HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE II. — LES OPÉRATIONS MILITAIRES.

CHAPITRE IV. — LA MARNE.

 

 

I. — LE GLISSEMENT DEVANT PARIS.

LE 3 septembre, vers midi, les avions et les reconnaissances de cavalerie du camp retranché de Paris signalaient que le corps de droite de von Kluck, arrivé à Senlis, au lieu de continuer sa marche sur la capitale, obliquait au sud-est. Ce mouvement fut connu du général Gallieni à dix-huit heures trente. Il le porta le soir même à la connaissance des forces du camp retranché au début de l'ordre qu'il donnait pour le lendemain 4.

Un corps d'armée allemand, vraisemblablement le IIe, s'est porté de Senlis vers le sud, mais n'a pas poursuivi son mouvement sur Paris et parait avoir obliqué vers le sud-est. D'une manière générale, les forces allemandes qui se trouvaient en face de la 6e armée paraissent s'être orientées vers le sud-est.

Pour comprendre les faits, il faut suivre les mouvements de l'aile droite allemande depuis le 28 août.

On se rappelle que ce jour-là l'armée Bülow avait ses deux corps de gauche sur l'Oise, tandis que les deux corps de droite saisissaient, l'un les passages de la Somme prés de Haro, l'autre le canal Crozat près de Saint-Simon.

La Ire armée Kluck, qui marchait à l'ouest de la IIe, avait ses deux corps de droite, extrémité occidentale de tout le dispositif allemand, placés par erreur l'un derrière l'autre, le IIe en avant, le IVe de réserve en arrière. Ils furent, le 28, engagés contre les éléments de l'armée Maunoury, l'un au nord, l'autre au sud de Péronne. Le IVe de réserve rejeta les Français vers l'ouest en direction de Combles ; le I le conquit les passages de la Somme en amont de Péronne, de Feuillères à Saint-Christ.

Ainsi, le 28 au soir, les deux armées allemandes de droite occupent les hauts cours de la Somme et de l'Oise. Jusque-là Kluck avait été subordonné à Bülow ; mais, le 27, son indépendance lui a été rendue. Or, Kluck est visiblement en présence de deux taches contraires. L'une est de faire face à l'ouest, devant les forces françaises nouvelles qui viennent de se révéler sur son flanc extérieur, et qui viennent former la 6e armée Maunoury. Et il sait que ces forces sont importantes. Dès le 29, il a identifié le corps de cavalerie Sordet, le 7e corps, contre lequel il est engagé, ce jour-là même, à Proyart, et 7 autres divisions. L'autre tache est au contraire de se rabattre au sud-est pour prendre en flanc la 5e armée française qui attaque le 29 l'armée Bülow. Il n'y a pas à tenir compte des Anglais qui, s'étant remis en retraite le 29 au soir, sont en échelon avec un jour d'avance sur Lanrezac, dont ils découvrent le flanc gauche.

Enfin une troisième mission était assignée en même temps à von Kluck par le grand quartier allemand. Établi très loin, à Luxembourg, ce grand quartier a toujours été informé trop tard, et ses instructions ne concordaient plus avec les circonstances. Le 28, il ordonne à von Kluck de marcher à l'ouest de l'Oise vers la Basse Seine. Von Kluck n'obéit pas, et, le 29, au lieu de marcher le long de l'Oise, il se rabat sur ce fleuve, entre Compiègne et Chauny, pour soulager Bülow attaqué. Le quartier général l'approuve le 30.

C'est là un changement essentiel. Au lieu que l'aile droite allemande marche par les deux rives de l'Oise, la IIe armée sur Paris, la Ire à l'ouest de Paris, voici que les cieux armées sont l'une et l'autre à l'est de l'Oise, la Ile armée étendant sa gauche jusqu'à Reims. C'est donc maintenant la Ire armée von Kluck qui marche sur Paris. Le 1er septembre, les instructions du grand quartier sont qu'elle avance le 2 entre l'Oise et Soissons. La IIe armée avancera entre Soissons et Reims, où elle entrera par sa gauche. Et la IIIe armée avancera entre Reims et Châlons.

Mais, dans la nuit du 2 au 3, nouvelle instruction, d'une importance capitale. Tandis que, jusque-là, les deux armées allemandes de droite ont marché en faisant colonne au sud, von Kluck orientant sa droite sur Paris, voici que le grand quartier prescrit de manœuvrer, non plus à marcher sur Paris, mais à couper les Français de Paris. C'est le fameux glissement que Gallieni apprend le 3, vers six heures du soir.

L'état-major allemand confiait cette manœuvre à l'armée Bülow, l'armée Kluck restant à droite et en arrière, en échelon refusé, pour couvrir le dispositif face à Paris. Et une fois de plus von Kluck n'obéit pas. Il ne laisse devant Paris qu'un seul corps, le IVe de réserve, et avec tout le reste il se précipite, la gauche en avant, si fougueusement qu'il franchit la Marne dès le 3 septembre à Château-Thierry. Au lieu d'être en arrière de la 11e armée, il est en avant, et il empiète même sur ses zones de marche. Voici qui est grave. Tandis que, dans la pensée du commandement, la Ire armée tout entière devait couvrir l'ensemble du côté de Paris, cette armée est au contraire aventurée au sud de la Marne, en aile marchante, avec un seul corps devant Paris.

