lorraine à Lille. Les transports de troupes durèrent jusqu'au 23.

Le 22, le commandement français apprend que l'ennemi fait des débarquements à Cambrai. Ordre au général de Castelnau de redresser vers le nord ses deux corps de gauche, pour les maintenir en position débordante. Mais, pendant ce temps, sa droite, formée par le 13e corps, est fortement engagée le 21 et le 22 devant Lassigny. Ce massif de Lassigny est un point très important, une grande île montueuse et boisée que l'Île-de-France projette au nord sur les plaines picardes. Il reste partagé entre les deux adversaires. Le 22 au soir, tandis que le 13e corps est retranché aux lisières de Lassigny, sur une position désormais immuable, le 4e corps atteint Roye, le 14e Montdidier, le 20e Ailly et Conti. Ainsi toute l'armée est étendue entre l'Oise et la Somme, de Lassigny à Amiens. De son côté, l'ennemi a fait remonter, à droite du IXe corps de réserve, le IIe, le XXIe, et enfin le Ier bavarois. L'une et l'autre armée sont couvertes sur leur extrémité par de la cavalerie, — du côté français, 4 divisions de cavalerie renforcées par un régiment d'infanterie, un détachement territorial, et une brigade mixte, vers Péronne, le 23, — du côté allemand, le corps de cavalerie von der Marwitz.

Le 21, les deux corps du centre Castelnau sont vivement engagés. Le 25, toute l'armée est en pleine action. A gauche, le 20e corps, débouchant au sud de Bray, a tourné et refoulé le Ier corps bavarois. En fin de journée le front est jalonné par la ligne Ribécourt-Lassigny-Fresnay-les-Roye-Libons-Dompierre-Maricourt. Là encore il restera fixé de longs mois.

Au nord de la Somme, nous n'avons que le corps de cavalerie sur la Tortille et les divisions territoriales. Les forces allemandes se prolongent vers le nord, de Fermières à Marquion. Les divisions territoriales, engagées sur le front Combles-Bapaume, sont obligées de se replier derrière l'Ancre où elles se retranchent. Il faut donc amener au plus vite de nouvelles forces dans la région d'Amiens. Le 11e corps et le 10e sont prélevés sur la 9e armée et sur la 3e. Le 11e corps débouche le 29 dans la région de Thiepval, avec le dessein de tourner la droite allemande. Mais il échoue devant le plateau de Thiepval, long promontoire à vues étendues qu'enveloppe le coude de l'Ancre. Le 10e corps prend place à la gauche du 11e. Puis, les transports en cours achevés et les voies terrées redevenues libres, les deux divisions de réserve Barbot et Fayolle, prélevées sur la 1re armée, commencent leurs embarquements le 28. Viennent ensuite la 8e division de cavalerie, la 4e, enfin le 21e corps qui s'embarque le 30 dans la région de Châlons.

Le front étant ainsi démesurément accru, le général de Maudhuy est mis par un message du 29 septembre à la disposition du général de Castelnau pour commander sous ses ordres une partie de la 2e armée. Il prend le commandement du 10e corps et des forces placées à sa gauche.

Mais les Allemands, de leur côté, ont fait remonter des forces nouvelles. Aux corps déjà énumérés s'ajoutent le IIe corps bavarois, le XIVe de réserve, la garde, le IVe corps, le 1er bavarois de réserve. Deux corps de cavalerie couvrent l'extrémité du dispositif. Du côté français aussi, au corps Conneau (1re, 3e, 10e divisions de cavalerie) est ajouté le second corps de la même arme (5e, 4e, 6e) sous les ordres du général de Mitry. Enfin le général de Castelnau dispose de la 8e division de cavalerie et le général de Maudhuy de la 7e. La mission des deux corps de cavalerie est fixée par l'instruction n° 78 du 1er octobre. Le corps Conneau, an sud de la Scarpe, couvre le flanc des colonnes françaises. Le corps de Mitry, au nord de la Scarpe, masque les mouvements de nos troupes. Il doit tenter des coups de main sur les communications de l'ennemi et se mettre en liaison avec les troupes de la garnison de Dunkerque. Ces troupes sont les 87e et 89e divisions territoriales du général Bidon et, à partir du 8, la brigade de fusiliers marins du vice-amiral Ronarc'h, envoyée de Paris. Enfin le corps de Mitry doit encore chercher le contact avec les troupes alliées qui opéreraient vers Lille et en Belgique.

