HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE II. — LES OPÉRATIONS MILITAIRES.

CHAPITRE PREMIER. — LE PREMIER CHOC.

 

 

I. — LES PLANS DE CAMPAGNE.

AU lendemain de sa victoire, le maréchal de Moltke se croyait assez fort, et jugeait la France assez faible, pour qu'il pût, dans une guerre contre la France et la Russie, prendre l'offensive sur les deux fronts. Mais, devant le rapide relèvement de la France, il changea de maximes, et se résolut à garder la défensive sur le front russe et à attaquer sur le front français. On y pouvait attendre la bataille décisive pour la troisième semaine de la guerre. Les Français battus, la diplomatie réglerait le conflit occidental, tandis que l'effort militaire se tournerait vers l'est ; là on pouvait admettre que les Russes n'auraient pas atteint la Vistule avant la quatrième semaine.

L'alliance avec l'Autriche, en 1879, transforma encore ces desseins. Moltke se décida à garder la défensive sur le front occidental, et à attaquer sur le front oriental. Le front occidental se prêtait à la défensive. Long seulement de 160 kilomètres entre la Belgique et la Suisse, il était, formé d'une partie protégée par les Vosges, où les chemins de fer couraient parallèlement, et d'une partie ouverte, où ils convergeaient pour amener rapidement, des défenseurs. Une violation de la Belgique par les Français ne les mènerait qu'au Rhin ; là les Allemands les obligeraient à livrer bataille l'ace au sud, le dos à la Hollande, avec une ligne d'opérations latérale. Si même la rive gauche était conquise, le Rhin resterait à franchir. Les Allemands prendraient ensuite position derrière le Main, entre Mayence et Francfort, et livreraient la bataille décisive à un adversaire affaibli. L'accès de l'Italie à l'alliance austro-allemande renforçait encore la solidité de cette défensive. Tandis qu'une partie des forces françaises serait retenue sur les Alpes, on envisageait la présence de corps italiens sur le Haut-Rhin, pour participer à la défense de l'Alsace ; on pensait au siège de Belfort.

Le comte de Waldersee, qui succéda en 1888 au maréchal de Moltke, s'en tint aux mêmes idées. En 1891, le comte Schlieffen remplaça Waldersee. Jusque-là il n'avait pas été question dans les plans allemands d'une violation de la Belgique. Môme dans le cas d'une guerre à un seul front contre la France isolée, Moltke comptait percer entre Épinal et Toul. Schlieffen revint au premier projet Moltke, c'est-à-dire à une offensive contre la France, l'Allemagne cherchant la décision sur le front occidental, tandis qu'elle se tiendrait sur la défensive dans l'est. La raison de ce revirement parait avoir été l'accroissement de force et d'esprit offensif des Français, devenus l'adversaire le plus dangereux, et contre qui une défensive affaiblie eût été imprudente. Mais, en attaquant d'abord les Français, on escomptait leur prompte défaite. Cette décision rapide ne pouvait être attendue d'une attaque frontale, qui se heurterait à une ligne de forteresses. Il fallait procéder par un enveloppement d'aile, c'est-à-dire traverser, soit la Suisse, soit la Belgique. Son armée et son sol défendaient la Suisse ; on décida d'envahir la Belgique. Ce fut, écrit le général von Kuhl, une loi de la nécessité. Quant à l'appui italien, soit sur le Rhin, soit sur les Alpes, Schlieffen le considérait comme une illusion.

Le plan de campagne contre les Français fut élaboré de 1804 à 1899. L'enveloppement d'aile était combiné avec l'attaque frontale. A l'aile droite, la Ire et la IIe armée passaient la Meuse sur le front Donchery-Stenay, couvertes contre les Belges par la VIP armée. A l'aile gauche, la IVe et la Ve armée enlevaient Nancy et marchaient sur Neufchâteau, couvertes sur leur flanc sud par la VIe armée. La IIIe armée reliait les deux groupes, dont l'un passait au sud, l'autre au nord de la puissante barrière Verdun-Toul.

Progressivement, la manœuvre enveloppante fut étendue, tandis que l'attaque frontale était abandonnée. Le rabattement, autour de Metz comme pivot, donnait à l'armée une vaste zone d'opérations à travers la Belgique et le nord de la France. On admit qu'il devait envelopper aussi la seconde ligne des Français, la ligne Reims-la Fère. La presque totalité des forces de l'armée y étaient employées : 23 corps actifs, 12 corps et demi de réserve, 8 divisions de cavalerie. On laissait en Lorraine 3 corps et demi d'active, un de réserve, et 3 divisions de cavalerie ; Metz et Strasbourg recevaient, en plus de leurs garnisons de guerre, celle-là 6 brigades de landwehr, celle-ci une division de réserve ; ajoutez enfin 3 brigades et demie de landwehr sur le Haut-Rhin et une en Basse-Alsace.