Le 4, à neuf heures du matin, le mouvement de von Kluck est assez évident pour que le général Gallieni passe à l'action. Il écrit au général Maunoury, commandant la 6e armée : En raison du mouvement des armées allemandes qui paraissent glisser en avant de votre front dans la direction du sud-est, j'ai l'intention de porter votre armée en avant dans leur flanc, c'est-à-dire dans la direction de l'est, en liaison avec les troupes anglaises. En même temps il ordonne de tenir les troupes prêtes à marcher l'après-midi du même jour et à entamer le mouvement général le lendemain 5. Enfin, à vingt heures et demie, donnant les ordres pour le lendemain, il prescrit à la 6e armée de se mettre en mouvement le 5 dans la direction de l'est en se maintenant sur la rive nord de la Marne, de façon à être prête à attaquer le 6 au matin, en liaison avec l'armée britannique.

II. — L'OFFENSIVE FRANÇAISE.

DANS cette même journée du 4, le grand quartier général français prend lui-même la résolution de passer à la contre-offensive sur tout le front. Cette résolution est fondée sur deux faits d'ordre général : 1° La manœuvre enveloppante de l'adversaire sur notre aile gauche a échoué. En effet, la 5e armée s'est mise en sûreté le 3 au sud de la Marne, et, le 5, sur la ligne Sézanne-Courchamps, elle est prête à aborder de front l'ennemi. Elle est couverte à gauche par un flanc offensif, formé de l'armée anglaise et de la 6e armée, celle-là au sud de la Marne, celle-ci au nord, toutes deux prêtes à attaquer face à l'est, en direction générale de Meaux.

2° Le transfert de forces de l'aile droite à l'aile gauche et au centre va être terminé le 6. Les dernières unités transportées sont le 13e corps par voie de terre, le 11e, une division du 9e, les 8e et 10e divisions de cavalerie par voie ferrée. Ces unités ont été prélevées sur la 1re et la 2e armées, au profit de la 3e. Inversement, une division du 6e corps (la 42e) a été prélevée sur la 3e armée au profit du centre. Enfin les divisions de réserve qui tenaient les Hauts-de-Meuse ont rejoint la 3e armée et prendront part avec elle à la bataille décisive.

Le général Joffre envoie donc le 4 à dix-huit heures les instructions aux armées de gauche, sur les dispositions à prendre dans la journée du 5 pour partir à l'attaque le 6. Le 5 au matin, il envoie les instructions aux armées qui formeront la droite du mouvement (4e et 3e). L'ensemble de ces dispositions forme l'ordre général ne 6. L'idée de la manœuvre est la suivante. L'armée française exécutera une double attaque enveloppante aux deux ailes. A l'aile gauche, la 5e armée attaquera face au nord, tandis que l'armée anglaise et la 6e armée attaqueront face à l'est dans le flanc de l'ennemi, la première sur Montmirail, la seconde sur Château-Thierry. La 9e armée couvrira à droite le mouvement de la 5e, sa droite au sud des marais de Saint-Gond, sa gauche sur le plateau de Brie au nord de Sézanne. A l'aile droite, la 4e armée contiendra de front l'ennemi, que la 3e armée, débouchant face à l'ouest, attaquera dans son flanc gauche. L'opération est donc formée de deux attaques symétriques par l'ouest et par l'est, sur les deux flancs des armées allemandes, tandis qu'au centre, les 5e, 9e et 4e armées attaqueront de front.

Le même jour, par le message ne 3948, le général Joffre avertit les troupes que le moment n'est plus de regarder en arrière ; que tous les efforts doivent être employés à attaquer et repousser l'ennemi ; que toute troupe qui ne pourra plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer.

Le 5, la Ire armée allemande, croyant toujours envelopper notre aile gauche, franchit le Grand-Morin entre Chauffry et Esternay. La IIe apparaît vers midi sur la ligne Champaubert-Vertus. La IIIe et la IVe armée atteignent le front Châlons-Bussy-le-Repos. La Ve armée descend des deux côtés de l'Argonne et atteint la ligne Possesse-Triaucourt-Julvecourt.

Dans cette même journée du 5, l'aile gauche alliée exécute les mouvements préparatoires qui doivent l'amener sur ses emplacements de départ pour l'offensive du 6. La 5e armée n'a qu'à resserrer légèrement sur sa gauche et s'établir sur le front Courtacon-Sézanne. L'armée britannique était le 3 au sud de la ligne Marne-Petit-Morin. Ce jour-là, le général Gallieni fit part an maréchal French du glissement de von Kluck vers le sud-est et de sa propre intention d'attaquer dans le flanc de l'ennemi. Le maréchal, d'abord enclin à participer au mouvement, se reprit, sur les conseils de son chef d'état-major. Pour le 4, il donna repos aux troupes, avec ordre de se tenir prêtes à commencer au premier signal leur retraite derrière la Seine. Dans la journée, les ordres furent donnés d'atteindre le 5 la ligne Ormeaux-Ozoir, et le mouvement, commencé dès le 4, amena ce jour-là l'armée britannique derrière la route de Lagny à Provins. A ce moment-là, le général Joffre lui prescrivait au contraire de se porter le 5 en avant en exécutant un changement de front face à l'est, de façon à atteindre la ligne Coulommiers-Changis. Le maréchal French ne put pas exécuter un mouvement aussi considérable ; tout ce qu'il put faire fut de s'établir à une quinzaine de kilomètres en arrière de la ligne prescrite, au nord et au sud de Rozoy.

La 6e armée devait, le 5, se mettre en mesure de franchir l'Ourcq le 6 au matin entre Lizy et May. Le général Gallieni donna donc à cette armée, le 4 au soir, l'ordre de marcher le 5 vers l'est et d'amener son front à la hauteur de Meaux, de façon à être prête à attaquer le 6 au matin, en liaison avec l'armée anglaise. Mais de son côté Kluck s'était flanc-gardé du côté de Paris, en établissant un de ses corps de seconde ligne, le IVe de réserve, précisément sur ces plateaux à l'ouest de l'Ourcq que la 6e armée devait occuper. Le 4, le général von Gronau, qui commandait ce corps, avait eu connaissance de forces adverses à Dammartin et an sud. Le 5, on lui signale la marche de colonnes françaises dans la région de Saint-Mard. Il prend alors la résolution d'attaquer pour voir ce qu'il avait devant lui, et, à midi, les batteries allemandes ouvrent le feu. Le soir, les Français faisaient le front Penchard-Saint-Soupplets-Ver, bien éloigné de cette ligne de l'Ourcq qu'ils devaient atteindre dans la journée.