Pendant que les mouvements s'achèvent, les combats continuent sur le nouveau front. Le 2, le détachement Maudhuy est vivement attaqué. Le 10e corps est fortement pressé au sud d'Arras ; mais au nord les deux divisions de réserve Barbot et Fayolle, qui viennent de débarquer à Arras et à Lens, se maintiennent autour de ces deux villes.

Le 3, le 21e corps débarque à son tour, pour prolonger la gauche. Il devait débarquer dans la région de Lille, de façon, dit l'instruction particulière n° 33, du 2 octobre, à pouvoir déborder les forces allemandes engagées contre le détachement Maudhuy. En fait, il débarqua sensiblement en arrière, vers Armentières, Merville et Saint-Pol, et fut immédiatement ramené au sud dans la région de Lens, où la colline de Notre-Dame de Lorette va devenir son domaine.

Le 4, le détachement Maudhuy est pressé plus vivement encore. Il recule sur le front Boiry-Saint-Martin-Petit-Vimy. Lens est occupé par l'ennemi. Le général de Castelnau pense à reporter sa ligne en arrière. Le général en chef lui télégraphie aussitôt (n° 801) : Je ne puis admettre un recul qui donnerait l'impression d'une défaite et enlèverait toute possibilité des manœuvres ultérieures. Et il fait remarquer que le général de Maudhuy, ayant encore la 45e division et le 2e corps non engagés, a les moyens de reprendre le terrain perdu. En même temps le détachement Maudhuy est constitué en armée indépendante qui prend le nom de 10e armée. Le général Foch est désigné comme adjoint au commandant en chef pour coordonner l'action de la 2e armée, de la 10e et des divisions territoriales.

Le 6, la situation se consolide à l'armée Maudhuy ; mais l'armée Castelnau maintient son front avec difficulté. Le général en chef télégraphie au général de Castelnau, le 7, pour interdire les rectifications en arrière. Il ajoute dans un autre télégramme : Devez absolument tenir coûte que coûte. Fortifiez-vous le plus possible sur tout votre front ; agissez avec toute l'énergie possible. Nous étudions les moyens de vous amener des renforts. Et, en effet, il lui obtient l'appui de la cavalerie britannique du général Gough, qui faisait mouvement derrière la 2e armée ; il lui donne la 53e division venant de la 5e armée, et une brigade de la 6e. Avec cette aide, le front de la 2e armée se consolide, et il va désormais rester à peu près invariable.

A l'extrême gauche, la cavalerie et les troupes de la garnison de Dunkerque tiennent, le front Lille-Cassel, en face de huit divisions de cavalerie allemande, dont le groupe de droite, refoulé de la région d'Armentières, vient de se replier au nord-ouest de Tourcoing. Derrière cette couverture, l'ennemi constitue du 8 au 10 octobre une nouvelle armée, qui doit prendre place à gauche de la VIe ; c'est la IVe, commandée par le duc Albert de Wurtemberg, et qui était jusque-là en Champagne.

A la fin de septembre, sir John French avait demandé que son armée reprit sa place à la gauche. Il fut convenu que le corps du centre serait relevé par extension des deux corps qui l'encadraient, et dirigé sur Compiègne, où ses embarquements pour le nord commenceraient le 5 octobre. Le même jour, une division de réserve de la 5e armée, la 69e, serait dirigée sur Soissons et substituée au corps anglais de droite. Ce corps, relevé le 6, s'embarquerait à Compiègne le 9. Le dernier corps britannique serait retiré ultérieurement. En réalité il fut remplacé par la 6e armée, et ses deux divisions s'embarquèrent le 13 et le 15.

Les Allemands avaient commencé le 30 septembre le siège d'Anvers. Le gouvernement belge sollicitait une aide militaire française ; le commandement français au contraire eût souhaité que l'armée belge, sortant d'Anvers, prit sa place à la gauche de la masse anglo-française formée dans le nord. Le 5 octobre, le général Pau fut envoyé en mission auprès du gouvernement belge, avec des instructions dans ce sens.

Pour faciliter la sortie de l'armée belge, la 7e division britannique avait débarqué à Anvers ; 6.000 fusiliers marins français furent acheminés de Dunkerque sur cette place ; le général Pau les arrêta à Gand.