Schlieffen se retira le 1er janvier 1906, et le général von Moltke lui succéda. Il conserva les idées essentielles de son prédécesseur, l'offensive contre la France et la manœuvre enveloppante par la Belgique. Seulement il n'osa pas laisser l'Alsace et la Lorraine aussi dégarnies que l'avait voulu Schlieffen. Celui-ci n'avait consacré aux armées d'opérations dans ces provinces que 4 corps et demi ; Moltke les porta à 8, dont 6 pour la VIe armée et 3 pour la VIIe.

Du côté français, les idées de manœuvre initiale et les plans de concentration qui y correspondent avaient beaucoup varié depuis le plan n° 1, qui est de 1875. A mesure que la concentration pouvait se faire plus rapidement, on la rapprochait de la frontière. En 1887, il fallait encore quinze jours pour réunir les armées ; en 1913, les opérations actives pouvaient commencer dès le douzième jour de la mobilisation.

En 1911, dans le plan du général Michel, une offensive allemande à grand rayon par la Belgique est prévue. Dans ce plan, la principale masse offensive des Français, forte de 490.000 hommes, est disposée face à la frontière belge, entre la mer et la Sambre. Une autre masse couvre de Mézières à Belfort notre frontière de l'Est ; une troisième masse de 220.000 hommes est réservée en arrière, dans la région de Paris. Le plan du général Michel fut abandonné, et l'on revint, avec les plans 16b1' et 16'er, à l'hypothèse que les Allemands ne marcheraient en Belgique que sur la rive droite de la Meuse.

Enfin, le 18 avril 1913, le plan n° 17 fut présenté au Conseil supérieur de la guerre. Quatre armées, comprenant 18 corps et 8 divisions de réserve, se concentraient en première ligne entre Mézières et Belfort ; une cinquième armée, de 3 corps, en seconde ligne dans la région Sainte-Menehould-Commercy, était prête à s'intercaler dans la première ligne selon les circonstances. L'intention du commandant en chef était, une fois la concentration terminée, de se porter toutes forces réunies à l'attaque des Allemands. Il comptait agir par ses deux ailes, à droite en Lorraine, à gauche au nord de la ligne Verdun-Metz. Les deux offensives étaient soudées par des forces qui agiraient sur les Hauts de Meuse et en Woëvre.

 

II. — LES MOBILISATIONS.

LE décret de mobilisation générale fut lancé en France le 1er août à quinze heures cinquante-cinq. Les mesures de précaution avaient commencé le 28 juillet. Ce jour-là tous les permissionnaires furent rappelés à leur corps. On rapatria par voie de terre ou de fer les troupes absentes de leurs garnisons. A partir du 31, les troupes de couverture se mirent en place, mais sans s'approcher à moins de 10 kilomètres de la frontière.

La mobilisation commença le 2 août à midi, et fut terminée le 5. Une question fort importante était la formation de divisions de réserve. Le plan 17 révélait, écrit le maréchal Joffre, le souci d'organiser de plus en plus fortement les formations de réserve. Leur nombre passait de 22 à 25. De plus, un régiment de réserve était affecté à chaque division active.

Les transports de concentration commencèrent le 5 et furent terminés le 12 pour les troupes actives. Ils avaient exigé 2.500 trains. Outre les divisions de réserve, 11 divisions territoriales furent organisées dans l'intérieur, et furent prêtes le 19. Les hasards de la guerre amenèrent aussi, contre les prévisions, à les jeter au feu. Le transport des divisions de réserve et des divisions territoriales exigea du 12 au 18, 4.500 trains. Certaines régulatrices avaient lancé, à certains moments, 200 trains par jour, soit un train par 8 minutes. — La mobilisation donna à la France 3.781.000 hommes (dont 77.000 indigènes), ainsi répartis : 2.689.000 aux armées et dans les places, 157.000 dans l'Afrique du Nord, 935.000 dans l'intérieur.

Le sentiment du peuple français, devant l'agression, fut celui d'un courage résolu, sans forfanterie ni faiblesse. Puisqu'il lui fallait défendre son existence, il mit à protéger sa terre et ses foyers une abnégation et une ténacité qui s'ajouteront dans l'histoire au courage bouillant du sang gaulois. Pendant toute la guerre, le paysan français s'est battu avec la patience qu'il mettait à labourer son champ. Garder sa tranchée ou monter à l'assaut, c'était avoir fait son boulot. Pour ce travail accompli avec simplicité, et avec une singulière horreur de la déclamation, il donnait son sang, non seulement en obéissant à la nécessité, mais avec l'idée réfléchie que son sacrifice n'était pas inutile, et qu'en mourant il préservait à jamais les siens d'un pareil fléau.

Tandis que la France faisait peu de fond sur ses formations de réserve, l'Allemagne allait faire des siennes, dès le début, un très large emploi, il en est résulté, chez le commandement français, une erreur de calcul qui a rendu fausses toutes ses déductions, et qui a eu des conséquences capitales sur les premières opérations.

Dès le commencement de juillet 1914, l'Allemagne appelait des réservistes pour une période inusitée de cinquante-six jours, commençant le 1er août. Des rappels de permissionnaires, des retours aux garnisons d'unités absentes sont fréquents à partir du 26 juillet.