A Luxembourg, au moment même où le grand quartier français donnait l'ordre d'attaquer, le grand quartier allemand reconnaissait le péril de foncer dans l'arc de cercle des armées françaises, et, voyant dans quel guêpier il tombait, le 4 au soir, il changeait brusquement sa manœuvre. Les nouveaux ordres arrivèrent aux armées le 5 au matin. En voici le texte.

L'adversaire s'est soustrait à l'attaque enveloppante amorcée par la Ire et la IIe armée et il a réussi à se lier avec Paris par des détachements. Des dépêches et d'autres nouvelles font conclure en outre que l'ennemi prélève des troupes de la ligne Toul-Belfort et les envoie vers l'ouest, en même temps qu'il amène des détachements d'armée devant le front, depuis la IIIe jusqu'à la Ve armée (allemande). Un refoulement de toute l'armée française en direction du sud contre la frontière suisse n'est donc plus possible. On doit bien plutôt compter que l'ennemi, pour défendre sa capitale et pour menacer le flanc droit de l'armée allemande, réunit des forces considérables dans la région de Paris et y amène des formations nouvelles.

La Ire et la IIe armée doivent en conséquence tenir en face du front est de Paris. Leur mission est d'agir offensivement contre les entreprises que l'ennemi monterait dans la région de Paris, et de s'appuyer réciproquement.

La IIIe armée prend sa direction de marche sur Vendeuvres. Selon les circonstances, elle passera la Seine en direction de l'ouest pour appuyer la Ire et la lie armée, où elle prendra part aux combats de notre aile gauche dans la direction du sud ou de l'est.

La IVe et la Ve armée sont encore eu contact avec un ennemi plus fort. Elles doivent tenter de le rejeter d'une façon continue vers le sud-est. Elles faciliteront ainsi le passage de la Moselle par la VIe armée, entre Toul et Épinal. La question de savoir si elles pourront, en liaison avec la VIe et la VIIe armée, acculer une fraction considérable de l'ennemi au territoire suisse, n'est pas encore à examiner.

La mission de la VI, et de la VIIe armée reste d'abord de fixer les forces qui se trouvent devant leur front. Il faudra passer aussitôt que possible à l'attaque de la Moselle entre Toul et Épinal, en se couvrant contre ces deux places.

Sa Majesté ordonne donc :

1° La Ire et la IIe armée se maintiennent devant le front est de Paris, pour agir offensivement contre les entreprises ennemies partant de Paris. La Ire armée entre l'Oise et la Marne, la IIe armée entre la Marne et la Seine. Le IIe corps de cavalerie à la Ire armée, le Ier corps de cavalerie à la IIe.

2° La IIIe armée doit avancer sur Troyes-Vendeuvres.

3° La IVe et la Ve armée doivent par une poussée continue vers le sud-est ouvrir à la VIe et à la VIIe, armée le passage de la Moselle supérieure. L'aile droite de la IVe armée par Vitry, l'aile droite de la Ve armée par Revigny. Le IVe corps de cavalerie éclaire devant le front de la IVe et de la Ve armée.

4° Les missions de la VIe et de la VIIe armée demeurent les mêmes.

A la manœuvre par la droite, poursuivie depuis le début de la campagne, l'état-major allemand substituait une manœuvre par la gauche, la Ire et la He armée n'ayant plus qu'un rôle défensif. Pour jouer ce rôle, qui est de surveiller Paris, il faut que von Kluck remonte au nord de la Marne, tandis que von Bülow descendra au sud, l'un et l'autre côte à côte et face à l'ouest. Le 5, à onze heures du soir, von Kluck donne à ses corps de gauche l'ordre pour le 6 de remonter au nord de la Marne. Or, pendant que ces mouvements s'exécutent, le commandement français a donné de son côté l'ordre d'offensive générale pour le 6 au matin. On voit par quel hasard von Kluck, au lieu de faire face à toute l'armée Maunoury avec un seul corps, comme il l'avait imprudemment risqué, put lui opposer trois corps, le IIIe et le IIe restant seuls au sud de la Marne.

De son côté, Bülow, marchant de la Marne vers la Seine selon les instructions allemandes du 4, vint heurter le 6 la 5e armée française. Depuis le 3 septembre, le général Lanrezac avait passé le commandement au général Franchet d'Esperey. Celui-ci, conformément aux instructions du 4, se portait en avant à la rencontre de l'adversaire, et la bataille s'engagea entre Seine et Marne.

Les deux corps de gauche de von Kluck étaient restés au sud de la Marne. Comme il était impossible à ce général de diriger à la fois une bataille sur l'Ourcq avec sa droite et une bataille sur la Marne avec sa gauche, il passa ces deux corps à von Bülow. Mais, dès le 7 au matin, il les redemandait : Entrée en ligne IIIe et IXe corps sur l'Ourcq impérieusement désirable. L'ennemi se renforce considérablement : prière de mettre les corps en marche en direction la Ferté-Milon et Crouy. Ce radio arriva à la IIe armée à onze heures un quart. Un des corps fut immédiatement renvoyé. L'autre, engagé près d'Esternay, fut seulement retiré derrière le Dellau, pour être remis le lendemain à la disposition de la Ire armée. Le 8, Kluck se retrouvait donc sur l'Ourcq toutes forces réunies.