Le 9, Anvers succombait. Le 11, l'armée belge, péniblement évadée, se rassemblait sur l'Yser, couverte par les détachements anglais et français. A l'extrême gauche française, la 87e division territoriale, sortie de Dunkerque, tient une ligne Cassel-Saint-Omer, avec un détachement à Aire. Le corps de cavalerie de Vitry tient les passages de la Lys entre Aire et Estaires, d'où il a chassé l'ennemi ; Merville, sur la rive nord, pris et repris, reste dans ses mains. Au sud-ouest de Lille, les Français, violemment attaqués, tiennent le front Laventie-la Bassée-Loos. Lille est occupé par un détachement territorial qui s'est enfermé dans la place.

Le 12, l'armée britannique apparaît en ligne des deux côtés de la cavalerie française, son 2e corps à droite sur le front Cambrin-la Gorgue, son 3e corps à gauche, au nord-est d'Hazebrouck, précédé par la cavalerie qui est sur le mont des Cats. De leur côté, les Allemands ont amené à la droite de la VIe armée deux corps de plus, le XIIIe et le XIXe. Le 12, le XIXe corps prend Lille.

Une offensive générale des Alliés était prévue pour le 13. La gauche française devait marcher sur Lille et Tournai. L'armée britannique devait attaquer, sa droite marchant au nord de l'axe Lille-Tournai, tandis que sa gauche, formée par le corps de secours d'Anvers, commandé par le général Rawlinson et concentré à Roulers, devait marcher sur Courtrai. Enfin l'armée belge, avec trois divisions en première ligne entre Ostende et Thourout, devait faire face aux forces allemandes qui débouchaient de Gand.

L'armée britannique n'engagea que son aile droite, c'est-à-dire le 2e corps, dans la région de la Bassée. Mais à gauche le 3e resta inactif jusqu'au 20 ; le l était encore en voie de transport, ainsi que la division de Lahore. Affaiblie par les lenteurs de l'armée britannique, contrariée par la chute d'Anvers qui rendait le corps de siège disponible, l'offensive alliée n'obtient pas de résultat décisif. Le 16, la ligne passe par les collines qui entourent Ypres, de Passchendaele à Messines, puis à l'ouest d'Armentières et à l'ouest de la Bassée. Sur l'extrême gauche, au nord de Passchendaele, le corps de cavalerie de Mitry occupe la lisière est de la forêt de Houthulst. Les 87e et 89e divisions territoriales organisent dès le 15 la position d'Ypres. La liaison avec l'armée belge se fait vers Dixmude. Le front s'étend maintenant d'une manière continue de la mer à la Suisse, sur une ligne qui pendant plus de deux ans ne subira plus que des modifications locales.

 

III. — L'OFFENSIVE ALLEMANDE EN FLANDRE.

LES tentatives d'enveloppement faites par l'ennemi à la fin de septembre et au début d'octobre étaient parées, écrit le général von Falkenhayn, mais nos propres desseins d'enveloppement n'avaient pas été réalisés. Trois fois le mouvement allemand avait été arrêté : à l'ouest de Roye, à l'ouest de Bapaume, à l'ouest de Lille. Il ne restait plus qu'une chance de le réaliser : c'était en Flandre. Là, non seulement on débordait l'aile gauche française, mais on interceptait une partie des communications anglaises avec le continent.

Dans ce dessein nous avons vu que l'état-major de la IV armée avait été le 8 transporté en Belgique. On lui donna 3 divisions occupées au siège d'Anvers, et que la chute de cette place le 9 octobre rendait libres. C'étaient les 5e et 6e de réserve, et la 4e d'Ersatz. Enfin on lui confia 4 corps de nouvelle formation. Dès le début de la guerre, les volontaires avaient afflué en Allemagne. En quelques jours, d'après le témoignage de l'état-major allemand, ils étaient plus d'un million. Quoiqu'il fallût les instruire et les équiper, leur présence sous les drapeaux avait permis au ministère de la Guerre prussien de créer, dès le 16 août, quatre corps, XXIIe-XXVIe. De son côté, la Bavière forma une 6e division de réserve ; la Saxe et le Wurtemberg formèrent ensemble un XXVIIe corps. Ces corps étaient composés de volontaires dans la proportion de 75 p. 100. Le reste était composé d'hommes instruits de landwehr et de landsturm, et d'hommes de l'Ersatz appelés en septembre. L'âge variait de seize à cinquante ans. Des régiments entiers se composaient d'étudiants, engagés avec leurs professeurs. L'enthousiasme animait ces soldats. Le 10 octobre, les XXIIe, XXIIIe, XXVIe et XXVIIe corps, puis bientôt la 6e division bavaroise de réserve furent envoyés sur le front occidental, Ils allaient former la masse de cette IVe armée qui devait chercher la décision en l3elgique. Les débarquements étaient en cours le 13 dans la région de Bruxelles. Le 14, les quatre corps se portent sur la ligne Eecloo-ouest d'Audenarde. Le reste de l'armée, c'est-à-dire les 3 divisions venues d'Anvers et qui forment le 111' corps de réserve, sous les ordres du général von Beseler, est arrivé en combattant sur la ligne Bruges-Thielt. Le même jour, à l'aile droite de la Vie armée, le XIIIe corps wurtembergeois et le XIXe saxon se sont portés sur la Lys, couverts par trois corps de cavalerie (1, 2, 4), et font en avant de Lille un demi-cercle Menin-est d'Armentières.