L'état de danger de guerre, qui permet de commencer la mobilisation sans la déclarer, fut proclamé le 31 juillet à midi ; l'ordre de mobilisation est du P' août à cinq heures du soir.

La masse mobilisable en Allemagne était répartie entre l'armée active et sa réserve, les deux bans de landwehr et les deux bans de landsturm ; de plus, les hommes en surnombre dans chaque classe et n'ayant pas fait de service actif étaient versés en partie dans une réserve spéciale, dite Ersatz-reserve.

Les réservistes des unités qui entraient aussitôt en campagne avaient entièrement rejoint le 4 août, les hommes de la landwehr le 7 août. La formation des unités de landsturm commença dès le 31 juillet, fut étendue le 15 août à tout l'Empire. La mobilisation donna 4 millions d'hommes immédiatement disponibles.

Les hommes de l'Ersatz-reserve dans les régions frontières, et surtout les Polonais et les Alsaciens-Lorrains, furent mis en route le 3 août. L'ensemble des douze classes de l'Ersatz commença à être appelé le 7 août. Elles fournirent 900.000 hommes.

La classe 1914, révisée dans le cours de l'année, était prête à être appelée. Elle ne le fut qu'entre le début de novembre 1914 et la fin de janvier 1915. Mais, dès le début de la guerre, des jeunes gens des classes 1914-1916 s'engageaient, au nombre de 300.000.

L'armée comprit 25 corps actifs, à savoir les corps I-XXI, le corps de la garde, et 3 corps bavarois ; on forma de plus 113 régiments de réserve, composés d'hommes de vingt-six à trente et un ans, enfin 18 bataillons de chasseurs de réserve. L'emploi des unités de réserve en première ligne fut, comme on l'a dit, une nouveauté et une surprise de la guerre.

L'afflux des hommes dans les dépôts était tel que, les unités actives complétées et les unités de réserve constituées, ou pouvait encore former des unités nouvelles, dites bataillons d'Ersatz, qui donnèrent 6 divisions prélevées sur les dépôts des unités actives, 13 bataillons sur les dépôts des unités de réserve, et 17 sur ceux de la landwehr.

Les classes âgées de la landwehr premier ban et les classes jeunes de la landwehr second ban formèrent des brigades de landwehr, engagées dès le 19 août sur des parties secondaires du front. Une d'elles figura à la Marne. Les classes âgées de landwehr deuxième ban et les classes jeunes de landsturm deuxième ban formèrent des unités de landsturm. Elles ne furent pas, au début de la guerre, engagées sur le front occidental.

L'Allemagne a, dès le début, jeté en ligne toutes ses forces disponibles. sans distinction d'âge. Le succès devant être conquis aussitôt, par un coup de force, il ne fallait laisser personne en arrière.

 

III. — LES DEUX ARMÉES.

LES Allemands engageaient sur le front occidental 44 divisions actives et 28 divisions de réserve, soit 72 divisions, plus 10 divisions de cavalerie, sans compter les formations de landwehr et bientôt 6 divisions d'Ersatz. Ils estimaient les forces françaises à 46 divisions d'infanterie, 20 et demie de réserve et 10 divisions de cavalerie ; plus 4 divisions de forteresse, 12 divisions territoriales ou davantage. Il resterait encore de fortes garnisons en Corse et en Afrique. L'exactitude de ces chiffres est remarquable. La France mettait en effet sur pied 45 divisions actives, 2 divisions coloniales, 25 divisions de réserve, 10 de cavalerie et 12 territoriales. De plus, quelques divisions nouvelles d'infanterie furent formées pendant la période de mobilisation et de concentration. On voit au surplus que la prétendue supériorité numérique des Allemands sur le front occidental n'a pas existé.

Une quinzaine d'années auparavant, les deux armées avaient des doctrines de guerre opposées. La méthode de guerre préconisée en Allemagne par le maréchal von Schlieffen était d'engager tout de suite tout son monde, sur un large front, sans réserves notables. sans tenir compte des desseins de l'adversaire, en lui imposant sa volonté par une offensive menée à fond et partout. La méthode française, telle qu'on la trouve par exemple dans les écrits du maréchal Foch, était fondée sur l'échelonnement en profondeur et sur la manœuvre : couvert et renseigné par des détachements de sûreté, le chef engageait au point et au moment voulu la masse de manœuvre gardée dans sa main. Les Allemands recherchaient de préférence l'enveloppement par l'aile, les Français la rupture. Cependant, au moment où la guerre éclata, les idées des Bonnal et des Foch étaient démodées en France. Une école nouvelle, dont le plus brillant représentant était le colonel Loiseau de Grandmaison, avait mis à la mode une doctrine très semblable à la doctrine allemande : engagement sur un large front, à fond et partout, avec toutes les forces. Le trait caractéristique de la nouvelle manière, au moins telle qu'elle avait pénétré dans l'esprit des officiers, était l'offensive à outrance et, dans tous les cas, appuyée, mais non préparée, par l'artillerie. Le combat en retraite n'était pas prévu dans le règlement de 1913. Le combat défensif n'était admis que sous l'empire de la contrainte, et avec l'idée de reprendre l'offensive aussitôt que possible.