 

III. — LA BATAILLE DE L'OURCQ.

QUAND l'armée Maunoury s'était mise en route face à l'est, le 4, elle comprenait le 7e corps, les 55e et 56e divisions de réserve (groupe Lamaze) et une brigade marocaine. Dès le 4, le général Gallieni lui adjoignait la 45e division algérienne. Le corps de cavalerie Sordet, rattaché à l'armée, prit place le 7 à la gauche, vers Nanteuil-le-Haudoin. Le 4e corps, qui venait de la 3e armée, commença ses débarquements le 4. L'une de ses divisions, la 8e, fut, sur la demande expresse du maréchal French, maintenue à la droite, où elle ne lit rien ; la 7e fut, comme nous le verrons, portée le 8 à la gauche menacée. Les 61e et 62e divisions de réserve (groupe Ebener), d'abord chargées de couvrir le front nord du camp retranché, furent mises en ligne, l'une le 7, l'autre le 9.

La 6e armée partit de Dammartin comme centre le 5 au matin, le 7e corps à gauche, les divisions Lamaze à droite, la 43e division en arrière. Elle fut. attaquée, comme on a vu, vers Iverny, par le IVe corps de réserve, qui voulait savoir ce qu'il avait devant lui. Les Allemands identifièrent, les deux divisions Lamaze, et soupçonnèrent l'existence d'une troisième division. A la nuit, ils se replièrent derrière la Thérouanne.

Le 6, à l'aube, le général Maunoury reprit l'attaque. A dix heures du matin, le IVe corps de réserve allemand fut soutenu par le IIe, commandé par le général Linsingen. Ce corps, ramené au nord conformément aux ordres du grand quartier du 4, devait cantonner le 6 dans la boucle de la Marne, au sud de cette rivière, de Germigny à Isles. Mais, en voyant son voisin engagé, Linsingen marcha au canon. Il passa la Marne et porta sa division de gauche (3e) à Vareddes, et sa division de droite (4e) par Lizy sur Trocy. Il prit ainsi place par une de ses divisions à gauche et au sud de Gronau, par l'autre à droite et au nord. Cette division de droite, la 4e, essaya de déborder l'extrémité nord des Français vers ltavigny.

Malgré cette intervention, le général Maunoury refoula l'adversaire sur tout le front, et en fin de journée il avait sa droite à Chambry, sa gauche à Acy, à une dizaine de kilomètres de l'Ourcq.

Le 7, renforcé à son tour à son aile nord par la 61e division et par le corps de cavalerie, Maunoury essaya à son tour de déborder son adversaire. A seize heures, la 61e division atteignait Villers-le-Grand ; le corps de cavalerie atteignait Bargny et marchait sur Cuvergnon. Mais il était trop fatigué pour menacer sérieusement le flanc et les communications de l'ennemi.

De son côté, von Kluck avait reçu un puissant renfort : le IV' corps actif avait repassé la Marne, et un ordre de vingt-deux heures trente avait prescrit une marche de nuit qui amenât pour l'aube les troupes au centre même de la bataille sur la ligne Trocy-Rozoy. Ainsi, le 7 au matin, les trois corps allemands, leurs unités mélangées, tenaient le front, prolongés à droite par la 4e division de cavalerie. Pour parer aux inconvénients du mélange, le général von Kluck répartit ses forces en 3 groupements : groupement du nord fait d'éléments du IIe et du IVe corps, d'Antilly à Acy, sous le général Sixt von Arnim ; groupement du centre, avec des éléments du IVe corps et du Ive de réserve, de Vincy à Trocy, sous le général Gronau ; groupement du sud fait d'éléments du IIe corps et du IVe de réserve sous le général von Trossel.

Dans la journée du 7, les deux armées étaient donc à peu près à égalité, six divisions d'infanterie contre six, et en fin de journée elles étaient en équilibre. Mais cet équilibre allait être rompu. Les Français acheminaient vers la ligne de feu une division, la 7e (4e corps), qui avait débarqué dans la journée à Paris. Mais elle est épuisée. Pour qu'elle arrivât à temps sur le champ de bataille, le général Gallieni réquisitionna les auto-taxis de la capitale, el leur fit transporter l'infanterie de la division, qui arriva dans la nuit à l'extrême gauche de l'action, à Nanteuil-le-Haudoin. De leur côté, les Allemands amenaient trois divisions, à savoir deux du IXe corps et la 6e du IIIe le corps. On se rappelle en effet que von Kluck avait redemandé ses deux derniers corps à von Bülow, le 7, à onze heures quinze.

De part et d'autre on appliqua ces forces à l'extrémité nord, à l'extrémité libre de la ligne de bataille. La 7e division française débarqua, comme on vient de le dire, à Nanteuil-le-Haudouin. Les trois divisions allemandes furent portées sur Crouy et la Ferté-Milon. En apprenant que ces longues colonnes marchaient du sud au nord, le commandement français avait cru un peu vite que l'armée von Kluck battait en retraite. Le général Maunoury fut détrompé dès le 8. Loin de se retirer, son adversaire manœuvrait à l'envelopper sur sa gauche. Le 8 au soir, la 6e division allemande entrait en action à Cuvergnon, et le IXe corps à sa droite était prêt à commencer le 9 au matin le mouvement décisif sur la gauche française. en partant de l'Ourcq, sur le front Mareuil-la Ferté-Milon. Enfin une brigade de landwehr était acheminée de Villers-Cotterêts à l'extrémité de la ligne.