Dans cette même journée du 14, une instruction du quartier général allemand définit ainsi la mission des forces allemandes entre Lille et la mer. La VIe armée, de Menin à la Bassée, devait rester sur la défensive, en attendant l'attaque de la IVe armée. Celle-ci devait pousser sa droite, c'est-à-dire le IIIe corps de réserve, en échelon avancé le long de la côte. Ce corps porte donc le 15 sa droite à Ostende, et sa gauche à la chaussée Thourout-Roulers. Il ne devait pas aller plus loin pour ne pas éveiller prématurément l'attention, et se contenterait de patrouiller vers l'Yser. A mesure que les nouveaux corps entreraient en ligne, il serrerait sur sa droite pour leur faire place. Le 17, ces corps arrivèrent à 10 kilomètres à l'est de Courtrai ; le corps de réserve dégagea alors le front devant eux. Sa mission de couverture avait été si bien remplie que le maréchal French n'identifia les nouveaux corps que le 21.

Néanmoins, sir John French n'était pas sans remarquer, depuis le 15, un accroissement des forces allemandes. Il croyait que le meilleur moyen de parer à l'offensive possible de l'ennemi était d'attaquer lui-même. Le 19 au soir, il donna des instructions à sir Douglas Haig, commandant le 1re corps. Il pensait que l'ennemi n'avait encore en ligne entre Ostende et Menin, c'est-à-dire entre la mer et la Lys, que le IIIe corps de réserve, avec 1 ou 2 divisions rattachées, mais que d'importants renforts étaient en marche. Le ter corps anglais attaquerait donc par Thourout sur Bruges. Toutefois, cette opération était ajournée jusqu'au moment où la situation s'éclaircirait. Pour le moment, il n'était encore question que de faire marcher la droite du ter corps d'Ypres sur Roulers. Ainsi des deux côtés on se préparait à l'attaque, quoique avec une décision inégale.

La IVe armée allemande marchait échelonnée la droite en avant, de telle sorte que, le 18, les nouveaux corps arrivèrent à l'étape sans avoir rencontré d'adversaires, tandis que le IIIe corps de réserve, qui formait l'extrême droite, vint donner sur les Belges qui gardaient l'Yser. Malgré une énergique résistance, la 4e division d'Ersatz, au nord, enleva Westende ; la 5e division de réserve, au centre, Saint-Pierre-Cappelle et Schoore ; la 6e, au sud, Leke et Keyem, mais sans pouvoir forcer le passage de l'Yser. D'une façon générale, les Allemands étaient arrivés à 1 ou 2 kilomètres de cette rivière. Mais la journée avait montré que le passage serait malaisé. II était énergiquement défendu, le pays était difficile, l'artillerie des bateaux anglais prenait d'enfilade et de revers le flanc droit de l'attaque. Le général von Beseler renonça à porter la 4e division d'Ersatz contre Nieuport, en l'exposant au feu de la mer. Il en ramena le gros derrière la 5e division de réserve, pour attaquer avec elle entre Nieuport et Dixmude, et laissa des détachements sur la côte, pour s'opposer à un débarquement.