Une différence essentielle entre les deux armées consistait dans la dotation en artillerie. La dotation totale de l'armée française était de 4.000 canons de campagne de 75 et de 300 canons d'artillerie lourde attelée. La dotation totale des armées allemandes pour le théâtre occidental et pour le théâtre oriental était de 5.000 canons de 77, 1.500 obusiers légers et 2.000 obusiers lourds, mortiers et canons longs. Même en défalquant les matériels nécessaires au front oriental, la supériorité de l'Allemagne en canons lourds et demi-lourds était énorme. Cependant, il existait en France une artillerie de siège et de place, de modèle ancien, mais excellente, dite artillerie de Bauge, comprenant au moins 7.500 bouches à feu, qui allait pouvoir être utilisée et. dans une certaine mesure, rétablir l'équilibre.

Notre 75 ne pouvait tirer qu'à trajectoire tendue, tandis que l'obusier allemand exécutait des tirs courbes. Ces tirs courbes lui permettaient d'une part de se défiler plus loin derrière les crêtes, d'autre part de fouiller le terrain. L'artillerie française au contraire restait au voisinage des crêtes. Dans ces conditions, le capitaine commandait sa batterie à la voix. Notre artillerie se trouvait en conséquence très insuffisamment dotée de matériel téléphonique. L'avion d'artillerie n'existait pas chez nous. Au surplus, notre infériorité en aviation était manifeste : 200 appareils environ contre 2.000 chez l'ennemi.

Enfin notre infanterie, admirable de courage et d'élan, n'avait ni la discipline, ni l'instruction de l'infanterie allemande. La proportion des réservistes dans les unités actives était des trois cinquièmes chez nous, des deux tiers chez l'ennemi. Les cadres de réserve avaient dans l'armée allemande une autorité qu'ils ne possédaient pas dans l'armée française.

 

IV. — LA PRISE DE LIÈGE.

PARTOUT les armées allemandes trouvaient devant elles un long fossé suivi tour à tour par la Moselle et par la Meuse, et gardé au sud par les places françaises, Épinal, Toul, Verdun, au nord par les têtes de pont belges, Namur et Liège.

Ayant le dessein de manœuvrer par sa droite, c'est-ii-dire par son aile nord, l'Allemagne avait le plus grand intérêt à saisir aussitôt le passage de la Meuse, avant que les Belges aient eu le loisir de faire sauter les ponts. Avec une extrême hardiesse, elle jeta donc sur Liège, dès le 4 au matin, avant la déclaration de guerre, G brigades qui n'avaient même pas été complétées. C'étaient les 11e, 14e, 27e, 34e, 38e et 43e. Elles avaient presque toutes reçu des pionniers, un bataillon de chasseurs, des cyclistes, des fourgons automobiles, et chacune un peu d'artillerie et de cavalerie. Elles formèrent une armée provisoire sous les ordres du général d'infanterie von Emmich. Deux batteries de mortiers avaient été mises à sa disposition, ainsi que les 2e, 4e et 9e divisions de cavalerie, commandées par le lieutenant général von der Marwitz.

Les brigades se mirent en route le 4, à neuf heures du matin. Elles devaient prendre position le 5 au soir sur un arc de cercle à 1 ou 2 kilomètres des forts, et, dans la nuit du 5 au 6, forcer les intervalles. Ce coup de main sur une grande place était si hardi que les exécutants croyaient peu au succès. La 14e brigade réussit à passer. Son commandant avait été tué, et le chef d'état-major de la IIe armée, le général Ludendorff, la conduisait. Réduite à 1 500 hommes, elle occupa la ville et la citadelle le 7 au matin. Elle fut rejointe le soir par la 11e brigade, le lendemain par la 27e. Il y avait donc le 8 au soir 3 brigades à Liège, sous le commandement du général von Emmich. Mais les forts tenaient.

Pour les réduire, le colonel général von Bülow, commandant la Ile armée allemande, réunit alors sous le commandement du général de cavalerie von Einem trois corps d'armée (IXe, VIIe, Xe) avec de l'artillerie lourde. Les forts du nord devaient être attaqués les premiers pour ouvrir un passage à l'aile droite allemande (Ire armée), dont les itinéraires passaient entre Liège et la frontière hollandaise. Le fort de Barchon était tombé dès le 8, à dix-sept heures. Les forts voisins furent attaqués le J. Le fort d'Évegnée se rendit le 11 ; le fort de Pontisse, le 13 ; le fort de Fléron, le 14 au matin. Dans le secteur est, les forts de Chaudfontaine et d'Embourg se rendirent le 13. Les Allemands passèrent alors à l'attaque des forts de l'ouest, Lantin et Loncin. Lantin succomba le 15 dans la matinée, Loncin dans l'après-midi. Le même jour, un fort du secteur sud, Boncelles, s'était rendu. Les deux derniers, Hollogne et Flemalle, se rendirent dans la matinée du 16.