La journée du 9 est extrêmement dure pour l'armée Maunoury, qui perd Betz et Nanteuil-le-Haudoin, et qui doit reployer sa gauche jusqu'à Silly-le-Long. Cependant, plus au sud, on a constaté dans l'après-midi un ralentissement de l'attaque allemande. Des batteries ont cessé de tirer. Des tranchées ont été abandonnées. Que s'est-il passé ?

A quinze heures, l'état-major de l'armée Kluck, au moment où il se croyait vainqueur, a vu arriver l'homme de confiance du général de Moltke, le lieutenant-colonel Hentsch. Cette visite a été un des coups de théâtre de la guerre. Voici comment le journal de marche de la Ire armée la relate :

Le lieutenant-colonel Hentsch apporta la communication suivante : La situation n'était pas favorable. La Ve armée était arrêtée devant Verdun, la VIe, et la VIIe devant Nancy-Épinal, la IIe armée était eu morceaux. La retraite derrière la Marne était définitive. L'aile droite de la 11e armée ne s'était pas repliée, elle avait été rejetée. Il était donc nécessaire de retirer les armées toutes à la fois, la Ille au nord de Châlons, la IVe et la Ve en liaison par Clermont-en-Argonne sur Verdun. La Ire armée devait pareillement retraiter, en direction Soissons-Fère-en-Tardenois, ou à la dernière extrémité sur la ligne Laon-la-Fère. — II dessina au fusain sur la carte du chef d'état-major de la 1re armée, général von Kuhl, la ligne que les armées devaient atteindre.

A Saint-Quentin une nouvelle armée serait rassemblée. Ainsi une nouvelle opération pourrait commencer.

Le général von Kuhl remarqua que la Ire armée était en pleine attaque et qu'une retraite serait rendue très dangereuse par l'enchevêtrement des unités. Le lieutenant-colonel Hentsch déclara qu'il ne restait pourtant rien d'autre à faire. Il concéda qu'il était impossible de retraiter du combat actuel dans la direction prescrite, et qu'il fallait le faire en ligne droite, tout au plus sur Soissons, la gauche derrière l'Aisne. Il indiqua que ces directives restaient valables, quelques autres communications qui arrivassent ensuite. Il avait pleins pouvoirs. Le premier quartier-maitre de la Ire armée, le colonel von Bergmann, assistait à l'entretien.

En conséquence, la Ire armée allemande se décrocha dans la nuit du 9 au 10, et le 12 elle était en position défensive au nord de l'Aisne.

 

IV. — LA DÉFAITE DE LA IIe ARMÉE.

C'EST à la IIe armée qu'il faut chercher les raisons de ce recul. Le 6, von Bülow, marchant, comme on l'a vu, de la Marne vers la Seine, s'est heurté à la 5e armée française de Franchet d'Esperey, qui se portait en avant, conformément à l'ordre général. Le combat fut extrêmement violent. Le départ du IXe et du IIIe corps donna au commandement français l'impression que les Allemands battaient en retraite, et, dès le 7, le grand quartier prescrivait au général Franchet d'Esperey, par l'ordre général n° 7, de suivre l'ennemi dans un dispositif qui, si l'ennemi s'arrêtait, permit d'engager la bataille sans lui laisser le temps de s'organiser. L'armée devait marcher par sa gauche, en soutenant par sa droite la 9e armée. Il y avait dans les vues du grand quartier une part d'illusion et une part de vérité. Ce n'était pas pour retraiter que les colonnes allemandes remontaient vers le nord. Mais leur départ laissait entre l'aile gauche de Kluck et l'aile droite de Bülow une large brèche, par où la 5e armée française pouvait exécuter un mouvement enveloppant sur l'aile de von Bülow.

Le 8, la situation devient plus claire encore. Le commandement français a reconnu, sinon le changement de front de von Kluck, du moins l'état de fait créé par cette manœuvre. L'instruction particulière ne 19, de ce jour, constate que les forces allemandes forment deux groupes, l'un opposé à la 6e armée, l'autre à la 5e et à la 9e, et qui ne sont reliés devant le front britannique que par de la cavalerie et des détachements de toutes armes. On ne peut définir plus clairement la situation de Kluck, de Bülow, et du corps Marwitz qui les relie. De son côté, le maréchal French aurait reconnu cette situation, d'après son propre témoignage, dons la nuit du 7 au 8. Il avait franchi le 7 le Grand-Morin, il attaqua le Petit-Morin le 8 au matin, le passa, et atteignit la Marne, entre la Ferté-sous-Jouarre et Nogent-l'Artaud. Le 9, sur la demande du général en chef, il débouchait au nord de la Marne, en aval de Château-Thierry.

De son côté, le général Franchet d'Esperey avait reçu le 8 l'ordre d'appuyer les Anglais par son corps de gauche, qui passerait la Marne à Château-Thierry, tandis que son corps de droite appuierait la 9e armée. Pendant ce temps, le gros de l'armée, marchant droit au nord, refoulerait au delà de la Marne les forces adverses. Sous ce choc, énergiquement exécuté, la lie armée allemande plia. Sa droite, formée de la 13e division (VIIe corps) et du Xe corps de réserve, dut être repliée le soir sur la ligne Margny-le-Thoult. Sur les talons de l'ennemi, e général Mangin rentrait à Montmirail. Le 9, il n'y avait plus de doute pour le général von Bülow qu'une puissante masse adverse allait s'insérer entre sa droite tournée et la Ire armée qui allait être tournée à son tour. Ses aviateurs lui signalaient sur la Marne, entre la Ferté-sous-Jouarre et Château-Thierry, quatre longues colonnes, dont les tètes, à neuf heures du matin, arrivaient à Nanteuil, Cary, Pavant et Nogent-l'Artaud. Or. il y avait auprès de von Bülow l'envoyé du grand quartier, le lieutenant-colonel Hentsch, chargé verbalement le 8 d'aller tirer la situation au clair depuis la Ve jusqu'à la Ire armée. D'accord avec lui, le général von Bülow donna, vers onze heures, l'ordre de retraite, la droite sur Damery. Il en avisa von Kluck par un radio qui arriva vers treize heures. Enfin on a vu comment le lieutenant Hentsch est allé porter à celui-ci, dans l'après-midi du 9, l'ordre de la retraite.