Le 19, la 4e division belge, une brigade de la 5e et la brigade française de fusiliers marins redescendus de Gand, essayèrent en vain de reprendre Keyem. En même temps les nouveaux corps allemands, qui avaient fait étape le 18 sans rencontrer d'adversaire, arrivèrent au contact ; le XXIIe se déploya devant Beerst et Dixmude ; la division de droite du XX Ille enleva Handzaeme et Gits et entra sans combat dans Corternarek ; la division de gauche enleva Staden dans la nuit après un vif combat ; le XXVIe corps prit Roulers aux Français et Moorslede aux Anglais ; enfin le XXVIIe refoula la 3e division de cavalerie anglaise de Rolleghem-Cappelle. La journée avait démontré aux Allemands que, non seulement Belges et Français tenaient l'Yser, mais que Français et Anglais tenaient les collines à l'est d'Ypres. La situation était éclaircie, les adversaires en présence ; la véritable bataille allait commencer le 20.

Le principal effort devait être fourni par la IVe armée ; la Vie devait l'appuyer par des attaques qui retiendraient les forces adverses ; à cet effet, le XIIIe corps fut relevé de ses positions sur la Lys entre Menin et Warneton, où il fut remplacé par le IVe corps de cavalerie. — Du côté allié, la 42e division française, retirée de la région de Reims, débarque à Dunkerque, et, dès le 20, étaie à Nieuport la gauche des Belges, dont les fusiliers marins étayent la droite Dixmude. La 31e division d'infanterie et la 9e de cavalerie, en réserve générale près de Compiègne, sont acheminées vers le nord, l'infanterie en camions. Elles arrivent à Ypres, celle-là dans la nuit du 25 au 20, celle-ci le 26 au matin. Le général Joffre annonce le 21 à sir John French qu'il transporte également dans le nord le 9e corps ; ce corps, amené en camions, aura sa 17e division engagée le 23, la 18e le 24. Enfin le général en chef prend des dispositions pour transporter dans le nord une brigade de tirailleurs sénégalais.

Le 20, les forces françaises du nord sont groupées en un détachement d'armée, qui devint la 8e armée, et qui fut mis sous les ordres du général d'Urbal. Il comprenait au début la 42e division, la brigade des fusiliers marins, les 87e et 89e divisions territoriales, le 9e corps, la 9e division de cavalerie, et le corps de cavalerie de Mitry (4e, 5e, 6e, 7e divisions).

Le 20, la bataille s'allume sur un front de plus de 100 kilomètres. A la droite, le corps Beseler s'engage à tond contre l'Yser, sans pouvoir le franchir pendant deux jours ; mais, le 22 au matin, quelques éléments de la 6e division de réserve forcent le passage dans la boucle de Tervaete. Le 23, 10 bataillons allemands ont passé sur la rive gauche.

Pendant que l'action s'engage ainsi assez mal à la gauche alliée, le général Foch ordonne devant Ypres une attaque générale pour le 23. Cette offensive dure jusqu'au 26 ; mais, à partir de ce jour-là, la supériorité ennemie est telle que la bataille, du côté allié, est réduite à la forme défensive. Le même jour, à la gauche, les Belges, qui se sont retirés de l'Yser sur le remblai du chemin de fer qui sous-tend l'arc de la rivière, perdent un moment cette ligne. L'ordre est alors donné, le 27, d'inonder la région comprise entre l'Yser et la voie ferrée. Des travaux étaient commencés depuis le 25 pour aveugler les issues par où l'eau pourrait s'échapper, à l'ouest du remblai, et pour lui permettre au contraire de s'étendre librement dans la région à inonder. On ouvrit ensuite les écluses de Nieuport à l'heure du flux, et on les referma avant le reflux, de manière à garder l'eau captive. Le 28, cette eau emprisonnée commençait à gagner vers l'intérieur.

Les Allemands préparaient le coup final. Pour le donner, ils avaient formé le 27 octobre un groupement sous les ordres du général von Fabeck, avec les XVe et IIe corps, la 6e division de réserve bavaroise et la 26e. Le secteur d'attaque était le sud-est d'Ypres. Le 30 octobre, le groupement Fabeck attaquerait dans cette région le front britannique ; il serait appuyé à droite par une attaque générale de la IVe armée, à gauche par une attaque de la VIe.