La place avait été défendue par la 3e division belge. Le 6, le général Leman, qui la commandait, la considérant comme épuisée, l'avait rassemblée à l'ouest de la ville entre les forts de Loncin et de Hollogne, d'où il l'avait dirigée sur la Gette, où elle arriva le 8, tandis que lui-même s'enfermait dans le fort de Loncin.

Toute l'armée belge se trouva désormais rassemblée derrière la Gette.

 

V. — LES CONCENTRATIONS.

TANDIS que les canons allemands réduisaient les forts de Liège, l'aile droite des armées allemandes pénétrait en Belgique, et, le 17 août au soir, au moment où sa concentration était à peu près terminée, elle présentait le dispositif suivant.

A l'extrême nord, la Ire armée, commandée par le colonel-général von Kluck, avait pour front la ligne Hasselt-Saint-Trond. A sa gauche, la IIe armée, commandée par le colonel général von Bülow, munie d'artillerie de gros calibre, avait son aile droite aux forts ouest de Liège, son aile gauche à Farrières, soit à 20 kilomètres au sud du fort d'Embourg.

La IIIe armée, formée principalement des corps saxons et commandée par le colonel général baron von Hausen, était à la lisière orientale des Ardennes, sa droite à 30 kilomètres au sud-ouest de Malmédy. Plus au sud venait la IVe armée, commandée par le colonel-général duc Albert de Wurtemberg. La Ve armée suivait à gauche, commandée par le Kronprinz allemand ; elle se terminait à sa gauche aux environs de Thionville.

Enfin l'aile gauche allemande comprenait la VIe et la VIIe armées, commandées l'une par le Kronprinz Rupprecht de Bavière et composée principalement des corps bavarois, l'autre par le colonel-général von Heeringen, celle-ci subordonnée à celle-là.

L'aile droite en Belgique était éclairée et couverte par 2 corps de cavalerie renforcés par de nombreux bataillons de chasseurs. Le Ir corps de cavalerie, sous les ordres du lieutenant général von der Marwitz, éclairait devant la Ire armée ; le Ier, sous les ordres du lieutenant général baron von Richthofen. éclairait devant le front des IIe et IIIe armées. Au centre, le IVe corps de cavalerie éclairait devant la IVe et la Ve armée. Enfin, à gauche, le IIIe corps de cavalerie et la division de cavalerie bavaroise éclairaient devant, le front, de la VIe armée.

La concentration de l'armée française, réglée par le plan 17, devait se faire ainsi. A droite, la 1re armée (Dubail) se rassemblait entre Belfort et Lunéville, couverte par le 7e corps de Belfort et le 21e d'Épinal. A sa gauche, la 2e armée (Castelnau) se rassemblait dans la région de Nancy, la gauche vers Nomény : elle était couverte par le 20e corps de Nancy. A gauche encore, la 3e armée (Buffet') se rassemblait entre la Moselle et Audun-le-Roman, couverte par le 6e corps sur les Hauts-de-Meuse et dans la Woëvre. A l'extrême gauche, la 5e armée (Lanrezac) se rassemblait entre Montmédy et Longuyon, le gros entre Verdun et Mézières, couverte par une division du 2e corps, et prolongée elle-même par un corps de cavalerie de 3 divisions aux ordres du général Sordet, et qui se rassemblait derrière la Meuse.

Enfin, la 4e armée (Langle de Cary) devait se rassembler en arrière, entre Bar-le-Duc et Commercy, prête à s'intercaler, soit au nord, soit au sud de la 3e armée. Mais, dès le 2 août, la violation du Luxembourg ayant averti le commandement français que des forces adverses se massaient sur sa gauche, la 4e armée reçut l'ordre de se concentrer, non plus en seconde, mais en première ligne, en passant au nord de Verdun, et, en prenant place entre la 3e et la 5e armée. La 5e armée serrait sur sa gauche pour ouvrir une fenêtre à la 4e.

Le chef d'état-major général de l'armée française était, depuis le mois de juillet 1911, le général Joffre. Au physique, un homme de haute taille, et d'aspect vigoureux. Les yeux bleus sont profondément enfoncés sous les sourcils en broussailles. Les cheveux, d'un blond dédoré, ombragent le front droit. Le teint est clair, la bouche charnue et rouge. L'impression est celle d'un équilibre tranquille et d'une force assurée. Cet équilibre est pareillement un trait de son caractère. Jaloux de son autorité, mais capable de faire face avec un sang-froid inébranlable aux surprises les plus graves, calme dans le danger, clairvoyant et énergique, le général Joffre a porté sans fléchir, sur ses fortes épaules, le poids des plus lourds événements.

Le 3 août, à seize heures, il réunit les commandants d'armée, et leur rappelle son intention de manœuvrer par les deux ailes. Le 4, ceux-ci rejoignirent leurs quartiers généraux. A l'extrême droite, le général Dubail gagna Épinal ; à l'extrême gauche, le général Lanrezac gagna Rethel. Le 5 août, le général Joffre, jusque-là chef d'état-major général, prit le commandement en chef des armées de la République.