 

V. — LA TENTATIVE DE LA IIIe ARMÉE.

PENDANT que la IIe armée se mettait en retraite, que se passait-il à sa droite, à la IIIe armée von Hausen Le 6 au soir et surtout le 7, von Hausen avait parfaitement vu comment il pourrait dégager les deux armées de droite, en attaquant lui-même énergiquement la petite armée Foch, qui lui était opposée. C'est la manœuvre que l'état-major français a plus tard définie en disant que l'ennemi, compromis à la droite, avait cherché la riposte au centre.

Von Hansen monta sa manœuvre en s'appuyant à droite sur la 2e division de la garde, mise à sa disposition par la IIe armée, et en se liant à gauche au VIIIe corps, qui était à la IVe armée. Il forma deux groupements : celui de droite, sous les ordres du général von Kirchbach, était opposé à la droite de l'armée Foch, celui de gauche, sous les ordres du général d'Elsa, était opposé à la gauche de la 4e armée française (Langle de Cary). Ainsi les armées n'étaient pas symétriquement opposées. La gauche de Foch aura affaire à la IIe armée Bülow, malmenée d'ailleurs par Franchet d'Esperey. La droite de Foch (11e corps) portera le poids des 3 divisions de Kirchbach.

L'armée von Hausen attaqua le 8 à l'aube. Le groupement Kirchbach refoula la droite de Foch ; au contraire, le groupement d'Elsa ne progressa que péniblement, tandis que le Ville corps sur sa gauche était arrêté. Cependant, le 8 au soir, Hentsch, qui était ce jour-là à la Me armée, faisait savoir au grand quartier que la situation de cette armée était excellente.

Le groupement Kirchbach, bien que Bülow, pressé par Franchet d'Esperey, lui eût retiré le 8 au soir la division de la garde qu'il lui avait prêtée, continua le 9 ses attaques, et rejeta les Français derrière la ligne de la Maurienne. Les choses en étaient là, quand, à une heure vingt de l'après-midi, arriva la même dépêche qu'avait reçue von Kluck : La IIe armée bat en retraite, son aile droite sur Damery.

En même temps que Bülow se repliait, il avait donné à Kirchbach, bien que ce général appartînt à l'armée von Hansen, l'ordre de battre pareillement en retraite à une heure. Kirchbach fit connaître cet ordre à von Hausen, en ajoutant qu'il avait ajourné. son repli jusqu'à quatre heures et demie. La bataille continua donc pendant la première partie de l'après-midi.

L'aile droite de l'armée Foch était vivement poussée tandis que l'aile gauche était déjà dégagée. Ce général eut alors l'idée de faire passer la 42e division de sa gauche à sa droite, en la faisant défiler derrière toute la ligne de bataille, pour la jeter dans le flanc des Saxons. Cette manœuvre n'eut pas le temps de donner ses effets. A cinq heures et demie, était arrivé à von Hansen un second télégramme de la IIe armée, confirmant la retraite de celle-ci et annonçant la retraite de von Kluck.

Von Hansen ne pouvait plus que se conformer au mouvement des armées de droite. Dès les premières nouvelles, il avait pris des mesures en vue d'un repli éventuel. Il donna l'ordre de retraite, laissant de grosses arrière-gardes sur la Somme et sur la ligne Soudé-Maisons-en-Champagne, tandis que les gros devaient atteindre la ligne Trécon-Cheppes.

Il avait télégraphié ces dispositions au grand quartier quand il en reçut un radio qui lui donnait les intentions du commandement. Celui-ci, pour la quatrième fois en onze jours, montait une nouvelle manœuvre, fondée sur une offensive de la Ve armée (Kronprinz), à l'ouest de Verdun, dans la nuit du 9 au 10. La IIIe armée devait tenir au sud de Châlons et être prête à repasser à l'offensive, à laquelle la IV' armée se lierait s'il se présentait quelque perspective de succès. Une seconde dépêche du grand quartier arriva à dix heures et demie du soir, et confirma la première. La IIIe armée reste au sud de Châlons. L'offensive doit être reprise le 10 septembre aussitôt que possible. — Ainsi, dans cette journée du 9, le commandement, allemand, battu à sa droite, n'abandonnait pas la partie. A la défaite de sa droite, il répondait par une offensive de sa gauche.

Pour obéir à ces nouveaux ordres, von Hausen regroupa son armée. Sa droite, grâce à l'épuisement de la droite de Foch, se décrocha aisément ; la gauche attendit la nuit. Le XIXe corps, qui formait cette aile, était resté dans ses positions pour donner la main au Ville de la IVe armée. Il fut attaqué sur sa droite le 10 par les Français et dégagé par une division du XIIe corps. Pendant ce temps, le reste de l'armée exécutait ses mouvements sans difficulté. Mais, en fin de journée, à dix-neuf heures quinze, la IIe armée fit savoir qu'elle était tellement pressée qu'elle pensait à replier ses arrière-gardes derrière la Vesle ; elle souhaitait que la IIIe armée se liât à ce mouvement. A vingt heures, arriva un ordre du grand quartier, daté de dix-sept heures quarante-cinq ; cet ordre confirmait le repli de la IIe armée derrière la Vesle, la gauche à Thuisy ; la Ire armée devait recevoir des instructions de la IIe ; la IIIe devait se lier à la IIe et tenir la ligne Mourmelon-le-Petit, Francheville-sur-Woëvre, abandonnant ainsi la Marne, Châlons, et renonçant à l'offensive ; la IVe armée devait se lier par sa gauche à la IIIe et tenir la rive nord du canal de la Marne au Rhin jusqu'à llcvigny. Ces positions devaient être fortifiées et maintenues. Le repli s'exécuta dans la nuit. Le 11, toute la Me armée avait repassé la Marne ; le général von Hausen quitta Chalons Je Il à quatre heures du matin et transféra son quartier général à Suippes.