A la IVe armée, l'attaque principale était menée contre le remblai du chemin de fer, dans le secteur Parvyse-Ramscappelle, par le IIIe corps de réserve. L'assaut fut donné à six heures trente. Mais le terrain était devenu marécageux sous les pas des assaillants. Ils réussirent néanmoins à conquérir Ramscappelle, et à pénétrer dans Pervyse, tandis qu'entre ces deux villages, ils atteignaient ou dépassaient la voie ferrée. Mais, à vingt-trois heures trente, la 6e division fit savoir que l'attaque ne pouvait pas être poursuivie le lendemain, à cause de la montée des eaux. Déjà une plaine liquide, large de deux à trois kilomètres, séparait les assaillants de l'arrière. Le général von Beseler ordonna la retraite qui se fit pendant la nuit. Désormais le secteur de l'Yser allait rester neutralisé.

Pendant ce temps, le groupement Fabeck attaquait entre Gheluvelt et Messines. La préparation d'artillerie commençait à sept heures quarante-cinq, l'assaut était donné à la fin de la matinée.

Il échouait à gauche devant Messines, à droite devant Gheluvelt ; mais, au centre, Zandvoorde et Hollebeke étaient emportés. Le 31, les Allemands essayèrent d'élargir leur succès ; à droite ils enlevèrent Gheluvelt ; à gauche une bataille furieuse s'engagea pour le plateau Wytschaete-Messines, qui flanque toute cette partie du champ de bataille.

Le choc avait porté sur les trois divisions de cavalerie du général Allenby, qui s'étendaient de Messines à Hollebeke, et sur la droite du corps britannique commandé par sir Douglas Haig. Le 9e corps français met à la disposition de sir Douglas Haig, d'abord cinq bataillons et, un groupe d'artillerie, formant le groupement Moussy, puis encore trois bataillons. D'autre part, la 32e division, qui vient de débarquer à Elverdinghe, est dirigée au sud d'Ypres, où son action se fait sentir dès le 31. Sur le plateau de Messines en effet, la 6e division de réserve bavaroise renouvelait ses attaques sur Wytschaete et la 26e division sur Messines. Wytsehaete était pris, mais reconquis par des éléments de la 32e division française. En autre détachement de trois bataillons de la même division agit plus à l'est, sur le canal, en direction de Houthem, et, avec lui, la 9e division de cavalerie française venue de Poperinghe.

Le 1er novembre, attaque générale des Allemands, le XXVIIe corps sur Pœzelhœk qu'il enleva, le XVe corps sur les bois d'Heerentage dont il atteignit la lisière, le IIe corps bavarois sur le canal d'Ypres à Comines, la 6e division de réserve bavaroise sur Wytschaete, la 26e division sur Messines qui fut pris. La prise de Messines rendait inévitable la prise de Wytschaete, position jumelle sur le plateau ; mais la 6" division de réserve bavaroise n'était plus en état de fournir seule ce dernier effort, et il fallut l'appuyer à sa gauche par une division fraiche que les Allemands jettent dans la lutte, la 3e division prussienne (IIe corps). Wytschaete fut pris après une défense acharnée le 1re novembre, mais ce fut le seul succès important de la journée. Partout ailleurs, le 1re et le 2, l'ennemi est contenu ou refoulé par des contre-attaques. Pour l'empêcher de déboucher du plateau de Messines vers l'ouest, un détachement de cavalerie française, dit détachement Mazel, entre en ligne en avant de Kemmel le 2 au matin. Pour barrer la route d'Ypres par le sud, un détachement de zouaves tient à Saint-Éloi. A sa gauche, le détachement Moussy, du 9e corps, s'empare le 2 d'Osthœk. Plus loin encore A gauche, sept bataillons du 16e corps formant le détachement Vidal étaient A cheval sur la route d'Ypres à Menin ; tout cela entremêlé aux troupes d'Allenby et de Haig.

En même temps, à l'arrière, de nouveaux renforts arrivaient : le 1re corps de cavalerie française se porte de Merville sur Ypres ; la 43e division, prélevée sur la 10e armée, est amenée en camions à l'ouest de Wytsehaete ; enfin et surtout, le 20e corps est retiré du front de la 2e armée par le général en chef ; sa 39e division est envoyée vers le nord, et elle interviendra dès le 3 ; sa 11e division est maintenue provisoirement à Aubigny. Le 6, le général Foch, ayant entièrement dépensé la 39e, reçoit la disposition de la IIe, sous réserve qu'elle ne sera employée qu'en cas d'extrême nécessité. Elle est réunie le 7 à Vlamertinghe.