 

VI. — L'OPÉRATION D'ALSACE.

LE même jour, il donna deux ordres importants. Il prescrivit au corps de cavalerie, augmenté de la 4e division de cavalerie, d'explorer en Belgique sur le front Laroche-Audun-le-Roman. Il y avait grand intérêt, en effet, à se rendre compte des forces que l'ennemi assemblait sur notre gauche.

En même temps, le général Joffre ordonnait au 7e corps, renforcé par la Se division de cavalerie et par une brigade prélevée sur la place de Belfort, d'attaquer le 7 en Haute-Alsace. Le dessein de l'opération était d'aller détruire les ponts du Rhin à Istein et à Huningue, d'appuyer ainsi l'aile droite de l'armée au Rhin, et enfin, par l'occupation de Mulhouse et d'une partie de l'Alsace, de frapper l'opinion. Mais le général Bonneau, qui commandait le 7e corps, considérait l'opération comme délicate et hasardeuse. Il a peur pour son flanc droit et ses derrières, écrit le 6 le général Dubail ; il craint de s'engager dans une souricière. Néanmoins, le 7 au matin, le 7e corps commença son mouvement par divisions accolées, la 41e à gauche descendant la vallée de la Thur, et marchant par Thann et Cernay, la 14e à droite marchant en deux colonnes sur Mulhouse et sur Altkirch. Mulhouse fut atteint le 8 à quinze heures. Les Français furent reçus avec enthousiasme.

Les Allemands ripostèrent en lançant sur Cernay une division du XVe corps venant de Strasbourg, et sur Mulhouse le XIVe corps, débouchant de la forêt de la Hardt. Le 10, à quatorze heures, les Français commençaient la retraite générale, et se repliaient derrière la frontière.

On décida de reprendre l'affaire. Une armée, dite armée d'Alsace, fut créée le 11 août, et confiée au général Pau. Cette armée comprenait le 1e corps, la Se division de cavalerie, la 44e division d'infanterie et le 1er groupe de divisions de réserve. La limite entre la 1re armée et l'armée d'Alsace était marquée par la ligne Remiremont-la Schlucht.

 

VII. — LES HÉSITATIONS AU SUJET DE L'ENNEMI.

D'APRÈS le plan de concentration, le général en chef gardait à sa disposition les divisions ultérieurement disponibles. Telles étaient, par exemple, la 37e et la 38e divisions, qui venaient d'Afrique. Dans sa première pensée, ces divisions étaient destinées à l'aile droite. Le 6, il ordonna au contraire de les diriger derrière l'aile gauche, sur la gare régulatrice de Laon. C'est qu'en effet l'orage se formait à ce moment-là sur la gauche.

Deux armées, au début d'une campagne, sont comme cieux adversaires dans la nuit, cachés l'un à l'autre, et qui se cherchent en tâtonnant. Quelles sont les forces, l'emplacement, les desseins de l'ennemi ? Le nuage ne se dissipe que peu à peu. Vers le 7 août, le commandement français supposait les forces allemandes réparties en 3 groupes. Le groupe du sud devant notre aile droite ne comprend que 6 corps d'armée. Le groupe du centre, entre Metz et Luxembourg, forme le gros. Enfin un troisième groupe, au nord, est engagé devant Liège.

Deux hypothèses sont à prévoir, selon que Liège tiendra ou tombera. Si la place est prise, l'ennemi, maitre du passage de la Meuse, peut manœuvrer par sa droite, c'est-à-dire par le groupe du nord, en Belgique ; en même temps son centre se portera en avant face à l'ouest. Si au contraire Liège résiste, l'ennemi devra renoncer à manœuvrer par sa droite, qui se trouvera arrêtée ; dans ce cas, au lieu de porter son centre l'ace à l'ouest, il pourra le faire converser face au sud, en pivotant sur Metz, et attaquer la frontière entre Metz et Namur.

Le commandement français doit donc monter sa manœuvre de façon à faire face à l'une et l'autre hypothèse. Cette manœuvre est expliquée le 8 août, dans l'instruction générale n° 1, destinée aux commandants d'armée.

D'après cette instruction, le général Joffre attaque par sa droite, avec la 1re armée, couverte à droite par le 7e corps et appuyée à gauche par l'aile droite de la 2e armée. Les G corps de l'aile gauche allemande auront donc affaire à 8 corps français. Les deux corps de gauche de la 2e armée sont réservés à la disposition du commandant en chef.

Au centre allemand, qui est à ses yeux la principale masse ennemie, le général Joffre oppose la 4e et la 5e armée, qui devront, ou rejeter l'ennemi dans la Meuse s'il l'a passée entre Verdun et Mézières, ou franchir elles-mêmes cette rivière. La 3e armée, qui est sur les Hauts-de-Meuse, devra, ou appuyer le mouvement de la 4e, en se portant à sa droite en direction du nord, ou la couvrir en contre-attaquant les forces allemandes qui déboucheraient de Metz. Cette vaste place de Metz a préoccupé pendant toute la guerre l'état-major français, inquiet de ce qu'elle pouvait contenir et de ce qui en pouvait sortir.