 

VI. — LA TENTATIVE DU KRONPRINZ.

D'APRÈS l'ordre général du 4, les deux armées françaises qui tenaient le front entre l'Argonne et Verdun devaient se porter en avant le 6 et attaquer, la 4e de front et face au nord, la 3e dans le flanc de l'ennemi et face à l'ouest. — D'autre part, le même jour, c'est-à-dire le 4, le commandement allemand, sentant la victoire lui échapper à sa droite, avait espéré la ressaisir à sa gauche, par une action combinée des IVe, Ve, VIe et VIIe armées. Cependant, dès le 6 septembre, le général de Moltke retirait à la VIe et à la VIIe armée quatre corps qu'il transportait dans le nord de la France pour en former une nouvelle armée à l'aile droite. Dès ce jour-là, le transport de la VIIe armée était décidé ; elle irait à l'autre bout du champ de bataille prolonger à l'ouest la Ire armée. Il semble que l'état-major allemand ait hésité entre la manœuvre par l'une ou l'autre aile, et gaspillé ses forces.

La IVe armée allemande avait pour mission de s'ouvrir un passage vers le sud-est. La Ve armée, à sa gauche, avait pour mission particulière d'isoler Verdun, et de pénétrer dans la région fortifiée de la Meuse. Les deux adversaires, 4e et 3e armées d'un côté, Ive et Ve de l'autre, vont donc marcher à la rencontre l'un de l'autre. La IVe armée passe l'Ornain le 6 et elle attaque la droite de la e armée française, dont la gauche, comme on l'a déjà vu, est aux prises avec la IIIe armée von Hansen. La 4e armée est refoulée le 7 sur la ligne Humbauville-Maurupt, où elle se maintient. Le commandement a mis à sa disposition le 21e corps, rappelé des Vosges. Le général de Langle porte ce corps à sa gauche vers Sompuis, où il importe de dégager la 9e armée. L'action du 21e corps commence à se faire sentir le 10 : on a vu que le général de Langle peut avec sa gauche ainsi renforcée attaquer la gauche de von Hansen. Enfin, le 10 au soir, arrivait du grand quartier allemand l'ordre de repli ; la Ille armée allemande battait en retraite dans la nuit, et la IVe le 11. Le front de la 4e armée française était dégagé.

La Ve armée du Kronprinz allemand avait eu affaire à la 3e armée Sarrail. Le Kronprinz manœuvrait à déborder l'aile gauche de son adversaire en le coupant de Langle de Cary. Sarrail, de son côté, avait reçu pour directive de tomber dans le flanc gauche du Kronprinz pendant qu'il marcherait vers le sud. La bataille s'engagea le 6 sur le front Vassincourt-Souilly. Le principal danger pour le général Sarrail est sur sa gauche, où un trou le sépare de la 4e armée, et où son aile peut être tournée. Il jette dans cet intervalle le Ise corps qui lui est envoyé de Lorraine, et dont les premiers éléments interviennent dans l'après-midi du 7. Sur le reste du front, le 5e et le 6e corps français prennent nettement la supériorité d'artillerie : le 8, l'artillerie du 6e corps détruira Il batteries allemandes repérées par avions. Grâce à cette supériorité, l'infanterie des corps d'armée peut progresser légèrement. Mais les Allemands se renforcent en batteries de gros calibre. Les deux armées se retranchent, et combattent sur place. Sur la droite française, les forts de Verdun sont bombardés, et le 9, dans le dos de Sarrail, des forces allemandes venant-par la rive droite de la Meuse donnent deux fois l'assaut au fort de Troyon qui résiste.

Le 8, le commandement français a autorisé le général Sarrail à replier sa droite, c'est-à-dire à lâcher Verdun pour conserver à gauche sa liaison avec la 1re armée. Cependant le général Sarrail réussit à se maintenir sur ses positions. Le 9, l'état-major allemand ordonne pour le lendemain cette suprême attaque du Kronprinz, qui doit, si elle réussit, se poursuivre par une reprise d'offensive de von Hansen et du duc de Wurtemberg. Le Kronprinz lance donc, à l'aube du 10. 2 corps d'armée sur l'aile droite de Sarrail, formée par le 6e corps. Cette attaque échoue complètement. C'est le dernier espoir de l'état-major allemand qui s'évanouit. Le soir même il prescrit définitivement la retraite de la IIIe et de la IVe armée. Le 13 au matin, la Ve armée commence à son tour son repli.

 

VII. — LA BATAILLE DU GRAND-COURONNÉ.

LA manœuvre allemande par la gauche, ordonnée le 4 par le grand quartier, comprenait enfin le passage de la Moselle par les VIe et VIIe armées. La VIe armée est commandée par le kronprinz de Bavière, la VIIe par le général von Heeringen. Elles ont devant elles la 2e armée Castelnau et la 1re armée Dubail.