C'est qu'en effet le commandement français est préoccupé de voir ainsi toutes les réserves françaises acheminées vers le nord. Le 4 novembre, le général Joffre écrit au général Foch, et résume la situation de la façon suivante. Ni l'attaque française sur Roulers et Thourout, ni l'attaque allemande sur Calais n'ont donné de résultat. Les offensives des deux adversaires se sont neutralisées. D'autre part, les mouvements de l'ordre de bataille ennemi semblent annoncer un nouvel effort sur une autre partie du front. Il importe donc de reconstituer les réserves d'armée qui toutes ont été dirigées vers le nord, de manière à pouvoir enrayer, si possible, dès qu'elles se produiront, les tentatives ennemies, jusqu'au jour prochain où la situation de nos munitions nous permettra de prendre énergiquement l'offensive dans des régions convenablement choisies.

De leur côté, les Allemands, après les combats du 1er et du 2, jugent que le groupement von Fabeck est incapable par ses moyens de réaliser la percée qu'on avait attendue de lui ; leurs aviateurs voient les lignes de repli se constituer à l'arrière des lignes alliées. S'ils veulent éviter une stabilisation du front dans cette région, il leur faut faire un nouvel effort. Le groupement Fabeck reçoit donc de nouveaux renforts ; d'abord 2 divisions de cavalerie ; puis le reste du IIe corps, l'état-major du XXIVe corps avec la 25e division de réserve ; enfin deux brigades de la garde, réunies en une division provisoire aux ordres du général von Winckler. Il est encore renforcé en artillerie lourde ; on le dote puissamment en munitions.

Le 4, le grand quartier allemand prescrivit pour la nouvelle attaque le secteur immédiatement au nord du canal d'Ypres à Comines, autrement dit le secteur Est, au lieu du secteur Sud, où avait eu lieu l'attaque du 30 octobre. Les nouvelles troupes seraient en mesure d'attaquer le 10 novembre. Le commandement fut encore dédoublé, et un nouveau groupement, aux ordres du général von Linsingen, s'inséra à la droite du groupement Fabeck. Cependant, il ne fallait pas permettre à l'adversaire de respirer, et, en effet, les attaques allemandes continuèrent jusqu'au 7 ; le 8 et le 9 furent relativement calmes, et, le 10, l'action décisive se déclencha.

A la IVe armée, le XXIIe corps réussit à prendre Dixmude, mais sans pouvoir déboucher à l'ouest du canal. Le XXIIIe corps à sa gauche vint border le canal entre Noordschoote et Bixschoote. Le IIIe corps de réserve, inutile sur l'Yser inondé, était venu se placer à gauche du XXIIIe, renforcé lui-même à sa gauche par la 9e division de réserve. Après des progrès initiaux, ce corps fut arrêté partout.

Le groupement Linsingen n'avait pu être en place pour le 10, et le brouillard avait gêné ses reconnaissances. Son attaque, aussi bien que celle de von Fabeck, avait été remise d'un jour. Le groupement Linsingen se composait de deux corps, le XVe à gauche, et le corps von Plattenberg, composé de la 4e division et de la division de la garde, à droite. La garde formait l'extrémité. Le 11, sous une pluie torrentielle, l'assaut fut donné. La garde attaqua à dix heures, après une préparation d'artillerie de deux heures et demie, le 3e régiment sur le bois du Polygone, le 1er sur le bois des Nonnes, le 2e et le 4e de part et d'autre de la route de Menin, dans les bois d'Heerentage, où ils s'accrochèrent sans pouvoir avancer. Dans le combat, le 1er régiment et le 2e avaient fini par se trouver en saillant d'équerre l'un par rapport à l'autre, sur la pointe de cette équerre qu'une contre-attaque, exécutée par les gardes anglaises, déboucha à dix-sept heures du bois des Nonnes. Les deux gardes s'affrontèrent dans un combat épique. Enfin la lutte s'immobilisa. Sur le reste du front, sauf au XVe corps qui avait conquis au sud d'Ypres une importante colline, la cote 60, avec des vues sur la ville, l'assaut allemand n'avait pas été plus heureux.

Ainsi, après la bataille Fabeck du 30 octobre, la bataille Linsingen du 11 novembre était un échec pour les Allemands. Ce fut la fin de cette grande tentative. Le 17 novembre, la IVe armée renonça à poursuivre les attaques, et le grand quartier approuva cette résolution. Dès le 20, des éléments de la VIe armée étaient transportés vers le front russe.