Contre le groupe allemand du nord, le général Joffre ne prévoit encore, à l'ouest de la Meuse, que l'emploi du corps de cavalerie, qui couvrira vers Marienbourg et Chimay la réunion de l'armée britannique ; de plus, le 4e groupe de divisions de réserve fortifiera autour de Vervins une position qui assure un débouché soit vers le nord, soit vers l'est.

Si le grand quartier français croyait peu à une manœuvre de la droite allemande à l'ouest. de la Meuse, le général Lanrezac, commandant la 5e armée, que cette manœuvre menaçait de déborder, était très inquiet. Il envoya le général Hély d'Oissel au grand quartier, qui était à Vitry, et où ce général resta du 7 au 10. Il revint avec le sentiment qu'il n'avait pas persuadé le général Joffre.

Celui-ci, quelle que fût sa pensée, prit pourtant du côté du nord un certain nombre de précautions. Liège avait été occupé le 7 par les Allemands. Le 12, le général Joffre affecta à la 1re armée les deux divisions Muteau et Comby, qui arrivaient d'Afrique, et que, dès le 6, comme nous l'avons vu, il avait dirigées sur Laon. Le 12 également, le général Lanrezac fut autorisé à étendre sa gauche vers le nord, en portant le 1er corps entre Givet et Namur.

 

VIII. — LA RÉVÉLATION DU PLAN ALLEMAND.

LA défaite du 7e corps en Alsace n'arrêta pas l'exécution du plan exposé le 8 dans l'instruction n° 1, et, le 11 août, le général Joffre ordonna au général Dubail de commencer son mouvement le 14. Dans la pensée du commandement français, l'offensive de la droite sera suivie le 15 ou le 16 par celle des 3e, 4e et 5e armées. Tout le front va s'ébranler.

Cependant les nouvelles de Belgique devenaient inquiétantes. A la 5e armée, on est convaincu que les Allemands préparent un mouvement débordant. Le 14, le général Lanrezac se décide à aller voir le général Joffre à Vitry. Son dessein est d'établir la 5e armée en crochet face au nord, de Givet à Maubeuge. Le général Joffre, le général Belin, major général, et le général Berthelot, premier aide-major, lui répondirent : Nous avons le sentiment que les Allemands n'ont rien de prêt par là. Rentré à Rethel, le général Lanrezac y trouva le bulletin de renseignements émané du grand quartier lui-même et qui évaluait le groupement allemand du nord, entre Luxembourg et Liège, à 8 corps et à 4 divisions de cavalerie. Dans ces conditions, le mouvement par la Belgique ne pouvait être douteux. Le général Lanrezac écrivit sur-le-champ au général Joffre. Celui-ci lui répondit, à dix-huit heures vingt, en lui permettant d'étudier l'exécution du crochet défensif Givet-Maubeuge. Le 15 au matin, il permit de préparer le mouvement vers le nord de deux autres corps (en dehors du 1er). Enfin, le 11, le commandant en chef proposa au ministre de la Guerre de tendre un barrage entre Maubeuge et la côte, par trois divisions territoriales. Ces divisions (81e, 82e et 84e) furent mises le 16 sous le commandement du général d'Amade, dont le quartier général fut à Arras. Il est visible que le grand quartier commence à croire au mouvement débordant des Allemands par la Belgique ; mais il considère l'échéance comme encore lointaine.

Si les Français étaient incertains des projets et du dispositif ennemis, les Allemands n'étaient guère mieux renseignés. Ils s'étaient fait d'avance une idée fausse de notre concentration. Ils avaient imaginé en première ligne 3 armées chacune de 4 à 5 corps, l'une à Épinal, la seconde à Toul, et la troisième à Rethel-Vouziers, peut-être reliée à la précédente par le 6e corps dans la région Verdun-Saint-Mihiel ; et ils avaient cru que la masse principale, ou armée de manœuvre, peut-être articulée en 2 armées et comprenant 7 corps ou davantage, serait rassemblée en arrière, de Neufchâteau à Sainte-Menehould. Enfin ils supposaient un groupe de 4 à 6 divisions de réserve en échelon derrière chaque aile, à droite dans la région Lure-Vesoul, à gauche dans la région Laon-la Fère. Leur erreur consistait en ceci, qu'ils attendaient une attaque centrale quand le commandement français préparait une attaque d'ailes, qu'ils se trompaient sur la nature et l'emplacement de l'armée de seconde ligne, et qu'enfin les armées de première ligne étaient plus fortes qu'ils ne pensaient.