Après la défaite de Mohrange, la 2e armée française s'était établie face à l'est de la crête de Belchamp au Grand-Couronné, tandis qu'à sa droite la Ire s'établissait face au nord et au nord-ouest, les deux armées formant ainsi un angle d'équerre, dans lequel l'armée bavaroise vint se jeter. Le 24 août au matin, elle attaqua la 1re armée, dans le dessein de forcer la trouée de Charmes, mais elle présentait ainsi le flanc à la 2e armée ; le général de Castelnau, manœuvrant par sa gauche, jeta dans le flanc droit du prince de Bavière la 70e division Fayolle et le 20e corps. Puis, le lendemain 25, reportant toute son artillerie à sa droite, le général de Castelnau manœuvra par cette aile, en laissant cette fois sa gauche sur la défensive. L'ennemi, menacé sur la ligne de communication par le 16e corps, abandonne Rozelieures. Toute l'armée Castelnau se porte alors en avant vers trois heures de l'après-midi, obligeant les Bavarois à se replier. Le lendemain 26, tandis que le kronprinz de Bavière continuait son repli, le général von Heeringen, qui commandait la VIIe armée allemande, essaya de rétablir la partie en attaquant furieusement l'armée Dubail. II réussit à amener sa droite devant Rambervillers et sa gauche à Saint-Dié, où elle entra le 29. Mais, n'étant pas soutenu par la VIe armée, il dut s'arrêter.

L'attaque allemande reprit le 4 septembre dans l'après-midi. Tandis qu'en août l'ennemi, négligeant Nancy, avait cherché à se frayer un chemin plus au sud par la trouée de Charmes, cette fois il va tenter d'enlever directement Nancy, en emportant le croissant de hauteurs qui, de Sainte-Geneviève au Rembètant, couvre cette ville vers l'est, et qu'on appelle le Grand-Couronné. Une lutte acharnée s'engage, où les Allemands ont une grande supériorité d'artillerie lourde. Le 7 au matin, la colline de Sainte-Geneviève, extrémité nord du Grand-Couronné, est évacuée par les Français. Le général de Castelnau a préparé les ordres de retraite. Cependant, sur les instances du général Dubail, et en apprenant que Sainte-Geneviève n'avait pas été occupée par l'ennemi, il renonça au repli et continua la lutte. Le 8 septembre, l'attaque allemande commença à mollir. Le 10, la 2e armée française repassait à l'offensive. Le 12 au malin il devint évident que les Allemands se repliaient. A huit heures, les Français rentraient dans Lunéville. On occupa les positions abandonnées par l'ennemi, sans poursuite véritable. Ce fut la fin des grandes opérations en Lorraine. Tout l'intérêt était maintenant dans l'ouest, à l'aile gauche du dispositif général. Le 13 septembre, l'armée Castelnau était disloquée, en vue de renforcer cette aile gauche. Le quartier général était ramené à Commercy où, le 18 septembre, l'état-major recevait l'ordre de s'embarquer pour une autre destination.

Sur le front de la 1re armée Dubail, l'attaque allemande s'était pareillement produite le 4. L'ennemi manœuvrait contre l'aile droite de Farinée, qui fut rejeté sur la Haute-Meurthe. Mais, dès le 6, elle repassait à l'offensive. Cependant, des deux côtés, le haut commandement affaiblissait les armées de l'est au profit des armées de l'ouest. Le 6, l'état-major allemand avait retiré au général von Heeringen le XVe corps, qui fut envoyé par Trèves vers l'ouest ; le reste de la VIIe armée avait été rattaché à la VIe. L'état-major de la VIIe armée fut lui-même transporté dans l'ouest. L'armée devait être reconstituée autour de Saint-Quentin, et, former l'extrême droite du dispositif. Ces indices d'affaiblissement des forces qui étaient devant lui, connus du général Dubail, l'engagèrent à reprendre l'offensive le 9 ; mais lui-même avait perdu successivement le 21e corps, et la 6e division de cavalerie ; le 9, il reçut l'ordre de tenir prêt au départ un autre corps ; il désigna le 13e, qui dut embarquer à partir du 11, dans la région d'Épinal.

Le Il au matin, il devint avéré que les Allemands battaient en retraite devant la droite de l'armée. Le général Dubail prescrivit donc de poursuivre l'offensive sur tout le front. Mais il reçut ce jour-là même du grand quartier l'ordre de retirer du front un troisième corps pour le constituer en réserve générale de la 1re et de la 2e armée. Il désigna le Se corps. Le 13 au matin, au moment où il s'apprêtait à poursuivre l'ennemi, ce corps reçut l'ordre de se porter à l'arrière, dans la région de Charmes.

Le départ de la 2e armée étendit la zone d'action de la 1re armée, jusqu'au contact de la 3e. En même temps sa composition était modifiée. L'est cessait d'être un théâtre d'opérations actives. Composée désormais de divisions de réserve, la 1re armée se bornerait à garder les positions reconquises.

Les opérations du 6 au 13 septembre, connues sous le nom à jamais glorieux de bataille de la Marne, ont eu une importance décisive dans l'histoire de la guerre. Le dessein initial de l'ennemi, qui était de battre rapidement la France avant l'entrée en ligne de la Russie, avait échoué. La France était victorieuse ; dans le même temps la Russie, si elle subissait à l'aile nord une défaite qui la contraignait d'évacuer la Prusse orientale, remportait à l'aile sud des victoires qui l'amenaient sur les Carpathes. Le gouvernement allemand destitua le chef d'état-major, qui était le général von Moltke, el le remplaça par le général von Falkenhayn. Toutefois cette destitution fut tenue secrète jusqu'au milieu de novembre. A la tête de la III armée, le général von Hausen fut remplacé le 13 septembre par le général von Einem.

 

La campagne de la Marne[1].

 

 

 



[1] Sur la carte, carton de la Bataille de l'Ourcq, lire au-dessus des trois corps allemands en situation au sud du Grand-Morin : 6 septembre, au lieu de 9 septembre.