Les Allemands étaient portés à croire que nous allongerions dès le début notre aile gauche pour l'appuyer à Namur. Le 13 au soir, ils avaient identifié 2 divisions de cavalerie (1re et 3e) à l'est de la Meuse. Ils plaçaient notre 1er corps à Namur et au sud ; ils croyaient qu'un autre corps, qu'ils supposaient être le 2e, descendait la Meuse par Givet pour se lier au 1er. Ils devinaient en gros le plan français : arrêter de front l'avance allemande en Belgique, et riposter au centre, probablement par une offensive partant de Verdun et dirigée sur la Lorraine. Namur serait le point de jonction de la gauche française avec l'armée belge.

Le 15, l'ennemi tentait de forcer la Meuse au nord de Givet, à Dinant, avec des forces que le commandement français évaluait à un corps d'armée. En fait, il ne s'agissait que d'une forte reconnaissance de la cavalerie de Richthofen, appuyée par des chasseurs. Dès lors, les dernières hésitations tombent. On admet que les Allemands vont tenter en Belgique le mouvement débordant par leur droite. Pour arrêter ce mouvement, le dispositif de la gauche française doit être remanié.

Le soir du 15, l'état-major français envisage ainsi la situation : L'ennemi semble porter son principal effort par son aile droite au nord de Givet. Un autre groupement de forces parait marcher sur le front Sedan-Montmédy-Damvillers. — Ce sont toujours les deux groupes que nous avons vus le 8 ; mais on constate maintenant que la principale force est, non pas au centre, mais à l'aile droite. La 5e armée française, au lieu de participer à l'attaque contre le centre allemand, est donc reportée contre cette aile droite. Elle reçoit l'ordre de s'établir à l'ouest de la Meuse, dans la région de Marienbourg ou de Philippeville. Elle abandonne à la 4e armée son corps de droite, le 9e, et 2 divisions de réserve. En revanche, elle reçoit le 18e corps, jusque-là réserve de grand quartier, qui se portera à la gauche de l'armée vers Beaumont.

Au groupe allemand du nord sont donc opposées : 1° la 5e armée française, avec le corps de cavalerie et le groupe de divisions de réserve de Vervins ; 2° l'armée anglaise, c'est-à-dire deux corps d'armée et une division de cavalerie, dont le débarquement est précisément terminé le 15 août, et qui sera concentrée le 21 dans le Cambrésis — le 17, le maréchal French dira au général Lanrezac : Mon armée ne sera pas prête à marcher avant le 24 août, et encore j'aurais besoin d'une semaine de plus pour entraîner mes réservistes d'infanterie — ; 3° l'armée belge, à 6 divisions, concentrée en position d'attente derrière la Gette, mais prête à se replier sur Anvers.

Au groupe allemand du centre sont opposées les 4e et 3e armées françaises. La 4' armée doit se tenir prête à déboucher du front Sedan-Montmédy, en direction de Neufchâteau. La 3e armée a deux missions divergentes : l'une d'appuyer face au nord le mouvement de la 4e armée ; l'autre d'observer Metz, face à l'est. Aussi, le 16, est-elle scindée en deux. Ses 3 corps actifs appuieront le mouvement de la 4e armée. Ses divisions de réserve, renforcées de la 67e qui vient de Châlons, auront pour mission de commencer l'investissement de Metz ; elles formeront sous le commandement du général Pol Durand un groupement qui deviendra le 19 l'armée de Lorraine, aux ordres du général Maunoury.

Quoiqu'il fût maintenant certain que les Allemands manœuvreraient par leur droite, le commandement français hésitait encore entre deux projets qu'il leur prêtait. L'un était d'exécuter franchement le mouvement débordant par toute son aile, à l'ouest de la Meuse, entre Givet et Bruxelles. L'autre était de n'engager au delà de la Meuse qu'une partie de sa droite, et de rabattre le reste, face au sud, sur le centre français.

Les instructions données aux armées françaises le 18 août prévoient l'une et l'autre hypothèse. Si l'ennemi manœuvre franchement par sa droite, la 5e armée française, en liaison avec l'armée anglaise et l'armée belge, arrêtera de front l'aile marchante et cherchera à la déborder par le nord ; pendant ce temps nos armées du centre, 4e et 3e, mettront hors de cause le centre ennemi ; la majeure partie  de notre armée se rabattra ensuite dans le flanc de l'aile droite  allemande. — Si au contraire l'ennemi rabat une partie de sa droite face au sud pour tomber sur notre centre, la 5e armée française, passant la Meuse d'ouest en est, viendra tomber, face à l'est, dans le flanc des colonnes en marche.

Or, ce jour-là même (18 août), les Ire et IIe armées allemandes, réunies sous le commandement du général von Bülow, se mettaient en marche à l'ouest de la Meuse, vers la ligne Namur-Bruxelles. Plus de doute : l'ennemi manœuvrait par sa droite. Il fallait attendre que son mouvement vers l'ouest fût assez prononcé, et jeter le centre français sur le centre allemand isolé et dégarni. Le 20, le général Joffre estimait que l'heure n'avait pas encore sonné. Mais, le même jour, il recevait la nouvelle de la défaite de sa droite en Lorraine. A vingt heures trente, il donnait au centre l'ordre d'attaquer le lendemain.